Autour de Garibaldi I : les traces du héros (Alfonso Scirocco)

garibaldiGaribaldi, Alfonso Scirocco, 2005

Première partie d’un diptyque consacré au révolutionnaire italien.

Giuseppe Garibaldi est une des figures majeures du XIXe siècle. Sa vie aventureuse, ses engagements révolutionnaires, l’engouement international qu’il suscita, se rapprochent du parcours de certains révolutionnaires contemporains – Che Guevara pour ne pas le nommer -. Scirocco, spécialiste de l’Italie du Risorgimento, ne trace pas ce parallèle, mais le lecteur actuel sera tenté, toutes proportions gardées, de comparer les deux hommes. Né à Nice en 1807, Garibaldi participa aux premières tentatives libérales contres les autocraties italiennes dans les années 1830. Leur échec entraîna son exil. Le marin, proscrit, s’établit en Amérique du Sud. Il y connut, pendant plus de dix ans, de multiples aventures au services du Rio Grande et de l’Uruguay. Cet épisode moins connu de la vie du révolutionnaire est bien remis en perspective par Scirocco.

Corsaire au service de l’éphémère république du Rio Grande – la province la plus septentrionale de l’Empire du Brésil,  alors indépendante, il manifesta en peu de temps un courage et une audace peu communes. Aux commandes de modestes navires, il déstabilisa le commerce local en arraisonnant des navires marchands. Capturé, détenu quelques mois en Uruguay pour ses forfaits, puis libéré, il combattit avec les sécessionnistes du Rio Grande jusqu’à la chute de la petite république. En Uruguay, les conflits entre les deux prétendants à la Présidence de la République tournèrent bientôt à la guerre civile. Le général Rivera, aux commandes du parti rouge – les colorados – s’opposait au général Oribe, chef du parti blanc – les blancos. Derrière cette lutte de partis se profilait l’ombre inquiétante du dictateur Argentin, Rosas, lui-même blanco. L’Uruguay de Rivera et des colorados se battait pour son indépendance.

Garibaldi prit rapidement le commandement d’une légion d’exilés italiens qui défendaient, aux côtés de Rivera, la souveraineté uruguayenne. Ils brillèrent contre des ennemis plus nombreux qu’eux : le nom de Garibaldi commença à se répandre hors d’Uruguay. Aux commandes d’une brigade pauvre et mal équipée, il permit au parti de Rivera de tenir la capitale, Montevideo. Après l’intervention des franco-britanniques aux côtés des colorados, l’Uruguay préserva son indépendance. Garibaldi décida alors de revenir en Italie : arrivée par un heureux hasard en plein Printemps des peuples – 1848 – la légion italienne d’Uruguay se mit au service du Piémont, en guerre contre l’Autriche. Quelques mois après la défaite piémontaise, Garibaldi trouva refuge en Toscane puis à Rome. La population avait chassé le Pape et proclamé la République. Pendant un peu plus d’un an, il défendit la jeune démocratie, bientôt submergée par les armées françaises, napolitaines et autrichiennes. Défait, poursuivi, Garibaldi parvint à s’échapper par miracle. Il reprit alors les routes de l’exil sud-américain.

Redevenu capitaine de marine, il sillonna le Pacifique quelques années, aux commandes d’un navire marchand. Le Piémont continuait pourtant, par tous les moyens, d’essayer d’unifier l’Italie. Garibaldi décida de revenir sur le Vieux Continent. Après quelques opérations contre les autrichiens dans les Alpes, il réalisa l’exploit pour lequel il est entré dans l’Histoire. A la tête d’un millier de volontaires, issus des classes de la bourgeoisie libérale du nord de l’Italie, il débarqua à l’ouest de la Sicile, terre qui appartenait à l’époque au Royaume bourbon et absolutiste des Deux-Siciles. En cinq mois, les Mille vainquirent à trois reprises l’armée napolitaine, conquirent la Sicile, puis la botte de l’Italie et achevèrent leur épopée par la prise de Naples. L’épisode est probablement le plus célèbre du Risorgimento ; il permit au Piémont d’unifier la péninsule. Dictateur – à la romaine – des Deux-Siciles, il remit le royaume à Victor-Emmanuel II, roi du Piémont, qui accepta et invita aussitôt le conquérant à rentrer chez lui. Garibaldi considérait pourtant qu’il n’avait pas achevé sa mission : Rome et Venise échappaient encore à la mainmise italienne.

Après un repos de quelques mois, et malgré les propositions d’Abraham Lincoln, qui souhaitait sa présence à la tête d’une division yankee contre les sudistes, Garibaldi reprit les armes pour s’emparer de Rome. Empruntant de nouveau le chemin des Mille, il débarqua en Sicile, puis dans les Pouilles. Le roi d’Italie, qui ne pouvait laisser agir Garibaldi – les français étaient prêts à intervenir pour protéger le Pape – envoya son armée arrêter les irréguliers. Blessé grièvement à la bataille de l’Aspromonte, Garibaldi renonça, provisoirement, à son entreprise.  Diminué, l’italien n’abandonna pas l’action militaire – sens profond de son existence. Il mènera une armée italienne contre les autrichiens en 1866, tentera une nouvelle fois de s’emparer de Rome en 1868, puis défendra, à la tête de volontaires, la jeune République française contre les prussiens en 1870-71.

Le parcours de Garibaldi, pourtant résumé en quelques paragraphes, est d’une extraordinaire densité. Celle-ci suffit à expliquer la notoriété internationale dont il bénéficia tout au long de son action publique. Voilà un homme qui fut corsaire au Brésil, général en Uruguay, défendit Milan contre les Autrichiens, dirigea les armées de la République Romaine, conquit un royaume doté d’une armée de 80 000 hommes avec un millier de volontaires, ne plia que contre la realpolitik des dirigeants de son temps et trouva l’énergie, à 60 ans passés, de diriger un corps d’armée contre les puissants prussiens dans un pays qui n’était pas le sien. Les médias de son temps en firent une icône internationale, une légende. Alfonso Scirocco revient sur la vie de Garibaldi en démêlant le mythe et la réalité. Plutôt aimable pour son sujet, l’historien retrace avec de nombreux détails l’épopée d’une des figures légendaires de l’histoire italienne. Difficile de ne pas éprouver d’admiration, d’ailleurs, pour cet homme naïf et courageux, pour sa vie d’aventures dans un siècle qui, après Napoléon, n’était plus destiné à connaître de héros.

Le Garibaldi présenté par Scirocco n’est pas exempt de défauts. Mais lorsqu’il se met en marche, sa capacité de mobilisation des troupes, son audace tactique, ses intuitions stratégiques emportent l’admiration de tous. Pourtant, lors de sa plus célèbre campagne, il bénéficia largement de l’incurie du commandement napolitain. Il s’engagea parfois à tort dans des campagnes condamnées d’avance – la plus célèbre connut son achèvement lors d’une bataille d’à peine un quart d’heure sur l’Aspromonte. Ses positions politiques, floues, consistaient en de grands principes (la Liberté, le Peuple) assénés avec emphase. Garibaldi est du siècle de Hugo et des démocrates de 1848. Les églises socialistes, en formation, le concernent peu : les marxistes n’ont pas encore mis la main sur l’Internationale et les positions théoriques du guérillero italien s’avèrent flexibles. Seule constante : la libération de l’Italie des despotes réinstallés par le Congrés de Vienne, et l’unification de la péninsule sous l’égide du Piémont.

Garibaldi est un héros romantique, un conquérant mystérieux, qui ne trouve de justesse que dans l’action perpétuelle, les campagnes, les marches et les batailles. Il n’aspire pas au pouvoir politique – qu’il dépose aux pieds de Victor-Emmanuel après l’avoir conquis à Naples -, il n’aspire pas au gouvernement – ses mandats de députés, en Uruguay, en Italie et en France,  s’achèvent brièvement -, il n’aspire pas à la renommée – même s’il l’utilise à bon escient lors de ses campagnes -. Voilà la clé de l’homme : un soldat qui ne conquiert pas pour lui-même, qui combat pour ce qu’il perçoit du Bien et du Vrai, et le restitue ensuite aux pouvoirs légitimes. Garibaldi combat : Justice, Liberté, Vérité sont ses étoiles polaires. Le siècle l’adula. Washington tenta de le recruter pendant la Guerre de Sécession. Ses exploits résonnèrent à New York, Lima, Londres, Tokyo et Istanbul. Garibaldi est le premier héros de l’âge global. Les journaux lui donnèrent une notoriété, presque sans taches, que ne connut pas même Bonaparte, héros clivant. Le mythe dépassa la réalité.

Le Garibaldi de Scirocco est un excellent portrait, précis et mesuré, d’un des derniers héros de l’histoire des hommes, le dernier de l’ère pré-industrielle. Même s’il montre parfois quelque sympathie pour son sujet, Scirocco parvient à garder suffisamment de mesure pour faire de ce livre la meilleure biographie en français du condottière des pauvres. Le garibaldisme est aujourd’hui empoussiéré, mais la geste aventurière demeure.

6 réflexions sur “Autour de Garibaldi I : les traces du héros (Alfonso Scirocco)

  1. [Aparté: C’est donc bien bien mieux que Jean Flori et sa soporifique biographie sur Bohémond d’Antioche. Je ne pense pas que ce soit juste un problème de sources, il y a un réel effort de rythme dans la description de la vie de l’ « accoucheur de l’Italie ».]

    Ce qu’il y a d’étonnant, finalement, dans la légende Garibaldienne, c’est qu’elle ait pris corps très tôt. Car enfin, voilà un homme qui se bat dans des contrées obscures (pour ses contemporains) d’Amérique Latine, où il mène au mieux quelques milliers d’hommes au combat, dans un siècle qui a commencé par les campagnes Napoléonienne ou la Grande Armée fit traverser l’Europe à plus d’un million d’hommes, et qui finira par les conflagration de la Guerre de Sécession et la Guerre de 1870 (qui auront lieu de son vivant) qui en aligneront plusieurs millions.

    Pourquoi donc le XIXème siècle s’est-il entiché de ce jeune soldat du bout du monde ? On aurait pu le considérer comme un mercenaire, un aventurier, voir, à notre époque, un dangereux terroriste (après tout, il est en exil suite à une révolution ratée), mais non, il sera un héros.

    Un héros avec une idée fixe, la création de l’Italie, et des positions politiques floues et fluctuantes (plutôt de gauche, plutôt Républicain, mais se rangeant sans coup férir sous la bannière de Victor-Emmanuel pour légitimer son action et voir son rêve se réaliser).
    Des qualités: un grand courage physique, une vie simple et frugale, un refus permanent des honneurs, un vrai souci du bien-être et de la reconnaissance pour ses soldats, un vrai souci pour les civils aussi (il punira durement les vols et autres agressions de ses troupes après ses batailles).
    Et des défauts: Bon tacticien, mais finalement piètre commandant général (il excelle dans l’opérationnel, avec quelques milliers d’hommes au mieux sous sa coupe, et dans le combat irrégulier, mais dès qu’il commandera des troupes plus importantes dans des engagements plus classiques, il ne brillera pas), des opinions trop floues pour en faire un théoricien ou un chef de parti (autre que celui, vague, de l’indépendance et du nationalisme italiens), coureur de jupons (il mariera plusieurs de ses conquêtes, pas forcément pour leur plus grand bien, d’ailleurs). Naïf, parfois, sur ses adversaires, mais aussi ses alliés.

    Qu’il le soit devenu après l’expédition des Milles va de soi. La remise en question de l’ordre établi par le congrès de Vienne ne pouvait qu’avoir un retentissement Européen (et donc, au XIXème siècle, mondial). Ce qui n’était pas donné d’avance, c’est qu’il le soit avant. Car sans la notoriété un peu incongrue que lui procure ses actions en Amérique du Sud, il n’y aurait pas eu d’expédition en premier lieu.

    Finalement, si cette biographie couvre bien cette première période, cruciale, le mystère de cet engouement est décrit mais pas forcément complètement expliqué. Mais le peut-il ? Et ne touche-t-on pas là la limite du genre biographique (car cela deviendrait, sans doute, un essai en soi).

    En tout cas, Garibaldi est bien un de ces « hommes providentiels » qui sont de belles questions pour les tenants du temps longs et de l’École des Annales en Histoire, car leurs vies et leurs actions provoquent définitivement une rupture, et précipitent les évènements sur des temps très courts. On imagine mal l’unité Italienne se faire sans Garibaldi et son obsession de la création de « sa » patrie.

    Une lecture plaisante et instructive, merci.

    • ———————————————La vie privée de Garibaldi m’intéresse car les Raveu actuels descendent de la famille d’une compagne du Héros des deux mondes :
      Battistina Ravello. Une bien triste histoire. Des archives ouvertes aux Historiens nous ont permis de découvrir cette relation en profondeur.

    • Qui écrira la véritable histoire de Battistina Ravello au triste et dramatique destin pour avoir suivi Garibaldi. Il n’existe même pas une photo d’elle.
      De quoi est morte sa fille Anita.

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