
Le Régent (Philippe Noiret), Dubois (Jean Rochefort), Que la fête commence, Bertrand Tavernier, 1975
Le cardinal Dubois, Alexandre Dupilet, Tallandier, 2015
Voici quelques mois, j’évoquai une biographie de Disraeli et intitulai ma chronique « L’arriviste arrivé ». Ce titre s’appliquerait fort bien à mon sujet du jour, dont mes lecteurs excuseront sûrement l’obscurité relative. Le livre récent d’A.Dupilet méritait, je trouve, une critique.
Le grand médiéviste italien, Arsenio Frugoni, démontra, dans les années 50, que l’histoire pouvait, à sa manière, triompher de la légende. Par son remarquable, bien qu’aride, essai biographique intitulé Arnaud de Brescia (traduit et publié aux Belles Lettres), et consacré à la nébuleuse figure d’un réformateur italien du XIIe siècle, il offrit à son lecteur une leçon d’histoire. Il explora et tria d’abord l’ensemble des sources secondaires pour parvenir à l’essence même du récit historique, la source primaire, de laquelle découlent toutes les autres. Cette source, il la passa au filtre de sa sensibilité critique, l’expurgea, la clarifia, l’affina, jusqu’à toucher la seule réalité historique certaine, réduite à un presque rien qui, pourtant, équivaut au tout de nos certitudes. Point de roman, point de caractère, point de légende : la réalité historique se voyait réduite à la froide et lacunaire réalité des sources, méticuleusement examinée par un maître. À l’historien, ensuite, de reconstruire son sujet – la force méthodologique du livre de Frugoni était de livrer au lecteur intéressé le processus même, plutôt que son résultat. C’est là, je l’admets, un art d’antiquaire ou de médiéviste, confronté à la minceur de ses sources et à la masse de légendes qui en sont nées. Les historiens des époques ultérieures affrontent plus souvent le trop-plein que l’insuffisance ; difficiles pour eux de revenir aux quelques sources premières. Néanmoins, la philosophie de Frugoni constitue, par sa rigueur critique, son scepticisme et sa finesse d’analyse, un modèle pour tout historien étudiant un personnage calcifié par son mythe, comme, par exemple, Guillaume Dubois.
Le cardinal Dubois, précepteur de Philippe d’Orléans, diplomate, secrétaire d’État aux affaires étrangères (1718-1723), archevêque de Cambrai et éphémère Premier ministre (1722-23), incarne dans l’histoire de France ce que le comédien Jean Rochefort, interprétant son personnage, incarne dans Que la fête commence, de Bertrand Tavernier : un caractère de roman. Dubois personnifie la Régence (1715-23) telle que l’histoire a bien voulu la dépeindre, il est la dépravation, la fausseté, l’inconstance, la superficialité, le libertinage, l’autoritarisme indécis, l’arrivisme, la manipulation, la bassesse de mœurs, bref tout ce que son époque charrie de médiocre, de corrupteur et de pernicieux. On l’a dit stipendié, avare, ignorant, orgueilleux, tyrannique, intrigant ; des dizaines d’historiettes, graveleuses, scabreuses ou amorales circulent sur son compte ; quant à sa politique, au mieux elle fut considérée comme un échec, au pire comme une trahison. Ces rumeurs circulaient déjà de son vivant. Paris disait plaisamment, le jour de son accession au cardinalat, qu’il était « un maquereau devenu rouget ». L’histoire est un délicieux terrain d’action pour l’imagination, qui remplit les vides avec des rumeurs et des interprétations. Richelieu et Mazarin ont deux légendes : une noire et une blanche. Dubois, lui, n’en a qu’une, bien aidé en cela par la rancœur des mémorialistes de son temps, et au premier rang d’entre eux, ce génie littéraire que fut Saint-Simon – qui le détestait. M. Dupilet a l’intelligence d’exposer, dès les premières pages, l’état historiographique de la question, par un long détour dans les Mémoires, plus ou moins fiables, du temps. En marquant sa réticence envers le tissu anecdotique de la légende, l’auteur se donne la possibilité d’examiner en profondeur les aspects les plus politiques de la vie du cardinal Dubois. Son ouvrage, s’il n’est pas dénué de sympathie pour son sujet, tente, avec sérieux, de trier le vrai du vraisemblable, le vraisemblable du possible, le possible de l’invraisemblable et l’invraisemblable de l’impossible. Trop d’ouvrages historiques se contentent de compiler des anecdotes piochées ici ou là, sans les examiner d’un œil critique, pour que le lecteur ne soit pas reconnaissant de la rigueur du travail mené dans ce livre, qu’on éprouve, ou non, un intérêt personnel envers le personnage. Que l’historien ait jugé bon d’exprimer ici ses doutes, là sa conviction, apparaît désormais comme la moindre des exigences en cette discipline (à la manière des meilleurs des savants actuels, Carlo Ginzburg, Patrick Boucheron ou Laurent Vidal par exemple). Comme il s’élève contre trois siècles de noirceurs accumulées, M. Dupilet montre parfois un peu trop d’ardeur à blanchir son modèle, à le grandir, et à apprécier, en bien, son bilan. Ce petit défaut est cependant contrebalancé par la précision et l’honnêteté de l’analyse – notamment celle des vénéneuses anecdotes qui circulèrent, dans les années 1720 et après, sur le compte de l’abbé devenu cardinal.
La Régence marqua une rupture. Une époque austère et dévote s’achevait : à la fin de l’été 1715, Louis XIV mourut (enfin), à plus de 75 ans. Lui succéda un garçonnet de cinq ans, son arrière-petit-fils, cornaqué par un Régent, le neveu du défunt, Philippe d’Orléans. Auprès du prince figurait, depuis son enfance, un abbé roturier et ambitieux, Guillaume Dubois. L’histoire, comme l’admet M. Dupilet, est quasiment muette sur la première et impressionnante ascension du jeune homme, fils d’un apothicaire de Brive, de sa lointaine province limousine jusqu’au préceptorat d’un prince de sang. Les quelques sources, souvent anecdotiques, sont examinées avec soin. De nombreuses rumeurs circulèrent, des années après, sur cette époque d’obscurité. Il n’en reste que quelques constats vraisemblables : Dubois avait suffisamment brillé pour obtenir une bourse et monter étudier à Paris ; sa valeur intellectuelle fut remarquée quelque temps plus tard par un « compatriote », directeur de l’établissement parisien dans lequel il avait étudié. Dubois enseigna quelques années à de jeunes bourgeois, puis à des nobles. Son esprit et sa prestance durent être appréciés par ses employeurs qui l’invitèrent à participer à tel ou tel de leurs salons, où il se fit à nouveau remarquer, par la vivacité de son esprit. Le Duc de Vendôme, descendant bâtard d’Henri IV, proposa peut-être son nom au sommet de l’État : on cherchait alors un précepteur pour le jeune duc de Chartres, neveu du roi et futur duc d’Orléans. M. Dupilet estime que ni Monsieur, le frère du roi, dont l’éducation avait été trop négligée, ni Louis XIV, dont le sens familial n’est pas contestable, n’avaient intérêt à nommer à ce poste un roturier inconnu s’il n’avait pas pour lui de grandes qualités, qu’elles soient intellectuelles ou morales. Les légendes faisant de Dubois un précoce corrupteur du prince sont assez tardives et, le pense l’historien, peu crédibles. La fonction de précepteur d’un Orléans n’était certes pas celle d’un précepteur de Dauphin, fonction confiée par le passé à Bossuet et à Fénelon ; elle n’en restait pas moins prestigieuse et exigeante. On ne l’eût confiée ni à un imbécile, ni à un suborneur.
Cette nomination est décisive. Dans la France d’Ancien Régime, où la naissance compte plus que le service, où l’ascension sociale est si difficile, Dubois constitue un exemple presque unique : son élévation commence d’ailleurs là où elle aurait dû se terminer, à ce poste certes important, mais politiquement mineur. À la maison d’Orléans, Dubois devait tout. Sans ce préceptorat, il n’aurait jamais approché le pouvoir, et l’aurait encore moins exercé. Dubois et Philippe d’Orléans sont restés liés pendant quarante ans, jusqu’à ce que la mort s’empare d’eux, à quelques mois de distance, en 1723. M. Dupilet, tout à son récit chronologique, néglige quelque peu d’explorer cette relation étonnante, tant par sa constance que par ses répercussions historiques. Il l’évoque épisodiquement, montre la proximité, intellectuelle et politique, des deux hommes, suggère l’émergence de quelques tensions épisodiques entre eux, mais sans explorer en une fois, synthétiquement, la teneur exacte de ces liens. Le prince, dont l’auteur se plaît à souligner que l’histoire a exagéré son caractère libertin et inconséquent, n’a jamais abandonné son ancien précepteur, même lorsque celui-ci affrontait les cabales des puissants de la cour. Le maître, s’affranchissant peu à peu de son disciple, ne cessa jamais de le conseiller et de l’écouter. Qui a formé l’autre ? Qui a dominé l’autre ? Leur étonnante symbiose n’a pas reçu de l’historien toute l’attention qu’elle méritait. La constance, rare entre deux hommes de pouvoir, aurait dû susciter une investigation et une réflexion plus approfondies, tant elle paraît historiquement singulière (les favoris finissent mal, en général). L’autre circonstance majeure du destin de Dubois est fort bien connue. Elle a été explorée par Olivier Chaline dans l’honorable ouvrage L’Année des quatre Dauphins, où il analyse l’année terrible qui vit les morts successives, en 1711-1712, du fils de Louis XIV, de son petit-fils et de son arrière-petit-fils aîné. Ne restent, de la branche directe, qu’un petit-fils, Philippe, qui a renoncé à ses droits dynastiques pour régner sur l’Espagne, et un arrière-petit-fils, Louis (XV) ; le roi, conscient du danger, a aussi fait reconnaître les droits sur le trône de ses deux fils bâtards, le duc de Maine et le comte de Toulouse, mais la haute noblesse – dont les Orléans – l’accepte mal. Le cousin d’Orléans, devient alors, à un âge de pleine maturité (il est né en 1674), le personnage le plus légitime pour exercer l’inévitable régence qui s’ouvre.
Si j’ai précisé ces deux faits, c’est qu’il s’agit des principales contingences qui permirent l’ascension de l’obscur abbé Dubois jusqu’à la pourpre cardinalice et à la position, enviée, de Premier ministre. Elles ont eu une double effet sur le parcours de l’homme : l’ascension de Dubois dépendit presque exclusivement de l’élévation d’Orléans ; et il le savait – d’où ses fréquentes angoisses, et sa fébrilité, sensibles dans sa correspondance. Philippe, devenu majeur, ne fut pas délaissé par son maître. Au contraire, Dubois, devenu une sorte de secrétaire particulier, l’accompagnait sur les champs de bataille des années 1690, où le jeune prince se montrait en officier courageux mais dissipé. Il finit d’ailleurs par déplaire au roi et connut une longue période de disgrâce. C’est elle, au fond, qui éloigna le plus Dubois de son ancien élève – et elle l’éloigna peu, tant sa fortune dépendait des libéralités du régime, et donc de ce que pouvait lui accorder la maison d’Orléans. Sa fidélité fut récompensée lors de l’accession de Philippe d’Orléans à la Régence. Habilement, le prince redonna la parole aux grands du royaume, par ce qu’il convient d’appeler « la polysynodie ». Ce gouvernement des conseils, dont est spécialiste l’historien, renonçait pour partie au principe d’un absolutisme méritocratique auquel était attaché Louis XIV, au profit d’un principe « aristocratique ». Les nobles conviés au Conseil de régence et dans les conseils particuliers pouvaient ainsi avoir l’illusion d’un pouvoir retrouvé – ce qui ne les incita guère à mener quelque action violente contre le Régent – lui-même fort occupé à retirer leurs droits dynastiques aux deux bâtards du roi, puis à éviter que son cousin d’Espagne ne s’intéressât de trop près à sa Régence. La place de Dubois, né du peuple, n’était évidemment pas dans ces conseils des Grands. Philippe d’Orléans, confiant en ses qualités, en fit un diplomate, l’envoyant négocier à l’étranger, auprès des Anglais et des Hollandais. M. Dupilet montre bien quel rôle joua l’abbé dans cette affaire ; elle constitue l’essentiel de son livre. Je ne pourrais ici en résumer toutes les péripéties sans ennuyer. Plusieurs faits semblent certains. L’Angleterre, gouvernée depuis peu par la dynastie de Hanovre, voulait s’entendre avec la France et rompre la fragile unité diplomatique et dynastique de celle-ci avec l’Espagne, unité fort dangereuse pour l’équilibre européen, et même mondial. Elle désirait aussi éviter que la cour de France n’encourageât les Stuarts exilés à tenter quelque coup de force. Son véritable allié fut Dubois. Jusque 1718, date à laquelle l’abbé accéda au secrétariat d’État aux affaires étrangères, l’habile diplomate multiplia les missions et les tractations, en Angleterre et en Hollande, contre l’avis d’une partie de la cour, attachée à l’alliance espagnole.
Le futur cardinal est saisi ici par sa correspondance officielle. Même si sa fébrilité et son anxiété le conduisirent parfois à trop se hâter et à commettre quelques erreurs, il montra dans ces fonctions l’étendue de ses qualités : intelligence, subtilité, détermination, hauteur de vues, stratégie. Il était sinueux, mais ses objectifs étaient constants, réalistes et contre-hégémoniques. L’alliance avec l’Angleterre et la Hollande apparut évidemment comme un moyen d’assurer l’équilibre européen en évitant que les buts politiques particuliers de l’Espagne ne poussent la France, qui lui était désormais apparentée, dans des conflits qui ne lui apporteraient rien. Il s’agissait aussi de ne pas retomber dans les guerres à répétition qui avaient marqué le règne précédent. La froideur géopolitique de Dubois, encouragée par l’Angleterre, offrait un singulier contraste avec la stratégie hégémonique et brutale du grand roi. Les mémorialistes de l’époque, souvent partisans d’une alliance franco-espagnole, parlèrent de machiavélisme, de malhonnêteté, de corruption, de bassesse. Les historiens patriotes de la IIIe, amateurs de grandeur et de fracas, lui reprochèrent plus tard sa diplomatie trop subtile à coups de pactes et de traités. Le parti de Dubois, un parti d’équilibre continental – M. Dupilet parle à raison d’une ébauche « d’Entente Cordiale » – n’avait pourtant rien de déraisonnable ni de néfaste. Et, preuve de l’intérêt de cette stratégie, la guerre bientôt enclenchée contre l’Espagne ne déboucha pas sur une conflagration continentale, mais sur le seul renversement d’Alberoni, premier ministre à Madrid, et sur le rétablissement négocié de la paix. Je suis assez tenté de suivre l’historien lorsqu’il défend la stratégie diplomatique pacifique de Dubois, même si je doute que ce fut lui, seul, qui permît à l’alliance anglo-hollandaise de naître – il fallait que le Régent le suivît, et il mit du temps à se décider ; il fallait aussi que les Anglais y trouvassent leur intérêt. La France avait pendant cinquante ans suivi une stratégie « hégémonique », qui lui avait aliéné les principaux partisans de l’équilibre entre les grandes puissances. En changeant de stratégie, elle s’épargnait de nouvelles guerres – aussi difficiles, peut-être, à gagner que le furent les dernières de Louis XIV – et redevenait un acteur diplomatique crédible, estimé par ses rivaux, apte à obtenir par la négociation ce qu’une coûteuse guerre n’était plus en mesure certaine de lui offrir. En récompense de la réussite de sa politique, Dubois obtint le Secrétariat d’État aux Affaires Étrangères. Et comme le Régent renonça à l’ingouvernable polysynodie pour revenir à un système plus classique et centralisé, l’abbé eut de plus en plus de pouvoir, la haute noblesse n’étant plus là pour le contraindre ou l’empêcher. Le brusque effondrement du système financier spéculatif de Law, dans lequel le Régent avait mis beaucoup d’espoir, contribua à élever la stature du prélat. Il obtint la disgrâce de ses derniers rivaux, dont le neveu de Colbert, Torcy. La noblesse réduite par l’abandon de la polysynodie, ses adversaires personnels tombés dans l’ornière espagnole ou salis par la faillite de Law, il ne restait plus à Dubois que quelques marches à gravir pour atteindre le pouvoir. La restauration de la fonction de Premier ministre, à son profit, à l’été 1722, fut sa consécration. Il n’y survécut qu’une année. Son bilan de Premier ministre est mince.
La légende noire de Dubois est celle d’un manipulateur, d’un corrupteur et d’un homme de l’ombre, trois traits déduits de son parcours. Courtisan et diplomate, manœuvrier favori du Régent, Dubois devait être considéré, par ceux qui le connaissaient, comme un arriviste, sournois tant qu’il s’élevait, autoritaire une fois parvenu. Sa diplomatie anglophile, défendable d’un strict point de vue politique, devenait la preuve, aux yeux de « la vieille cour », de sa trahison. Son jeu d’équilibre subtil ne fut pas compris, ou trop bien compris par des nobles pour qui ce n’était là que manœuvres et fourberies. Sa vie personnelle, sa truculence et ses aventures firent le reste. Son accession à l’archevêché de Cambrai, puis au cardinalat, dont je vous passe le récit heurté, confirmèrent son talent consommé pour l’intrigue. M. Dupilet examine avec précision et justesse la longue marche de Dubois vers le titre de cardinal. Il en souligne l’ironie : l’homme n’avait pas la sagesse, la piété et les qualités d’un éminent homme d’église. La postérité s’est concentrée sur ce paradoxe premier : un ambitieux sans scrupule et peu croyant parvenu aux premiers rangs de la catholicité, symbole d’une église dévoyée, d’un temps d’impiété, d’une ère – à venir – de libertinage. Or, l’historien montre, à rebours de cette légende noire, que Dubois n’a rien d’un philosophe, que ses références théologiques, honnêtes à défaut d’être approfondies, sont de son siècle, le XVIIe, qu’il est partisan d’une monarchie autoritaire et que son anglophilie de façade n’a rien de commun avec celle, à venir, concertée et théorique, d’un Montesquieu. Comme d’autres avant lui, hommes obscurs élevés au plus près du roi par la seule force de leur mérite, Dubois croit en un système absolutiste, dirigiste, faisant fi de la bourgeoisie comme de la noblesse. Sa remarquable capacité d’adaptation aux circonstances s’est doublée d’une fidélité non moins remarquable au Régent, seul garant de son ascension (au moins jusqu’à ce qu’il devînt cardinal).
Sa force ressemble assez à celle que Machiavel donne en exemple : quelqu’un sachant allier la Fortuna et la Virtù. La Fortuna, ce sont ces accidents qui lui offrirent un destin d’envergure : le préceptorat de Philippe, la mort prématurée des descendants de Louis XIV, le soutien intéressé de l’Angleterre. La Virtù résume ses qualités : opportunisme, ambition, obstination, intelligence, sens de la manœuvre. L’un sans l’autre, un homme mal né n’a rien : sans l’appui des circonstances, il croupit dans son existence obscure ; sans d’éminentes qualités, il ne conquiert ni ne conserve. M. Dupilet désigne, dans sa biographie du cardinal Dubois, un exemple parfait – et rare – d’ambition satisfaite. Cette vie est moins sombre que ses contempteurs, en mal de contre-exemple moral et de caractère romanesque, ont bien voulu le faire croire ; elle est moins brillante, peut-être, que ce que l’historien – plongé dans sa chère Régence – veut bien le croire. Le Dubois de la légende, prélat corrompu et malfaisant, avait pour lui le charme vénéneux de la noirceur ; le Dubois de l’histoire perd sa puissance proprement littéraire pour offrir une figure plus juste, celle d’un homme de valeur et de caractère, intelligent et raisonnablement amoral, et qui, issu du rang, fut obligé, pour s’élever, de manœuvrer, de courtiser et de se battre toute une vie durant. L’ouvrage de M. Dupilet apparaît, à cet égard, comme la déromanticisation d’un anti-héros. Indéniablement, la science historique y gagne ce que le mythe y perd et ce bon livre, précis, informé, critique prend dès maintenant le rang d’ouvrage incontournable sur le sujet.