Avant de partir en vacances, je me permets de dresser un bilan (assez égo-centré) de ce blog.
Lorsque j’ai repris ce blog, en octobre dernier, après trois ans d’arrêt, je n’étais pas certain de trouver l’énergie et la constance de le tenir sur plusieurs mois. De toute ma vie, je n’ai jamais été l’homme des efforts réguliers, des petits pas, de l’obstination assidue. J’admire les personnes capables de revenir, quelques instants chaque jour ou chaque semaine, pendant toute une vie, sur un même ouvrage. Je me sais incapable de les imiter. J’aime mieux commencer que finir, ébaucher que polir, me lancer que d’arriver. Je suis bien conscient – et c’est un des nombreux défauts que je reproche à ce blog – que certaines notes sentent la hâte avec laquelle elles ont été écrites, dans un contre-la-montre permanent qui m’a fait, en moyenne, rédiger une note de deux à trois mille mots tous les trois jours – tout en essayant de maintenir mon rythme de lecture autour de quatre à cinq livres par semaine. Au printemps, ce rythme idéal a connu quelques irrégularités ; l’automne et l’hiver sont pour moi, homme du Nord, plus propices aux efforts que les journées ensoleillées et printanières, trop rares pour être sacrifiées aux labeurs intérieurs de l’écriture. J’ai néanmoins tenté, le plus possible, de maintenir ce blog en équilibre entre mes propres possibilités, la forme que je lui avais donnée, et le rythme auquel je souhaitais me plier, par une auto-discipline d’autant plus rigoureuse que je me sais extrêmement paresseux, léger et contemplatif, au fond plus destiné à lire qu’à « écrire » (j’utilise des guillemets tant la fatuité contemporaine que suppose l’emploi de ce verbe a peu à voir avec la modestie de mes propres notes, le verbe « rédiger » serait peut-être plus juste ; ceci est, je le rappelle, un blog de « lecteur »).
J’évoquais à l’instant ma hâte, je voudrais y revenir. D’abord pour remercier les quelques personnes qui m’ont signalé, en toute discrétion, mes coquilles et mes répétitions peu élégantes ; comme mon premier jet n’est jamais très bon, je dois récrire beaucoup, ce qui laisse la place à quelques incohérences grammaticales et à des réemplois trop rapprochés. Je m’excuse de toutes les fautes que vous pourriez encore trouver entre ces pages : je les ai traquées, chassées, éliminées autant que je pouvais, mais il en reste toujours ! Ces petites notes ont été rédigées chacune en une poignée d’heures, certaines avec une facilité étonnante – celle sur Ernst Jünger, par exemple, est venue d’un tenant, toute seule – d’autres après des efforts plus rudes. Elles valent ce que valent l’application d’un lecteur parmi d’autres, dont l’anonymat ne cache nul incognito ; d’un lecteur quelconque, titulaire, comme tant d’autres, de ces feuilles de papier cartonné que dispense l’Université, et qui en sait la valeur toute relative ; d’un lecteur ordinaire, volant un peu de son temps pour mettre en forme les quelques réflexions que lui inspirent ses lectures. Peut-être donné-je, avec mon empressement à publier ici des chroniques au détail un peu négligé, trop de gages à cette civilisation de la vitesse, de la précipitation, de la superficialité, dans laquelle nous baignons au quotidien. J’ai essayé de compenser ma rapidité d’exécution par une relative consistance des notes, que je me suis toujours refusé à écrire courtes et sommaires. J’ai dû tomber (assez souvent, mais je vous remercie de passer cela sous silence) dans le défaut inverse : à savoir écrire des textes trop longs (six mille mots sur Wordsworth, la plus exagérée en la matière…), un peu itératives, ou tout du moins circulaires, rédigées dans une langue que j’espère classique dans ses bons jours, que je sais sentencieuse et emphatique dans ses mauvais, avec, dirait David Marsac (entre deux éloges), un peu trop de roideur et de sérieux. Je les lui concède, pour des motifs (intellectuels) très précis : je refuse de sacrifier au culte actuel du relâchement et de l’informe, dont j’observe quotidiennement les effets débilitants sur la syntaxe, le style et l’élocution des meilleurs de nos contemporains. Parce qu’il est de bon ton de ne plus rien exiger, ni des autres ni de soi-même en matière de forme, un des meilleurs moyens de résistance à notre époque me semble de réhabiliter – dans une certaine mesure – la forme, cette ruine que les générations de l’après-guerre ont suffisamment anéantie pour nous la rendre, ou en tout cas pour me la rendre, à moi, jeune trentenaire, désirable. Rien n’est plus agréable que d’exprimer de la hauteur dans une époque d’horizontalité décontractée et veule ; on me pardonnera de céder à ce pêché, seul moyen, pour un quidam, de contester le monde tel qu’il va.
Mettre ici plus d’application, plus de sueur, plus de lenteur, pour montrer (paradoxalement) plus d’esprit, de fluidité, d’aisance m’est difficile et je le regrette. Je crois avoir fait de mon mieux depuis des mois. J’aurais aussi voulu évoquer plus de livres – après tout, je n’ai pas chroniqué la moitié des livres que j’ai lus depuis l’automne -, mais ç’aurait été difficile, à moins de n’y consacrer que quelques lignes à chaque fois (et je m’y suis refusé). Je viens de finir un très beau texte d’Odysseus Élytis dont je regrette de ne pouvoir parler, faute de matière – le livre s’étend, par toutes sortes d’artifices, sur trente pages, écrites gros et entourées de confortables marges ; idem pour Tehila de S.J.Agnon, qui aurait mérité un petit commentaire d’un ou deux paragraphes. J’avais songé un moment rédiger chaque semaine (le dimanche par exemple) des « miscellanées », concernant des ouvrages dont je ne pouvais pas parler dans une note entière mais qui auraient mérité quelques lignes. Je ne l’ai pas encore fait, mais je n’exclus pas cette possibilité. Enfin, je sais que le mélange des genres est mal vu sur l’Internet ; se sont agrégées d’elles-mêmes, par le principe du partage des intérêts, des communautés réunies par des motifs communs ; l’exercice un peu généraliste que j’ai tenté ici peut surprendre, je ne compte pas revenir dessus ; la littérature et l’histoire m’intéressent autant l’une que l’autre, elles ont toutes deux leur place ici, même si l’une motive des exercices plus interprétatifs que l’autre.
Enfin, je voudrais conclure par des petits remerciements. J’ai eu toute l’année la surprise de recevoir des commentaires, des courriels ou des marques de reconnaissance (les blogrolls) venant d’anonymes comme moi, mais aussi, dans une certaine mesure qui autorise l’emploi du pluriel, d’auteurs, d’historiens, de professeurs, de critiques, d’éditeurs, bref de gens « du métier » dont les remarques et l’attention m’ont beaucoup touché. Qu’un petit instrument sans prétention puisse me donner l’occasion d’être lu de personnes fort estimables, plus qualifiées que moi dans les exercices auxquels je me prête, constitue, quoi qu’en dise certains « vitupérateurs » (selon le mot de Léon Daudet, qui s’y connaissait en la matière) du continent virtuel, l’un des principaux intérêts de ce médium.
J’espère que les personnes qui se sont signalées durant cette année ont plaisir à me lire, de temps à autres, et, surtout, que ces notes leur ont donné des idées de lecture. J’essaie de ne jamais dévoiler que « Bruce Willis, en fait, il est mort », mais certains secrets ont pu échapper à ma vigilance à cet égard.
Après neuf mois d’activité ici, je crois pouvoir au moins me féliciter de la persévérance que j’y ai mise. J’avoue me sentir un peu fatigué d’écrire à ce rythme et avoir bien besoin de ce mois de vacances de blog (retour prévu après le 15 août). À bientôt.