L’errance et le désarroi : Écume et cendre, de Jan Jacob Slauerhoff

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Écume et cendre, Jan Jacob Slauerhoff, Éditions Circé, 2010 (trad. S.Roosenburg) (première édition 1930)

De Jan Jacob Slauerhoff (1898-1936), poète et romancier hollandais, trois livres seulement sont disponibles en français, tous édités par Circé, tous, désormais, chroniqués sur ce blog. L’essentiel de l’œuvre poétique, qui, selon Cees Noteboom, représente une part considérable des productions de Slauerhoff reste encore à traduire et à publier (en bilingue ?). J’avais beaucoup aimé, en son temps, Le Royaume Interdit (qui mettait en scène Camões) et La Révolte de Guadalajara. Le recueil de nouvelles Écume et cendre, un des premiers ouvrages de son auteur, est composé de cinq textes. L’écume évoque la mer, le voyage, la fuite ; la cendre, l’échec, le désespoir, la mort. Le titre, aux vertus programmatiques, recoupe bien les thématiques principales de l’œuvre de prosateur de l’écrivain hollandais : l’exil, la quête de soi, l’errance, la vie figée, la mer et l’Orient. Un peu comme Frederik Prokosh, son cadet, Slauerhoff met en scène des occidentaux en partance, loin de leur univers, contraints de jouer des partitions improvisées dans un espace géographique différent, qui met à nu les mensonges métaphysiques et psychologiques sur lesquels se fondaient leurs vies. À la quête de soi correspond le voyage ; à l’errance psychique répond l’errance physique. Les héros de Slauerhoff, personnages fluides, mouvants, ne peuvent exister que dans le mouvement : l’immobilité les écrase et les vide. Ils s’enfuient pour leur salut ; et c’est de ce salut, de sa possibilité, qu’il est question ici. Endosser une fonction fixe, une forme définitive leur est souffrance. L’orient, ligne de fuite d’Européens en quête d’eux-mêmes, s’offre comme décor de l’errance, comme horizon d’une métamorphose toujours espérée, rarement advenue, peut-être inapprochable. L’œuvre de Slauerhoff se joue sur des scènes exotiques : Macao dans Le Royaume Interdit, le Mexique dans La Révolte de Guadalajara, l’Arabie, le Pacifique, la Russie, la Chine dans Écume et Cendre. Le lecteur pressé aura tendance, probablement, à classer ces récits du côté des romans maritimes d’aventures (London, Loti, Conrad – bien que Conrad proposât bien autre chose, en profondeur, que des récits de marins), ou du côté des romans de l’Orient (Buck, Prokosh ou le jeune Malraux). S’il n’est pas dénué de pertinence, un tel jugement demeure quelque peu superficiel. Les récits de Slauerhoff expriment, avant tout, une crise, celle du jeune médecin naval, celle, aussi, de tout l’occident, confronté à la douleur d’être soi dans des sociétés qui, avant les années 60, attribuaient encore des rôles fixes, à durée indéterminée. À la même époque, les héros de Forster cherchent, ailleurs, une impossible convergence des altérités, les quadragénaires de Pirandello jettent leurs masques et croient pouvoir endosser des identités nouvelles, les hommes de Slauerhoff fuient et espèrent ainsi semer leurs ombres. Là-bas, au loin, quelqu’un détient la solution, quelque chose résoudra les clivages intérieurs, il suffit de ce voyage, le dernier et peut-être…

Ces cinq nouvelles présentent chacune, sous un angle différent, les préoccupations personnelles de l’auteur. Le premier texte, L’Héritier, dans une veine comique, descend tout droit des Mille et une nuits et des contes arabes, tels que le goût de l’orientalisme les avait mis en avant en occident tout au long des XVIIIe et XIXe siècles. Un jeune omanais pauvre, confronté à l’avarice de son oncle, désespère dans ses fonctions de commis, qu’il estime indignes de lui. Parti en pèlerinage à La Mecque par dépit, il apprend en chemin la mort de son oncle, dont il est le seul héritier. Il revient en toute hâte. Sa subite richesse, qui apparaît au départ comme une bénédiction, devient rapidement l’objet de toutes les convoitises locales. Confronté, dans une société d’honneur et de parole, aux exigences des uns et des autres, obsédé par le désir de tenir son rang nouvellement acquis, d’être ce que la Fortune lui a permis de devenir, il connaît une chute rapide, qui le replace dans sa situation sociale antérieure. Conçue comme une fable, cette nouvelle annonce, dans une veine satirique, des thématiques qui reviendront dans l’œuvre de l’auteur : aucune situation personnelle ne tient ; un rêve réalisé est un cauchemar ; l’homme ne résiste à la société que par la fuite, l’écart, le refus. En devenant ce à quoi il croit aspirer, l’homme, jouet de puissances supérieures, se trompe et se trahit : l’ambition est une faute. L’horizon de sa quête, c’était la richesse et la respectabilité ; à peine acquis, les voilà déjà perdues. Le voyage était circulaire, comme dans l’amer Aller-retour de Marcel Aymé. Que ce soit dans les romans ultérieurs de l’auteur ou dans ce recueil, les héros de Slauerhoff ne tiennent que par le mouvement, au risque de l’errance et de la perte ; toute situation acquise, toute fixation écrase l’individu, lui nuit en figeant son intériorité en un désir lancinant, et jamais satisfait, d’ailleurs.

C’est le thème de la deuxième nouvelle, La fin du chant, dans laquelle se révèle aussi la tendance elliptique (et parfois brouillonne) de l’auteur. Elle donne à ce récit plus métaphysique une dimension générique : priment les silences et les symboles du récit. Un jeune homme, dont il faut quelques pages pour comprendre qu’il est russe et que l’action se déroule au tout début du XXe siècle, part en quête, jamais satisfaite, d’une réponse à ses interrogations. Rien ne le satisfait du monde matériel. Il erre, tout autour de la terre, menant une enquête personnelle aux motifs elliptiques, jusqu’à trouver une forme de piste, dans un mystérieux monastère orthodoxe, au creux des rochers d’une montagne inaccessible. Il ne s’ouvre à lui que pour une seule nuit. Les moines, auprès desquels il espérait une réponse, ne lui proposent qu’une alternative : reprendre sa route, insatisfaisante, dans le monde, comme tous ou presque ; s’abîmer dans le silence absolu, avec quelques rares élus, eux, les moines, jusqu’à toucher, aux confins d’une expérience mystique mutilante, une possible vérité. Lors de sa nuit dans le monastère, le narrateur rêve d’une cérémonie funèbre, symbolique, mêlant eros et thanatos. Le syncrétisme de ces visions n’est pas éclairci : tout à la fois vierge, épouse et terre-mère, la femme dont rêve le narrateur incarnera désormais, à ses yeux, l’appel de la mort, du tombeau, de la terre. Expulsé le lendemain d’un lieu dont il ne retrouvera plus la trace, il retourne dans son domaine, y prépare son caveau et attend, avec la fin du chant, la résolution finale de tous les questionnements. Il n’y a de réponse nulle part dans le monde matériel. Ne reste plus alors, comme perspective, que les promesses mystiques de la mort. L’errance chez Slauerhoff n’est pas seulement une fuite, une tentative, presque impossible, de se déprendre de soi ; elle est le signe d’une quête inachevée, d’un horizon éternellement repoussé, de l’inaccessibilité de la réponse. Elle devient même, au fond, le seul motif concret de l’existence : se fuir, se refuser à incarner pour n’être que pure disponibilité aux courants imprévisibles de la destinée. Et dans cette fin du chant se révèle le risque véritable de cette disponibilité : une attente vaine et inassouvie que seul peut satisfaire l’anéantissement. Dans Le K, le protagoniste de Buzzati fuit la Révélation, et cette fuite, si elle teinte d’amertume la fin de la nouvelle, laisse cependant un espoir : il y a un sens général, une justification, il suffisait d’affronter ses peurs pour la découvrir. Tandis que chez Slauerhoff, dans Le dernier chant, le protagoniste principal poursuit la Révélation, il la traque sur tous les océans, tous les continents, et, lorsque celle-ci s’offre à lui, au fond d’un monastère perdu, elle n’est qu’une énigme de plus pour travestir, peut-être, un désir de néant. Face au dernier voile qui dissimule le vide, toute espérance s’éteint, le chant cesse et, dans le silence de la mort advient, pour le narrateur, la véritable réponse métaphysique, travestie en une figure féminine : rien.

La troisième nouvelle, Le dernier voyage du Nyborg, évoque le transport, de San Francisco vers la Chine, d’une cargaison de dépouilles d’immigrants chinois souhaitant être enterrés dans leur terre natale. Bien évidemment, le voyage tourne mal, la présence des cercueils terrifie l’équipage, les forces des vents et de la mer, conjugués, manquent d’anéantir plusieurs fois le bateau. Le lecteur pense à Poe (Les Aventures d’Arthur Gordon Pym), à Coleridge (La ballade du vieux marin) ou à certains récits de Conrad – sans néanmoins leur profondeur psychologique et métaphysique. S’opposent, pendant le voyage, deux hommes : le commandant, esprit rationnel, froid, déterminé, que ne bouleversent absolument pas les bruits dans la cale, les coups du sort ou les rumeurs d’apparitions ; le second, plus inquiet, méfiant face à la cargaison, intrigué par la conjonction des catastrophes que connaît le bateau. La force du récit de Slauerhoff est de ne pas trancher : le capitaine et le second ont à la fois raison et tort. Rien n’indique, en effet, que le bateau soit hanté ; tous les phénomènes inattendus peuvent trouver une explication rationnelle ; la série de malchances que connaît le navire est aussi liée, outre un climat peu favorable dans le Pacifique nord, à quelques erreurs humaines, à une faute stratégique et à une mutinerie. Malgré tous ses efforts, le capitaine, néanmoins, ne parvient à convaincre son second, pas plus que ses hommes, que le navire n’est pas hanté. La peur les rend attentifs à tout ; elle aiguillonne leur curiosité dans un seul sens. Si nulle puissance ne pourchasse le Nyborg, la force ténébreuse, née dans l’imagination des hommes, prend pourtant corps, derrière l’amas de signes que le réel présente, continûment, à l’appétit analytique des hommes. Ils veulent du sens ; les circonstances le proposent. Plusieurs faits demeurent inexpliqués ; les preuves rationalistes qu’accumule le capitaine au début disparaissent ; la série noire et les avaries que connaît le navire donnent bien l’impression qu’une puissance fantastique veut sa perte. Et ces phénomènes, en poussant les hommes à la rébellion, prennent une existence de plus concrète. Même s’il n’y avait pas de fantômes, la rumeur seule de leur existence a suffi pour dévier la route du navire et amoindrir ses chances de réussite. Que le monde soit une énigme posée par les Dieux, dont les manifestations fantastiques excèdent pour toujours les limites de la connaissance humaine ; ou qu’il soit un système autonome et cohérent, aux lois éternellement et précisément fixées, dans lequel rien n’arrive qui ne soit prévisible à condition d’en connaître les causes, le résultat est le même. L’homme, traqué par la malchance ou poursuivi par la colère d’êtres fantastiques, est avant tout victime de lui-même. C’est à l’intérieur des âmes que tout se joue ; la crainte de la catastrophe finit par l’engendrer ; la raison n’assure nul salut. Même s’ils en accusent les dieux, l’échec est avant tout le fait des hommes.

Dans Larrios, Slauerhoff synthétise ses obsessions. Un marin, amoureux fou d’une femme entrevue dans un port méditerranéen, la poursuit dans le monde entier, de maisons closes en bordels, risquant sa vie pour elle, jusqu’à ce qu’elle lui échappe définitivement en choisissant de vivre avec un autre. Cette nouvelle, comme la seconde, contient des motifs allégoriques. Comme je l’ai déjà signalé plus haut, les héros de Slauerhoff pourchassent leur destinée jusqu’à ce que celle-ci leur échappe définitivement. L’immobilité est intenable ; les personnages errent sans fin, dans leur vie et sur le globe. Incapables d’admettre une errance infinie, sans autre but qu’elle-même  – la perte complète et assumée de soi, n’apparaîtra, comme solution, que dans Le Dernier Royaume – ils poursuivent généralement une femme, inconnue ou entraperçue. La perspective de réalisation amoureuse devient le remède de toutes les insatisfactions. Le narrateur du Dernier chant poursuivait une vision féminine sans savoir qu’elle incarnait la mort ; Larrios recherche une femme bien réelle, qu’il retrouve au fil de ses aventures, sans que jamais puisse être satisfait son désir de la posséder corps et âme. L’ayant rencontrée trois fois, Larrios, pendant ses années de recherche, reconstruit intérieurement cette femme aimée : il en grave le visage sur une tablette, pense à elle, la rêve. Slauerhoff amplifie là les tendances idéalisatrices des amants : le marin aime moins la véritable femme – qu’il ne connaît pas – que l’idée qu’il s’en fait, objet de fantasmes et de rêveries, dispensatrice de bonheur. Chimères… Par cette perspective fusionnelle, il croit pouvoir mettre fin à son errance et résoudre ses contradictions. La perte dans autrui, surtout dans l’autrui imaginé, est un moyen de fuir le monde, de refuser d’être, ici et maintenant, au profit d’un ailleurs et d’un demain toujours repoussés. Et, bien évidemment, cette recherche est vaine. Chez Slauerhoff, la fatigue d’être soi ne trouve aucun répit, aucune solution : la fixité est une mort et la fuite une perte. La vie est une succession d’espoirs inéluctablement déçus, de projets avortés, de fuites inabouties. Qu’ils soient immobiles ou en mouvement, ces personnages ne peuvent résoudre leurs contradictions ; ils sont déjà morts ; rien, au fond, ne peut les tenir que des projets vains et des exils inutiles. L’écume, symbole du lointain, et les cendres, symbole de la fin, s’unissent en un motif circulaire : l’exil n’est qu’une solution temporaire pour ceux qui souffrent. Leur ombre les suit toujours. La seule chose dont ils voudraient se séparer, ils la traîneront sur tous les océans, jusqu’à n’être plus que cendres, c’est eux-mêmes.

Dans Such Life in China, la dernière nouvelle du recueil, ouvertement satirique, Slauerhoff présente la journée de marchands et d’aventuriers européens dans un port de Chine. Il montre avec humour les travers et les ridicules d’une micro-société cancanière, transplantée sur un continent qu’elle refuse de comprendre, engoncée dans ses cérémonials et ses habitudes absurdes. Chaque catégorie de personnages incarne une manière d’appréhender la Chine : l’opiomane français, en quête de paradis artificiels ; les clubs anglais fermés et réservés ; les sociétés d’évangélisation américaines, bigotes et moralisantes, etc. Quelques passages sont très réussis : ainsi la compétition que se livrent le Français et les Anglais pour ouvrir et faire prospérer des clubs, ou l’habituelle soûlerie vespérale des marchands. Néanmoins, comme Pouchkine à la lecture des drolatiques Âmes mortes de Gogol, le lecteur ne peut s’empêcher de trouver, sous-jacente à l’innocente moquerie, le portrait au vitriol d’une société coloniale corrompue. Tous ces êtres, enfermés en eux-mêmes, crispés sur leurs privilèges et leur rang, ne se mêlant que pour mieux alimenter les ragots d’une petite société bien provinciale, incarnent les vices de la présence européenne en Orient. Et par la figure du pasteur américain, Slauerhoff revient rapidement à son obsession : l’être en quête d’ailleurs. Pourtant, cet homme a une « bonne situation », une femme solide, des perspectives locales assurées. Néanmoins, en une soirée passée à boire avec ses hôtes anglais, il saisit qu’il est en réalité prisonnier de son mariage, de son emploi, de l’association évangélique qui le rémunère. Contrairement aux autres personnages principaux des nouvelles du recueil, lui ne peut s’en aller, par lâcheté ou par prudence, par masochisme peut-être. Il tiendra son rang et ne rejoindra pas la cohorte des fuyards d’eux-mêmes qui constituent l’essentiel des créations de Jan Jacob Slauerhoff. Figé en orient, il se mourra lentement, sans espoir, sans rêves, sans croire à l’illusion d’un ailleurs qui fait tenir les autres.

Ces cinq nouvelles constituent, malgré leurs genres, très différents, (un conte oriental, une quête métaphysique, un récit d’épouvante, une histoire d’amour et une satire sociale), un ensemble à l’homogénéité thématique remarquable. Affleurent les obsessions de l’écrivain, que le lecteur retrouvera ailleurs : la quête inachevée de soi, la tentation de l’ailleurs, les périls de l’exil, les risques de l’enlisement,… Slauerhoff, médecin naval en Orient, mort jeune, a probablement mis beaucoup de lui, de ses problèmes et de ses craintes dans ces cinq textes. Il incarne un temps de la conscience occidental où, confronté à l’écrasante mission d’être soi, des hommes et des femmes ont cru trouver, au loin, les perspectives d’un salut. Prokosh ou Malraux, à la même époque que Slauerhoff, n’écriront pas autre chose. Peut-être, en revanche, étaient-ils plus optimistes que l’auteur hollandais. En effet, de ces textes n’émane aucune véritable solution : la fortune mène à la ruine, le mysticisme à la mort volontaire, la raison raisonnante à sa propre perte, l’amour idéalisé à la déception et la vie bourgeoise à l’enfermement volontaire. Aucune fuite ne résout rien. L’homme croit poursuivre un objet, un désir ; il cherche en réalité à se perdre, à s’évader de la prison de ses jours. Pour se sauver, il faut se perdre… mais aucune perte n’a jamais permis le salut. Ce motif reviendra, puissamment traité, dans Le Royaume Interdit.

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Mexique, terre de désenchantement : La révolte de Guadalajara, de Jan Jacob Slauerhoff

La révolte de Guadalajara, Jan Jacob Slauerhoff, 1936, Editions Circé (2008 pour cette traduction)

[note sur Le royaume interdit, ici]

Comme je l’avais indiqué précédemment, l’œuvre de Slauerhoff n’a guère traversé les frontières hollandaises. Inexistante en anglais, à peine traduite en espagnol, elle se compose, en français, de deux romans, Le royaume interdit et la révolte de Guadalajara, tous deux publiés par la modeste maison Circé. Au vu des évidentes qualités de ces livres, espérons que cet éditeur persévère dans cette politique et puisse ainsi offrir au public d’autres aperçus de l’œuvre du hollandais. Dans le royaume interdit, la mise en relation de deux errances traçait une intrigante perspective au cœur même des fantasmes de l’aventure coloniale. Le poète et le technicien interpénétraient leurs destinées, le premier menaçant d’engloutir le second malgré les siècles d’écart. Autour de Macao, lascif et immobile, les tristes aventures de Camoes conquéraient pour les temps à venir ce qu’elles perdaient au présent. La révolte de Guadalajara change radicalement de perspective géographique. Dans un Mexique où pouvoir et Révolution sont également confisqués, l’immobilité séculaire et mélancolique des peuples indiens, vaincus de l’Histoire, offre un décor parfait à l’errance de Slauerhoff. La ville de Guadalajara (voir début du roman dans la précédente note, ici) est un sépulcre. Indiens et espagnols y tiennent la place que les siècles passés leur ont assignés, sans qu’aucun espoir précis ne surgisse à l’horizon. Les autochtones ont baissé la tête, sous le joug des colons. Apathiques, ils n’attendent plus rien, se contentent de survivre. Les espagnols, devenus mexicains par l’effet d’une révolution qui a tout bouleversé et donc, rien changé, conservent les commandes politiques, économiques et sociales de la ville. Peu de conflits : ni les uns, ni les autres n’espèrent rien. Les européens préservent leurs privilèges provinciaux de latifundiaires et de commerçants, les indiens se tiennent dans une prudente posture faite de passivité et d’inertie. Quelques révolutionnaires s’agitent pourtant depuis les années 1910, mais ils sont déjà en voie d’institutionnalisation. Dans la partie d’échecs qu’ils mènent face au pouvoir, Guadalajara ne compte pas.

Même s’ils semblent accepter stoïquement leur condition, les hommes de Guadalajara n’en gardent pas moins, au fond de leur cœur, l’espérance diffuse de lendemains différents. Rien de concret, une simple aspiration, naturelle, à voir leur univers devenir soudainement moins pénible. Un individu espère plus que les autres. Tarabana, indien modeste, élevé dans la foi catholique, est parvenu, à force de détermination, à l’ordination. Prêtre d’une misérable paroisse indienne, il a été repéré par l’évêque de la ville, visionnaire qui prophétise à longueur de temps son élévation à la pourpre cardinalice et l’irruption d’un nouveau messie, à Guadalajara même. La longueur du séjour du prélat dans ces confins miséreux de la chrétienté, plus de vingt ans, donne une indication quant au sérieux qu’il convient d’attribuer à ces prophéties. L’ambitieux Tabarana, en dépit de toute logique, y croit. Vu ses origines, il n’a aucun espoir de s’élever dans la hiérarchie catholique. Seule opportunité : l’arrivée d’un messie, d’un prophète, d’un messager. Il réveillerait les indiens, mobiliserait le peuple, briserait les institutions, la mainmise blanche. Le messager, conseillé par Tabarana, ouvrirait une ère nouvelle, confusément promise par l’évêque, et balaierait les temps présents en une Apocalypse furieuse, appuyée sur un passé d’humiliations. L’attente prend fin le jour où un vitrier ambulant, El Vidriero, passe au sommet des collines de Jalisco. Les reflets du soleil renvoyés par les vitres du négociant, visibles au loin, paraissent à Tabarana le présage attendu. Le ton du roman est à la fois ironique et désabusé. Le pauvre Vidriero sera contraint à tenir un rôle pour lequel il ne présente aucune prédisposition, par l’alliance insolite de Tabarana et d’un latifundiaire en guerre contre les institutions municipales de Guadalajara. Les indiens manipulés par le prêtre ambitieux et le propriétaire retors porteront El Vidriero en triomphe et le conduiront, bien malgré lui, à s’emparer de la ville.

Une fois la Révolution accomplie, les instances chassées, les nouveaux dirigeants s’avèrent incapables de gouverner. Leur volonté de changement n’allait pas loin, ils ne savent pas quoi faire de leur victoire. L’espérance vague et diffuse de lendemains qui chantent se brise sur la réalité. La conjonction d’ambitions personnelles ne livre pas de programme d’action. El Vidriero devient presque encombrant. Il n’était qu’un symbole, un pantin utilisé auprès des crédules par quelques arrivistes. Les indiens, pour qui rien n’a évidemment changé, commencent à regarder de travers leur sauveur. El Vidriero, errant anonyme à peine qualifié par sa profession, comme le télégraphiste du Royaume interdit, a été sédentarisé, fixé, et ce par l’ambition d’autres que lui. Sa vie ne tenait que par le vagabondage. S’installer c’est devenir quelqu’un. Or le vitrier n’était personne. El Vidriero ne peut assumer la charge que d’autres lui ont confié. Sa fuite misérable – et pourtant justifiée – s’achève dans une cérémonie de semi-crucifixion grotesque, pas même mortelle : dans le sacrifice non-consenti, le martyr, ce faux messie aura aussi échoué. Les révolutionnaires laissent les forces armées écraser cette révolte religieuse et ethnique confuse. Tabarana s’enfuira du Mexique, le gouvernement central ne touchera pas au propriétaire foncier, trop puissant pour être inquiété. La révolte de Guadalajara n’a servi à rien.

Slauerhoff, écrivain errant, médecin, poète et marin, évoque d’autres mondes que le sien, celui de la petite Hollande libérale du vingtième siècle. Du Mexique à Macao, il parle de contrées immobiles, où le cynisme, la présomption des pouvoirs temporel et spirituel maintiennent un joug ferme sur d’apathiques populaces. Tout est joué. Seul recours, la liberté anonyme du fugitif, condamné à ne jamais s’élever dans la société, à toujours errer dans le vaste monde. Chez Slauerhoff, le monde des noms, des titulatures, des pouvoirs institués, des héritages, en un mot, le passé, dissipe les perspectives mystérieuses de l’avenir. L’aventure coloniale est un fantasme. Au fond, l’attente d’un ailleurs est morte : la déambulation solitaire, permanente, sans but, sans identité, fuite de soi et du monde, permet seule de concilier la liberté et l’espoir ; liberté de fugitif, toujours menacée, espoir de poète, toujours déçu. Désenchanté, et donc ironique, Slauerhoff évoque des ambitions contrariées, des amours impossibles, des espérances illusoires. Même l’abolition de soi dans l’errance n’est qu’un salut fictif. Slauerhoff a fui. La Hollande, la terre, les colonies, la médecine, la société, l’écrivain a tout quitté successivement sans jamais trouver ce qu’il cherchait. Ses romans, poétiques, narrent cette errance inutile.

La cité inerte

« Parfois, sur la rive d’une mer qu’aucun bateau n’a encore sillonnée, au pied d’une montagne lunaire et inhabitée, au milieu d’une plaine aride et désertique, où l’on désespère de voir un hameau ou la moindre maison, s’étend une ville. Alors que la raison de sa fondation, riche gisement ou port bien situé, a depuis longtemps disparu, la ville a pour sa part subsisté, ses habitants se perpétuent, sans le moindre apport de sang ni de richesses extérieurs, la race dégénère et s’appauvrit, celle de la population indigène des environs en même temps que celle de la ville. La laissant tranquille, le monde extérieur lui permet de mener son existence rabougrie ; elle est inoffensive.

Elle ne présente un certain danger que pour le voyageur de passage en quête d’un monde meilleur. Harassé par de longues traites, ce solitaire tient malgré tout à s’y reposer puisqu’elle est la seule ville dans cette contrée désolée. Située sur le littoral, au pied d’une montagne ou au milieu d’une plaine, elle est pareille à un récif qu’il est difficile d’éviter. Si le voyageur se risque trop près d’elle, tout l’espoir, tout le désir de vivre une autre vie, de connaître un sort meilleur, qui habitent les habitants de la ville et de la plaine comme ils habitent n’importe quel mortel se déversent sur lui. Il n’en remarque rien ; ce qu’il ressent, il l’interprète comme la fatigue extrême qui suit son long voyage, si bien qu’il se décide à passer quelques jours dans la ville ou dans la plaine pour se remettre un peu. Néanmoins, il est saisi de peur en découvrant les visages affamés et avides que les indigènes lèvent sur lui, en hésitant quant au chemin à prendre sur une place privée de soleil où l’ont amené venelles et rues, en relevant un degré de consanguinité avancée sur des figures pâles et dans des membres mous. Malgré sa fatigue, à mesure qu’il avance, il se met à accélérer le pas ; si la chance lui sourit et si son sens de l’orientation ne le trahit pas, il s’en sort, le voici une heure plus tard de l’autre côté, avec, devant lui, la même plaine, qui cette fois lui semble, dans toute son immensité, tentante et tout à fait propice à être traversée. Et si jamais, poisseux de sueur, il a la chance de trouver un ruisseau où se baigner, où se laver de la fatigue et de ce contact avec la ville, il est sauvé.

Mais il arrive que le désir de connaître autre chose, d’approcher un étranger quel qu’il soit, dans la mesure où il peut rompre le morne équilibre du quotidien, se fait si fort chez les indigènes, que ceux-ci encerclent l’homme ou viennent même à sa rencontre : il éprouve alors le sentiment agréable que ressent le vagabond ou le pérégrin qui reçoit bon accueil. Dans ce cas, il est perdu.

C’est justement dans de telles villes que perdure parfois, pareil à un unique pampre sur les ruines, la croyance selon laquelle quelque chose finira bien par se produire, le soleil brillera un jour différemment, quelqu’un viendra déplacer la vie, si bien que le peuple se mettra à danser dans ces mêmes rues où il se meut chaque jour en silence et sans entrain. Aussi, dès qu’un étranger arrive et que son apparition se produit avec un certain extraordinaire, on attend de lui qu’il apporte le bouleversement en question. Le seul salut de cet homme ainsi menacé, cet homme égaré et opprimé par l’espoir antédiluvien de tout un peuple, réside dans la fuite à tout va à travers la plaine, au-delà de la colline, jusqu’à ce qu’un plissement de terrain le dissimule et que plus aucun hameau n’entrave sa progression, ni le regarde ; il ne lui reste alors plus qu’à s’affaler et, adossé à un rocher ou à ce qui reste d’un tronc d’arbre, à s’endormir d’épuisement.

Le lendemain matin, à l’heure où le soleil se lève sur l’étendue déserte et jette déjà ses feux dans un marais salant, dans un lac peu profond ou sur des troupeaux blancs et bigarrés, quand il se réveille, engourdi de sommeil mais bientôt en état de se remettre en marche, la première chose à laquelle il pense, c’est au rêve oppressant d’une ville de pierre qui existe sans exister. Car seuls l’espace et lui-même qui le parcourt librement, sont réels, ils sont la vie, tandis que tout ce qui est pétrifié en un lieu donné pour devenir peu à peu poussière, est mort depuis le début des temps.

En revanche, il y a des chances pour que le vagabond, trop faible pour exercer son métier, et qui, dans un recoin de son cœur, caresse en secret le désir de trouver un havre où se reposer, une communauté à laquelle appartenir, tombe dans le piège que constitue la ville morte, isolée au milieu d’une plaine désolée ou sur un littoral sans le moindre port. Il trahit sa vocation mais la vengeance ne saurait tarder. Les habitants de cette contrée oubliée par la vie croient que cet homme apporte de la vie, et quand ils se rendent compte qu’il aspire au repos, ils le chassent ou le tuent. »

Jan Jacob Slauerhoff, La révolte de Guadalajara, traduction Daniel Cunin

(note sur le roman à venir)

Les traces brouillées du poète : Le Royaume interdit, de Jan Jacob Slauerhoff

Grotte de Camoes, Macao

Le royaume interdit, Jan Jacob Slauerhoff, 1932, Éditions Circé

La littérature hollandaise est peu traduite en France. Souvent mélangée à ses homologues scandinaves dans un rayon « d’Europe du Nord » qui lui laisse une part fort modeste, elle bénéficie dans les librairies d’une visibilité réduite, voire inexistante. Les écrits de Jan Jacob Slauerhoff (1898-1936) étaient indisponibles en français avant que la modeste maison vosgienne Circé ne s’empare de deux de ses romans : La révolte de Guadelajara et Le royaume interdit. L’œuvre de Slauerhoff méritait cette traduction tardive. Ni roman historique, ni poème en prose, ni texte fantastique, Le royaume interdit constitue un objet littéraire déconcertant. Il entrecroise les destinées du poète national portugais, Camões, auteur des Lusiades et d’un radio-télégraphiste irlandais des années 30, qui n’ont a priori qu’un rapport fort ténu, celui que la mer imprime à leurs destinées. Pourchassé par la vindicte d’un mari trompé qui n’est autre que l’héritier de la couronne portugaise, Camões s’exile, au milieu du XVIe siècle dans une colonie lointaine, Macao. La ville a été fondée par quelques aventuriers suite à la destruction, évoquée dans la scène d’ouverture du roman, du premier établissement portugais en Chine. Les quatre cent portugais qui s’y sont installés pour trouver fortune vivent dans une semi-indépendance, menacés en permanence par l’immense Empire chinois qui leur fait face et avec lequel ils sont bien obligés de traiter pour survivre. Le roman fonctionne autour de quatre fils narratifs distincts : la description du climat social, religieux, économique et politique de la colonie ; les querelles entre le gouverneur Campos et sa fille, métisse qui tente d’échapper à l’emprise de son père ; la proscription de Camões et sa tumultueuse arrivée en Chine ; l’errance d’un radio-télégraphiste irlandais, narrateur sans nom, quatre siècles plus tard. Cet élément du récit, dont le lecteur interroge le sens tout au long de la seconde partie ouvre des perspectives nouvelles et inattendues au roman.

L’arrière-plan historique, c’est Macao. Ville marchande fondée par des hommes en fuite, population mêlée de colons portugais et de chinois, presqu’île aux marges des empires européens et asiates, Macao est le terminal nécessaire des errances et des exils. Le gouverneur Campos, souvent malheureux, tente d’assurer la cohésion de l’ensemble. Les chefs locaux voisins exigent de lui des tributs, les dominicains et les jésuites se battent entre eux pour s’assurer d’un ordre de préséance missionnaire, sa fille, à demi chinoise, refuse son autorité et le mariage qu’il a arrangé pour elle avec un des commandants de l’armée. Contre lui aussi, l’éloignement de la métropole, le rejet du surgeon lusitanien par le corps asiatique, fait d’un mélange de passive renonciation et de cruauté raffinée, l’activisme marchand de Velho, négociant rusé qui a compris qu’à défaut d’être conquise, la Chine pouvait être achetée. La première trame du roman est là : Campos en lutte contre les éléments de décomposition de la colonie. Pour assurer la survie de la ville, il doit la défendre contre ses ennemis extérieurs et intérieurs : éviter la dissolution du corps social est à ce prix. Pendant que se déroulent ces intrigues politiques à Macao, Camões, enchaîné au fond de la cale d’un navire de transport portugais, ignorant du rôle qu’il est appelé à mener, tente de préserver sa vie, physique et mentale. Le roi avait exilé ce noble arrogant et cynique qui avait ridiculisé l’héritier de la couronne en séduisant son épouse. En lui imposant les fers pendant une interminable traversée, il le transforma profondément. Le Camões qui débarque agonisant à la faveur d’un naufrage opportun non loin de Macao, n’est plus le même. A la limite de l’état animal, il est recueilli par la fille de Campos, qui fuit la mainmise de son père. Capturé peu après, il est contraint par le gouverneur de révéler où s’est cachée sa fille. La première partie du roman s’achève sur cette trahison.

Le roi avait éloigné Camões en l’envoyant à Macao, Campos, dans la même situation, n’a plus guère de solution, il l’oblige à participer à une ambassade portugaise qui se rendra à Pékin. Celle-ci s’enfonce profondément dans le territoire chinois et, au fil de sa progression, se délite, se désagrège. L’immensité absorbe les plénipotentiaires. Le trajet est long, inconnu et il suffit à briser l’arrogance des européens : le monde immense qu’ils croient conquérir ne rejettera pas ses proies. L’ambassade ne rejoindra jamais Pékin et Camões lui-même semble avoir disparu avec ses compagnons. Slauerhoff passe alors au quatrième plan de son roman : le télégraphiste irlandais. Homme sans identité, sans nom, il a passé une vie d’errance, loin d’une terre natale qui lui était indifférente. Apathique, dépressif, il traverse sa propre existence en fantôme, un fantôme sans but, sans émotions. L’homme sans nom, à l’identité floue, ne semble jamais devoir quitter l’extrême détachement qui le caractérise. Il n’est personne et ne cherche pas à devenir quelqu’un. La vie passe sur lui sans laisser de traces. Jusqu’à ce que des pirates chinois s’emparent du cargo délabré sur lequel il exerce. Otage libéré sur une côte inconnue, il s’enfonce dans les terres chinoises. Et sans le savoir, suit les traces de Camões. Il retrouve involontairement les traces physiques laissées par le convoi diplomatique du poète portugais. Et petit à petit, l’homme sans nom sent grandir en lui une présence étrangère. Son esprit et ses sens s’altèrent. Camões ne s’est pas contenté de passer, il a laissé une aura qui s’empare du télégraphiste. En découvrant, non loin de Macao, une grotte, la puissance du poète expulse l’irlandais de son propre corps.

En écho à l’expérience d’extrême proximité que Slauerhoff ressentait pour le poète Tristan Corbière, l’irlandais sent grandir en lui Camões. Le roman prend des tours fantastiques et les deux corps finissent par se rejoindre : comme dans l’œuvre de P.K.Dick, les différents plans de la réalité s’emmêlent et le lecteur se perd en conjectures. L’homme sans nom vit la défense de Macao, où Camões, revenu incognito de son ambassade perdue, joua le premier rôle. Il devient brièvement Camões. Dans une Macao moderne, corrompue, crépusculaire, l’homme sans nom, sans identité, a vu s’entrouvrir un autre univers, celui, passé, du poète. La transformation vertigineuse accable l’homme sans nom. Résolu à demeurer ce qu’il était, à savoir personne, il fuit éperdument, Camões, le monde interlope de Macao et sa propre existence, réduite à un statut professionnel. Aux frontières de deux mondes, la puissance du poète exilé s’est brisée sur le pouvoir temporel du gouverneur Campos. Mais elle a paradoxalement traversé les siècles. Le temps du poète n’est pas le temps commun. Son errance dans le monde a laissé une trace profonde, capable de perdre, des siècles plus tard, un anonyme obscur.

Écrit dans une prose dense et poétique, Le royaume interdit ne s’épuise pas par une lecture distraite. Les aventures du Macao colonial débordent de leur cadre temporel pour altérer le présent de l’homme sans nom. La puissance du poète affectera le quotidien de l’irlandais, ses efforts rompant la cloison étanche des siècles pour perdre l’homme sans nom, en proie à une impossible identification. En épurant le style du récit à ses seuls éléments indispensables, Slauerhoff frôle parfois l’abstraction : le délitement progressif de l’ambassade qu’envoie le gouverneur Campos à Pékin n’est pas seulement le récit d’une errance, elle est le motif philosophique d’une fuite éperdue de soi-même. Le monde colonial de Macao, menacé d’engloutissement par la puissance démographique et géographique chinoise, irrigue les errances de Camões et de l’homme sans nom. Aux franges de deux mondes, les identités se brouillent et les héros peuvent à la fois renoncer et exister, vivre pour l’éternité et périr sans fin.