« Il est plus de moi que moi-même » : Fernando Pessoa, le Voyageur immobile, de Robert Bréchon

Pessoa

Fernando Pessoa : Le Voyageur immobile, Robert Bréchon, Éditions Aden, Coll. « Le Cercle des poètes disparus », 2002

Les Éditions Aden proposent, depuis une quinzaine d’années, une série de biographies littéraires d’excellente facture. Imprimés sur un papier de qualité, avec une reliure agréable, sous une couverture sobre, ces livres me paraissent valoir bien mieux que la relative obscurité dans laquelle ils sont généralement tenus, dans la presse ou sur l’Internet. Peut-être est-ce là une conséquence de la regrettable homonymie entre cette maison et une autre, mieux connue, sise en Belgique, et à la ligne politique nettement plus affirmée. On a tendance, généralement, à les confondre, et c’est dommage. Les Éditions Aden dont je parle ont d’autant plus de mérite qu’elles sont installées à distance de la France, en Algérie, où elles contribuent, à leur mesure et dans un contexte délicat, à maintenir les liens de ce pays avec la Francophonie. Il est remarquable qu’une collection de la qualité du « Cercle des poètes disparus » soit née et puisse vivre à Alger – et ce malgré quelques possibles et récentes difficultés financières, sensibles à l’examen du faible rythme des dernières publications. Par crainte, peut-être, de ne pas être pris au sérieux par le public français, l’éditeur reste, dans ses volumes, discret sur sa situation géographique ; je la trouve, quant à moi, vous l’aurez compris, éminemment respectable. Dans le catalogue, l’amateur peut trouver des biographies de Keats, Shelley, Faulkner, Jouve, Segalen, Pozzi ou encore de Garcia Lorca (un des livres les plus épais de ma bibliothèque, puisqu’il dépasse les 2000 pages !). Et, s’il a un peu de chance, sur le marché de l’occasion, en étant patient, il tombera comme moi sur un des exemplaires d’un volume actuellement indisponible, le Pessoa de Robert Bréchon. Les amateurs du poète portugais connaissent bien ce critique, un des meilleurs spécialistes français du sujet, auteur de l’introduction des Œuvres Poétiques de Pessoa à la « Bibliothèque de la Pléiade ». Bréchon, mort en 2012, a contribué, pendant cinquante ans, à la progressive ascension de Pessoa vers les sommets de notre panthéon littéraire. Il était le plus à même, probablement, d’écrire sa biographie.

Quelle tâche ardue que de raconter la vie et l’œuvre d’un des auteurs les plus insaisissables du XXe siècle littéraire ! Certes, Pessoa, s’il n’a pas publié beaucoup de livres, a laissé des milliers de textes, de fragments, d’ébauches, que ce soit dans des revues poétiques et littéraires ou, par-devers lui, dans sa célèbre malle. Il a passé l’essentiel de sa courte vie à composer et à correspondre : les chercheurs ne manquent ni d’écrits ni de témoignages sur sa personne. Seulement, par leur masse, leurs contradictions, leur état récurrent d’inachèvement, ces milliers de documents brouillent le portrait intellectuel et spirituel de l’écrivain. En recomposant, sans indication de leur auteur et à partir de documents aussi anarchiques que difficilement lisibles, Le Livre de l’Intranquillité ou Faust, les spécialistes ont contribué à former (je n’ose dire inventer) Pessoa, à lui donner une allure toujours renouvelée, étonnante, incohérente. Il faut s’y faire, comme nous y invite Robert Bréchon, écrire la vie de Pessoa l’insaisissable, c’est faire « l’éloge de la contradiction » – titre du premier chapitre de ce livre. A-t-on d’ailleurs seulement fini d’explorer la source miraculeuse ? De nouveaux livres de Pessoa ne cessent de paraître, en France. Romans, essais, textes divers, et bien sûr poèmes, se multiplient sur les étals des librairies, faisant de Pessoa non l’exact contemporain de T.E. Lawrence, dont il partage les dates de naissance et de mort (1888-1935), mais un écrivain d’aujourd’hui, que nous continuons à découvrir.

La force de ce livre est de ne pas s’en tenir au maigre canevas biographique, de savoir le dépasser pour l’articuler à l’œuvre ; si le poète a vécu littérairement plusieurs vies, sa propre existence matérielle n’a guère d’aspérités. Son père décéda alors qu’il n’avait que cinq ans, sa mère se remaria peu après, partit en Afrique du Sud, où Pessoa grandit. Il y apprit l’anglais, langue dans laquelle il écrivit une partie de son œuvre – et dans laquelle il eût pu même s’installer définitivement, à quelques hasards près. À dix-sept ans, il revint à Lisbonne, d’où il ne sortit quasiment plus. Après avoir échoué comme imprimeur et éditeur, il devint, grâce à son excellente connaissance du français et de l’anglais, interprète dans des bureaux d’import-export. En parallèle de cette carrière commerciale terne, il écrivit frénétiquement, lança avec son ami Sá-Carneiro une éphémère revue révolutionnaire, Orpheu, publia par la suite quantité de textes dans des organes confidentiels, sous différents noms d’emprunts (les fameux hétéronymes) sans jamais parvenir à achever d’œuvre lui assurant une réelle et durable notoriété littéraire. Peu avant sa mort, il fit éditer, avec un succès relatif et sous son nom, Message, un recueil de poèmes symboliques, élégiaques ou cryptiques sur l’histoire et l’avenir spirituel du Portugal, marqués par le mythe du sébastianisme et les fumeuses théories sur le Quint-Empire. Il mourut peu après, probablement – le fait est encore âprement contesté – des conséquences de son alcoolisme. Il avait 47 ans.

Son œuvre fut redécouverte en deux étapes, d’abord par l’édition dans les années 50, par quelques admirateurs, de ses poèmes (et de ceux de ses hétéronymes), republiés en une seule édition. Le processus de reconnaissance s’accéléra lorsque sa sœur, et héritière, donna la fameuse malle aux 27 000 textes à la Bibliothèque Nationale, où elle fut enfin exploitée et répertoriée avec méthode. Au Portugal, le « petit maître » dont la mort n’était saluée en 1935 que par une brève nécrologie du Diario de Noticias, atteignit ainsi, en quelques décennies, un statut d’écrivain national. Bréchon rappelle que Pessoa est, avec Vasco de Gama, Camões et Alexandre Herculano, l’un des quatre seuls personnages n’ayant pas régné à être enterrés au Monastère des Hiéronymites, le Saint-Denis portugais. On l’y a transféré après que sa réputation eut pris une ampleur mondiale. C’est dire l’importance du poète, désormais, dans la littérature portugaise. Au fur et à mesure que son œuvre grandissait dans l’esprit public, d’abord local, puis européen, la légende de son personnage s’affermissait, arc-boutée sur quelques images frappantes, sa terne tenue d’employé, ses petites habitudes lisbonnaises et, bien évidemment, ses avatars de lui-même, les fameux Alberto Caeiro, Ricardo Reis, Bernardo Soares, Alvaro de Campos ou Alexander Search. Son phénoménal principe d’hétéronymie a presque autant contribué à sa réputation, sinon plus, que le contenu de ses textes. Cette situation de pluralité littéraire se résume par le bon mot de Robert Bréchon, passé désormais, je crois, à la postérité : « Imaginons que Valéry, Cocteau, Apollinaire, Cendrars et Jouve aient été un seul écrivain, caché derrière des « masques » différents : on aura une idée de ce que Pessoa aurait pu être, de ce qu’il est peut-être, après tout » (p.17). À l’hypothèse de la pluralité inconciliable, Bréchon préfère néanmoins celle de l’unité dans le morcellement ; cette citation suggère en effet un doute, central dans l’approche du livre : Pessoa, malgré tous ses masques (ou du fait de tous ses masques) demeure Pessoa. Aucun hétéronyme ne peut être indifférent aux autres comme Cendrars pouvait l’être à Jouve ou Apollinaire à Valéry. Notons aussi que, s’il utilisa près d’une centaine de noms, Pessoa n’éleva réellement à la dignité hétéronymique que trois avatars, Caeiro, Reis et Campos, les autres se situant, selon Bréchon, entre la pseudonymie et la semi-hétéronymie, selon leur proximité stylistique et philosophique avec le maître. Un Bernardo Soares (auteur du Livre de l’Intranquillité) ressemble trop à Pessoa, par exemple, pour être considéré comme un vrai hétéronyme. Il y a bien une part de jeu, de posture, dans ces successions de personnages, parfois à peine esquissés, qui signent qui un poème, qui une prose, qui un aphorisme. Il n’en reste pas moins un phénomène unique en son genre, de polymorphisme littéraire, Robert Bréchon montre qu’il exprime, avant tout, le nœud de contradictions qui sert de base intellectuelle, psychologique et personnelle au poète. La défi de ce livre tient à son principe : ramener Pessoa à une impossible et irréductible unité. L’étonnant est que Bréchon y parvienne.

Les trois grands hétéronymes, chacun doté d’un style particulier, d’un arrière-plan biographique, de rêves, d’aspirations, de rancœurs, incarnent les tendances profondément contradictoires du poète, déchiré par sa quête concomitante de l’épiphanie sensible, spontanée, heureuse et de la connaissance ésotérique, presque mystique, des sens cachés du monde. La recherche d’une sensation immédiate, pure, directe (sur le modèle de l’enfant, pense Bréchon) ne se concilie pas sans peine avec l’idée de l’initiation à passer, du secret à dévoiler, du mystère à éclaircir. Pessoa oscille entre les deux, à la recherche d’une hypothétique voie, non de dépassement, mais d’alliance. Tout lecteur de Pessoa aura remarqué la fréquente tendance du poète à recourir à l’oxymore et au paradoxe, manière littérale de relier les contraires ; la force de cette biographie, qui, entre la vie et l’œuvre, choisit de ne pas choisir, est de montrer, texte à l’appui, à quel point la contradiction est fondamentale chez Pessoa. Elle suscite et appelle probablement l’écriture ; elle justifie la forme, la multiplicité, le jeu continu d’un extrême à un autre. L’œuvre du poète a éclaté en milliers de fragments presque incompatibles parce que sa personnalité, de ce que l’on en sait était elle-même en miettes ; Bréchon admet, à l’occasion, que certaines pièces ne correspondent pas à l’image qu’il s’est faite du poète, qu’il ne parvient pas à tout accepter tant ce flux immense présente de cohérentes incohérences (ou d’incohérentes cohérences), si vous me permettez cette formule typique de Pessoa. Il n’est, pour le dire comme Verlaine, jamais tout à fait le même, ni tout à fait un autre. Vous le retrouvez sans le reconnaître, vous le reconnaissez sans le retrouver. Le brouillage, la fluidité, l’incertitude qui marquent son œuvre sont peut-être les clés de sa réputation actuelle ; cette identité incertaine, ces contradictions, cette saudade nous touchent aussi parce qu’elles sont les nôtres. En cela, Pessoa – le Pessoa reconstruit, relu, réévalué depuis cinquante ans, tiré de sa malle magique pour être sans cesse recomposé – est pleinement un contemporain. La familière étrangeté de Pessoa, saisie au détour d’un poème, au hasard de deux ou trois vers, n’échappe pas à ceux qui l’apprécient ; ils savent qu’ils le retrouveront précisément au moment où il se ressemblera le moins – et où, nous déstabilisant, il sera le plus lui-même, étonnant, paradoxal, riche. En passant, Bréchon ne le dit pas, mais je ne crois pas que la lecture continue de Pessoa soit la meilleure, sauf à vouloir l’étudier en profondeur. Mon expérience me fait dire que vous pouvez le prendre par hasard n’importe où et retrouver ses thèmes, découvrir une formule frappante, un véritable trait de génie ; et puis, si vous le lisez dans la longueur, il se répète, tourne autour de problèmes similaires, de variations en variations, lasse un peu tant on le sent en quête d’une justesse, d’une conciliation des contraires que jamais il n’atteint. Pessoa est un auteur dans lequel on pioche.

Si l’on retrouve toujours Pessoa dans Pessoa, il est évident, également, qu’on ne le retrouve jamais vraiment, du fait de ces fameux hétéronymes. Bréchon y croit moins que Tabucchi ; sa présentation du phénomène est moins convaincue que celle de l’Italien dans Une malle pleine de gens. Bréchon tente de relier ces hétéronymes comme des facettes très typées à l’intérieur d’une œuvre unique et marquée, je l’ai dit, par la contradiction. D’un côté, le « maître », Caeiro, païen, pour qui le monde se résume au sensible ; de l’autre, à l’extrémité du spectre, Pessoa, l’amateur d’ésotérisme, avec ses lectures de théosophe et de rosicrucien, et son seul livre publié, le sébastianiste et cryptique Message. Entre les deux, Ricardo Reis, le disciple de Caeiro et Alvaro de Campos, chargé, en quelque sorte, de concentrer sur lui toute la noirceur d’âme et d’humeur de Pessoa. On sait, par le témoignage d’Ophelia, la seule « conquête » – toute platonique – du poète, à quelle tension mentale permanente celui-ci était soumis. On sait également, par elle et par d’autres, que l’écrivain aimait blagues et canulars – et qu’il n’est pas exclu qu’une passion de ce genre ait d’abord motivé la création des fameux hétéronymes. D’une invention pour la blague, ils sont devenus, en peu de temps, une véritable manière de travailler et de s’exprimer. Soumis à ses propres et insolubles contradictions, travaillant par à-coups violents, dans une frénésie créatrice lui faisant accumuler, en peu de temps, brouillons, poèmes, proses, Pessoa ne produisit guère d’œuvre achevée. Hormis deux recueils en anglais qui ne trouvèrent aucun public, il ne publia qu’un livre : Message. J’ai pour ce dernier, je l’admets, une certaine (et peut-être inavouable) fascination. Parmi mes textes préférés, je compte, entre autres L’Épitaphe de Bartolomeu Dias, Magellan ou L’Ascension de Vasco de Gama. Ces poèmes me sont assez personnels car ils touchent à la fois l’adulte cultivé et épris d’histoire que je suis devenu et l’enfant en moi qui, voici quelques années, s’émerveillait du récit des Grands Explorateurs, mais Baste ! assez parlé de moi.

Entre ses contradictions, aussi fondamentales que fécondes, et sa légende, construction composite, sans cesse altérée depuis sa mort par de nouveaux textes, Pessoa apparaît, d’évidence, comme une énigme. Phénomène d’autant plus frustrant que la masse documentaire laisse croire qu’il y a un moyen de la résoudre ; à l’inverse, les problèmes posés par de nombreux petits épisodes d’une existence pourtant casanière et routinière risquent de demeurer à jamais irrésolus. Comme souvent, au cœur de la lecture de la vie et de l’œuvre de Pessoa se tient une contradiction. Les incursions du poète dans le domaine politique – j’en toucherai ici un mot – en sont le plus parfait exemple : il publia en 1926, avant le coup d’État de l’armée, un opuscule en faveur de la dictature militaire (L’Interrègne) mais le renia rapidement et explicitement une fois le coup advenu ; il ne cacha pas, plus tard, son dégoût de Salazar ; en 1935, encore, il se disait monarchiste de cœur et républicain de raison, « libéral dans le cadre du conservatisme et résolument antiréactionnaire », favorable à un Empire sans empire, chrétien gnostique, nationaliste mystique, etc. J’y lis moins les réflexions d’un praticien ou d’un penseur politique, que le rêve d’un poète, avec tout ce que cela peut sous-entendre d’onirique, d’irréaliste, voire de fumeux. La force de cette biographie est de s’attacher à exposer, expliquer et comprendre autant l’homme que son œuvre. Elle constitue un excellent complément à toute lecture des écrits du Portugais, d’autant plus précieux que Robert Bréchon ne cache pas, au fil du livre, ses propres doutes devant les évidences les mieux admises (et les plus fascinantes) du système Pessoa. Le lecteur en ressort mieux armé pour chercher, dans la masse immense et contradictoire de l’œuvre son motif dans le tapis ; et comme dans la nouvelle de Henry James, l’intérêt de la quête tient à l’espoir de découvrir un secret dont le principe est de se dérober toujours.

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À la hussarde : Les Désenchantés, d’Alain Cresciucci

Géricault, Trompette de hussards d'Orléans

Géricault, Trompette de hussards d’Orléans

Les Désenchantés, Alain Cresciucci, Fayard, 2011

On ne peut pas lire l’ouvrage du professeur Cresciucci sans penser à celui de François Dufay, Le soufre et le moisi, qui rencontra, à sa parution, un certain succès. Leur objet ? Les fameux « hussards » de la littérature française, ce regroupement informel de talents dont la principale caractéristique, si l’on en croit leur légende, fut de tenir, à droite de l’échiquier politico-littéraire, une forme de ligne de résistance dégagée et fringante contre les pesanteurs théoriques de l’avant-gardisme artistique et de l’engagement intellectuel sartro-camusien. La critique, qui a besoin d’étiquettes et de classifications linnéennes, a retenu, parmi bien des auteurs aux positionnements similaires, quatre noms principaux : Jacques Laurent, Roger Nimier, Antoine Blondin et Michel Déon. Ces auteurs sont aujourd’hui, à en croire les idées reçues, indissociables. Lorsque paraîtra, un jour prochain, le volume de la « Bibliothèque de la Pléiade » consacré à Roger Nimier, je gage que la plupart des critiques convoqueront les « hussards » pour introduire leur papier. Et pourtant, ces quatre hommes n’ont jamais été physiquement réunis, tous, au même endroit, au même moment. Ils n’ont pas défendu de conception théorique ou artistique commune de la littérature. Ils n’ont jamais écrit de manifeste « hussard ». Ils n’ont jamais mené de procès en excommunication contre leurs adversaires. Ils n’ont pas fondé de revue, même si leurs contributions se retrouvèrent fréquemment aux sommaires des revues de la Table ronde, Arts ou La Parisienne. S’ils se respectaient les uns les autres – il suffit de relire les éloges de Nimier à propos des romans de Laurent et de Blondin pour s’en convaincre – ils ne formaient ni un groupe, ni une amicale, ni une coterie, simplement une conjonction de styles. Les différences entre ces quatre écrivains comptent bien moins, selon la légende, que leurs similitudes. D’autres écrivains, comme Stephen Hecquet, Kléber Haedens, Roland Laudenbach, François Nourissier, Michel Mohrt ou Félicien Marceau, auraient pu figurer dans ce courant « hussard » ; l’histoire littéraire, un peu myope avec ses commodes simplifications, en a décidé autrement. M. Cresciucci se situe d’emblée, par le titre même de son ouvrage, dans une optique démystificatrice. Ceux qu’il appelle Les Désenchantés sont bien les fameux « hussards » de la critique ; apparentés au camp des vaincus de la dernière guerre, cyniques et amusés, revenus de tout, ils ne croient en rien, et surtout pas en leur œuvre. La littérature est pour eux un moyen commode et ludique de vivre dans ce monde : on y raconte des histoires, on s’y amuse, on se désennuie, on joue avec les mots et l’on choque, à droite (un peu) et à gauche (beaucoup). Parce que la gauche prétend avoir le monopole de la gravité et de l’inquiétude historique, la droite s’empare de celui de la légèreté et de la frivolité. En évoquant ce ludique hédonisme, peut-on vraiment parler de « Hussards » ? M. Cresciucci s’interroge sur la pertinence de cette appellation. Il raconte comment naît, prospère et se dissout un courant informel dont l’existence est étroitement liée à l’état politique, culturel et littéraire de la France des années cinquante. Bien plus que François Dufay, le professeur Cresciucci englobe l’aventure « hussarde » dans une histoire plus vaste, celle de la France de l’après-guerre, avec laquelle elle est consubstantiellement liée. Son ouvrage constituerait presque une histoire de la droite littéraire de l’après-guerre… si, toutefois, l’auteur croyait entièrement à l’application de cette commode classification politique dans le champ littéraire, surtout à l’encontre d’auteurs qui se sont tous, plus ou moins explicitement, réclamés d’un apolitisme certain (mais l’apolitisme n’est-il pas le pudique moyen de dire son opposition à la gauche – l’appartenance à la gauche est toujours revendiquée fièrement par ceux qui s’en prévalent – et, donc, d’avouer son orientation à droite ?).

Même si Michel Déon, désormais nonagénaire, vit encore à l’heure où j’écris ces lignes, et que Blondin et Laurent ont vécu respectivement jusque 1991 et 2000, M. Cresciucci borne son étude entre 1944 et 1962. 1944 ? Les Alliés reprennent Paris ; la guerre civile de la République des Lettres, commencée dès 1940, en un dérisoire arrière-plan de la tragédie historique, renverse son cours ; la collaboration intellectuelle, triomphante aux temps de l’Ordre Nouveau, se disperse pour échapper à ses juges et à ses bourreaux ; le C.N.É, avec ses résistants de toujours, ses anciens déportés, mais aussi ses ralliés prudents et ses opportunistes, publie ses listes de proscription, ces auteurs compromis avec lesquels il ne faudra frayer sous aucun prétexte. Aucun « hussard », bien sûr, n’y figure ; aucun n’a même 25 ans. Roger Nimier est un jeune étudiant parisien, lecteur acharné et déjà écrivain en devenir ; Antoine Blondin vit en Autriche, où le S.T.O. l’a envoyé travailler dans une usine ; Jacques Laurent occupe de modestes fonctions à la Propagande vichyssoise où l’on s’apprête à le charger de la préparation d’une hypothétique passation de pouvoir officielle entre le Maréchal et le Général ( !) ; Michel Déon, le plus engagé, secrétaire particulier de Charles Maurras depuis deux ans, s’apprête à reprendre sa liberté et à quitter le vieux directeur de l’Action française, désavoué par l’histoire. Pour la droite littéraire, à laquelle, quoi qu’on en dise, se rattachent ces quatre hommes, s’ouvre une période complexe : l’épuration fait plusieurs victimes réelles (Brasillach en est la figure de proue ; le reste est du menu fretin) et la Libération impose le silence à quelques plumes bien connues, dont les degrés de « collaboration » et de pactisation avec l’ennemi sont fort variables (Céline, Rebatet, Chardonne, Morand, Giono, Guitry, etc.). S’il n’y a temporairement plus de place dans le champ littéraire pour la droite, il y a, en revanche, bien des places à prendre à droite. De jeunes auteurs, sans passé trop voyant, peuvent en profiter ; c’est leur histoire que narre M. Cresciucci. Elle s’achève prématurément, à la fin de 1962. La guerre d’Algérie, qui a polarisé le débat intellectuel, est terminée ; le temps de l’aventure s’achève pour une France embourgeoisée, ou plutôt moyennisée, que dépeint le Perec des Choses ; la croissance économique nourrit le gaullisme triomphant ; la France, rassasiée d’histoire, s’endort pour six ans et la droite anti-gaulliste, noyautée par l’O.A.S., affaiblie par les victoires du général, s’isole, se divise, se disperse. 1962 signe la fin d’une époque. Nimier vient de se tuer dans un accident de voiture, à 37 ans à peine ; Jacques Laurent n’écrit plus guère, sous son pseudonyme de Cecil Saint-Laurent, que des romans populaires et libertins ; Antoine Blondin, entre deux Tours de France couverts pour L’Équipe, se noie dans l’alcool et erre, de plus en plus hagard, dans Saint-Germain ; Michel Déon s’exile, loin de la vie parisienne, sur une île grecque. La fête « hussarde », désengagée, cynique et hédoniste, s’achève. Leurs succès à venir des années 70 ne sont déjà plus des manifestations de l’esprit « hussard » originel et juvénile.

La légende est bien connue, quelques lignes suffiront à en rappeler l’origine. En décembre 1952, le jeune écrivain Bernard Frank, dans un article critique (et polémique), publié par les sartriens Temps Modernes et intitulé « Grognards et hussards », observe l’émergence et le succès d’un groupe informel de jeunes écrivains « hussards ». Qualifiés aussi de « fascistes » (épithète fort commode pour disqualifier sans effort), ces auteurs sont protégés par une vieille garde conservatrice d’académiques « grognards », dont Mauriac – qui s’en détachera très vite – apparaît être encore la figure de proue… La charge, virulente et drôle, étonne d’autant plus, rétrospectivement, qu’un lecteur contemporain aurait tendance à classer Bernard Frank, pour son style, son dandysme désabusé et sa virulence polémique, parmi les « hussards ». Si l’étiquette de « fascistes », aux évidentes visées provocatrices, ne s’est pas imposée, celle des « hussards » en revanche est restée. Que recouvre cette étiquette selon Frank ? Contre une forme de doxa de gauche, socialiste ou communiste, le « hussard » est de droite ; le « hussard » prétend n’être pas inféodé politiquement, moyen fort commode de faire oublier ses sympathies droitistes, ses amitiés de vaincu, ses affinités réactionnaires ; le « hussard » est trop jeune pour avoir réellement collaboré ou joué un rôle important pendant la guerre, mais ses admirations n’excluent ni les grands noms de la vieille garde collaborationniste (Fraigneau, Morand, Chardonne) ni les écrivains en délicatesse avec l’idéologie de la Résistance (Montherlant, Giono, Aymé) ; le « hussard » n’est pas sérieux comme Camus, pas philosophe comme Sartre, pas sectaire comme Beauvoir, pas gaulliste comme Malraux, pas communiste comme Aragon ; le « hussard » affirme ne pas croire en la politique, même s’il lui arrive d’écrire dans des revues qui en font, à droite ou à l’extrême-droite ; le « hussard » prône une littérature désengagée, d’aventures et de plaisir et, par là, refuse les pesanteurs des romans à thèse ou des théories d’avant-garde, bref, il défend l’autonomie de la littérature ; le « hussard », nécessairement jeune, monte en première ligne à tout propos en dédaignant la prudence, vertu des tièdes ; le « hussard » se réclame autant de la vivacité de Stendhal que de l’esthétique des maîtres d’avant-guerre, versant morandien, phrase sèche, cynisme et esprit provocateur à l’appui ; le « hussard » refuse la mythologie sartrienne de l’engagement et se moque des raideurs théoriques des jeunes maîtres du « Nouveau Roman » ; le « hussard », hédoniste, aime penser qu’il écrit sans filet, qu’il est libre de se moquer du consensus mou né de la Libération ; en réalité, selon M. Cresciucci, le « hussard » n’existe pas vraiment. Il constitue une facilité de l’histoire littéraire, un moyen commode de la comprendre en réunissant après coup des auteurs dissemblables, en sélectionnant quelques-uns de leurs traits communs. Pour François Dufay, l’aventure « hussarde », réelle, était née d’un jeu d’influence « gagnant-gagnant » entre de jeunes écrivains de droite, ambitieux, et deux maîtres tombés en disgrâce dans l’immédiat après-guerre (Paul Morand, ancien ambassadeur de Vichy, exilé en Suisse puis au Maroc ; Jacques Chardonne, éditeur compromis par ses textes et ses amitiés). L’aventure des « hussards » naissait du souhait des premiers de s’imposer dans le champ littéraire et des seconds d’y revenir. À la fin, chacun y avait gagné : une mouvance de droite littéraire, conservatrice et radicale, était identifiée, organisée et de nouveau susceptible de prendre la parole ; les jeunes étaient célèbres et les anciens respectés ; la gauche n’avait plus le monopole de la littérature.

Les Désenchantés tend à montrer que la relecture de François Dufay n’est pas totalement exacte. Le professeur Cresciucci n’insiste guère sur Paul Morand et Jacques Chardonne, qui n’apparaissent ici, malgré leurs liens avérés avec les « hussards » que comme des partenaires fort lointains, des conseillers de l’ombre plutôt silencieux. La correspondance nourrie entre Nimier et ses deux aînés tend pourtant à renforcer la crédibilité de la thèse de François Dufay, que marginalise volontiers l’auteur des Désenchantés. Reconnaissons néanmoins que les liens d’influence proprement littéraires entre Chardonne et les Hussards n’apparaissent pas spontanément à la lecture de leurs œuvres respectives. M. Cresciucci semble ne pas croire à la thèse Dufay du marchepied, selon laquelle chacun des deux camps se sert de l’autre pour monter (ou revenir en grâce). Pour M. Cresciucci, les « hussards » sont, avant d’être l’agent volontaire des rancunes de deux atrabilaires, un produit d’époque, un signe de reconnaissance des fifties au même titre que la 4CV ou que Martine Carol. Ils ne se comprennent, ne s’envisagent, individuellement, qu’en lien avec la société française et la petite société parisienne des lettres. Le chapitre consacré à l’émergence du Saint-Germain bohème (et les silences de la mythologie existentialiste de ce quartier) est aussi passionnant que celui consacré à la naissance de la Nouvelle Vague, même s’ils peuvent donner la fausse impression d’éloigner le lecteur du sujet. L’étude des réseaux « droitiers » est intéressante : la véritable plaque tournante de la renaissance de la droite littéraire semble bien avoir été Roland Laudenbach et ses éditions de la Table Ronde, repère, encore aujourd’hui, des vestiges de la droite littéraire. En ouvrant la perspective, là où François Dufay la refermait, Les Désenchantés donne une véritable profondeur historique au panorama littéraire. Il ne s’agit plus seulement de petites inimitiés ou de grandes amitiés ; de méchancetés ou de renvois d’ascenseur ; de guerres ou de paix littéraires ; mais de l’étude du mode de fonctionnement plus global d’une sociabilité littéraire, le tout raconté sans pédantisme malvenu, et avec une légère sympathie.

M. Cresciucci montre que l’étiquette de « hussards », qu’aucun des quatre auteurs n’a vraiment revendiquée, ne recouvre guère qu’une communauté d’attitudes (et encore), de comportements et d’amitiés plutôt qu’une communauté de positions esthétiques et littéraires. Il note également, sans beaucoup se tromper, que ces hommes n’ont pas matérialisé toutes les promesses que leur entrée fracassante en littérature avait pu susciter. Nimier écrit, très vite, avant trente ans, cinq ou six romans désenchantés et cyniques, avant de se limiter au journalisme et à l’édition. Rien n’indique que sa mort prématurée a considérablement amputé son œuvre de fiction. Jacques Laurent publie en 1948 Les Corps tranquilles un grand livre sternien, polyphonique et fantaisiste, d’une immense variété de registres, qui passe entièrement inaperçu ; il bascule ensuite dans le journalisme, le cinéma et l’écriture commerciale de romans policiers ou de séries historico-libertines d’aventure, sous le nom de Cecil Saint-Laurent (les fameux Caroline Chérie). Son talent et sa productivité lui permettent de mener grand train mais cette double identité, ce double positionnement ne contribuent pas à sa réputation dans le milieu lettré français (qui déteste le mélange des genres entre, pour reprendre les mots de l’anthropologue Philippe d’Iribarne, « le vil et le noble »). Épisodiquement, avec des pastiches, des romans à son nom (Les Bêtises), des souvenirs (Histoire égoïste), des essais (Paul et Jean-Paul, qui assimile méchamment Sartre (de gauche) et Bourget (de droite) à une même catégorie de romanciers à thèse), Jacques Laurent rappelle son véritable talent littéraire au public lettré. Sa gloire est néanmoins aujourd’hui aussi incertaine que sa survie éditoriale posthume. Antoine Blondin connaît le succès avec l’Europe buissonnière et Un Singe en hiver, écrit dans des revues radicales (Rivarol), puis s’aventure sur les terrains, peu respectables, du journalisme sportif littéraire et, plus glissant, de l’alcool, en quête de son éphémère et trompeuse camaraderie. Enfin Michel Déon, le moins clinquant, oscille entre l’écriture régulière de romans nés, aux dires des critiques les moins bienveillantes, d’un laborieux acharnement plus que d’un véritable talent, et des longs séjours à l’étranger qui le mettent à l’écart des modes, des tocades et des réputations parisiennes. Les auteurs proches, Stephen Hecquet, Michel Mohrt, Roland Laudenbach, ne connaissent pas des carrières plus brillantes, même si leurs réputations paraissent un temps bien établies. L’histoire de cette droite littéraire est celle d’un échec relatif. « Les Hussards » se retrouvent dans une conception libre et individualiste de l’existence, d’une plaisante irresponsabilité ; ces hommes privés d’adolescence demeurent dans l’incertitude d’une jeunesse prolongée, à contre-courant d’une époque où la jeunesse affecte encore le plus grand sérieux ; l’absence d’esprit théorique les conduit à rester à l’écart des mouvements littéraires mieux charpentés qui nourriront les programmes d’agrégation ultérieurs et obtiendront, à défaut du succès public, la reconnaissance symbolique et institutionnelle qui garantit la postérité. Quelle reconnaissance intellectuelle peut-on obtenir en France en étalant sa virtuosité dans L’Équipe à propos des succès de Louison Bobet ou de Charly Gaul dans le Tour de France, en écrivant les scénarios de films plus ou moins de bas de gamme pour cinéastes dépassés ou en s’affichant aux bras de Martine Carol ? Le principe de plaisir les aura conduits à des choix discutables. Le jansénisme et l’ardeur théorique du Nouveau Roman, puis du telquelisme le plus radical n’auront aucun mal à rayer du panorama littéraire sérieux l’inégale production « hussarde », reléguée au rang de curiosité littéraire pour universitaire hétérodoxe (Marc Dambre par exemple).

Malgré son affection pour Blondin, dont il est un spécialiste, le professeur Cresciucci n’hésite donc pas à tirer un bilan très mitigé des réussites « professionnelles » de ces écrivains : leur talent incontestable leur donne le goût de la facilité, leur permet une commode paresse ; leur refus du sérieux les mène parfois à la superficialité ; leur manque d’exigence personnelle et leur goût du luxe les orientent vers des positions et des travaux peu propices à leur ménager une place d’exception dans l’histoire littéraire. Alors que l’existentialisme d’un côté et le Nouveau Roman de l’autre insistent, austères, sur leur armature théorique, leur sérieux, leur réflexivité, les « hussards » soumettent tout au principe du plaisir, du trait facile, de la petite phrase sèche et définitive. L’Université, jamais effrayée par l’ennui ou par la radicalité, absconse ou rigoriste, consacre autant Camus que Simon, Sartre que Butor, mais ne trouve pas chez les « hussards » la profondeur, la matière et la sévérité janséniste qu’elle affectionne. Il demeure pourtant une leçon « hussarde », de liberté et de plaisir, d’élégance et de style. Quelques écrivains ultérieurs sauront s’en souvenir pour leurs propres travaux et pérenniseront ainsi la légende de cette école si incertaine. On les appellera, dans les années 80, les « néo-hussards ». Existent-ils encore ? À une époque paradoxale de surproduction littéraire et d’assèchement du lectorat cultivé, une époque oublieuse où ne peuvent survivre, parmi les anciens romans – et anciens équivaut à la dernière décennie – que les livres précédés d’une solide réputation, consacrés par la classe et les facultés, et, de ce fait, toujours disponibles en poche, la survie des « Hussards » ne tient plus guère qu’à cette étiquette un peu sulfureuse qui ramène à eux (pour combien de temps ?) les jeunes anars de droite et les apolitiques contemporains.

 

 

Conversations littéraires : le Journal de l’Abbé Mugnier

Confessional

Je suis assez pris ces derniers temps, le rythme de mes notes s’en ressent un peu, je m’en excuse.

Journal 1879-1939, Abbé Mugnier, Le Mercure de France, 1985

L’abbé Arthur Mugnier (1853-1944), vicaire de paroisses parisiennes, a hanté soixante ans durant le monde des lettres. La littérature française a connu peu de compagnons de route d’une semblable longévité. Il fut l’ami de Huysmans et de Descaves, un proche d’Anna de Noailles, un familier des éminences de la N.R.F., et parmi elles de Valéry et de Cocteau, surtout. L’intérêt de ce Journal tient beaucoup à sa durée. Qu’on y songe un instant : Mugnier assista aux obsèques de Victor Hugo, croisa les gloires finissantes des années 1870 (A.Daudet, Goncourt), connut les étoiles bientôt éteintes du symbolisme fin de siècle (Jammes, Coppée, Gourmont), se brouilla avec l’impétueux Léon Bloy, côtoya Anatole France, Maurice Barrès et Marcel Proust, se lia d’amitié avec Jean Cocteau et Ramon Fernandez, avec Paul Morand et Paul Léautaud, tout en échangeant, à l’occasion, avec Claudel ou avec Radiguet, avec les jeunes Mauriac, Malraux et Céline. Observer la sensibilité d’un homme de 1850 plongée dans les années 1930, c’est un des attraits les plus évidents de ce Journal. Combien de révolutions des lettres et d’ « -ismes » a bien pu connaître l’abbé ? Voici un homme dont il n’est pas exagéré de noter qu’il connut toutes les gloires des Lettres parisiennes, de 1880 à 1940. Et son carnet mondain va bien au-delà puisqu’il rencontra également Édouard VIII, Paul Deschanel, Henri Bergson, Picasso, Kerenski ou Charles Lindbergh. D’un côté il touche l’école de Médan, le naturalisme et le positivisme des premiers temps de la IIIe République, bref à Zola et à Renan ; de l’autre, il rencontre tous les avant-gardistes de la première moitié du XXe siècle, qui s’éteignent eux-mêmes dans les années 60 et 70. C’est donc le Journal d’un siècle de lettres françaises. Ce livre n’est en rien – ou presque – le Journal d’un ecclésiastique. Jusqu’aux premières années du XXe, certes, l’abbé s’intéresse encore explicitement au devenir de l’Église et de son propre sacerdoce ; cela lui inspire des remarques mêlées, entre l’espérance – jamais trop prononcée – et le désappointement – toujours à fleur de prose chez ce mélancolique. Dans l’Église anti-moderniste d’alors, l’abbé Mugnier détonne : il est du XVIIIe par sa tolérance et ses relations ; il est du XXe d’après le Concile Vatican II pour ses vues libérales sur l’Église. Issu d’un milieu pauvre, hissé au sommet de la classe bourgeoise par son état ecclésiastique et ses amitiés littéraires, l’abbé montre souvent une vocation vacillante ; il préfère Chateaubriand à l’Évangile, vénère les ruines, le passage du temps, les poètes romantiques ; on s’étonne moins que son contact avec des croyants d’un tout autre mysticisme, comme Léon Bloy, se soit mal passé. On dit de lui, néanmoins, qu’il convertit Huysmans – ce qu’il nie tout au long du livre. Qu’importe, l’abbé Mugnier demeure dans l’histoire littéraire française un témoin de tout premier plan. Pour la vie ecclésiastique, en revanche, ses écrits ne présentent guère d’intérêt. L’abbé l’admet dans les dernières années : de l’essentiel de son travail pastoral et de son vicariat, il ne restera (secret professionnel oblige ?) aucune trace écrite.

Il reste tout de même quelque chose du prêtre, un fond de préoccupations, une ambiance morale. Ses leçons sont celles d’un humaniste tempéré. Il ne cède pas, et c’est à son honneur, aux pulsions patriotiques du temps, reste dubitatif devant les dévotions superstitieuses et mariales de Lourdes, s’insurge contre les éructations de Léon Daudet et de l’Action française. Le nationalisme criard de Barrès, « le rossignol du massacre », qu’une des fidèles de l’abbé Mugnier qualifie à l’occasion fort peu charitablement de « moisissure de Chateaubriand », lui inspire, malgré son admiration pour l’œuvre, un dégoût souvent prononcé. Vrai chrétien, l’abbé souhaite le pardon entre la France et l’Allemagne et se désole de l’esprit de vengeance de certains milieux français de l’après première guerre. Mugnier est un modéré, mieux, un tempéré. Il n’est pas un croyant en guerre et ses convictions, à force d’être raisonnables, passeraient presque pour tièdes. Néanmoins, à la lumière du conformisme de son temps et de sa classe, il détonne. De peur peut-être de s’avouer une foi vacillante, l’abbé passe sans trop s’étendre sur la profondeur de sa religion. Il n’hésite certes pas, dans les premières années surtout, à donner son avis sur la situation – déjà difficile – de l’Église catholique. Il n’en approuve pas les orientations, voudrait d’elle plus de tolérance, plus d’intelligence, plus d’humanité. Il trace, déçu, entre deux conversations avec Huysmans ou Anatole France, le portrait d’une Église recroquevillée sur elle-même, persuadée de son infaillibilité, inapte à saisir le monde moderne, figée dans des us et coutumes dépassés. À mesure que le temps passe, le sujet l’intéresse moins ; les religieuses dont il est longtemps l’aumônier ne lui inspirent qu’une ou deux remarques en plus de dix ans de service. Curieux jusqu’à la dispersion, humaniste et tolérant, l’abbé Mugnier critique la plupart du temps le conservatisme de sa hiérarchie et la bigoterie de ses fidèles. Sa carrière ecclésiastique se ressent de ses convictions hétérodoxes, de ses mondanités et de son absence d’ambition ; s’il rêve quelques mois d’une élévation dans la hiérarchie, il comprend immédiatement les conséquences d’une nomination épiscopale à Saint-Flour, à Sées ou à Pamiers. Finis les dîners et les concerts ! Finis les ministres et les poètes ! Finies les duchesses ! Finis les grands écrivains ! Un frisson d’effroi passe. L’abbé renonce au siège épiscopal avant même que le Cardinal de Paris ne lui propose la Crosse. Un homme comme Mugnier préférait sans nul doute la modestie d’un vicariat parisien, assorti de plaisantes mondanités, à l’isolement glorieux et mitré dans une province lointaine. À mi-chemin du Journal, le souci de la carrière s’efface ; l’homme vieillit et, malgré la détérioration de sa vue – qui prive sûrement le Journal d’une dernière décennie plus remplie – se concentre sur la véritable passion de sa vie, les lettres.

Car la vraie vocation d’Arthur Mugnier, c’était la littérature – pour laquelle, de son propre aveu, le talent lui manquait. Il me faut admettre, avec lui, malgré ma bienveillance, que ce Journal ne présente pas beaucoup de véritables passages écrits. L’ensemble tient plus des notes et miscellanées que de l’œuvre cohérente. Il vaut pour ce qu’il a capté des propos de table des écrivains de son temps ; il manque souvent de style. Ici ou là, quelques grossières fautes (un « voire même » par exemple aurait pu être corrigé par l’éditeur) enlaidissent le propos. Ce qu’il perd en écriture, le Journal le gagne en spontanéité, en donnant l’impression que tout y est saisi sur le vif. Pour un passionné de littérature, hélas, l’abbé écrit peu sur ses lectures – même si Chateaubriand lui arrache quelques commentaires. Sa discrétion, son absence d’orgueil, le conduisent à laisser la parole aux écrivains plutôt qu’à leurs œuvres, à ses interlocuteurs plutôt qu’à lui-même ; ce choix n’élève pas toujours le contenu du Journal. Mugnier aurait pu oser plus de commentaires sur ses lectures – dont le spectre passe, parfois, dans le lointain ; il aurait surtout pu oser avoir une opinion. L’abbé est trop admiratif des gloires de son temps. Les trois principaux « personnages » du Journal, Huysmans, Noailles et Cocteau ont fort souvent la parole ; parfois, il eût mieux valu qu’ils ne l’obtinssent point, et que l’abbé fît œuvre de lecteur plutôt que de microphone. Arthur Mugnier semble toujours pressé de retranscrire ce qu’untel ou unetelle lui a dit, qu’il s’agisse de banalités ou de traits de génie, ce qui donne à son Journal des allures de macédoine confuse de citations, là où l’on espérait une nourriture un peu plus consistante. L’abbé n’a pas eu assez confiance en lui ; ses quelques critiques, à l’occasion, sur les rabâchages de Huysmans ou les âneries d’Anna de Noailles, en témoignent. Mugnier a l’esprit très chrétien, il s’abstient de juger. C’est honorable, mais le lecteur cache mal sa déception devant ce qui apparaît, dans certaines entrées, comme un fatras.

Allons plus loin, ce Journal ne constitue évidemment ni le carnet de méditation d’un mystique, ce que l’abbé n’est certes pas, ni un examen de conscience suivi, ni même un cahier de lectures : il en dit peu sur ce que pense l’abbé, sur ce qu’il lit, sur ce qu’il croit. Cela tient, je crois, en partie à sa méthode, assez différente de celle de diaristes plus prolixes. Chaque fois que l’abbé Mugnier assistait à un dîner, rencontrait un grand de ce monde ou conversait avec lui, il transcrivait peu après la quintessence de son entretien sur quelques bouts de papier épars, que d’autres, après lui, ont rassemblé. Une telle pratique, suivie, avec quelques discontinuités, pendant soixante ans, laisse derrière elle un amas de notes où prédomine un des défauts principaux de l’abbé et dont il était très conscient : l’éparpillement. Très souvent, le lecteur a l’impression que l’auteur s’est empressé de noter, sans trop de structuration, ni d’esprit, ni même de personnalité, les quelques traits d’esprit d’un souper en ville. Tout cela vieillit bien mal. À ce jeu, les écrivains ne se présentent pas souvent sous leur meilleur jour. Si Cocteau, une des « gloires » de la dernière partie du Journal, apparaît d’une créativité poétique et spontanée illimitée, il dévoie souvent son génie dans des remarques partiales, des préjugés idiots ou des affirmations sans fondement. Cocteau, qu’Alberto Arbasino dépeint vieilli et pontifiant dans un excellent chapitre du non moins excellent Paris ! Ô Paris !, apparaît déjà dans toute son agaçante contradiction, aux frontières du génie et de l’erreur, du trait d’esprit et de la balourdise. L’invention poétique rachète mal l’affirmation péremptoire et le parallèle gratuit. L’abbé juge rarement les propos de ceux qui ont conversé avec lui ; au lecteur de décider. D’autres écrivains, aperçus de plus loin, ou plus circonspects lors de leurs dîners en ville, sont moins mal lotis, comme le brillant causeur Valéry ou le prudent André Gide ; Proust ou Céline s’en sortent à peu près bien, mais Mugnier les a moins souvent croisés ; à l’inverse, Anna de Noailles passe pour une égocentrique bavarde et sans esprit de suite, caricature de ce que les bas-bleu ont présenté de plus consternant à travers les âges. Le style télégraphique et sans liant de l’auteur accentue encore les défauts de la poétesse : sans le vouloir, Mugnier trace de son amie un portrait fort peu reluisant.

Le Journal vaut comme relevé d’un certain esprit bourgeois et artiste disparu, effectué par un homme d’église ouvert, bienveillant et d’une grande sensibilité. Si son auteur manque souvent de profondeur, il lui arrive au détour d’une page, d’évoquer avec justesse tel ou tel trait d’une œuvre, d’une situation ou d’un homme. Arthur Mugnier est un personnage attachant ; son romantisme donne une coloration mélancolique à sa prose ; son humanisme passera sans mal pour une raisonnable et agréable tiédeur. L’intérêt principal de ce livre sans guère de style est d’offrir à son lecteur la possibilité « d’entendre » les grands écrivains du dernier siècle s’animer et s’exprimer, sans filtre, ou presque. Péremptoires, obstinés, versatiles, partiaux, snobs, puérils, voilà comment, la plupart du temps, apparaissent ces génies d’hier. La conversation, cet art français, supporte bien mal la transcription écrite : son charme en est immanquablement dissipé. Sans le vouloir, l’abbé Mugnier montre à quel point l’équilibre évanescent d’une discussion réussie meurt d’être couché sur le papier, ossifié, fossilisé.

Une année de lectures V : écrits paralittéraires

Mon intérêt pour la littérature s’étant accru depuis quelques années, un genre nouveau s’est imposé dans les rayonnages de ma bibliothèque, le « paralittéraire ». Sont regroupés dans cette catégorie tous les travaux qui n’ont pas une identité littéraire propre – à l’inverse de la poésie, des romans ou du théâtre – mais qui s’attachent à l’écriture, l’édition, la lecture. Je sais que le terme « para-littérature » s’applique plutôt aux sous-genres romanesques, le policier, la science-fiction, le roman de terroir, etc… Catégories pour lesquelles les amateurs récusent l’appellation péjorative « sous-genre ». Le paralittéraire de cet article n’a rien à voir avec cette para-littérature : la catégorie comprend des biographies d’écrivain, des travaux sur le monde éditorial, la vie littéraire et quelques ouvrages inclassables. Comme pour les précédents volets de ce bilan, je ne détaillerai guère le contenu de ces quinze livres en rapport avec l’histoire littéraire ou éditoriale.

La biographie d’écrivain est un genre difficile. L’auteur doit parvenir à équilibrer le discours sur les oeuvres et le récit de vie, limiter, sans l’ignorer, l’analyse des ouvrages et comprendre quelles données biographiques ont pu influencer l’écrivain tout au long de sa carrière. Les quatre biographies abordées en 2009 répondent toutes à ce dilemme à leur manière. Bernard Crick, dans son ambitieuse biographie de George Orwell, lie, avec modestie et talent, le parcours personnel et politique d’Orwell à chacune de ses œuvres. Sans jamais prendre de libertés psychologisantes et interprétatives, il remet en perspective la courte carrière de l’écrivain et son engagement dans le socialisme anglais. Resté célèbre pour son dyptique La ferme des animaux / 1984, Orwell ne peut être limité à ces deux critiques de la Révolution léniniste et de la société totalisante. Son éloge de la common decency conduit sa sympathie naturelle pour les opprimés à ne pas s’exprimer dans les carcans théoriques et partisans, Orwell est une singularité dans l’histoire des gauches européennes, comme il est une singularité dans l’histoire littéraire anglaise. Le mérite immense de Crick est de remettre en perspective Orwell et son temps, en gardant une distance critique qui laisse l’intelligence du lecteur trier et juger. Crick, comme il l’explique dans un beau travail introductif de délimitation méthodologique, ne transforme pas cette biographie en roman. Il laisse béantes certaines incertitudes que d’autres s’empresseraient de combler, sacrifiant l’honnêteté de leur démarche à leurs extrapolations hasardeuses. Il serait difficile, sauf à connaître de nouveaux éléments biographiques, de raconter mieux Orwell que Bernard Crick ne le fait.

Le Ramon de Dominique Fernandez ne peut prétendre à la même qualité méthodologique. Fernandez, académicien septuagénaire, y évoque son père, intellectuel franco-mexicain collaborationniste, mort peu avant la Libération et oublié, comme ses livres, par le Saint-Germain de Sartre et Camus. Il cherche à comprendre comment un intellectuel complexe, mondain et socialiste, intelligent dans ses écrits mais brutal par ses actes, a pu se fourvoyer avec les gros bras du doriotisme. Dominique Fernandez enquête du côté des antécédents mexicains, du couple raté, des écrits critiques et littéraires, de l’homosexualité – obsession personnelle récurrente dans les livres de Dominique Fernandez – mais, malheureusement pour lui, il ne brise jamais l’écran d’incompréhension qui se dresse entre lui et son père. Le désir d’analyse du fils se voit opposer le silence du père : Fernandez se raccroche à quelques lambeaux, laissés par d’autres, extrapole, s’interroge, questionne.Les clés dont il dispose n’ouvrent pas les cadenas posés par son père 70 ans auparavant. Ecrite d’une plume alerte et informée, cette biographie ne pénètre jamais l’intimité et l’individualité de Fernandez. Sa femme, sa mère, ses amis ont pu parler de lui. Mais ils dressent alors un portrait qui ne convient pas avec ses actes. La dualité, cette dualité qui parcourt toute l’analyse de Dominique sur Ramon, saute aux yeux lorsque l’on compare la finesse critique, le sens de la mesure, l’admiration pour Proust et Bergson (pourtant peu en odeur de sainteté à l’extrême droite) aux panégyriques de Doriot, aux écrits politiques fascistes et au cabotinage de l’alcoolique germanopratin. Ces 800 pages ne suffisent pas à clarifier l’engagement bizarre de Ramon Fernandez dans le fascisme. Ramon, ce fasciste qui tresse les louanges du juif homosexuel Proust en 1943. Fernandez, cet admirateur de Bergson qui défend vaille que vaille Doriot, français sous l’uniforme allemand sur le front de l’est. Jamais Ramon ne nous apparaît crédible sous la plume de son fils. Si ce n’est vers la fin, alors que Dominique Fernandez semble lâcher prise à son désir d’analyse, et écoute un témoin direct des beuveries du Lipp. Il en ressort plus de vérité sur Ramon en quelques phrases que dans ces 800 pages. Cependant, et c’est là le paradoxe de ce livre, l’échec final de l’écrivain n’empêche pas de reconnaître la qualité de sa recherche. Ramon est un échec, mais il n’est pas un livre raté, loin de là! Dans ce Paris des intellectuels de l’avant-guerre, Dominique Fernandez retrace, avec quelques lacunes mais aussi beaucoup de finesse, le parcours d’un d’entre eux, aux côtés de Mauriac, de Martin du Gard et de Gide. Il peint aussi la société cultivée d’une époque révolue, montre la candeur de ses engagements et retrace les conséquences parfois tragiques de ses fourvoiements. Malgré son résultat final, cet ouvrage fascinant démontre que la réussite de l’écrivain peut parfois résider dans l’échec de son entreprise.

André Suarès de Robert Parienté (chroniqué ici) et Le phénomène Soljénitsyne (chroniqué ) ont bénéficié ici de notules suffisamment longues pour justifier les quelques propos lapidaires que je tiendrai ici sur eux. Parienté parle surtout de l’homme Suarès. N’ayant probablement pas les compétences littéraires pour traiter de son œuvre, il se cantonne prudemment au récit de vie. L’ensemble, pourtant informé, perd de ce fait un peu d’intérêt pour l’amateur de Suarès. Georges Nivat, à l’inverse, traite surtout de l’œuvre de Soljénitsyne, pourtant indissociable de sa vie. Cette biographie-analyse d’œuvres, construite autour de thématiques bien délimitées, fouillées et instructives sera pourtant indispensable à tous les lecteurs de l’ancien Prix Nobel de littérature.

Difficile de trouver un fil rouge pour les dix autres livres paralittéraires de 2009. Olivier Bessard-Banquy, La vie du livre contemporain, et Joëlle Gleize (dir.), La Pléiade, travail éditorial et valeur littéraire abordent la littérature du côté de ceux qui la vendent. Bessard-Banquy livre une chronique, plutôt bien écrite, des trente dernières années de l’édition française. Les dates sont bien choisies : elle s’ouvre avec la création d’Apostrophes – premier mouvement vers la massification et la surmédiatisation – et se clôt avec Houellebecq, et le lancement démesuré de La possibilité d’une île – dernière phase du mouvement ouvert par l’émission de Bernard Pivot -. L’auteur retrace la construction de groupes industriels éditoriaux, aux directions littéraires interchangeables, mais il narre aussi l’essor de phénomènes médiatiques temporaires – Pivot, Sulitzer, les auteurs Fixot – et de petites maisons d’édition audacieuses, dont Actes Sud est la figure de proue. Joëlle Gleize a dirigé le premier travail collectif sur la Rolls de l’édition française, La Pléiade. Si certains articles, sur l’histoire de la collection, l’évolution de son public et de son contenu, le travail de préparation des volumes sont passionnants, d’autres, verbeux et théoriques déçoivent.

Je déballe ma bibliothèque de Walter Benjamin vaut surtout pour son annexe – la liste des lectures du philosophe allemand tout au long de sa vie -, le reste étant une compilation d’articles sur les collections baroques de l’auteur. L’histoire de la littérature allemande de Hans Hartje aborde trop synthétiquement son sujet. Quelques notices biographiques mal construites, souvent à moitié consacrées à des considérations annexes et superflues, sont collées à des listes de titres, qui permettent de resituer vaguement Mann, Schiller ou Schlegel. L’uchronie (Coll. « 50 questions sur ») d’Eric Henriet n’avait guère d’intérêt pour moi, ayant lu voici quelques années son excellent travail L’histoire revisitée dont ce livre n’est malheureusement qu’un abstract. Le livre a néanmoins son intérêt pour les néophytes. Les dix règles d’écriture d’Elmore Leonard sont moins intéressantes que les amusantes illustrations qui les accompagnent et ne méritent nul détour. La Vie du lettré de William Marx aborde avec beaucoup d’humour et d’ironie la condition d’écrivain. A travers 24 thèmes de la vie quotidienne, Marx revisite l’histoire de la communauté littéraire et du « savoir-livre ». Stéphane Giocanti, biographe de Maurras, livre Une histoire politique de la littérature trop courte pour convaincre. La typologie des auteurs est bien pensée (prophètes, mystiques, idéologues,…) mais elle manque singulièrement de coffre pour laisser un souvenir net dans la mémoire du lecteur. Lecture du directeur de la Revue des Deux-Mondes Michel Crépu, constitue un agréable recueil d’impromptus littéraires et personnels. Quelques passages (Revel, Bourdieu) sont bien sentis, même si l’ensemble manque un peu d’envergure. Enfin, Vérités et mensonges en littérature de Stephen Vizinczey, est un recueil de critiques littéraires, assez combattives, sur Kleist, Stendahl, Goethe ou Dostoïevski.