La Bibliothèque de la Pléiade

Version du 30 octobre 2015

Version du 19 février 2016

Version du 29 mars 2016

En décembre 2013, j’écrivis une modeste note consacrée à la politique éditoriale de la célèbre collection de Gallimard, « La Bibliothèque de la Pléiade », dans laquelle je livrais quelques observations plus ou moins judicieuses à ce propos. Petit à petit, par l’effet de mon bon positionnement sur le moteur de recherche Google et du manque certain d’information officielle sur les prochaines publications, rééditions ou réimpressions de la collection, se sont agrégés, dans la section « commentaires » de cette chronique, de nombreux amateurs. Souvent bien informés – mieux que moi – et décidés à partager les informations dont Gallimard est parfois avare, ils ont permis à ce site de proposer une des meilleures sources de renseignement officieuses à ce sujet. Comme le fil de discussions commençait à être aussi dense que long (près de 100 commentaires), et donc difficile à lire pour de nouveaux arrivants, j’ai pensé qu’il pourrait être intéressant, pour les nombreuses personnes qui trouvent mon blog par des requêtes afférentes à la « Pléiade », que toutes les informations soient regroupées sur cette page. Les commentaires y sont ouverts et, à l’exception de ce chapeau introductif, les informations seront mises à jour régulièrement. Les habitués de l’autre note sont invités à me signaler oublis ou erreurs, j’ai mis un certain temps à tout compiler, j’ai pu oublier des choses.

Cette page, fixe, ne basculera pas dans les archives du blog et sera donc accessible en permanence, en un clic, dans les onglets situés en dessous du titre du site.

Je tiens à signaler que ce site est indépendant, que je n’ai aucun contact particulier avec Gallimard et que les informations ici reprises n’ont qu’un caractère officieux et hypothétique (avec divers degrés de certitude, ou d’incertitude, selon les volumes envisagés). Cela ne signifie pas que l’information soit farfelue : l’équipe de la Pléiade répond aux lettres qu’on lui adresse ; elle diffuse aussi au compte-gouttes des informations dans les médias ou sur les salons. D’autre part, certains augures spécialistes dans la lecture des curriculums vitae des universitaires y trouvent parfois d’intéressantes perspectives sur une publication à venir. Le principe de cette page est précisément de réunir toutes ces informations éparses en un seul endroit.

J’y inclus aussi quelques éléments sur le patrimoine de la collection (les volumes « épuisés » ou « indisponibles ») et, à la mesure de mes possibilités, sur l’état des stocks en magasin (c’est vraiment la section pour laquelle je vous demanderai la plus grande bienveillance, je le fais à titre expérimental : je me repose sur l’analyse des stocks des libraires indépendants et sur mes propres observations). Il faut savoir que Gallimard édite un volume en une fois, écoule son stock, puis réimprime. D’où l’effet de yo-yo, parfois, des stocks, à mesure que l’éditeur réimprime (ou ne réimprime pas) certains volumes. Les tirages s’épuisent parfois en huit ou dix ans, parfois en trente ou quarante (et ce sont ces volumes, du fait de leur insuccès, qui deviennent longuement « indisponibles » et même, en dernière instance, « épuisés »).

Cette note se divise en plusieurs sections, de manière à permettre à chacun de se repérer plus vite (hélas, WordPress, un peu rudimentaire, ne me permet pas de faire en sorte que vous puissiez basculer en un clic de ce sommaire vers les contenus qu’ils annoncent) :

I. Le programme à venir dans les prochains mois

II. Les publications possibles ou attendues ; les séries en cours

III. Les volumes « épuisés »

IV. Les rééditions

V. Les volumes « indisponibles provisoirement »

VI. Les volumes « en voie d’indisponibilité »

Cette page réunit donc des informations sur le programme et le patrimoine de la collection.

Les mises à jour correspondent à un code couleur, indiqué en ouverture de note (ce qui évite à l’habitué de devoir tout relire pour trouver mes quelques amendements). La prochaine mise à jour aura lieu dans quelques temps, lorsque le besoin s’en fera sentir.

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I. Le programme à venir dans les prochains mois

Le programme du premier semestre 2016 est officiellement connu et publié sur le site officiel.

->Henry James : Un Portrait de femme et autres romans. Après la publication des Nouvelles complètes, Gallimard décide donc de proposer plusieurs romans de l’épais corpus jamesien. Le volume comprend quatre romans : Roderick Hudson (1876), Les Européens (1878), Washington Square (1880) et Portrait de femme (1881). La perspective de publication semble à la fois chronologique et thématique. Elle n’est pas intégrale puisque sont exclus trois romans contemporains du même auteur : Le Regard aux aguets (1871), L’Américain (1877) et Confiance (1879). En cas de succès, il paraît probable que ce volume soit néanmoins suivi d’un ou deux autres, couvrant la période 1886-1905.

On peut imaginer que le(s) volume(s) à venir comprendra/comprendront Les Bostoniennes, Ce que savait Maisie, Les Ambassadeurs, Les Ailes de la Colombe ou La Coupe d’Or, mais comme certains de ces ouvrages ont été retraduits, fort récemment, par Jean Pavans, il est difficile d’établir avec certitude ce que fera la maison Gallimard du reste de l’œuvre. La solution la plus cohérente serait de publier deux autres tomes (voire trois…).

->Mario Vargas Llosa : Œuvres romanesques I et II. M. Vargas Llosa a beaucoup publié, souvent d’épais romans (ou mémoires – comme le très recommandable Le Poisson dans l’eau). La Pléiade ne proposera qu’une sélection de huit romans parmi la vingtaine du corpus. Le premier tome couvre la période 1963-1977 et comprend La Ville et les chiens (1963), La Maison verte (1965), Conversation à La Cathedral » (1969) et La Tante Julia et le scribouillard (1977). Le deuxième tome s’étend de 1981 à 2006 et a retenu La Guerre de la fin du monde (1981), La Fête au bouc (2000), Le Paradis un peu plus loin (2003) et Tours et détours de la vilaine fille (2006).

Il faut noter l’absence des Chiots, de l’Histoire de Mayta et de Lituma dans les Andes, ainsi que des derniers romans parus. De ce que je comprends de l’entretien donné par M. Vargas Llosa au Magazine Littéraire (février 2016), cette sélection a été faite voici dix ans. Cela peut expliquer quelques lacunes. Entre autres choses, le Nobel 2010 de littérature dit aussi que, pour lui, féru de littérature française et amateur de la Bibliothèque de la Pléiade depuis les années 50, il fut plus émouvant de savoir qu’il entrerait dans cette collection que de se voir décerner le Nobel de littérature. Il faut dire qu’à la Pléiade, pour une fois, il précède son vieux rival Garcia Marquez – dont les droits sont au Seuil.

-> en coffret, les deux volumes des Œuvres complètes de Jorge Luis Borges, déjà disponibles à l’unité.

-> Jules Verne (III)Voyage au centre de la terre et autres romans. L’œuvre de Verne a fait l’objet de deux volumes en 2012 ; un troisième viendra donc les rejoindre, signe que cette publication, un peu contestée pourtant, a eu du succès. Quatre romans figurent dans ce tome : Voyage au centre de la terre (1864) ; De la terre à la lune (1865) ; Autour de la lune (1870) et, plus étonnant, Le Testament d’un excentrique (1899), un des derniers romans de l’auteur – où figure en principe une sorte de jeu de l’oie, avec pour thème les États-Unis d’Amérique (qui ne sera peut-être pas reproduit).

Un quatrième tome est-il envisagé ? Je ne sais.

-> Shakespeare, Comédies II et III (Œuvres complètes VI et VII). Gallimard continue la publication des œuvres complètes du Barde en cette année du quatre centième anniversaire de sa mort. L’Album de la Pléiade lui sera également consacré. C’est une parution logique et que nous avions, ici même, largement anticipée (ce « nous » n’est pas un nous de majesté, mais une marque de reconnaissance envers les commentateurs réguliers ou irréguliers de cette page, qui proposent librement leurs informations ou réflexions à propos de la Pléiade).

Le tome II des Comédies (VI) comprend Les Joyeuses épouses de Windsor, Beaucoup de bruit pour rien, Comme il vous plaira, La Nuit des rois, Mesure pour mesure, et Tout est bien qui finit bien.

Le tome III des Comédies (VII) comprend Troïlus et Cressida, Périclès, Cymbeline, Le Conte d’hiver, La Tempête et Les Deux Nobles Cousins.

J’ai annoncé un temps que les poèmes de Shakespeare seraient joints au volume VII des Œuvres complètes, ce ne sera pas le cas. Ils feront l’objet d’un tome VIII, à venir. Ce corpus de poésies étant restreint (moins de 300 pages, ce me semble, dans l’édition des années 50, déjà enrichie de divers essais et textes sur l’œuvre), il est probable qu’il sera accompagné d’un vaste dossier documentaire, comme Gallimard l’a fait pour les rééditions Rimbaud et Lautréamont, ou pour la parution du volume consacré à François Villon.

Le programme du second semestre 2016 a filtré ici ou là, via des « agents » commerciaux ou des vendeurs de Gallimard. Nous pouvons l’annoncer ici avec une relative certitude.

-> Après Sade et Cervantès, le tirage spécial sera consacré à André Malraux, mort voici quarante ans. Il reprendra La Condition humaine, et, probablement les romans essentiels de l’écrivain (L’Espoir, La Voie royale, Les Conquérants). Ces livres sont dispersés actuellement dans les deux premiers des six volumes consacrés à Malraux.

Je reste, à titre personnel, toujours aussi dubitatif à l’égard de cette sous-collection.

–> Premiers Écrits chrétiens, dont le maître d’œuvre est Bernard Pouderon ; selon le site même de la Pléiade, récemment et discrètement mis à jour, le contenu du volume sera composé des textes de divers apologistes chrétiens, d’expression grecque ou latine : Hermas, Clément de Rome, Athénagore d’Athènes, Méliton de Sardes, Irénée de Lyon, Tertullien, etc. Ce volume  n’intéressera peut-être que modérément les plus littéraires d’entre nous ; il pérennise toutefois la démarche éditoriale savante poursuivie avec les Premiers écrits intertestamentaires ou les Écrits gnostiques.

Pour l’anecdote, Tertullien seul figurait déjà à la Pléiade italienne, dans un épais et coûteux volume ; ici, il n’y aura bien évidemment qu’une sélection de ses œuvres.

–> Certains projets sont longuement mûris, parfois reportés, et souvent attendus des années durant par le public de la collection. D’autres, inattendus surprennent ; à peine annoncés, les voici déjà publiés. C’est le cas, nous nous en sommes faits l’écho ici-même, de Jack London. Dès cet automne, deux volumes regrouperont les principaux de ses romans, dont, selon toute probabilité Croc-blanc, L’Appel de la forêt et Martin Eden. Le programme précis des deux tomes n’est pas encore connu.

L’entrée à la Pléiade de l’écrivain américain a suscité un petit débat entre amateurs de la collection, pas toujours convaincus de la pertinence de cette parution, alors que deux belles intégrales existent déjà, chez Robert Laffont (coll. Bouquins) et Omnibus.

-> enfin, s’achèvera un très long projet, la parution des œuvres de William Faulkner, entamée en 1977, et achevée près de quarante ans plus tard. Avec la parution des Œuvres romanesques V, l’essentiel de l’œuvre de Faulkner sera disponible à la Pléiade. Ce volume contiendra probablement La Ville, Le Domaine, Les Larrons ainsi que quelques nouvelles.

Comme souvent, la Pléiade fait attendre très longtemps son public ; mais enfin, elle est au rendez-vous, c’est bien là l’essentiel.

Cette année 2016 est assez spéciale dans l’histoire de la Pléiade, car neuf volumes sur dix sont des traductions, ce qui est un record ; l’album est également consacré à un écrivain étranger, ce qui n’est pas souvent arrivé (Dostoïevski en 1975, Carroll en 1990, Faulkner en 1995, Wilde en 1996, Borges en 1999, les Mille-et-une-nuits en 2005).

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Le domaine français fera néanmoins son retour en force en 2017, avec la parution (selon des sources bien informées) de :

-> Perec, Œuvres I et II. Georges Perec ferait également l’objet de l’Album de la Pléiade. Voici quelques années déjà que l’on parle de cette parution. Des citations de Georges Perec ont paru dans les derniers agendas, M. Pradier m’avait personnellement confirmé en 2012 que les volumes étaient en cours d’élaboration pour 2013/14 ; il est donc grand temps qu’ils paraissent.

Que contiendront-ils ? L’essentiel de l’œuvre romanesque, selon toute vraisemblance (La Disparition, La vie, mode d’emploi, Les Choses, W ou le souvenir d’enfance, etc.). Le Condottiere, ce roman retrouvé par hasard récemment y sera-t-il ? Je ne le sais pas, mais c’est possible (et c’est peut-être même la raison du retard de parution).

-> Tournier, Œuvres (I et II ?). Michel Tournier l’avait confirmé lui-même ici ou là, ses œuvres devaient paraître d’ici la fin de la décennie à la Pléiade. Sa mort récente peut avoir « accéléré » le processus ; preuve en est que Pierre Assouline, très au fait de la politique de la maison Gallimard, a évoqué, sur son site et dans son hommage à l’auteur, la parution pour 2016 de ces deux volumes. Il s’est peut-être un peu trop avancé, mais selon nos informations, un volume (au moins) paraîtrait au premier semestre 2017 (ou bien les deux ? rien n’est certain à cet égard), ce qu’Antoine Gallimard a confirmé au salon du livre.

-> Quand on aime la Pléiade, il faut être patient. Après dix-sept ans d’attente, depuis la parution du premier volume, devrait enfin sortir des presses le tome Nietzsche II. Cette série a été ralentie par les diverses turpitudes connues par les éditeurs du volume. La direction de ce tome, et du suivant, est assurée par Marc de Launay et Dorian Astor.

Cela fait quatre ou cinq tomes, soit l’essentiel du premier semestre. D’autres volumes sont attendus, mais sans certitude, pour un avenir proche, peut-être au second semestre 2016 :

-> Flaubert IV : la série est en cours (voir plus bas), le volume aurait été rendu à l’éditeur. On évoquait ici-même sa parution pour 2015.

-> Nimier, Œuvres. Je n’oublie pas que l’Agenda 2014 arborait une citation de Nimier, ce qui indique une parution prochaine.

-> Beauvoir, Œuvres autobiographiques. Ce projet se confirme d’année en année : annoncé par les représentants Gallimard vers 2013-2014, il est attesté par la multiplication des mentions de Simone de Beauvoir dans l’agenda 2016 (cinq, dans « La vie littéraire voici quarante ans », qui ouvre le volume). Gallimard est coutumier du fait : il communique par discrètes mentions d’auteurs inédits, dans les agendas, que les pléiadologues décryptent comme, jadis, les kremlinologues analysaient le positionnement des hiérarques soviétiques lors des défilés du 1er mai.

-> Leibniz : un volume d’Œuvres littéraires et philosophiques s’est vu attribuer un numéro d’ISBN (cf. sur Amazon). C’est un projet qui avait été évoqué dans les années 80, mais plus rien n’avait filtré le concernant depuis. Je n’ai (toujours) pas trouvé de mention de ce volume dans des CV d’universitaires. Comme pour Nietzsche II, je tiens cette sortie pour possible (ISBN oblige) mais encore incertaine. Cependant, le site Amazon indique une parution au 1er mars… 1997 : n’est-ce pas là, tout simplement, un vieux projet avorté, et dont l’ISBN n’a jamais été annulé ? À bien y réfléchir, l’abandon est tout à fait plausible.

-> D’autres séries sont en cours et pourraient être complétées : Brontë III, Stevenson III, Nabokov III, la Correspondance de Balzac III. D’autres séries, en panne, ne seront pas plus complétées en 2016 que les années précédentes (cf. plus bas) : Vigny III, Luther II, la Poésie d’Hugo IV et V, les Œuvres diverses III de Balzac, etc.

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II. Les publications possibles ou attendues ; les séries en cours

a) Nouveaux projets et rééditions

Les volumes que je vais évoquer ont été annoncés ici ou là, par Gallimard. Si dix nouveaux volumes de la Pléiade paraissent chaque année, vous le constaterez, la masse des projets envisagés énumérés ci-dessous nous mène bien au-delà de 2020.

–> un choix de Correspondance de Sade ;

–> les œuvres romanesques de Philip Roth, en deux volumes ; une mention de Roth, dans l’agenda 2016, atteste que ce projet est en cours.

–> l’Anthologie de la poésie américaine ; les traducteurs y travaillent depuis un moment ;

–> une nouvelle édition des œuvres de Descartes et de la Poésie d’Apollinaire (direction Étienne-Alain Hubert) ; Jean-Pierre Lefebvre travaille en ce moment sur une retraduction des œuvres de Kafka, une nouvelle édition est donc à prévoir (les deux premiers tomes seulement ? les quatre ?) ; une nouvelle version de L’Histoire de la Révolution française, de Jules Michelet est en cours d’élaboration également ;

–> Une autre réédition qui pourrait bien être en cours, c’est celle des œuvres de Paul Valéry, qui entreront l’an prochain dans le domaine public ; certains indices dans le Paul Valéry : une Vie, de Benoît Peeters, récemment paru en poche, peuvent nous en alerter ; la réédition des Cahiers, autrefois épuisés, n’est certes pas un « bon » signe (cela signifie que Gallimard ne republiera pas de version amendée d’ici peu – ce qui ne serait pourtant pas un luxe, l’édition étant ancienne, partielle et, admettons-le, peu accessible) ; en revanche, les Œuvres pourraient faire l’objet d’une révision, comme l’ont été récemment les romans de Bernanos ou les pièces et poèmes de Péguy. La publication de la Correspondance de Valéry pourrait être une excellente idée, d’un intérêt certain – mais c’est là seulement l’opinion du Lecteur (Valéry y est plus vif, moins sanglé que dans ses œuvres).

–> Tennessee Williams, probablement dirigée par Jean-Michel Déprats ; une mention discrète dans l’agenda 2016 tend à confirmer cette parution à venir ;

–> Blaise Cendrars, un troisième volume, consacré à ses romans (les deux premiers couvraient les écrits autobiographiques) ; selon le CV de Mme Le Quellec, collaboratrice de cette édition, ce volume paraîtrait en 2017 ;

–> George Sand : une édition des œuvres romanesques serait en cours ; l’équipe est constituée.

–> De même, Michel Onfray a évoqué par le passé, dans un entretien, l’éventuelle entrée d’Yves Bonnefoy à la Pléiade. Ce projet est littérairement crédible, d’autant plus que l’Agenda 2016 cite plusieurs fois Bonnefoy. Je suppose qu’il s’agira d’Œuvres poétiques complètes, ne comprenant pas les nombreux ouvrages de critique littéraire. Quelque aventureux correspondant a posé franchement la question auprès de Gallimard, qui lui a répondu que Bonnefoy était bien en projet.

-> Il faut également s’attendre à l’entrée à la Pléiade du médiéviste Georges Duby. Une information avait filtré en ce sens dans un numéro du magazine L’Histoire ; cette évocation dans l’agenda, redoublée, atteste de l’existence d’un tel projet. J’imagine plutôt cette parution en un tome (ou en deux), comprenant plusieurs livres parmi Seigneurs et paysans, La société chevaleresque, Les Trois ordres, Le Dimanche de Bouvines, Guillaume le Maréchal, et Mâle Moyen Âge.

-> Le grand succès connu par le volume consacré à Jean d’Ormesson (14 000 exemplaires vendus en quelques mois) donne à Gallimard une forme de légitimité pour concevoir un second volume ; les travaux du premier ayant été excessivement vite (un ou deux ans), il est possible de voir l’éditeur publier ce deuxième tome dès 2017…

-> Jean-Yves Tadié a expliqué, en 2010, dans le Magazine littéraire, qu’il s’occupait d’une édition de la Correspondance de Proust en deux tomes. Cette perspective me paraît crédible et point trop ancienne. À confirmer.

–> Textes théâtraux du moyen âge ; en deux volumes, j’en parle plus bas, c’est une vraie possibilité, remplaçant Jeux et Sapience, actuellement « indisponible ». La nouvelle édition, intitulée Théâtre français du Moyen Âge est dirigée par J.-P.Bordier.

–> Soseki ; le public français connaît finalement assez mal ce grand écrivain japonais ; pourtant sa parution en Pléiade, une édition dirigée par Alain Rocher, est très possible. Elle prendra deux volumes, et les traductions semblent avoir été rendues.

–> Si son vieux rival Mario Vargas Llosa vient d’avoir les honneurs de la collection, cela ne signifie pas que Gabriel Garcia Marquez soit voué à en rester exclu. Dans un proche avenir, la Pléiade pourrait publier une sélection des principaux romans de l’écrivain colombien.

–>Enfin, et c’est peut-être le scoop de cette mise à jour, selon nos informations, officieuses bien entendu, il semblerait que les Éditions de Minuit et Gallimard aient trouvé un accord pour la parution de l’œuvre de Samuel Beckett à la Pléiade, un projet caressé depuis longtemps par Antoine Gallimard. Romans, pièces, contes, nouvelles, en français ou en anglais, il y a là matière pour deux tomes (ou plus ?). Il nous faut désormais attendre de nouvelles informations.

Cette première liste est donc composée de volumes dont la parution est possible à brève échéance (d’ici 2019).

Je la complète de diverses informations qui ont circulé depuis trente ans sur les projets en cours de la Pléiade : les « impossibles » (abandonnés), les « improbables » (suspendus ou jamais mis en route), « les possibles » (projet sérieusement évoqué, encore récemment, mais sans attestation dans l’Agenda et sans équipe de réalisation identifiée avec certitude).

A/ Les (presque) impossibles

-> Textes philosophiques indiens fondamentaux ; une édition naguère possible (le champ indien a été plutôt enrichi en 20 ans, avec le Ramayana et le Théâtre de l’Inde Ancienne), mais plutôt risquée commercialement et donc de plus en plus incertaine dans le contexte actuel. Zéro information récente à son sujet.

–> Xénophon ; cette parution était très sérieusement envisagée à l’époque du prédécesseur de M. Pradier, arrivé à la direction de la Pléiade en 1996 ; elle a été au mieux suspendue, au pire abandonnée.

–> Écrits Juifs (textes des Kabbalistes de Castille) ; très improbable en l’état économique de la collection.

–> Mystiques médiévaux ; aucune information depuis longtemps.

–> Maître Eckhart ; la Pléiade doit avoir renoncé, d’autant plus que j’ai noté la parution, au Seuil, cet automne 2015, d’un fort volume de 900 pages consacré aux sermons, traités et poèmes de Maître Eckhart ; projet abandonné.

–> Joanot Martorell ; le travail accompli sur Martorell a été basculé en « Quarto », un des premiers de la collection ; la Pléiade ne le publiera pas, projet abandonné.

–> Chaucer ; projet abandonné de l’aveu de son maître d’œuvre (le travail réalisé par les traducteurs a pu heureusement être publié, il est disponible via l’édition Bouquins, parue en 2010).

-> Vies et romans d’Alexandre est un volume qui a été évoqué depuis vingt-cinq ans, sans résultat tangible à ce jour. Jean-Louis Bacqué-Grammont et Georges Bohas étaient supposés en être les maîtres d’œuvre. Une mention récente dans Parole de l’orient (2012) laisse à penser que le projet a été abandonné. En effet, une partie des traductions a paru en 2009 dans une édition universitaire et l’auteur de l’article explique que ce « recueil était originellement prévu pour un ouvrage collectif devant paraître dans la Pléiade ». C’est mauvais signe.

Ces huit volumes me paraissent abandonnés.

B/ Les improbables

–> Aimé Césaire, Léon Gontran Damas et Léopold Sedar Senghor ; ce tome était attendu pour 2011 ou 2012, le projet semble mettre un peu plus de temps que prévu. Selon quelques informations recueillies depuis, il semble que, malgré l’effet d’annonce, la réalisation ce volume n’a jamais été vraiment lancée.

–> Saikaku ; quelques informations venues du traducteur, M. Struve, informations vieilles maintenant de dix ans ; notre aruspice de CV, Geo, est pessimiste, du fait du changement opéré dans l’équipe de traduction en cours de route.

–> Carpentier ; cela commence à faire longtemps que ce projet est en cours, trop longtemps (plus de quinze ans que Gallimard l’a évoqué pour la première fois). Carpentier est désormais un peu oublié (à tort). Ce projet ne verra probablement pas le jour.

–> Barrès ; peu probable, rien ne l’a confirmé ces derniers temps…

–> la perspective de la parution d’un volume consacré à Hugo von Hofmannsthal avait été évoquée dans les années 90 (par Jacques Le Rider dans la préface d’un Folio). La Pochothèque et l’Arche se sont occupés de republier l’écrivain autrichien. Cette parution me paraît abandonnée.

–> En 2001, Mme Naudet s’est chargée du catalogage des œuvres de Pierre Guyotat en vue d’une possible parution à la Pléiade. Je ne pense pas que cette réflexion, déjà ancienne, ait dépassé le stade de la réflexion. Gallimard a visiblement préféré le sémillant d’Ormesson au ténébreux Guyotat.

-> Voici quelques années, M. Pradier, le directeur de la collection avait évoqué diverses possibilités pour la Pléiade : Pétrarque, Leopardi et Chandler. Ce n’étaient là que pistes de réflexions, il n’y a probablement pas eu de suite. Un volume Pétrarque serait parfaitement adapté à l’image de la collection et son œuvre y serait à sa place. Je ne sais pas si la perspective a été creusée. Boccace manque aussi, d’ailleurs. Pour Leopardi, le fait qu’Allia n’ait pas réussi à écouler le Zibaldone et la Correspondance (bradée à 25€ désormais) m’inspirent de grands doutes. Le projet serait légitime, mais je suis pessimiste – ce qui est logique en parlant de l’infortuné poète bossu. Enfin, Chandler a fait l’objet depuis d’un Quarto, et même s’il est publié aux Meridiani (pléiades italiens), je ne crois pas à sa parution en Pléiade.

Ces neuf volumes me paraissent incertains. Abandon possible (ou piste de réflexion pas suivie).

C/ Les plausibles

–> Nathaniel Hawthorne ; à la fois légitime (du fait de l’importance de l’auteur), possible (du fait du tropisme américain de la Pléiade depuis quelques années) et annoncé par quelques indiscrétions ici ou là. On m’a indiqué, parmi l’équipe du volume, les possibles participations de M. Soupel et de Mme Descargues.

-> Le projet de parution d’Antonin Artaud à la Pléiade a été suspendu au début des années 2000, du fait des désaccords survenus entre la responsable du projet éditorial et les ayants-droits de l’écrivain ; il devrait entrer dans le domaine public au 1er janvier 2019 et certains agendas ont cité Artaud par le passé ; un projet pourrait bien être en cours, sinon d’élaboration, tout du moins de réflexion.

–> Romain Gary, en deux tomes, d’ici la fin de la décennie.

–> Kierkegaard ; deux volumes, traduits par Régis Boyer, maître ès-Scandinavie ; on n’en sait pas beaucoup plus et ce projet est annoncé depuis très longtemps.

–> Jean Potocki ; la découverte d’un second manuscrit a encore ralenti le serpent de mer (un des projets les plus anciens de la Pléiade à n’avoir jamais vu le jour).

–> Thomas Mann ; il faudrait de nouvelles traductions, et les droits ne sont pas chez Gallimard (pas tous en tout cas) ; Gallimard attend que Mann tombe dans le domaine public (une dizaine d’années encore…), selon la lettre que l’équipe de la Pléiade a adressé à un des lecteurs du site.

–> Le dit du Genji, informations contradictoires. Une nouvelle traduction serait en route.

–> Robbe-Grillet : selon l’un de nos informateurs, le projet serait au stade de la réflexion.

–> Huysmans : Michel Houellebecq l’a évoqué dans une scène son dernier roman, Soumission ; le quotidien Le Monde a confirmé que l’écrivain avait été sondé pour une préface aux œuvres (en un volume ?) de J.K.Huysmans, un des grands absents du catalogue. Le projet serait donc en réflexion.

–> Ovide : une nouvelle traduction serait prévue pour les années à venir, en vue d’une édition à la Pléiade.

–> « Tigrane », un de nos informateurs, a fait état d’une possible parution de John Steinbeck à la Pléiade. Information récente et à confirmer un jour.

–> Calvino, on sait que la veuve de l’écrivain a quitté le Seuil pour Gallimard en partie pour un volume Pléiade. Édition possible mais lointaine.

–> Lagerlöf, la Pléiade n’a pas fermé la porte, et un groupe de traducteurs a été réuni pour reprendre ses œuvres. Édition possible mais lointaine.

Enfin, j’avais exploré les annonces du catalogue 1989, riche en projets, donc beaucoup ont vu le jour. Suivent ceux qui n’ont pas encore vu le jour (et qui ne le verront peut-être jamais) – reprise d’un de mes commentaires de la note de décembre 2013.

– Akutagawa, Œuvres, 1 volume (le projet a été abandonné, vous en trouverez des « chutes » ici ou là)
Anthologie des poètes du XVIIe siècle, 1 volume (je suppose que le projet a été fondu et  dans la réfection de l’Anthologie générale de la poésie française ; abandonné)
Cabinet des Fées, 2 volumes (mes recherches internet, qui datent un peu, m’avaient laissé supposer un abandon complet du projet)
– Chénier, 1 volume, nouvelle édition (abandonné, l’ancienne édition est difficile à trouver à des tarifs acceptables – voir plus bas)
Écrits de la Mésopotamie Ancienne, 2 volumes (probablement abandonné, et publié en volumes NRF « Bibliothèque des histoires » – courants et néanmoins coûteux, dans les années 90)
– Kierkegaard, Œuvres littéraires et philosophiques complètes, 3 volumes (serpent de mer n°1)
– Laforgue, Œuvres poétiques complètes, 1 volume (abandonné, désaccord avec le directeur de l’ouvrage, le projet a été repris, en 2 coûteux volumes, par L’Âge d’Homme)
– Leibniz, Œuvres, 3 volumes : un ISBN attribué à un volume Leibniz a récemment été découvert. Les possibilités d’édition de Leibniz dans la Pléiade, avec une envergure moindre, sont donc remontées.
– Montherlant, Essais, Volume II (voir plus bas)
Moralistes français du XVIIIe siècle, 2 volumes (aucune information récente, abandonné)
Orateurs de la Révolution Française, volume II (mis en pause à la mort de François Furet… en 1997 ! et donc abandonné)
– Potocki, Manuscrit trouvé à Saragosse, 1 volume (serpent de mer n°1 bis)
– Chunglin Hsü, Roman de l’investiture des Dieux, 2 volumes (pas de nouvelles, le dernier roman chinois paru à la Pléiade, c’était Wu Cheng’en en 1991, je penche pour l’abandon du projet)
– Saïkaku, Œuvres, 2 volumes (cas exploré plus haut)
– Sôseki, Œuvres, 2 volumes (cas exploré plus haut)
– Tagore, Œuvres, 2 volumes (le projet a été officiellement abandonné)
Théâtre Kabuki, 1 volume (très incertain, aucune information à ce sujet)
Traités sanskrits du politique et de l’érotique (Arthasoutra et Kamasoutra), 1 volume (idem)
– Xénophon, Œuvres, 1 volume (évoqué plus haut)

b) Les séries en cours :

Attention, je n’aborde ici que les séries inédites. J’évoque un peu plus bas, dans la section IV-b, le cas des séries en cours de réédition, soit exhaustivement : Racine, La Fontaine, Vigny, Balzac, Musset, Marivaux, Claudel, Shakespeare et Flaubert.

Aragon : l’éventualité de la publication un huitième volume d’œuvres, consacré aux écrits autobiographiques, a pu être discutée ; elle est actuellement, selon toute probabilité, au stade de l’hypothèse.

Aristote : le premier tome est sorti en novembre 2014, sans mention visuelle d’un quelconque « Tome I ». Le catalogue parle pourtant d’un « tome I », mais il a déjà presque un an, l’éditeur a pu changer d’orientation depuis. La suite de cette série me paraît conditionnelle et dépendante du succès commercial du premier volume. Néanmoins, les maîtres d’œuvre évoquent, avec certitude, la parution à venir des tomes II et III et l’on sait désormais que Gallimard ne souhaite plus numéroter ses séries qu’avec parcimonie. Il ne faut pas être pessimiste en la matière, mais prudent. En effet, la Pléiade a parfois réceptionné les travaux achevés d’éditeurs pour ne jamais les publier (cas Luther, voir quelques lignes plus bas).

Brecht : l’hypothèse d’une publication du Théâtre et de la Poésie, née d’annonces vieilles de 25 ans, est parfaitement hasardeuse. La mode littéraire brechtienne a passé et l’éditeur se contentera probablement d’un volume bizarre d’Écrits sur le théâtre. Dommage qu’un des principaux auteurs allemands du XXe siècle soit ainsi mutilé.

Brontë :  Premier volume en 2002, deuxième en 2008, il en reste un, Shirley-Villette. Il n’y a pas beaucoup d’information à ce sujet, mais le délai depuis le tome 2 est normal, il n’y a pas d’inquiétude à avoir pour le moment. La traduction de Villette serait achevée.

Calvin : L’Institution de la religion chrétienne est absent du tome d’Œuvres. Aucun deuxième volume ne semble pourtant prévu.

Cendrars : voir plus haut, un volume de Romans serait en cours de préparation.

Écrits intertestamentaires : un second volume, dirigé par Marc Philonenko, serait en chantier, et quelques traductions déjà achevées.

Giraudoux : volume d’Essais annoncé au début des années 90. Selon Jacques Body, maître d’œuvre des trois volumes, et que j’ai personnellement contacté, ce quatrième tome n’est absolument pas en préparation. Projet abandonné.

Gorki : même situation que Brecht et Faulkner, réduction de voilure du projet depuis son lancement. Suite improbable.

Green : je l’évoque plus bas, dans les sections consacrées aux volumes « indisponibles » et aux volumes en voie d’indisponibilité. Les perspectives de survie de l’œuvre dans la collection sont plutôt basses. Aucun tome IX et final ne devrait voir le jour.

Hugo : Œuvres poétiques, IV et V, « en préparation » depuis 40 ans (depuis la mort de Gaëtan Picon). Les œuvres de Victor Hugo auraient besoin d’une sérieuse réédition, la poésie est bloquée depuis qu’un désaccord est survenu avec les maîtres d’ouvrage de l’époque. Il est fort improbable que ce front bouge dans les prochaines années, mais Gallimard maintient les « préparer » à chaque édition de son catalogue. À noter que le 2e tome du Théâtre complet, longtemps indisponible, est à nouveau dans les librairies.

Luther : Le tome publié porte le chiffre romain I. Une suite est censée être en préparation mais l’insuccès commercial de ce volume (la France n’est pas un pays de Luthériens) a fortement hypothéqué le second volume. Personne n’en parle plus, ni les lecteurs, ni Gallimard. Suite improbable. D’autant plus que M. Arnold, le maître d’œuvre explique sur son CV avoir rendu le Tome II… en 2004 ! Ces dix années entre la réception du tapuscrit et la publication indiquent que Gallimard a certainement renoncé. Projet abandonné.

Marx : Les Œuvres complètes se sont arrêtées avec le Tome IV (Politique I). L’éditeur du volume est mort, la « cote » de Marx a beaucoup baissé, il est improbable que de nouveaux volumes paraissent à l’avenir, le catalogue ne défend même plus cette idée par une mention « en préparation ». Série probablement arrêtée.

Montherlant : Essais, tome II. Le catalogue évoque toujours un tome I. Aucune mention de préparation n’est présente (contrairement à ce que les catalogues de la fin des années 2000 annonçaient). Le premier volume a été récemment retiré (voir plus bas, dans la section « rééditions »), tout comme les volumes des romans. Perspective improbable néanmoins.

Nietzsche : Œuvres complètes, d’abord prévues en 5 tomes, puis réduites à 3 (c’est annoncé au catalogue). Le premier volume a paru en 2000. Le deuxième devrait paraître au premier semestre 2017 (information officieuse et à confirmer).

Orateurs de la Révolution française : paru en 1989 pour le bicentenaire de la Révolution, ce premier tome, consacré à des orateurs de la Constituante, n’a pas eu un grand succès commercial. François Furet, son éditeur scientifique, est mort depuis. Tocqueville, son autre projet, a été retardé quelques années, mais a pu s’achever. Celui-ci ne le sera pas. Suite abandonnée.

Queneau : en principe, ont paru ses Œuvres complètes, en trois tomes, mais le Journal n’y est pas, pas plus que ses articles et critiques. Un quatrième tome, non annoncé par la Pléiade, est-il néanmoins possible ? Aucune information à ce sujet.

Sand : un volume de Romans est en préparation (cf. plus haut).

Stevenson : un troisième tome d’Œuvres est en préparation. Le deuxième volume a paru en 2005 déjà, il serait temps que le troisième (et dernier) sorte dans les librairies.

Supervielle : une édition des Œuvres en 2 volumes avait été initialement prévue, la poésie est sortie en 1996, le reste doit être abandonné.

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III. Les volumes « épuisés »

Ces volumes ne sont plus disponibles sur le marché du livre neuf. Gallimard ne compte pas les réimprimer. Cette politique est assortie de quelques exceptions, imprévisibles, comme les Cahiers de Paul Valéry, « épuisés » en 2008 et pourtant réimprimés quelques années plus tard. Cet épuisement peut préluder une nouvelle édition (Casanova par exemple), mais généralement signe la sortie définitive du catalogue. Les « épuisés » sont presque tous trouvables sur le marché de l’occasion, à des prix parfois prohibitifs (je donne pour chaque volume une petite estimation basée sur mes observations sur abebooks, amazon et, surtout, ebay, lors d’enchères, fort bon moyen de voir à quel prix s’établit « naturellement » un livre sur un marché assez dense d’amateurs de la collection ; mon échelle de prix est évidemment calquée sur celle de la collection, donc 20€ équivaut à une affaire et 50€ à un prix médian).

1/ Œuvres d’Agrippa d’Aubigné, 1969 : Gallimard a exclu explicitement la réédition. C’est le cas de beaucoup de volumes des années 1965-1975, majoritaires parmi les épuisés. Ils ont connu un retirage, ou aucun. 48€ au catalogue, peut monter à 70€ sur le marché de l’occasion.

2/ Œuvres Complètes de Nicolas Boileau, 1966 : Gallimard a exclu explicitement la réédition. Le XVIIe siècle est victime de son progressif éloignement ; cette littérature, sauf quelques grands noms, survit mal ; et certains auteurs ne sont plus jugés par la direction de la collection comme suffisamment « vivants » pour être édités. C’est le cas de Boileau. 43€ au catalogue, il est rare qu’il dépasse ce prix sur le second marché.

3/ Œuvres Complètes d’André Chénier, 1940 : Gallimard a exclu explicitement la réédition. Étrangement, il était envisagé, en 1989 encore (source : le catalogue de cette année-là), de proposer au public une nouvelle édition de ce volume. Chénier a-t-il été victime de l’insuccès du volume Orateurs de la Révolution française ? L’œuvre, elle-même, paraît bien oubliée désormais. 40€ au catalogue, trouvable à des tarifs très variables (de 30 à 80).

4/ Œuvres de Benjamin Constant, 1957 : Gallimard a exclu explicitement la réédition. À titre personnel, je suis un peu surpris de l’insuccès de Constant. 48€ au catalogue, assez peu fréquent sur le marché de l’occasion, peut coûter cher (80/100€)

5/ Conteurs français du XVIe siècle, 1965 : pas d’information de la part de l’éditeur. L’orthographe des volumes médiévaux ou renaissants de la Pléiade (et même ceux du XVIIe) antérieurs aux années 80 n’était pas modernisée. C’est un volume dans un français rocailleux, donc. 47€ au catalogue, assez aisé à trouver pour la moitié de ce prix (et en bon état). Peu recherché.

6/ Œuvres Complètes de Paul-Louis Courier, 1940 : pas d’information de la part de l’éditeur. Courier est un peu oublié de nos jours. 40€ au catalogue, trouvable pour un prix équivalent en occasion (peut être un peu plus cher néanmoins).

7/ Œuvres Complètes de Tristan Corbière et de Charles Cros, 1970 : pas d’information de la part de l’éditeur. C’était l’époque où la Pléiade proposait, pour les œuvres un peu légères en volume, des regroupements plus ou moins justifiés. Les deux poètes ont leurs amateurs, mais pas en nombre suffisant visiblement. Néanmoins, le volume est plutôt recherché. Pas de prix au catalogue, difficilement trouvable en dessous de 80€/100€.

8/ Œuvres de Nicolas Leskov et de M.E. Saltykov-Chtchédrine, 1967 : Gallimard a exclu explicitement la réédition. Encore un regroupement d’auteurs. Le champ russe est très bien couvert à la Pléiade, mais ces deux auteurs, malgré leurs qualités, n’ont pas eu beaucoup de succès. 47€ au catalogue, coûteux en occasion (quasiment impossible sous 60/80€, parfois proposé au-dessus de 100)

9/ Œuvres de François de Malherbe, 1971 : Gallimard a exclu explicitement la réédition. Et pour cause. C’est le « gadin » historique de la collection, l’exemple qu’utilise toujours Hugues Pradier, son directeur, quand il veut illustrer d’un épuisé ses remarques sur les méventes de certain volume. 39€ au catalogue, je l’ai trouvé neuf dans une librairie il y a six ans, et je crois bien que c’était un des tout derniers de France. Peu fréquent sur le marché de l’occasion, mais généralement à un prix accessible (30/50€).

10/ Maumort de Roger Martin du Gard, 1983 : aucune information de Gallimard. Le volume le plus récemment édité parmi les épuisés. Honnêtement, je ne sais s’il relève de cette catégorie par insuccès commercial (la gloire de son auteur a passé) ou en raison de problèmes littéraires lors de l’établissement d’un texte inachevé et publié à titre posthume. 43€ au catalogue, compter une cinquantaine d’euros d’occasion, peu rare.

11/ Commentaires de Blaise de Monluc, 1964 : aucune information de Gallimard. Comme pour les Conteurs français, l’orthographe est d’époque. Le chroniqueur historique des guerres de religion n’a pas eu grand succès. Pas de prix au catalogue, assez rare d’occasion, peut coûter fort cher (60/100).

12/ Histoire de Polybe, 1970 : Gallimard informe ses lecteurs qu’il est désormais publié en « Quarto », l’autre grande collection de l’éditeur. Pas de prix au catalogue. Étrange volume qui n’a pas eu de succès mais qui s’arrache à des prix prohibitifs sur le marché de l’occasion (difficile à trouver à moins de 100€).

13/ Poètes et romanciers du Moyen Âge, 1952 : exclu d’une réédition en l’état. C’est exclusivement de l’ancien français (comme Historiens et Chroniqueurs ou Jeux et Sapience), quand tous les autres volumes médiévaux proposent une édition bilingue. Une partie des textes a été repris dans d’autres volumes ou dans l’Anthologie de la poésie française I. 42€ au catalogue, trouvable sans difficulté pour une vingtaine d’euros sur le marché de l’occasion.

14/ Romanciers du XVIIe siècle, 1958 : exclu d’une réédition. Orthographe non modernisée. Un des quatre romans (La Princesse de Clèves) figure dans l’édition récente consacrée à Mme de Lafayette. Sans prix au catalogue, très fréquent en occasion, à des prix accessibles (20/30€).

15/ et 16/ Romancier du XVIIIe siècle I et II, 1960 et 1965. Gallimard n’en dit rien, ce sont pourtant deux volumes regroupant des romans fort connus (dont Manon LescautPaul et VirginieLe Diable amoureux). Subissent le sort d’à peu près tous les volumes collectifs de cette époque : peu de notes, peu de glose, à refaire… et jamais refaits. 49,5€ et 50,5€. Trouvables à des prix similaires, sans trop de difficulté, en occasion.

17/, 18/ et 19/ Œuvres I et II, Port-Royal I, de Sainte-Beuve, 1950, 1951 et 1953. Gallimard ne prévoit aucune réimpression du premier volume de Port-Royal mais ne dit pas explicitement qu’il ne le réimprimera jamais. Les chances sont faibles, néanmoins. Son épuisement ne doit pas aider à la vente des volumes II et III. Le destin de Sainte-Beuve semble du reste de sortir de la collection. Les trois volumes sont sans prix au catalogue. Les Œuvres sont trouvables à des prix honorables, Port-Royal I, c’est plus compliqué (parfois il se négocie à une vingtaine d’euros, parfois beaucoup plus). L’auteur ne bénéficie plus d’une grande cote.

20/, 21/ et 22/ Correspondance III et III, de Stendhal, 1963, 1967 et 1969. Cas unique, l’édition est rayée du catalogue papier (et pas seulement marquée comme épuisée), pour des raisons de moi inconnues (droits ? complétude ? qualité de l’édition ? Elle fut pourtant confiée au grand stendhalien Del Litto). Cette Correspondance, fort estimée (par Léautaud par exemple) est difficile à trouver sur le marché de l’occasion, surtout le deuxième tome. Les prix sont à l’avenant, normaux pour le premier (30/40), parfois excessifs pour les deux autres (le 2e peut monter jusque 100). Les volumes sont assez fins.

23/ et 24/ Théâtre du XVIIIe siècle, I et II, 1973 et 1974. Longtemps marqués « indisponibles provisoirement », ces deux tomes sont récemment passés « épuisés ». Ce sont deux volumes riches, dont Gallimard convient qu’il faudrait refaire les éditions. Mais le contexte économique difficile et l’insuccès chronique des volumes théâtraux (les trois tomes du Théâtre du XVIIe sont toujours à leur premier tirage, trente ans après leur publication) rendent cette perspective très incertaine. 47€ au catalogue, très difficiles à trouver sur le marché de l’occasion (leur prix s’envole parfois au-delà des 100€, ce qui est insensé).

Cas à part : Œuvres complètes  de Lautréamont et de Germain Nouveau. Lautréamont n’est pas sorti de la Pléiade, mais à l’occasion de la réédition de ses œuvres voici quelques années, fut expulsé du nouveau tome le corpus des écrits de Germain Nouveau, qui occupait d’ailleurs une majeure partie du volume collectif à eux consacrés. Le volume est sans prix au catalogue. Il est relativement difficile à trouver et peut coûter assez cher (80€).

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 IV. Les rééditions

Lorsque l’on achète un volume de la Pléiade, il peut s’agir d’une première édition et d’un premier tirage, d’une première édition et d’un ixième tirage ou encore d’une deuxième (ou, cas rare, d’une troisième, exceptionnel, d’une quatrième) édition. Cela signifie qu’un premier livre avait été publié voici quelques décennies, sous une forme moins « universitaire » et que Gallimard a jugé bon de le revoir, avec des spécialistes contemporains, ou de refaire les traductions. En clair, il faut bien regarder avant d’acheter les volumes de ces auteurs de quand date non l’impression mais le copyright.

Il arrive également que Gallimard profite de retirages pour réviser les volumes. Ces révisions, sur lesquelles la maison d’édition ne communique pas, modifient parfois le nombre de pages des volumes : des coquilles sont corrigées, des textes sont revus, des notices complétées, le tout de façon discrète. Ces modifications sont très difficiles à tracer, sauf à comparer les catalogues ou à feuilleter les derniers tirages de chaque Pléiade (un des commentateurs, plus bas, s’est livré à l’exercice – cf. l’exhaustif commentaire de « Pléiadophile », publié le 12 avril 2015)

La plupart des éditions « dépassées » sont en principe épuisées.

a) Rééditions à venir entièrement (aucun volume de la nouvelle édition n’a paru)

Parmi les rééditions à venir, ont été évoqués, de manière très probable :

Kafka, par Jean-Pierre Lefebvre (je ne sais si ce projet concerne la totalité des quatre volumes ou seulement une partie).

Michelet, dont l’édition date de l’avant-guerre ; certes quelques révisions de détail ont dû intervenir à chaque réimpression, mais enfin, l’essentiel des notes et notices a vieilli.

Descartes (l’édition en un volume date de 1937) en deux volumes.

Apollinaire, pour la poésie seulement (la prose est récente).

Jeux et sapience du Moyen Âge, édition de théâtre médiéval en ancien français, réputée « indisponible provisoirement ». La nouvelle édition est en préparation (cf. plus haut). Cette édition, en deux volumes serait logique et se situerait dans la droite ligne des éditions bilingues et médiévales parues depuis 20 ans (RenartTristan et Yseut, le Graal, Villon).

De manière possible

Verlaine, on m’en a parlé, mais je ne parviens pas à retrouver ma source. L’édition est ancienne.

Chateaubriand, au moins pour les Mémoires d’Outre-Tombe mais l’hypothèse a pris du plomb dans l’aile avec la reparution, en avril 2015, d’un retirage en coffret de la première (et seule à ce jour) édition.

Montherlant, pour les Essais… c’est une hypothèse qui perd d’année en année sa crédibilité puisque le tome II n’est plus annoncé dans le catalogue. Néanmoins, un retirage du tome actuel a été réalisé l’an dernier, ce qui signifie que Gallimard continue de soutenir la série Montherlant… Plus improbable que probable cependant.

b) Rééditions inachevées ou en cours (un ou plusieurs volumes de la nouvelle édition ont paru)

Balzac : 1/ La Comédie humaine, I à XI, de 1935 à 1960 ; 2/ La Comédie humaine, I à XII, de 1976 à 1981 + Œuvres diverses I, en 1990 et II, en 1996 + Correspondance I, en 2006 et II, en 2011. Le volume III de la Correspondance est attendu avec optimisme pour les prochaines années. Pour le volume III des Œuvres diverses en revanche, l’édition traîne depuis des années et le décès du maître d’œuvre, Roland Chollet, à l’automne 2014, n’encourage pas à l’optimisme.

Claudel : 1/ Théâtre I et II (1948) + Œuvre poétique (1957) + Œuvres en prose (1965) + Journal I (1968) et II (1969) ; 2/ Théâtre I et II (2011). Cette nouvelle édition du Théâtre pourrait préfigurer la réédition des volumes de poésie et de prose (et, sans conviction, du Journal ?), mais Gallimard n’a pas donné d’information à ce sujet.

Flaubert : 1/ Œuvres complètes, I et II, en 1936 ; 2/ Correspondance I (1973), II (1980), III (1991), IV (1998) et V (2007) + Œuvres complètesI (2001), II et III (2013). Les tomes IV et V sont attendus pour bientôt (les textes auraient été rendus pour relecture selon une de nos sources). En attendant le tome II de la vieille édition est toujours disponible.

La Fontaine : 1/ Œuvres complètes I, en 1933 et II, en 1943 ; 2/ Œuvres complètes I, en 1991. Comme pour Racine, le deuxième tome est encore celui de la première édition. Il est assez courant. Après 25 ans d’attente, et connaissant les mauvaises ventes des grands du XVIIe (Corneille par exemple), la deuxième édition du deuxième tome est devenue peu probable.

Marivaux : 1/ Romans, en 1949 + Théâtre complet, en 1950 ; 2/ Œuvres de jeunesse, en 1972 + Théâtre complet, en 1993 et 1994. En principe, les Romans étant indisponibles depuis des années, une nouvelle édition devrait arriver un jour. Mais là encore, comme pour La Fontaine, Vigny ou le dernier tome des Œuvres diverses de Balzac, cela fait plus de 20 ans qu’on attend… Rien ne filtre au sujet de cette réédition.

Musset : 1/ Poésie complète, en 1933 + Théâtre complet, en 1934 + Œuvres complètes en prose, en 1938 ; 2/ Théâtre complet, en 1990. La réédition prévue de Musset en trois tomes, et annoncée explicitement par Gallimard dans son catalogue 1989, semble donc mal partie. Le volume de prose est « indisponible provisoirement » et la poésie est toujours dans l’édition Allem, vieille de 80 ans. Là encore, comme pour La Fontaine et Racine, il est permis d’être pessimiste.

Racine : 1/ Œuvres complètes I, en 1931 et II, en 1952 ; 2/ Œuvres complètes I, en 1999. Le deuxième tome est donc encore celui de la première édition. Il est très rare de le trouver neuf dans le commerce. Le délai entre les deux tomes est long, mais il l’avait déjà été dans les années 30-50. On peut néanmoins se demander s’il paraîtra un jour.

Shakespeare : 1/ Théâtre complet, en 1938 (2668 pages ; j’ai longtemps pensé qu’il s’agissait d’un seul volume, mais il s’agirait plus certainement de deux volumes, les 50e et 51e de la collection ; le mince volume de Poèmes aurait d’ailleurs peut-être relevé de cette édition là, mais avec une vingtaine d’années de retard ; les poèmes auraient par la suite été intégrés par la nouvelle édition de 1959 dans un des deux volumes ; ne possédant aucun des volumes concernés, je remercie par avance mes aimables lecteurs (et les moins aimables aussi) de bien vouloir me communiquer leurs éventuelles informations complémentaires) ; 2/ Œuvres complètes, I et II, Poèmes (III) (?) en 1959 ; 3/ Œuvres complètes I et II (Tragédies) en 2002 + III et IV (Histoires) en 2008 + V (Comédies) en 2013. Les tomes VI (Comédies) et VII (Comédies) sont en préparation, pour une parution en 2016. Le tome VIII (Poésies) paraîtra ultérieurement.

Vigny : 1/ Œuvres complètes I et II, en 1948 ; 2/ Œuvres complètes I (1986) et II (1993). Le tome III est attendu depuis plus de 20 ans, ce qui est mauvais signe. Gallimard n’en dit rien, Vigny ne doit plus guère se vendre. Je suis pessimiste à l’égard de ce volume.

c) Rééditions achevées

Quatre éditions :

Choderlos de Laclos : 1/ Les Liaisons dangereuses, en 1932 ; 2/ Œuvres complètes en 1944 ; 3/ Œuvres complètes en 1979 ; 4/ Les Liaisons dangereuses, en 2011. Pour le moment, les éditions 3 et 4 sont toujours disponibles.

Trois éditions :

Baudelaire : 1/ Œuvres complètesI et II, en 1931 et 1932 ; 2/ Œuvres complètesen 1951 ; 3/ Correspondance I et II en 1973 + Œuvres complètesI et II, en 1975 et 1976.

Camus : 1/ Théâtre – Récits – Nouvelles, en 1962 + Essais, en 1965 ; 2/ Théâtre – Récits et Nouvelles -Essais, en 1980 ; 3/ Œuvres complètesI et II, en 2006, III et IV, en 2008.

Molière : 1/ Œuvres complètesI et II, en 1932 ; 2/ Œuvres complètesI et II, en 1972 ; 3/ Œuvres complètesI et II, en 2010. L’édition 2 est encore facilement trouvable et la confusion est tout à fait possible avec la 3.

Montaigne : 1/ Essais, en 1934 ; 2/ Œuvres complètes, en 1963 ; 3/ Essais, en 2007.

Rimbaud : 1/ Œuvres complètes, en 1946 ; 2/ Œuvres complètes, en 1972 ; 3/ Œuvres complètes, en 2009.

Stendhal : 1/ Romans, I, II et III, en 1932, 1933 et 1934 ; 2/ Romans et Nouvelles, I et II en 1947 et 1948 + Œuvres Intimes en 1955 + Correspondance en 1963, 1967 et 1969 ; 3/ Voyages en Italie en 1973 et Voyages en France en 1992 + Œuvres Intimes I et II, en 1981 et 1982 + Œuvres romanesques complètes en 2005, 2007 et 2014. Soit 16 tomes différents, mais seulement 7 dans l’édition considérée comme à jour.

Deux éditions :

Beaumarchais : 1/ Théâtre complet, en 1934 ; 2/ Œuvres, en 1988.

Casanova : 1/ Mémoires, I-III (1958-60) ; 2/ Histoire de ma vie, I-III (2013-15).

Céline : 1/ Voyage au bout de la nuit – Mort à crédit (1962) ; 2/ Romans, I (1981), II (1974), III (1988), IV (1993) + Lettres (2009).

Cervantès : 1/ Don Quichotte, en 1934 ; 2/ Œuvres romanesques complètesI (Don Quichotte) et II (Nouvelles exemplaires), 2002.

Corneille : 1/ Œuvres complètes, I et II, en 1934 ; 2/ Œuvres complètes, I (1980), II (1984) et III (1987).

Diderot : 1/ Œuvres, en 1946 ; 2/ Contes et romans, en 2004 et Œuvres philosophiques, en 2010.

Gide : 1/ Journal I (1939) et II (1954) + Anthologie de la Poésie française (1949) + Romans (1958) ; 2/ Journal I (1996) et II (1997) + Essais critiques (1999) + Souvenirs et voyages (2001) + Romans et récits I et II (2009). L’Anthologie est toujours éditée et disponible.

Goethe : 1/ Théâtre complet (1942) + Romans (1954) ; 2/ Théâtre complet (1988). Je n’ai jamais entendu parler d’une nouvelle édition des Romans ni d’une édition de la Poésie, ce qui demeure une véritable lacune – que ne comble pas l’Anthologie bilingue de la poésie allemande.

Mallarmé : 1/ Œuvres complètes, en 1945 ; 2/ Œuvres complètes I (1998) et II (2003).

Malraux : 1/ Romans, en 1947 + Le Miroir des Limbes, en  1976 ; 2/ Œuvres complètes I-VI (1989-2010).

Mérimée : 1/ Romans et nouvelles, en 1934 ; 2/ Théâtre de Clara Gazul – Romans et nouvelles, en 1979.

Nerval : 1/ Œuvres, I et II, en 1952 et 1956 ; 2/ Œuvres complètes I (1989), II (1984) et III (1993).

Pascal :  1/ Œuvres complètes, en 1936 ; 2/ Œuvres complètes I (1998) et II (2000).

Péguy : 1/ Œuvres poétiques (1941) + Œuvres en prose I (1957) et II (1959) ; 2/ Œuvres en prose complètes I (1987), II (1988) et III (1992) + Œuvres poétiques dramatiques, en 2014.

Proust : 1/ À la Recherche du temps perdu, I-III, en 1954 ; 2/ Jean Santeuil (1971) + Contre Sainte-Beuve (1974) + À la Recherche du temps perdu, I-IV (1987-89).

Rabelais : 1/ Œuvres complètes, en 1934 ; 2/ Œuvres complètes, en 1994.

Retz : 1/ Mémoires, en 1939 ; 2/ Œuvres (1984).

Ronsard : 1/ Œuvres complètes I et II, en 1938 ; 2/ Œuvres complètes I (1993) et II (1994).

Rousseau : 1/ Confessions, en 1933 ; 2/ Œuvres complètes I-V (1959-1969).

Mme de Sévigné : 1/ Lettres I-III (1953-57) ; 2/ Correspondance I-III (1973-78).

Saint-Exupéry : 1/ Œuvres, en 1953 ; 2/ Œuvres complètes I (1994) et II (1999).

Saint-Simon : 1/ Mémoires, I à VII (1947-61) ; 2/ Mémoires, I à VIII (1983-88) + Traités politiques (1996).

Voltaire : 1/ Romans et contes, en 1932 + Correspondance I et II en 1964 et 1965 ; 2/ le reste, c’est à dire, les Œuvres historiques (1958), les Mélanges (1961), les deux premiers tomes de la Correspondance (1978) et les onze tomes suivants (1978-1993) et la nouvelle édition des Romans et contes (1979).

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V. Les volumes « indisponibles provisoirement »

Un volume ne s’épuise pas tout de suite. Il faut du temps, variable, pour que le stock de l’éditeur soit complètement à zéro. Gallimard peut alors prendre trois décisions : réimprimer, plus ou moins rapidement ; ou alors renoncer à une réimpression et lancer sur le marché une nouvelle édition (qu’il préparait déjà) ; ou enfin, ni réimprimer ni rééditer. Je vais donc ici faire une liste rapide des volumes actuellement indisponibles et de leurs perspectives (réalistes) de réimpression. Je n’ai pas d’informations exclusives, donc ces « informations » sont à prendre avec précaution. Elles tiennent à mon expérience du catalogue.

-> Boulgakov, Œuvres I, La Garde Blanche. 1997. C’est un volume récent, qui n’est épuisé que depuis peu de temps, il y a de bonnes chances qu’il soit réimprimé d’ici deux ou trois ans (comme l’avait été le volume Pasternak récemment).

-> Cao Xueqin, Le Rêve dans le Pavillon Rouge I et II, 1981. Les deux volumes ont fait l’objet d’un retirage en 2009 pour une nouvelle parution en coffret. Il n’y a pas de raison d’être pessimiste alors que celle-ci est déjà fort difficile à trouver dans les librairies. À nouveau disponible (en coffret).

-> Defoe, Romans, II (avec Moll Flanders). Le premier tome a été retiré voici quelques années, celui-ci, en revanche, manque depuis déjà pas mal de temps. Ce n’est pas rassurant quand ça se prolonge… mais le premier tome continue de se vendre, donc les probabilités de retirage ne sont pas trop mauvaises.

-> Charles Dickens, Dombey et Fils – Temps Difficiles Le Magasin d’Antiquités – Barnabé Rudge ; Nicolas Nickleby – Livres de Noël ; La Petite Dorrit – Un Conte de deux villes. Quatre des neuf volumes de Dickens sont « indisponibles », et ce depuis de très longues années. Les perspectives commerciales de cette édition en innombrables volumes ne sont pas bonnes. Les volumes se négocient très cher sur le marché de l’occasion. Gallimard n’a pas renoncé explicitement à un retirage, mais il devient d’année en année plus improbable.

-> Fielding, Romans. Principalement consacré à Tom Jones, ce volume est indisponible depuis plusieurs années, les perspectives de réimpression sont assez mauvaises. À moins qu’une nouvelle édition soit en préparation, le volume pourrait bien passer parmi les épuisés.

-> Green, Œuvres complètes IV. Quinze ans après la mort de Green, il ne reste déjà plus grand chose de son œuvre. Les huit tomes d’une série même pas achevée ne seront peut-être jamais retirés une fois épuisés. Le 4e tome est le premier à passer en « indisponible ». Il pourrait bien ne pas être le dernier et bientôt glisser parmi les officiellement « épuisés ».

 -> Hugo, Théâtre complet II. À nouveau disponible.

-> Jeux et Sapience du Moyen Âge. Cas évoqué plus haut de nouvelle édition en attente. Selon toute probabilité, il n’y aura pas de réédition du volume actuel.

-> Marivaux, Romans. Situation évoquée plus haut, faibles probabilité de réédition en l’état, lenteur de la nouvelle édition.

-> Mauriac, Œuvres romanesques et théâtrales complètes, IV. Même si Mauriac n’a plus l’aura d’antan comme créateur (on le préfère désormais comme chroniqueur de son époque, comme moraliste, etc.), ce volume devrait réapparaître d’ici quelques temps.

-> Musset, Œuvres en prose. Évoqué plus haut. Nouvelle édition en attente depuis 25 ans.

-> Racine, Œuvres complètes II. En probable attente de la nouvelle édition. Voir plus haut.

-> Vallès, ŒuvresI. La réputation de Vallès a certes un peu baissé, mais ce volume, comprenant sa célèbre trilogie autobiographique, ne devrait pas être indisponible depuis si longtemps. Réédition possible tout de même.

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VI. Les volumes « en voie d’indisponibilité »

Ce n’est là qu’une courte liste, tirée de mes observations et de la consultation du site « placedeslibraires.com », qui donne un aperçu des stocks de centaines de librairies indépendantes françaises. On y voit très bien quels volumes sont fréquents, quels volumes sont rares. Cela ne préjuge en rien des stocks de l’éditeur. Néanmoins, je pense que les tendances que ma méthode dégage sont raisonnablement fiables. Si vous êtes intéressé par un de ces volumes, vous ne devriez pas hésiter trop longtemps.

– le Port-Royal, II et III, de Sainte-Beuve. Comme les trois autres tomes de l’auteur sont épuisés, il est fort improbable que ces deux-là, retirés pour la dernière fois dans les années 80, ne s’épuisent pas eux aussi. Ils sont tous deux assez rares (-10 librairies indépendantes).

– la Correspondance (entière) de Voltaire. Les 13 tomes, de l’aveu du directeur de la Pléiade, ne forment plus un ensemble que le public souhaite acquérir (pour des raisons compréhensibles d’ailleurs). Le fait est qu’on les croise assez peu souvent : le I est encore assez fréquent, les II, III et XIII (celui-ci car dernier paru) sont trouvables dans 5 à 10 librairies du réseau indépendant, les volumes IV à XII en revanche ne se trouvent plus que dans quelques librairies. Je ne sais pas ce qu’il reste en stock à l’éditeur, mais l’indisponibilité devrait arriver d’ici un an ou deux pour certains volumes.

– les Œuvres de Julien Green. Je les ai évoquées plus haut, à propos de l’indisponibilité du volume IV. Les volumes V, VI, VII et VIII, qui arrivent progressivement en fin de premier tirage devraient suivre. La situation des trois premiers tomes est un peu moins critique, des retirages ayant dû avoir lieu dans les années 90.

– les Œuvres de Malebranche. Dans un entretien, Hugues Pradier a paru ne plus leur accorder grand crédit. Mais je me suis demandé s’il n’avait pas commis de lapsus en pensant à son fameux Malherbe, symbole permanent de l’échec commercial à la Pléiade. Toujours est-il que les deux tomes se raréfient.

– les Œuvres de Gobineau. Si c’est un premier tirage, il est lent à s’épuiser, mais cela vient. Les trois tomes sont moins fréquents qu’avant.

– les Orateurs de la Révolution Française. Série avortée au premier tome, arrêtée par la mort de François Furet avant l’entrée en lice de Robespierre et de Saint-Just. Elle n’aura jamais de suite. Et il est peu probable, compte tenu de son insuccès, qu’elle reste longtemps encore au catalogue.

– le Théâtre du XVIIe siècle, jamais retiré (comme Corneille), malgré trente ans d’exploitation. D’ici dix ans, je crains qu’il ne soit dans la même position que son « homologue » du XVIIIe, épuisé.

– pèle-mêle, je citerais ensuite le Journal de Claudel, les tomes consacrés à France, Marx, Giraudoux, Kipling, Saint François de Sales, Daudet, Fromentin, Rétif de la Bretonne, Vallès, Brantôme ou Dickens (sauf David Copperfield et Oliver Twist). Pour eux, les probabilités d’épuisement à moyen terme sont néanmoins faibles.

13 801 réflexions sur “La Bibliothèque de la Pléiade

  1. Complètement d’accord avec vous Domonkos pour Simenon. Mais Néo-Birt a répondu à votre question : c’est dans la Pléiade parce que cela se vend et j’ajoute (exactement comme pour Ramuz et Cendrars) que c’est co-financé alors pourquoi s’en priver ? Qu’attendent les banques allemandes néerlandaises suédoises pour Musil Mann, Couperius et Lagerlof ????!!!

    • Cher Tigrane, la vogue commerciale d’un auteur doit n’entrer que pour partie dans l’intronisation d’un auteur ou d’une oeuvre au sein de la Pléiade; s’il semble exister de nouveau une audience pour les épicuriens grecs, depuis l’effort d’Onfray pour divulguer l’athéisme du Jardin sous couvert de son athéologie, et si Virgile ne s’est pas encore trop démonétisé dans le public demi-savant par suite de l’affection que lui portent des intellectuels d’un tout autre calibre que le poseur de Caen, je vois mal quelle rente Gallimard pouvait espérer en lançant les « Spectacles anciens et nouveaux » (Rainier Lanselle dit: « Spectacles curieux d’aujourd’hui et d’autrefois »), les « Philosophes confucianistes », ou le tome II des « Philosophes taoïstes » contenant le Houainan-tseu (pinyin Huainan zi; j’ai été fort irrité que « tao » y soit francisé d’après le pinyin « dao », quitte à tolérer les indéracinables « taoïsme », « taoïste(s) » [voir pp. LXXVI-KXXVII], car c’est comme si Sappho s’appelait désormais Psapphô ou Psappha en français sous prétexte qu’il s’agit là de la vocalisation la plus exacte des épels de son nom dans le dialecte éolo-lesbien qu’elle parlait et écrivait). La Chine sur papier bible ne doit guère s’écouler, autrement « Les trois royaumes » ou le richissime théâtre ne resteraient pas hors champ de la collection, riche pourtant de trois des quatre romans extraordinaires. De même pour la Grèce classique, témoins les presque vingt ans de délai qui séparent la sortie de l’Aristophane d’avec celle des Epicuriens, l’annulation du Xénophon (auquel Denis Roussel, habitué de la Pléiade, devait contribuer les Helléniques et l’Anabase), et l’absence de remplacements aux poussiéreux volumes sur Homère et Platon.

      • Pourvu que le gouvernement chinois ne se prenne du désir de financer l’édition en Pléiade des immortelles oeuvres du ci-devant Grand Timonier ou que, pour des motifs commerciaux et de ciblage d’un public nouveau et juvénile, on n’en vienne à privilégier les oeuvres du révéré maître mangaka Osamu Tezuka plutôt que celles de Dame Murasaki Shikibu !

  2. Bonjour,
    Certains d’entre-vous ont mentionné la sortie prochaine d’un tome III de Diderot. Est-ce qu’à tout hasard vous auriez idée des œuvres qu’il pourrait contenir ?
    Par avance merci,

  3. Il me semble cher Néo-Birt que (sans le savoir?) vous avez répondu à votre question. En effet, c’est bien à un changement complet de stratégie éditoriale, de choix d’écrivains et donc de cibles que la Pléiade a opéré depuis quelques années, hélas. Ce blog errant public, on ne peut en dire plus. Mais Leibniz oublié pour Jean d’O, Xénophon enterré pour Twain, Sōseki perdu pour Verne, etc…. Les choix sont clairs. Mais un vent contraire, un jour, pourra faire tourner encore la girouette littéraire….
    (Pour Diderot, Lombard, M. Michel Delon annonçait lui-même encore en 2010 dans sa « Note sur la présente édition » au début du volume des Œuvres philosophiques que Diderot aura droit à « une série de quatre volumes ». Ces volumes devaient inclure ses articles esthétiques, les Salons, ceux de l’Encyclopédie et peut-être sa correspondance, mais le projet est-il abandonné? On peut se consoler avec l’édition en 5 volumes chez Bouquins)

    • Merci, Tigrane. 🙂

      Depuis ma dernière « intervention » ici, j’ai lu en Pléiade :
      – La Guerre des gaules et La Guerre civile de Jules César,
      – Résurrection de Léon Tolstoï,
      – Chant funèbre pour les morts de Verdun, Aux Fontaines du Désir, L’Équinoxe de septembre, Le Solstice de juin et les Carnets [1930-1944] de Montherlant,
      – Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit de Louis-Ferdinand Céline,
      – la vie d’Alexandre le Grand de Plutarque,
      – les trois premières années des Mémoires de Saint-Simon…
      … ainsi que le premier volume de théâtre français du XVIIIe siècle comprenant :
      – Atrée et Thyeste de Crébillon,
      – Crispin rival de son maître de Lesage
      – le Théâtre de la foire de Turcaret
      – La Famille extravagante de Legrand
      – La Coquette de village ou Le lot supposé de Dufresny
      – Le Naufrage au Port-à-l’anglais ou Les nouvelles débarquées d’Autreau
      – Arlequin sauvage de Delisle de La Drevetière
      – Œdipe de Voltaire
      – Arlequin Deucarlion de Piron
      – Inès de Castro de Houdar de La Motte
      – Le Glorieux de Destouches
      – Œdipe, Zaïre, Le Fanatisme ou Mahomet le prophète, Mérope, Nanine ou Le préjugé vaincu, et La Femme qui a raison de Voltaire
      – La Pupille de Fagan
      – La Métromanie ou Le poète de Piron
      – Mélanide de Nivelle de La Chaussée
      – Le Méchant de Gresset.

  4. Tiens, tiens, cher Lombard, 2 fois l’Œdipe de Voltaire…. Un lacanien y verrait peut-être un signe… Mais quoi? Mais puisque Lacan n’est pas dans la Pléiade passons.

  5. Vous me faites ressouvenir de La Femme qui a raison qui n’était pas si mauvaise bien que la famille D’Ubu (presque Dur !) de Voltaire a un air si désuet et inoffensif aujourd’hui que j’ai du mal à imaginer le scandale qu’elle déclancha ! On a l’Hernani que l’on peut certes mais c’est déjà quelque chose d’en avoir eu plusieurs.

    • J’ai une question que j’aimerais soumettre à cet aimable aréopage. Sachant que l’ancienne Pléiade Kafka ne comptait pas moins de 6100 pages réparties sur 4 volumes, parmi lesquelles 500 pages par tome consacrées aux notices, aux notes et aux rectifications des traductions Vialatte et Robert, comment se fait-il que la nouvelle édition dirigée par J.-P. Lefebvre (auquel nous devons la peu réussie, littérairement parlant, « Anthologie bilingue de la poésie allemande ») sera en deux fins volumes se montant à moins de 2400 pages ? Ni la suppression de toutes les corrections textuelles et la réduction des notes et notices, notoirement abondantes, composées par Claude David pour l’ancienne édition, ni l’actuelle mise en pages de l’appareil critique dans les Pléiades, beaucoup plus compacte par rapport à la formule classique qui fut en vigueur pendant soixante-dix ans, n’expliquent cette extrême compression de l’édition Lefebvre. Mon sentiment, ou plutôt ma crainte, est que cette dernière ne pourra guère manquer d’être un Kafka « light » bien traduit certes, par rapport aux erreurs et surtout aux approximations que laissèrent échapper les pionniers Vialatte et Robert, mais munie seulement des éclaircissements jugés les plus indispensables.

      • Peut-être ne s’agit-il que de deux premiers volumes… et nous aurons droit à deux autres… dans 20 ou 30 ans ? Mais, même dans ce cas, et sauf si les deux hypothétiques volumes III et IV devaient être beaucoup plus considérables (ça devient de l’utopie au carré), il me semble qu’il n’y aurait pas encore le compte.
        En consultant les annonces sur le site de la Pléiade, j’avais noté cette cure d’amaigrissement, mais, comme je ne pense pas ouvrir mon portefeuille pour acquérir cette nouvelle édition… Place aux nouvelles générations avec ce Kafka du XXIème siècle !

      • Les nouveaux Kafka ne remplacent que les anciens tomes 1 et 2. Les tomes 3 et 4 restent disponibles. Il n’y a qu’une perte de 288 pages (2464 contre 2752).
        Il est à noter que l’ordre est inversé, puisque le nouveau tome 2 contient les œuvres de l’ancien tome 1 et inversement.

        • Merci pour cette utile précision qui devrait calmer nos inquiétudes.

          Toutefois, je reste troublé par le fait de cette interversion des oeuvres contenues. Si, comme vous le dites, le contenu de l’ancien tome 2 se retrouve dans le nouveau tome 1 et, donc, le contenu de l’ancien tome 2 dans le nouveau tome 1, il faut donc comparer le volume du nouveau tome 1 à celui de l’ancien tome 2 et celui du nouveau tome 2 à celui de l’ancien tome 1 (gagaga… j’en deviens gaga…).
          Ce qui nous donne : nouveau tome 1, 1392 pages au lieu de 1 344 (logique puisque ce nouveau tome 1 comprendra la nouvelle présentation de l’ensemble) ; nouveau tome 2, 1072 pages au lieu de 1408 (la disparition de l’ancienne présentation, 50 pages, ne pouvant justifier à elle seule cette perte de 336 pages…). Ces 1072 pages, en tout état de cause, cela me paraît bien mince !
          La suppression des notes rectificatives de l’ancienne traduction devrait engendrer une perte du même ordre dans chacun des deux tomes, par conséquent cette très fort disparité me paraît mystérieuse. Qui saura jamais ce que la vieille Dame nous concocte dans son arrière-cuisine, en fait de potions, infusions et autres charmes ?

          En attendant, un ou deux cachets d’aspirine me feront le plus grand bien, après cet exerce d’arithmétique de haute volée (mais, qu’est-ce qui m’a pris, bon sang ?).

  6. Je trouve cette inversion très intéressante et significative du changement de la réception de l’œuvre de Kafka en Allemagne et dans le monde anglo-saxon. Alors que ses romans et son Journal étaient très importants dans les années 60, on assiste depuis une vingtaine d’années à un regain d’intérêt pour ses nouvelles et les éditeurs et cherche insistent beaucoup (contrairement au mythe assez répandu autrefois d’un auteur « posthume ») sur les publications du vivant de Kafka. Les 2 Folio avaient d’ailleurs déjà insisté sur ce point. La nouvelle édition allemande proposait dans mon souvenir plus de 40 publications de Kafka de son vivant ! Et pointait un fait que j’ignorais (mais je ne suis pas du tout un spécialiste de Kafka), son goût de la retouche et de la correction de ses textes publiés. Avant de mourir, Kafka était déjà un grand écrivain ! La « reconstitution » de ses romans de 1983 d’après les manuscrits change beaucoup le texte de base de Vialatte. Ces nouveaux volumes nous donnerons peut-être de nouveaux éclairages sur ces questions comme le faisait d’ailleurs la nouvelle édition des Œuvres en allemand, de 1995 et aussi celle des romans toutes récentes. Sûr que ce sera intéressant à lire. Suspens !

    • Il est vrai que Kafka était un auteur vivant, un artiste tout à fait conscient et un écrivain dans toute l’acception du terme. Son « ami » et éditeur posthume Max Brod, sous prétexte d’avoir « sauvé » du bûcher les inédits, s’est un peu abusivement présenté comme « l’inventeur » de Kafka et, volontairement ou a l’insu de son plein gré, d’un Kafka un peu trop rapidement présenté comme un « auteur maudit » (ce qu’il n’est à aucun titre, sa mort prématuré, des suites d’une maladie à l’époque grande faucheuse de jeunes vies, n’ayant strictement rien à faire dans l’affaire, sauf pour les amateurs de séries télévisées du genre « destins brisés »=.

      Alors, oui, cette inversion est sans doute significative, comme vous le dites, Tigrane ; peut-être même, par-delà le cas Kafka, est-elle significative d’une baisse de la domination (très française) du roman sur la nouvelle.

  7. Ne vous inquiétez pas cher Domonkos, vous pourrez lire encore de bons romans dans le tome 2 de Jean d’O. Tout n’est pas perdu ! Ah ah ah !

    • Ne tournez pas le couteau dans la plaie.

      N’empêche, la réévaluation de la nouvelle, par rapport au roman, en France, est une espèce de monstre du Loch Ness dont j’entends parler depuis plus d’un demi-siècle (avant, j’étais trop petit), sans rien voir venir.
      Pour ma part, fatigue, sénilité, je ne sais, il y a un moment que mes préférences vont vers la nouvelle longue ou le roman court. Ou alors, le vrai Roman-Amazone, celui qui charrie des tonnes de matière et qui est un univers, et non pas ce format américanisé du roman de 500 à 700 pages, qui pourrait être réduit à 150 ou 200 pages sans rien perdre de son contenu ; genre que je ne puis supporter. Quand un Balzac ou un Tolstoï se fendaient d’un roman au long cours, ils ne faisaient pas que parler pour ne rien dire.

      Et voilà ! J’avais fait l’effort dans ma dernière intervention de ne parler que de la Pléiade, les mains en plein dans le cambouis, et ça n’a pas duré. Je m’égare de nouveau. Incorrigible.

  8. «Un livre de nouvelles, c’est très bien, on l’ouvre comme on coupe un jeu de cartes. C’est-à-dire qu’au lieu de devoir s’enfoncer dans une action en particulier, qui peut-être nous décevra, on a une série d’images avec lesquelles on peut jouer. Et il me semble qu’il y a de grandes nouvelles et de grandes nouvelles infiniment variées, car rien n’est plus loin d’une nouvelle de Tolstoï qu’une nouvelle de Tchékhov ou une nouvelle de Katherine Mainsfield ou une nouvelle de Maupassant. Donc le champ des possibilités est presque infini. (…) une des choses que j’apprécie dans la nouvelle, c’est la possibilité de couper court, de n’être pas obligé au développement d’un roman, quand, peut-être, il n’y a rien de plus à développer.» Marguerite Yourcenar

    • j’ai récemment vu sa fameuse longue tirade sur « son » féminisme, et puis je lis ou vois de ses interventions, plus je suis sensible à une forme de « sagesse » (j’hésite à écrire ce gros mot), en tous cas d’intelligence, de qualité d’expression en comparaison du n’importe quoi dit dans l’urgence (car il est inacceptable d’être en retard sur la dernière mode du jour) dont on nous abreuve aujourd’hui : une simple phrase comme « une femme doit avoir le droit de se sentir autant ou aussi peu féminine qu’elle le désire » devrais suffire à la protéger du qualificatif de réactionnaire. je vais prononcer une autre gros mot : « décadence » (au moins dans ce domaine ; je ne suis pas un partisan du « c’était mieux avant » en toutes matières)
      cette attitude de « Romain » qu’elle avait adoptée peut-être considéré comme une pose par ses détracteurs, pour ma part je lui trouve une vraie grandeur.

  9. Certains auteurs ont l’étrange manie de donner le bâton pour se faire battre. Celui-ci écrit ingénument :

    « Un homme, c’est fait pour tenir sur ses pieds. Avancer, progresser, chanter. »

    Ce qui inspire à un Georges Perros critique cette réplique cinglante :

    « Soit. Je veux bien. Mais, est-ce fait pour écrire ? That is the question ».

    Ailleurs, le même Perros écrit, non sans quelques solides raisons, qu’on a peut-être tort de faire apprendre la langue française à tout le monde.

    Bon dimanche !

    • Si Georges Perros ne nous avait quittés depuis quelque quarante années, on pourrait le rassurer : il y a un bon moment qu’ont n’apprend plus la langue française à tout le monde !

      • On ne verra jamais Perros débouler dans la Pléiade, mais le Quarto que Gallimard a bien voulu lui consacrer est une bénédiction pour nous qui l’aimons.

        Je ne sais pas quel Dieu prier pour que le même Gallimard maintenant nous en fasse un sur Jean Grenier. D’ailleurs, c’est une drôle d’idée — et je ne m’en plaindrai pas — d’avoir fait passer l’élève avant le maître. Mais maintenant qu’il y a l’élève, il faut qu’il y ait le maître.

        • Pas plus, cher Ahmed, qu’on y verra Gongora et Quevedo assemblés en un volume de poésie baroque espagnole, dont l’importance intrinsèque serait autrement plus grande que les Pléiades consacrées à des auteurs aussi courants qu’Octavio Paz, Vargas Llosa, Borges, vu la rareté ou le caractère suranné des traductions françaises disponibles pour les oeuvres des deux poètes rivaux. Dieu sait combien la littérature en langue castillane est mal représentée dans la Pléiade – à la mesure de la minceur de l’anthologie bilingue y relative et du caractère extrêmement arbitraire de la sélection des textes qu’elle propose (le simple fait d’avoir exclu de la section des Romanceros le « Romance del rey moro que perdió Alhama » communique une idée suffisante du genre de travail torché par Nadine Ly). Et ne parlons pas de la littérature portugaise – if you please, un tome de Camoëns, pour nous venger des deux latrines d’Ormessonesques ! Je suis de ceux qui déplorent que les Lusiades translatées par Robert Bismut s’encombrent à chaque pas de solécismes afin de tendre leur style pour tenter de le hausser à la mesure de l’original, cf. « silence à la renommée qu’Alexandre et Trajan durent à leurs victoires (…) silence à tout ce que chante la Muse antique » ou « toi nouvel effroi de la lance du Maure », et calquent de trop près le portugais quitte à produire des alliances de mots quasiment synonymes en notre langue (« les combats et les preux glorieux » etc !); Bismut a bien mal retenu les leçons de celui qu’il se proposa comme modèle : Victor Bérard traduisant l’Odyssée en prose rythmée.

    • Finalement, les oublis que vous énumérez sont, de la part d’un Gallimard — jugé par ses lecteurs —, autant de « solécismes de conduite » !

      Le problème que je vois avec ces grands auteurs que vous citez, c’est que ce sont d’abord des poètes. Et je tiens personnellement la poésie pour intraduisible. Il faudrait alors des éditions bilingues, mais celles-ci ne feraient la joie que de quelques érudits — dont vous avez le bonheur d’être.

      Car, entre nous, qui voudra lire ces vers admirables, traduits en anglais ou en italien :

      « France, mère des arts, des armes, et des loix,
      Tu m’as nourry long temps du laict de ta mamelle ;
      Ores, comme un aigneau qui sa nourrice appelle,
      Je remplis de ton nom les antres et les bois.

      Si tu m’as pour enfant advoué quelquefois,
      Que ne me respons-tu maintenant, ô cruelle ?
      France, France, respons à ma triste querelle :
      Mais nul, sinon Echo, ne respond à ma voix.

      Entre les loups cruels j’erre parmy la plaine,
      Je sens venir l’hyver, de qui la froide haleine
      D’une tremblante horreur fait hérisser ma peau.

      Las, tes autres aigneaux n’ont faute de pasture.
      Ils ne craignent le loup, le vent, ny la froidure :
      Si ne suis-je pourtant le pire du troppeau. »

      • On ne peut même pas soutenir que la Pléiade ne veuille plus s’ouvrir à la poésie (Cendrars, Jaccottet démontrent le contraire); je croirais plus volontiers qu’il s’agit d’un tropisme linguistique et générique de la part des autorités de Gallimard, le primat commercial actuel allant soit au ‘grand’ roman américain du XXe siècle soit à la littérature, ou plutôt la paralittérature, féministe francophone. Les choix faits en la matière témoignent d’une navrante facilité éditoriale; Beauvoir et Madame de Staël (dans une sélection à tout le moins bancale) plutôt que l’étincelante George Sand, dont la correspondance éditée par Georges Lubin est un joyau qui mériterait a minima une anthologie sur le modèle des Lettres de Céline par Henri Godard et J.-P. Louis. Malgré la réédition des volumes des années 60-70 donnée par Bordas en 1990, assez peu de lecteurs ont eu la patience, ou l’opportunité, d’acquérir le Lubin au complet (25 tomes totalisant sur 97 cm linéaires près de 24000 pages plus une brochure pompeusement intitulée volume 26 en 1995: https://ibb.co/b5Kone); c’est ici que la Pléiade pourrait faire oeuvre fort utile, en recueillant les pièces les plus curieuses de ce prodigieux ensemble. Mais non !

        • Mon cher Neo-birt, vous êtes en train de piétiner impitoyablement mon petit panthéon littéraire personnel, et notamment la petite aile que j’y consacre aux écrivains femmes, et où j’ai mis, outre Colette, eh bien cette chère Madame de Staël justement, dont je peux dire sans mentir que j’aurai passé ma vie à l’admirer — enviant secrètement Benjamin Constant. Quelle femme ! Quelle tête !

          • Germaine a son importance historique, bien sûr, et méritait mieux que le piteux volume de la Pléiade (dont une ou des éventuelles séquelles ne corrigeront pas les faiblesses); mais je n’ai que peu le sentiment que sa réputation au sein du grand public (moins que plus) cultivé ait été beaucoup rehaussée par la sortie de cette édition Seth… Il faudrait demander confirmation de cela à Zino et Tigrane, autrement mieux au contact des étudiants de lettres que l’auteur de ces lignes. En revanche, la meilleure bonne volonté du monde s’épuisera à échantillonner de longs passages grappillés dans les 11 volumes de ses lettres (ceux qui se gargarisent de l’érudition de Béatrice Jasinski, leur éditrice, n’ont jamais ouvert aucun des 19 volumes de la correspondance générale de Sainte-Beuve, où le commentaire des Bonnerot père ou fils est généralement borgésien, comme il le fallait pour élucider la fameuse cautèle de l’auteur et ses ‘poisons’; ne possédant pas la nouvelle édition en cours des lettres staëliennes chez Slatkine, je n’en dirai rien, sinon pour condamner la focalisation thématique de chacun des tomes autour de tel ou tel événement littéraire ou biographique). Un tel ennui n’existe pas chez Sand; la pratique de sa correspondance merveilleusement présentée par Lubin a tôt fait d’expédier ad patres les poncifs sous lesquelles étouffe encore cette amazone de la plume et de l’amour. La seule présence en Pléiade de l’histoire (largement rêvée) de sa vie enrichie des principales minora biographica, malgré le commentaire perceptif dont l’équipe Lubin, est à cet égard navrante, tant elle maintient Sand dans une niche exégétique qui est l’un des pires lits de Procuste de notre littérature.

  10. Une petite anecdote qui appartient à l’histoire littéraire.
    Il est beaucoup question de Madame de Staël dans la correspondance amoureuse de Carlyle, je veux parler de ces lettres denses, riches, délicieuses qu’il a échangées avec Miss Jane Welsh, et qui furent publiées pour la première fois, en deux volumes, en 1909. Virginia Woolf y revient dans un petit article publié dans la presse au moment de leur parution.

    Carlyle fait le maître avec la jeune amie qu’il vient de rencontrer, elle qui lui explique dès l’abord que c’est son intellect à lui, Carlyle, qui l’intéresse, et que c’est son intellect à elle qu’elle voudrait lui faire aimer. Il se met donc en devoir de lui conseiller des lectures, il lui envoie des livres, mais peine à soulever outre mesure l’enthousiasme de la jeune femme. Et parmi les auteurs qu’il veut lui faire lire, il y a justement cette Madame de Staël, dont il espère apparemment beaucoup, puisqu’il s’empresse de demander dans la première lettre qu’il lui adresse : « aimez-vous Madame de Staël ? », comptant bien qu’elle répondrait par l’affirmative (« I hope you will like Madame de Staël »), et qu’ainsi une correspondance s’engagerait entre eux.

    Plus tard, c’est la maman de celle qu’il convoite qui est intéressée à l’affaire : on lui réclame les volumes de Corinne qui leur manquent dans leur lointaine province (« My mother was reading Corinne, and we cannot get the third volume in English in the town »), puis de Delphine : « Tell your mother she can have the rest of Delphine whenever she pleases ».

    Et voici ce que lui-même déclare penser de l’auteur des Réflexions sur le suicide :

    « She is misty and inconsistent here and there, it is true ; she has none of that sprightliness, that bland and sparkling wit, which so gracefully adorns the higher qualities of a young lady I once met with : but if a brilliant imagination, a magnificent intellect, a noble heart, can yield you any delight, then here is for you ! »

    En un mot comme en cent, elle ne vaut pas mieux, ne peut pas valoir mieux que sa Miss Jane, puisque celle-ci est incomparable.

    Ce que j’ai trouvé par expérience c’est que les Anglais se trompent rarement sur les matières touchant à la littérature française. Là-dessus ils ont un goût sûr. Alors que dans beaucoup d’autres pays, les gens vous parlent à n’en plus finir de Zola, de Maupassant, d’Alexandre Dumas surtout (je ne compte pas Voltaire, qui est universellement connu), et c’est à peu près tout. Les Anglais se montrent curieux de la littérature française et la connaissent assez bien. Je crois même pouvoir ajouter qu’ils la comprennent.

  11. Puisqu’on est sur cette question de la littérature féminine, c’est-à-dire produite par des écrivains femmes, je ne saurais assez vivement recommander de lire là-dessus Virginia Woolf, qui a analysé méticuleusement, scrupuleusement la condition littéraire féminine, et même plus largement ce qu’on pourrait appeler la condition intellectuelle féminine.

    Je pense en particulier à un livre comme A room of one’s own (mais aussi à beaucoup d’autres textes, essais, articles). Si ce livre que j’ai cité n’est pas repris dans les deux volumes de la Pléiade à ce jour parus, il a trouvé place en revanche dans le Quarto (Une chambre à soi) — qui complète donc ainsi avantageusement l’édition Pléiade. Vous trouverez que c’est une lecture extrêmement instructive (mais moi je n’ai de toute façon jamais perdu mon temps avec Virginia Woolf).

    A side note : je me demande si Neo-Birt connaît ce petit essai de Woolf au titre un peu provocateur : On not knowing greek. Je le lisais l’autre jour et, allez savoir pourquoi, j’ai pensé à lui.

    • Woolf épuise le sujet en quelque sorte dans ce conseil, dont on a envie de penser qu’elle se le donne à elle-même. Car elle ne dit pas elle-même, mais fait dire ceci :

      « […] if you can forget your sex altogether… so much the better ; a writer has none. »
      (C’est dans The common reader).

      • Sur cette question, la discussion est en cours, elle a commencé depuis plusieurs siècles et elle ne sera probablement pas achevée avant longtemps (du moins je l’espère, car , le jour où elle sera considérée comme close, cela correspondra probablement à une forme de mort ou de stérilisation). En fait, il y a tellement d’espèces différentes d’écrivains femmes que cela revient à dire qu’il n’y a pas UNE littérature féminine (encore une fois, pardon pour le mot en majuscule, je ne sais toujours pas mettre les italiques). D’un extrême à l’autre, et en passant sur l’infinie variété des nuances, on trouve celles qui veulent oublier ou faire oublier leur qualité de femme, supposant par là qu’il y aurait une écriture d’homme considérée comme la seule valable (des Oncles Tom aux yeux des féministes), celles qui possèdent en elles les deux sexes qu’elles en aient ou non claire conscience, celles qui n’en ont aucun, celles qui prennent en compte leurs qualités féminines (réelles ou supposées) et celles qui sont femmes avant tout (selon l’idée qu’elles se font de la ou des femmes), pour qui être femme passe avant être écrivain. Que le concept d’écriture féminine soit utilisé, à des fins de stigmatisation, par des hommes machistes ou revendiqué par des féministes radicales, cela revient à les enfermer dans un ghetto. Cela dit, quels que soient mes préférences et mes choix, il y a des grandes médiocrités et des oeuvres intéressantes dans toutes les catégories. Même du ghetto s’élèvent des voix que je peux entendre. Le fait qu’elles puissent parfois m’irriter profondément n’empêche qu’elles puissent me toucher (nul ne m’irrite – ne me met en colère – plus que Céline et cela ne diminue pas mon admiration.) Après tout, s’il y a des femmes qui prétendent n’écrire que pour les femmes et ne pouvoir être comprises que par les femmes (à noter qu’il y aurait pour elle une essence féminine), il y a aussi des vieux chinois qui n’écrivaient que pour un monde de vieux chinois et dont je peux ressentir les émotions (quand bien même je perdrais en route 90% des caractéristiques proprement chinoises de leur poétique).

        Finalement, je m’en fous, et je fais mienne la phrase de Marguerite Yourcenar (déjà citée, mais quand on aime on ne compte pas), en revendiquant pour les femmes, écrivains-écrivaines ou non, « la liberté d’être autant ou aussi peu femmes qu’elles le désirent »/

        • Je me rends bien compte que cela ressemble fort à une longue série de truismes, et je vous en demande pardon, mais, que voulez-vous, on ne peut pas penser plus haut que son cerveau et on a beau être l’élève au fond de la classe, on se croit autorisé à lever le doigt pour demander la parole, au risque de faire rire les petits camarades.

          • Vous faites bien de dire cela, car voici ce qui me guide depuis des années : mon ignorance, dont l’étendue me fait honte à chaque fois que j’ai le malheur d’y songer.
            Je me suis modelé sur cette phrase d’Évariste Galois que je vous donne :

            « Je me suis souvent hasardé dans ma vie à avancer des propositions dont je n’étais pas sûr. »

            (Évariste Galois est ce très jeune homme qui nous a appris à résoudre des équations algébriques.)

            On n’a pas idée de la puissance de cette phrase !

        • C’est le propre des gens cultivés d’avoir conscience de l’étendue de leurs lacunes.

          Les autres, privés de cette conscience, sont très heureux et sûrs d’eux.

          (Une perle de plus que je vous offre, Domonkos, à enfiler à votre collier de truismes).

  12. J’ai dit à maintes reprises que le « nouveau Kafka » de la Pléiade ne me paraissait pas nécessaire : entendons, pas nécessaire pour moi, car ma bibliothèque en est bien pourvue, et j’ai tant de livres à acheter et à lire !…
    Mais, tout de même, j’irai y voir de plus près. La seule chose qui pourrait me décider, ce serait, qu’on me présente un Kafka un peu débarrassé des bandelettes momifiantes de la psychanalyse et de tout l’attirail « kafkaïen »…
    Je suis singulièrement énervé par la présentation qu’en donne le catalogue de la Pléiade, dans la droite ligne de son éditeur Claude David… Cette imagerie de l’artiste maudit, du malheureux écrasé par la tyrannie paternelle, n’ayant de relations féminines qu’épistolaires et compliquées, à la destinée tragique… La tuberculose qui l’a tué à 40 ans n’était qu’une maladie qui tuait indistinctement des centaines de milliers de personnes et le hasard – non la destinée – a voulu que Kafka fut du nombre. Je ne crois pas que le bacille de Koch soit un agent de la Fatalité ou de la Providence.C’était un être de chair et de sang qui eut des maîtresses et une sexualité d’homme.
    Il eût suffi qu’existât un médicament efficace contre la tuberculose, et on aurait, selon de fortes probabilités, un Kafka émigrant en Palestine, sa Dora Diamant (ou une autre) pendue au bras, père de famille à son tour, pourquoi pas ? Faisant carrière d’homme de lettres, pire encore, ô comble du blasphème, acquérant un jour la nationalité israélienne ! Et patatras ! le mythe se briserait en mille morceaux.
    Bref, j’aimerais qu’on me parle un peu plus de l’écrivain et un peu moins d’un « cas » comme aimaient les épingler à leur tableau de chasse l’inénarrable sorcier Sigmund Freud et ses disciples.

    • Pour la tuberculose, peut-être, mais des maîtresses, une sexualité, Kafka ? Il suffit de lire une pièce comme Un mariage à la campagne pour se convaincre que non ; ou alors les lettres à Milena, les lettres à Felice. Ou même l’extraordinaire Terrier. Et que penser du personnage de Joseph K. dans le Procès, avec ses innombrables avocats !
      La lettre au père est elle aussi très instructive, pas sur les rapports avec les femmes, mais sur le poids tout à fait accablant du père.

      Mon cher Domonkos, le Kafka que vous décrivez, citoyen israélien ordinaire, eût peut-être produit des articles, de petits romans plus ou moins ennuyeux, mais pas les « ovni » que je viens de citer.

      Je dois dire que même si j’aime tout Kafka, ma préférence va aux fragments narratifs : ces nouvelles qui n’ont parfois qu’une phrase ou deux et qui, malgré cela, font tout leur effet.

      • J’allais écrire ce matin que j’avais oublié la plus belle pièce à conviction : le journal de Kafka. En ouvrant l’édition que j’en possède, et en cherchant bien, on tombe sur ceci (et pardon de ne pas citer la traduction française à laquelle je n’ai pas accès au moment où je parle) :

        « It is easy to recognize a concentration in me of all my forces on writing. When it became clear in my organism that writing was the most productive direction for my being to take, everything rushed in that direction and left empty all those abilities which were directed toward the joys of sex, eating, drinking, philosophical reflection and above all music. I atrophied in all these directions. This was necessary because the totality of my strengths was so slight that only collectively could they even halfway serve the purpose of my writing. »

        On ne peut pas être plus explicite ni plus sûr que Kafka lui-même. L’homme s’est abîmé dans la littérature, il lui a tout donné : il ne reste rien pour tout le reste : atrophie de toutes les autres fonctions par sévère manque de robustesse.

    • Quelqu’un sait-il si une traduction et une publication en français de la biographie monumentale en trois tomes (Die Jahre der Entscheidungen, die Jahre der Erkenntnis, die frühen Jahre) de Reiner Stach est en projet? Elle a déjà été traduite en anglais chez Princeton University Press et en espagnol.

    • Le Kafka de Vialatte est justement non psychanalysé. Les traductions de Vialatte malgré leurs très grandes qualités et leur aspect historique seront toujours intéressantes, mais lisons surtout les textes de Vialatte sur Kafka (mon Kafka – Les Belles Lettres). Vialatte qui disait intelligemment de Freud que sa lecture était passionnante…. si l’on voulait en apprendre plus sur… Sigmund Freud. Pas sur tous les êtres humains en général. Le problème de beaucoup d’adeptes de la psychanalyse étant d’en faire une grille de lecture universelle. Comme disait Mark Twain: toutes les généralisations sont fausses. Y compris celle-ci.

  13. Un internaute fait ce commentaire sur l’édition anglaise de cette biographie : « There are no sources, no quotations, only speculation, and a constant dismissive attitude towards other Kafka scholars. »
    S’il a raison, je n’aurai pas envie de la lire. Il semblerait que ce soit un travail assez peu académique. Je n’en sais pas plus.

  14. Kafka et Carlyle.

    Même là où l’énergie vitale abonde, on ne saurait répondre à tout, suffire à tout. Un moment vient où on est vaincu. Les conséquences en sont généralement terribles, et parfois la sanction, la rançon c’est la mort.

    On est ici dans le domaine de l’énergétique, et l’on peut imaginer une gradation, une échelle aux deux extrémités de laquelle on ferait tenir un Kafka à l’une, un Thomas Carlyle à l’autre. Les plus nantis dans ce domaine ne sont nullement à l’abri des tourments, pour peu que la perturbation, le dérangement de l’équilibre soit de taille et de force suffisantes. Et chacun sait que de ces atteintes mortelles la vie a le secret.

  15. Je me posais une petite question à propos de ces étranges volumes annuels à « tirage spécial » (ce qui veut dire excellent pour la cheminée?) Quel est leur intérêt ? Pour le Robinson 2018, est-ce une nouvelle traduction avec un appareil critique tout neuf? Pourquoi acheter un volume qui ne contiendra que Robinson (sauf erreur) dans les 60€ j’imagine alors que le tome 1 de ses œuvres qui contient en plus d’excellents textes (Journal de l’année de la peste, Jean Sheppard, etc) se vend sur internet à l’état neuf dans les 35/38€….! Ça reste un mystère. Éloge de l’inutile…. De même pour les rééditions en coffret (même si le boitier Yourcenar est très joli, c’est bien léger pour un achat aussi coûteux je trouve!!!). Mais je suis injuste: le boîtier Jean d’Ormesson est superbe : quel plaisir d’avoir enfin sa photo en grand dans le rayonnage de mes pléiades XXème siècle, entre les coffrets Aragon et Marguerite… misère misère….

    • Dans ma petite librairie, aux marges de la France, nous ne sommes que DEUX amateurs de la Pléiade. Sans nous connaître, nous avons des nouvelles l’un de l’autre par notre libraire loquace.
      Ainsi, je sais que monsieur X ne prend JAMAIS les coffrets, alors que je les prends quand je peux (simplement parce qu’ils sont jolis), ce que mon libraire a bien noté.
      Cher Tigrane, ma question était l’inverse de la vôtre : Mais pourquoi diable monsieur X ne prend-il jamais les coffrets si jolis ?
      Je n’ai pas de réponse ; j’ai demandé au libraire de se renseigner mais il a oublié ; il s’en fout ; tout le monde se fout de tout ; peut-être m’a-t-il pris pour quelqu’un de vaguement dérangé ?
      Quant à vos questions : simple offre faite aux collectionneurs compulsifs ; c’est l’effet Pokemon (« attrapez les tous »).
      J’avais aussi noté que les tirages spéciaux sont économiquement non rentables par rapport à l’édition Pléiade classique.

      • Perso, je suis furieusement coffret. Je n’irais pas jusqu’à me séparer d’anciennes pléiades pour les racheter en coffret (pas fou à ce point !), mais je me laisse facilement convaincre d’acheter des auteurs manquants à ma bibliothèque à l’occasion de leur re-sortie en coffret.

        Il a même dû m’arriver – coupable faiblesse – d’acheter des nouveautés que j’aurais normalement hésité à acquérir, en me laissant séduire par la présentation en coffret : pas seulement à cause de son esthétique (bien que) mais aussi à cause d’un certain sentiment de complétude… Stupide de ma part ! Et il y a bien 1 ou 2 auteurs dont je songe sérieusement à me débarrasser, car je ne vois guère la nécessaire nécessité de leur présence chez moi…

        Il y a au cinéma des acteurs dont le talent de comédien n’est pas sidérant, mais à qui on accorde la qualité d’être de « bons porte-manteaux » – est-ce l’équivalent de l’ancienne expression françoise : « porter beau » ? Clooney a eu pendant assez longtemps cette réputation… C’est un peu ce qui arrive dans le cas des auteurs que j’évoque (sans les nommer, pour ne pas provoquer une polémique intempestive).

    • Monsieur X n’achète jamais les coffrets, tandis qu’ils me séduisent assez, comme ils séduisent Domonkos.
      Remplacer « prend » par « achète ».
      Voilà le résultat quand on répond impulsivement depuis son téléphone, dans les toilettes d’un camping, soumis à la pression psychologique d’une épouse qui se demande bien où l’on est encore passé.

      • Je peux comprendre monsieur X: il y a quand même une certaine utilité à avoir un boîtier/étui individuel pour chaque volume, par exemple lorsqu’on veut emporter en déplacement un seul volume sur les deux d’un coffret. L’idéal serait d’avoir les deux: que le coffret ne se substitue pas aux étuis, mais enserre les volumes chacun sous son étui !

        • Vous voulez ruiner la vénérable Maison Gallimard !

          Sérieusement, je me suis déjà fait la réflexion sur cet inconvénient du volume ne disposant pas de son étui individuel : il lui est effectivement difficile de se déplacer sans cet protection très loin du nid. Autre inconvénient, on peut se sentir obligé d’acquérir les deux volumes – au prix fort – alors qu’on se serait contenté d’un seul qui contient les oeuvres qui nous intéressent vraiment. Même chose si on songe à se séparer d’un volume : impossible !

          Bref, comme je le disais, c’est avec grande honte que j’avoue cette faiblesse pour les coffrets, que rien ne peut justifier.

        • J’ai exactement le même problème (et le même dilemme). L’absence d’étui individuel pour les volumes en coffret m’embête. Je transporte souvent le livre que je lis dans mon sac, j’ai ainsi abîmé mon précieux volume de Virginia Woolf car il n’avait pas d’étui. Mais d’un autre côté, je trouve les coffrets jolis. J’ai réglé le problème en demandant un étui vide à ma librairie, mais le seul qu’ils avaient était celui de Platon. Donc je transporte gaiement un volume de Woolf dans un étui de Platon (qui par un merveilleux hasard fait exactement la même taille). Pour le nouveau Kafka, j’hésite vraiment entre le coffret et les étuis individuels.

          Sinon, il y a la possibilité (moche, certes) de faire fabriquer un étui en carton sur mesure. Certains le font pour 3 euros.

          • Pour ma part, je plie le pléiade en cours de lecture dans du papier bulle rangé dans mon sac. Étuis et rhodoïd retirés, mis de côté le temps de la lecture. Bon, je fais aussi partie de celles et ceux qui griffonnent au crayon à papier dans les volumes (coquilles, passages aimés…) – histoire de montrer que je les ai ouverts et lus…
            Et si je peux, je privilégie les coffrets.
            Une illustration des étuis façon I Meridiani me plairait parfaitement (cf le lien suivant : https://img4.annuncicdn.it/08/69/0869fec7a36458089a45071c39301d0c_big.jpg)

          • Il ne faut jamais enlever le rhodoïd. Hier, mon chat a profité d’une minute d’inattention pour griffer Gide. Il a laissé une belle marque.

            Effectivement, I Meridiani offrent de très beaux coffrets. Et on constate sur l’image qu’ils ont Marquez, eux (et Saramago, et Musil, et Mann, et Mishima, et Soljenitsyne…). Mais bon, nous avons d’Ormesson…

          • Superbes, ces coffrets !
            On trouve en effet sur la baie des boîtiers neutres – de meilleure qualité que ceux d’origine !
            La qualité des coffrets illustrés chez Gallimard a fortement diminué ces derniers temps ; le risque, avec le temps, est que les coffrets se dégradent, se déchirent… Et eux, sont impossible à remplacer à l’identique, contrairement aux jaquettes classiques (voir les fac simile des jaquettes des premiers albums à la vente sur internet, certes à prix élevé, mais cela permet de rafraîchir les vieux albums devenus collectors).

  16. C’est moi cher Draak qui avait le cervo-lant. Je n’ai rien contre les coffrets lorsqu’ils proposent des rééditions fort a propos de volumes épuisés ou qu’ils offrent de nouveaux volumes mais par exemple, dans le cas de Yourcenar où ce coffret ne sert qu’à recycler et faire vendre (si tant est que cela fonctionne vraiment) des invendus parce qu’invendables volumes défectueux que Gallimard devrait cacher, je trouve ça pour le moins dommageable. Vous me direz que je n’avais qu’à pas les racheter…. mais le boîtier est joli alors… faiblesse coupable… je dois être le seul au monde à posséder 9 volumes Pléiades de Yourcenar !! Toutes les éditions de son vivant et posthumes, les rééditions et les retirages et le coffret. En ajoutant les volumes « Pléiades » italiennes, je dois être à une bonne quinzaine ! Faut-il être bêta ?! Oui certes.

  17. Je voudrais lancer le débat, en n’osant espérer intéresser grand-monde au delà des Aristarques les plus chevronnés (Tigrane, Ahmed, Zino, Demonkos), sur le traitement réservé par la Pléiade aux lettres des grands écrivains français. Parce qu’elle remanie l’édition Garnier de 1960-1969, où ce parti-pris avait été adopté, la correspondance (hormis les lettres à Madame Hanska) de Balzac par Pierrot, à ma connaissance, est la seule jamais parue sur papier bible qui admette systématiquement les lettres reçues par l’auteur. Composées non plus en italiques comme dans les volumes Garnier (solution fort satisfaisante à l’oeil) mais dans un moindre caractère, qui en complique la lecture, ces missives sont presque aussi nombreuses que celles du grand homme, pour une longueur souvent disproportionnée (je pense aux interminables lettres écrites par tel ou tel éditeur tentant d’amadouer Balzac consécutivement à des coupes claires pratiquées sur son manuscrit). Quel intérêt, sinon celui de donner à la publication, déjà déséquilibrée par la suppression du roman épistolaire avec la comtesse polono-ukrainienne, une certaine masse critique ? Les notes n’en sont d’ailleurs même pas allégées d’autant. Pichois éditant en Pléiade la correspondance de Baudelaire, del Litto et Martineau faisant de même pour celle de Stendhal (édition sur laquelle voir del Litto et al., « Correspondance générale », I, pp. XXXIV-XXXVI), ou encore Deloffre adaptant dans la collection la seconde mouture de Besterman, « Voltaire, Correspondence and Related Documents », ne retiennent aucune missive intruse; si, dès le tome II de son édition Pléiade de Flaubert épistolographe, Bruneau indique bien, dans sa page de faux titre, inclure les lettres de « quelques correspondants », il a tenu parole et aucun de ses cinq volumes n’approche tant soit peu du farrago de Pierrot. De fait, hormis les deux éditions Besterman des lettres de Voltaire, entreprises qui doivent une bonne part de leur immensité à la reproduction inlassable des lettres des correspondants de l’agitateur de Ferney, les publications des opus épistolaires les plus vastes de notre littérature, ceux de Napoléon Ier, Mérimée, Sainte-Beuve, Sand, s’en tiennent aux seules missives de l’auteur (et on n’ose pas imaginer qu’une correspondance générale de Victor Hugo, entreprise dantesque s’il en est, puisse faire autrement). En octroyant à Pierrot la liberté de continuer à tronquer les lettres de Balzac et à les caviarder comme il l’a fait dans les années 60, Gallimard a donc manqué une belle occasion d’uniformiser le traitement éditorial des correspondances dans sa propre collection, et nous vend l’équivalent d’un tome de paperolles non balzaciennes sans grand intérêt au lieu des 2036 pages format Bouquins des lettres à Madame Hanska (édition dont le volume I, épuisé depuis longtemps, se trouve difficilement à des prix raisonnables).

    • La question est de la plus haute importance et passionnante. J’attends avec impatience l’avis des vrais savants qui hantent ce lieu.

      Je ne puis donner qu’un avis d’amateur aux faibles lueurs (à moins d’entendre Aristarque selon son étymologie, quelque chose comme « bon prince », et encore, au sens populaire de cette dernière expression…). Il me paraît effectivement que sous le titre « Correspondance de Balzac » la Pléiade nous refile pour moitié de la fausse monnaie, tout en nous privant de la monnaie de bon aloi représentée par les lettres du grand homme à sa lointaine muse. Impardonnable et insupportable, et raison suffisante pour ne pas consentir à l’acquérir au prix de ses propres écus, sonnants et trébuchants.

      Il est vrai, qu’à l’opposé, lisant telle ou telle correspondance (le terme n’entend-il pas signifier un échange et non pas un simple monologue ?), il m’est plus d’une fois arrivé de regretter de ne pas disposer des lettres auxquelles répond l’auteur. S’il ne saurait être question d’alourdir et de dénaturer la Correspondance de X, par celles de W, Y, Z et autres, je ne trouve pas blasphématoire d’y inclure quelques lettres provenant, soit de correspondants eux-mêmes considérables, soit – et surtout – de lettres importantes par elles-mêmes et qui éclairent les réponses de X.

      Le choix et le dosage sont délicats (la farce peut relever la saveur d’une volaille, elle ne doit pas, par excès, la changer ou l’abolir), et prêteront de toute façon à contestation, voire à polémique. Peu importe, tant que les débats n’ont pour but que d’éclairer. La solution adoptée pour Flaubert me convient, même si elle est sans doute discutable dans le détail.

      PS : tant que j’y suis, dans certains cas la présence (au moins dans les notes, si on ne veut pas défigurer la correspondance d’un auteur par trop d’interventions extérieures) de certaines lettres est indispensable, par souci de clarté et d’honnêteté intellectuelle. Et j’en profite pour dire que je supporte de moins en moins les ouvrages à tendance hagiographique qui épousent les querelles de l’auteur qui en fait l’objet, dans lesquelles le spécialiste de X donne systématiquement « raison » à X lorsque que ce dernier débat avec Y, tandis que, le spécialiste de Y donnera systématiquement raison à Y contre X. C’est stupide et pénible.

      • Une petite expérience statistique prouve en effet que la correspondance de Balzac en Pléiade est une tartufferie indigne.

        Sur les six premiers mois de l’année 1832, choisie au hasard, l’édition Pléiade (I, pp. 447-560) imprime 132 lettres ainsi qu’un traité littéraire (avec Mame), soit 133 numéros; là-dessus, on compte seulement 50 lettres de Balzac contre 82 missives à lui adressées par des tiers, ces dernières de très loin les plus longues (Zulma Carraud, la duchesse d’Abrantès, Delphine de Girardin aimant à pérorer sur trois ou quatre pages en typographie serrée). L’édition Garnier (I, pp. 642-739; II, pp. 7-34) ne donnait que 95 lettres, numérotées en continu de 390 à 495, ainsi que 6 autres missives, connues trop tard et rejetées dans le Supplément qui conclut le tome V, de 1969, soit 101 numéros; la Pléiade redate de la première moitié de 1832 une lettre connue de l’édition Garnier mais assignée à une autre période de la vie de Balzac, et ajoute ainsi 30 numéros. Hélas, cet accroissement ne constitue qu’un trompe-l’oeil: seules 7 de ces lettres émanent de Balzac lui-même, et il ne s’agit que de très courts billets, dont l’intérêt est presque inexistant y compris pour la paire de missives touchant l’oeuvre balzacienne (n°32.34, 8 lignes; 32.63, 5 l. 1/2; 32.66, 2 l.; 32.68, 2 l.; 32.85, 1 l. 1/2; 32.98, 12 l.; 32.130, 15 l.). En d’autres termes, ainsi qu’on s’en rend compte en échantillonnant d’autres années, la Pléiade des lettres de Balzac s’est presque exclusivement gonflée de superfluïtés par rapport à l’édition Garnier tout en maintenant l’absurde excision de la correspondance avec Madame Hanska; pire encore, l’annotation des ‘nouvelles’ lettres est plus serrée encore que celle des lettres publiées entre 1960 et 1969, signe de la faiblesse des forces de Pierrot qui n’a guère revisité son oeuvre ancienne non moins que témoignage éloquent de l’incapacité de son auxiliateur Hervé Yon, « le banquier qui sait tout de Balzac », à faire oeuvre de savant.

        • Il faudrait rebaptiser ces volumes : « Correspondances croisées de Balzac et de quelques-uns de ses contemporains » pour que le contenant corresponde au contenu ; le candide lecteur serait ainsi prévenu de la nature de l’objet dont il fait l’acquisition. Quant à celui qui s’intéresse modérément aux lettres de ces Dames salonnardes, il pourrait passer son chemin l’âme légère (et la bourse pleine).
          Le moins que puisse faire la Pléiade, pour nous dédommager, serait de publier un volume consacré aux Lettres à Mme Hanska, mais par les temps qui courent, il n’y faut point trop compter.
          Et on va encore nous reprocher d’être trop sévères avec la vénérable !

          • Les lettres à Madame Hanska plus leur annotation, ainsi que le très petit corpus constitué par les missives conservées de ladite dame et de ses enfants à Balzac, occupent 2036 pages au format Bouquins, sensiblement plus spacieux que celles de la Pléiade (un bon tiers de texte à peu près, et je pèche sans doute par défaut). Si l’on ajoute qu’il faudrait refaire de fond en comble les prolégomènes, vraiment très succincts dans l’édition Bouquins (laquelle se rattrape en offrant cinquante pages d’une chronologie de la vie de Balzac et des principaux événements historiques et littéraires de son temps particulièrement bien conçue) et compter encore les 90 pages de l’index, pour ne rien dire de l’éventuelle pertinence d’une refonte des notes histoire de ne pas laisser de trop nombreuses lettres virtuellement vierges d’élucidation, on approche des 3000 pages au format Pléiade, soit deux volumes moyens de la collection. Autant dire un trop gros investissement pour Gallimard, si tant est qu’avec la mort de Chollet et de Pierrot la respectable maison trouve un spécialiste capable de les émuler dans cette tâche.

          • Cela ferait un joli coffret comme il est de mode… Mais, bien entendu, cela ne sera pas. C’est énervant, mais tant pis pour nous, et surtout, tant pis pour la Pléiade. Qui sait, nous aurons peut-être un jour, en lieu et place, la correspondance de Jean d’Ormesson ?
            Au fond, sur un petit siècle, la Pléiade sera le reflet des évolutions de son époque, sur le plan de la littérature : et, comme notre temps présent ressemble, en ce domaine, à un crépuscule…

          • Pour filer la métaphore, elle nous offrira encore quelques beaux couchers de soleil, jettera ses derniers feux – que certains s’entêteront à voir comme des aurores – mais cela n’empêchera pas la nuit de venir, avec ses créatures de cauchemar (ici, chacun mettra les noms des auteurs qui lui semblent haïssables, cela m’évitera d’inutiles polémiques).

      • Demonkos, j’emploie Aristarque substantivisé au sens classique de « juge sévère et compétent », idiomatisme français qui perpétue un usage propre au meilleur latin (Cicéron, Horace, etc).

        Je vous approuve totalement aussi pour ce qui concerne l’adhésion peu critique aux passions et travers de leur auteur favori dans laquelle donnent trop d’universitaires; pour un Bonnerot père puis fils commentant la correspondance beuvienne de manière presque exclusivement factuelle malgré les innombrables chausse-trappes ménagées par l’érudition ou la manière chafouine du grand critique, pour un Bruneau rendant le même service à la correspondance flaubertienne, combien de critiques littéraires écrivant sur Musset ont conspué George Sand ? combien de balzaciens ou de flaubertiens rencontrant incidemment Sainte-Beuve ont résisté à l’envie d’éreinter l’auteur de Port-Royal? La pondération un peu froide dont étaient capables les meilleurs experts de Balzac, Castex, Citron, Meininger, Le Yaouanc, a autrement mieux vieilli que la rhétorique passionnée dont sont encombrés les pondéreux traités d’un Barbéris.

        • L’exemple de Musset et Sand ne peut que nous venir à l’esprit, tant il est vrai que nombre de « critiques » se sont conduits en la matière comme des avocats de l’une ou l’autre partie dans un procès de divorce. Ce qui donne à penser sur la hauteur de leur pensée et décourage de les lire attentivement. (Et, dans les cas où on aime et apprécie les deux auteurs, on se retrouve dans la situation des amis d’un couple, sommés, après divorce, de choisir l’un ou l’autre.)

          ………………………………

          J’accepte le « sévère et compétent », au moins comme un objectif à atteindre, car je crois que chacun des deux termes peut être appelé à corriger l’autre : la sévérité protégeant de la complaisance que la compétence ne sait pas toujours éviter, la compétence pouvant éviter à la sévérité de devenir condamnation sans appel.

          • J’espère que Zino, de retour des plages, va nous faire profiter de ces deux qualités dont il est au plus haut point pourvu…

  18. L’incursion de l’idéologie dans la langue française, avec ce zèle constaté de plus en plus de sur-genrer l’écriture, si j’ose me servir de ce barbarisme que je viens d’inventer à l’instant. On doit aussi parler de l’envahissement progressif de la langue par les « valeurs » de la morale algébrique issue du monde calviniste anglo-saxon, mais ce n’est pas le lieu ici. Si on en reste donc à l’écriture genrée, j’ai eu cette petite réflexion ce matin : en viendront-ils à l’appliquer aussi aux choses ? Ainsi, rejetteront-ils le masculin pluriel quand il est appliqué à un ensemble de choses inanimées dont certaines ont le genre masculin tandis que les autres s’écrivent, se sont toujours écrites au féminin ?

    C’est sans rapport avec la Pléiade, c’est entendu, mais tout de même, la Pléiade s’y pliera en temps voulu, au moins pour les auteurs de génie qui sont nos contemporains aujourd’hui et qui vivent dans la même folie collective que nous.

    J’écrivais ceci entre deux corvées, et voilà qu’au moment de venir coller ce texte ici, j’aperçois l’invitation à débattre de Neo-Birt, et dans celle-ci, au premier regard, le nom de del Litto. Quel dommage que je ne puisse, faute de temps, tout lire et peut-être répondre.

    Excellent dimanche à tous.

    • Je viens d’entendre une ministre (mais ce n’était pas la première fois que j’entendais cette monstruosité, parmi d’autres, après cette autre horreur qui se généralise, selon laquelle « elle s’est faite avoir »…) affirmer qu’elle était la « (…) numéro une » !

      Je me souviens des pseudo-intellecctuels mi-marxisants mi-freudisants, des années 70 qui, avant d’aborder le contenu d’un discours (s’ils l’abordaient jamais), n’avaient de cesse de s’inquiéter : « qui parle ? et d’où parle-t-il ? » Puis il y a eu la multiplications des jargons. Tout ce qui pouvait détruire la langue commune étant bon à prendre.

      En poussant cette évolution jusqu’à son extrême logique, je propose qu’on créé deux langues différentes, l’une exclusivement féminine, l’autre exclusivement masculine : ainsi, quand les deux sexes ne se comprendront pas en se parlant, on saura pourquoi et on ne s’étonnera pas. C’est de toute façon le rêve utopique de certaines « féministes » : que les hommes et les femmes vivent sur deux planètes différentes (selon la formule à l’eau de rose qui a décoré tant de couvertures de livres et de magasines : les hommes sur mars et les femmes sur vénus…).

  19. Je viens de prendre connaissance, sur le site de la Pléiade, du contenu et du commentaire de la nouvelle édition des oeuvres de fiction de Kafka. Je ne sais depuis quand il s’y trouve et je suis peut-être le dernier à m’en apercevoir ?

    Je ne sais trop quoi en penser sur le fond, trop peu d’informations à ma disposition. Une certaine logique semble sous-tendre l’entreprise. Peut-être me leurrai-je ? Quelqu’un, ici, dispose-t-il de plus d’informations ? Je ne cracherais pas sur quelques avis éclairés…

    Cependant, fidèle à moi-même – de cette fidélité qui consiste à être régulièrement infidèle à moi-même et changer de direction comme une girouette – je sens vaciller ma volonté de ne point acquérir cette nouvelle mouture. Il faudra que je vois et juge sur pièces.

    Ne serait-ce que pour pouvoir me débarrasser de l’insupportable Claude David, dont le discours pleurnicheur et doloriste me laisse à chaque lecture vaguement nauséeux.

    • La composition de l’équipe responsable de ce nouveau Kafka a de quoi laisser dubitatif: Jean-Pierre Lefebvre, célèbre pour ses scies que ce soit sur Hegel (Aubier-Montaigne) ou la poésie allemande (Pléiade): le vétéran Lortholary, auquel il est à craindre que l’on se sera contenté de demander qu’il révisât sa classique version française du Château nonobstant la promesse que ces volumes apportent des traductions nouvelles; Stéphane Pesnel, touche à tout qui n’a encore à son actif pas le moindre fait de translation littéraire; et son contraire, Isabelle Kalinowki, dans la philologie germanique de laquelle sa contre-performance sur Max Weber (voir J.-P. Grossein, ‘A propos d’une nouvelle traduction de « L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme » ‘, Revue française de sociologie, 43, 2002, pp. 653-671) inspire une confiance mesurée. Voilà pour le moins assemblage aussi hétéroclite que ceux qui pilotèrent les « Premiers écrits chrétiens » et l’Augustin de la Pléiade, dont les faiblesses ne sont que trop apparentes aux spécialistes; « engin plus bariolé qu’une peau de lynx », ὦ μηχάνημα λυγχὸς αἰολώτερον disait Plutarque.

      • Etablissements NeoBirt 7, venez y séjourner et vous raffermir le cuir en tâtant de ses douches glacées ! Effet garanti !

        Ne prenez pas ma blague en mauvaise part, cher NéoBirt, j’espère simplement qu’en l’occurrence vous serez mauvais prophète (espoir ou illusion ?). Quoi qu’il en soit, qu’un miracle se produise ou non, ce que je voudrais, par-dessus tout, c’est que Kafka soit considéré et traité comme un écrivain, et non pas comme un cas clinique, un phénomène de la foire littéraire, ce «Juif de Prague, dégingandé et malingre, écrasé par un père tyrannique, hanté par les fantasmes de l’impuissance, prompt à s’éprouver coupable et à s’infliger des châtiments imaginaires, doutant de son talent et de son droit à l’existence » que nous dépeint complaisamment Claude David. Lequel, englué dans son narcissisme, finit par s’imaginer que le malheureux Kafka n’a d’autre utilité que de refléter la figure et les petites misères d’un quelconque Claude David : « On a pu dire de lui qu’il renvoyait comme un miroir toutes les angoisses et tous les problèmes de ceux qui le lisent ou qui le commentent. […]» Sur cette rare ineptie, cette négation de la littérature transformée en diagnostic médical, il n’y a plus qu’à tirer le rideau !

        Je crois avoir lu que Sacher-Masoch détestait qu’on ait utilisé son nom pour créer le terme de masochisme, exigeant qu’on le considère comme un écrivain, auteur d’une oeuvre littéraire. Nul doute que Kafka aurait détesté que le terme « kafkaïen » soit collé comme un masque sur son visage.

        • Pas sûr non plus que le dit vain Marquis (oui, c’est exprès) se serait réjoui d’être le parrain d’une pathologie, lui qui avait également des prétentions littéraires, voire philosophiques. (Mais qu’ont-ils donc, ces écrivains, à se prendre pour ce qu’ils sont ? Quelle impertinence !)

        • Lui-même s’est mis en scène dans Un artiste du jeûne — de qui d’autre peut-il parler dans ce texte extrêmement curieux ? —, en phénomène de foire. L’avez-vous oublié ?

          Mais tout cela n’empêche pas que Kafka est un écrivain. Je ne l’ai pour ma part jamais pris pour autre chose qu’un écrivain.

          Je trouve aussi que vous avez la dent dure avec Claude David, maître d’œuvre de nos précieuses premières Pléiade Kafka.

          Il m’est arrivé de converser avec quelques Ukrainiens lettrés. A la mention du nom de Sacher-Masoch, j’ai vu passer quelque chose sur les visages que j’ai pris pour du mépris mélangé d’un peu de haine. Il m’a semblé comprendre qu’on ne souhaitait pas que le nom de leur pays soit associé dans l’esprit des étrangers à celui de cet écrivain. Généralement, la conversation dévie à ce moment vers Gogol. Heureusement, il n’y a rien de tel en France — en tout cas pas de sentiment universel — concernant Sade.

          • Sans conteste Gogol est un écrivain bien supérieur et bien plus essentiel que Sacher-Masoch. Je ne range pas le second au rang des grands de la littérature. Par contre, je me contrefiche des histoires de jugement moral et encore plus des nationalités que les découpages politiques modernes ont collé sur la face d’écrivains étant nés et ayant vécu dans une Europe aux frontières fort incertaines. Sacher-Masoch serait ukrainien ? Ha ha ha ! Lemberg, appartenant alors à l’Empire austro-hongrois s’appelle aujourd’hui Lviv et se trouve en Ukraine ? La belle affaire ! Que les ukrainiens ne veuillent pas de cet auteur sulfureux ne peut que me réjouir. (Et je pourrais dire la même chose pour toutes les revendications nationalistes d’auteurs morts et enterrés, même et y compris celles qui émanent de France.

            Par ailleurs, je prends le risque de vous être importun – et j’en suis fort désolé – en maintenant mon point de vue sur les discours de Claude David – mais ce n’est que mon point de vue et il n’a pas force de loi, fort heureusement. N’hésitant pas à aggraver mon cas, j’affirme également qu’on ne saurait identifier un écrivain à l’un de ses personnages, quand bien même celui-ci aurait le statut de narrateur, quand bien même se présenteraient certaines similitudes entre les deux. Ce qui rapproche un auteur d’un de ses personnages ou narrateurs est accessoire, ce qui les sépare est essentiel. Ne vous faites pas l’avocat du diable, cher Ahmed, vous le savez aussi bien, sinon mieux, que moi.

          • Ma suppression arbitraire de la distance entre auteur et personnage était volontaire en réalité et se voulait une sorte de provocation. Mais il est tout aussi vrai que j’ai dès longtemps pris pour habitude de ne distinguer pas Kafka des étranges créatures sortant de son imagination. Qui peut soutenir que Joseph K. ce n’est pas lui ?

          • Vous me poussez à compléter ce que j’ai dit précédemment : les créatures des écrivains sont bien entendues l’écrivain lui-même – idéalement lui-même, plus lui-même que lui-même – et Joseph K. est bien sûr Kafka himself.

            Mais cela n’empêche qu’on ne peut radicalement pas identifier l’écrivain à ses créatures ni Kafka à Joseph K.

          • Dit autrement – et plus platement, mais la platitude a ses vertus – les auteurs morts ou loin de nous se confondent pour nous avec leurs créatures dans une même immatérialité, mais il faut imaginer qu’ils sont ou qu’ils ont été des êtres de chair et de sang, ce que leurs personnages n’ont jamais été. Cela seul devrait suffire à se convaincre que rien ne peut les rapprocher, encore moins les confondre : comme on dit vulgairement – mais la vulgarité, etc. – « ils ne sont pas du même monde ».

          • Cela me conduit à la réflexion – je m’éloigne de plus en plus du sujet et, plus grave encore, il y a longtemps que j’ai perdu de vue le domaine de la Pléiade dont nous sommes censés nous entretenir ici – que l’écrivain serait un démiurge créant un monde et des êtres qui s’y meuvent, auquel il ne peut lui-même accéder. Une sorte de dieu interdit de séjour dans le monde qu’il a tiré de lui-même.

          • Oui, très belle, votre dernière réflexion. Or il n’aura échappé à personne que je préfère ce genre de réflexion aux dissertations sur la Pléiade, ou sur n’importe quelle collection de librairie. Mais que le propriétaire de ce lieu n’ait crainte, et vous chers lecteurs occasionnels inconnus et silencieux : je me modère vraiment autant que je peux.

  20. On savait de longue date la correspondance générale de Balzac, par exclusion des lettres à Madame Hanska, fort décevante sur les plans littéraire et historique ainsi que d’un intérêt presque exclusivement biographique; l’insertion des missives reçues par le romancier à laquelle s’est livré Pierrot n’en relève pas la valeur. Je comprends d’autant plus mal que cet ensemble ait été réédité dans la Pléiade qu’une nouvelle enquête statistique menée sur une tranche de textes démontre et la surreprésentation des lettres reçues par opposition avec les lettres dues à la plume de Balzac, et le caractère hautement décevant de l’accroissement documentaire survenu depuis l’achèvement de l’édition Garnier. Soit l’année 1835, où les textes balzaciens collectés dans la Pléiade (I, pp. 1038-1186: 195 numéros) surpassent en quantité les lettres reçues à hauteur d’un cinquième (102 contre 81, plus 12 documents à caractère non épistolaire: déclarations, traités éditoriaux, contrats); on constate toujours la même disproportion entre les missives du romancier, généralement brèves, voire lapidaires, ainsi que de caractère utilitaire, et celles de ses correspondant(e)s, longues à proportion des mondanités ou des considérations intimes que soulèvent ses intimes. L’évolution du corpus par rapport au tome II de l’édition Garnier (n° 863-1025, aux pp. 609-797) est sensible: 33 unités ont refait surface depuis 1962. Ce total tombe cependant à 25 si l’on défalque les lettres publiées dans le Supplément du tome V (1969); et malheureusement Balzac n’a commis dans ce nombre corrigé que 6 lettres, dont plusieurs demeurent de datation, ou même d’identification, conjecturales. Qui pis est, lesdits documents inédits cumulent les handicaps de la brièveté (35.16: 6 lignes; 35.47: 9 l.; 35.99: 12 l.; 35.152: 9 l.; 35.153a: 9 l.; 35.191: 8 l.) et de la vacuité thématique, la seule présentant quelque intérêt étant 35.99, en ce qu’elle intéresse l’oeuvre romanesque de Balzac. Je vois donc bien mal l’intérêt, pour un lectorat autre que spécialisé, de cette correspondance générale Pléiade dont les matériaux nouveaux concernent presque exclusivement le courrier reçu par le romancier, et dont l’incurie savante se mesure à l’indication donnée par l’appareil critique à la lettre 35.81 (I, p. 1492): « textes publiés et commentés par Agnès Kettler, A(nnée)B(alzacienne) 1988, p. 61-64. – Ici texte intégral, sans nous astreindre à une annotation détaillée ».

    • Je pense que la démonstration est faite et je crois, cher Neo-Birt7 qu’il est inutile de consacrer plus de votre temps à cette entreprise : s’il s’agissait d’un objet de consommation courante, il tomberait sous le coup d’une accusation de faux étiquetage et s’il s’agissait d’un immeuble l’architecte et l’entrepreneur (Gallimard) se verrait reprocher le non respect des données du permis de construire. Hélas, en matière éditoriale, et pourvu que l’auteur soit mort depuis longtemps, tout est permis, notamment de publier sous le nom de « Correspondance de Balzac » quelque chose qui n’a avec cette appellation que de lointains et incertains rapports.

      C’est bien plus grave pour la réputation de sérieux de la collection que la publication de tel ou tel auteur de second ou de troisième ordre. Le ver est bien enfoncé au coeur du fruit et il y a plus que quelque chose de pourri dans le royaume de Danemark.

  21. Je me permets quelque petites réflexions rapides sur l’édition des correspondances, sujet intéressant et qui m’intéresse beaucoup. Pour Balzac, “l’affaire Hanska” est entendue je pense. Comme je l’ai déjà signalé ici, il n’est pas inutile de remarquer que l’éditeur des trois volumes en Pléiade est le même que celui des deux volumes dans la collection Bouquins ; que l’un ne fasse pas d’ombre à l’autre… tout est dit je crois. Et je persiste à dire que la lecture des lettres à Mme Hanska nous en append plus sur Honoré que les trois Pléiades. Cependant, j’ai été intéressé par la correspondance dite «  éditoriale » de Balzac qui montre les rapports complexes et parfois contradictoires entre création et commerce ! (Voir les trois tomes passionnants de J. Verne et Hetzel chez Slatkine). Finalement, cette édition Pléiade restera bien bancale. Cependant, je défend (il faut bien choisir un camp sur ce sujet!) mordicus la publication de toutes lettres (reçues ou envoyées) dans son intégralité. Un élément qui peut sembler anodin ou sans aucun intérêt à un lecteur ou à un chercheur peut devenir passionnant pour un autre. Dans la correspondance de Stendhal, j’avais été un peu déçu par la publication sur des centaines de pages des lettres reçues en fin de chaque volume. Une lettre envoyée répond (parfois ? souvent?) à une lettre reçue; c’est une manière de diptyque sans fin. Certes, aujourd’hui, la toute nouvelle édition en cinq épais volumes a remplacé la vieille Pléiade. Les volumes de la correspondance d’Apollinaire qui a fait le choix de radicalement séparer lettres envoyées et lettres reçues, m’a déçu mais on peut jongler de l’un à l’autre assez facilement ! Dans le cas de M. Yourcenar, lorsque le projet a été discuté d’éditer sa correspondance de « Mémoires d’Hadrien » à « L’Œuvre au Noir » (1951-1968), il a fallu imposer l’exhaustivité car même un petit mot, une courte lettre, une lettre en anglais, un télégramme, un texte joint à une lettre, peuvent s’avérer riche d’enseignements. (C’est un peu long à rapporter ici mais l’histoire amusante de la facture conservée de l’achat d’une nouvelle machine à écrire est significative) Cela donne des volumes yourcenariens parfois peu digestes mais essentiels et enrichissants si l’on s’intéresse à une auteure. Petit point de désaccord avec vous, cher Neo-Birt7, car toutes « missives reçues » par un écrivain peut s’avérer riche. Dans le cas de l’édition d’une correspondance avec un destinataire unique, j’ai toujours préféré voir publié les lettres croisées (à Cocteau, à A. Delvaux, à S. Baron Supervielle, à F. Mitterrand); c’est l’échange qui est intéressant je pense. « Pour une poignée d’élus, les happy few » écrivait le cher Henri. Je me permets d’ajouter: et pour les curieux.

    • Cher Tigrane, imaginez ce qu’aurait été la tâche de Lubin s’il avait dû intégrer toutes les, ou même seulement une fraction des, lettres reçues par George Sand ! Je fais miennes les remarques d’une autorité incontestable en la matière, Claudine Gothot-Mersch : « ces additions ne sont pas indiscutables. Pourquoi tel correspondant et non tel autre ? pourquoi des fragments, et lesquels ? pourquoi cette lettre dans le corps de l’édition, cette autre en appendice ? En réalité, le responsable scientifique a souvent les mains liées : on publie ce qu’on a l’autorisation de publier. Reste qu’actuellement on ratisse fort large, en allant jusqu’aux échanges entre des tiers. Pierre Missac a protesté contre cette façon de concevoir une édition de correspondance : « toutes les barrières sont dès lors rompues, et l’on ne sait trop comment se protéger contre une prolifération cancéreuse, un envahissement du champ des lettres digne d’une pièce d’Ionesco ». Oserai-je dire qu’à mes yeux il n’a pas tout à fait tort ? Une correspondance générale ainsi traité devient quelque chose d’hybride, tendant vers la correspondance croisée sans que ressorte le dialogue qui en fait l’intérêt, puisque ce dialogue est ici entrecoupé par les autres voix. Il n’a pas tout à fait raison non plus : les correspondance annexes [i.e. à celles de Flaubert, NB7] publiées par Bruneau sont souvent d’un grand intérêt. Mais on les verrait peut-être mieux à part, dans quelque Corpus flaubertianum » (‘Sur le renouvellement des études de correspondances littéraires : l’exemple de Flaubert’, Romantisme 72, 1991, p. 8). La tâche est beaucoup plus simple pour les éditeurs modernes des grandes correspondances de l’Antiquité, Cicéron, Saint Jérôme, Symmaque en latin, Libanios, Basile de Césarée, Grégoire de Nazianze en grec, dans la mesure où les responsables ancien de la divulgation de ces corpus épistolaires soit n’ont prêté aucune attention aux missives reçues soit se sont bien gardés de les préserver pour la postérité (quoi qu’on en dise, malgré ses grands défauts techniques et ses excès, la thèse de Carcopino sur « Les secrets de la correspondance de Cicéron » pourrait bien receler un fond de vérité, compte tenu des lacunes vraiment étonnantes de ce corpus et de son inclusion de moult lettres assassines pour la réputation littéraire, morale, intellectuelle de l’Arpinate). Ne peut-on imiter ces exemples pour nos auteurs français classiques ? Tigrane, ce qui est or pour l’expert n’a aucune valeur pour des milliers de lecteurs cultivés et d’universitaires consultant ces éditions souvent coûteuses et minimalistes. Enfin, il y a éditeur et éditeur ; quelque terrible que soit l’écriture stendhalienne, Del Litto reprenant sa correspondance post editionem Martinianam demeure quelque chose d’un nain comparé aux labeurs héroïques et véritablement princeps de Lubin sur les lettres de Sand ou des Bonnerot sur celles de Sainte-Beuve, deux corpus autrement plus volumineux que celui de Stendhal et, oserai-je le dire ? d’une difficulté à annoter tout autre.

    • Je l’ai dit plus haut, j’ai parfois (souvent ?) regretté, en lisant les lettres de tel ou tel auteur, de ne pas disposer de la lettre du correspondant auquel elles font réponse. C’est pourquoi j’ai trouvé souhaitable que, dans les cas où cela paraît indispensable, ladite lettre du correspondant soit publiée dans le corps de la correspondance. Avec la part de subjectivité dans le choix des lettres « indispensables ». Cela me ferait pencher en faveur de Tigrane. Mais, sur le fond, je penche plutôt vers NeoBirt7 : dans un monde idéal j’aurais un super cerveau et et l’éternité pour lire TOUTES les correspondances de tout le monde, dans la réalité je dois me contenter du possible, et je préfère disposer de toutes les lettres de Balzac plutôt que me perdre dans une masse accablante de lettres et de billets de tous ceux qui ont pu correspondre avec Balzac, voire correspondre entre eux en évoquant peu ou prou Balzac ou des problèmes balzaciens… Oui, aussi frustrant que cela paraisse, il faut mettre des barrières, car, comme on dit, « si on dépasse les bornes il n’y a plus de limites » et je ne vois pas pourquoi on refuserait telle ou telle lettre ayant quelque rapport même lointain avec Balzac… Bref, on entre dans la Babel des correspondances.
      Pour résumer (j’aurais peut-être dû me contenter de ce résumé) dans une monde idéal je serais pour Tigrane, dans le monde réel je suis pour NeoBirt7.

      • Vous avez d’autant plus raison, cher Demonkos, que contrairement à ce qu’il semble ressortir de la position de Tigrane, il n’arrive presque jamais que les lettres reçues par Balzac ou tel grand écrivain dont on recueille trop pieusement la correspondance en l’ouvrant à tous les contenus tiers, nous permettent de reconstituer, fût-ce par bribes, des échanges épistolaires direct ou même indirects ; le cas très largement majoritaire est celui où nous n’avons conservé que des lettres du grand auteur et de ses correspondants qui ne se répondent pas davantage qu’elles ne se suivent, fut-ce à distance dans le temps. L’intérêt de disposer des missives des familiers ou des relations épisodiques de Balzac, Sand, Stendhal, Mérimée, Sainte-Beuve, en diminue donc dramatiquement. C’est le fait d’une annotation bien conçue que de résumer ce qui peut l’être du contexte de chaque lettre un peu elliptique ou allusive dans son contenu afin de restituer, autant que faire ce peut, le continuum épistolaire perdu.

        • Les seules vraies exceptions, à mes yeux, sont les « correspondances croisées », généralement limitées dans le temps, entre deux écrivains considérables et qui échangent sur la création littéraire (et non pas sur la marque ou le prix de leur chaussures). Il va de soi que je fais exception pour la « correspondance » Aragon-Triolet ! Ha ha ha !…

        • Neo-Birt7, Domonkos (et ceux qui veulent en parler) avez-vous lu La Comédie humaine de Balzac – je parle évidemment de l’intégralité de l’œuvre publiée (à La Pléiade ou ailleurs, après-tout…) ?

    • Je crois qu’il était évident d’après mes messages que le même Roger Pierrot fut responsable tant pour la correspondance générale de Balzac (Garnier puis Pléiade) que pour les lettres à Madame Hanska (édition du Delta en 5 vol. courants sur le marché de l’occasion, révisée dans la collection Bouquins en 2 tomes dans le second seul est encore disponible chez l’éditeur, le premier atteignant des prix conséquents, voire prohibitifs chez les vendeurs français, comme les deux volumes sous étui ; il ne semble pas y avoir eu réimpression, ce qui signerai un manque de faveur commercial). Je ne saurais dire dans quelles mesures la vanité intellectuelle de Pierrot, lequel nous serine depuis 1960 (ed. Garnier, I, pp. XI-XII) que les lettres à Madame Hanska ne sont pas solubles dans la correspondance générale, et des questions de copyright portant sur le texte des dites missives comme sur l’appareil scientifique composé par Pierrot, et d’exclusivité d’iceux aliénée aux éditions du Delta puis à Robert Laffont, se sont entremêlées pour dissuader Gallimard de reproduire le corpus dédié à l’Etrangère ; une chose me semble certaine, c’est que Pierrot a eu la sale habitude, durant sa carrière, de faire des promesses en l’air. Un exemple flagrant tient dans la déclaration du tome I de l’édition Garnier « une note sur l’orthographe balzatienne figurera à la fin du premier volume » (p. XVI note 1); paru neuf ans plus tard, ledit tome V ne contient rien de tel. Je ne peux en dire davantage sans trahir la confidence de collègues, pour certains encore vivants ; qu’il soit simplement porté à la connaissance des lecteurs de ce fil que Pierrot se distinguait des Jean Ducourneau, Marcel Bouteron, P.-G. Castex et autres Lubin en matière de générosité scientifique et de respect de la parole donnée.

  22. Vous avez raison cher Domonkos de me placer dans un monde idéal ! Et je vous remercie. Editer une correspondance d’écrivain demande du travail et du hasard. Il faut y croire. En visant l’exhaustivité on ne peut que faire moins d’erreurs. Et d’autres viendront après nous, qui reprendront notre ébauche et la compléteront : soyons très modestes. Je pense à Lubin qui a poursuivi et superbement parachevé une œuvre commune et de longue haleine. Je pense aussi à Philip Kolb qui lui a eu la tâche herculéenne de tout inaugurer. (On attend les deux tomes dans la Pléiade avec impatience de son continuateur!) De même pour Maurice Rieuneau par exemple. Ce qui m’irrite un peu c’est lorsque la Pléiade édite aussi mal une correspondance, c’est dommage, mais il faut dire quaujourdhui on peut compléter les trous plus facilement avec les ressources de la technologie moderne. Cela dit, je me demande quelle place un lecteur, même un lecteur curieux, accorde à la correspondance d’un écrivain dont il aime lire les œuvres? Avouons-le: tout le monde n’est pas Voltaire.

      • Nul ici n’a encore énoncé un truisme qui, à mon sens, porte une large part de responsabilité dans la publication à bride abattue de correspondances dont toutes, tant s’en faut, ne sont pas, je ne dirai point : sine quos non, mais importantes l’avancement des études historiques ou littéraires. Un éditeur comme Champion, en exigeant systématiquement un prix exorbitant pour ses collections ad usum eruditorum (une centaine d’euros pièce pour les Textes de littérature moderne et contemporaine, moitié plus, sinon davantage, pour le moindre volume de la Bibliothèque des correspondances / Mémoires et journaux, etc), peut bien se permettre, sur le plan de la mise de fond, de s’ouvrir à des projets dont la justification scientifique n’a pas, ou pas assez, fait l’objet des discussions préliminaires requises entre spécialistes ; il accueille donc Renan (dans une édition du reste très disparate, la tessiture comme l’ampleur de l’annotation variant considérablement selon que le maître d’oeuvre est ou n’est pas Jean Balcou), Marie d’Agoult, Pierre Louÿs, ou votre déesse Yourcenar, cher Tigrane (horresco referens !). Par contraste, grâces soient rendues aux maisons d’édition qui mettent à un prix abordable des correspondances d’un intérêt autrement primordial – Garnier pour les lettres de Balzac et Sand naguère, aujourd’hui Fayard pour les 15 volumes de Napoléon Ier, impeccablement présentés et qui ne coûtent pour autant qu’une cinquantaine d’euros chacun.

        • Une petite question bassement matérialiste : sait-on qui achète ces livres de Champion à 100 ou 150 € ?… Je veux dire, hormis les institutionnels, qui utilisent de l’argent public (ce qui revient à verser des subventions déguisées à l’honorable maison d’édition)… Je ne crois pas que les riches béotiens se plaisent à afficher les livres de Champion dans leur salon comme gage de leur culture et de leur fortune, et les amateurs passionnés suffisamment argentés doivent être assez rares.

          Hors sujet. Hors sujet. Hors sujet. (Quoique… je ne suis pas sûr que la question de l’accès, en terme de finances, aux ouvrages de haute culture, soit tellement hors sujet ; elle se pose également pour la Pléiade.)

          • La question se pose en effet dans les sociétés anglo-saxonnes foncièrement inégalitaires et où donc la culture, le savoir sont le domaine privé des riches. En France, ô bonheur, rien de tel : on trouve partout, dans la bourgade la plus reculée ces fameuses « bibliothèques municipales », avec un personnel en général compétent, dévoué, serviable. Elles sont admirablement bien pourvues aussi et l’accès en est pour ainsi dire gratuit pour tous. Un rêve, je vous dis, quand on a voyagé un peu.

            A Londres ou à Manchester, il y a aussi des bibliothèques publiques, mais je suis effaré, lorsque je m’y promène, d’y voir s’étaler partout ces biographies de footballers et de « rock stars » qui sont, j’ai pu le constater, tout ce que l’on souhaite que les pauvres lisent.

            Pourtant c’est bien dans un de ces établissements que j’ai trouvé pour la première fois ce volume de Gide que je ne trouvais pas en France dans ma province, ces délicieuses Notes sur Chopin. Mais il faut voir comment tout cela avait pris une heure — demande très inhabituelle pour les bibliothécaires, et un livre enterré depuis vingt ans quelque part dans la réserve.

          • DraaK, les oeuvres littéraires complètes (excluant donc les traductions depuis le grec) de Leconte de Lisle préparées chez Champion par Edgard Pich, auteur en 1976-1978 d’une édition critique remarquée des Poèmes antiques, barbares, tragiques aux Belles Lettres après sa brillante thèse sur la création poétique chez le Réunionnais, est tout simplement une référence de grande classe. Ses cinq volumes Champion, une fois achevés, donneront un texte sûr arrimé à l’essentiel de l’exégèse disponible pour cet auteur rigoureux et savant, en y ajoutant beaucoup de la part de Pich lui-même ; il s’agit d’une édition de haute vulgarisation, qui ne recherche pas l’exhaustivité pléthorique de l’information que l’on trouve dans le Rimbaud Champion de Steve Murphy (parfois caricatural, il faut l’admettre, à force de prétendre tout archiver) mais place tout de même la barre haut, bien plus que dans l’édition Gothot-Mersch des Poèmes antiques et des Poèmes barbares en Poésie Gallimard, qui représente le viatique de base sur Leconte vu l’assez faible diffusion de la première édition Pich. Pich, et c’est dommage, n’a jamais prétendu nous donner un véritable commentaire, moins encore un ensemble faisant la part large à ce qu’on appelle souvent la « belle note » et dont voici un exemple :

            Plutarque, Isis et Osiris, 13, 356C καὶ μεθεῖναι διὰ τοῦ Τανιτικοῦ στόματος εἰς τὴν θάλασσαν, ὃ διὰ τοῦτο μισητὸν ἔτι νῦν καὶ κατάπτυστον ὁνομάζειν Αἰγυπτίους / kai metheînai dia tou Tanitikou stomatos eis tên thalassan, ho dia toûto misêton eti nûn kai kataptuston onomazein Aiguptious ~ « et ils (sc. les conjurés) le (sc. le coffre dans lequel Osiris s’est laissé enfermer) laissèrent descendre via la bouche tanitique jusqu’à la mer, et c’est pour cette raison qu’aujourd’hui encore les Egyptiens appellent celle-ci ‘exécrable »‘ (trad. personnelle) :

            Depuis Hérodote, II 10 et 17, les Grecs nomment par synecdoque bouches du Nil ses ‘voies’, ὁδούς / hodous, c’est-à-dire les branches du Delta ; sur ce dernier, les témoignages d’Hérodote, Polybe, Diodore, Strabon, Ptolémée et Hiéroclès sont étudiés par A. Bernand, « Le Delta égyptien d’après les textes grecs. 1 Les confins libyques », Le Caire 1970, I 5-60. La nomenclature de ces ‘bouches’ est complexe et mouvante, cf. A. Schulten, « Die Mosaikkarte von Madaba und ihr Verhältnis zu den ältesten Karten und Beschreibungen des Heiligen Landes », Berlin 1900, 115-121 ; J.-Y. Carrez-Maratray, ‘Les branches du Nil d’Hérodote et le désastre athénien de l’île Prosopitis’, Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 147, 2003, 939-954, surtout 942-952 ; Laudenbach, « Strabon, Livre XVII 1re partie », 161-164 note 5. La localisation de la bouche tanitique fut longtemps disputée ;
            celle de Montet, « Géographie de l’Égypte ancienne », I 180, 183-184, qui se lit encore dans la « Cambridge History of Africa », I, J. D. Clark ed., Cambridge 1982, 921, a cédé le pas à l’identification avec le Bahr as-Saft qui est standard aujourd’hui (J. Muyser et G. Viaud, « Les pèlerinages coptes en Égypte », Le Caire 1979, 64 ; Yoyotte, ‘Tells oubliés de la région de Sân’, Cahiers de Tanis 1, 1987, 107 ; Leclère, « Les villes de Basse Égypte au Ieʳ millénaire av. J.-C. », I 394). Ces préliminaires expédiés, notre passage n’a guère suscité l’intérêt des exégètes ; Hopfner seul lui consacre quelques lignes originales, dont le peu que retiennent Froidefond, 265 note 2, et Pordomingo, 44 note 79, ne suffit pas — l’exposé plus substantiel de Hani, « Religion égyptienne », 51-52, dépend en fait totalement de Hopfner. Autant citer ce dernier : « das ganze östliche Delta aber war, als Grenzland gegen das semitische Palästina, als typhonisch verrufen, namentlich Pelusium, Tanis una Auaris als Hauptstädte und Hauptstützpunkte der semitischen Hyksos, die seit ca 1700 Ägypten durch etwa hundert Jahre als grausame Tyrannen beherrschten und den Seth als Sutech hochverehrten. Schon im tanitischen Nilarme also befand sich Osiris im Reiche seines Mörders Seth, noch viel mehr aber, als seine Leiche in das
            typhonische Meer, noch dazu in das syrische Meer getrieben worden war » (« Plutarch über Isis und Osiris », I 42). D’autre part, Seth reçoit l’épithète bjn, ‘maudit’, dans les textes d’époque gréco-romaine (Cauville, « Dendara IV. Traduction », Louvain 2001, 576, en ajoutant Dendara V, 55. 3, et voir Cauville, Hallof et van den Berg, « Le temple de Dendara. Les chapelles osiriennes », III Index, 151), conformément à l’état, très négativement connoté, de sa perception chez les Égyptiens des ultimes dynasties (te Velde, « Seth, God of Confusion »², 149, 150-151) résumé dans son épithète, qui souvent lui tient lieu de désignation, nhs, le ‘Mauvais’ (Vernus, « Athribis », 244 (a), auquel on ajoutera les exemples typiques traduits chez Alliot, « Le culte d’Horus à Edfou », I 387, II 807, ou Goyon, « Les dieux-gardiens et la genèse des temples », I 177 et 180 ; pour les autres appellations, non moins péjoratives, de Seth à la Basse Époque, voir, e.g., Cauville, « Le temple de Dendara. Les chapelles osiriennes », II Commentaire, 233 : citons le Terrible, l’Âne, le Voleur, la Femmelette, l’Épouvante, l’Insensé). Un transfert de cette malfaisance sur ὁ Τανιτικοῦ στόμα / ho Tanitikou stoma [la branche tanitique] en est facilité : comme le savait déjà Hopner, 119, κατάπτυστον / kataptuston [de Plutarque] traduit précisément l’épithète séthienne tardive bjn-rn=f, ‘celui dont le nom est maudit’ (D. Kurth, « Edfou VII », Wiesbaden 2004, 515, 618). Les raisons mythiques à l’exécration de la bouche tanitique se doublaient probablement aussi de motifs pragmatiques, car Pomponius Mela, que l’on voit
            mal exploiter la géographie religieuse égyptienne, a fortiori en reprendre une épithète caractéristique en tant que toponyme dans sa description géographique de l’Égypte, calque le mot-clé de la phrase plutarchéenne κατάπτυστος / kataptustos pour désigner une bouche nilotique qui doit être la nôtre, cf. les justifications succinctes d’A. Silverman, « Pomponius Mela. Chorographie », C.U.F., Paris 1988, 133 note 5, et P. Parroni, « Pomponii Melae De Chorographia
            libri tres. Introduzione, edizione critica e commento », Rome 1984, 277 (Schulten, 117, cite le texte latin sans ajouter un mot de commentaire) : ipsas oras secant Canopicum, Bolbiticum, Sebennyticum, Pathmeticum, Mendesium, Cataptystum, Pelusiacum Nili ostia (De chorographia, I, 9. 60 ad finem). Selon J. Ball, « Egypt in the Classical Geographers », Le Caire
            1942, 71 note †, « perhaps the name ‘Cataptystic’, which in Greek signifies ‘abhorrent’, may have been given to the branch in Mela’s time because of some disaster in its waters » ; cette explication purement circonstancielle gagne en force si l’on considère que le canal du nome sébennytique, mȝ’, reçoit dans la documentation égyptologique le même type d’épithète péjorative en raison du risque qu’il y avait à l’emprunter (Redford, ‘Some Observations on the
            Northern and North-Eastern Delta in the Late Predynastic Period’, dans B. M. Bryan et D. Lorton (edd.), « Essays in Egyptology. Studies in Honor of Hans Goedicke », San Antonio 1994, 205). Beaucoup plus détaillé et précis que Pline l’Ancien, V 64, superque quattuor quae ipsi (i.e. ostiae) falsa ora appellant, Strabon confirme combien peu se prêtaient à la circulation les
            falsae orae ~ ψευδοστόματα / pseudostomata [les pseudo-bouches nilotiques] (pour leur sens, voir N. Biffi, « L’Africa di Strabone. Libro XVII de la Geografia », Modugno 1999, 299 ad ψευδοστόματα ἀσημότερα, Laudenbach, 103 note 6), soit tous les canaux et autres voies secondaires du Delta vers la mer : ἔστι δὲ καὶ ἄλλα τούτων μεταξὺ ὡς ἂν ψευδοστόματα ἀσημότερα· ἔχει μὲν οὖν εἰσαγωγὰς τὰ στόματα, ἀλλ᾽ οὐκ εὐφυεῖς οὐδὲ μεγάλοις πλοίοις ἀλλ᾽ ὑπηρετικοῖς διὰ τὸ βραχέα εἶναι καὶ ἑλώδη ~ (XVII, 1. 18). Le caractère marécageux et peu profond ainsi que le tracé mouvant en fonction de l’hydrographie, qui rendaient ces petites voies d’eau dangereuses, ont dû causer des accidents, ce qui remet en selle l’explication offerte par le livre de Ball (une autorité, à juste titre, assez rarement remise en question). Le saut dans l’analyse consistant à transférer par extrapolation ce caractère périlleux à la bouche tanitique du temps de Mela, trois quarts de siècle avant la date vraisemblable du De Iside et Osiride, ne paraît pas extravagant. J’en exciperais que Plutarque a cru reproduire une information religieuse osiriaque en mentionnant le surnom κατάπτυστος / kataptustos de la bouche tanitique de pair avec une esquisse d’explication étiologique, mais que, ce faisant, il a aussi et surtout été le continuateur inconscient, comme Mela le fut d’une manière vraisemblablement consciente, d’une toponymie civile égyptienne d’origine locale qui rattachait cette branche du Nil à son caractère de dangerosité pour quiconque l’emprunte. Je ne crois donc guère, malgré la concordance littérale bjn-rn=f ~ κατάπτυστον / kataptuston, qu’une donnée de l’osirisme de date gréco-romaine affleure sous ὃ διὰ τοῦτο μισητὸν ἔτι νῦν καὶ κατάπτυστον ὁνομάζειν Αἰγυπτίους / ho dia toûto misêton eti nûn kai kataptuston onomazein Aiguptious ; c’est plutôt la marque de temps proches de Plutarque. On peut en outre pousser l’analyse plus avant ; voir infra, 358A τὴν δ᾽ Ἶσιν… διὰ τὴν θεόν (353-355). »

            (Nardelli, « L’Osiris de Plutarque. Un commentaire de De Iside et Osiride, chapitres 12-19 », pp. 168-170, avec la translittération des mots grecs et mes gloses explicatives entre crochets droits)

            Au prix que Champion fait payer ses volumes, on attendrait quand même une annotation de type savant comme celle-là (imprimée dans un volume qui coûte seulement 30 euros et a été épuisé en moins de six mois) !

  23. Tigrane évoquait il y a deux semaines sa collection de Pléiades Yourcenar. Ce matin, je suis tombé sur une édition qu’il n’a sûrement pas. En me rendant chez ma libraire, je découvre au rayon Pléiade (de plus en plus maigre) les Essais et Mémoires de Yourcenar. J’ai toujours souhaité l’acquérir malgré les mises en garde de Tigrane concernant les nombreuses coquilles. En le feuilletant, je m’aperçois que la vieille Gallimard sucre les fraises. Il manquait une partie de l’essai sur Mishima remplacé par celui sur Lagerlöf qui y était donc deux fois !! J’ai bien fait de ne pas le prendre : est-ce une erreur d’impression unique ou les autres volumes d’Essais réimprimés ont-elles la même erreur ? On peut laisser passer quelques fautes d’impression mais là il y a près de 50 pages erronées…C’est inadmissible. Je l’ai donc signalé à la libraire qui m’en a remercié et l’a retiré de la vente. Il était sous coffret avec l’autre volume. Imaginez la fureur d’un éventuel acheteur vu le prix du coffret. La libraire m’a confirmé la dégradation progressive de la collection et de sa gestion dont elle s’est plaint auprès du représentant.
    Finalement, j’ai opté pour le Jules Verne l’île mystérieuse/ Le Sphinx des glaces n’ayant pas le second roman.

    • J’ai déjà eu le coup avec 32 pages de Giraudoux se répétant. J’ai renvoyé le volume au siège de Gallimard, avec une lettre explicative, et ils m’ont renvoyé un volume neuf. N’hésitez jamais à demander directement à l’éditeur quand vous êtes victime de cette faute d’impression (pour ma part, je l’ai déjà eue 4 fois dans des volumes Gallimard, souvent coûteux – type NRF à 39€). Au classement des pages qui se répètent (et qui remplacent des pages absentes) Gallimard mène par 4/1 contre Le Seuil et 4/1 contre Tallandier.

      • Il s’agit ici d’une erreur de reliure (ou de tri des cahiers qui se répètent).
        Il est bien dommage que ça arrive apparemment si fréquemment chez Gallimard, mais je suis heureux de noter qu’ils ont la politesse d’échanger le volume.
        Techniquement parlant, cela peut en effet arriver ; ce qui est plus difficilement admissible c’est que les volumes fautifs soient mis en vente !

        • En 1961, le premier cycle d’université que j’étais acheta le tome I de la correspondance de Balzac par Pierrot en édition Garnier Prestige (demi-cuir) et eut la désagréable surprise de se voir remettre un exemplaire défectueux: il y manquait les pages VII-XXVI, les quatre folios non paginés d’illustrations, et les pages 3-62 (https://ibb.co/b3AdFU). La maison de la rue des Saints Pères, contactée, se refusa à remplacer ce volume, pour des raisons de coût, et je dus m’en offrir un broché. Non moins âpres au gain, vers la même époque, étaient Aubier-Montaigne et Les Belles Lettres. La généreuse politique de remplacement assumée par Gallimard ne coule donc nullement de soi ; l’éditeur pouvait au demeurant se le permettre, vu les tirages très substantiels de la Pléiade dès les années 50 (par contraste, je doute que les Classiques Garnier aient mis sur le marché davantage qu’un ou deux milliers de volumes dans l’habillage Prestige: https://ibb.co/ny1qUp et https://ibb.co/fBOhaU – le prospectus de cette collection est devenu quasiment introuvable aujourd’hui).

          • …Mais le coût du remplacement est moindre pour l’éditeur que le coût d’achat pour le particulier floué.
            L’époque a changé ; on n’admettrait plus, je pense, que le livre ne soit pas remplacé.

  24. Ah Pléiadophile comme vous me rendez malheureux et jaloux. J’aurais bien voulu ajouter ce volume boiteux à ma collection ! Notez que si en effet il y a plus d’une centaine d’erreurs dans ce volume (j’apprécie le légat Severus devenu légal ! ou la chasse aux livres pour des lièvres ! ou la chose est turtout ou le ressassement d’pbus éclatés! ou l’extricable pour l’inextricable! etc etc) je trouve intéressant pour le lecteur curieux de pouvoir y lire l’essai sur Pindare et ses essais poétiques sur le rêve Les Songes et les Sorts (avec le dossier inédit). J’arrête de radoter, promis. Je conseille pour les 3 volumes autobiographiques le joli volume dans la collection Biblos, sans aucune faute (en vente en solde partout sur internet!).

  25. Cher Domonkos,
    Si vous deviez dresser le profile type du client « Champion », nul doute que mon profil à moi ne coinciderait pas.
    Cette année je me suis offert l’intégrale Leconte de Lisle, chez Champion. Une tocade, une folie, un coup de cœur ? Tout cela à la fois, sans aucun doute… Au même titre, je présume, qu’une montre Cartier, un coupé Aston Martin sont des folies.
    Est-ce que j’exhibe mes richesses ? ( Cad mes livres…) même pas. Est-ce que je suis riche ? Passons…
    Je suis retourné à l’île Bourbon ( après quinze années) et je me suis amusé à comparer les descriptions de Leconte, aux endroits réels qu’il a décrits. La nature l’emporte haut la main ! Et pourtant Leconte est un peintre inégalé quand il s’agit de décrire la puissance originelle de Gaia. Pour autant, je ne pourrais jamais me passer de cet auteur que je chéris au même titre que Hugo ( bien qu’ils ne combattent pas dans la même catégorie) Voilà pourquoi j’en veux tellement à Gallimard de sacrifier tellement d’auteurs indispensables ( mais indispensables pour qui ? Me demanderez-vous…) au nom du « seul » profit. Leconte de Lisle aurait pu, aurait dû être publié en Pléiade. Lui plutôt que D’ormesson ou Gary, lui plutôt que Simenon ou Verne…
    Leconte de Lisle était disponible en intégrale, seulement chez Champion ; je pouvais l’acheter, je l’ai acheté. C’est aussi « simple » que ça.
    Bien à vous, cher Domonkos.

    • Bonjour Zino,
      J’ai Leconte de Lisle en version poche, mais l’absence presque totale de notes rebute.
      J’y pensais hier dans un train : La version Champion permettrait-elle à l’inculte de comprendre (je parle de moi, bien sûr) ?
      Que vous abordiez le sujet aujourd’hui est un signe des dieux. Je vous pose donc la question (car si tel est le cas, je suis prêt moi aussi, à la même tocade).
      Amicalement.

      • Cher Draak,
        Je crois que notre coreligionnaire Neobirt7 m’a grillé la politesse 😊
        L’édition d’Edgard Pich – qui reprend en partie, celle qu’il avait proposée aux Belles Lettres – enterre littéralement le poche Gallimard. Cependant, vous devrez compter environ 600 euros pour les cinq volumes qui composent l’intégrale. Les attentes de Neobirt7 me semblent par trop irréalistes, Pich étant seul aux commandes. Pour mener à bien une édition définitive, réellement Ne Varietur, il aurait fallu former une équipe composée de philologues, historiens, mythologues et autres spécialistes des Ecritures Saintes.
        En l’espèce, c’est une édition de toute beauté dont les notes, extrêmement nombreuses, éclairent de façon féconde, bon nombre de poèmes difficiles. Je vous la recommande très vivement.
        Ah si peut-être, un point faible : les notes ne sont pas numérotées, il faut donc aller régulièrement en fin de volume pour voir ce qui, dans le poème, à bénéficié d’une note. C’est assez fastidieux…

        • Pas irréaliste, cher Zino. Il est détestable qu’il ne soit jamais venu à l’esprit d’un spécialiste de la poétique de Leconte de Lisle, le traducteur de grec le plus célèbre de la seconde moitié du XIXe siècle en France (avec Edme Cougny pour son dernier tome de l’Anthologie palatine et ses « Extraits des textes grecs concernant l’histoire la géographie et l’histoire des Gaules », lesquels, soit dit en passant, évoquent irrésistiblement le poète réunionnais quand ils font montre du même littéralisme outrancier que lui, parlant du Rhôdan et des Galates au lieu du Rhône et des Gaulois), que se doter de quelque onction des langues anciennes tenait moins d’un scrupule philologique excessif que d’une honnêteté intellectuelle minimale pour bien parler d’un tel poète. C’est ainsi que Pich aborde l’Antiquité classique de troisième main. A 150 euros le volume, on pouvait attendre un commentaire de spécialiste hardcore, pas de littéraire pur jus.

          • Merci Zino, merci Neo-birt7.
            Oui, 600 €… Peut-être le volume 2 et 3… Comme j’ai un rythme de lecture d’ordre géologique, les dépenses seront suffisamment espacées pour que mon compte en banque cicatrise. Depuis que vous en aviez parlé il y a quelques mois, j’ai le sentiment tenace que Leconte de Lisle est une bonne occasion de découvrir les éditions Champion ; et inversement.

          • J’ajouterai, cher Zino, que je n’ignore combien que Champion ne se veut qu’accessoirement un éditeur savant, à la différence des géants que sont l’Oxford University Press, Brill, de Gruyter ; comment se fait-il alors que sa politique tarifaire rivalise presque en cherté avec celle de ces mastodontes de l’édition académique, dont on sait combien ils sont tatillons en matière de qualité scientifique des produits qu’ils vendent (double, voire triple expertise à l’aveugle des manuscrits) ? Le hiatus manifeste chez Champion entre prix typique de l’édition savante et standards de contenus qui, eux, dépassent rarement le niveau de la haute vulgarisation ne constitue pas loin d’un scandale. Dois-je vous rappeler que les 519 pages de l’édition Garnier des Fleurs du Mal, signée Antoine Adam, contiennent un commentaire systématique de 216 pages qu’un juge aussi difficile que Pichois tenait en haute estime ? Or il n’y a pas, si mémoire ne me fault, une telle proportion de matériaux exégétiques dans les volumes du Leconte de Pich, alors même qu’ils sont encore plus indispensables que dans le cas de Baudelaire. La sordide vérité est que Champion (et maintenant les éditions des Classiques Garnier), parce qu’il vise une rentabilité élevée dont le propriétaire a le front de ne pas se cacher, vend deux, voire trois, fois trop cher des travaux intéressants mais nullement du niveau d’un dossier moyen d’HDR en les habillant d’un faux luxe de cartonnage et de tissu.

          • Je note que sur la page des Classiques Garnier :
            https://classiques-garnier.com/les-fleurs-du-mal.html
            …Antoine Adam est référencé « éditeur scientifique » de cette parution, ce qui annonce au minimum une certaine ambition.
            Si j’en reviens à mon dada : Classiques Garnier, édition de référence pour les Fleurs du Mal ?
            Et si j’abuse : quels seraient les Champion qui justifieraient à vos yeux leur prix ? Je veux dire : face à des alternatives françaises (les éditions néerlandaises ou allemandes étant inaccessibles à des bas-de-plafond dans mon genre ; et les éditions anglaises à peine moins).

          • ‘Editeur scientifique’ est la périphrase, un peu bien ronflante, standard pour ‘éditeur’ tout court et ne connote, en principe, jamais aucune ambition spéciale (elle s’applique autant au pilote de vieux et basiques Classiques Garnier, ceux de Maurice Allem pour certains romans de Balzac, e.g. La cousine Bette, La peau de chagrin, que pour les plus ambitieuses des éditions critiques de cette collection, ainsi la Rabouilleuse par Pierre Citron, avec son introduction de cent pages, ou le Lys dans la vallée par Moïse Le Yaouanc, qui s’ouvre sur quatre-vingt-dix pages de préliminaires, l’un et l’autre volumes comportant en outre un vaste Dossier sur l’oeuvre).

          • Pour les Fleurs du mal, deux éditions exégétiques se détachent: celle d’Adam chez Garnier et la Pléiade de Claude Pichois (voir I, pp. 789-822 : Notice, suivie par une table donnant l’ordre des poèmes dans l’édition de 1857 ; pp. 829-1166 : Notes et variantes ; pp. 1166-1224 : Notes au dossier des Fleurs du mal). Bien entendu, un nouveau commentaire ne serait pas de trop, ne fût-ce que pour nouer en gerbe les acquis des 45 dernières années, l’édition Pichois datant de 1975 et ayant dû être bouclée vers 1972-1973, témoin l’album Pléiade signé Pichois, sorti en 1974 avant le premier volume. Le problème est que la bibliographie baudelairienne est devenue impossible à maîtriser et qu’il faudrait se lever tôt pour égaler le goût littéraire exquis de Pichois et la sûreté de son instinct exégétique (je frissonne à l’idée qu’un André Guyaux pourrait s’y frotter).

    • Quand j’évoquais, il y a quelques jours, « Zino de retour des plages », je n’imaginais pas des plages aussi lointaines… Au cours de mon séjour de deux années dans l’enfer de Wallis et Futuna, j’ai découvert la France des îles, je veux parler de ces Français, originaires des îles pour la plupart (Antilles, La Réunion) ou bien « naturalisés iliens » (on y trouve aussi pas mal de Français d’origine d’Afrique de l’Ouest) qui volent autour du globe, d’île en île : fonctionnaires, profs bien souvent… Sans avoir les moyens des membres de la Jet Set, ils ne sont pas moins mondialisés et ils sont tout de même familiers des avions ; constitués généralement de couples, deux paies de fonctionnaires expatriés et augmentées de primes conséquentes vous donnent une certaine aisance financière. Ils forment une micro-société, entretenant des rapports de familiarité avec des amis dispersés dans le monde, Certains n’ont plus que de lointains rapports avec la métropole (ou l’hexagone) et affirment, en riant, que leur slogan est TSF : « Tout Sauf la France »…Cette espèce d’étranges volatiles mériterait une étude sérieuse de la part de nos meilleurs ornithologues.

      Cette longue introduction pour dire que j’ai gardé de cette période quelques amis lointains, et notamment, de fort proches (par la pensée et par le coeur) habitants de l’île Bourbon. Je vous envie. Nous espérons bien nous y rendre l’an prochain, dès que l’état de santé de mon épouse se sera suffisamment amélioré.

      Je profite de l’occasion pour vous signaler un petit truc amusant : j’ai trouvé récemment, pour la modique somme de 2 €, chez mon petit bouquiniste du piémont cévenol, un bouquin curieux, les « Contes en Prose (Impressions de Jeunesse) » de Leconte de Lisle, édités en MCMXXV « Pour la Société des Médecins Bibliophiles » et pourvu d’une préface d’une trentaine de pages du dénommé Jean Dornis (je devrais dire « la dénommée », puisque je n’ignore pas que sous ce nom de plume se dissimule Élena Goldschmidt-Franchetti).

      Je vous livre cette information pour célébrer votre retour de l’île Bourbon.

      • Par ailleurs les seuls volumes de Champion que je possède ont été achetés à vil prix chez mon bouquiniste du piémont cévenol qui brade les livres, car la population locale est des plus incultes (pardon, c’est la vérité) et des plus démunies financièrement de notre belle France. De temps en temps un ancien professeur qui s’est réfugié pour sa retraite dans les Cévennes, à la recherche de la paix et de la sérénité, et ses héritiers qui vivent à l’autre bout de l’hexagone s’empressent, avant sa vente, de vider sa maison de toutes les cochonneries qui l’encombrent : au premier rang desdites cochonneries sans valeur à leur yeux figurent les bouquins.

      • Merci cher Domonkos,
        La Réunion est un lieu fort peu compatible avec le travail sérieux que doit ( devrait fournir…) l’universitaire 😄 Tout, là-bas, vous invite à la somnolence de l’esprit. Je plaisante…
        Il n’empêche qu’à la Réunion, plus d’une fois, devant les ors baudelairiens des crépuscules, j’ai regretté, moi aussi,  » l’Europe aux anciens parapets ».
        Bien à vous Domonkos.

        •  » (…)
          Aux pays chauds et bleus où ton Dieu t’a fait naître,
          Ta tâche est d’allumer la pipe de ton maître,
          De pourvoir les flacons d’eaux fraîches et d’odeurs,
          De chasser loin du lit les moustiques rôdeurs,
          Et, dès que le matin fait chanter les platanes,
          D’acheter au bazar ananas et bananes.
          Tout le jour, où tu veux, tu mènes tes pieds nus
          Et fredonnes tout bas de vieux airs inconnus ;
          Et quand descend le soir au manteau d’écarlate,
          Tu poses doucement ton corps sur une natte,
          Où tes rêves flottants sont pleins de colibris,
          Et toujours, comme toi, gracieux et fleuris.

          Pourquoi, l’heureuse enfant, veux-tu voir notre France,
          Ce pays trop peuplé que fauche la souffrance
          (…) ?
          Toi, vêtue à moitié de mousselines frêles,
          Frissonnante là-bas sous la neige et les grêles,
          Comme tu pleurerais tes loisirs doux et francs,
          (…)
          L’œil pensif, et suivant, dans nos sales brouillards,
          Des cocotiers absents les fantômes épars ! »

          Cela n’est guère politiquement correct – pas assez de dignité de la femme et un peu trop de douceur de la servitude – et pourtant, outre la musique des mots et la beauté des images, j’y pressens plus de fraternelle sympathie qu’on est en droit d’attendre du misanthrope Baudelaire.

  26. Cher Neobirt7,
    Je vous donne mille fois raison à propos de la politique tarifaire de Champion, 600 euros pour une intégrale Leconte de Lisle, dont l’ambition scientifique se cantonne,vous avez encore raison, à une approche essentiellement littéraire ( mais en même temps, nous avons affaire à de la littérature. Bref…) c’est beaucoup trop cher ! Mais quoi ! Faudra-t-il se priver de cette intégrale au motif que Champion sont des margoulins ?
    J’ai déjà eu l’occasion de dire mon regret face au désert que représente l’édition française, quant il s’agit de publications scientifiques. Cela fait belle lurette que la Pléiade n’a plus cette ambition ; et Garnier se distingue essentiellement par une constante irrégularité ( si l’on me pardonne ce paradoxe antithétique)
    Ainsi Neobirt7 je peux dire que vous avez raison et que je n’ai pas tort ☺️

  27. Je découvre dans la presse l’article que je reproduis ci-dessous, lequel montre qu’il y a encore des personnes qui s’intéressent à La Pléiade :

    Un homme de 65 ans a été condamné à 18 mois de prison ferme lundi 10 septembre par le tribunal correctionnel de Guéret (Creuse), rapporte France Bleu Creuse. Dans la nuit de samedi 8 à dimanche 9 septembre, il s’était introduit dans une librairie du centre-ville en découpant la fenêtre au chalumeau.
    Ce sexagénaire avait l’intention de voler la collection de la Pléiade, soit 113 livres avec une reliure en cuir dorée à l’or, dont le montant total est estimé à 7 000 euros. Un voisin a donné l’alerte et l’homme a donc été interpellé en flagrant délit.
    Déjà 22 condamnations pour des vols de livres
    Le prévenu a affirmé que les livres n’étaient pas destinés à la revente mais à sa compagne, une professeure de français rencontrée il y a trois semaines. Son casier comportait déjà 22 condamnations pour des faits similaires. La dernière remonte à 2015. A Fontainebleau (Seine-et-Marne), il avait été condamné à trois ans de prison ferme pour un autre vol de livres.

    • On devrait donner la Légion d’Honneur au dernier voleur de livres du royaume de France… et lui chanter la chanson du voleur de Georges Brassens. (Ne me traînez pas devant les tribunaux pour encouragement à la délinquance.)

      • « Son casier comportait déjà 22 condamnations pour des faits similaires… » Le malheureux ! Faut-il comprendre que, par 22 fois il cru avoir trouvé l’amour idéal en la personne d’une Professeur de Français et que par 22 fois il fut cruellement déçu ?

          • Cet homme mériterait qu’on se cotise tous ici pour lui payer un bon avocat. Un homme qui vole des livres ne peut pas être foncièrment mauvais.

          • Disons que pour le libraire cambriolé ce n’est pas très amusant, et que la loi ne peut pas laisser impuni ce genre d’acte. De là à condamner un homme de soixante-cinq ans à dix-huit mois de prison ferme, ça paraît un peu outré. Il faudrait connaître le contexte et les faits précis.

            Mais quand-même ; n’importe quel voleur peut s’attaquer à tant d’autres objets plus faciles à revendre et plus chers. Choisir de voler des Pléiade, ça laisse pantois !

  28. Neo-Birt7 et Domonkos, peut-être n’avez-vous pas pu lire ma question, un peu noyée dans la foule de messages au-dessus : je vous demandais si vous aviez lu intégralement La Comédie humaine de Balzac ? Et si d’autres participants à la discussion ont lu La Comédie humaine, ça m’intéresse aussi. Merci par avance de votre réponse. 🙂

    • J’avais effectivement raté votre question, noyée dans le déluge d’échanges : ça sent la rentrée ! (En remontant le fil pour vous retrouver, j’ai d’ailleurs rencontré trois ou quatre autres messages que j’avais également ratés.)

      Je ne suis probablement pas la bonne personne pour vous parler de la Comédie. Je puis vous dire que, oui, je l’ai lue intégralement et plutôt deux fois qu’une et ne pense pas m’en tenir là. Je l’ai lue tout d’abord dans diverses éditions, au hasard, au fil des années, puis systématiquement, dans son ordre, mais il s’agissait de la vieille édition Pléiade : donc sans notes et commentaires. Ce qui n’est pas sans intérêt, pourtant. Lire, parfois, les oeuvres nues, telles que sorties de la plume de l’auteur, avec le minimum de préjugés, peut s’avérer fort agréable et intéressant. Bien qu’un siècle et demi nous sépare de Balzac, je trouve qu’un bon lecteur – j’entends un lecteur averti et expérimenté, comme nous le sommes tous ici – peut encore le lire directement sans béquille et sans vraiment de perte de sens.

      Il n’en demeure pas moins que j’ai commencé à remplacer mon ancienne édition Pléiade tout de même par trop obsolète par la nouvelle, et que je me suis remis à cette traversée au long cours. C’est une oeuvre à mes yeux fondatrice et on n’a pas trop d’une vie pour l’explorer.
      Mais, contrairement à La Recherche, il ne s’est jamais agi pour moi d’une lecture exclusive, il n’a jamais été question de m’immerger en elle ; la lecture des romans balzaciens s’est toujours étendue sur une longue période et en cohabitant avec quantité d’autres lectures.

      Je m’en tiens à cette vue de l’extérieur, ne me sentant nullement de force – et ne disposant de toute façon pas de la place – pour en parler sur le fond. L’amateur de littérature romanesque ne peut simplement pas faire l’économie de la lecture de tout Balzac qui est un tout (je note d’ailleurs que, si quelques romans prédominent, aucun n’est indifférent ou suffisamment médiocre pour affaiblir l’ensemble). Je ne sais quelle est la doctrine aujourd’hui au sujet des liens qui relient cet ensemble, je me souviens que dans ma jeunesse il était volontiers dit que Balzac avait usé d’artifices pour former un ensemble fort disparate : à moi, il semble qu’il n’avait même pas besoin du système des personnages récurrents pour solidariser des romans et des nouvelles autrement cimentés en profondeur. Là encore, ce serait trop long que d’en tenter la démonstration.

    • Lombard, je ne peux pas prétendre avoir lu la Comédie humaine dans son entièreté ; comme plusieurs romans me seraient tombés des mains si je ne m’étais pas fait violence afin de les terminer, certains courts et développant, de manière selon moi décevante, des personnages reparaissant qui jouent les utilités dans les grandes oeuvres (La maison Nucingen, ou le côté pile de Splendeurs et misères des courtisanes, L’interdiction, qui prolonge Illusions perdues en développant la terrible marquise d’Espard, L’histoire des Treize, où l’influence d’Eugène Sue laisse trop sa marque), d’autres majeurs mais auxquels je n’ai pris guère de plaisir (La peau de chagrin, d’un symbolisme plat, Le lys dans la vallée, dont Faguet et Sainte-Beuve n’avaient pas totalement tord de railler l’écriture tarabiscotée, Le cousin Pons, dont l’entêtement à courir après la beauté plastique dans l’art me m’a que très modérément touché, tant elle a quelque chose de conceptuel, voire César Birotteau, où presque le casting entier tient de la caricature grossière, et pas simplement la Madou qui « prend ») – devant mon incapacité à tout admirer, je ne me suis point astreint à butiner au delà de quelques chapitres de chacun des romans balzaciens dans l’édition Jean-A. Ducourneau lorsque je n’y trouvai guère mon compte. A son meilleur niveau, Balzac me semble un romancier incomparable : La cousine Bette coupe ainsi comme le diamant et le style y est d’une vigueur, d’une économie, d’une justesse remarquables (peu d’écrivains ont d’aussi appropriées métaphores que celle par laquelle est évoquée l’évolution du baron Hulot quant au physique : cyprès dans sa jeunesse, il devient chêne dans son âge mur, puis tour dans sa vieillesse). Par contre, je dois avoir lu toutes les introductions et les dossiers génétiques des éditions savantes des Classiques Garnier (années 80, lorsqu’il devint clair que la collection ne se renouvellerait plus) ainsi que les notices de la seconde Pléiade (années 90 et début 2000, peu avant mon départ en retraite).

  29. Toutes les remarques de NéoBirt7 sur Balzac sont absolument pertinentes, mais… me semblent quelque peu hors-sujet, du moins peu susceptible de me faire changer d’avis. Ce très cher ami, que je respecte et admire comme un maître (je vous assure de ma sincérité et vous garantis qu’il n’y a là ni affectation d’humilité ni la moindre parcelle d’ironie) parle d’un certain Balzac, auteur de divers romans, parmi lesquels quelques-uns sont unanimement mis au rang des chefs-d’oeuvre, d’autres sont contestés, et rangés selon les divers avis, depuis le bon jusqu’au moins bon, voire l’exécrable. Je n’en discuterai pas et ne contesterai à personne le droit d’en juger ainsi. Il existe d’excellents arguments à l’appui de leurs jugements. Mais, cet auteur de romans du XIXème siècle, quand bien même émargeait-il à l’état civil sous le nom de Balzac, ne faisait pas l’objet de la question de Lombard et, sur le plan personnel, ne m’intéresse que médiocrement (beaucoup moins, en tous cas, qu’un tas d’autres romanciers, avant, pendant et après lui).

    La question de Lombard portait sur la Comédie Humaine et ma réponse s’intéressait à cette oeuvre, signée par – étrange coïncidence – un dénommé Balzac. Je ne crois pas qu’on puisse découper cet ensemble en morceaux choisis, le dépecer comme un cadavre sous le scalpel ou la hache du médecin légiste. (Pour revenir comme il convient au domaine de l’Art, jugerait-on une fresque ou une mosaïque sur ses parties ?) Il s’agit d’un monument qui domine le genre romanesque et qui, selon moi, doit être jugé comme tel. C’est ainsi que son auteur l’a conçu et voulu, la seule chose qu’on puisse en dire c’est qu’il a réussi ou non son entreprise.

    • J’accepterais, par contre, qu’on qualifie certains romans ou nouvelles de « bouche-trous » et qu’on conteste la qualité du ciment de certaines parties de l’édifice. Ou bien qu’on en conteste l’architecture. Ou encore qu’on la considère comme un hideux amoncèlement de styles et de pièces rapportées, déshonorant son auteur et sa patrie, et bouchant la vue. Rendant du coup la circulation dangereuse sur la voie radieuse du roman. Mais de grâce, qu’on le considère dans son entièreté, avant d’en juger.

      • Bref (comme si c’était mon genre d’être bref !), je ne suis pas d’accord avec la méthode qui consiste à tout d’abord mettre l’édifice en pièces, avant d’examiner telle ou telle pièce qu’on a ramassée en parcourant les ruines.

        • Voilà bien pourquoi, Demonkos, je portais sciemment un jugement impressionniste, en battant ma coulpe pour mon incapacité à embrasser l’énorme cathédrale mi-grimaçante mi-éthérée que se veut la Comédie humaine. Hormis quelques rares fanatiques comme Varron, cet amateur de plans sophistiqués répartissant la matière de ses traités en fonction de la numérologie néo-pythagoricienne, ou plus exactement de la mystique des nombres dont s’était entichée ce courant de pensée, mes chers Grecs et Romans attachaient par dessus tout de l’importance à la microstructure, en se contentant, au mieux, de ménager de grands équilibres structurels ; j’en suis très fortement imbibé, et toute architectonique trop vaste distrait mon oeil, que ce soit en littérature française, anglaise, allemande ou espagnole (pour m’en tenir aux langues que je puis lire dans le texte). Autant dire que le Balzac du Furne corrigé marche sur mes brisants ! Proust également, dont je ne suis parvenu au terme qu’après moult efforts et par une tension nerveuse épuisante (son style, comparable au bel canto duquel on rapproche souvent, à raison, la grande période oratoire du Cicéron de la Milonienne ou d’Isocrate, m’a toujours semblé plus artificiel et moins lisible que ceux de Saint-Simon ou Retz).

  30. Quant à moi, si je peux m’immiscer dans cette conversation balzacienne, j’ai lu plusieurs fois la Comédie humaine (les 2 éditions Pléiade, les Quarto et relu encore quelques romans en collection de poche). Je me suis fait la réflexion suivante: il est étrange qu’au fond (et c’est valable pour G. Sand) le Temps ait fait parfaitement son œuvre de sélection naturelle en faisant émerger de cet ensemble immense, 7 ou 8 « grands romans » et que le reste (qui m’a beaucoup intéressé aussi) n’a pas du tout un statut de chef d’œuvre d’inconnu (sans jeu de mots). Selon mes goûts de lecteurs évidemment. Listons : Chouans, Lys, Goriot, Illusions, Peau de chagrin, Chouans, E. Grandet et Splendeurs et misères. On peut évidemment toujours ajouter d’autres titres mais je les trouve moins forts. Du coup, je pensais que la réflexion de Domonkos était finalement assez juste et bien vue: si on a lu ces 7/8 romans on a lu Balzac ! Ma grande surprise de lecteur a été de découvrir un pan de la thématique balzacienne dont j’ignorais absolument tout, je l’avoue, son romanesque fantastique (quasi Hoffmannien) : Peau de chagrin, L’élixir, Sarrasine, Melmoth et l’extraordinaire Seraphîta. Mais bon, je dois dire la vérité, je peux relire encore et encore dix fois Le Lys dans la vallée et (presque) oublier tout le reste. Qu’Honoré me pardonne…

  31. (J’aurais dû citer le mystérieux « Touchez pas à la hache » car ces amours d’une duchesse et d’un général sont tout de mêmes assez étonnantes et captivantes. Et quel beau portrait de Paris ! Même si la fin retombe comme un soufflet indigeste et assez raté, selon moi. C’est un exemple d’un roman balzacien qui ne tient pas la distance. Il s’essouffle comme un coureur de fond qui terminerait dernier sa course mais quel beau parcours tout de même ! Que de beaux moments de lecture tout de même !! C’est déjà quelque chose.)

  32. Tigrane, merci de votre intervention que j’espérais et pardon de ne pas vous avoir également posé la question.
    Pour ma part je n’ai lu qu’une seule fois La Comédie humaine dans la seconde version de la Pléiade. J’en suis un grand admirateur ; je ne saurais trop bien en parler.
    Mes préférés sont Modeste Mignon, Béatrix, Le Père Goriot, Eugénie Grandet, Le Curé de Tours , La Rabouilleuse, La Muse du département, Histoire de la grandeur et de la décadence de César Birotteau, Le Cousin Pons, Une Ténébreuse affaire, Le Curé du village, Le Lys dans la vallée, La Recherche de l’absolu et Sur Catherine de Médicis.
    Dix neuf autres titres suivent de près mon panthéon balzacien (Ursule Mirouët, Pierrette, La Vieille fille, Le Cabinet des antiques, Illusions perdues, les trois épisodes de l’Histoire des treize, Splendeurs et misères des courtisanes, Pierre Grassou, les deux épisodes de L’envers de l’histoire contemporaine, La Cousine Bette, Un Épisode sous la Terreur, Le Député d’Arcis, Les Chouans, Les Paysans, Le Médecin de campagne et Maître Cornélius).

    • C’est énorme, vous ne trouverez pas beaucoup d’autres romanciers dont vous puissiez goûter autant de titres et cela va bien dans le sens d’une oeuvre monumentale. A vous lire, je me fais la réflexion que, si nous demandions à cent lecteurs leurs oeuvres préférées de Balzac, bien entendu sept ou huit seraient citées le plus fréquemment, et à juste titre, mais, chacun ayant, au second rayon, ses petits préférés, nous ne serions peut-être pas loin de voir tous les romans et nouvelles cités au moins une fois.

      C’est ma marotte, mais je persiste : la Comédie n’est pas un simple assemblage artificiel (la question des personnages récurrents étant parfaitement accessoire). Il s’agit bien d’une oeuvre unique (Zola a voulu l’imiter, bien loin d’en approcher), d’un effort colossal. Balzac appelle les superlatifs et on en a abusé, lui-même y a bien prêté la main et a su « vendre » son entreprise comme un producteur hollywoodien (avec cette image d’Hercule des Lettres). Il n’en demeure pas moins que je suis béat devant l’ampleur de la tâche et l’abnégation de l’auteur au service de son oeuvre. Ne pas oublier, tout de même, qu’il est mort assez jeune et totalement épuisé.

      Laissant sa Comédie apparemment inachevée si on en croit ses plans, en réalité (en profondeur) achevée. Il est arrivé à maturité puis est mort en lui confiant la tâche d’assurer sa survie. Il n’a pas connu une de ses interminables et pénibles agonies d’auteurs, répétant, de plus en plus faiblement, le même livre, au fil des années, et à qui plus personne n’ose dire qu’ils devraient déposer la plume. (Les noms se bousculent dans ma tête.)

      Il est moins facilement admirable que Stendhal, moins susceptible de satisfaire les goûts des commentateurs que Flaubert, en fait, pas du tout « aimable » et pas non plus suffisamment « haïssable » pour provoquer les passions. Le Nouveau Roman a proclamé : « Et si Balzac existait ? – Il faudrait s’en débarrasser ! » Je ne crois pas qu’il y ait réussi (au-delà d’une décennie, c’est-à-dire le temps d’une mode).

      • A propos des auteurs qui se survivent péniblement, les noms qui me viennent à l’esprit appartiennent essentiellement au XXème siècle : ajouté aux exigences d’un marché du livre industrialisé, l’allongement de l’espérance de vie physique, n’est peut-être pas favorable aux écrivains, par nos contrées tout du moins.

      • A mon sens, Balzac est le plus admirable faiseur de caractères littéraires de tout le XIXe siècle. Qu’il dépeigne amoureusement un personnage dans la multiplicité de ses facettes, comme Lisbeth Fisher, Grandet, Goriot, Vautrin, Rastignac, Rubempré, Birotteau, ou qu’il l’esquisse d’un unique trait de génie à l’instar de la Madou (Madame Noisettes), Du Tillet (les yeux vairons, symbole tout ensemble de bâtardise et de rouerie), de Trailles (le désembonnetdecotonner), Louise de Bargeton (sa couperose), tous s’animent et vivent dans l’esprit du lecteur d’une manière incommensurable aux longues préparations psychologiques de Stendhal et Flaubert. Les héros de Stendhal, en particulier, me semblent tout sauf inoubliables ; le génie romanesque de l’auteur réside ailleurs. Balzac, lui, n’aime rien tant qu’à ménager des jeux de reflet et de contraste entre variantes du même type de personnage: outre Crevel, Camusat et Popinot sernior, les trois marchands enrichis, citons les trois blondins majeurs tous dandys, où vous trouvez le flasque et malléable Rubempré, mou comme du poil de lapin partant inverti, le puissamment vitaliste et pragmatique Maxime, dont la chevelure sert presque de blason pour sa sensualité, et la tête politique Du Marsay, grand trousseur de filles malgré ses poses alanguies et comme de juste un des Treize. Balzac est aussi un dialoguiste prodigieux, largement de la force de Flaubert, lequel me semble pêcher, quand il s’agit de faire échanger ses personnages, par une langue un peu flasque et molle comparée à l’expression perpétuellement inventive de son devancier (il suffit de lire les premières pages d’Une ténébreuse affaire, quand le garde-chasse Michu entre en scène et s’adresse à sa famille puis aux policiers). En revanche, Balzac pèche par des effets trop appuyés, qui tiennent de l’afféterie malhabile (le cou de Michu fait pour le couperet, la pose que prend César Birotteau pour avoir l’air avantageux) et un nombre assez significatif de ses romans me semble retomber comme des soufflets faute d’une intrigue assez dense pour supporter le poids de l’élaboration luxuriante qui constitue sa marque de fabrique et qu’il aurait fallu souvent simplifier et resserrer. Mais que de bonheurs d’expression sous sa plume ! de tours déliés et vifs ! Même Hugo romancier ou poète n’égale pas la verve puissante de Balzac.

        • Je trouve fort juste et remarquable votre analyse. Je crois que nous nous rejoignons sur le fond. Si j’ai introduit cette dichotomie entre Balzac auteur de romans et Balzac auteur de la Comédie (un peu par amusement, un peu sérieusement), c’est parce qu’il ne me paraît pas forcément comme le modèle des romanciers, en tout cas par comme le meilleur romancier du siècle, mais certainement comme le créateur d’un univers et avant tout des personnages et des caractères qui peuplent et constituent cet univers.

  33. Lu dans la presse: https://www.actualitte.com/article/monde-edition/par-romantisme-il-vole-7000-eur-de-pleiade-a-une-librairie/90850

    Tout s’est déroulé dans la nuit de samedi à dimanche, où, entré par effraction, un homme a tenté de dérober le stock d’ouvrages de la collection La Pléiade – les prestigieux livres de Gallimard. Montant du butin : près de 7000 € de ces livres reliés cuir, dorés à l’or, et constitués de papier bible.

    Multirécidiviste et pas même grand lecteur

    On apprend que, pour entrer, c’est au chalumeau que le monte-en-l’air a découpé l’une des fenêtres. Grâce à la vigilance d’un voisin qui repère le manège et alerte la police, le cambrioleur de 65 ans est cueilli par la police. Suprise : il est connu des autorités pour 22 condamnations, déjà, la précédente remontant à 2015. Trois années de prison ferme pour… vol de livres.

    Selon sa déposition, le vol était destiné à faire plaisir à sa compagne, enseignante en français, rencontrée voilà trois semaines. Et d’arguer le romantisme de son geste pour sa défense. C’est touchant. D’autant qu’il avait fait un repérage dans la librairie, en se présentant pour l’achat d’une carte – du territoire, évidemment.

    • Bonjour à tous! Ce cas de bibliokleptie m’en rappelle un autre qu’évoque savoureusement Alexander Cockburn dans son journal. C’est un peu hors-sujet mais peut-être que certains d’entre nous se retrouveront dans ce lecteur indélicat.

      𝑂𝑐𝑡𝑜𝑏𝑒𝑟 13, 1999

      From the typographical clamor raised in the 𝑁𝑒𝑤 𝑌𝑜𝑟𝑘 𝐷𝑎𝑖𝑙𝑦 𝑁𝑒𝑤𝑠, you’d have thought 𝑁𝑒𝑤 𝑌𝑜𝑟𝑘 𝑃𝑟𝑒𝑠𝑠 columnist George Szamuely had been caught committing satanic abuse in a day-care center. But it turned out that Szamuely’s great crime was too have taken too many books – 580 is a number that shows up in the press reports—out of the New York University library, and been remiss in giving them back. The 𝑁𝑒𝑤𝑠 and other newspapers have exultantly noted that Szamuely faces an overdue fine of $31,000, plus charges of grand larceny and possible jail time. John Beckman, described as a university spokesman, strutted through the news stories like some frontier sheriff twirling his six-gun: “Don’t mess with NYU librarians.”

      Some of the news stories noted that among the books held by Szamuely was Hegel’s 𝘗𝘩𝑒𝑛𝑜𝑚𝑒𝑛𝑜𝑙𝑜𝑔𝑦 𝑜𝑓 𝑆𝑝𝑖𝑟𝑖𝑡. It’s well-known that only Hungarians have the fortitude to grapple with this exhausting work. The last person I know to have read it thoroughly was my dear friend Nicholas Krasso, a student of Lukács who fled Budapest for England in 1956. We spent a lot of time together in the mid-1960s, and Nicholas was forever quoting the 𝘗𝘩𝑒𝑛𝑜𝑚𝑒𝑛𝑜𝑙𝑜𝑔𝑦, which he said was best studied under the influence of LSD. Poor Nicholas fell asleep reading one night, and died in the smoke caused by the cigarette that fell from his drooping hand. Hegel was probably on the bed somewhere, probably the London Library’s copy. What a fitting way for a copy of the 𝘗𝘩𝑒𝑛𝑜𝑚𝑒𝑛𝑜𝑙𝑜𝑔𝑦 to go!

      Another of the books cited by the news stories—this particular one was on the AP wire—was 𝘛𝘩𝘰𝘶𝘨𝘩𝘵𝘴 𝘰𝘯 𝘔𝘢𝘤𝘩𝘪𝘢𝘷𝘦𝘭𝘭𝘪. So, how many other NYU students have any interest in Leo Strauss? A simple test. If Szamuely pleads innocent and opts for a jury trial, as I very much hope he will, let his attorney make a pile of the books in the courtroom, and then, let the jurors note how many times these books had been checked out before the erudite Szamuely got his hands on them. Probably most sat ignored, awaiting the moment NYU decided to sell them off to a book broker.

      NYU should be glad and thank Szamuely for freeing up its shelf space.

      Szamuely may be charged with grand larceny. Two or three centuries ago, the standard was simple: Stealing books is not a crime unless the books are sold. There’s no evidence Szamuely was popping along to the Strand to flog off editions of Hobbes. He held those books for admirable reasons, such that a jury would understand. He needed them for the same reasons my shelves groan with volumes (Hegel’s 𝘗𝘩𝑒𝑛𝑜𝑚𝑒𝑛𝑜𝑙𝑜𝑔𝑦 included) I may never get to, may never re-read. To surrender them is to confess that, yes, I may die before I get around to reading Hegel properly, or all the dialogues of Plato, or all Balzac’s novels, or all the volumes of Motley’s 𝘙𝘪𝘴𝘦 𝘰𝘧 𝘵𝘩𝘦 𝘋𝘶𝘵𝘤𝘩 𝘙𝘦𝘱𝘶𝘣𝘭𝘪𝘤; I may die before I write the column or the essay or the book that requires absolutely that these books be instantly to hand.

      Alexander Cockburn, A Colossal Wreck, paru chez Verso en 2013.

      • There is a reasonably simple way nowadays to have all the most important books near at hand : go for electronic books (like I do). You can even steal them if you so desire !

  34. Plusieurs journaux portugais ont annoncé il y a peu la publication des œuvres d’Antonio Lobo Antunes dans la Pléiade. Pour la littérature en Pléiade, c’est une très bonne nouvelle. Il n’y a pas de date de publication encore, mais l’information semble solide.

  35. Que voilà une heureuse nouvelle ! Ses livres de Chroniques étaient vraiment un grand plaisir de lecture ainsi que le cul de Judas et le manuel de l’Inquisiteur. De bons et agréables romans. Je me demande si les œuvres de Lobo Antunes seront retraduites à cette occasion ? Oserais-je ajouter (et j’espère que vous me contredirez !) que je lui préfère les romans de Saramago. J’avais adoré L’année de la mort de R. Reis et l’Evangile selon JC. Je garde un souvenir ébloui et ému de ma lecture des aventures désespérées de Balthasar (Le dieu manchot). Ses 2 « Pléiades » Meridiani sont mes trésors ! Peut-être que la Pléiade française préfère faire entrer son deuxième auteur étranger vivant (après Roth, je ne compte ni Green ni Kundera évidemment !)

    • La survenue de cette petite faiblesse, qui est celle même de Mademoiselle de la Mole — qui avait « le secret de voler des livres dans la bibliothèque de son père sans qu’il y parût — fut précédée chez Stendhal, précipitée pourrait-on dire, par la lecture passionnée de la Nouvelle Héloïse.

      • Il serait impossible de voler un livre dans ma bibliothèque « sans qu’il y parût ». Je remarquerais immédiatement l’absence d’un de mes livres (ce serait comme m’ôter la fameuse livre de chair de Shylock), même d’un dont j’aurais oublié l’existence jusqu’à l’instant précis où une main malintentionnée tenterait de s’en emparer.

  36. Puisque nous avons passé un certain temps à disserter autour de la publication scientifique des grandes correspondances d’écrivains, j’aurais aimé solliciter les lumières de ceux des habitués de cette pages plus versés que moi dans les arcanes des maisons d’édition sur une question qui me taraude et demeure sans réponse satisfaisante, même conjecturale. Pourquoi diable Privat, juste après avoir publié les ultimes volumes de l’édition Bonnerot des lettres de Sainte-Beuve, a-t-il décidé non seulement de retirer cette grandiose série de son catalogue mais encore de pilonner les exemplaires existants des tomes qu’ils venaient juste de publier ? Pourquoi Garnier en a-t-il fait autant pour la Correspondance de George Sand par Lubin au début des années 2000 ? La logique économique de ces choix m’échappe hormis les coûts de stockage (qui ne devaient pas être extravagants, compte tenu de tirages forcément modestes, surtout chez Privat).

  37. Par comparaison avec ces maisons scélérates, Gallimard peut être considéré comme un éditeur lénient, en ce qu’il ne multiplie pas les retraits de titres de son catalogue (je ne vois guère à citer que l’édition Martineau-Del Litto de la Correspondance de Stendhal) et aime mieux laisser s’épuiser au compte-gouttes les titres mêmes qui connurent le moins de succès (c’est justice pour les Oeuvres de Sainte-Beuve, signées comme le Port-Royal d’un non-spécialiste dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’a rien contribué en propre, ou pour le Montluc, reproduction paresseuse et non assumée de la grande édition Courteault [1911-1924], beaucoup moins pour le d’Aubigné, qui repose sur un effort scientifique original et de bel aloi mais qui s’est tiré une balle dans le pied en excerptant aussi brutalement le Printemps).

  38. Acheté, aujourd’hui, dans une brocante du Gard, le tome I des Poésies de Hugo en Pléiade ; cartonnage d’origine impeccable, état parfait du livre, pas une tache, pas une salissure, aucune page cornée, couverture parfaite, seule la couleur de la partie supérieure de la tranche est légèrement pâlie.
    Prix : 1 € !
    Record à battre…

      • Blague à part, sous la bonne affaire et le côté cocasse, ce qui est pitoyable, c’est de voir une association, pour financer ses « bonnes oeuvres », recueillir des milliers de livres et les revendre à 1 € sans aucune discrimination entre un best sellers inepte d’avant-hier sous jaquette infâme de France Loisirs et la Pléiade de Hugo, L’Oeuvre de Chrétien de Troyes en Pochothèque, une Correspondance de Lord Byron, les deux volumes de Penser la Guerre, Clausewitz de Raymond Aron, les Lettres au Castor de Sartre, plusieurs volumes des cours de Foucault au Collège de France, une grosse poignée de Garnier (Hugo, Baudelaire, Stendhal, , Balzac, Montaigne…), du Rilke, du Yourcenar, etc. sans compter quelques étoiles de moindre grandeur mais d’incontestable valeur littéraire… Tous ces volumes que j’ai acquis pour 1 € pièce, ne boudant pas l’occasion lorsque je les possédais déjà (je pourrai toujours les offrir à des amis, parents ou alliés)… Tout cela à l’encan, la littérature à vau-l’eau, au tout-à-l’égout…

        Ne pas croire qu’il s’agisse d’une exception, c’est un exemple entre cent comme j’en rencontre tous les jours sous toutes les formes, un symptôme d’un mal général, les métastases d’un cancer généralisé dont crève la culture sous sa forme écrite (voir Georges Steiner – également acheté, hier, dans une autre brocante, à 50 centimes, pareil pour un Ferdyduke)

        • Je trouve dans un bazar, au milieu d’un bric-à-brac d’objets recalés des circuits commerciaux, entre des lessives et des bouteilles de Bordeaux étiquetées en chinois (si ! si !), au milieu de piles de livres d’un crétinisme intégral écrits par des analphabètes et édités à compte « d’auteur » (?), des traités de Philosophie de la religion écrits par des universitaires bardés de titres, initialement diffusés à 45 € et jetés en pâture au chaland à 2,50 €) ou de précieux ouvrages de littérature de certains auteurs dont je connais la qualité et qui sont même, parfois, des amis proches (je n’ose pas leur dire en quelle abjecte compagnie j’ai déniché leurs ouvrages, sachant le travail qu’ils leur ont coûté).

        • Dans ce genre de lieu, j’achète ces livres, les tirant du flot de l’ordure, pour les « sauver » (soit en les conservant, soit en les transmettant à quelques relations intéressées), comme on va chercher à la SPA un chien ou un chat jeté par la portière d’une voiture sur la route des vacances.

          • C’est en somme l’exemple inverse de beaucoup de vendeurs de la toile qui essayent de vendre (et y parviennent parfois semble-t-il) des ouvrages assez ordinaires ou peu rares à des prix de psychopathes nombrilistes persuadés de posséder le Saint Graal sous chaque couverture poussiéreuse.

          • J’aime bien les « prix de psychopathes nombrilistes persuadés de posséder le Saint Graal sous chaque couverture poussiéreuse » 🙂
            Sans citer les ouvrages gratuits – déposés dans une boîte à livres par exemple – j’ai constaté un rapport 100 entre le prix le plus faible et la mise en vente la plus élevée pour un même ouvrage. Soyons francs, l’état intervient dans le prix ; mais aussi le canal de vente, le profil du vendeur et la clientèle pré-supposée.
            Je parle bien de prix de mise en vente et non de prix de vente réel, car, comme dans beaucoup d’autres domaines, les prix affichés sont plus élevés que ceux des transactions réellement effectuées, l’une des raisons étant de ne pas montrer au grand jour l’état réel du marché.

  39. Pour tout dire, je fais figure, quand j’achète ces livres – bien loin d’être envié pour ma culture obsolète et dévaluée – de l’idiot du village qui collectionnerait des boîtes de camembert.

    • C’est cela le « monde sauvage » (le wild) du livre, au-delà des périphériques qui ceignent quelques-uns de nos grandes cités, et des limites des campus universitaires.

  40. Après pareille pêche miraculeuse, ce sont des heures consacrées à gommer les taches et les salissures sur les couvertures ou, à l’aide de papier de verre à grain très fin, sur les tranches qui redeviennent immaculées.
    Ah ! Que j’aime cette première édition du Montaigne de Maurice Rat, pour la raison que son ancien propriétaire, après avoir lourdement souligné les phrases qui lui semblaient les plus remarquables de l’introduction (en gros jusqu’à la page XXXIV), puis la page 1 « Au Lecteur », épuisé par l’effort a jeté l’éponge : dès lors, à partir de la page 3, il me reste à m’armer du coupe-papier et à couper jusqu’à la fin des trois volumes de l’ouvrage, sans en excepter aucune, les pages qui étaient restées scellées et inviolées.
    Quelle timidité, quelle crainte sacrée, ont arrêté l’aspirant lecteur au seuil du Temple ? (Hi ! Hi ! Hi !) Et quant à moi, par quelle insolence osai-je achever le geste sacrilège, suspendu depuis soixante années, soit à peu près la durée d’une vie humaine ?

    Plus platement, on peut imaginer que le premier possesseur de l’ouvrage s’est dit que l’introduction lui donnait une suffisante connaissance de l’oeuvre pour briller en société et qu’on pouvait fort bien faire le tour d’une oeuvre sans y entrer.
    Ou bien les premières lignes de l’avertissement « Au Lecteur », comprises au premier degré, l’ont-elles convaincu que l’ouvrage ne s’adressait point à lui, puisque l’auteur y dit qu’il ne s’y est « proposé aucune fin, que domestique et privée », sans « nulle considération de ton service, (toi, Lecteur) » avant de conclure que « ce n’est pas raison que tu employes ton loisir en un subject si frivole et si vain. »

    Tant pis pour toi, mon bon Michel, te voilà puni de ta coquetterie et du péché de fausse modestie.

    ………………………

    Etant déjà possesseur du Montaigne du même Maurice Rat en Pléiade, il ne me reste qu’à trouver un individu assez candide pour adopter mon rescapé, sauvé des eaux usées.

    Ce m’est l’occasion de demander aux connaisseurs qui hantent ce lieu, que faut-il penser de la troisième édition de Montaigne en Pléiade, succédant à la première, totalement obsolète, et à la seconde de M. R. ? En quoi est-elle supérieure ou inférieure ? Que nous apporte-t-elle de nouveau ou de quoi nous prive-t-elle ?

    • La nouvelle Pléiade de Montaigne donne seulement les Essais suivis des Notes de lectures et des Sentences et autres épigraphes décorant le cabinet de travail de l’auteur ; elle constitue aussi et surtout une édition savante. Outre un appareil critique très poussé (pp. 1319-1903 :
      non seulement chaque livre mais chaque chapitre fait l’objet d’une Notice prolongée par une bibliographie particulière, les notes sont plus abondantes que dans aucune édition connue de moi), cette Pléiade se distingue par une conformation critique inhabituelle par rapport aux éditions qui ont suivi celle de Pierre Villey (les auteurs s’en expliquent, un peu bien rapidement, pp XCIII-XCVI). Répondant à des vues, sinon majoritaires, ainsi qu’ils le prétendent pro domo, du moins consensuelles chez les spécialistes ces vingt dernières années, elle reproduit non plus le texte de l’Exemplaire de Bordeaux soit lardé en italiques par les strates d’additions de l’auteur, soit équipé d’icelles au moyen des mentions a, b, c, mais l’édition posthume, signée par Marie de Gournay, en 1595. Cet état du texte, considéré comme la cristallisation de l’ultime mise au net de la main de Montaigne, se distingue, nous dit-on, par son homogénéité orthographique, sa ponctuation très cohérente, ainsi que par une numérotation des chapitres différente. Il a été critiquement établi sur la base d’une collation de « plusieurs dizaines d’exemplaires » (la liste n’étant malheureusement pas fournie) de cette édition, entre lesquelles une centaine de variantes ont été identifiées, sans aucune espèce de modernisation autre que la résolution des abréviations, de l’éperluette, de l’indistinction entre i et j, u et v, et l’adjonction ad sensum d’accents aigus ou graves. C’est ici que le bât me paraît blesser, et pas qu’un peu : attendu que les maîtres d’oeuvre de la nouvelle Pléiade suppriment les paragraphes dont la tradition éditoriale du XXe siècle est friande et infligent au lecteur les normes de la fin du XVIe siècle à laquelle plus personne n’est familiarisé depuis longtemps en dehors des linguistes et des seiziémistes, par exemple en laissant le même mot paraître sous plusieurs épels à peu de distance et en maintenant les conceptions d’époque de la ponctuation, ce nouveau Montaigne, qui prétend divulguer la forme des Essais sous laquelle l’oeuvre connut son exceptionnel rayonnement, fait inutilement oeuvre rébarbative en poussant dans ses limites extrêmes le refus des habitudes scolaires. Or, qu’on le veuille ou non, Montaigne débarrassé de celles-ci et non modernisé est pire qu’indigeste – il est peu ou prou illisible, comme s’il était écrit en cyrillique (Rossica non leguntur). Je conseille, pour bien utiliser cette Pléiade, de garder à proximité une bonne édition du XXe siècle qui débarrasse l’auteur des scories adventices interposées par les systèmes graphiques de son époque et permet d’accéder à sa langue si drue et belle au delà de ce parasitage – celle de Rat aux Classiques Garnier, en 3 vol., par exemple, se distingue par sa commodité.

      • Merci NéoBirt7. Je m’incline avec respect devant cet ouvrage et le travail de ses auteurs (sans ironie, croyez-le), mais crois devoir m’en dispenser, n’ayant ni la passion ni les connaissances nécessaires pour le goûter. Je dois bien admettre que je n’ai pas les capacités de franchir 6m16 à la perche.
        Et je crois, de surcroît, que je vais conserver cette édition Garnier en 3 volumes que je viens de trouver (à 1 € le volume, quand même !), que j’ai commencé à explorer, car l’objet me plaît, je lui trouve assez folie allure, c’est plus aéré que ma Pléiade un peu massive, on y fait plus facilement des voyages d’exploration, abordant divers rivages…
        A mon âge je n’ai plus guère besoin de « sagesse » pour me conduire dans la vie – je me fiche du tiers comme du quart – et pas plus d’un « bréviaire » comme aimaient à qualifier les Essais ses anciens éditeurs.

        • Je trouve quand même extraordinaire que MM. Balsamo et Magnien et Mme Magnien-Simonin, dans leur editio philologica, daignent s’expliquer bien moins en détails sur l’établissement du texte que ne le font E. Naya, D. Reguig-Naya et A. Tarrête dans l’édition sans prétentions du livre premier des Essais que ceux-ci ont publié en « Folio Classique » (Paris, 2009, pp. 98-112). Il existe une présentation beaucoup plus accessible, car modernisant l’orthographe, de l’édition de 1595, pilotée par un autre éminent seiziémiste : Jean Céard (dir.), « La Pochothèque », Paris, 2001, réédité à partir de 2002 en trois petits tomes du Livre de Poche. Elle constitue une belle alternative à cette Pléiade trop savantasse, de même que l’édition André Tournon à l’Imprimerie Nationale (« La Salamandre »), Paris, 1998, 3 vol., représente l’avatar le plus rigoureux disponible de l’Exemplaire de Bordeaux (excellent appareil critique, orthographe modernisée).

        • Quant à la question des « oeuvres complètes » de Montaigne, j’avoue qu’il est plaisant de se dire qu’on en dispose en un volume Pléiade (la seconde édition, donc), mais je dois avouer qu’ayant lu une fois le Voyage en Italie, je n’ai jamais éprouvé le désir ni le besoin d’y revenir – contrairement aux Essais qu’une seule lecture est loin d’épuiser. (C’est d’ailleurs un peu le cas de tous les récits de voyage, et celui-ci, pour moi, n’échappe pas à la règle.)

          • Je me rends compte, à la relecture – hélas, trop tard – que « j’avoue » beaucoup, plus que nécessaire, alors que personne ne m’a passé à la question… Faudra que je baisse de ma pauvre prose ces « aveux » par trop récurrents.

    • Domonkos vous m’inquiétez : « gommer les taches et les salissures sur les couvertures ou, à l’aide de papier de verre à grain très fin, sur les tranches » ?! Du papier de verre, hum…

      • D’un grain très fin. Cela, certes râpe une fine couche de papier et les saletés qui s’y sont incrustées. Comme on gomme des peaux mortes. Certes, on ne pourrait répéter cette opération ad libitum, car il ne resterait rien du papier. Effectuée avec délicatesse, en maintenant les pages bien serrées, l’effet est miraculeux : on retrouve la tranche quasiment comme neuve. J’ai appris cette technique d’un vieux bouquiniste que j’ai vu la pratiquer moult fois. Cela ne convient que pour les livres massicotés, bien sûr, et non pas pour ceux dont on coupe les pages, non plus que pour ceux dont la tranche est colorée, et c’est fort risqué pour les bouquins sur papier bible comme les Pléiade : je ne m’y risque pas. A part ça, je ne touche jamais aux couvertures en cuir, je hais les lourdauds livres reliés sous cuir et les évite autant que faire se peut, hormis les Pléiades qui sont en ce domaine fines et élégantes.

  41. Un article sur les traductions qui fera peut être réagir :

    https://www.lexpress.fr/culture/le-traducteur-sonne-toujours-deux-fois_2033535.html

    Pour rester sur l’actualité Pléiade, et pour donner envie d’aller y voir, je copie/colle la fin :

    « C’est sans doute l’une des premières phrases de roman les plus célèbres de la littérature mondiale. Dès le début de La Métamorphose, le « héros » de Kafka est transformé en… en quoi, justement ? Depuis quatre-vingt-dix ans, les traducteurs successifs du génie praguois s’écharpent sur la manière de rendre le mot « Ungeziefer », qui, en allemand, ne désigne aucun animal en particulier, mais un « nuisible », une « vermine ». Florilège des solutions trouvées par les traducteurs français, depuis le pionnier Alexandre Vialatte, en 1928, jusqu’à Jean-Pierre Lefebvre, maître d’oeuvre de la toute nouvelle édition de Kafka en Pléiade.

    « Un matin, au sortir d’un rêve agité, Grégoire Samsa s’éveilla transformé dans son lit en une formidable vermine. » Alexandre Vialatte, 1928.

    « En se réveillant un matin après des rêves agités, Grégoire Samsa se retrouva dans son lit, métamorphosé en un monstrueux insecte. » Bernard Lortholary, 1988.

    « Lorsque Grégoire Samsa s’éveilla un matin au sortir de rêves agités, il se retrouva dans son lit changé en un énorme cancrelat. » Claude David, 1989.

    « Quand Grégoire Samsa sortit un matin d’un sommeil peuplé de rêves inquiétants, il se retrouva transformé dans son lit en une sorte d’énorme punaise. » Catherine Billmann, 1997.

    « Quand Gregor Samsa se réveilla un beau matin au sortir de rêves agités, il se retrouva transformé dans son lit en une énorme bestiole immonde. » Jean-Pierre Lefebvre, 2018″

    • Formidable, Draak !
      C’est une question fondamentale.

      Puisque vous soulevez le sujet, voici le même exercice effectué sur les quatre premiers versets de La Divine Comédie.

      Texte original :

      Nel mezzo del cammin di nostra vita
      mi ritrovai per una selva oscura,
      ché la diritta via era smarrita.

      Ahi quanto a dir qual era è cosa dura
      esta selva selvaggia e aspra e forte
      che nel pensier rinova la paura!

      Tant’è amara che poco è più morte;
      ma per trattar del ben ch’i’ vi trovai,
      dirò de l’altre cose ch’i’ v’ho scorte.

      Io non so ben ridir com’i’ v’intrai,
      tant’era pien di sonno a quel punto
      che la verace via abbandonai.

      Trad. André Pératé (éd. Jean de Bonnot) 1971 :

      Au milieu du chemin de notre vie * Je me trouvai dans une sylve obscure, * Où n’était la droite voie ensuivie

      Ah ! combien est à dire chose dure * De cette sylve si sauvage, âpre & forte * Qu’au seul penser la peur encore me dure !

      Tant est amère que peu plus est la mort ;* Mais pour traiter du bien que j’y trouvai, * Des autres choses dirai qu,y découvris.

      Redire bien ne sais comme y entrai, * Tant j’étais plein de sommeil en ce point * Où le chemin véritable quittai.

      Trad. e-books « gratuit » :

      Quand j’étais au milieu du cours de notre vie,
      je me vis entouré d’une sombre forêt,
      après avoir perdu le chemin le plus droit.

      Ah ! qu’elle est difficile à peindre avec des mots,
      cette forêt sauvage, impénétrable et drue
      dont le seul souvenir renouvelle ma peur !

      À peine si la mort me semble plus amère.
      Mais, pour traiter du bien qui m’y fut découvert,
      il me faut raconter les choses que j’ai vues.

      Je ne sais plus comment je m’y suis engagé,
      car j’étais engourdi par un pesant sommeil,
      lorsque je m’écartai du sentier véritable.

      Trad. Éd. Flammarion 1880 :

      Au milieu du chemin de notre vie, ayant quitté le chemin droit, je me trouvai dans une forêt obscure. Ah! qu’il serait dur de dire combien cette forêt était sauvage, épaisse et âpre, la pensée seule en renouvelle la peur, elle était si amère, que guère plus ne l’est la mort; mais pour parler du bien que j’y trouvai, je dirai les autres choses qui m’y apparurent.

      Comment j’y entrai, je ne le saurais dire, tant j’étais plein de sommeil quand j’abandonnai la vraie voie […]

      Trad. Brizeux, éd. Charpentier, 1841 :

      Au milieu du voyage de notre vie, je me trouvai dans une forêt obscure, car j’étais sorti du droit chemin.
      Ah ! cela serait chose pénible à dire combien était sauvage, âpre et épaisse cette forêt dont le souvenir renouvelle ma crainte,
      Ce souvenir est si amer, que la mort ne l’est guère davantage. Mais pour parler de l’aide bienfaisant que j’y trouvai, je révélerai les autres choses que j’y ai vues.
      Je ne saurais bien redire comment j’entrai dans cette forêt, tant j’étais plein de sommeil quand j’abandonnai le vrai sentier.

      Trad. Rivarol :

      J’étais au milieu de ma course, et j’avais déjà perdu la bonne voie, lorsque je me trouvai dans une forêt obscure, dont le souvenir me trouble encore et m’épouvante .

      Certes, il serait dur de dire quelle était cette forêt sauvage, profonde et ténébreuse, où j’ai tant éprouvé d’angoisses, que la mort seule me sera plus amère : mais c’est par ses âpres sentiers que je suis parvenu à de hautes connaissances, que je veux révéler, en racontant les choses dont mon œil fut témoin.

      Je ne puis rappeler le moment où je m’engageai dans la forêt périlleuse, tant ma léthargie fut profonde!

      Et enfin, celle de La Pléiade, d’André Pézard, 1965 :

      Au milieu du chemin de notre vie
      je me trouvais par une selve obscure
      et vis perdue la droiturière voie.
      Ha, comme à la décrire est dure chose
      cette forêt sauvage et âpre et forte,
      qui, en pensant, renouvelle ma peur !
      Amère est tant, que mort n’est guère plus ;
      mais pour traiter du bien que j’y trouvai,
      telles choses dirai que j’y ai vues.
      Comme y entrai, ce ne sais-je redire,
      tant j’étais plein de sommeil en cette heure
      où je mis à bandon le vrai chemin.

      En ce qui me concerne, j’aurais préféré d’autres traductions que celle de La Pléiade que je trouve difficilement lisible.

      • Avis personnel et ne s’appuyant sur aucune autre compétence que ma propre sensibilité, tout plutôt que la traduction « Rivarol » (c’est quoi ce langage journalistique ? une catastrophe !), et ma préférence va à la traduction pléiadesque, ô combien !

        Malgré ses difficultés, des aspérités, ses tournures contournées, quel plaisir divin !

      • Le e-book gratuit s’en sort bien !

        Dans une première mouture de l’article Dante sur Propagerlefeu, j’avais tendance à mépriser le pseudo français d’époque de la version Pléiade, avant de me radoucir, Restif m’ayant signalé que nous avions bien de la chance de lire cette traduction. Confirmé ici par Néo-Birt7.

        Je note que les Classiques Garnier peuvent être un bon parallèle à la lecture en Pléiade ; Classique Garnier dont je me suis aperçu de la qualité au détour d’une discussion sur Baudelaire. Je crois que je vais m’y pencher de plus près…

        Je note aussi que les choix de traduction font l’essentiel des différences entre les éditions. Cher Lombard, vous avez raison de vous enthousiasmer (« formidable »). C’est un sujet important que l’on a peu abordé ici, me semble-t-il (moins que : « celui là devrait en être / celui là en devrait pas en être »).

        Pour ceux qui n’auraient pas lu l’article référencé plus haut :

        Autre fait choquant, cité dans l’article : que l’on puisse faire le choix de traduire au présent plutôt qu’au passé simple ; parce que c’est plus « dramatique », moins « précieux » et plus « actuel ».

        Amusant aussi que Gallimard ait ressorti un « 1984 » pour couper l’herbe sous le pied aux futurs profiteurs d’un texte devenu libre de droits.

    • J’avoue que certaines des traductions me laissent pantois : « une énorme bestiole immonde » ? (on pouvait faire encore plus long, plus explicatif, plus lourd, moins évocateur…) ; « une énorme punaise » ? (qu’est-ce qu’une punaise vient faire ici ?) ; « monstrueux insecte » ? (pareil que la première, insipide, description plate). Finalement, Vialatte, avec sa « vermine » était le meilleur (bien que le « formidable » me dérange).

      Pourquoi pas simplement « cafard » ? D’accord, c’est pareil que cancrelat, mais pas besoin d’adjectif pour insister sur la noirceur et la monstruosité, tout le monde sait que c’est répulsif, abjecte, écoeurant, et en plus il y a le sens figuré de cafard, dépression, etc. Ça a l’avantage de la simplicité, de l’évidence, cela parle immédiatement, cela vous déshumanise y compris à vos propres yeux.

      Mais, si on veut rester près du sens de la langue d’origine, et si« Ungeziefer » signifie « vermine », va pour vermine, cela me paraît parfaitement convenir et au moins on reste dans l’indécision sur la nature du « nuisible », de l’insecte : quoi de plus angoissant que l’indécision ?

      Une fois de plus, je soupçonne certains traducteurs de se torturer les méninges pour trouver des expressions de plus en plus improbables, dans l’unique but de se démarquer de leurs prédécesseurs et de « marquer leur territoire ».

        • J’entends bien, cher Brumes, et vous faites bien de me rappeler cette évidence que j’avais peut-être un peu oubliée.

          Mais, pour être un brin provocateur : si vous n’avez pas de meilleure traduction à donner que celle de votre prédécesseur, si votre version pour ne pas coller à la sienne doit s’égarer sur des chemins de traverses, à quoi bon vouloir donner votre « version » ? (Je sais, pour gagner votre pain. Mais vous pouvez tenter de traduire des textes dont il n’existe pas de version française satisfaisante, ou bien, pourquoi pas, écrire vous-mêmes des oeuvres originales si vous en êtes capable, ou encore, changer de métier.)

          • Vous allez peut-être me répondre que la nouvelle traduction est demandée par un éditeur, qui veut, pour des raisons commerciales ou de prestige, accrocher une oeuvre célèbre à son tableau de chasse. Dans ce cas, la question devient un problème de marketing et cesse totalement de m’intéresser.

          • La traduction Pézard, comme souvent, l’emporte pour son expressivité et la beauté de sa diction poétique. La seconde me semble celle, omise, de Longnon aux Classiques Garnier, qui vaut par sa concision et sa clarté (on y trouvera aussi près de 170 pages de notes en petits caractères) :

            Sur le milieu du chemin de la vie,
            je me trouvai dans une forêt sombre;
            le droit chemin se perdait, égaré.

            Ah ! qu’il est dur de dire qu’elle était
            cette forêt sauvage, âpre et infranchissable,
            dont le seul souvenir réveille la terreur !

            Si amère, la mort l’est à peine un peu plus !
            Mais, pour faire sentir le bien que j’y trouvai,
            je parlerai d’abord de mes autres rencontres.

            Je ne suis puis dire, au vrai, comment j’y suis entré,
            tant j’étais plein de sommeil au moment
            que je quittai la véridique voie.

            Le ungeheueres Ungeziefer de Kafka, en anglais ‘monstrous crawler’ car le français manque semble-t-il des ressources lexicales permettant d’exprimer avec concision l’alliance de la bestiole rampante et de la tératologie soit qualitative (= bestiole répugnante) soit quantitative (= énorme vermine), a fait couler des monceaux d’encre ; en gros, il semble acquis que l’auteur, parce qu’il avait étudié la germanistique en 1902 et possédait une bonne connaissance du dictionnaire allemand étymologique de Grimm, un très grand classique, n’ignorait pas que Ungeziefer dérive du moyen haut allemand Ungezlbere, « unreines, nicht zum Opfer geeignetes Thier » (> privatif un- + gelzbere, cf. moyen haut allemand zebar, ‘animal sacrificiel’, et haut anglais tiber, ‘sacrifice’). Ce qu’on en tire demeure toutefois sujet à caution, par exemple « the condition of the distorted metaphor, estranged from familiar speech, shapes the family drama of The Metamorphosis; the Ungeziefer is in the fullest sense of the word ungeheuer (monstrous) – a being that cannot be accommodated in a family » (S. Corngold, « Franz Kafka: The Necessity of Form », Ithaca 1988 et réimpr., p.58.

      • Un de ces hasards objectifs chers à Breton : me promenant en cette fin de journée, entre les tables où s’étalent les nouveautés, je mets la main sur le dernier roman de Boualem Sansal, le feuillette, et, dans les dernières pages, tombe sur un passage où est évoquée brièvement la Métamorphose de Kafka. Et je remarque que Boualem Sansal emploie le mot « cafard ».

    • Point de vue d’écrivain (si j’étais l’auteur de la Métamorphose, voici comment je préférerais qu’on me traduisît) :

      – le pire qui puisse arriver : « Quand Gregor Samsa se réveilla un beau matin au sortir de rêves agités, il se retrouva transformé dans son lit en une énorme bestiole immonde. » Jean-Pierre Lefebvre, 2018″ (C’est écrit comme écrivent platement aujourd’hui les jeunes promus des ateliers d’écriture, à mille lieux de l’expression littéraire. Ah cet insupportablement vulgaire « beau matin », ce superfétatoire « immonde » qui trahit cruellement l’absence de force évocatrice de la phrase !)
      …ou, à peine moins pire, dans le même genre :
      « Quand Grégoire Samsa sortit un matin d’un sommeil peuplé de rêves inquiétants, il se retrouva transformé dans son lit en une sorte d’énorme punaise. » Catherine Billmann, 1997 (Là aussi, les mêmes enjolivements ridicules, comme ce « sommeil peuplé de rêves inquiétants », cette « sorte d’énorme punaise » digne d’un collégien en panne de vocabulaire. A noter que ce sont les deux traductions les plus contemporaines, symptôme parlant de l’état actuel de l’écriture en France. Sauf si un germaniste m’informe que Kafka a vraiment écrit ce « sommeil peuplé de rêves inquiétants » et que tous les autres traducteurs sont des idiots).

      – à l’inverse mais aussi assez significatif d’une certaine mode et d’une époque, voulant débarrasser Kafka de toute trace de fantastique ou de romantisme, en donnant un texte sec, objectif, presque scientifique : « En se réveillant un matin après des rêves agités, Grégoire Samsa se retrouva dans son lit, métamorphosé en un monstrueux insecte. » Bernard Lortholary, 1988. (Je respecte ce parti pris. Je me souviens qu’à l’époque, il avait renouvelé mon regard sur Kafka, en privilégiant l’essentiel. Je le trouve aujourd’hui terriblement daté. Mais, c’est sans doute moi qui ai changé.)

      – finalement mes deux versions préférées, assez proches, dans leur économie et leur élégance : « Lorsque Grégoire Samsa s’éveilla un matin au sortir de rêves agités, il se retrouva dans son lit changé en un énorme cancrelat. » Claude David, 1989 ; et, au sommet de mon Olympe personnel : « Un matin, au sortir d’un rêve agité, Grégoire Samsa s’éveilla transformé dans son lit en une formidable vermine. » Alexandre Vialatte, 1928.

      Il me faudrait comparer ligne à ligne tout le récit dans ses meilleures versions (ce que je suis incapable de faire), pour vérifier si celle de Vialatte se maintient tout du long à ce niveau de supériorité (nonobstant les erreurs et errements). Mes remarques ne valent que pour cette seule entame (donc, ne valent pas grand chose.

      J’attends avec impatience la nouvelle édition Pléiade (reniant sans vergogne toutes mes préventions antécédentes) pour voir si elle peut faire oublier toutes celles qui l’ont précédée.

  42. Voici l’incipit allemand de La métamorphose, Die Verwandlung:

    Als Gregor Samsa eines Morgens aus unruhigen Träumen erwachte, fand er sich in seinem Bett zu einem ungeheueren Ungeziefer verwandelt

    Il conviendrait de respecter scrupuleusement l’emploi du pluriel dans le complément au datif désignant l’état dont s’éveille Samsa (aus unruhigen Träumen, et non pas aus einem unruhigen Traum), ce qui élimine la traduction Vialatte ; David, ed. Pléiade, II p. 901, ne relève pas cette infidélité mais se rattrape en rédigeant une note détaillée sur Ungeziefer. La simple préposition aus régie par erwachte n’a quant à elle nul besoin d’être intensifiée (cf. ‘après des’, ‘au sortir de’) : « lorsque Gregor Samsa un matin s’éveilla de rêves agités » suffit amplement. Eines Morgens ne mérite pas davantage d’être enjolivé en ‘un beau matin’ comme dans la nouvelle version de la Pléiade sous la plume de Lefebvre. Espérons que la même langue décolorée et balbutiante exposée aux tentations paraphrastiques n’aura pas infecté la totalité de ses traductions, ni a fortiori celle de ses collaborateurs…

    • Je ne lis pas encore l’allemand mais le « beau matin » m’a instinctivement paru suspect : il faisait tâche aux côtés des autres traductions.

  43. J’oubliais la pire offense de la version Lefebvre : c’est un fieffé solécisme que d’écrire que l’on ‘s’éveille… au sortir de songes’ – du sommeil comme de rêves, l’on ne fait jamais en français que s’éveiller / se réveiller, sans qu’il soit besoin d’une liaison logique quelconque pour exprimer la transition vers l’état de veille. Une traduction qui se permet un ajout aussi risible en sus de plusieurs autres porte un nom : c’est une paraphrase.

    • Effectivement les rêves qui deviennent un rêve me semble une faute grave et, comme vous dites, « éliminatoire ». Quand au processus du réveil, il paraît très étrange qu’aucun des cinq traducteurs ne parvienne à se passer, sous une forme ou l’autre, d’une transition. Y aurait-il là une particularité de l’esprit français ?…

      Pour m’amuser, j’ai soumis la phrase telle que vous nous la donnez en allemand, au traducteur automatique de google, me préparant à une métamorphose bien plus monstrueuse que celle que subit le malheureux Samsa : 2 secondes plus tard, le robot me rendait : « Un matin, quand Gregor Samsa s’est réveillé de ses rêves troublés, il s’est retrouvé transformé en une vermine monstrueuse dans son lit. » Eh bien, je trouve que certains on fait pire ! Au moins, le logiciel de traduction (transcription ?) n’éprouve pas d’état d’âme à passer sans détours des « rêves troublés » à l’éveil et ne cherche pas à identifier la « vermine ». Encore un effort, et je connais des traducteurs qui vont s’éveiller, « un beau matin », transformés en… chômeurs.

      Pardonnez, cher NeoBirt7, cette plaisanterie de mauvais goût.

      • Il se peut que certaines personnes trouvent excessif de s’attarder autant sur ce simple fragment, mais il s’agit tout de même d’un des incipit emblématiques, non seulement de l’univers de Kafka, mais de toute la littérature contemporaine.

        Il y a un avant ce matin-là et cet étrange réveil, et un après.

      • Peut-être parce que, comme ce fut le cas pendant plusieurs décennies pour les éditions grecques et latines de la collection Budé, la présence en vis-à-vis du texte original autorise des libertés que le lecteur est supposé lever spontanément, le Shakespeare de la Pléiade (à la différence de l’édition Bouquins ou de l’intégrale parue aux Belles Lettres entre les deux guerres) est un champ malheureusement constellé de coquelicots adventices d’aussi bel acabit qu’on le constate dans l’incipit de la Métamorphose…

        • Un petit complexe de supériorité de la part de nos écrivains, persuadés depuis des siècles de représenter le nec plus ultra des Belles Lettres, ce qui les conduit à trouver quelque peu « barbares » les meilleurs représentants des champs littéraires étrangers, et, par exemple, à affirmer, un peu trop souvent pour que cela ne paraisse point suspect, que « la version française est meilleure que l’originale ». Combien de fois ai-je lu dans des introductions d’oeuvres étrangères, qu’on a voulu rendre le texte traduit plus agréable ; le fait qu’on n’ose plus aujourd’hui avouer semblables desseins ne veut pas dire qu’il n’en reste pas quelque trace dans l’esprit des traducteurs.

          • A chaque fois qu’un groupe très concerné dissèque un bout de phrase avec le sérieux que mérite l’importance du sujet, importance que nous tous ici comprenons bien, je suis fier d’être français.

            À Neo-birt7 et aux autres chers intervenants ayant plus d’ouverture internationale que moi :

            …Ou suis-je atteint du même stérile sentiment de supériorité que les traducteurs ; et les étrangers sont-ils aussi concernés que nous par le sujet ?

            (Quand je pose la question, la réponse me paraît aller de soi et je me sens bête. Mais cette fierté nationaliste m’interroge, moi qui ne vote pas et me fiche des patries. L’adolescent boutonneux est plein de questions honteuses qu’il ne peut poser à personne. )

  44. Ceci dit, si la langue est notre patrie, il y a de plus en plus, parmi nos élites, d’apatrides…

    Dans la rubrique « l’analphabétisme est notre horizon », une petite phrase extraite du discours qu’un député a lu dans l’hémicycle (je dis bien « lu », donc auparavant « écrit », dont supposément « réfléchi ») :

    « Le compte n’y est pas et la pauvreté n’est pas prête de disparaître. (…) »

    Sans plus de commentaire.

  45. S’il faut en croire Rivarol, et je le crois, c’est la littérature écrite dans une langue qui justifie ou non qu’on l’apprenne.
    De ce point de vue, la langue française est la première des langues « modernes ». Je trouve qu’elle ajoute quelque chose aux auteurs étrangers qu’on y traduit, et quelquefois, et même souvent, ce petit quelque chose n’était pas dans l’original. Autrement dit, ce que vous voyez tous ici comme un inconvénient, je le vois plutôt comme un avantage pour les œuvres des écrivains qui n’ont pas été écrites en français et qu’une main heureuse ramène vers le domaine français. Au point d’ailleurs que certaines de ces œuvres étrangères en deviennent pour ainsi dire des œuvres françaises : un peu du génie de cette belle langue y a pénétré.

    • Je me demande (sans angoisse particulière) si l’idéologie actuelle ira jusqu’à affirmer un jour que la langue française elle-même n’existe pas. Après la culture, la langue ? Pourquoi non. Tout est possible. Mais peut-être cherchera-t-on plutôt à la modifier profondément pour la rendre tout à fait inoffensive, et prête à être dissoute dans l’anglais international et l’anglais des affaires.

      • Le processus de créolisation de la langue française est plus que largement entamé : je me demande si le point de non retour n’est pas déjà atteint.

        Voici quelques siècles, le latin du conquérant est venu recouvrir les langages vernaculaires, avant que de cette collision sorte le latin vulgaire, assimilant une part des langues des vaincus, puis au terme d’un long processus qu’émergent les langues romanes, dont le français.

        L’histoire se déroulait à l’époque sur de longues périodes de temps ; pas sûr qu’à notre époque de vitesse, de la dégénérescence du français puisse sortir quelque chose d’autre qu’un patois rapidement promis à l’extinction. A moins que… un miracle ?

        Quant à moi, considérant l’espérance de vie qui m’est accordée, je ne puis qu’espérer, après les deux premiers tercios, celui des piques et celui des banderilles, ne pas être encore dans les tribunes pour assister au troisième : celui de la mise à mort.

    • Je crois que je vous aurais donné entièrement raison, il y a quelques décennies, quand les écrivains français écrivaient en français : c’est pourquoi je défendrai toujours, en dépit de tous les (justes) reproches qui lui sont fait, la traduction de Vialatte qui utilisait les admirables ressources du français de son époque.

      Aujourd’hui, hélas, les traducteurs français ne peuvent plus traduire les oeuvres de langues étrangères que dans le mauvais français – ne disposant pas d’un autre – qui domine le malheureux Royaume de France.

      • Un piètre français est malheureusement la marque de fabrique de l’enseignement supérieur depuis le tournant de la domination des matières techniques durant les Trente Glorieuses ; non contentes d’avoir laissé s’amuïr la place centrale fait au grec, au latin et au français médiéval, les humanités attirent les phraseurs verbeux à la pâte intellectuelle trop molle pour des spécialités plus lucratives (il suffit d’entendre s’exprimer l’avatar actuel du Jupiter romain, tout bouffi de satisfaction et d’orgueil pour sa culture), et les candidats à la licence et au mastère de lettres classiques ou modernes, y compris certains Normaliens, ne sont en général que des puits d’ignorance cachetonnant misérablement à coups de fiches didactiques et d’aides, avec pour tout horizon les Concours de recrutement. Si vous voyiez le niveau navrant auquel est tombée la leçon d’agrégation de lettres classiques… comme il est devenu obscène, dans l’esprit des impétrants, de se voir demander de scander autre chose que les vers les plus réguliers (l’hexamètre virgilien, le trimètre de Sophocle ou Euripide), ces agrégatifs, devenus agrégés ou même docteurs, s’expriment toute leur carrière durant dans un français borné à quelques milliers de lexèmes en sus de traîner comme un boulet leur faiblesse ès humanités. Je prendrai l’exemple de Pierre Lardet, actuel responsable de la section latine de l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes, auquel on doit une édition critique monumentale du Contre Rufin de Saint Jérôme, sa réduction bilingue aux Sources Chrétiennes et un commentaire de 500 pages du même opuscule chez Brill ; eh bien, ce Monsieur ne sait même pas scander un hexamètre homérique cité par Jérôme :

        « Éditant à deux reprises l’Apologie, Lardet ne semble pas comprendre qu’en retouchant comme il le fait la citation homérique de III 42, il s’écarte de la vulgate éditoriale unanime au prix de sa crédibilité personelle d’helléniste : dans son ὁπποῖόν κ᾽ εἴπηισθα ἔπος, ἔπος τοῖόν κ᾽ ἐπακούσαις, la séquence -πος, ἔπος τοῖόν κ᾽ ἐπακούσαις (ita Lardet 1982, p. 112 ; Lardet 1983, p. 324) s’entend mais ne se scande pas comme un hexamètre et ne ressemble même à rien, métriquement parlant. Pis encore, l’editio maior de Lardet asserte doctement : « la tradition manuscrite est unanime à attester la syllabe πος entre ‘ἔπος’ et ‘τοῖον’, ce qui suggère que Jérôme a effectivement répété le mot ‘ἔπος’ en tête de la seconde partie du vers, alors qu’on lit dans l’Iliade (20, 250) ‘Ὁπποῖόν κ᾽ εἴπῃσθα ἔπος, τοῖόν κ᾽ ἐπακούσαις’. Cette liberté prise avec le vers d’Homère [sic, J.-F.N.] ne doit pas surprendre : Jérôme n’est pas toujours rigoureux [sic] lorsqu’il cite les poètes (…) » (1982, p. 233, note critique 228).Il y a liberté et liberté ; dans une œuvre qui tourne toute entière autour de questions philologiques contre cet expert qu’était Rufin, il serait fort invraisemblable que l’Iliade eût été citée contra metrum même pour faire ressortir le mot-clé dans cette ‘reformulation du talion qui réactive la menace initiale’ (Lardet 1993, p. 399). L’archétype de la tradition médiévale doit plutôt avoir souffert d’une glose insérée.  »

        (J. F. Nardelli,  »Historia Augusta contra Christianos II. Nouvelles recherches sur la παιδεία païenne et sur l’ambiance antichrétienne dans l’Histoire Auguste’, Antiquité Tardive 24, 2016, p. 275 note 116).

        Quand des chercheurs de très haut rang sont aussi piètres techniciens dès qu’ils sortent tant soit peu de leur champ de spécialité très étroit, imaginez ce qui peut valoir pour les légions de leurs obscurs épigones, et vous aurez une idée du français qu’ils peuvent écrire.

  46. Bien, nous sommes loin d’avoir épuisé le sujet de la langue et de la traduction, « on pouvait dire… Oh! Dieu!… bien des choses en somme », sans que cela nous mène à terme, mais nous encombrerions de plus en plus le blog du malheureux Brumes et, en particulier, son rayon pléiadesque.

    Donc, pour en revenir à nos moutons, les parutions d’automne approchent à grands pas, et je ne peux pas dire que mon impatience grandisse ni que je m’en pourlèche les babines. Le sentiment qui l’emporte est celui de la tristesse. Nous devrons faire pauvre chère, au vu du menu qu’on nous propose. Nous nous détournerons sans hésiter devant la Tanche d’Ormesson, hésiterons peut-être devant le Goujon Kafka (non pas à cause de l’animal mais plutôt de la façon dont il sera cuisiné)… Heureusement, contrairement au Héron de la fable, nous ne serons pas contraints de nous contenter d’un simple limaçon, car il nous restera Les Lais du Moyen-Age pour régaler nos délicats palais !

    Mais, au bout de la saison, quand, en décembre, la bise sera venue, nous nous sentirons l’estomac bien vide et les os transis, « sans un seul morceau de mouche ou de vermisseau » et certains d’entre nous, toute honte bue, iront sans doute « crier famine chez la Fourmi » Bouquins, Pochothèque, ou telle autre prudent insecte au grenier mieux rempli que celui de la Pléiade.

    • J’irais chez Classiques Garnier. Je danse, maintenant, tant ma situation financière s’en trouve améliorée.

      Mais ne boudons pas la Pléiade : tant d’anciens volumes et, toujours, si peu de temps…

      • Seule consolation – mais de taille ! – cela libère du budget pour acheter les Grands Anciens qui manquent à ma collection. C’est comme un Amour qui meurt, il n’en reste que le meilleur.

  47. Je suis en train de lire le dernier Rushdie, et je viens de tomber sur ce passage :

    « Un insecte gigantesque. Une monstrueuse vermine. Une véritable vermine. Un matin, au sortir d’un rêve agité, Gregor Samsa s’éveilla, transformé dans son lit en un ungeheuren Ungeziefer. Personne ne s’accorde sur la meilleure traduction. La nature exacte de la créature n’est pas spécifiée avec précision dans le récit de Kafka. Peut-être un cafard géant. La femme de ménage dit qu’il s’agit d’un bousier. Lui-même n’a pas l’air de très bien le savoir… »

    Décidément, le sujet est dans l’air du temps.

    • Jolie découverte, le blog de Brumes est de plus en plus mondain, voici qu’on y trouve Rushdie parmi les intervenants !…

      Ce m’est l’occasion, Amine, de demander à un des habitués de ce lieu, ce qu’il pense de Rushdie… ça fait un moment que cette question me visitait quelquefois…

      • Je suis un grand admirateur de Rushdie, donc point d’objectivité dans ce commentaire. Malheureusement, je dois avouer que son génie s’est peu à peu transformé en talent. Fury a été son premier roman à me décevoir, et depuis je ne retrouve plus le style flamboyant de ses chefs-d’œuvre des années 80 et 90. Ce changement a eu lieu au moment où il s’est installé aux Etats-Unis (je me demande parfois si c’est une coïncidence). Je ne parlerai donc que du Rushdie du XXe siècle. Il m’est difficile de parler de ses livres car chacun est un monde et mériterait qu’on y consacre des centaines de pages. J’essaierai de faire court et pas trop maladroit.
        Rushdie est à l’intersection du post-colonialisme, du post-modernisme et du réalisme magique (même s’il dit avoir troqué ce dernier contre la réalité bizarre). Un thème récurrent chez lui est le passage de la colonisation à l’indépendance, et le gâchis qui s’en suit. Il analyse comment le nouveau régime devient aussi violent et aussi « vorace » (dans les Versets sataniques, un « Imam » auteur d’une révolution dévore littéralement la foule de ceux qui meurent pour lui) que le régime précédent. Certes, rien de nouveau de ce côté, on retrouve le même questionnement chez Assia Djebar par exemple, qui se demande comment la passation de pouvoir entre les anciens et les nouveaux bourreaux a eu lieu. Mais Rushdie y ajoute la magie : c’est la possibilité de ce qui n’a pas eu lieu, les pouvoirs magiques de Saleem dans Les Enfants de Minuits correspondent aux possibilités gâchées de la démocratie indienne. Contrairement aux classiques du réalisme magique, comme chez Garcia Marquez, la magie de Rushdie est symbolique. Quand on est un ange déchu, on ne chute pas du ciel de n’importe quelle hauteur, mais de 8848 mètres. Mais elle s’incline toujours face à la réalité. D’ailleurs, le décalage entre son entrée et sa sortie est assez frappant. Les Versets sataniques commencent par la chute des deux personnages principaux après l’explosion d’un avion, puis leur atterrissage en douceur sur une plage anglaise. Il avertit assez vite le lecteur :
        « Let’s face it: it was impossible for them to have heard one another, much less conversed and also competed thus in song. Accelerating towards the planet, atmosphere roaring around them, how could they? But let’s face this, too: they did. »
        Entrée par effraction de la magie dans l’esprit du lecteur. A la fin, la magie est impuissante, la lampe magique n’a plus de pouvoir et « he could no longer believe in fairy-tales ».

        Mais l’obsession de Rushdie, c’est l’identité, et donc, vu nos « temps troublés où les événements s’accélèrent », la métamorphose. La question de l’identité en pleine mutation est au centre de son œuvre. Qu’est-ce qui reste et qu’est-ce qui change au cours de la métamorphose ? Nous sommes déracinés, tel le jardinier dont les pieds n’arrivent plus à toucher le sol. Ou plutôt, que doit-on tuer et que doit-on garder ? « To be born again, first you have to die! » au début des Versets sataniques, toujours, et « To the devil with it! Let the bulldozers come. If the old refused to die, the new could not be born. » à la fin. Mais ce n’est pas aussi simple. Alors qu’un des personnages réussit à s’en sortir, l’autre se suicide pour avoir échoué de mourir culturellement. L’influence mutuelle entre différentes cultures est très présente. Dans La Terre sous ses pieds, ces influences sont étudiées via l’exemple du Rock n’ Roll sur l’Inde. Un des personnages, étudiant les trois fonctions de Dumézil, en conclut qu’elles ne suffisent pas à faire tourner la machine et que l’extériorité est nécessaire à toute culture. Alors que les frontières culturelles sont poreuses, les frontières géographiques sont de plus en plus étanches, créant des tremblements de terre sur les lignes séparant les pays.
        Bref, je pourrai y passer la nuit. Au lieu de ce panégyrique ennuyeux et très maladroit, je vous laisse lire quelques extraits qui vous donneront (peut-être) envie d’y regarder de plus près.

        « Too painful. Optimism, growing like a rose in a dung-heap: it hurts me to recall it. Enough: I forget the rest.-No!-No, very well, I remember… What is worse than rods bar-fetters candles-against-the-skin? What beats nail-tearing and starvation? I reveal the Widow’s finest, most delicate joke: instead of torturing us, she gave us hope. Which meant she had something – no, more than something: the finest thing of all! – to take away. And now, very soon now, I shall have to describe how she cut it off.
        Ectomy (from, I suppose, the Greek): a cutting out. To which medical science adds a number of prefixes: appendectomy tonsillectomy mastectomy tubectomy vasectomy testectomy hysterectomy. Saieem would like to donate one further item, free gratis and for nothing, to this catalogue of excisions; it is, however, a term which properly belongs to history, although medical science is, was involved:
        Sperectomy: the draining-out of hope. »

        «…but for whatever reason, the two men, Gibreelsaladin Farishtachamcha, condemned to this endless but also ending angelicdevilish fall, did not become aware of the moment at which the processes of their transmutation began.
        Mutation?
        Yessir, but not random. Up there in air-space, in that soft, imperceptible field which had been made possible by the century and which, thereafter, made the century possible, becoming one of its defining locations, the place of movement and of war, the planet-shrinker and power-vacuum, most insecure and transitory of zones, illusory, discontinuous, metamorphic, – because when you throw everything up in the air anything becomes possible – wayupthere, at any rate, changes took place in delirious actors that would have gladdened the heart of old Mr. Lamarck: under extreme environmental pressure, characteristics were acquired.
        What characteristics which? Slow down; you think Creation happens in a rush? So then, neither does revelation… take a look at the pair of them. Notice anything unusual? Just two brown men, falling hard, nothing so new about that, you may think; climbed too high, got above themselves, flew too close to the sun, is that it?
        That’s not it. Listen:… »

        «How does newness come into the world? How is it born? Of what fusions, translations, conjoinings is it made? How does it survive, extreme and dangerous as it is? What compromises, what deals, what betrayals of its secret nature must it make to stave off the wrecking crew, the exterminating angel, the guillotine?
        Is birth always a fall?
        Do angels have wings? Can men fly? »

        «La désorientation, c’est la perte de l’Est. Demandez à n’importe quel navigateur : on se réfère à l’est pour voyager. Perdez l’est et vous perdez vos repères, vos certitudes, votre connaissance de ce qui est et qui pourrait être, peut-être même de votre vie. Où était cette étoile que vous avez suivie jusqu’à la crèche. ? C’est ça. L’Est oriente. C’est la version officielle. C’est ce que dit la langue, et on ne discute pas avec la langue.
        Pourtant, une supposition. Que se passerait-il si toute l’affaire – s’orienter, savoir où l’on se trouve, etc. -, si tout ça n’était qu’une escroquerie ? Que se passerait-il si tout – son chez soi, la famille, la totale, n’était que le plus grand, le plus complet, et le plus ancien lavage de cerveau ? Supposez que ce n’est que lorsque vous osez vous laisser aller que votre vraie vie commence ? Quand vous échappez au navire ravitailleur, quand vous coupez les amarres, quand vous larguez vos chaînes, quand vous disparaissez, quand vous partez sans permission, quand vous vous barrez, ciao, tout ce que vous voulez : supposez que c’est à ce moment-là, et seulement à ce moment-là, que vous êtes vraiment libre d’agir ! De mener la vie que personne ne vous dit de mener, ni comment, ni quand, ni pourquoi vivre. Une vie dans laquelle personne ne vous donne l’ordre d’aller mourir pour eux, pour Dieu, où personne ne vient vous cherchez parce que vous n’avez pas respecté les règles, ou parce que vous êtes une de ces personnes qui sont, pour des raisons que malheureusement on ne peut vous donner, tout simplement interdites. Supposez que vous deviez connaître le sentiment d’être perdu, dans le chaos et au-delà ; que vous deviez accepter la solitude, la peur bleue d’avoir perdu vos repères, la terreur vertigineuse de l’horizon qui tourbillonne comme la tranche d’une pièce de monnaie jetée en l’air.
        Vous ne le ferez pas. »

        • D’ailleurs, en français (je ne sais s’il y a un équivalent en anglais), le mec paumé est « à l’ouest » ! Christophe Colomb ne fut ni le premier ni le dernier à être « à l’ouest »… Que faut-il penser des Allemands de l’Est qui « passaient à l’Ouest » ?… etc.

          ………………..

          Trêve de plaisanterie, je vous remercie de vos éclairages.

          Il se trouve que j’avais lu Les Enfants de Minuit, bien avant le succès de scandale des Versets Sataniques (combien d’acheteurs de ce livre l’ont-ils réellement lu ? un infime pourcentage, sans doute), car je m’intéressais de près à cette époque aux différentes littératures « post-coloniales » (si on peut dire). Par la suite, j’ai bien sûr acquis et lu Les Versets Sataniques, puis Le Dernier Soupir du Maure, puis, sans raison précise dont je me souvienne, j’en suis resté là. Avec, de loin en loin, un remords…

          Enfin, très récemment, je suis tombé sur un lot (cinq ou six bouquins) de romans de Rushdie, chez Emmaüs, donc à vil prix. Avant de me mettre sérieusement à combler mon retard en rushdiologie, j’éprouvais le désir de recueillir un ou deux avis avisés… J’ai sauté sur l’occasion que vous m’avez offerte, n’osant guère solliciter les sévères critiques qui officient sur ce blog (personne n’a jamais cité son nom, à ma connaissance, parmi les « pléiadisables », mauvais signe), de crainte de recevoir une volée de bois vert.

  48. « On tue l’ignorance comme l’appétit : on mange, on étudie, et c’est ainsi qu’on arrive vers cet état qui rend la mort si nécessaire. »
    Rivarol, Pensées inédites.

    Pour faire pendant au trop fameux :

    « La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres. » (Brise marine) de Mallarmé,

    et à l’invitation au voyage de Gide :

    « Nous avons quitté nos livres parce qu’ils nous ennuyaient, parce qu’un souvenir inappelé de la mer et du ciel faisait que nous n’avions plus foi dans l’étude : quelque chose d’autre existait… » (Paludes).

    Bon dimanche à tous.

  49. Bonjour,

    Un petit mot pour signaler le résultat d’une demande adressée à Gallimard à propos de deux romans chinois majeurs.

    – Les trois royaumes ont été considérés pour une édition mais le projet n’est pas à l’ordre du jour à court ou moyen terme. (Ils s’agit pour de la dernière des Quatre Histoires Extraordinaires, les autres figurant au catalogue).

    – L’Investiture des dieux n’a jamais été évoqué pour un projet d’édition (quel dommage pour ce roman dont il n’existe qu’une médiocre traduction abrégée en français).

    Tant des plus grands classiques mondiaux manquent au catalogue, hélas.

    • Triste nouvelle, qui vient confirmer nos pires craintes, hélas !

      Nous reste heureusement l’édition des 3 Royaumes chez Flammarion, bien encombrante avec ses sept volumes : l’emballage est assez moche, mais il contient un trésor.

      Quant à l’Investiture… l’édition à laquelle vous faites allusion doit être celle publiée chez You Feng, qui se présente comme une « adaptation », expurgée des parties qui seraient, selon le préfacier, trop ennuyeuses pour un lecteur français (on croirait lire l’avertissement d’une adaptation du XIXème siècle). Je ne sais si les 900 pages rescapées permettent de se faire une idée de l’original, car je ne me suis pas résigné jusqu’à ce jour à acquérir cet ouvrage ainsi défiguré.
      A noter que, curieusement, « l’adaptateur » n’utilise ni le système de transcription des noms chinois pinyin, universellement adopté aujourd’hui, ni l’ancien système de l’Ecole Française d’Extrême-Orient, mais l’obsolète système anglo-saxon de Wade-Giles… Cela amène quelques interrogations sur ses sources.
      Les éditions en langue étrangères de Pékin donnent une traduction anglaise, en deux volumes, sous le titre Création of the Gods, qui ne m’allèche guère.
      Je ne sais mas s’il existe autre chose en anglais ou dans une autre langue occidentale.
      En tout état de cause, les non-sinisants francophones se voient privés de la possibilité de juger par eux-mêmes du degré « d’ennui » induit par la lecture de ce livre.

      Et encore, s’il ne s’agissait que de ces deux-là !

      • A défaut de Pléiade, ce livre aurait sa place en « Connaissance de l’Orient », mais combien de volumes ? L’ampleur et le coût de la tâche ont de quoi intimider, je peux le comprendre, même si cela ne me consolera pas de cette absence.

      • Concernant L’Investiture des dieux, je faisais en effet référence à l’édition You Feng. Je ne l’ai pas lu, refusant d’emblée le massacre de l' »adaptation », qui est bien souvent le résultat d’une contrainte éditoriale ou d’un-e traducteur/trice au caractère discutable. Et les quelques critiques ne sont pas du tout encourageantes quand au succès de l’entreprise. Malheureusement, outre certaines éditions qui ont un aspect recommandables, les éditions You Feng semblent régulièrement publier des éditions carrément mauvaises (La Légende du Héros Chasseur d’Aigles est également en fait un abrégé semble-t-il). Du coup, j’hésite à acquérir les Mémoires historiques de Se-Ma Ts’ien, plus de 4000 pages à 300 euros tout de même, qui consiste en un assemblage de traductions d’époques différentes.

        Concernant les Trois Royaumes, j’ai eu les trois grands volumes Flammarion mais j’ai abandonné au premier. Il m’a semblé, sans pouvoir en juger en expert, que la traduction n’est pas très heureuse. De plus, j’ai pu lire des problèmes d’harmonisation dans les noms entre les différents volumes (plusieurs personnes différentes traduisant), ce qui n’incite guère non plus à l’optimisme. J’espère à tout le moins le voir un jour en Pléiade, car, je le rappelle, il s’agit du dernier des Quatre livres extraordinaires qui n’est pas au catalogue.

        De manière général, je comprends, bien que je n’approuve pas, que la Pléiade sortent beaucoup de volumes consacrés à des auteur-e-s qui « pourraient attendre encore un peu (ou beaucoup) ». Vu le poids économique de Gallimard, on aurait pu souhaiter que la collection de la Pléiade ne soit pas mue avant tout par des considérations financières, mais c’est là une attente insensée aujourd’hui. Cependant, qu’une bonne partie des volumes soient dispensables, car avant tout commerciaux, ne me gêne point trop, pourvu que nous ayons en échange des trésors probablement non-rentables issus du patrimoine mondial. Ce n’est pas assez le cas à mon goût. Tant de textes fondateurs ou catalyseurs de civilisations et de cultures manquent à ce jour. Bien entendu, l’entreprise prend du temps, mais, comme beaucoup l’ont déjà signalé ici, il faudrait combler au moins les plus violentes.

        • Pour les 3 Royaumes j’ai l’ancienne édition en 7 volumes de moindre format, mais le contenu doit être le même. Je ne sais s’il y a des différences avec votre édition, mais je suppose que non. Malgré les défauts que vous signalez à juste titre, c’est tout de même sans commune mesure avec la version massacrée de You Feng (pour les différences de transcription des noms, je n’en ai pas souvenir, il faut que je retourne y voir de plus près). Traduction, notes et commentaires de Jean et Angélique Lévi qui ont tout de même pignon sur rue dans le domaine de la sinologie (je suis moins sûr que le dénommé Garnier « adaptateur » de l’Investiture puisse s’en targuer, j’en suis au point même de soupçonner une « traduction au carré »). Collection Fllamarion/Unesco « Aspects de l’Asie » dirigée par Alfred Eibel (ancien et éminent jeune éditeur et militant « mao » devenu un authentique sinologue, l’âge venant).

          Je possède par ailleurs dans ma bibliothèque une curiosité antique : « Les Trois Royaumes », Collection Unesco d’Oeuvres Représentatives, Publié à Saïgon en 1960 par le Bulletin de la Société des Etudes Indochinoises, sous « la haute approbation » (comme qui dirait l’imprimatur) de l’EFEO ; traduction Louis Ricaud et Nghiêm Toan, introduction du Grand Ancien Robert Ruhlmann… Malheureusement, seul le Tome Premier est parvenu jusqu’à moi (450 pages grand format tout de même, avec reproduction de gravures chinoises), j’ignore s’il y eut une suite.

          De You Feng je n’ai que les volumes de « Recherches sur les superstitions en Chine », l’antique traité du Père Henri Doré qui n’a pas dû coûter cher en droits d’auteur et qui a un intérêt historique. Quand j’étais parisien je fréquentais leur librairie.

          De l’Investiture il existe moult adaptations en bande dessinées (comme pour les 3 Royaumes), dont un manga paraît-il assez fidèle et complet que je n’ai jamais eu sous les yeux (je le mentionne uniquement à titre de curiosité).

          Cela fait longtemps que je proclame (et maintiens) que Gallimard pourrait accepter de perdre quelque argent sur sa collection prestige, plutôt que la défigurer et l’alourdir d’oeuvres indignes, car il a assez de volume par ailleurs pour compenser ces pertes. Et il pourrait également tenir compte, dans son calcul économique, du prestige que la Pléiade apporte à l’Enseigne Gallimard. Mais il s’agit d’une grande naïveté de ma part, paraît-il, et les petits calculs d’épicier seraient plus réalistes (j’en doute).
          A moins qu’il ne désire que la Pléiade suive le chemin de la « Blanche » autrefois si réputée qu’un auteur pouvait se prostituer pour obtenir la faveur d’y figurer, alors qu’aujourd’hui elle est tombée au niveau le plus commun et le plus trivial.

          • Concernant la traduction des Trois Royaumes, le nom de Lévi me semble être gage de qualité en effet. Je ne sais pas ce que donne l’original, mais j’ai trouvé le récit assez lourd et les tournures assez gênantes de manière générale. Cependant, je ne saurais dire si cela vient des personnes officiant à la traduction. Cependant, pour le changements de transcription des noms, j’ai lu cela sur des critiques et j’avoue ne point avoir moi-même vérifié, dégoûté de cette annonce. Le premier tome m’est à vrai dire un peu tombé des mains. Plusieurs lecteurs/trices ont émis des critiques sévères sur les noms et même sur l’inconstance de certains éléments (les armes qui changent de nom, entre autres). D’autres signalent qu’il s’agirait de coquilles très nombreuses et noms de problème de traduction. Je ne sais qu’en penser. L’une des difficultés, si cher à Neo-Birt7, est l’absence de notes suffisantes pour comprendre certains éléments.

            Il est vrai qu’il faut un peu d’effort pour rentrer dans un ancien classique chinois, car les structures narratives sont fort différentes de ce à quoi l’on est accoutumé en Occident (multiplicité des intrigues entremêlées, nombre pléthorique de personnages etc). Cependant, ici, c’est le texte lui-même qui m’a paru assez pénible. J’aimerais pouvoir comparer avec une autre traduction. Je ne connais pas les sept volumes mais il semble que ce soit la même traduction. Elle a été rééditée opportunément en grand format pour la sortie du film de John Woo au cinéma (amputée de moitié dans l’édition occidentale, comme quoi, il n’y a pas qu’en littérature qu’on charcute).

            (Pour l’éternel histoire de la rentabilité de la Pléiade, le problème principal, c’est probablement l’actionnariat, qui n’en a pas grand-chose à faire du prestige éditorial et du patrimoine littéraire de l’humanité.)

          • A propos de la version Lévi/Flammarion des 3 Royaumes, je ne conteste point qu’il doit y avoir des problèmes éditoriaux (coquilles, etc.) et de traduction (on peut être bon sinologue et mauvais écrivain), mais je crois savoir qu’une part de la « lourdeur » voire de « l’illisibilité » du « roman » tient aussi à l’original : en ceci qu’il ne s’agit pas d’un roman à l’occidentale (moderne), avec un auteur unique, mais plutôt d’une compilation de versions qui se sont accumulées au lil des âges comme des couches géologiques, de documents divers, « historiques », légendaires, « romanesques ». Cela s’apparente plus à une sorte de « Mille et Une Nuits » qu’à un roman balzacien ou post-balzacien. Cette diversité de sources et de traitement, fait qu’on peut difficilement le lire en continuité de la première à la dernière page, qu’on sera découragé par certaines parties et qu’on en trouvera d’autres plus passionnantes et plus aisées. Lire un grand classique chinois c’est faire un voyage en terra incognita, on découvrira des merveilles et on tombera dans des chemins de traverse épineux et décourageants.

            C’est à prendre et à laisser. Et cela plaide presque, à côté d’une version intégrale et savante pour les spécialistes et les passionnés, pour l’existence d’une version plus abordable (mais respectueuse) pour le grand public lettré.

        • Pour frimer un peu et épuiser le sujet (ainsi que les deux ou trois malheureux qui ont encore le courage de me lire), j’ai également déniché dans ma bibliothèque un « fascicule » (176 pp.) extrait de « France-Asie » n°151-152 (Saïgon 1958-1959), première livraison de la traduction des 3 Royaumes, ensuite reprise dans le volume que j’ai cité plus haut. Il m’amuse de lire que Louis Ricaud était alors « Professeur de Philosophie au Lycée J.J. Rousseau à Saïgon ».

          Ce fascicule comprend les 5 premiers chapitres des 3 Royaumes, et une longue Présentation de Nghiem Toan. Bien entendu, il s’agit dans les deux cas d’une édition savante, les notes de « bas de page » occupant couramment la moitié vois les deux tiers de la page…

          Là encore, j’ignore si d’autres fascicules suivirent, j’ai acquis celui-ci, il y a une bonne quarantaine d’années, à Paris, au hasard de mes pérégrinations dans les libraires orientalistes. Internet n’existait pas.

          Toujours pour la frime, je signale que, dans sa préface, Ricaud mentionne une édition anglaise qui était plutôt un digest, comme il était de mode alors pour tous les grands classiques chinois, une antique version française, également « allégée » de Th. Pavie (2 vol. 1845-1851), déjà alors introuvable selon ses dires, ainsi qu’une version allemande de F. Kuhn, Die Drei Reiche, Roman aus dem alten China (Weimar 1952).

          Et de déplorer les ténèbres dans lesquels étaient plongés les grands romans classiques chinois dans nos langues de l’Ouest, tout en espérant voir se lever l’aube : aujourd’hui encore, 60 ans plus tard, nous déplorons (un peu moins) et nous espérons (beaucoup moins).

          • « (…) version allemande de F. Kuhn, Die Drei Reiche, Roman aus dem alten China (Weimar 1952) » : dédicace spéciale à NeoBirt7.

          • Demonkos, Toan et Ricaud ont poursuivi leur tâche jusqu’à la fin du chapitre 45 en trois volumes (II, 1960 ; III, 1963) ; pour ce que j’en ai vu, la traduction m’a parue très vivante, sans doute trop car mon exemplaire comporte un grand nombre de marginalia à l’encre qui se caractérisent par un rendu plus serré et littéral, mais les notes, d’une grande abondance, dialoguent presque exclusivement avec la sinologie française, ce qui est gênant, et font montre de beaucoup de dilettantisme tant dans la rédaction (assez nombreuses coquilles, certaines cocasses comme « La Chine antique » d’Henri Maspero qui devient « La cité antique » !) qu’en matière de références secondaires et de renvois (beaucoup de titres sont remplacés par « précité » ou « comme cité » alors même qu’ils n’ont pas été communiqués au préalables ; maintes indications de pages et même d’auteur sont manquantes; trop de notes semblent paraphraser tel ou tel item de la littérature secondaire d’une manière où l’on ne distingue guère ce qui revient à l’auteur exploité de la part propre aux traducteurs des Trois royaumes). Il est dommage que Toan et Ricaud n’aient pas persévéré, car ils n’ont couvert qu’un peu plus du tiers du roman, lequel compte 120 chapitres et au delà d’un demi-million de mots (la traduction a été faite en commun, mais le texte définitif est crédité au seul Ricaud, probablement en tant que locuteur français natif).

          • Erratum: le volume II des Trois royaumes par Toan & Ricaud date de 1961. Il est un peu curieux, et pas franchement esthétique, d’avoir relié chacun des tomes dans une couleur différente.

          • Je ne veux certainement pas me faire le défenseur de You Feng, mais j’imagine qu’ils vous répondront que l’édition de Chavannes (que je possède dans son édition de 1967 chez Maisonneuve, beaux livres de papier dont je ne me séparerai point jusqu’à l’heure de mon trépas) est complétée des chapitres manquants et révisée par Pimpanneau. Reste à savoir quelle est l’importance de ce travail et s’il vaut les 300 € demandés… On peut effectivement se poser la question.

          • Merci NeoBirt7 pour ces renseignements sur la version des 3 Royaumes de Nghiem Toan et Ricaud. Vous arrivez comme le deus ex machina !
            Heureux d’apprendre qu’il existe deux autres volumes, même s’ils sont loin de couvrir l’ensemble de l’oeuvre. Si c’est possible à prix raisonnable, j’essaierai peut-être de me les procurer.

            En ce qui concerne le caractère endogamique, franco-français, des références, si je me réfère au fait qu’à l’époque (bien avant qu’internet soit l’ombre d’un embryon dans le ventre de sa mère), Ricaud était simple prof de philo dans un lycée de Saigon, je crois pouvoir supposer qu’il n’avait pas alors accès à toute la littérature internationale sur le sujet (?).

            S’agissant de savoir qui a fait quoi dans cet ouvrage entrepris en duo, il me semble que Ricaud dans une note liminaire (je ne sais plus où j’ai lu ça, peut-être dans le fascicule de la revue France-Asie) précise qu’il s’est principalement chargé de la traduction et que Nghiem Toan en temps que « lettré vietnamien » s’est plutôt chargé de l’intro et/ou des commentaires. (re-?)

          • Mon « Tome premier » comporte 15 chapitres et l’intro, signée par Toan est d’environ 90 pages (et non pas 300 comme je l’avais indiqué). Il n’est pas relié mais broché.

            Les 300 pages d’introduction, c’est dans le fascicule que j’ai évoqué par ailleurs, lequel ne comporte que les 5 premiers chapitres. Le format est bien moindre et j’ignore s’il s’agit du même texte, ne les ayant pas rapprochés et étant à l’instant incapable de le faire, car j’ai sorti ce fascicule de ma bibliothèque hier et je sais pas où j’ai pu le poser en me promenant d’une pièce à l’autre. J’en perds le peu de chinois que je possède. (Peut-être suite du feuilleton quand j’aurai remis la main dessus…)
            Les notes occupent également une plus grande proportion des pages du fascicule mais là encore je ne sais si cela est dû au format ou à leur prolifération champignonesque.

            Tout cela n’est pas très scientifique de ma part. Où ai-je bien pu fourrer ce maudit fascicule, bon sang de bonsoir !

          • Ça y est, j’ai retrouvé mon fascicule 3 Royaumes. (Je me suis pris les pieds dans cette histoire de 3OO pp. d’introduction qui concerne les Mémoires Historiques ; tant pis, ça ira mieux après une bonne douche froide.)
            Je relis les préface et introduction de Toan et Ricaud et me rend compte que NeoBirt7 a raison : on se réfère exclusivement aux grands ancêtres de la sinologie française (le Père Wieger, Henri Maspero, des Retours, Granet… et de vagues « divers sinologues européens pouvant faire autorité », soigneusement innommés). Il doit s’agir de révérence envers ses maîtres, d’endogamie propre à l’Ecole Française d’Extrême-Orient avec son côté « provincialisme » indochinois… A titre d’excuse, il est vrai qu’on était encore en des temps héroïques et que le roman des 3 Royaumes faisait en Europe figure d’OVNI.

            Petit clin d’oeil à tous nos amis fidèles de la Pléiade : parmi ses contemporains, Ricaud se réfère à Max Kaltenmark, en particulier à son « excellent article, véritable petit Précis de la littérature chinoise, qui figure dans l’Encyclopédie de la Pléiade. (Tome I. p. 1256 sq. NRF, Gallimard. Paris 1955.) »

            Tentative désespérée de ma part de rentrer dans les clous de ce blog « d’amateurs de la Pléiade » !

          • Il est dommage que Toan & Ricaud ne soient pas des savants véritables, en dépit de toutes leurs peines (voir I, p XLVIII: « nous avons fait cet immense effort pour rendre agréable au lecteur occidental la lecture d’un roman populaire certes aux yeux du lettré formé aux humanités chinoises classiques, mais déjà difficile même pour un sinologue (…) »), car d’une part la division du travail entre eux manque de clarté (ibid. : « Monsieur Louis Ricaud se charge de rédiger le texte français définitif, après avoir laissé passer un certain temps pour le travail indispensable de décantation. Je ne sais s’il a remis l’ouvrage « vingt fois sur le métier », mais je ne crois pas exagérer en avançant le chiffre de sept à huit. Car le lecteur ne se doute pas de sa peine pour chercher le mot, l’expression juste qui ne trahisse pas le texte original tout en donnant à la phrase une allure française, c’est-à-dire par dessus tout, simple, claire, naturelle. (…) » ; j’abrège la citation car elle se poursuit encore avec emphase sur plusieurs lignes), et d’autre part on les prend maintes et maintes fois in flagrante delicto de montage d’extraits de la littérature savante. Au lieu d’écrire en leur propre nom des notes plurivoque soupesant l’état des connaissances sur un point de détail, comme aiment à le faire les savants véritables, Toan & Ricaud préfèrent trop souvent suturer ensemble des morceaux de leurs auteurs de référence, quitte parfois à faire dire autre chose, y compris des bévues de belle taille, au(x) développement(s) du livre ainsi pillé (exemples flagrants en I, p. 91, et II, p. 494).

          • En matière d’établissement de texte, d’analyse et de commentaires, je ne saurais, NeoBirt7, me mesurer à vous, loin s’en faut, et je fais donc miennes vos remarques et vos critiques.

            A vrai dire, j’ai signalé l’existence de cette ancienne (antique ?) édition pour être complet sur la question, sans la recommander outre mesure.

            Je suis au profond regret de constater que nous ne disposons pas en français (je ne sais ce qu’il en est, aujourd’hui, pour l’anglais ou l’allemand), d’édition pleinement satisfaisante des 3 Royaumes et, surtout, je crains fort, du train où vont les choses, que les personnes de ma génération (qui doit être approximativement la vôtre si je vous ai bien compris dans certains de vos messages) ne verront jamais cette Arlésienne.

            Nous devrons nous contenter du fast food qu’on nous propose et souhaiter à nos descendants de goûter à la haute cuisine, un jour, si les Dieux le veulent et s’ils en éprouvent encore le désir.

        • En ce qui concerne Les Mémoires Historiques de Se-Ma Ts’ien (ou Xima Qian), chez You Feng : le temps s’étant arrêté pour moi depuis un demi-siècle, je ne connaissais pas cette édition. Etant allé aux renseignements, je suis tombé sur un petit argumentaire proposé par la Librairie Phénix :

          « Les éditions You Feng nous offrent un accès majeur à la culture chinoise avec la traduction complète des Mémoires historiques de Se-Ma Ts’ien / Sima Qian.
          Ce chef-d’oeuvre historique et littéraire a d’abord été en partie traduit par Édouard Chavannes, publié aux éditions Ernest Leroux au début du XXe siècle (tome I-V), et suivi d’un sixième tome traduit par Édouard Chavannes et Max Kaltenmark, édité par la Librairie d’Amérique et d’Orient en 1967. Jacques Pimpaneau a pris le dernier relais en apportant sa contribution avec la traduction et l’annotation des chapitres restants (Tome VII : chapitre LIII à LXXX) et des biographies (Tome VII VIII IX).
          Les éditions You Feng ont réuni ces différentes traductions dans un coffret en 9 volumes proposant pour la première fois la version française de l’ensemble de ces Mémoires Historiques… »

          Je possède les 6 volumes de l’édition de 1967 du même ouvrage par Edouard Chavannes, poursuivi par Kaltenmark, qui s’arrêtent au chapitre LII. Je peux garantir qu’il s’agit d’un ouvrage savant (trois cents pages d’introduction, des notes qui envahissent les trois-quarts de chaque page), et je pense que, pour le complément, le nom de Pimpanneau est un gage de sérieux.

          Je ne peux donc que vous encourager à acquérir ce monument, car, comme le dit le commercial de Phénix : « C’est donc un évènement éditorial et un Incontournable dans une (votre) bibliothèque ! » Pour ma part, je vais m’empresser de mettre des sous dans mon petit cochon rose et j’espère pouvoir rapidement le casser pour récupérer le pactole et le consacrer à cet indispensable achat. (Certes, c’est le prix de 4 Pléiades neuves, mais je me passerai volontiers des deux volumes d’Ormesson et deux autres du même tonneau à votre choix.)

          • hi hi hi !
            Mais il me semble que deux volumes ne suffiront pas : je me déclarerai satisfait lorsque les chroniques et écrits divers (en attendant la correspondance) de Jean d’Ormesson dépasseront en nombre les volumes voltairiens.

          • Un dernier mot, en forme de réserve, sur l’édition You Fin de Xima Qian (ou Si-ma Ts’ien) : avant de me lancer dans cet investissement, il faudra que je vérifie qu’on n’a pas délesté la version Chavannes de ses 350 pages d’introduction et d’annexes ni trop allégé ses très considérables notes et commentaires.

          • Merci pour toutes ces informations. Je tâcherai d’aller regarder à la Librairie du Phénix (que je connais) lors de mon prochain passage à parer, voir si l’on peut feuilleter un exemplaire. Votre commentaire m’a conforté dans l’idée d’acquérir l’ouvrage (bien que j’en ai encore tellement à lire dans ma bibliothèque).

          • Bah, inutile de vous tracasser pour la priorité de lecture… Nous en sommes tous là. Ce n’est pas grave quand il s’agit d’un livre comme les « Mémoires Historiques » qu’on consulte chaque fois qu’on en éprouve le besoin ou le désir, plutôt qu’on ne le lit de la première à la dernière page comme un roman.
            C’est moi qui vous remercie, j’étais « passé à côté » de cette réédition complétée, et vous venez de « m’endetter » de 300 € supplémentaire dans mon programme de livres à acquérir.
            Hi hi hi !
            ( Rire ou pleurs ? C’est avec cette onomatopée que Hergé représente les pleurs d’un Chinois dans le Lotus Bleu.)

          • Les éditions You Feng sont véritablement trop bonnes de réimprimer Les mémoires… pour ce prix de coquins alors même que la totalité de l’édition Chavannes se peut télécharger gratis en divers formats de correcte facture, pdf y compris, sur le lite archive.org (parmi une cornucopia de livres rares en tous domaines de la philologie et de la littérature). A chacun donc de juger si la continuation de son entreprise vaut, à elle seule, ces trois cents euros. Je ne me précipite jamais sur du neuf, ou même de l’occasion, sans contrôler sur archive.org (bien plus fourni que Gallica) que le produit que l’on propose n’est pas déjà disponible gracieusement. Les pirates du reprint savant, colosses comme Georg Olms à Hildesheim ou petites maisons indépendantes, se figurent le lecteur plus ignorant qu’il n’est ; autant ne pas les enrichir à fonds perdus lorsqu’on peut l’éviter.

          • Je répète ma réponse concernant l’édition You Feng des Mémoires Historiques de Si-ma Ts’ien ou Xima Qian, car je l’avais placée à un mauvais endroit où elle se trouve hors-sujet (pardon pour l’auto-citation) :

            « Je ne veux certainement pas me faire le défenseur de You Feng, mais j’imagine qu’ils vous répondront que l’édition de Chavannes (que je possède dans son édition de 1967 chez Maisonneuve, beaux livres de papier dont je ne me séparerai point jusqu’à l’heure de mon trépas) est complétée des chapitres manquants et révisée par Pimpanneau. Reste à savoir quelle est l’importance de ce travail et s’il vaut les 300 € demandés… On peut effectivement se poser la question. »

          • Neo-Birt7,

            Je comprends tout à fait votre commentaire. Cependant, il m’est désagréable de lire durablement sur un écran. Sinon, il faut imprimer les fichiers disponibles pour les lire dans un format désagréable (il faudrait en outre solidariser les feuillets etc). Cependant, je souscris à votre opinion sur le prix bien trop élevé de l’ouvrage. Si je peux trouver une occasion à un prix plus vil, je le ferai. Mais je crains en même temps l’épuisement des tirages qui, bien souvent, rendent un ouvrage spécialisé quasiment introuvable, sauf à des prix prohibitifs et honteux.

            Il me manque les volumes 4 et 5 du Man Yoshu, recueil de poésie japonaise datant du VIIIe siècle, et je ne les voit plus qu’à des prix défiant toute mesure, et les exemplaire sont extrêmement rares. Mes tribulations à Paris n’ont pour l’instant rien donné. Je ne connais pas le tirage, mais il devait être assez mince. Il s’agit en outre d’une co-publication par les POF (disparues depuis) et l’UNESCO. Cette dernière n’a même plus de trace des volumes 4 et 5 dans leur base de données. Pour elle, il n’y a que trois volumes. C’est la première fois que je vois cela. Bref, l’épuisement des titres tend à me rendre quelque peu craintif sur l’attente quand à l’achat de volumes spécialisés ou recherchés (j’ai pu récemment mettre la main sur les volumes d’Aubigné et de Leskov / Saltykov-Chtchédrine après de longues recherches). Il ne me manque désormais, parmi les très rares titres à dénicher, que ces deux volumes du Man Yoshu.

            J’en profite pour vous remercier de vos nombreux commentaires savants qui apportent de très précieuses informations concernant les éditions de divers textes.

          • Vidar, comme vous le savez sûrement puisque vous avez fait des recherches, les POF n’ont pas survécu à la disparition de leur fondateur René Sieffert ni à leurs différents transferts (le dernier à Aurillac) et aux « réorganisations » de ce petit monde éditorial. Nous en avions discuté ici, à propos du Dit du Genji je crois. Un temps diffusées par les PUF, certains ouvrages se sont retrouvés chez Verdier, je ne sais ce qu’il est advenu de vos volumes fantômes de Manyoshu… pilonnés ou vendus à vil prix sur le marché du hard discount (on y fait parfois des rencontres très improbables) ? Les bouquinistes disparaissant eux-mêmes (il ne reste presque rien des adresses que je fréquentais autrefois, et celles qui restent trahissent une baisse de qualité et de diversité impressionnante : plus personne ne veut voir des livres encombrer ses rayons durant des années, dans l’attente du client providentiel). Mais il se produit encore des miracles.

          • Domonkos,

            Je n’attends plus en effet qu’un miracle (en cherchant tenacement à le provoquer)… ou à me résoudre à dépenser des centaines d’euros pour deux livres qui étaient vendus une soixantaine. À quand une impression généralisée à la demande pour les épuisés ? (Ce que les PUF expérimentaient aux dernières nouvelles).

            Je peux au moins aller les lire à la BnF, merci au dépôt légal.

    • Le plus étonnant est que vous ayez reçu une réponse de Gallimard.
      Les avez-vous contactés par téléphone, mail, courrier, via le club Pléiade ou vous êtes-vous directement adressé à une connaissance ?

      • Lombard,

        j’ai simplement écrit un courriel depuis le site de la Pléiade et j’ai eu ma réponse dans la journée. C’était mon premier essai, je n’ai interrogé que sur les deux œuvres mentionnées, car il me semble, comme le souligne brumes, une question courte et précise a, me semble-t-il, plus de chance d’obtenir une réponse qu’une question sur le catalogue des dix prochaines années, bien que l’envie de demander ne manque pas.

    • Sur Restif, je m’étais fait la remarque aussi. Je m’étais dit qu’il devait être parti s’enfermer pour rédiger sa thèse.

      Finalement, ces lieux de discussion sur Internet, où l’anonymat est la règle, se révèlent moins impersonnels, moins déshumanisés que je ne le croyais. Il se fabrique, malgré qu’on en ait, un semblant de lien, il s’établit un rudiment de relation, on prend acte d’une présence.

      • C’est tout de même bizarre ces relations désincarnées. Certes, au temps des voyages longs, coûteux et inconfortables, on pouvait correspondre avec des personnes qu’on ne rencontrerait jamais, mais au moins avaient-elles une identité. Avec l’usage de l’anonymat généralisé ou du pseudonyme (on connaît des cas de pseudonymes et même de mensonge sur le sexe du correspondant(e) au temps jadis), on a fait un pas en avant (vers le gouffre ?). Avec la création d’un « avatar » on a carrément fait un bond dans l’horreur. Personnellement, je me refuserai jusqu’à mon dernier souffle (n’étant pas si lointain j’ai une chance de tenir ma promesse) à ce que mon avatar discute avec un autre avatar. Trop égotiste pour cela.

      • L’anonymat, ou plutôt l’absence de support visuel, renforce l’attention au texte et il s’en dégage de nettes et agréables personnalités. Un texte d’Ahmed se remarque toujours par sa précision et la beauté du langage ; le style de Restif et, bien sûr, dans un genre différent, de Neo-Birt7 dénotent une personnalité qu’un visage n’appuierait pas plus (voire : démentirait ou masquerait ?) ; et dois-je avouer que j’ai créé le verbe pronominal « se domonkoser » pour celui qui commente son propre commentaire ?

        Notez que je suis heureux de tous vous connaître ainsi ; et que les instants de la journée où je vois un message de :
        [nouveau commentaire] La Bibliothèque de la Pléiade
        …dans ma boîte aux lettres sont de vrais moments de bonheur anticipé.

        • Serais-je un ruminant, pour me délecter ainsi de la glose de ma glose (ou du dégoisement de mon dégoisement) ? Il est bien possible, et j’ai plusieurs fois été pris en flagrant délit de rumination. Ni voyez pas trop de narcissisme (quoique…), mais plutôt du scrupule et la conscience de mon incapacité à énoncer clairement ce que je conçois confusément (ah ah ah !).

          • Bien des personnes ont donné un autre nom à cette mienne tendance : le « complexe de Colombo » (et encore, ici je n’ose pas, mais si vous me rencontriez in vivo, vous noteriez combien souvent je parle de ma femme !)

        • Par ailleurs et plus sérieusement (et ceci n’est pas un commentaire de mon commentaire précédent) permettez-moi de vous qu’en profond désaccord avec vous je suis, sur le fond de l’affaire.

          C’est un antique et bien établi usage que de se présenter, lorsqu’on entre en commerce (d’esprit) avec quelqu’un. Vous semblez le mettre en question, ce qui est bien votre droit.

          Il n’est certes pas question de se faire précéder ou accompagner de son CV, mais, qu’on le veuille ou non reconnaître, il est impossible, depuis le temps que nous échangeons en ce lieu même, que nous ne commencions pas à nous connaître quelque peu. Sans nous être jamais rencontrés (à part Brumes avec qui j’eus une brève discussion, sans le savoir, un jour, dans une librairie, le hasard seul ayant conduit à cette occurrence), nous ne sommes plus vraiment des inconnus les uns pour les autres. Et je trouve cela bon.

          Il est si facile de ne pas se faire comprendre quand on ne sait à qui on s’adresse, ou bien de blesser son interlocuteur sans l’avoir voulu, ou encore de passer complètement à côté de ce qui l’intéresse. Et ce n’est pas, bien sûr, une question de trombine.

          A quoi vous pourriez me répondre qu’il est tout aussi facile de se tromper sur les personnes que nous croyons connaître pour les fréquenter quotidiennement, de les cruellement blesser sans intention, et de mettre à la place de ce qu’elles sont (ou de ce qu’elles croient être, ce qui est encore une chose différente) une personne que nous avons construite et fabriquée à partir de « notre ressenti » (hors, c’est bien connu, le ressenti… ment !).

          C’est bien vrai. Mais je m’en fiche éperdument et je continuerai, par goût, à vouloir mettre de la chair, un corps, un vécu, sous les mots et les idées.

          • L’anonymat et le pseudonyme ont été une mode, je crois, dans certains salons littéraires.

            Mais je ne préconise ni ne condamne.

            Plus généralement, les avis divergent : le texte, que le texte ? Ou faut-il connaître l’auteur pour éclairer l’œuvre ? (Et là, paradoxalement, je suis de ce dernier avis. Pas de texte sans contexte).

  50. (Je domonkose pour vous mettre à l’aise : ne changez rien à vos habitudes. C’est votre charme, comme dirait ma femme)

    Quand je pense que vous avez rencontré da Sainteté in-vivo ! J’en tremble.

  51. Je me demande si la recherche obsédante du beau style, chez les écrivains comme chez les commentateurs de blogs, n’est pas la manifestation d’un narcissisme exacerbé qui lui-même serait l’expression d’une sorte de solitude essentielle née d’une étrangeté irréductible.

    Sur le blog exceptionnel de Monsieur Bilger, quelqu’un un jour a écrit, s’adressant à un autre contributeur — qui n’était pas moi — : « Ne pouvez-vous donc écrire comme tout le monde ?! » Eh bien non, cet homme en effet avait à souci de ne pas écrire comme tout le monde, justement. Cette simple remarque m’avait immédiatement fait prendre l’accusé en grande sympathie et trouver son accusateur par contrecoup moins intéressant.

    • Pour ma part, je m’efforce d’écrire de façon plus recherchée qu’il ne conviendrait peut-être, parce que, dans le désordre et sans hiérarchie :
      – je suis narcissique (comment l’avez-vois deviné ? je croyais être bien dissimulé, héhé)
      – je suis seul de mon espèce à 30 kms à la ronde (au moins)
      – j’aime péter plus que ma plume
      – je considère la belle langue comme un monument historique à sauvegarder
      – je trouve que c’est une marque de courtoisie à l’égard de ses interlocuteurs (raison très importante à mes yeux), comme une belle fille se maquille, comme je retiens la porte pour laisser passer celui ou celle que je croise
      – parce que les gens que j’aime lire écrivent comme ça
      – parce que, quand j’étais petit, tout le monde écrivait comme j’écris aujourd’hui : donc, « j’écris aujourd’hui comme tout le monde écrivait hier ou avant-hier »
      – parce que, donc, je suis un affreux réactionnaire
      – parce que ça éloigne les personnes dont je n’ai pas envie qu’elles me lisent (j’avoue, c’est un sentiment bien bas)
      – parce que cela fait travailler mon esprit, et que cela n’est pas de trop pour lutter contre Alzheimer qui, attiré par le fumet de ma vieille carcasse, rôde sans doute aux alentours de ma maison
      – parce que j’adore mêler des termes ou des tournures triviales aux formes les plus raffinées (cela me vient sans doute de Jean Genêt et de son Condamné à Mort, à la fois si précieux et si cru)
      – parce que je cherche à plaire
      – parce que je cherche à déplaire
      – et pis parce que ! et que c’est bien mon droit, non mais alors…

      Et, enfin, pour deux mille autres raisons qui ne me viennent pas à l’esprit.

      • rectification : « – j’aime péter plus haut que ma plume » (curieux qu’elle ait retenu le terme « péter », serait-elle un peu bégueule ?)

      • Pour ma part, j’écris comme les mots me viennent – gros style ferré et pédant de professeur dont les phrases longues et complexes encombrées d’incidentes épousent maladroitement une pensée plus analytique que synthétique (pendant des décennies, j’ai méprisé le style du Platon des derniers dialogues ou de Plutarque, tout en périodes languissantes, brachylogiques, avec une tendance à partir à l’aventure en matière de structure d’ensemble, et dont la luxuriance est souvent pur cliquetis verbal – et avec l’âge, je me prends à m’exprimer dans la même veine !). J’admire les contributeurs de ce fil capable de produire, tels Montaigne, « un parler succulent, et nerveux, court et serré ».

  52. Pour les chtis, les flamands, et autres habitants des weppes, Hugues Pradier à Lille le 04 octobre :
     » À l’occasion de la sortie du recueil « Œuvres II » de Jean d’Ormesson, rencontrez Hugues Pradier, Directeur de la célèbre collection et Philippe Berthier, coordinateur du recueil, afin d’évoquer l’aventure de la Pléiade depuis l’origine, ses secrets de fabrication, les richesses du catalogue, le continent d’Ormesson… »

    J’ai noté d’y être.
    Je propose de centraliser vos questions (au-delà du sujet « d’Ormesson », déjà amplement commenté).

    • Pour motiver :
      À cette occasion, un « ancien album biographique » sera offert pour tout achat de deux Pléiades (avec un ‘s’ à Pléiades, contrairement à la convention adoptée sur le site, de mémoire).

      • Ce matin, à RTL, chronique sur la sortie du tome II des oeuvres de d’Ormesson avec en prime une interview de Gaston Gallimard. Celui-ci prend contact avec la famille et divers correspondants de l’écrivain pour envisager l’édition de la correspondance du sus-nommé.
        On en a pas fini avec Jean d’O.

        • N’importe quoi. J’espère que le tome II sera un four retentissant.

          (Et contrairement à beaucoup d’entre vous, j’en veux moins à l’éditeur qu’au public. C’est de sa faute si l’ancien journaliste du Figaro occupe tant de place dans les rayonnages)

          • Evidemment… Mais c’est toujours l’histoire de l’œuf et de la poule. Qui a commencé ? Le public par aimer le médiocre ou la société qui prend bien soin de crétiniser le public ?

            Et mille pardons aux amateurs sincères de d’Ormesson que je ne veux point blesser et qui, je le répète, ont tout à fait le droit d’aimer, d’aduler Jean d’Ormesson. (Et qui sommes-nous pour émettre le moindre reproche à cet égard ?)

          • Simplement comprendre que d’Ormesson est moins l’Edmond Rostand que l’Alfred Capus de notre époque. Un Alfred Capus qui aurait bien terminé sa brillante carrière.

          • Je rappelle que ceux à qui échoit cette charge dégradante de crétiniser leurs compatriotes — et, au-delà, ceux qui ont le malheur de les écouter depuis de lointains pays —, sont richement rémunérés pour leurs précieux services, et bénéficient d’un prestige social auquel personne d’autre qu’eux n’atteint.

          • Et pourtant, personne n’oblige personne à regarder TF1 plutôt qu’Arte, appuyer sur le bouton 7 de la télécommande n’est pas plus difficile que d’appuyer sur le bouton 1…

        • Je propose qu’on rebaptise (sur le modèle des éditions « des femmes-antoinette foulque ») la bibliothèque de la Pléiade : « Bibliothèque de la Pléiade-Jean d’Ormesson ».

          Que les choses soient claires et que les clients sachent ce qu’ils achètent !

  53. Ahmed Berkani, je ne crois pas qu’on abêtisse les individus ou les foules, je crois qu’on flatte la bêtise des individus ou des foules, mais la bêtise est bien là, partie intégrante de la nature humaine. La pente vers la facilité, nous sommes tous tentés de l’emprunter, et d’ailleurs nous l’empruntons tous à l’occasion, avec plaisir. Il ne fait pas tout simplement s’y complaire excessivement et accélérer sans cesse pour arriver plus vite au bas de la pente.

    Ceci étant dit, je ne peux plus supporter la volonté de certains « intellectuels » (dits « de gauche » généralement) qui veulent à tout prix « rendre le peuple intelligent » et lui faire lire Proust plutôt que d’Ormesson. Je trouve que cette volonté est aussi une violence, une tendance à la domination, à se croire détenteur de l’unique vérité, etc. Il est mal d’exploiter les faiblesses humaines et d’encourager à aller vers le moins, mais on peut aussi souhaiter foutre la paix aux gens qui n’ont pas envie de se torturer l’esprit outre mesure.

    Le problème n’est pas d’être pour ou contre Jean d’Ormesson : personnellement ce n’est pas ma tasse de thé, mais je connais des tas d’écriveurs plus médiocres et à l’effet plus néfaste sur leurs lecteurs, dont l’existence de d’Ormesson ne me gêne pas, pas plus que ses forts tirage (et même, au contraire).
    Le question est simplement d’être pour ou contre Jean d’Ormesson dans la Pléiade. Personnellement je trouve que ce n’est pas sa place, cela ne lui fait aucun bien et cela ne fait aucun bien à la Pléiade. Sur ce point, je n’en démordrai pas.

    • On dit bien « se faire violence » à soi-même, pour dire que l’on refuse obstinément de suivre sa pente lorsqu’il devient évident que ce faisant on se diminue. Pourquoi ne ferait-on pas violence aux bas instincts de la foule ? Au nom de quel noble principe chercherait-on à préserver, à perpétuer ce qui est ignoble ?

      Du moment que le choix que vous dites existe, le mal est déjà fait. Ne peut-on se faire un devoir humain de ne pas nuire à son prochain ? Car, abêtir — c’est-à-dire encourager la bêtise par intérêt — c’est nuire au plus haut degré.

      Je ferme cette parenthèse.

      • Il y a une grosse différence entre « se faire violence » et faire violence aux autres, même au nom des grands principes.
        Pardon, nous ne nous accorderons pas ici, mais il y a tant d’autres sujets qui nous rapprochent.
        Amitiés.

      • Trois bonnes questions (je crois…)
        1° Cela fait des siècles qu’aucun écrivain russe n’est entré dans la Pléiade. Ont-ils un projet quelconque dans ce veste domaine?

        2° Pas d’auteur de langue polonaise (un authentique scandale, mais nous ne sommes pas à ça près…) Gombrowicz au hasard serait une évidence. Peut-on espérer?

        3° Vont-il arrêter la série Jules Verne ou bien peut-on espérer (redouter pour certains..) un cinquième volume?

        • Une quatrième, soyons fou: on remarque depuis quelques années un certain intérêt (dont je me réjouis grandement) chez plusieurs éditeurs francophones pour l’oeuvre prolifique, géniale et déconcertante de G K Chesterton. Une entrée dans la Pléiade serait-elle envisageable?

          • D’autant que son œuvre inégale gagnerait à être ramassée en une chrestomathie. Et que son éditeur historique l’a probablement abandonné comme il abandonné tout ce qui faisait la singularité de son catalogue.

          • Vous parlez de l’Âge d’homme, et ses recettes « vegan » qui ont pris la place des classiques slaves, Chesterton et Léon Bloy……

          • Le Japon me paraît très mal loti en Pléiade. Certes, j’ai un intérêt particulier pour le pays, y ayant vécu, mais tout de même… Soseki, Akutagawa et Mishima seraient de fort bon aloi. Sans parler de la poésie (Man Yoshu etc), des gestes, des sagas et des contes.

          • Draak, l’approche qui consiste à connaître le contexte pour apprécier le texte est intéressante et probablement complémentaire de celle qui consiste à aborder le texte directement.

            Néanmoins, j’ai constaté plusieurs choses :
            – les textes qui m’ont le plus marqué dans ma jeunesse et même un peu au-delà, je les ai découvert sans connaître quoi que ce soit à l’auteur, ce qui (me) prouve que le texte peut être apprécié seul, c’est à dire hors-contexte,
            – la raison pour laquelle je me suis détourné étant jeune d’œuvres qu’il m’a fallu plusieurs décennies pour avoir l’envie, la curiosité et le courage de les découvrir, c’est l’enseignement scolaire : le simple fait d’avoir à ingurgiter un « contexte », d’avoir l’obligation de les lire et de devoir accepter et restituer un appareil critique « scolaire » m’a fait fuir et ignorer pendant des décennies nombres d’auteurs majeurs,
            – si j’aime – après la lecture – lire quelques notes et introductions, notamment dans les éditions de La Pléiade, la plupart du temps je fuis les critiques qui dans le meilleur cas n’apportent rien et au pire dévoilent le sujet (ce qui tendrait à prouver que les critiques cinématographiques ne sont finalement pas pire que les critiques littéraires). Dans le monde du cinéma et du théâtre, il est coutume de dire que les critiques sont des auteurs ou des réalisateurs ratés, et je suis assez d’accord avec ça.

            J’en conclus que l’étude des auteurs est un pan entier de la lecture – que je trouve fort intéressant -, mais qui peut constituer une discipline presque indépendante de la lecture des œuvres.

            brumes, pour ce qui concerne les auteurs russes, il manque tout de même un auteur aussi majeur que Tolstoï et Dostoïevski, je veux parler d’Ivan Gontcharov. Il en manque d’ailleurs bien d’autres, mais l’absence de celui-ci dans la collection est criante.

          • J’ajoute, concernant le Japon, que je ne veux pas entendre parler de Haruki Murakami. Des auteur-e-s plus ancien-ne-s et plus illustres auraient plus de droits que lui. En terme de récits fondateurs, le Kojiki, dans une version plus respectueuse des noms que celle parue chez le Le Corridor Bleu. Le Dit du Genji serait nécessaire également, mais il en existe déjà une traduction fort décente du regretté René Sieffert.

            Sinon, un peu plus de philosophie serait également fort amène. Quand on voit le temps qu’à mis Kierkegaard pour y parvenir, et de manière sélective seulement, c’est un peu à désespérer. Si quelqu’un-e avait un avis sur les traductions historiques de Paul-Henri Tisseau chez l’Orante, j’en serais heureux.

      • Une question pour M. Pradier ? Mais nous en avons deux mille ! Des particulières et des générales. Laquelle choisir ?…

        Peut-être M. Pradier aura-t-il l’amabilité de lever un coin du voile sur l’avenir de la collection, voilà qui nous intéresserait. Pas sûr que ce soit l’occasion de poser des questions sur tel ou tel auteur, cela risque d’être une avalanche et de noyer le fonds du sujet.

        Cher Draak, je suis persuadé que vous avez vous-mêmes plus d’une question qui vous tient particulièrement à coeur, si l’on. vous donne l’occasion de la poser et si l’on veut bien vous répondre, estimez-vous heureux et ne vous encombrez pas de nos questions à nous, qui resterons calés dans notre fauteuil devant notre clavier. Ne vous considérez pas comme notre chair à canon qu’on envoie au sacrifice sur le front.

        • L’avenir de la collection? Vous parlez des futurs tomes des oeuvres pré-posthumes de Christine Angot et de l’anthologie des listes de courses de Philippe Delerme? Sérieusement, je ne crois pas que Gallimard communique au sujet de choses aussi stratégiques que les ventes réelles,
          la raréfaction des gros lecteurs en général et des lecteurs de classiques en particulier, de ce qu’ils doivent être sûrs de vendre pour faire des bénéfices ou ce genre de choses

    • Jean d’O. est à la Pléiade ce que son aïeul Olivier Lefèvre d’Ormesson représentait vis-à-vis de Madame de Sévigné lors du procès de Fouquet ou ce que le marquis de Dangeau incarna à l’égard de Saint-Simon – un marchepied vers le Parnasse, gradus ad Parnassum (en son sens non-technique). Nous nous indignons, en grande majorité, que la Pléiade accueille, un peu bien généreusement, les productions de ce phraseur impénitent au charme superficiel et aux idées glanées durant une existence ennemie des risques, mais quoi ! peut-il en être autrement à une époque où le moindre plumitif auquel s’attache une réputation de penseur se voit salué des titres de « philosophe » (Heinz Wismann ! Robert Redecker ! Raphaël Enthoven !) et où des pisse-copie narcissiques ressassant de livre en livre leurs marottes et autres idées obsédantes sans se renouveler qu’ à la marge s’arrachent comme des prime donne assolute (Houellebecq ! Angot ! Nothomb !). Hélas de meilleurs écrivains n’émergent guère, en dépit de l’essor de l’édition à compte d’auteur, dans un milieu éditorial obsédé par le productivisme…

  54. Pour les Italiens, de grâce n’oubliez pas Leopardi ! Leopardi avant tous les autres, please. Avant Buzzati et avant Pavese.
    Je suis rempli de gratitude pour la petite maison qui publie ce poète (et philosophe) indispensable depuis le milieu des années 1990. De sorte que nous disposons aujourd’hui d’une imposante édition française complète en un volume de l’étrange et incomparable Zibaldone. Mais si la Pléiade s’en mêle un jour, ce ne sera pas de trop.

    • Pauvres Italiens ! Dans quel mépris nos plus proches cousins sont-ils tenus par les Maîtres de la Pléiade. Pas un seul poète, hormis l’Anthologie (un seul volume, bilingue, donc diviser le nombre de pages par deux) et Dante. Pas un seul romancier. C’est quasiment un casus belli.

      Sur le catalogue de la «prestigieuse» collection, pour gonfler artificiellement le rayon «italien», sur le critère «nationalité d’auteur», on n’hésite pas, toute honte bue, à y ajouter les auteurs Latins de l’Antiquité. Ainsi Tacite et Virgile seraient de «nationalité» italienne ! On croit rêver.

      Soit, 2 volumes d’historiens romains, un de Plaute-Térence, un de Pline, un de Tacite, un de Virgile : total 6 volumes de littérature latine antique. Saint Augustin ne figure pas dans cette rubrique, sans doute parce qu’il devrait être considéré de «nationalité» tunisienne ou algérienne ? (Je n’ai pas vérifié.)

      Nous trouvons ensuite un volume de Voragine, écrit en Latin et trois volumes de Casanova écrits dans un Français approximatif (c’est-à-dire dans la lingua franca européenne du XVIIIème s. comme l’anglais bas de gamme est celle de notre époque). Et enfin une Anthologie de la Poésie, un recueil des Conteurs de la Renaissance, un Dante, un Goldoni, un Machiavel, deux Pirandello (pour son théâtre seulement), soit sept volumes pour représenter la littérature de langue italienne ! (Ce que confirme la rubrique «par domaine linguistique» où ils figurent tous les sept, sans autre compagnie.)

      • Je proteste : le français de Casanova n’est pas un français approximatif (qu’on pourrait rapprocher de la bouillie de notre époque). C’est un français italianisé que je trouve savoureux et qui n’est qu’à cet auteur.

        • D’accord, d’accord, ne frappez plus, je me rends… En tous cas, ce n’est pas de l’italien. Peu importe, d’ailleurs, je ne dénie pas à Casanova sa qualité d’Italien, je voulais simplement mettre en évidence la minceur scandaleuse du rayon « lettres en langue italienne » dans la Pléiade.

        • Du moins je suis d’accord avec vous pour Leopardi.
          Et, je le répète : pas un seul romancier !
          Pas non plus un seul poète n’a l’honneur de se voir consacrer le moindre volume.
          Est-il besoin d’énumérer les noms de tous ceux qui sont scandaleusement absents ?
          A croire que les Italiens, leurs arts et leurs lettres, n’ont pas plus de rapports avec la culture française que n’en auraient quelque peuplade habitant les confins du système solaire.
          A pleurer.

  55. Et l’Orlando furioso de l’Arioste et la Gerusalemme liberata duTasse, deux immenses épopées, qui ont fait le régal de tous les lettrés d’Europe pendant des siècles ?

    • Ravalées au rang de la ridicule Pucelle de Chapelain par les frères Boileau et Tanneguy Le Fèvre, les épopées de l’Arioste et du Tasse, par leurs dimensions, leur style, leur objet même, n’inspirent que mépris et ennui au Parnasse français depuis le règne de Louis XIV ; la doctrine classique n’a-t-elle pas proscrit la poésie épique, indissociable (à tort) des grandes machines pompeuses, comme étrangère au génie national ? C’est ainsi qu’ont sombré, en amont, la Chanson de Roland et, en aval, les Tragiques de d’Aubigné, ou que l’adaptation de la Guerre civile de Lucain en alexandrins baroques d’une sonorité et d’une fermeté magnifiques par Georges de Brébeuf, n’a pas été rééditée depuis la fin du XVIIe siècle. Imagine-t-on les demi-lettrés de notre époque investir dans des Pléiades dédiées aux susdits poussiéreux Italiens, si grande que soit encore leur renommée au delà des Alpes ? Je ne sais comment les fesse-matthieux de chez Gallimard se sont laissés convaincre de publier une oeuvre aussi peu commerciale que le Rāmāyaṇa (j’aurais préféré en ses lieu et place une anthologie des plus beaux morceaux du Mahābhārata, car enfin le poème édité dans la Pléiade est bien peu de chose en comparaison de la Bhagavadgītā, du Sanatsujātīya et de l’Anu-gītā, pour ne citer que les pièces religieuses de choix).

      • Les descendants de Gaston seront contents de découvrir qu’ils sont traités de fesse-mathieu !
        Merci d’avoir remis en circulation ce mot devenu archaïque.

      • À noter, puisque vous parlez du Mahābhārata, j’ai une question à propos de la publication du tome VII par Gilles Schaufelberger et Guy Vincent. Il m’avait semblé comprendre que cette édition (Orizons) était intégrale. Mais voilà que le commentaire dernier tome (hormis un à venir qui sera un index me semble-t-il) me pousse à douter. Il est annoncé ainsi : « Avec le tome VII, la publication du cycle du Mahabharata sachève. Dans une édition la plus ample qui ait été donnée, à ce jour, en langue française. » La formulation est ambiguë. Est-ce bien une édition intégrale ou simplement la plus imposante à ce jour en français ?

        • Il s’agit malheureusement d’une anthologie thématique, et pas d’une traduction extensive chant par chant ; Schaufelberger et Vincent ne se recommandent d’ailleurs ni par la pertinence de leurs coupes textuelles ni par leur choix d’extraits ni surtout par la justesse de la traduction et du commentaire succinct dont ils l’accompagnent. Soyons sérieux : si des sanskritisants comme Nancy Doniger, au terme d’une existence académique passée à expliquer des textes indiens, sont considérés par les spécialistes de la poésie épique sanskrite ou du Rig-Veda comme de piètres traducteurs et des commentateurs au dessous du médiocre, parce que lesdits ‘experts’ n’ont jamais cherché à se doter d’une connaissance linguistique et philologique approfondie, il ferait beau voir deux sanskritisants amateurs et autodidactes travaillant loin des bibliothèques érudites sans contact avec des universitaires chevronnés réussir à être entièrement fiables, et ce d’autant plus qu’ils n’ont jamais soumis leurs volumes à révision scientifique. Schaufelberger et Vincent se contentent d’exploiter au carré la lexicographie indienne dans ses avatars les moins sophistiqués, à savoir les dictionnaires de langue les plus courants, ce qui exclut notamment les lexiques comparatistes, comme le pourtant capital « Etymologisches Wörterbuch des Altindoarischen » de Mayrhofer, et les sommes de vocabulaire ou de grammaire concernant la langue épique ou le sanskrit védique, et manquent tout à fait de cette érudition philologique sans laquelle toute traduction se condamne à n’être qu’au mieux l’application, empirique et un peu mécanique et scolaire, d’un état moyen mais figé et, partant, dépassé des connaissances linguistiques, grammaticales, lexicales que permet la maîtrise d’un petit fonds de livres de base. Je recommande vivement de consulter de préférence les volumes bilingues du Mahābhārata disponibles dans la très belle Clay Sanscrit Library (pas de notes, texte indien translittéré ; disponible est à peu près la moitié du poème) et la traduction sobrement annotée par Van Buitenen à la University of Chicago Press des cinq premiers livres (une meilleure de justesse et de rigueur, par surcroît fluidement rédigée, signée d’un expert décédé trop jeune) ; des rendus anglais plus ou moins récents produits par les savants indiens, je préfère ne rien dire hormis pour spécifier que la philologie ni l’étude du sens n’ont été leurs préoccupations premières.

          • Pour en finir sur ce sujet, le style même de traduction cultivé par Schaufelberger et Vincent a de quoi légitimement irriter le puriste universitaire, malgré les explications circonstanciées fournies dans l’introduction générale. Jérôme Rousse-Lacordaire l’a dit courtoisement dans sa recension du tome I (Revue des Sciences philosophiques et théologiques 89, 2005, p. 428) : « cette perspective » [= le rassemblement thématique des épisodes] « est bien évidemment discutable, de même que, à des titres divers, les choix de traduction (création de titres de chapitres ; évidement de la périphrase ; remplacement de certaines métaphores par l’idée qu’elles sont censées porter ; réalisme de la traduction de termes sanskrits complexes ; soulignement de la cohérence textuelle ; acculturation du texte à la langue et à la culture françaises, plutôt que choix du dépaysement) ». Que serait le pauvre Homère si on l’affublait à la contemporaine tout en supprimant ses périphrases, en choisissant des rendus de type rabot pour ses substantifs ou épithètes les plus opaques, les fameuses gloses homériques, et si on en rajoutait lourdement à chaque instant sur sa trame narrative et ses fils thématiques ?

          • Je vous remercie de ces aimables précisions. Eh bien, je suis quelque peu aigre d’avoir les six premiers volumes dans ma bibliothèque à présent, vu le prix à l’unité. J’aurais du me tourner plus tôt vers une traduction anglaise. La communication autour de ces volumes m’avait porté à croire à une édition intégrale – d’où mon étonnement en constatant que le volume paru cette année était le dernier. Enfin, je les lirai quand même, à présent qu’ils sont là.

          • « Une merveille », pas « une meilleure ».

            La manière dont les auteurs présentent leur travail est sciemment chantournée afin de laisser planer le doute sur la nature exacte de leurs opérations (était-il si déshonorant de signaler, de but en blanc, qu’ils ont voulu procurer une chrestomathie à taille humaine de cette épopée gargantuesque fondée sur leur propre compréhension des textes ?) et l’éditeur induit en erreur les potentiels acheteurs quand son texte de présentation (le blurb des Anglo-Américains) insiste sur l’absence de précédent à ces volumes. Une maison universitaire sérieuse, cher Vidar, ne s’y prend jamais ainsi.

        • Vidar, pour vous donner une idée de l’ampleur qu’une traduction complète du Mahābhārata devrait posséder, les cinq premiers livres, qui ne sont pas extraordinairement longs, occupent 2000 pages chez van Buitenen.

  56. En remontant nonchalamment le fil, j’ai pu constater que Lombard nous dit des choses absolument essentielles. A telle enseigne d’ailleurs que je me suis empressé de copier le texte de son commentaire pour l’insérer dans ce que j’appelle un peu pompeusement mon « atelier » pour l’y conserver (Le permet-il ?).
    Merci à lui pour ces considérations vraiment passionnantes qui disent une expérience de lecteur différente de la mienne puisque, enfant puis adolescent, je m’étais jeté avec appétit sur toute lecture que l’école voulait bien me donner en pâture.

    J’ai été cette chose assez laide finalement qu’on appelle un bon élève et j’aimais l’école et l’école ne m’a jamais dégoûté de rien. Je me souviens vaguement qu’au début du collège — et je souris à l’évocation de ce souvenir presque effacé — j’avais été trouver le professeur après la classe pour lui demander pourquoi il ne nous donnait pas plus de lectures à faire, lui citant les trois ou quatre auteurs qui m’étaient venus à ce moment à l’esprit. Il fit une mine étonnée et je crois bien qu’il prit ma remarque innocente pour une critique.

    • Ahmed, je permets, je permets. 🙂
      Loin de moi l’idée de critiquer l’école et les enseignants ; j’ai simplement relaté mon expérience. Pour êtes tout à fait exact, j’aurais dû mettre en avant la période du collège et du lycée qui m’ont éloigné des classiques, plus que l’école primaire.
      Je crois que le pire fut le lycée, avec une période paroxystique, la terminale, où l’on s’était mis en tête de nous apprendre la philosophie ; nous avons consacré la quasi-totalité de l’année à la psychanalyse – très en vogue à l’époque ! – avec une insistance particulière sur Freud (!).
      C’est probablement la raison pour laquelle ma première approche de la philosophie a eu lieu plus de vingt ans plus tard avec ce livre grand-public destiné aux lycéens, « Le Monde de Sophie ». Il m’a encore fallu quelques dix ans pour aborder mes premières lectures dites philosophiques – je conserve un niveau très modeste dans cette discipline.
      Paradoxalement, j’aimais bien l’école et mes enseignants, mais je ne lisais que des romans hors programme, et même quelques essais et un peu de théâtre. En revanche, je ne faisais pas très bien la différence entre la bonne et la mauvaise littérature (selon les critères de mes professeurs de français) et je lisais un peu tout ce qui me tombait sous la main.
      Aujourd’hui, comme nous tous ici, j’ai lu beaucoup de romans, pas mal de journaux, quelques essais, et même des épopées et des contes… Il me semble que je reste totalement hermétique à un seul genre, la poésie.
      SI l’on veut tirer un enseignement positif de tout cela, c’est que :
      1/ il n’est jamais trop tard pour lire
      2/ trois ou quatre décennies de bandes dessinées et de magazines n’ont pas entamé ma curiosité et ma soif de lecture puisque je suis devenu boulimique de lectures, au rythme moyen de dix à quinze Pléiade par an depuis une quinzaine d’années
      3/ la lecture assidue (et parfois un peu décourageante) de (certaines interventions sur) ce blog n’a pas abimé mon enthousiasme de lecteur « à l’esprit de débutant ».
      C’est pourquoi je vous lis toujours avec plaisir et intérêt.

  57. Dans un journal nommé « the nation » dont je ne sais rien, un poète nommé Carlson-Wee, dont je ne sais rien non plus, a publié un poème de 14 vers, où il fait parler à un sans-abri le « black English » (ou anglais populaire « noir »). Ce poème qui, semble-t-il, loin de se vouloir insultant ne vise qu’à provoquer la compassion, lui est imputé à crime par une armada de blablateurs du web . Quel est le problème ? Carlson-Wee est « blanc », il lui est donc interdit de « parler noir ». De surcroît, le malheureux se voit accuser également de racisme anti-handicapé – en novlangue dont on n’arrête pas la progression, « langage capacitaire » – pour avoir employé le terme « estropié ».

    La littérature et l’art sont définitivement morts aux Etats-Unis. Aucun des grands auteurs qui ont fait connaître leur littérature à travers le monde, ne pourrait être publié aujourd’hui (l’avalanche de procès qui dégringolerait sur un Hemingway, pour ne prendre qu’un exemple entre cent !).

  58. Mon cher Domonkos :

    Ouvrant au hasard un obscur opuscule de Durkheim, voilà que je tombe sur ces lignes qui sont un terrible reproche que le père de la sociologie adresse à Renan. Je vous les donne telles que je viens de les lire. Et c’est pour faire suite à notre petit débat philosophique d’hier ou d’avant-hier :

    « Mais sans doute ces hommes supérieurs, une fois formés, vont revenir vers cette foule dont ils émanent pour l’élever jusqu’à eux, pour la faire participer au trésor qu’ils possèdent, pour lui apprendre la vie conforme à la raison ? À quoi bon, répond notre auteur ? À quoi servirait cet immense apostolat ? Ce serait une perte de forces inutile. Car l’important, c’est que la vérité soit connue et non qu’elle soit connue de tous les hommes. Pourquoi la haute culture serait-elle accessible à tout le monde ? Il suffit qu’elle s’établisse et qu’elle règne. La science est dédaigneuse et n’a pas besoin d’avoir un grand nombre de fidèles. À quoi bon rapetisser l’idéal pour le mettre à la portée des petits esprits ? Ainsi l’humanité serait divisée en deux grandes classes entre lesquelles il y aurait un abîme. Tout en haut se trouverait cette élite qu’aurait favorisée le caprice de la nature. Tout en bas, la foule végéterait dans l’inconscience. Les premiers penseraient pour les seconds. Ils seraient comme la conscience de l’humanité tout entière. Quant aux autres, ils se contenteraient d’admirer, d’adorer ces êtres extraordinaires, de les servir, heureux d’ailleurs de les servir et de se sacrifier. Aussi, nous dit-on, ils ne seraient pas les plus à plaindre. Car ils auraient du moins les plaisirs de la famille, les joies réservées aux âmes simples, les douces illusions des ignorants. Plaignons plutôt ceux qui seraient obligés de voir la vérité face à face. Car peut-être bien que la vérité est triste. »

    Quel beau texte, n’est-ce pas.

    • J’entends bien, Ahmed. Je trouve également ce texte limpide et généreux. Mais il n’évite pas la caricature, hélas.

      Vous m’avez tout d’abord dépeint ceux qui veulent contraindre les « simples d’esprit » à se « hisser » à leur niveau culturel réputé « supérieur ». Au pire directeurs de conscience, au pire missionnaires (oui, les références religieuses sont, de ma part, de la pure provocation, vous ne vous trompez là-dessus.) J’ai fait partie de ceux-là pendant longtemps.

      Voici que, par la plume de Durkheim, vous me dépeignez ceux qui méprisent « les âmes simples » et pensent que ces cochons sont bien plus heureux comme ça dans leur bauge. J’espère n’avoir pas rejoint leur phalange. Ce serait tomber de Charybde en Scylla. Laisser les gens libres de préférer Marc Lévy à Marcel Proust (tout en le déplorant et en ne renonçant pas à faire aimer Proust) n’est pas une marque de mépris de ma part, mais au contraire de respect.

      La vérité, si dans cette matière il y en a une (même de cela je ne suis pas sûr), se situe probablement quelque part entre les deux, non pas suprême et immortelle, traversant inchangée les temps et les circonstances, mais naviguant entre les deux écueils et tentant de gagner les hautes eaux.

      Ne croyez pas pour autant que j’appartienne à la catégorie de ceux qui croient à la pluralité ou la relativité des vérités, qui se complaisent dans le flou et la confusion. Je crois que, dans cette navigation il y a des points de repère fixes et qu’il faut tenir la barre et non pas se laisser aller au gré des courants. Mais je me méfie par-dessus tout des dogmes. Ce serait vraiment trop long d’entrer dans les détails (si j’en suis capable).

      Je ne crois pas cependant, en dépit de nos désaccords, que nous appartenions, vous et moi, à des camps ennemis, sur cette question comme sur bien d’autres.

      • Arrrgh ! Encore ces fautes de frappe !
        Il ne faut pas lire : « Au pire directeurs de conscience, au pire missionnaires » mais « Au pire directeurs de conscience, au »mieux » missionnaires »

    • Ne m’en veuillez pas, je suis certain que, si nous avions le temps et la place de discuter chaque point, d’affiner notre pensée et son expression, nous nous retrouverions fort proches l’un de l’autre.

  59. Cette critique perrosienne paraît inépuisable. Je la reprends enfin ce matin et y rencontre entre autres belles trouvailles ceci. Devant juger d’une pièce de théâtre qu’il a reçue et qui est intitulée « Afrique », le poète-critique note simplement que :

    « Ça donne des idées noires. »

    Je n’ose imaginer les foudres qui tomberaient sur lui aujourd’hui pour la moitié du quart de cette simple phrase. Qu’est-ce qu’on ne serait pas allé imaginer, de quels crimes de pensée ne le chargera-t-on pas !

    Du moins la mort vous épargne-t-elle, vous fait-elle un abri sûr et définitif contre ces longs processus de décomposition des sociétés humaines.

    Bon dimanche à tous.

  60. A Neo-Birt :

    Voici des lignes assez drôles que l’épigraphe grecque du Zazie de Queneau inspira à Georges Perros :

    « La chose commence par une sentence d’Aristote, toute seule, au coin d’une grande page blanche. Ça fait impression, surtout quand on ne comprend pas la langue grecque. Mais ces petites lettres élégamment biscornues, qui ont charrié tant de fortes pensées, on se sent toujours un peu bête devant. Ému. Puis Aristote, tout de même, c’est une référence. On se demande ce qu’il a bien pu vouloir dire en si peu de mots. Alors on continue… »
    N.R.F numéro 76, 1er avril 1959. Repris dans Lectures, Le Temps qu’il fait.

    En allant chercher cette citation d’Aristote dans l’édition que je possède du livre de Queneau, j’ai constaté qu’elle ne s’y trouvait pas, soit qu’on l’ait omise, soit que Queneau lui-même l’ait supprimée des éditions ultérieures.

  61. Et par cette ultime intervention, je forme le dessein de vous ramener pieds et poings liés aux dures réalités de notre vie d’aujourd’hui. C’est un écrivain qui a nom Eugénie Bastié (alors que je viens à l’instant de lire sous la plume de Georges Perros que « les femmes écrivent beaucoup en ce moment… ») qui se charge de venir nous tirer de nos rêves immatures, en déclarant dans la presse :

    « Avec #MeToo, c’est un 1793 sexuel qui se joue. »

    Si vous voulez savoir ce qui se joue précisément et juger par vous-même, sachez que son livre vient de sortir en librairie et sera, à mon avis, facile à repérer parmi les monceaux de nouveautés du moment.

  62. Une bonne âme du lieu peut elle me donner la liste des principales séries inachevées en Pléiade ? Je ne parle pas des innombrables manquants, mais bien des séries commencées et laissées en l’état.
    Les lacunes sur un auteur dont au moins un Pléiade est déjà paru m’intéressent aussi (même si l’éditeur ne s’était pas engagé sur une intégrale – Jules Verne, par exemple) ; Mais cette seconde catégorie doit représenter pas mal de monde.

    • Bah, Dumas, par exemple : seule une infime partie de l’œuvre a été publiée. Pour ne prendre que la trilogie, si Les Trois mousquetaires et Vingt ans après ont été publiés, il manque Le Vicomte de Bragelonne, annoncé comme possible dans la préface du premier tome. Le minimum serait de publier La Dame de Monsoreau et La Reine Margaux, tandis que les amateurs apprécieraient probablement Henri III et sa cour, La Tour de Nesle et Kean.

      • Il manque deux tomes aux Oeuvres poétiques complètes de Hugo, laissées en plan par le décès brutal de ce travailleur aussi forcené que brillant qu’était Pierre Albouy et par la migration de ses successeurs possibles vers des pâtures académiques plus verdoyantes (fondation du Groupe de travail Victor Hugo, entre autres) ; le troisième et dernier volume, consacré aux oeuvres autobiographiques ainsi qu’à la correspondance, des Oeuvres complètes de Vigny ; quatre tomes, réduits ensuite à deux, aux Oeuvres de Nietzsche, qui piétinent encore et toujours dix-huit ans après la sortie d’un excellent volume, demeuré unique, d’écrits juvéniles centrés sur la Naissance de la tragédie ; un volume d’Oeuvres de James Joyce, puisque le tome second, centré sur l’Ulysse, ne va pas plus loin que le début des années 30 (Finnegans Wake absent de la Pléiade depuis 1995, date de sortie du second Joyce, cette seule lacune discrédite la collection !) ; et la Pléiade de Green est vouée à rester incomplète.

  63. Cher Draak,
    Je réponds en écho, à l’observation de Neobirt7 : l’abandon des œuvres poétiques complètes de Hugo est un réel scandale. À quoi j’ajouterais les romans du même Hugo, incomplets eux aussi.
    Bref, nihil novi sub sole…

    • Scandale d’autant plus grand qu’Albouy a accompli de la besogne magnifique et présenté ce qui est si rare même dans les travaux à destination universitaire : il détaille à chaque pas de la recherche personnelle originale appuyée sur une connaissance admirable de la bibliographie critique et enracinée dans une impressionnante culture générale. Son édition des Châtiments et des Contemplations, en particulier, continue d’écraser nombre de volumes Champion de poètes français prétendûment commentés par des experts.

    • Excusez ma paresse mais je suis en déplacement avec un connexion moyenne : quel(s) roman(s) de Hugo manquent à l’appel ?
      Je pensais que seule la poésie était en jachère.

      • J’ai regardé comme j’ai pu, mais ne suis pas sûr de moi.
        Il manquerait tout cela ?
        * Bug-Jargal
        * Han d’Islande
        * Le Dernier Jour d’un condamné
        * Claude Gueux
        * L’Homme qui rit
        * Quatrevingt-treize

        Je n’y crois pas…

      • Draak,
        Manquent à l’appel, entre autres, « Quatrevingt-Treize  » et « L’homme qui rit », soit deux des plus grands romans de la littérature française…

        • J’ai lu Quatrevingt-Treize dès l’enfance (dans une collection pour enfants, texte raccourci) et cela m’a laissé une impression pour le restant de ma vie ; je l’ai ensuite lu et relu en texte intégral, à diverses périodes, sous un éclairage différent. La littérature française semble avoir du mal à produire de grands romans sur les moments les plus dramatiques de son Histoire. Celui-ci en est un et il a très peu d’équivalents.
          Quant à L’Homme qui Rit, j’ai été découragé de le lire à cause de sa réputation d’ultra-romantisme (on a confondu le grotesque de la face de son héros avec le prétendu grotesque de l’oeuvre) ; je ne me suis décidé qu’au soir de ma vie, quand je m’étais débarrassé de pas mal de préjugés et que je ne me sentais plus obligé d’obéir à quelque mot d’ordre que ce soit. Quelle sensation ! Quelle injustice que ce soit soit toujours « le parent pauvre » dans la famille romanesque huronienne !
          Impossible que la Pléiade ose défendre la non-publication de ces oeuvres : son Hugo, tel qu’il est, est un infirme.

          • J’aime tout dans le géant Hugo, même les « ratages », le « mauvais goût » et jusqu’à son sentimentalisme : le chapitre des Trois Enfants, leur éveil au jour naissant, leurs jeux innocents, leur ignorance de l’horreur qui les entoure, au milieu de chapitres guerriers échevelés, est une sorte de miracle, de grâce. Tant pis pour ceux qui se moqueront. La mièvrerie de Hugo est aussi « énorme » que le reste, et cette énormité la sauve.

  64. Le tome III des oeuvres diverses de Balzac (depuis 22 ans); le tome III et dernier de la famille Brontë (depuis 10 ans) ; Les oeuvres en prose non théâtrales de Musset depuis 30 ans ; le tome 3 et dernier de Nabokov depuis 8 ans ; Les orateurs de la révolution française arrêté depuis la mort du chef de travaux (30 ans) ; les autres oeuvres de Pessoa depuis 17 ans ; de très nombreux auteurs (la majorité du catalogue, en fait) pour lesquels sont indiqués Oeuvres et non oeuvres complètes…

    • Pléiadophile, vous comptabilisez comme des séries aussi bien des entreprises avortées et annulées (les Orateurs, dont on peut dire que l’oeuvre s’est sabotée en commençant par les discours assez ternes des Constituants au lieu d’entamer par la pièce de résistance : Robespierre, Danton et autres Saint-Just, autrement éloquents) que des sélections d’Oeuvres de tel ou tel auteur, dont, par définition, seules les autorités de la Pléiade savent l’extension qu’elles pourraient ou non avoir.

  65. Il n’y a rien que je ne donnerais pas pour que paraisse le second volume des essais de Montherlant (avec ses derniers carnets). Et tant pis si je suis le dernier homme à lire encore ce grand écrivain français.

    On l’a dit, je n’y reviendrai pas : il manque un Vigny, autre auteur auquel je reste très attaché envers et contre tous. Et ce qui manque de Vigny m’est essentiel. (Les universitaires avec qui il m’arrive de converser de temps à autre ne comprennent pas que j’aie des goûts aussi « bizarres »).

      • J’ai terminé la lecture du deuxième volume de Tchékhov ; fabuleux.
        En revanche, il me restait un roman de Kafka à lire dans le tome 1, L’Amérique (L’Oublié), et j’ai été déçu par la traduction. Il y a bien le système des renvois, certes un peu pénible, mais cela ne m’avait pas gêné pour Le Procès et Le Château ; mais alors, pour L’Amérique, certaines phrases son mal ficelées, ce qui paraît curieux de la part d’Alexandre Vialatte, connu par ailleurs pour une certaine qualité d’écriture.

        Vous avez pas mal débattu de Kafka en Pléiade il y a peu. J’ai deux questions :
        Quelle est selon vous la meilleure traduction des trois romans de Kafka, et notamment du Château ?
        Que vaut la nouvelle traduction en Pléiade des trois grands romans (si quelqu’un l’a déjà eue entre les mains) ?
        Merci.

        • Je ne peux vous donner de réponse à vos questions sur la traduction. Par contre, en ce qui concerne l’Amérique, je me souviens que mes amis et moi-même, dans notre jeunesse, avions été extrêmement déçus par ce livre. Je n’y suis jamais revenu. Je ne sais pas si c’est la faute de Vialatte, mais il me semble me souvenir qu’il s’agit du roman le plus éloigné d’un état d’achèvement de Kafka. Peut-être l’un des contributeurs du blog, armé de connaissances plus fraîches et plus approfondies, viendra-t-il me confirmer ou me démentir (dans ce cas, pas trop fort le fouet, stp !) et surtout nous donner un avis plus documenté.

          • je voulais écrire : svp
            (et non stp… comme l’a voulu le « correcteur » que je trouve bien familier en plus d’être ignare)

  66. Pour le troisième volume manquant des Œuvres de Joyce, Gallimard n’y est pas pour grand chose cette fois ! Son petit fils, Stephen James Joyce a « géré  » l’œuvre de son grand-père d’une main féroce, intéressée et assez bête (cf. l’affaire pathétique de la Médaille commémorative J.J.) C’est Fafner vautré sur son tas d’or ! Il a bloqué ce troisième volume Pléiade. Mais l’œuvre de Joyce étant tombée dans le domaine public en 2012 et malgré quelques tracasseries (ce Fafner n’a pas encore rencontré son Siegfried !), le volume est en préparation et en bonne voie. Daniel Ferrer et le groupe Joyce de l’ITEM avancent. Ouf.

    • I stand corrected, Tigrane ! De bonnes nouvelles en perspective, même si l’absence du nom de Jacques Aubert sur la page de titre laisse attendre un travail de moins haute volée (la thèse de Daniel Ferrer sur la folie chez Joyce, V. Woolfe et Faulkner est un véritable pensum académique dont on se sera pas surpris que seule la tranche woolfienne ait été publiée, et j’aurais tendance à croire sa contribution à la traduction commentée d’Ulysse au tome second de la Pléiade l’un des apports les plus subjectifs et faibles de l’entreprise, en dépit tant des quatre livres qu’il a écrits sur Joyce – que de son édition des carnets de l’auteur irlandais). Il me semble qu’Aubert avait des horizons plus vastes.

  67. Avis aux cinéphiles! Ce n’est pas tous les jours que la vie d »un auteur de la Pléiade, qui plus est français, fait l’objet d’une production hollywoodienne. Les amateurs de Colette, nombreux sur ce blog, seront ravis d’apprendre que leur auteur favori sera représenté sous les traits de Keira Knightley, quant au sous-estimé et non pléiadifié Willy, c’est Dominic West qui l’incarne!

    Le lien vers la bande-annonce :

    • « All art is propaganda. […] On the other hand, not all propaganda is art. »
      George Orwell, Charles Dickens, essai recueilli dans Inside the whale.

      Très important ça.

      • Cher Draak,
        Deux bonnes nouvelles à mettre à votre crédit : l’édition ( possible, mais non confirmée, c’est bien ça ? ) de Tolkien en Pléiade et  » l’instrument d’écriture  » Homère chez Mont Blanc. Moi qui voulais remplacer mon antique Meisterstuck. 890 euros. Le genre d’objet que l’on jure de ne jamais perdre…

        • Bonjour Zino,
          Je viens de voir votre message. Le Homère est vraiment beau. Les formes noires en volume lui donnent un côté organique. Il est à la fois imposant et discret. Bien plus maniable et sortable que le Shakespeare, par exemple, que je n’ai jamais osé utiliser en public.
          Rien de confirmé pour Tolkien mais Gallimard étudie le sujet de « très très très près (sic) »

  68. Premier compte rendu du passage de M. Pradier au Furet du Nord (je mange encore leurs petits fours) :
    L’album de l’année prochaine concernera Gary.
    … Et (ça va hurler dans les brumes) Gallimard regarde de TRÈS PRÈS le sujet « Tolkien »

    • Ce n’est pas moi qui hurlerai (tant pis pour le fouet que plusieurs éminents censeurs vont me donner). Amusant, je regardais hier soir à la télé un documentaire sur Tolkien (très très médiocre) et je me disais : « Celui-là, on n’est pas près de le voir en Pléiade…  »

      Pardon, je suis un fan (pour moi, c’est comme une chanson des Beatles, mais ressuez-vous, je ne réclame pas la publication des z’oeuvres de John Lennon en Pléiade) donc aucune analyse objective à attendre de ma part.

      Parmi les « hurlements dans les Brumes » je crois déjà distinguer la voix de l’ami NeoBirt7…
      Bah, consolez-vous, ce n’est pas pire que Jack London (plutôt moins) et qu’un certain que je ne nommerai plus jamais ici (cela n’a déjà été que trop fait).

      • Amusant que vous citiez les Beatles.

        Avant de passer au Furet, je me suis rendu chez Mont-blanc pour m’enquérir de la possibilité statistique de trouver encore leur « instrument d’écriture » Homère en début d’année prochaine, quand mes finances se seront remises de la taxe foncière, de la taxe d’habitation, de Noël et des agendas Pléiade.

        Le vendeur, un filou fini, m’a pris l’exemple de l’instrument d’écriture « Beatles », qui s’était épuisé très rapidement.

        Je tente ma bonne fortune, nécessité faisant loi.

        Notez qu’un intervenant au Furet a été très enthousiaste sur le reportage que vous citez, que ce con a monopolisé le peu de temps consacré aux échanges et que je n’ai pas même eu la possibilité de dire vertement ma façon de penser sur les séries en jachères.

        Ils m’ont offert l’album Borges pour l’achat du coffret Zweig, c’est toujours ça de pris.

        L’essentiel des échanges a porté sur d’Ormesson, dont tout le monde admettait qu’il n’était ni Racine, ni Montaigne. Le maître d’œuvre du volume 2, présent également, a admis n’avoir lu aucun des romans présentés avant qu’on veuille bien lui demander de se charger de cet ouvrage. Du grand n’importe quoi. J’ai tout enregistré pour le cas où on ne me croirait pas. Argument de Hugues Pradier : il n’y a pas de spécialiste de d’Ormesson car il n’y a pas de thésard ayant bien voulu se pencher sur ses romans. Ça aurait dû leur mettre la puce à oreille, chez Gallimard.

        • Pour le thésard, non. Je me suis toujours méfié des choix de l’université et avais même pris pour règle (idiote) à une époque de ne jamais m’intéresser à un auteur mis en avant par elle. Dans les choses intellectuelles, je me tiens à égale (grande) distance de l’université et de ce qu’on appelle le public. Je suis quelque part, très loin, sur la médiatrice du segment qui joint ces deux pôles.

          • Hors de propos, Ahmed, les prix Nobel de Physique français vont finir par détrôner nos prix Nobel de Littérature (a fortiori si l’Académie qui les décerne achève son naufrage) : signe des temps ?

          • Bien que l’on puisse désormais écrire et soutenir une thèse de lettres ou de philosophie sur à peu près n’importe quelle fumisterie post-postmoderne (songez qu’à l’université de Lille III Anne de Crémoux a été reçue docteure en 2004 pour des « Etudes critiques sur les Acharniens d’Aristophane » dans lesquelles, malgré la promesse de ce titre très traditionnel, il n’est jamais question d’établissement philologique du texte, depuis la lecture des manuscrits jusqu’à la sécrétion de conjectures nouvelles, soit ce que recouvrent depuis la Renaissance toutes « studia critica », mais seulement d’une enquête sur certains ressorts de la dramaturgie de la pièce), on ne me fera pas accroire qu’un seul responsable d’école doctorale en lettres modernes accepte de compromettre le sérieux de son institution en inscrivant une recherche portant sur l’oeuvre de Jean d’O. A une époque où tout le petit monde universitaire ne songe qu’à brosser dans le sens du poil la Région ou l’Union Européenne en créant des LabEx au nom ronflant et en quêtant des subsides pour organiser des conférences à l’intitulé pétaradant ou mettre sur les fonds baptismaux des entreprises collectives grandioses (parturiunt montes, nascetur ridiculus mus), le sémillant vieillard est simplement une non-valeur académique créée par la sphère mondaine et rien de plus.

        • Je répète : très médiocre documentaire, sur le modèle des « portraits » hagiographiques que la télé consacre régulièrement aux petites étoiles de la chansonnette.

        • Etes-vous certain que vous n’êtes pas entré, par mégarde, un faux pas de côté, dans la 4ème dimension ?

          Cette cérémonie pour célébrer la grandeur d’ormessonienne et l’entrée du Grand Homme de Lettres au Parnasse pléiadesque a quelque chose d’hallucinant.

          De par sa simple existence tout d’abord, et de par son déroulement, tel que vous l’évoquez, ensuite : le grand prêtre du culte lui-même, avouant sur l’autel, que l’on est en train de célébrer une fausse idole ! Avouez que cela est presque aussi vaudevillesque que la démission-refusée-imposée d’un ministre de l’Intérieur ou l’entartrage (virtuel) d’un Premier Ministre en pleine Assemblée Nationale.

          • J’espère que les petits fours valaient le déplacement (ainsi que l’ascension du Mont Blanc).

        • Concernant d’Ormesson, comme disait un philosophe français du XXème siècle (pas encore pléiadisé) « Quand on pense qu’il suffirait que les gens arrêtent de les acheter pour que ça se vendent plus »

          • Cher Domonkos,
            L’album Borges m’a indemnisé de mon déplacement.
            Valait aussi le déplacement, la bonne leçon donnée par M. Pradier himself : la Pléiade n’est pas l’incontestable « référence de la littérature » et des sites comme propagerlefeu.fr auront encore leur utilité.

      • Hugues Pradier a mentionné cette nouvelle traduction chez Christian Bourgois éditeur. Je cite « il y aurait là de quoi faire deux très beaux volumes Pléiade ».

        • Si l’entrée de Tolkien dans la Pléiade (plutôt moins imméritée que celle de Jean d’O., dont il est comique de prendre au sérieux les velléités créatrices en matière de cosmogonie et d’égotisme)
          signifie que Gallimard va continuer à abattre de la besogne sérieuse, par exemple en achevant sa série sur Aristote et en nous donnant de nouvelles anthologies comme les « Premiers écrits chrétiens », j’avalerai cette couleuvre de bonne grâce. Pour autant, Lovecraft sur papier bible dans des traductions à la fois fidèles et fluides me paraîtrait d’une actualité autrement urgente ; il n’y aurait même pas besoin d’y développer beaucoup l’appareil scientifique. Plus nécessaire encore, un Poe Pléiade tout neuf qui oserait, pour les contes et les poèmes, faire tomber une bonne fois les bandelettes dans lesquelles ces oeuvres ont été enserrées par les traductions de Baudelaire et Mallarmé, classiques s’il en fut jamais certes mais compassées et perfectibles, sans exclure la prose journalistique et critique dont, à force de la méconnaître, nos perceptions françaises de Poe tiennent du tropisme proscustéen. Il y aurait là de quoi remplir trois ou quatre bons gros volumes bien annotés, propres à révéler le génie d’un auteur qui n’a pas fasciné pour rien des générations de nos plus fines plumes et continue d’exercer un attrait même sur nos élèves du secondaire. Oserais-je pousser le raisonnement en assertant que les lais médiévaux (corpus extrêmement inégal où les réussites indéniables se comptent sur les doigts de deux mains) auraient pu être laissés à leur cible habituelle d’étudiants de mastère et de médiévistes au profit de tels chantiers en littérature américaine ?

          • Cher NeoBirt7, svp, ne me privez pas des Lais ! Je n’irais pas chercher dans les collections spécialisées, et tant pis si certains ne méritaient pas de traverser les siècles (le jugement de la postérité est aussi faillible que celui des contemporains, n’en déplaise à ses amoureux).

            Mais cela ne m’empêche pas de prendre également Lovecraft et surtout Poe. Il y a longtemps que je réclame une véritable Pléiade consacrée à ce dernier qui est, pour ainsi dire, absent de la collection (celle existante pourrait presque prendre place dans la série Baudelaire). Il me semble, d’ailleurs, que ce ne serait pas forcément, pour Gallimard, un risque financier exorbitant. Je répète, Poe, Lovecraft (mais le disciple suivant de près le maître). Je crois qu’une Pléiade sérieuse, avec un appareil critique conséquent, lui rendrait enfin justice et ne ferait pas double emploi avec toutes ces éditions fainéantes qui se clonent les unes les autres.

          • Pour parler sérieusement, au sujet de Tolkien, et tempérer mon enthousiasme de fan, tout en maintenant mon opinion sur sa valeur littéraire (qui tient moins, je le reconnais, à son écriture qu’à son imaginaire), je ne suis pas si certain que sa présence soit souhaitable aujourd’hui en Pléiade. Trop tôt, me semble-t-il, car il appartient encore trop au fandom et se trouve enfermé dans le sarcophage sculpté par son fils Christopher. Il faudrait attendre que ce contrôle absolu se desserre, que le malheureux Tolkien soit libéré (pour le moment, il n’a même pas droit à une autorisation de sortie pour le week)end), et qu’une véritable critique puisse s’exercer à son égard. Au train où vont les choses, cela ne se produira pas de mon vivant. Tolkien demain en Pléiade, cela risque d’être une nouvelle entreprise d’ormessonienne.

          • Peut-être une Pléiade de Mme J. K. Rowling ? Ha ha ha ! Tous les avantages : elle est chez Gallimard, pas de problèmes de droits ; c’est une femme ; succès commercial garanti ! Hi hi hi !

          • La publication de Tolkien en Pléiade serait assurément une bonne chose; il est évident que son travail littéraire a une importance considérable. Reste à voir la forme ; la Pléiade, qui aime bien éditer les gros romans monuments – comme elle l’avait fait à ses débuts avec La Guerre et la Paix et les Misérables dans des éditions qui n’étaient pas critiques – trouverait là à la fois un sujet de choix et une portée publique et commerciale à mon avis plus grande que celle de Jean d’O. Mais si c’est pour ne publier que le Seigneur des Anneaux, voire Bilbo en sus, et oublier le Légendaire derrière.. hum. Mais on prendrait tout de même. Après, si Hugues Pradier a seulement dit qu’il y avait de quoi faire deux beaux volumes (vraiment, deux? oser séparer le SDA en deux, alors qu’un volume Pléiade peut l’accueillir sans le couper?) cela ne me parait pas être une information suffisamment pour se mettre à supputer l’arrivée de JRR en Pléaide.
            Et Lovecraft dans la foulée, trois fois oui ; mais, Domonkos, on ne peut pas le réduire à un disciple de Poe, qui d’ailleurs bénéficie d’une édition de ses œuvres tout à fait convenable en Bouquins. Que Lovecraft passe avant un nouveau Poe en Pléiade ne serait assurément pas un scandale. Mais bon, l’on suppute là encore.

    • Que lis-je ? Qu’entends-je ? Tolkien dans la Pléiade ? Hourrah ! Youpi ! Je suis fan et j’assume. De même, je pétitionne pour Lovecraft et une extension de Poe.

  69. Neo-Birt7, le Nietzsche II devrait sortir prochainement (sous une à deux années à ce qu’il me semble). Des cinq volumes initiaux, la fonte à réduit l’édition à trois volumes apparemment (il n’y aura donc pas les fragments posthumes j’imagine). Pour ma part, ayant les quatorze volumes parus et les quatre de correspondance, j’attends de voir ce que vaut cette nouvelle édition en Pléiade. Pour la susnommée édition, il manque malheureusement certains écrits (les leçons, entre autres) et le cinquième volume de correspondance.

    Concernant Tolkien, je me réjouis pour ma part d’une possible parution en Pléiade. À mon sens, il y a tout à fait sa place. De même que Lovecraft (il faudrait alors rivaliser avec l’édition Bouquins en trois volumes). Quant à Poe, une nouvelle édition – complète – serait bienvenue. Il s’agit tout de même d’un immense écrivain.

    Quant à Hugo – entre autres séries inachevées (Vigny etc) – c’est bien entendu fort dommage. Reste l’imposante édition Bouquins.

    (Domonkos Szenes, je me suis étouffé à votre plaisanterie sur Harry Potter. J’en ai eu de la fièvre et la nausée rien qu’à imaginer la chose qui, heureusement, ne se produira pas de sitôt, Gallimard ne pouvant tomber si bas. Je parle en connaissance de cause. J’ai lus les tomes 4 à 7 il y a des années. Eh bien, c’est assez piètre à mon goût, et je ne suis pas snob pour un sou. Tant mieux que J. K. Rowling et son succès, mais ce n’est pas la lcette ittérature qui m’intéresse.)

    • Je crois, pour ma part, Poe et Lovecraft autant supérieurs à Tolkien, comme créateurs, stylistes, penseurs, que Tolkien l’emporte sur London et que London écrase Rowling. L’auteure d’Harry Potter, cette nouvelle Enid Blyton, n’a presque rien d’un écrivain, tout au plus des capacités de dialoguiste (je ne dis pas : de dramaturge, car « The Cursed Child » me semble de l’aussi bon théâtre que « La presse est unanime », de Laurent Ruquier, ou que les inénarrables « Monologues du vagin »). Eh quoi ! ses inventions verbales et onomastiques dont les jeunes générations se sont émerveillées ne semblent percutantes que parce qu’elles se détachent mieux sur la grisaille de son style, terne, sec, plat, peu élaboré ni encore moins subtil au prorata des ressources dont dispose l’anglais contemporain, et entaché par une tendance au filandreux sitôt qu’il s’agit d’élever le ton (lisez dans l’original, si le coeur vous en dit, le chanson du Choixpeau [« H. P. and the Philosopher’s Stone »] ou l’air des Sirènes du Lac noir (« H. P. and the Goblet of Fire »]; je veux bien me départir d’une de mes éditions humanistiques si l’un d’entre vous peut me démontrer que ces piécettes sont autre chose que d’ineptes séries de vers de mirliton même pas réguliers). Pis encore, les descriptions dans Harry Potter manquent de ce qui fait la vie – la fantaisie imaginative ne leur donne ni couleur ni épaisseur ni densité, car n’est pas Rabelais qui veut pour cultiver avec panache la poésie de l’énumération -, Rawling ne démontre aucun talent dans les scènes d’action, unanimement raides et dépourvues d’ampleur, de souffle, de sens de la dramaturgie cinématique (il y avait des leçons à prendre du côté de l’Iliade sous ce rapport), la psychologie de ses héros ne dépasse jamais ce que les Anglo-Américains appellent le ‘one-dimensional’ sans verser dans la niaiserie la plus crasse (a-t-on aussi mal dépeint les émois de l’adolescence que dans « H. P. and the Order of the Phoenix »), et comble de tout, à une époque où la tyrannie des normes sexuelles et racialistes se délite enfin, il est difficile d’imaginer approche de la jeunesse se prêtant plus éhontément, par ignorance ou tactique, au lavage de cerveau hétéronormatif et européocentré que celle de Rawling. Pas un seul personnage gay ou lesbien au fil de ces sept romans (l’homosexualisation a posteriori de Dumbledore tenant du fanservice le plus mesquin) ! Aucun rôle clé qui ne soit pas confié à des Blancs ! Nul caractère féminin qui transcende les catégories édictées par une misogynie sourde, celles de la virago, de la garce, de la femme fatale ou de la garçonne au coeur d’or ! Aucun couple important dans le monde sorcier dont le collage ne se soit pas noué à Hogwarts, dans la plus pure tradition américaine de l’âge d’or où l’université servait aux jeunes filles bien nées à dénicher un époux ! On pourrait poursuivre à l’infini cette liste picrocholine des défauts des Harry Potter – je me réjouis que mes petits-enfants, et maintenant mes arrière petits-enfants, se soient plutôt entichés des séries de Rick Riordan (Percy Jackson) et James Dashner (The Maze Runner).

      • Je ne puis qu’être d’accord avec vos jugements et les analyses qui les accompagnent et les justifient, ainsi que sur la hiérarchie (oui, le mot ne m’effraie pas, même en littérature) entre Poe, Lovecraft, Tolkien, London et… j’ose à peine écrire le nom, JK Rowling. Tout est parfaitement exact, rien à redire et je contresigne chacune de vos phrases.
        Et pourtant… il y aurait sans doute beaucoup à dire sur ces mauvais écrivains qui, pourtant, fascinent des millions de lecteurs (et des plus jeunes, qui ne sont pas forcément plus bêtes ou plus manipulables que les plus âgés) et créent un univers vers lequel se tournent tant de gens qui vivent en des endroits fort différents de la planète (vous me direz, effet « mondialisation » culturelle, oui mais, ce sont des mots, il reste à analyser la chose qu’ils recouvrent). Mais ce n’est pas ici la place.

        Simple parenthèse : je me demande si la version française des H. P. (savez-vous que vous m’avez fait peur avec vos H. P. : tombant dessus dans un instant de distraction j’ai senti sur mon cou le souffle de Lovecraft rempli d’esprit de vengeance contre cette homonymie avec les initiales de son prénom ?) ne serait pas meilleure que la version originale ? Il faudrait que les éminents bilingues me disent si c’est une simple impression infondée de ma part. Et cela nous ramènerait à l’éternel débat sur la traduction…

        A part ça, si vraiment la Pléiade devait publier Tolkien (que j’aime et estime, sans méconnaître ses défauts et ses limites, mais la magie l’emporte), je craindrais le pire. Cela ne gênerait sans doute pas la maison Gallimard de nous offrir un produit bâclé et obéissant à la doxa fanzineuse et Christophérienne (le fils-grand-prêtre du tolkienisme).

        • J.-F. Ménard m’a toujours paru un traducteur de la prose de J.K. Rowling quelque peu lâche (nombreux glissements sémantiques, à commencer par les ‘Deathly Hallows’, où l’adjectif est affadi sans raison en complément de nom « reliques de la mort », ou l’épithète qualifiant Hermione ‘bushy-haired’, rendue littéralement par « cheveux en broussaille », fort peu heureux alors même que « crépue » était à disposition, cf. le « shag-haired » shakespearien) et imaginatif (Hogwarts réinventé en Poudlard, Pettigrew transformé en Petitgrow homophone de Petitgros, sont perles à se rouler par terre de rire). Bien qu’il ne soit pas romancier, contrairement à Ménard, François Truchaud, bon passeur de l’oeuvre de Lovecraft et expert incontesté dans la traduction des romans de terreurs en langue anglaise notamment dans la collection Terreur de Presses Pocket, a selon moi un sens de la langue française de bien meilleur.

          • Dont acte. Nous avons intérêt à passer à autre chose, avant que tinte la sonnerie d’alarme actionnée par les gardiens de l’orthodoxie pléiadienne de ce blog.

        • Voici quelques exemples d’erreurs, de glissements sémantiques, et de bourdes de traduction empruntées à la première page d’H. P. and the Deathly Hallows ; on remarquera le français plutôt lourd et inélégant, sans aucune recherche d’euphonie, qui vient naturellement à J.-F. Ménard. Mes essais de traduction sont précédés d’un astérisque.

          The lane was bordered on the left by wild, low-growing brambles, on the right by a high, neatly
          manicured hedge : « le chemin était bordé à gauche par des mûriers sauvages aux tiges basses et, à droite, par une haute haie soigneusement taillée » (ce rendu de ‘brambles’ est exclu par ‘low-hanging’, car les mûriers sauvages tendent à former de véritables murs ; il s’agit tout simplement de broussailles épineuses quelconques, ce qui donne * « le chemin était borné à droite par des ronces de médiocre hauteur (…) »).

          “Thought I might be late,” said Yaxley, his blunt features sliding in and out of sight as the
          branches of overhanging trees broke the moonlight : « ‘J’ai cru que j’allais arriver en retard’, dit Yaxley, dont le visage taillé à coups de serpe apparaissait et disparaissait sous les branches des arbres qui masquaient par endroits la lueur de la lune » (‘blunt features’ est à proprement parler l’opposé de ‘chiseled features’, un visage donc ‘ingrat’ ou ‘grossier’, et la tâche du traducteur ne doit pas consister à accentuer les traits de l’original ; de plus, sur le plan du sémantisme, toute la fin de la phrase est une véritable trahison, avec notamment l’oubli de ‘overhanging’ ; * « ‘Je me suis dit que je pourrais être en retard’, dit Yaxley, dont les traits grossiers paraissaient et s’effaçaient au regard à mesure que les branches des arbres en surplomb interceptaient la clarté lunaire »).

          ‘You sound confident that your reception will be good?’ : « Tu as l’air sûr de toi. Tu penses que tu seras bien reçu ? » (pourquoi couper la phrase et rallonger en insérant un autre verbe ? * « Tu sembles assuré de recevoir bon accueil ? »).

          The high hedge curved into them, running off into the distance beyond the pair of imposing
          wrought-iron gates barring the men’s way : « la haute haie suivait la même courbe, s’étendant au loin, par delà l’impressionnant portail de fer forgé qui barrait la route des deux hommes » (la phrase demande une adaptation aux habitudes de pensée françaises, car notre langue ne considère pas comme animée une haie le long de laquelle progressent des marcheurs, comme ici ; de plus, Ménard a transféré du portail du manoir Malfoy à Severus et à Yaxley la dualité : * « les compères » [il serait très maladroit de dire ‘les hommes’] « épousèrent la courbe de la haute haie s’élançant au loin, par delà la paire d’imposante grilles de fer forgé qui leur barrait la route »).

          There was a rustle somewhere to their right: Yaxley drew his wand again pointing it over his companion’s head, but the source of the noise proved to be nothing more than a pure-white peacock, strutting majestically along the top of the hedge : « Il y eut un bruissement quelque part sur leur droite : Yaxley tira à nouveau sa baguette, qu’il pointa par dessus la tête de son compagnon, mais le bruit était dû à un paon, au plumage d’un blanc immaculé, qui s’avançait d’un air majestueux au dessus de la haie » (le début de la phrase est un calque littéral sans grand naturel, Ménard évacue tout le ridicule de l’alarme de Yaxley en atténuant l’anglais, et il éteint la nuance du verbe ‘strut’ : * « quelque chose bruissa sur leur droite; Yaxley tira de nouveau sa baguette, la pointant par dessus la tête de son compagnon, mais le bruit émanait seulement d’un paon au plumage immaculé, qui se pavanait en majesté au sommet de la haie »).

          Yaxley thrust his wand back under his cloak with a snort : « avec un petit ricanement, Yaxley remit la baguette sous sa cape » (‘his wand’ devient ‘la baguette’, non ‘sa baguette’, et faux-sens pour éviter un effort de recherche lexicale, car ‘snort’ n’est nullement un ricanement, mais un bruit de nez marquant la dérision, l’indignation, l’irritation ; * « Yaxley escamota sa baguette sous sa cape en reniflant d’humeur »).

          A handsome manor house grew out of the darkness at the end of the straight drive, lights
          glinting in the diamond paned downstairs windows : « tout au bout de l’allée, un élégant manoir se dessina dans l’obscurité, des éclats de lumière se reflétant au rez -de-chaussée dans les carreaux des fenêtres à croisillons » (Ménard se permet d’enjoliver le texte – mes italiques – tout en laissant tomber la précision ‘straight’ et en changeant arbitrairement le verbe qui exprime l’irruption du manoir Malfoy au milieu des ténèbres ; qui pis est, il croit que les fenêtres sont éteintes mais brillent sous la lune alors que l’anglais précise bien ‘lights’, ce qui signifie que les fenêtres sont allumées ; enfin il ne sait pas traduire ‘diamond paned windows’ – un vrai massacre : * « une élégante gentilhommière surgit de la nuit à la fin de l’allée rectiligne, des lumières scintillant dans les vitres en losanges des fenêtres du plain-pied »).

          Je sais bien qu’il s’agit de traduire un roman pour la jeunesse, pas un traité savant ou un grand auteur, mais tout de même, un tel feu roulant d’erreurs, d’approximations, d’enjolivements et d’interprétations abusives ou capricieuses dans l’espace d’une simple page choisie au hasard donne peu confiance dans la qualité de l’Harry Potter français dû à Ménard. Mon impression est clairement d’une version faite au fil de la plume par un travailleur pressé qu’intimidait la longueur de chaque roman.

          • La démonstration est faite. Eloquemment. (Petite taquinerie, tout de même, nous sommes entre amis : «le chemin était borné à droite par des ronces de médiocre hauteur (…)»), qui m’agrée ô combien, ne serait-il pas un peu trop littéraire, pour rendre dans notre langue ce roman dont l’écriture, dans la langue originale, est de « médiocre hauteur » ?)

            Par ailleurs, je me demande si votre « version faite au fil de la plume par un travailleur pressé qu’intimidait la longueur de chaque roman » ne trahit pas un excès de mansuétude.

            Remarque d’ordre plus général : je me demande si on n’est pas, généralement, plus sévère en France sur les questions de style et d’écriture et si cela ne provient pas du fait que notre langue ne supporte pas la banalité d’écriture – pour ne pas dire pis – sans tomber dans la plus indigne des platitudes et sans provoquer un ennui assommant (cet ennui assommant qui m’a toujours empêché de lire plus de 20 pages de Mme Rowling).

          • L’anglais britannique se prête bien à une certaine ‘terseness’, ou économie de moyens, qui n’est guère dans les habitudes de notre langue, beaucoup plus expansive et analytique ainsi qu’ennemie de la concentration lorsque celle-ci s’exerce aux dépens de la clarté de l’exposé. Le français tolère d’autant moins cette frugalité que Rawling lui associe le goût des épithètes creuses ou purement ornementales et une appétence assez vulgaire pour la métaphore (« the high hedge curved into them »,  » sliding in and out of sight as the branches of overhanging trees broke the moonlight » sont deux échantillons caractéristiques de cette tendance à la ‘purple prose’ qui éclate à tous moments dans l’écriture de l’américaine Stephenie Meyer). Il en résulte un original jamais difficile mais affecté, occasionnellement opaque par suite de la recherche d’effets verbaux, de concetti, vains en ce qu’ils ne contribuent que fort peu à l’immersion du lecteur dans le récit, et souvent embarrassant à rendre sans réécriture extensive en raison de l’impuissance dans laquelle se trouve notre langue d’épouser au plus près la ligne sinueuse de ce style anglais. Force est de constater que Ménard manque de métier littéraire, sans quoi il aurait déployé davantage d’ingéniosité à essayer de rendre la saveur propre au mélange de rouerie et de naïveté qui caractérise la langue des Harry Potter. Il en résulte des traductions lentes, lourdes et chargées, souvent pataudes, et pas toujours couchées dans un français très correct, aux antipodes de la vivacité rawlingienne. Les innombrables erreurs d’interprétation et autres bavures (car Ménard oscille perpétuellement, le plus souvent sans raison valable, de la traduction au carré à une sorte de remake gauchissant) sont d’autant moins pardonnables qu’elles s’inscrivent dans un texte français banal et plat.

          • Mon cher NeoBirt7, je vous remercie vivement pour ces éclairages très intéressants, qui correspondent parfaitement à ce que je cherchais.

            Je note que, si j’ai quelquefois du mal à vous suivre – litote – dans vos longs développements savants autour des textes anciens et de la philologie (ma méconnaissance du latin et non-connaissance du grec, mon très maigre bagage, squelettique devrais-je dire, en philologie, n’y sont certes pas pour rien), vous pouvez également être clair et élégant, sans rien perdre de votre pertinence. Miracle, je comprends tout !

            Veuillez me pardonner cette appréciation qui sent un peu l’instituteur à l’ancienne…

          • Le don de décrire le style avec clarté et équanimité ne m’a pas été imparti ; j’ai bien conscience, ici plus encore qu’ailleurs, d’écrire comme un mauvais régent de collège tout en me taillant un facile succès au détriment d’un traducteur somme toute compétent. Je n’ignore pas quelle prouesse, ou plutôt : quelle gageure, représenterait l’application de principes traductologiques rigoureux ne souffrant d’exceptions que justifiées par la philologie, du début à la fin de romans aussi énormes que les cinq derniers Harry Potter. Il n’empêche que Ménard a fonctionné avec une désinvolture certaine combinée à un certain manque de flair littéraire ; Truchaud traduisant trois auteurs aussi différents sur le plan du style que Lovecraft, Clive Barker, Graham Masterton me semble lui être indéniablement supérieur pour ce qui concerne la mise en français et la fidélité sémantique.

          • Ne médisez point de votre style en l’occurrence, il plaide lui-même sa cause par sa clarté. En ce qui concerne le métier de traducteur, je ne mésestime pas sa difficulté, mais je crois aussi que, pris au sérieux, il doit être passionnant (à condition que l’éditeur vous accorde le temps nécessaire et vous rémunère correctement, ce qui était loin d’être le cas il y a une vingtaine d’années, lorsque je comptais parmi mes amis quelques traducteurs émérites : l’un d’eux s’était même à d’assez nombreuses reprises, trouvé chargé de « retraduire » en bon français des traductions innommables et impubliables de mercenaires pressés et sous-payés).

  70. Un dernier mot sur Tolkien, en tout cas sur le fond, je suis tout simplement merveilleusement impressionné à lecture du Silmarillion. S’il y a une chose qui me déçoit dans un livre, c’est l’absence d’épaisseur et de profondeur de l’univers. C’est à mon sens le cas chez nombre d’auteur-e-s populaires (Nothomb, Rowling etc). Chez Tolkien, c’est un tout autre niveau. Et j’apprécie beaucoup son travail sur la mythologie. En tout cas, Tolkien ne démériterait pas en Pléiade à mon sens, accompagné par bien d’autres manquants actuellement bien entendu, mais il dépasse allègrement en qualité des auteur-e-s déjà publiés dans cette collection à mon sens.

    Bien entendu, reste à voir ce que donnerait l’édition Pléiade elle-même (si l’on pouvait éviter la francisation étrange des noms – Frodo en Frodon, pourquoi pas – bien que ce soit dispensable – mais le Baggins en Bessac (dans la dernière traduction), je n’en vois guère l’intérêt).

    J’avoue par contre ne pas être très au courant des controverses sur le rôle de Christopher Tolkien comme gardien du temple.

    • Cher Vidar, la francisation des noms anglais suit quelques règles ou conventions d’usage, historiquement bien établies, dont il vaut mieux ne pas s’abstraire, en particulier au niveau des terminaisons, sous peine de gâcher son plaisir au lecteur : ‘Plato’, ‘Cicero’ en latin (épels reçus par l’anglais) donnent Platon, Cicéron dans notre langue et rien d’autre depuis le XVIIe siècle, si bien que ‘Frodo’ et ‘Bilbo’ de l’original anglais ne sauraient guère être que Frodon, Bilbon chez nous. Les innombrables jeux de mots tolkieniens au niveau onomastique (les noms ‘parlants’) doivent également recevoir des équivalents français les plus fidèles et les moins inélégants possibles : ‘Baggins’, sur le radical bag, sac, ne peut être que Sacquet en version française, etc. Il n’y a hélas pas à y redire.

      • Merci de votre réponse Neo-Birt7. Je n’avais pas même réalisé qu’il en était de même pour Platon ou Cicéron que pour Frodon ou Bilbon. (Bien que les premiers n’aient pas un nom originellement anglais). Les prénoms ne me gênent guère. D’ailleurs, je me suis mal exprimé, c’est surtout la nouvelle traduction (Lauzon) de Baggins en Bessac que je n’aime guère (sur ce point précis, j’insiste). J’apprécie le Sacquet, que je trouve élégant comme résultat du procédé de transcription.

    • Le cas Christopher Tolkien est très intéressant et très particulier. S’il faut l’en croire – et pourquoi pas ? – dès l’enfance son père l’a bercé de la lecture de ses oeuvres en cours, chaque année il composait pour ses enfants une lettre-conte attribuée au Père Noël, Christopher n’était pas encore majeur qu’il était déjà le secrétaire de son père et mettait au propre ses écrits. On peut dire que cet homme n’appartient pas à notre monde : il a toujours vécu en Terre du Milieu.

      Par conséquent, on peut comprendre qu’il se soit fait l’éditeur des oeuvres posthumes inachevées de son père et lui en être reconnaissant : sans lui, pas de Silmarillon, par de conte des Enfants d’Hurin, pas de Légendes et d’Histoire de la Terre du Milieu, etc.

      Mais, au fil des années, il est intervenu de plus en plus dans ce travail d’archéologue, et, d’éditeur il s’est transformé pratiquement en co-auteur (il ne me paraîtrait point scandaleux qu’il soit crédité comme co-auteur des oeuvres posthumes).

      Là encore, je ne lui en tiens aucunement rigueur. Il avait la légitimité pour le faire puisque, je le répète, il est un habitant de la Terre du Milieu.

      Mais, si on doit faire une nouvelle édition de Tolkien, dans une collection qui se veut encore prestigieuse, ne devrait-on pas passer à « l’après Christopher » et faire une vraie édition critique, avec une distance que Tolkien Fils et Héritier n’a pas et ne peut pas avoir. Même si Christopher Tolkien, très âgé à son tour, a déclaré que son travail est achevé, je crains qu’on ne puisse échapper à son contrôle : je le vois bien dans le rôle de Smaug, veillant jalousement sur son Trésor !

      Par ailleurs, Tolkien appartient également au fandom (du moins les fans le croient). Il faut du temps pour qu’une distance critique puisse se construire, qu’une autre vision, non sentimentale, puisse apparaître.

      Pour ces raisons, je crois qu’il est bien trop tôt et qu’une Pléiade Tolkien paraissant aujourd’hui ou demain serait parfaitement endogamique, en n’échappant pas au petit monde des fanatiques du créateur de la Terre du Milieu. Une nouvelle édition inutile, n’apportant rien.

      Et je crains, hélas, que cela ne gêne pas Gallimard.

      Pourtant, Dieu sait, si j’adorerais cela et me jetterait dessus (mais ici, c’est le fan en moi qui parle, eh oui, je suis aussi schizophrène que Gollum) !

    • Peut-être pourra-t-on parler sérieusement de JRR Tolkien et de son travail dans un siècle.

      Car, outre Christopher Tolkien, devenu à son tour un Patriarche (et dont j’ai parlé dans ma précédente intervention), voilà deux petits-enfants, fils de Christopher : Simon le renégat et Adam le fils fidèle (autant dire Caïn et Abel). Adam devenu le continuateur de Christopher, adoubé par son père, et qui veillera sur le feu sacré. Simon, celui qui a trahit le « Tolkien Estate » en allant frayer avec les mécréants (les producteurs et auteurs des films tirés de la saga tolkienienne) et qui a donc été maudit et exclu de la tribu. (Bon, d’accord, je revendique seul la paternité de ces interprétations et identifications, inutile de me faire un procès.)

      Et vous voudriez, dans ces conditions, qu’on puisse envisager une édition sérieuse, critique et indépendante de JRR Tolkien ? (Autant vouloir toucher à un certain livre sacré, parole incarnée de Dieu, dont on parle tant ces derniers temps…)

      • Chaque fois que je lis un livre sur Tolkien, une préface, un commentaire, les justifications d’une traduction, un documentaire (comme celui qui a été diffusé à la télé, il y a trois jours), j’ai l’impression d’assister à une célébration du culte. Et je m’emm… autant qu’à la messe dans mon enfance.

  71. Comme ça, j’ai fait allusion aux trois Religions Révélées (quatre en comptant la nouvelle venue Showbiz) : cela me donne-t-il une chance d’échapper au châtiment ou bien serai-je brûlé trois fois ?

  72. En tout cas, il existe un certain nombre d’universitaires travaillant sur Tolkien, et qui pourraient donc, je l’espère, donner une édition de haut vol, avec la distance suffisante. J’en ai entendu certain-e-s sur France Culture, et ils/elles m’ont donné le sentiment de travailler avec sérieux et probité, bien loin du fandom parfois poisseux et autoritaire.

    Un des attraits pour moi de la Pléiade, c’est aussi le caractère compact des ouvrages qui me permet de gagner de précieux centimètres dans ma bibliothèque. J’aime aussi lorsque les œuvres sont complètes, car on a (devrait ?) avoir la certitude de tout posséder, et de pouvoir donc s’y reporter jusqu’à satiété pour lire l’auteur-e, en dehors des suppléments d’analyses universitaires.

    • Je ne dénie pas que des universitaires travaillent sérieusement sur Tolkien, mais le corpus des études tolkeniennes est encore bien mince, jeune, et comporte peu d’ouvrages de fond. Je ne dénie pas non plus qu’un universitaire digne de ce nom ne puisse se tenir à distance du fandom. Par contre, c’est une autre paire de manches avec les ayant droits (Christopher l’exécuteur testamentaire, ses enfants, le « Tolkien Estate », les autres héritiers…). Il y a déjà pas mal de guerres picrocholines, des procès ont eu lieu ou sont en cours. Il y a aussi la question des « posthumes » (les trois-quarts de l’oeuvre) dont Christopher est le grand maître d’oeuvre (aujourd’hui assisté de son fils Adam) et, à mes yeux et aux yeux de bien des spécialistes, le (presque) co-auteur : quant est-il des droits de ces textes, quelle part est due à Christopher et quelle part à JRR ?…
      Je souhaite bon courage à ceux qui voudraient entreprendre une véritable édition, s’approchant peu ou prou d’une édition critique, de Tolkien. Je considère la chose impossible aujourd’hui, demain et sans doute après-demain.
      Combien de temps a-t-il fallu pour « libérer » Kafka de la tutelle du « trio infernal » Brod-Vialatte-Marthe Robert ?
      (Je parle pour sa réception et son édition en France.)

      ……..

      Sur ce, je vous salue tous amicalement, et vous quitte pour un moment. Ma maman vient de nous quitter ce matin et je vais avoir l’esprit ailleurs. Bien à vous tous.

      • Bourgois, par exemple, n’arrive même pas à publier les derniers volumes de l’histoire des Terres du Milieu, pourtant établies par Christopher et publiés depuis des années en Angleterre, parce que Christopher Tolkien s’y oppose et préfère obliger Bourgois à publier des travaux de second ordre de son père, sur le Beowulf, la Légende de Sigurd et Gudrun ou la Chute d’Arthur.
        C’est dire s’il va y avoir bien du plaisir pour les futurs éditeurs des « oeuvres complètes » de JRR Tolkien !

        • Le même problème est apparu avec l’oeuvre de Jules Verne et les interventions de son fils. Aujourd’hui, on a fait la part des choses et on n’édite plus guère que les oeuvres du père. Pour le pléiade de Tolkien, Vincent Ferré est actuellement le plus grand spécialiste français de Tolkien et serait à même de s’en occuper. Enfin, je vous présente, mon cher Domonkos, si j’ai bien compris votre message de ce matin toutes mes plus sincères condoléances.

      • Cher Domonkos,
        Permettez que, à l’imitation de mes « amis inconnus », je vous présente moi aussi mes condoléances.
        À la peine s’ajoute toujours  » le dur désir de durer « . Heureusement…
        Bien à vous, mon ami.

    • Aurez-vous l’amabilité de nous expliquer à quelle nécessité grammaticale, philosophique, politique, métaphysique vous cédez lorsque vous parsemez vos phrases de traits d’union « inclusifs » ? Pensez-vous que la langue française mérite un tel traitement ?
      J’ai beaucoup hésité avant de publier ces lignes car je ne veux m’opposer à personne, et vous êtes absolument libre d’écrire comme bon vous semble et de croire ce que vous voulez, mais vraiment cette fois c’était plus fort que moi. J’aime trop cette langue qui se trouve attaquée de toutes parts pour laisser passer cela sans rien dire.

      Pardonnez-moi cette saillie dont je veux bien croire qu’elle est en effet déplacée.

      • Je vous rejoins sans réserve, cher Ahmed, sur la désapprobation de cet artefact immonde qui se prétend une langue inclusive ; nos féministes, en regard d’une génération sur les Etats-Unis, tombent dans la même ornière que l’intelligentsia anglo-américaine des années 90 qui prétendit généraliser l’utilisation des pronoms neutres (je pense à ‘hs’ dont chaque lecteur pouvait faire ‘his’ / ‘her’ / ‘hers’ en fonction de son genre ou du genre du sujet ou du prédicat de la phrase). Je gage que l’on reviendra promptement chez nous de cette hérésie vaine et improductive, moins cause noble que toquade de théoriciennes trop incultes pour goûter le génie de notre langue.

        • Eh bien, ma foi, je vais vous répondre avec autant de précision et de concision que possible. Premièrement, je ne trouve pas que cela défigure la langue. À choisir, je préfère d’ailleurs que l’accord féminin l’emporte sur le masculin (il faut que je m’y mette). Je ne vois pas dans la langue français quelque chose de figé. L’argument historique ne tient pas (« on a toujours fait comme cela »).

          C’est oublier les quelques commissions de sauvegarde des mœurs qui ont rendu masculins un grand nombre de mots autrefois féminins, car trop nobles pour être féminins. Quant à l’universalité du masculin, on peut lire qu’il en est ainsi « Parce que le genre masculin est le plus noble, il prévaut seul contre deux ou plusieurs féminins, quoiqu’ils soient plus proches de leur adjectif. » (Dupleix, Liberté de la langue françoise, 1651) ; « Le masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle. » (Beauzée, Grammaire générale… 1767). Tout cela est récent de quelques siècles.

          Ensuite, je ne crois pas que cette règle soit anodine. Elle porte l’empreinte de toute une société historiquement patriarcale et sexiste. Aussi, si l’on souhaite une égalité de genre, faut-il également en changer. La solution la plus simple à mes yeux seraient d’inverser la puissance de l’accord. Car les femmes n’entendent pas régner pendant des millénaires sur des hommes, alors que le contraire s’est produit. Cela permettrait à la fois d’en finir avec cet aspect de la domination, et de rendre moins accrocheur pour l’œil ce changement.

          La langue évolue constamment – quel scandale que Rabelais en son temps – et je ne défends pas une langue figée. J’avoue être attaché à une syntaxe correcte et si possible élégante, mais que valent quelques considérations prétendument esthétiques face à la nécessité éthique d’abolir des siècles d’asservissement des femmes ? Pour ma part, je donne la priorité à l’égalité de genre et y sacrifie volontiers un possible micro-confort de lecture supplémentaire (et on s’y habitue aisément).

          D’un point de vue sociologique, et sans vouloir le moins du monde me fâcher avec personne, il est assez évident que la majorité de intervenant-e-s ici – dont moi-même – sont des hommes, qui seront évidemment moins enclins à changer des habitudes tenaces. Je ne suis pas spécialiste de la question du sexisme, mais plutôt, disons, un amateur très éclairer. Une anecdote seulement. J’enseigne la philosophie, et j’emploie autant que possible une langue où le principe masculin ne l’emporte pas sur le féminin (ne pas employer « homme » mais « être humain » par exemple etc). Je peux vous dire que cela affecte, de manière visible, les élèves féminines qui assistent au cours (en complément d’une étude poussée et longue sur la question de l’égalité de genre).

          En étudiant avec sérieux la question de l’égalité de genre, on peut se rendre compte des tous les détails, apparemment insignifiants, qui construisent les individu-e-s, et qui participent de leur tutelle malheureuse.

          Pour le reste, je suis très critique du féminisme tel qu’il a été importé des États-Unis et qui est en devenir hégémonique, car il demeure empreint d’une telle américanité, c’est-à-dire d’un tel esprit de capitalisme, qu’il représente à mon sens un grand péril qui passe pour rien – et l’on a tort à mon sens alors – face à l’exigence d’égalité.

          Je m’arrête là, car tout expliquer prendrait des centaines de lignes, mais je vous invite, si ce n’est pas déjà fait, à consulter les très accessibles ressources sur la question, dont certaines répondent aux objections les plus courantes en la matière de manière fort efficace à ce qu’il me semble.

          • Puisque je sais que mes propos ont fort peu de chances d’être entendus, permettez-nous de continuer à échanger en tout cordialité sur la Pléiade et la littérature en général, chacun-e dans notre style.

          • Les lexicographes de métier, les historiens universitaires de la langue, les grammairiens sans corrélation de genre, savent le poids des arguments dont vous vous faites l’écho, Vidar, et sans vouloir vous manquer de respect j’ai très envie de citer la réplique de Cyrano « Les vers du vieux Baro valant moins que zéro | j’interromps sans remords ». Ouvrons, si l’on veut, un débat sur le fond entre experts pouvant justifier de titres sérieux à donner leur opinion, pourvu qu’il ne ressemble pas à une logomachie vaine entre conservateurs appuyés sur une connaissance affûtée du dossier et novateurs réduits à monter en épingle avec force rhétorique quelques fragments de preuve piteux et luxés (comme c’est le cas pour l’identification d’Alésia) ; mais ne laissons pas une phalange de dames patronnesses diversement qualifiées décider avec impériosité que les souffrances sociétales de leur sexe exigent qu’on modifie la langue. Cette dernière n’en peut mais, et de toute manière, à force d’ériger des bûchers pour que s’y immole le patriarcat, on va finir par ressusciter les inquisiteurs, galvaniser les phallocrates fascisants les plus immondes, les Soraliens, les Zemmouriens, les adorateurs de M’Bala M’Bala, qui tous se pourlèchent déjà les babines devant l’hystérisation des débats d’idées, et reproduire le coup de tonnerre électoral de novembre 2016 aux Etats-Unis. Le jeu n’en vaut vraiment pas la chandelle.

          • Cher Vidar, je ne veux pas polémiquer davantage mais comme vous êtes japonisant, je souhaite vous mettre devant un cas concret qui illustrera la futilité du raisonnement que vous faites vôtre : que diriez-vous de Chinois(es) qui décideraient de modifier ad arbitrium les formes abrégées traditionnelles ou communes des sinogrammes, et qui prendraient de haut tout contradicteur objectant que l’on n’a pas le droit de bouleverser ainsi l’usage pour des motifs extralinguistiques étrangers même à toute sémantiques ? Ces sceptiques n’auraient-ils donc pas raison d’écraser lesdits novateurs sous l’autorité du Dai Kan-Wa jiten, le fameux dictionnaire encyclopédique des kanji (chinois-japonais) de Morohashi ? En de telles manières, qui a raison, du grand maître universitaire au labeur incomparable ou du braillard drapé dans les oripeaux pseudo-savants de ce qu’il croit être une bonne cause ?

          • Cher Vidar, si l’on suit votre raisonnement a contrario une langue qui ne connaîtrait pas la distinction entre masculin et féminin, qui ne la marquerait nullement, ni au niveau des articles, des accords ou même des pronoms personnels comme en français, devrait faire aboutir la société des personnes qui la parlent à plus d’égalité entre femmes et hommes. Une telle langue existe au cœur même de l’Europe, c’est le hongrois. Pour avoir vécu en Hongrie une dizaine d’années, je pense pouvoir dire que ce pays n’est ni plus ni moins égalitaire que les autres pays européens.

            Je fais suivre pour exemple de ce que j’avance un lien vers la liste illustrée de portraits des chefs de gouvernement de la Hongrie depuis les révolutionnaires de 48 jusqu’au gouvernement d’aujourd’hui en passant par la double monarchie, la République des Conseils etc. Tous sont des hommes, aucune exception.

            https://hu.wikipedia.org/wiki/Magyarország_kormányfőinek_listája

            Alors vous pouvez vous affranchir de toutes les règles, peu importe, ce que vous dites est intéressant, on prendra sur soi et on lira votre français enlaidi. Mais pour ma part, je m’en tiendrai à l’adage, Cæsar non supra grammaticos.

          • Je vais me faire hacher menu par Neo-birt7, mais que pensez-vous (tous) de l’accord de proximité, qui me paraît assez naturel et s’affranchit des sexes ?

          • Neo-Birt7,

            Je vous dirais simplement que la personne la plus savante n’a pas nécessairement raison. Et c’est pour cela à mon sens que la connaissance n’est qu’une étape préparatoire, salutaire, à l’action éthique, et non un élément éthique en lui-même. Ce sont les entités puissantes qui ont accès de manière privilégié au savoir, cela permettant à la fois de perpétuer le normes en vigueur (conservatisme) et de dominer les franges moins bien considérées de la société. En pareille querelle, on ne peut donc pas accorder un point de vue neutre
            De mes recherches personnelles, raisonnables à mes yeux, il a existé une volonté de faire triomphé la supériorité du masculin, pour des motifs idéologiques bien plus que pour une question de linguistique. Je ne vois pas le mal qui résulterait de faire emporter le féminin sur le masculin, surtout que, contrairement au sophisme que l’on tente de faire passer, ce n’est pas la porte ouverte à n’importe quoi. En dehors de la question du genre, je ne vois pas trop quelle revendication en lien avec une oppression sociale pourrait réclamer des changements.
            Quant à encourager les forcenés que vous citez, ces tristes trouveront toujours un motif d’insatisfaction, car ceux-là poussent sur le fumier.
            A mes yeux, l’urgence de la situation s’accommode mal de la tiédeur et du flegme des salons bourgeois. (je ne vise pas une personne en particulier).

            petitrien,

            Vous prolongez ce que je ne dis pas. Je parle de façon correcte le japonais, qui n’est pas une langue proprement genrée (il existe des façons de parler différentes que l’on attend selon le genre cependant). Je vous dirais donc qu’il y a aussi du sexisme là où il n’y a pas de langue genrée, bien évidemment. Mais prétendre que la langue et son usage serait imperméable au sexisme, c’est une confortable illusion – je parle sur tous les plans (règles d’usage, temps de parole, lexiques genrés, interruptions, locutions etc). Mon français enlaidi se porte bien par ailleurs, je vous en remercie.

            Je me permets de clore ici ma participation sur ce sujet. Je n’ai que voulu répondre à la question posée de façon honnête. Je plaide devant une cour fort difficile, et ce n’est pas même un tribunal ici. Je préfère donc que nous en restions là afin d’éviter les invectives déjà naissantes, ce qui flétrirait le plaisir des discussions. Soyez certains tous deux que je connais vos arguments en la matière.

    • Le connaisseur le plus affûté de Tolkien me semblerait plutôt être l’helléniste Charles Delattre, bon mythologue classique auteur du fort intéressant « Le cycle de l’Anneau, de Minos à Tolkien » chez Belin en 2008. J’espère ne pas passer pour un insupportable pédant si je signale que Tolkien n’est qu’un Pygmée intellectuel et un érudit du troisième rang – je me souviens avoir lu quelques lignes méprisantes signées Richard Buxton Onians, l’auteur du splendide « Origins of Greek and Roman Thought. Mainly concerning the Body, the Mind, the Soul, the World and Fate » , dont je recommande la traduction française coordonnée par Barbara Cassin – non seulement à côté du grand James Frazer, l’auteur du « Rameau d’or », que personne ou presque ne lit plus chez nous sous prétexte que la thèse d’ensemble en est justement discréditée, mais des principaux mythographes comparatistes du XIXe et du XXe siècle, les Christian August Lobeck, Hermann Usener, Maurice Bowra, Henri Jeanmaire, pour ne rien dire de Dumézil. Il est irritant de voir les soi-disant connaisseurs de Tolkien prendre tant soit peu au sérieux ses prouesses linguistiques et son érudition, entre autres naïvetés crasses, simplement parce qu’il leur manque la formation en linguistique et mythographie comparées requise pour apprécier le travail de création de l’auteur britannique. Personnellement, entre les parlers inventés par lui et le klingon développé par des passionnés, j’ai toutes les peines du monde à distinguer quelle supériorité appartient aux langues elfiques, naines, etc de Tolkien.

      • J’aime Tolkien comme écrivain (et je n’ai pas la disponibilité d’esprit pour dire longuement pourquoi), cela ne m’oblige pas à prendre au sérieux ses « travaux d’érudition ». Ceux qui le font représentent une branche – celle qui se voudrait « intellectuelle » – du fandom. Qui voudrait publier Tolkien en remettant en cause ce « mythe » de Tolkien « savant », tomberait à coup sûr sous les balles d’argent trempées dans l’eau bénite, de l’Héritier et du « Tolkien Estate ». C’est bien pourquoi il n’y aura pas et il ne pourra pas y avoir avant longtemps, une édition sérieuse de Tolkien.

        • Permettez-moi de vous présenter mes condoléances pour votre perte, Demonkos.

          Si vous voulez vraiment vous changer les idées, je vous engage à lire le Onians, ouvrage à la fois très savant, perceptif, didactique et d’une clarté lumineuse – vous en ressortirez, je gage, charmé autant qu’instruit, car la traduction française coule de source. N’en déplaise à Onfray, qui n’y connait rien en matière de civilisation gréco-romaine mais s’étale à longueur d’ouvrage sur les concepts, l’histoire intellectuelle la plus affûtée commence au niveau linguistique, et point n’est besoin de se gargariser en brandissant les grands penseurs pour pénétrer les arcanes de l’âme grecque.

  73. Cher Vidar,
    Je ne mettrai pas autant d’impetuosité que notre ami Neobirt7 ( mon désaccord s’exprime en général de façon moins véhémente et plus concise…) mais il faut reconnaître que cette façon générique de marquer l’égalité me semble en réalité contre-productive. À vouloir montrer celle-ci, graphiquement, on rappelle au contraire, la différence. Le signifiant n’est la preuve de rien d’autre que sa réalité sonore et graphique ! C’est au discours et non au léxème de marquer politiquement l’égalité entre les hommes et les femmes. En outre, Mettre un -e à individu c’est se priver d’autres mots synonymiques : une personne, quelqu’un ( de)…
    Même si au fond je suis d’accord avec vous ( et Hugo avait raison de dire que  » la forme c’est du fond qui remonte à la surface », je crois que l’indistinction formelle ( le masculin ayant, en réalité valeur d’un neutre qui abolit, donc, la distinction des genres) est encore la meilleure garante de l’égalité « ontologique » des sexes.

    • Cher Zino, je vous dirai simplement que l’emploi du mot « individu-e » dans mon discours est tout à fait à dessin, et ne saurait être remplacé ici par un synonyme proche. J’y attache une importance toute empreinte de Stirner.
      (Pour la question de la neutralité du masculin, j’ai déjà répondu au-dessus).

      • On tombe dans le délire verbal et lexical : chacun sa langue, et la volonté de l’imposer aux autres. De quel droit ? A quel titre ? Au nom de quelle légitimité à décider quelle langue (ou quel langage) doit-on parler et écrire ?
        Alors, s’il doit ne plus y avoir de langue commune (ou de langage commun ?), allons-y : s’il y a aujourd’hui des individus et des individus, pour ma part et pour ne citer qu’un exemple, je ne parlerai plus, s’agissant d’un mâle, d’une personne mais d’un person.
        Et vive Babel !

        • « des individus et des individues » : même le correcteur automatique n’en veut pas, le chien ! Ah, si cela avait été une correctrice !

        • A vouloir moraliser la langue ou lui faire expier les péchés de nos pères et grand-pères (peu me chaut les imbécilités des grammairiens d’il y a trois siècles, quoique… ils avaient tort de réserver la noblesse au seul genre masculin mais, que dire d’aujourd’hui où la noblesse semble a voir disparu ou être devenue péché mortel ?), vous vous engagez sur un terrain très dangereux.
          Et puis, s’il faut à mon tour, user d’arguments spécieux, je pourrais me plaindre de ce que le masculin soit assimilé au neutre : Seigneur ! quelle émasculation.
          Enfin, pour en finir, je vous remercie de provoquer ma colère : après la joie (mais celle-ci, en ce moment m’est interdite) c’est le meilleur remède contre la mélancolie et la dépression. (Mais, comme il ne faut abuser de rien, pas même de la colère, je m’abstiendrai autant que faire se peut de lire ce genre de prose, cela me laissera du temps pour d’autres lectures…)

          Vous remarquerez que dans « noblesse devenue péché mortel » on passe aisément du féminin au masculin, et que le terme « noblesse » bien que réservé aux mâles est du genre féminin, tandis que « péché » est masculin… On n’en finirait pas de tailler et retailler la langue afin qu’elle soit bien alignée comme une allée de jardin à la française : travail de Sisyphe ou d’Apprenti Sorcier !

  74. Ce que j’avoue avoir du mal à comprendre de mon côté, c’est pourquoi cela provoque tant de colère. Êtes-vous donc à ce point dénué de toute cause qu’il vous faille régurgiter votre ire sur un tel sujet ? Je ne veux pas détruire toute langue commune – quelle hyperbole sophistique qui est en parfaite contradiction avec ce que j’ai écrit quelques commentaires plus haut.

    J’ai déjà noté par deux fois qu’il ne me semblait pas utile d’aller plus en avant sur ce terrain vu la levée de boucliers (hérissés de pointes mortelles). Vous y allez de votre commentaire sans même lire avec attention ce que j’ai déjà dit. Permettrez-vous donc enfin que l’on en revienne à la littérature et à la Pléiade ? Je n’ai fait que répondre à une question qui m’était posée, tout en pressentant exactement qu’on allait en arriver là. Vous pensez que je suis un imbécile – fort bien. J’ai bien noté.

    Pour le reste, j’ai déjà lu et entendu cent fois vos arguments, et je me remets en question à chaque fois que je les entends – cette fois encore, croyez-le. Pour l’instant, je conserve mon avis sur la question. Je ne demande ni la réécriture des livres passés, ni d’être le grand ordonnateur de la langue française. Votre conservatisme effréné me fait plutôt sentir les relents d’une masculinité inquiète. Je ne crois pas qu’un tel changement met en « péril mortel » la langue française comme se plaisent à l’affirmer une bande de vieillards cacochymes qui s’ennuient un peu trop. Il faudrait arrêter de faire enfler la chose.

    Par ailleurs, je reconnais, après vérification suite à la lecture de votre commentaire, avoir eu un usage fautif du terme « individu » qui ne devrait sans doute pas être rendu féminin. De cela seulement, je vous en sais gré.

    • Non. Pas en contradiction. Relisez-vous et réfléchissez à la portée de vos dires.
      Ma langue c’est ma patrie comme l’affirmait Bolano.
      Je défends ma patrie. Bec et ongles.
      E basta !

  75. J’ajouterai tout de même qu’avec un minimum d’esprit de comparaison, on peut aisément voir le problème. Le même problème se pose pour la question de la couleur de peau. Mettre uniquement des personnes blanches dans un medium par exemple, n’est-ce pas inculquer par là une aristocratie de la couleur ? Peut-on soutenir que la blancheur est la couleur neutre pour représenter l’individu ? C’est là exactement le même problème. Et sachez que l’on entend les mêmes récriminations de la part des opposant-e-s : « ça rend visible, et donc discrimine, au lieu de rendre indifférent », « on nous impose tout », « ça détruit la tradition », « c’est de la culpabilisation » etc.

    • Une question pratique, à la lecture, opposant-e-s, ça donne quoi?

      Opposants et opposantes, opposantes et opposants, opposants ou opposantes, opposantes ou opposants, opposant tiret e tirets s?

      Si les tenants de ce type d’écriture prenaient la peine d’écrire complètement ce qu’ils veulent dire, ça passerait peut-être mieux. Ce serait en tous cas plus honnête, au risque évidemment de bien faire sentir à quel point la phrase devient lourde.

    • Vous et les vôtres, Vidar, si vous me pardonnez cette paronomase, retardez d’une génération ; à l’époque des culture wars américaines, qui ont connu leur apogée à l’occasion de la querelle autour de la « Black Athena » de Martin Bernal, on entendait exactement les mêmes glissements topiques entre culture des racines gréco-romaines de la civilisation occidentale et primat avoué de l’européocentrisme, entre conservatisme ‘de droite’ et maintien du status quo par prudence bien comprise, entre souci de ne pas faire exploser des disciplines dont l’herméneutique avait toujours su se réformer de l’intérieur et influence délétère du collège invisible des chercheurs. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Tellement peu que l’Amérique a cru bon de se doter d’un président de l’acabit de Trump. La conséquence du grand tumulte de ces années 80 en fut qu’un parfait imbécile en matière de linguistique et d’antiquités gréco-sémitiques, le nommé Bernal, s’empara de sujets très techniques en prétendant en remontrer aux spécialistes de ces questions pour prouver qu’il y aurait eu complot des savants du XIXe siècle afin de dissimuler la dette culturelle de la Grèce ancienne, paradigmatiquement blanche, envers l’Egypte pharaonique, Noire. Il troubla tout avec ses bouquins séduisants parce que mal ficelés et écrits avec véhémence, jusqu’à ce que, la démonstration technique (BA III « The Linguistic Evidence », 2006) de ses vues étant enfin sortie vingt ans après la publication du premier tome de l’Athéna Noire et s’avérant illisible même pour ses plus chauds partisans, la communauté savante s’avise enfin que le roi était nu, laissant le trublion mourir dans une quasi indifférence. Lui aussi, comme vous le faites, Vidar, conditionnait le langage (en l’espèce le grec ancien vis à vis du sémitique commun, et surtout de l’égyptien) au primat des questions racialistes au nom d’une conception totalement dévoyée de l’interpénétration des Sprachbunde limitrophes dans l’espace et le temps (voyez https://bit.ly/2PhnWx7, somme très érudite où je vous recommande la lecture des pages 307-310) ; une telle analogie devrait faire réfléchir un esprit que je pressens distingué et pondéré et dont il me chagrine sérieusement qu’il prenne pour argent comptant les lubies de quelques dames Pernelles. Croyez que je ne romps pas des lances avec vous, mais avec les postures dont vous êtes entiché, et veuillez me pardonnez si je vous ai offensé.

      • Neo-Birt7, je me permets de vous répondre sur le fond, non pas de « Black Athena », affaire que je découvre sur-le-champ grâce à votre réponse, mais de l’élection du triste Trump.

        Il me semble que ce résultat est plutôt le signe d’une grande crispation de l’Amérique blanche, celle des classes pauvres jusqu’à moyennes, qui ne peuvent appartenir à une soit-disant élite intellectuelle qui détient une pseudo-vérité qui les assure dans leur croisade insensé pour le Souverain Bien – l’alliance d’un capitalisme glouton et d’un vernis de l’esprit qui n’est qu’un thuriféraire de toute idée un tant soit peu déviante de la leur au nom d’une ridicule idée fantasque de progrès. Il me semble donc que c’est un sorte de repli allergique vers une « valeur sûre » disons, incarnée par Donald Trump. Il est, à mon sens, le parangon d’une valeur cardinale des États-Unis d’Amérique, celle de la légitimation par l’argent (qui ignore complaisamment les conditions de possibilité d’un tel processus d’enrichissement). Dans ce qui me semble être une sorte de réflexe religieux décrit par Weber dans son ‘Éthique protestante et l’esprit du capitalisme’ (II, 1, pp. 127 sq., trad. Grossein, Gallimard, coll. Tel, 2004), Trump incarne le Vrai et le Bien car il possède les fameux signes de l’élection divine. Et c’est bien la destruction assez méthodique du mythe américain et des valeurs associées qui a conduit à cette état de fait. Comme Mill le dit dans le second paragraphe de l’Asservissement des femmes (Chapitre I, pp. 27 sq., trad. Cachin, Payot, coll. Petite bibliothèque Payot, 2016) : « Une opinion solidement enracinée dans les sentiments gagne plutôt qu’elle perd en fermeté lorsqu’on lui oppose des arguments de poids […] moins elle est défendable dans une discussion, plus ses partisans sont persuadés que leurs sentiments doivent avoir un fondement profond, à l’épreuve de tout argument. »

        Sachez par ailleurs que je ne me suis pas senti offensé par vos propos. Vous, au moins, avez l’avantage d’appuyer sur une littérature solide vos dires, ce qui est trop rarement le cas – y compris bien entendu chez nombre de féministes de tout poil toujours aptes, comme le reste de l’humanité, à raconter n’importe quoi pour arranger sa cause.

  76. Chers amis Pleiadophiles,
    L’esprit collégial devrait dicter le ton de nos interventions sur ce fil de discussion. On peut s’enflammer pour un sujet ( nous sommes tous ici, je crois, amoureux de notre littérature, donc de notre langue ; et plus largement de toutes les littérature, donc de toutes les langues…) sans verser dans le discours agressif.
    Notre collègue Vidar nous a demandé à plusieurs reprises de recentrer le dialogue sur la Pléiade ; le message est assez clair… Cela me rappelle la bataille d’Hernani : du bruit, de la fureur et… Beaucoup de ridicule.

  77. Mon épouse qui travaille en linguistique à l’Université me dit que ce n’est pas le masculin qui l’emporte sur le féminin, comme l’ont malencontreusement énoncé certains grammairiens, mais la forme neutre, et ne comprend pas bien que l’on puisse, du fait d’une formulation faite dans le passé aujourd’hui inacceptable, mais erronée sur le fond, vouloir changer la règle du neutre qui prévaut lorsqu’il y a à la fois élément féminin et masculin, avec tous les inconvénients qui accompagneraient un tel changement.
    C’est un autre problème, mais souvent porté par les mêmes personnes, que celui de la féminisation des noms des fonctions. Mon épouse, encore elle, s’agace lorsqu’on écrit à son propos : professeure, ce qui lui semble vouloir lui signifier qu’elle exerce une fonction différente de celle qu’exercent ses homologues masculins. Dirait-on un sentinel ou un estafet si la fonction est exercée par un homme ? En l’espèce le —mauvais — exemple a été donné par certaines ministres qui devenaient hystériques si l’on disait Madame le ministre (et non, selon elles, Madame la ministre), comme si cela remettait en cause leur féminité.
    Or, si une langue évolue, mon avis est que cette évolution ne peut venir d’en haut : c’est l’usage, le parler de la rue, qui impose les changements, et l’Académie ne peut qu’entériner une situation de fait : un mot nouveau est employé, un mot ancien prend un nouveau sens, etc, (par exemple, et ce n’est pas le pire, même si personnellement je regrette l’expression « au final », je l’entends de toutes parts, elle viendra donc à mon grand dam à être adoubée), et ce n’est pas un petit groupe de personnes qui peut imposer une façon de parler, fusse pour des raisons estimables.

      • Violer la langue n’offre pas la garantie de voir naître de beaux enfants. Estropier un être ne revient pas à créer un être nouveau, mais à fabriquer un monstre. La brutalité du procédé – sous forme de mots d’ordre provenant d’en-haut – ne se voit que sous les tyrannies. Ce n’est pas ainsi que les langues vivent, mais c’est ainsi qu’elles meurent.
        Je resterai férocement opposé à toutes les novlangues.

    • L’ami Vidar sera sans doute intéressé de savoir, non seulement qu’il existe des langues privées de marqueurs morphologiques de genre (je pense notamment au farsi, parler de populations dont la culture est par ailleurs tout sauf évoluée en matières genrées ; les thuriféraires de la graphie inclusive n’ont donc même pas en leur faveur l’illusion de la corrélation entre caractère non stigmatisant envers le féminin de la morphosyntaxe d’une langue et la traduction sociétale de cette particularité en termes de politique sexuelle), mais que, depuis le sumérien, qui réserve un ensemble de particularités phonétiques, syntactiques et lexicales aux seules femmes – j’ai nommé le sumérien, avec son ‘dialecte’ (ou niveau / registre de langue ou sociolecte) l’emesal, ‘dialecte normal’ : emegir, tout un ensemble de langues modernes distingue formellement l’expression féminine de l’expression normale (n’ayant pas compétence sur les épistémologies féministes, je me cantonnerai à une seule etr unique référence, linguistique, pour ces parlers : Manfred Schretter, « Emesal-Studien. Sprach- und literaturgeschichtliche Untersuchungen zur sogenanten Frauensprache des Sumerischen », Innsbruck, 1990, pp. 107-109).

  78. Cher ami Domonkos, je vous envoie moi aussi mes condoléances les plus sincères. Vous ne m’en voudrez pas j’espère d’ajouter que le père de Marguerite a écrit ceci sur le souvenir pieux pour sa défunte femme, que je trouve très beau: «Il ne faut pas pleurer parce que cela n’est plus, il faut sourire parce que cela a été » (Souvenirs pieux, Pléiade p. 742) Permettez-moi d’ajouter cette pensée de Zénon pour votre mère: «Plaise à Celui qui Est peut-être de dilater son cœur à la mesure de toute la vie.» (L’Œuvre au noir, Pléiade, p. 564) Très amicalement à vous.

  79. Je ne sais pas d’où vient aux contemporains cette marotte de l’égalité (ou plutôt je ne le sais que trop). Dans la nature il n’y a que de l’inégalité, et remarquons que le capitalisme débridé qui est notre lot à tous aujourd’hui en est très proche dans sa finalité.

    Les couples avec enfants que je dérange malgré moi le matin sur les boulevards en me rendant à mon travail et que je trouve dormant tant bien que mal dans un renfoncement de mur sur des bouts de carton, personne ne vient leur dire qu’ils sont bel et bien égaux à tous les autres et leur proposer à l’occasion un travail, un logement et des conditions de vie décentes. Jamais le capitaliste n’ira jusque-là, parce qu’il n’est pas fou.

    Moi c’est toute cette hypocrisie dégueulasse qui me rend malade.

    Je crois pouvoir dire, respectueusement, que si la vie me mettait dans l’obligation de suivre votre cours de philosophie, Monsieur Vidar, je crois bien que j’en serais authentiquement malade.

    Sans rancune, mais vous ferez votre révolution langagière sans moi.

    Pour moi d’ailleurs, ou bien vous êtes un grand naïf et croyez sincèrement aux lubies dont vous vous faites le représentant et le défenseur, ou bien vous nous venez d’un de ces innombrables think tank missionnés pour réfléchir à la mise au point de cet homme nouveau que le capitalisme réclame et dont il a besoin (asexué, sans patrie, sans famille, sans passé, sans avenir).

    J’ajoute que je trouve certains de vos propos ci-dessus choquants et relevant assez nettement de ce qu’on appellerait avec raison un racisme à rebours. En vérité tous les racismes se valent, et nous avons déjà, me semble-t-il, suffisamment à faire avec celui que nous connaissons bien, sans aller en inventer un nouveau.

  80. Ahmed Berkani,
    Toujours ce style parfait – quel plaisir – mais votre réaction est excessive par rapport à un Vidar mesuré, qui n’impose rien à personne et qui, c’est le comble, avait prévu le tour désagréable que prendrait cette conversation.
    C’est à désespérer de discuter.

  81. Petite questions aux amateurs/spécialistes des traductions de classiques qui fréquentent ces lieux. Quels sont les qualités et les défauts des deux traductions du Tristram Shandy de Sterne sur lesquelles j’ai pu mettre la main, à savoir, Charles Mauron Robert Laffont/Club français du livre et Guy Jouvet, éd. Tristram ?
    En attendant une édition en Pléiade… (non, j’rigole…)

    • Je ne peux pas me prononcer sur les mérites des traductions de Sterne, ne les ayant pas lues. Mais votre demande me fait penser à Nodier, grand admirateur de Sterne, traducteur de Goldsmith, dont la présence en Pléiade me réjouirais beaucoup.

  82. Retour à La Pléiade…

    J’ai terminé L’Amérique dans la traduction d’André Vialatte avec les nombreuses notes de fin de volume. J’avais demandé un avis éclairé pour me conseiller une bonne traduction de ce roman en particulier et de Kafka en général ; à part une intervention de Domonkos, je n’ai reçu aucun avis éclairé. Puis-je soumettre à nouveau cette question à la sagacité des spécialistes qui ont débattu de Kafka quelques pages plus haut ?

    Sinon, on évoquait les séries commencées mais non terminées : il y a les Brontë dont le troisième volume annoncé au catalogue se fait attendre depuis 2002.

    Enfin, j’ai lu le deuxième volume de Tchékhov. Excellent, comme le premier.

    J’attaque Tallemant des Réaux. Son style est réjouissant.

  83. Voici le copier-coller de la réponse reçue de Gallimard à quelques questions que j’ai posées sur les parutions de la Pléiade :

    Monsieur,

    Nous vous remercions très vivement de votre courrier en date du 7 octobre.

    Aucun projet n’est en cours concernant Hardy, Blixen ou Hugo. Un nouveau volume Verne serait possible, dans un futur lointain, et nous espérons publier un jour un Vicomte de Bragelonne.

    S’agissant de Lobo Antunes, il s’agit du plus grand écrivain portugais vivant. Un projet est à l’étude. Nous réfléchissons également à faire paraître un volume consacré aux Œuvres de D.H. Lawrence.

    Nous verrons dans les années à venir quel jugement peut être porté, à froid, sur l’œuvre romanesque d’Umberto Eco, d’une part, sur son œuvre de chercheur de l’autre.

    Enfin, nous sommes heureux de vous faire savoir qu’il est prévu une édition du Grand Meaulnes avec un choix de lettres et de documents.

    En vous remerciant encore de votre fidélité, nous vous prions de croire, Monsieur, à l’assurance de nos sentiments les meilleurs.

    • Merci pour ces informations. On sait désormais qu’Hugo est abandonné pour toujours sur son rocher, que Hardy restera dispersé en éditions de poche dépareillées et que Blixen se contentera de son Quarto (fort bien).
      Un projet Lawrence n’est pas pour me déplaire, mais je crains que leur projet ne se limite à Femmes amoureuses et L’amant de Lady Chatterley … On ne déplorera pas le manque d’ambition de Gallimard, car la vérité est que Lawrence ne se vend plus guère.
      Alain-Fournier, oui, mais avec toute la correspondance avec Rivière.

      Eco, c’est une plaisanterie ?

    • Hugo : impardonnable (et ne sera pas pardonné)
      Verne : en l’état, ni fait ni à faire
      Hardy : hélas !
      Hugo : scandaleux et impardonnable
      Blixen : Hélas, mais, comme dit Brumes, édité en 2 volumes Quarto, ce qui donne accès à l’essentiel, mais sans appareil critique, hélas derechef
      Lobo Antunes : je ne le trouve pas indispensable, en tous cas moins que des tas d’autres plus urgent
      Eco : répétition du scandale d’Ormesson
      Hugo : insupportable et impardonnable
      Le Vicomte de Bragelonne : si c’est pour faire une édition inutile comme les précédentes Pléiade Dumas, Verne, etc. pas la peine
      Alain-Fournier : bof, ni oui ni non ; en tout état de cause, tel qu’annoncé, sera une édition insuffisante donc de trop
      Hugo : vous trouvez ça pardonnable, vous ? Moi pas !
      DH Lawrence : c’est ce qui m’allèche le plus dans ces annonces ; avec les craintes exprimées par Brumes ; au moins un coffret !
      Hugo : impardonnable et honteux

          • Je ferai chorus : il est insupportable que la Pléiade se contente de réimprimer son Hugo mutilé et archaïque alors que Gallimard considère sérieusement l’ouverture à des figures dont la gloire a quelque peu passé (l’intéressante et onirique, mais désormais fort datée, Blixen, le polygraphe Lawrence, caricature de Flaubert réduit à la gaudriole et à la bougeotte exploratrice) et à des auteurs du troisième rang qui ne sont des valeurs sûres qu’en poche, et encore (le gringalet Alain-Fournier, dont les raisons pour l’immoler à Radiguet ont crû de manière exponentielle avec la publication des nombreux inédits et de la correspondance du second chez Omnibus, l’enflé et plat Eco, plutôt cuistre que sémioticien sérieux et qui est au thriller policier ce que Dan Brown est aux idées religieuses et aux conceptions artistiques ou Jacques Attali à l’histoire politique et événementielle, un succédané pétaradant et vague calculé pour bluffer les ignorants).

          • Hugo ne doit déjà guère se vendre dans l’absolu, alors sa poésie… Il n’y a pas de mystère, si ses livres se vendaient, l’épicerie Chez Gaston élargirait le rayon.
            Pour Eco, le calcul est probablement le même que pour d’Ormesson : le produire et le vendre le plus vite possible, avant que son lectorat ne parte à l’hospice / ne l’oublie.
            Lawrence est inégal, parfois ennuyeux au possible parfois très intuitif et très juste (la perception presque tellurique de ce qu’est le fascisme et l’adhésion au fascisme dans Kangourou par exemple – le tout écrit en 1919 sans même se rendre compte qu’il décrivait un mouvement en gésine).

          • D’un point de vue commercial :

            1/ les œuvres complètes, si elles dépassent un volume, deux grand maximum, ne se vendent plus. Plusieurs raisons peuvent expliquer cela : déclin du « canon », qui s’est vidé de sa substance ; éloignement des classiques pour un grand public plus diplômé qu’avant mais nettement moins littéraire ; diminution du nombre des très grands lecteurs ; perte de sens dans l’acte de la transmission aux générations suivantes (un des mobiles d’achat pouvait être de transmettre à ses enfants – mais encore faut-il qu’il y ait un sens derrière ce qui est transmis) ; déclin de la littérature et du livre comme objet de désir social (plus personne, sinon d’incurables vieillards de province, n’achète des œuvres complètes pour les afficher sans les lire – c’est une rente de moins pour la maison Gallimard). Elles sont loin, les années 60/70, où une classe moyenne élargie avait le sentiment d’accéder à un statut social en s’offrant des œuvres complètes de Zola, Hugo et autres Balzac, que ce soit en Pléiade ou dans des éditions concurrentes. Le livre semi-luxueux n’a plus cet aura, ne suscite plus de désir de distinction. La disparition des tirages pour bibliophiles est d’ailleurs un bon indice de l’évolution des pratiques sociales, même à un niveau supérieur (au moins financièrement) à celui que vise la Pléiade. Paradoxalement, le livre doit désormais s’en sortir avec le secours des seuls lecteurs.

            2/ la Pléiade est elle-même, on l’a déjà amplement expliqué, victime du vieillissement de son lectorat, de son allure « dépassée » (même format depuis 80 ans), de son côté « vieille France » et de la baisse constante de ses ventes. Et même les « bonnes » nouvelles commerciales n’en sont pas. Le volume I des écrits de Jean d’O s’est très bien vendu, parce qu’un public très âgé, fidèle, aisé, lui a fait un triomphe, que ce soit en l’achetant directement ou en se le faisant offrir à Noël par des enfants et petits-enfants soulagés d’avoir enfin une idée de cadeau pour papy et mamy. Pour l’instant le volume II, qui n’a pas eu une grande couverture média, semble bien moins se vendre (ce qui est courant dans l’édition pour un second volume). La plupart de ces clients ponctuels n’iront pas regarder au catalogue pour chercher autre chose.
            En évoquant Tolkien et Eco, Gallimard semble réfléchir au rajeunissement relatif de son public, et viser les quadras et quinquas qui ont « grandi » avec Le Nom de la Rose et le Seigneur des Anneaux. L’éditeur cherche désespérément à « attirer » un public peu littéraire vers un produit qui ne correspond plus à l’époque.

            3/ En proposant ces noms, qui ne sont ni classiques, ni auréolés d’un quelconque avant-gardisme, Gallimard contribue à démontrer que le concept du canon littéraire se vide de son sens, en même temps que se perd le sens de la distinction qui a présidé à son établissement. Si tout se vaut, alors rien ne vaut particulièrement la peine et on fera passer tout autant tel écrivain populaire pour un (pseudo-)classique (exemple récent de Jack London). Le tropisme actuel pour l’extrême-modernité et le domaine étranger contribue d’ailleurs à élargir la collection dans une direction qui n’est pas sanctionnée par le temps, et pourrait se révéler fertile en erreurs d’appréciation. Vargas Llosa, Roth et Lobo Antunes… pourquoi pas Garcia Marquez, Bellow et Saramago ? (cette triade ne serait pas plus absurde, ni moins intéressante, que l’autre). Et tant qu’on y est, Oates, Pynchon, Foster Wallace, Fuentes, etc.
            La contrepartie de cela, c’est que le déferlement de romans récents dans la collection réduit les possibilités d’édition d’auteurs plus anciens, bien qu’ancrés dans le patrimoine français, dans le « canon ».
            Pas de hasard là-dedans, si la maison Gallimard a préféré proposer Roth ou Duras, plutôt que d’achever Vigny et Hugo, c’est qu’elle a pensé très sérieusement y trouver son compte.

            4/ Quant à l’édition des poèmes d’Hugo… Que dire ? Elle se vendrait si mal, probablement, que Gallimard préfère encore y renoncer. D’un point de vue canonique et « muséal », c’est regrettable, mais la collection n’est pas un service public, destiné à proposer le seul canon. Elle se doit d’être rentable et de trouver un public. Parlons clairement ; la poésie d’Hugo a un potentiel commercial à néant ou presque (sauf en poche scolaire, et encore, il faut des professeurs assez fous pour contraindre leurs élèves à lire Hugo, ce qui doit être de moins en moins courant…). Si le seuil de rentabilité d’un Pléiade se situait à 500 exemplaires vendus, nous aurions un espoir ; mais il en faut 10 000 sur dix ans. Et il n’y a pas 10 000 personnes en France pour acheter un énième tome de poésie du vieil Hugo. Il suffit d’observer que les deuxièmes éditions des œuvres de Racine et de La Fontaine, pourtant auteurs incontournables de notre littérature, ont été laissées à l’abandon au milieu du gué. Pour quelle raison ? Tout simplement parce que les volumes des œuvres les plus célèbres de ces deux auteurs (le Théâtre de l’un et les Fables de l’autre) se vendent très mal, comme s’est très mal vendu Corneille, alors pensez donc, les écrits plus « mineurs »…

            Je radote, mais l’assassin de la Pléiade, ce n’est pas le directeur financier de Madrigall, c’est le grand public prétendument cultivé. Et quand la maison Gallimard prend un risque intéressant d’un point de vue littéraire, comme avec de Quincey, elle est sanctionnée. Elle a très bien compris la leçon.

          • Mon sentiment est aussi que les risques éditoriaux de moins en moins volontiers pris par la Pléiade le sont sans grande finesse ni sens approfondi du kairos, le moment favorable. En veut-on des exemples ? Quelle idée folle de commencer l’intégrale Aristote par les Ethiques, la Constitution des Athéniens, la Poétique, la Politique et la Métaphysique, tous traités rébarbatifs à force d’abstraction, alors même que l’admiration des naturalistes, accompagnant la révérence des amateurs d’histoires extraordinaires, revient de nos jours au vaste corpus biologique du Philosophe ? A quelques nuances près, philologues, exégètes et biblistes s’accordent depuis longtemps dans le dédain de la traduction Grosjean du Nouveau Testament ; au lieu de pilonner cette peccadille rase de tout commentaire et aux notices d’une abyssale incompétence pour y substituer une belle version humaniste, Gallimard a préféré lancer des « Premiers écrits chrétiens » savantasses et franchement réfrigérants. Encore et encore, la Pléiade reproduit l’erreur qui saborda les « Orateurs de la révolution française », en donnant plutôt des bréchets que des ailes et des cuisses.

          • Pour parler franc, j’ai eu l’occasion récemment, de rouvrir un Grand Meaulnes et ça m’est tombé des mains, cela m’a paru ridiculement enfantin, sans rien de la magie dont je me souvenais, j’ai rapidement abandonné pour ne pas gâcher complètement mes souvenirs. Pour Blixen, l’émotion est intacte, tant pis se c’est « daté » (ou plutôt, cela ne me dérange pas)? Lawrence ? La sévérité de NéoBirt7 est-elle justifiée ? Sans doute. Ce sont d’ailleurs des reproches qui lui ont toujours été faits. Mais, tout de même, cela ne déparerait pas la Pléiade, encore que je préférerais Lowry. Enfin, Eco, je balance entre Draak (oui, j’ai éprouvé du plaisir à le lire) et NeoBirt7 (quand je lis avec aisance et en ayant l’impression de tout comprendre, un gars qui se dit sémiologue, je dois me méfier : c’est comme si je comprenais tout des écrits d’un mathématicien ou d’un physicien, est-ce bien sérieux ?). Donc, pas Pléiade.

          • Sur Eco : il y a tellement d’auteurs italiens à publier avant lui… mais bon, l’épicerie consulte ses chiffres de vente et doit voir qu’elle ne vendra rien si elle s’éloigne des têtes de gondole.

  84. Draak vous n’êtes pas seul. Moi aussi j’aimerais bien un Eco (et un Buzzati).
    Quant à l’espoir entrevu de la publication du Vicomte de Bragelonne, c’est l’une des meilleures nouvelles de ces derniers temps. 🙂

  85. Cher Brumes,
    Votre analyse économico-sociologique force le respect. Le problème c’est que bon nombre d’auteurs ont vu leurs oeuvres arrêtées bien avant l’acmé de ces phénomènes que vous avez mentionnés. Y avait-il prescience de la part de Gallimard ? Les nouveaux décisionnaires ( incultes ?… ) n’avaient-il cure de finir les cycles des grands auteurs ? Ou bien plus simplement, la novculture, mondialisée, a-t-elle fini par déclarer, comme Apollinaire ( qui aurait mérité pour sa poésie, une édition digne… Bref.) :  » À la fin tu es las de ce monde ancien « .

    • Pour Hugo, on l’a dit un jour, l’arrêt des années 70 n’avait rien à voir avec l’économie, mais avec des querelles éditoriales. Sans elles, l’édition eût été terminée en 1980.
      Mais le fait que l’édition soit désormais abandonnée a en revanche tout à voir avec les raisons que j’ai énoncées. C’est pareil pour les nouvelles éditions Vigny (arrêtée au cours des années 90), Musset (idem), Racine ou La Fontaine.

  86. brumes, le retour du maître des lieux, cela fait plaisir 🙂

    Merci pour l’analyse, fort juste et pertinente.

    Je souhaite mettre un léger bémol sur la responsabilité du « grand public prétendument cultivé » – qui doit en effet prendre sa part.

    Il ne faut pas oublier parmi ceux qui contribuent à faire baisser les ventes de Pléiade – en ne les achetant pas :

    – le grand public non cultivé, qui ne lit pas et qui représente quand-même la majorité silencieuse,

    – les acteurs d’un système d’enseignement qui ne favorise guère l’amour de la langue française, ni celui des auteurs classiques,

    – le « système » (le Grand Capital, modèle suicidaire et paranoïaque) qui oriente les loisirs vers de la consommation de médias à la façon de la restauration rapide, du jeu vidéo, de l’application sur mobile du type Candy Crush et de tous les autres outils d’anéantissement de l’intelligence, du cerveau, du recul, de l’analyse et de la réflexion – la soi-disant civilisation des images, en fait celle du zapping (merci Ahmed Berkani pour votre commentaire réconfortant sur « l’homme nouveau que le capitalisme réclame et dont il a besoin – asexué, sans patrie, sans famille, sans passé, sans avenir »),

    – les imbéciles du marketing et de la publicité qui nous expliquent que le livre électronique constitue un fabuleux gain de place et offre un accès illimité à la culture universelle (la prochaine étape qui consiste à convaincre les masses que « ne pas lire constitue un gain de temps appréciable » est en passe d’être franchie) ; à noter que lesdits imbéciles sont les marionnettes conscientes ou non du capitalisme précité,

    – les crétins qui animent des émissions de télévision, des chaînes youtube et les réseaux sociaux, et qui, depuis plusieurs décennies, tournent tout en dérision et nous assènent la culture du « bref », du tweet en 140 ou 280 caractères, de la brève de comptoir, du sous-titre incrusté dans l’écran (bourré d’immondes fautes d’orthographe que n’importe quel paysan du début du XXe siècle n’aurait pas commise car il était allé jusqu’au certificat d’études) ; lesdits crétins sont, eux, des purs produits des imbéciles précédemment cités…

    J’en oublie certainement beaucoup.

    Au final, les gentils enfants et petits enfants qui offrent un Pléiade au grand-père et qui achètent le d’Ormesson ne sont peut-être pas les plus coupables de la déconfiture de la collection.

    Je veux simplement dire par là que les échanges ici – passionnants parfois, hors-sujet souvent, mais qui ont le mérite d’exister -, ne concernent au final qu’une infime minorité d’un « public soit-disant cultivé » dans lequel je me reconnais mais dans lequel il me semble que nous trouvons également les intervenants de ce blog. Chacun d’entre-nous possède certainement quelques connaissances que les autres n’ont pas – et c’est ce qui rend le débat intéressant -, mais qui pourrait se prétendre « plus » cultivé ?

    J’en profite pour vous remercier à nouveau, brumes, pour cet espace d’échanges, si imparfait et tellement attachant qu’i en est indispensable. 🙂

  87. Avant ou bien avant l’arrivée du « grand capitalisme » satanique et de la « société du spectacle » il y avait pour le moins cent fois moins de personnes qui lisaient ; dans les pays communistes, on lisait, par obligation et les seuls livres qui avaient l’imprimatur du Parti ; dans les usines, les Comités d’Entreprise, aux mains de la CGT, remplissaient les rayons des bibliothèques de Classiques pour instruire le peuple, lesquels n’étaient jamais empruntés (la fiche de prêt en faisant foi, ainsi que les pages non coupées) : le prolétariat, avant-garde de l’humanité préférait lire San Antonio, puis SAS…
    Aujourd’hui les « masses populaires » préfèrent TF1 à la Pléiade, avant-hier les grosses farces, les carnavals, voire les bûchers, les exécutions capitales, de préférence agrémentées de longues tortures, attiraient plus de monde que les pièces de Racine.

    Il est vrai que la lutte quotidienne pour ne pas simplement crever de faim ou de diverses épidémies avant l’âge de cinquante ans (quand on fait partie de la minorité qui a dépassé celui de dix ans), ça occupe et ça n’invite guère à se délecter de la délicate et savante musique des alenxandrins.

    Sans remonter au déluge : à l’école communale que je fréquentais, entre 1955 et 1964, nous étions trente et un élèves dans une classe et j’étais le seul à finir le livre de la semaine imposé par l’instituteur, à lire aussi ceux des camarades, à leur rédiger (gratuitement, ce n’était pas encore la mode de vendre le moindre des services qu’on pouvait rendre) le brouillon de compte-rendu de lecture, qu’ils terminaient comme ils pouvaient ; dans la cité ouvrière on m’appelait « le poète » (c’était à la fois admiratif et méprisant, subit mélange, en tous cas discriminant)… La dernière année de « fin d’études » (celle du fameux sacro-saint Certificat d’Etudes) j’ai pu souffler et passer la main, avec grande satisfaction, parce qu’un « petit nouveau » tout neuf, tout frétillant, était candidat pour prendre ma place (les trois dernières années d’études se déroulaient dans la même classe avec le même instituteur et je connaissais le programme par coeur ; d’ailleurs, cette année-là, ma note de « conduite » était passée de 8 à 3 car je m’ennuyais de façon trop voyante).
    Pourtant aucun famille n’avait la télé, rares ceux qui commençaient à posséder une voiture, encore moins d’ordinateur et de jeu vidéo, bien sûr…

    C’était mieux avant.

    • Ne vous y trompez pas : ma petite sorite n’a pas pour but d’affirmer que tout se qui s’est dit ici ces derniers jours serait un tissu d’inepties, je partage assez largement les avis qui se sont exprimés, sur la Pléiade et sur l’état et l’avenir (?) de la littérature ; je ne veux que faire entendre un autre son de cloche et, si possible, relativiser quelque peu nos lamentations et prophéties de cassandres (auxquelles j’ai suffisamment participé moi-même).

      • Votre classe d’origine était en dehors du périmètre de celle que je visais. C’est précisément quand, dans les années 60-70, une partie des enfants du prolétariat, de l’artisanat et des paysans (dont vous étiez), a pu faire des études, changer de statut, se découvrir une aspiration pour la culture (ou pour la distinction), que la Pléiade s’est particulièrement développée. Je pense que ces conditions tenaient de la « parenthèse enchantée » et qu’elles disparaissent lentement, changeant la face de ce que nous avions appris à aimer.

        • C’est tout à fait exact : « l’âge d’or » de « la culture pour tous » couvre une période allant de la moitié des années 60 à la moitié des années 😯 : il faut bien être conscient que c’est un moment de l’Histoire, très récent et très bref, entre l’ancienne ignorance (qui était une malédiction de classe dominée et écartée du savoir, si on veut) et la nouvelle ignorance (celle qui est organisée et que, oui, on peut mettre au débit d’une certaine forme de « capitalisme » et de la fameuse Société du Spectacle). Le plus paradoxal (par rapport à certaines convictions qui flirtent un peu trop avec le dogmatisme) c’est que cela correspond au moment où purent être cueillis « les fruits des 30 Glorieuses », où les classes populaires ont pu accéder au confort et à la culture grâce à l’élévation du niveau de vie, à une certaine redistribution matérielle et spirituelle, avant le triomphe de la Finance et de l’hédonisme, facilité, porté, aidé (en France, du moins), par ceux dont on attendait autre chose : les Socialistes Mitterandiens.
          Mais, je répète, à mes yeux, l’essentiel, c’est que le moment où on a pu rêver d’une vraie « culture populaire » n’a duré que deux ou trois décennies, c’est une sorte de miracle historique, et je ne crois que, idéaliser le passé ou bien satanisme le seul « capitalisme » (sans tenir compte de la diversité de ses formes), comme s’il devait y avoir un seul « coupable » idéal, ne mène à rien.
          Il y a aussi des causes profondes et même contradictoires,, certaines sociales d’autres individuelles (la paresse intellectuelle et le goût de la facilité sont universellement partagés, même chez les « culturaux ») et, pour ma part, je refuse de victimiser l’homme (ou la femme) du peuple : il a sa part de responsabilité dans ce qui lui arrive. Marre du paternalisme et de la commisération à l’égard des gens du peuple. J’en viens (je pourrais même dire que je ne l’ai jamais complètement quitté) et j’ai toujours pris ça pour une insulte.

          • « de la moitié des années 6O à la moitié des années 😯 » (en comptant large !) : je ne sais pas d’où a surgi cet émoticône à la place de « 80 » ????

          • Les armées de détenteurs et dispensateurs du savoir et de la culture qui ont bourré le crâne des enfants, depuis plusieurs décennies, de l’idée qu’il faut « apprendre en s’amusant » et sans fatigue ni effort, tous ou presque « de gauche », se sont tout de même fait les alliés objectifs (comme ils aimaient à dire) du capitalisme satanique et de la société du spectacle. Quel providentiel renfort ! (Ou bien, quelle hypocrisie, quel double langage : la première génération qui a accédé massivement à la culture et au savoir aurait-elle voulu – très consciemment ou non – garder ce trésor pour elle et en jouir seul ?)
            Vous remarquerez que je n’ai pas prononcé le gros mot : « soixantuitard » ! Hi Hi Hi !

  88. Mon cher Neo-Birt,

    Je ne vous suivrai ni sur Lawrence et ni sur Alain-Fournier, dont j’ai relu avec délices il y a quelques mois le fameux Grand Meaulnes. Vous êtes, à propos de ce livre, du même avis exactement que Gide, qui lui préfère Le bal du comte d’Orgel de Radiguet, mieux réussi, dit-il, comme œuvre d’art. Je suis bien loin d’être de cet avis.

    Je me réjouis quant à moi que Gallimard songe à nous faire un petit volume Alain-Fournier, avec documents et choix de lettres — dont un large choix reviendrait en principe, je l’imagine du moins, à la correspondance échangée avec son « frère », Jacques Rivière.

    Naturellement, je ne vous suis pas non plus sur Virginia Woolf : comment le pourrais-je : elle est mon professeur d’anglais et de littérature anglaise. Quels moments exquis passés très régulièrement depuis quelques années dans son journal ! Quelle femme en tout point admirable !
    Elle était comme vous réticente à lire Lawrence. Mais c’est qu’il avait une réputation qui lui déplaisait, elle n’aimait pas la figure de « prophète » qu’on lui faisait. Elle le lut pourtant juste après sa mort, et changea alors d’avis comme elle nous l’explique dans une petite étude qu’elle lui a consacrée.

    Sur Sterne, je ne saurais trop conseiller de faire l’effort de le lire dans sa langue : il a un style tout à fait particulier auquel on s’attache rapidement. La même chose pour Swift d’ailleurs.

    Ah… j’oubliais. Il y a une remarquable étude de Aldous Huxley sur D.H. Lawrence. J’ai eu un très grand plaisir à la lire récemment. Intellectuellement stimulante (comme toujours avec Huxley).

    Bon week-end à tous.

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