La Bibliothèque de la Pléiade

Version du 30 octobre 2015

Version du 19 février 2016

Version du 29 mars 2016

En décembre 2013, j’écrivis une modeste note consacrée à la politique éditoriale de la célèbre collection de Gallimard, « La Bibliothèque de la Pléiade », dans laquelle je livrais quelques observations plus ou moins judicieuses à ce propos. Petit à petit, par l’effet de mon bon positionnement sur le moteur de recherche Google et du manque certain d’information officielle sur les prochaines publications, rééditions ou réimpressions de la collection, se sont agrégés, dans la section « commentaires » de cette chronique, de nombreux amateurs. Souvent bien informés – mieux que moi – et décidés à partager les informations dont Gallimard est parfois avare, ils ont permis à ce site de proposer une des meilleures sources de renseignement officieuses à ce sujet. Comme le fil de discussions commençait à être aussi dense que long (près de 100 commentaires), et donc difficile à lire pour de nouveaux arrivants, j’ai pensé qu’il pourrait être intéressant, pour les nombreuses personnes qui trouvent mon blog par des requêtes afférentes à la « Pléiade », que toutes les informations soient regroupées sur cette page. Les commentaires y sont ouverts et, à l’exception de ce chapeau introductif, les informations seront mises à jour régulièrement. Les habitués de l’autre note sont invités à me signaler oublis ou erreurs, j’ai mis un certain temps à tout compiler, j’ai pu oublier des choses.

Cette page, fixe, ne basculera pas dans les archives du blog et sera donc accessible en permanence, en un clic, dans les onglets situés en dessous du titre du site.

Je tiens à signaler que ce site est indépendant, que je n’ai aucun contact particulier avec Gallimard et que les informations ici reprises n’ont qu’un caractère officieux et hypothétique (avec divers degrés de certitude, ou d’incertitude, selon les volumes envisagés). Cela ne signifie pas que l’information soit farfelue : l’équipe de la Pléiade répond aux lettres qu’on lui adresse ; elle diffuse aussi au compte-gouttes des informations dans les médias ou sur les salons. D’autre part, certains augures spécialistes dans la lecture des curriculums vitae des universitaires y trouvent parfois d’intéressantes perspectives sur une publication à venir. Le principe de cette page est précisément de réunir toutes ces informations éparses en un seul endroit.

J’y inclus aussi quelques éléments sur le patrimoine de la collection (les volumes « épuisés » ou « indisponibles ») et, à la mesure de mes possibilités, sur l’état des stocks en magasin (c’est vraiment la section pour laquelle je vous demanderai la plus grande bienveillance, je le fais à titre expérimental : je me repose sur l’analyse des stocks des libraires indépendants et sur mes propres observations). Il faut savoir que Gallimard édite un volume en une fois, écoule son stock, puis réimprime. D’où l’effet de yo-yo, parfois, des stocks, à mesure que l’éditeur réimprime (ou ne réimprime pas) certains volumes. Les tirages s’épuisent parfois en huit ou dix ans, parfois en trente ou quarante (et ce sont ces volumes, du fait de leur insuccès, qui deviennent longuement « indisponibles » et même, en dernière instance, « épuisés »).

Cette note se divise en plusieurs sections, de manière à permettre à chacun de se repérer plus vite (hélas, WordPress, un peu rudimentaire, ne me permet pas de faire en sorte que vous puissiez basculer en un clic de ce sommaire vers les contenus qu’ils annoncent) :

I. Le programme à venir dans les prochains mois

II. Les publications possibles ou attendues ; les séries en cours

III. Les volumes « épuisés »

IV. Les rééditions

V. Les volumes « indisponibles provisoirement »

VI. Les volumes « en voie d’indisponibilité »

Cette page réunit donc des informations sur le programme et le patrimoine de la collection.

Les mises à jour correspondent à un code couleur, indiqué en ouverture de note (ce qui évite à l’habitué de devoir tout relire pour trouver mes quelques amendements). La prochaine mise à jour aura lieu dans quelques temps, lorsque le besoin s’en fera sentir.

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I. Le programme à venir dans les prochains mois

Le programme du premier semestre 2016 est officiellement connu et publié sur le site officiel.

->Henry James : Un Portrait de femme et autres romans. Après la publication des Nouvelles complètes, Gallimard décide donc de proposer plusieurs romans de l’épais corpus jamesien. Le volume comprend quatre romans : Roderick Hudson (1876), Les Européens (1878), Washington Square (1880) et Portrait de femme (1881). La perspective de publication semble à la fois chronologique et thématique. Elle n’est pas intégrale puisque sont exclus trois romans contemporains du même auteur : Le Regard aux aguets (1871), L’Américain (1877) et Confiance (1879). En cas de succès, il paraît probable que ce volume soit néanmoins suivi d’un ou deux autres, couvrant la période 1886-1905.

On peut imaginer que le(s) volume(s) à venir comprendra/comprendront Les Bostoniennes, Ce que savait Maisie, Les Ambassadeurs, Les Ailes de la Colombe ou La Coupe d’Or, mais comme certains de ces ouvrages ont été retraduits, fort récemment, par Jean Pavans, il est difficile d’établir avec certitude ce que fera la maison Gallimard du reste de l’œuvre. La solution la plus cohérente serait de publier deux autres tomes (voire trois…).

->Mario Vargas Llosa : Œuvres romanesques I et II. M. Vargas Llosa a beaucoup publié, souvent d’épais romans (ou mémoires – comme le très recommandable Le Poisson dans l’eau). La Pléiade ne proposera qu’une sélection de huit romans parmi la vingtaine du corpus. Le premier tome couvre la période 1963-1977 et comprend La Ville et les chiens (1963), La Maison verte (1965), Conversation à La Cathedral » (1969) et La Tante Julia et le scribouillard (1977). Le deuxième tome s’étend de 1981 à 2006 et a retenu La Guerre de la fin du monde (1981), La Fête au bouc (2000), Le Paradis un peu plus loin (2003) et Tours et détours de la vilaine fille (2006).

Il faut noter l’absence des Chiots, de l’Histoire de Mayta et de Lituma dans les Andes, ainsi que des derniers romans parus. De ce que je comprends de l’entretien donné par M. Vargas Llosa au Magazine Littéraire (février 2016), cette sélection a été faite voici dix ans. Cela peut expliquer quelques lacunes. Entre autres choses, le Nobel 2010 de littérature dit aussi que, pour lui, féru de littérature française et amateur de la Bibliothèque de la Pléiade depuis les années 50, il fut plus émouvant de savoir qu’il entrerait dans cette collection que de se voir décerner le Nobel de littérature. Il faut dire qu’à la Pléiade, pour une fois, il précède son vieux rival Garcia Marquez – dont les droits sont au Seuil.

-> en coffret, les deux volumes des Œuvres complètes de Jorge Luis Borges, déjà disponibles à l’unité.

-> Jules Verne (III)Voyage au centre de la terre et autres romans. L’œuvre de Verne a fait l’objet de deux volumes en 2012 ; un troisième viendra donc les rejoindre, signe que cette publication, un peu contestée pourtant, a eu du succès. Quatre romans figurent dans ce tome : Voyage au centre de la terre (1864) ; De la terre à la lune (1865) ; Autour de la lune (1870) et, plus étonnant, Le Testament d’un excentrique (1899), un des derniers romans de l’auteur – où figure en principe une sorte de jeu de l’oie, avec pour thème les États-Unis d’Amérique (qui ne sera peut-être pas reproduit).

Un quatrième tome est-il envisagé ? Je ne sais.

-> Shakespeare, Comédies II et III (Œuvres complètes VI et VII). Gallimard continue la publication des œuvres complètes du Barde en cette année du quatre centième anniversaire de sa mort. L’Album de la Pléiade lui sera également consacré. C’est une parution logique et que nous avions, ici même, largement anticipée (ce « nous » n’est pas un nous de majesté, mais une marque de reconnaissance envers les commentateurs réguliers ou irréguliers de cette page, qui proposent librement leurs informations ou réflexions à propos de la Pléiade).

Le tome II des Comédies (VI) comprend Les Joyeuses épouses de Windsor, Beaucoup de bruit pour rien, Comme il vous plaira, La Nuit des rois, Mesure pour mesure, et Tout est bien qui finit bien.

Le tome III des Comédies (VII) comprend Troïlus et Cressida, Périclès, Cymbeline, Le Conte d’hiver, La Tempête et Les Deux Nobles Cousins.

J’ai annoncé un temps que les poèmes de Shakespeare seraient joints au volume VII des Œuvres complètes, ce ne sera pas le cas. Ils feront l’objet d’un tome VIII, à venir. Ce corpus de poésies étant restreint (moins de 300 pages, ce me semble, dans l’édition des années 50, déjà enrichie de divers essais et textes sur l’œuvre), il est probable qu’il sera accompagné d’un vaste dossier documentaire, comme Gallimard l’a fait pour les rééditions Rimbaud et Lautréamont, ou pour la parution du volume consacré à François Villon.

Le programme du second semestre 2016 a filtré ici ou là, via des « agents » commerciaux ou des vendeurs de Gallimard. Nous pouvons l’annoncer ici avec une relative certitude.

-> Après Sade et Cervantès, le tirage spécial sera consacré à André Malraux, mort voici quarante ans. Il reprendra La Condition humaine, et, probablement les romans essentiels de l’écrivain (L’Espoir, La Voie royale, Les Conquérants). Ces livres sont dispersés actuellement dans les deux premiers des six volumes consacrés à Malraux.

Je reste, à titre personnel, toujours aussi dubitatif à l’égard de cette sous-collection.

–> Premiers Écrits chrétiens, dont le maître d’œuvre est Bernard Pouderon ; selon le site même de la Pléiade, récemment et discrètement mis à jour, le contenu du volume sera composé des textes de divers apologistes chrétiens, d’expression grecque ou latine : Hermas, Clément de Rome, Athénagore d’Athènes, Méliton de Sardes, Irénée de Lyon, Tertullien, etc. Ce volume  n’intéressera peut-être que modérément les plus littéraires d’entre nous ; il pérennise toutefois la démarche éditoriale savante poursuivie avec les Premiers écrits intertestamentaires ou les Écrits gnostiques.

Pour l’anecdote, Tertullien seul figurait déjà à la Pléiade italienne, dans un épais et coûteux volume ; ici, il n’y aura bien évidemment qu’une sélection de ses œuvres.

–> Certains projets sont longuement mûris, parfois reportés, et souvent attendus des années durant par le public de la collection. D’autres, inattendus surprennent ; à peine annoncés, les voici déjà publiés. C’est le cas, nous nous en sommes faits l’écho ici-même, de Jack London. Dès cet automne, deux volumes regrouperont les principaux de ses romans, dont, selon toute probabilité Croc-blanc, L’Appel de la forêt et Martin Eden. Le programme précis des deux tomes n’est pas encore connu.

L’entrée à la Pléiade de l’écrivain américain a suscité un petit débat entre amateurs de la collection, pas toujours convaincus de la pertinence de cette parution, alors que deux belles intégrales existent déjà, chez Robert Laffont (coll. Bouquins) et Omnibus.

-> enfin, s’achèvera un très long projet, la parution des œuvres de William Faulkner, entamée en 1977, et achevée près de quarante ans plus tard. Avec la parution des Œuvres romanesques V, l’essentiel de l’œuvre de Faulkner sera disponible à la Pléiade. Ce volume contiendra probablement La Ville, Le Domaine, Les Larrons ainsi que quelques nouvelles.

Comme souvent, la Pléiade fait attendre très longtemps son public ; mais enfin, elle est au rendez-vous, c’est bien là l’essentiel.

Cette année 2016 est assez spéciale dans l’histoire de la Pléiade, car neuf volumes sur dix sont des traductions, ce qui est un record ; l’album est également consacré à un écrivain étranger, ce qui n’est pas souvent arrivé (Dostoïevski en 1975, Carroll en 1990, Faulkner en 1995, Wilde en 1996, Borges en 1999, les Mille-et-une-nuits en 2005).

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Le domaine français fera néanmoins son retour en force en 2017, avec la parution (selon des sources bien informées) de :

-> Perec, Œuvres I et II. Georges Perec ferait également l’objet de l’Album de la Pléiade. Voici quelques années déjà que l’on parle de cette parution. Des citations de Georges Perec ont paru dans les derniers agendas, M. Pradier m’avait personnellement confirmé en 2012 que les volumes étaient en cours d’élaboration pour 2013/14 ; il est donc grand temps qu’ils paraissent.

Que contiendront-ils ? L’essentiel de l’œuvre romanesque, selon toute vraisemblance (La Disparition, La vie, mode d’emploi, Les Choses, W ou le souvenir d’enfance, etc.). Le Condottiere, ce roman retrouvé par hasard récemment y sera-t-il ? Je ne le sais pas, mais c’est possible (et c’est peut-être même la raison du retard de parution).

-> Tournier, Œuvres (I et II ?). Michel Tournier l’avait confirmé lui-même ici ou là, ses œuvres devaient paraître d’ici la fin de la décennie à la Pléiade. Sa mort récente peut avoir « accéléré » le processus ; preuve en est que Pierre Assouline, très au fait de la politique de la maison Gallimard, a évoqué, sur son site et dans son hommage à l’auteur, la parution pour 2016 de ces deux volumes. Il s’est peut-être un peu trop avancé, mais selon nos informations, un volume (au moins) paraîtrait au premier semestre 2017 (ou bien les deux ? rien n’est certain à cet égard), ce qu’Antoine Gallimard a confirmé au salon du livre.

-> Quand on aime la Pléiade, il faut être patient. Après dix-sept ans d’attente, depuis la parution du premier volume, devrait enfin sortir des presses le tome Nietzsche II. Cette série a été ralentie par les diverses turpitudes connues par les éditeurs du volume. La direction de ce tome, et du suivant, est assurée par Marc de Launay et Dorian Astor.

Cela fait quatre ou cinq tomes, soit l’essentiel du premier semestre. D’autres volumes sont attendus, mais sans certitude, pour un avenir proche, peut-être au second semestre 2016 :

-> Flaubert IV : la série est en cours (voir plus bas), le volume aurait été rendu à l’éditeur. On évoquait ici-même sa parution pour 2015.

-> Nimier, Œuvres. Je n’oublie pas que l’Agenda 2014 arborait une citation de Nimier, ce qui indique une parution prochaine.

-> Beauvoir, Œuvres autobiographiques. Ce projet se confirme d’année en année : annoncé par les représentants Gallimard vers 2013-2014, il est attesté par la multiplication des mentions de Simone de Beauvoir dans l’agenda 2016 (cinq, dans « La vie littéraire voici quarante ans », qui ouvre le volume). Gallimard est coutumier du fait : il communique par discrètes mentions d’auteurs inédits, dans les agendas, que les pléiadologues décryptent comme, jadis, les kremlinologues analysaient le positionnement des hiérarques soviétiques lors des défilés du 1er mai.

-> Leibniz : un volume d’Œuvres littéraires et philosophiques s’est vu attribuer un numéro d’ISBN (cf. sur Amazon). C’est un projet qui avait été évoqué dans les années 80, mais plus rien n’avait filtré le concernant depuis. Je n’ai (toujours) pas trouvé de mention de ce volume dans des CV d’universitaires. Comme pour Nietzsche II, je tiens cette sortie pour possible (ISBN oblige) mais encore incertaine. Cependant, le site Amazon indique une parution au 1er mars… 1997 : n’est-ce pas là, tout simplement, un vieux projet avorté, et dont l’ISBN n’a jamais été annulé ? À bien y réfléchir, l’abandon est tout à fait plausible.

-> D’autres séries sont en cours et pourraient être complétées : Brontë III, Stevenson III, Nabokov III, la Correspondance de Balzac III. D’autres séries, en panne, ne seront pas plus complétées en 2016 que les années précédentes (cf. plus bas) : Vigny III, Luther II, la Poésie d’Hugo IV et V, les Œuvres diverses III de Balzac, etc.

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II. Les publications possibles ou attendues ; les séries en cours

a) Nouveaux projets et rééditions

Les volumes que je vais évoquer ont été annoncés ici ou là, par Gallimard. Si dix nouveaux volumes de la Pléiade paraissent chaque année, vous le constaterez, la masse des projets envisagés énumérés ci-dessous nous mène bien au-delà de 2020.

–> un choix de Correspondance de Sade ;

–> les œuvres romanesques de Philip Roth, en deux volumes ; une mention de Roth, dans l’agenda 2016, atteste que ce projet est en cours.

–> l’Anthologie de la poésie américaine ; les traducteurs y travaillent depuis un moment ;

–> une nouvelle édition des œuvres de Descartes et de la Poésie d’Apollinaire (direction Étienne-Alain Hubert) ; Jean-Pierre Lefebvre travaille en ce moment sur une retraduction des œuvres de Kafka, une nouvelle édition est donc à prévoir (les deux premiers tomes seulement ? les quatre ?) ; une nouvelle version de L’Histoire de la Révolution française, de Jules Michelet est en cours d’élaboration également ;

–> Une autre réédition qui pourrait bien être en cours, c’est celle des œuvres de Paul Valéry, qui entreront l’an prochain dans le domaine public ; certains indices dans le Paul Valéry : une Vie, de Benoît Peeters, récemment paru en poche, peuvent nous en alerter ; la réédition des Cahiers, autrefois épuisés, n’est certes pas un « bon » signe (cela signifie que Gallimard ne republiera pas de version amendée d’ici peu – ce qui ne serait pourtant pas un luxe, l’édition étant ancienne, partielle et, admettons-le, peu accessible) ; en revanche, les Œuvres pourraient faire l’objet d’une révision, comme l’ont été récemment les romans de Bernanos ou les pièces et poèmes de Péguy. La publication de la Correspondance de Valéry pourrait être une excellente idée, d’un intérêt certain – mais c’est là seulement l’opinion du Lecteur (Valéry y est plus vif, moins sanglé que dans ses œuvres).

–> Tennessee Williams, probablement dirigée par Jean-Michel Déprats ; une mention discrète dans l’agenda 2016 tend à confirmer cette parution à venir ;

–> Blaise Cendrars, un troisième volume, consacré à ses romans (les deux premiers couvraient les écrits autobiographiques) ; selon le CV de Mme Le Quellec, collaboratrice de cette édition, ce volume paraîtrait en 2017 ;

–> George Sand : une édition des œuvres romanesques serait en cours ; l’équipe est constituée.

–> De même, Michel Onfray a évoqué par le passé, dans un entretien, l’éventuelle entrée d’Yves Bonnefoy à la Pléiade. Ce projet est littérairement crédible, d’autant plus que l’Agenda 2016 cite plusieurs fois Bonnefoy. Je suppose qu’il s’agira d’Œuvres poétiques complètes, ne comprenant pas les nombreux ouvrages de critique littéraire. Quelque aventureux correspondant a posé franchement la question auprès de Gallimard, qui lui a répondu que Bonnefoy était bien en projet.

-> Il faut également s’attendre à l’entrée à la Pléiade du médiéviste Georges Duby. Une information avait filtré en ce sens dans un numéro du magazine L’Histoire ; cette évocation dans l’agenda, redoublée, atteste de l’existence d’un tel projet. J’imagine plutôt cette parution en un tome (ou en deux), comprenant plusieurs livres parmi Seigneurs et paysans, La société chevaleresque, Les Trois ordres, Le Dimanche de Bouvines, Guillaume le Maréchal, et Mâle Moyen Âge.

-> Le grand succès connu par le volume consacré à Jean d’Ormesson (14 000 exemplaires vendus en quelques mois) donne à Gallimard une forme de légitimité pour concevoir un second volume ; les travaux du premier ayant été excessivement vite (un ou deux ans), il est possible de voir l’éditeur publier ce deuxième tome dès 2017…

-> Jean-Yves Tadié a expliqué, en 2010, dans le Magazine littéraire, qu’il s’occupait d’une édition de la Correspondance de Proust en deux tomes. Cette perspective me paraît crédible et point trop ancienne. À confirmer.

–> Textes théâtraux du moyen âge ; en deux volumes, j’en parle plus bas, c’est une vraie possibilité, remplaçant Jeux et Sapience, actuellement « indisponible ». La nouvelle édition, intitulée Théâtre français du Moyen Âge est dirigée par J.-P.Bordier.

–> Soseki ; le public français connaît finalement assez mal ce grand écrivain japonais ; pourtant sa parution en Pléiade, une édition dirigée par Alain Rocher, est très possible. Elle prendra deux volumes, et les traductions semblent avoir été rendues.

–> Si son vieux rival Mario Vargas Llosa vient d’avoir les honneurs de la collection, cela ne signifie pas que Gabriel Garcia Marquez soit voué à en rester exclu. Dans un proche avenir, la Pléiade pourrait publier une sélection des principaux romans de l’écrivain colombien.

–>Enfin, et c’est peut-être le scoop de cette mise à jour, selon nos informations, officieuses bien entendu, il semblerait que les Éditions de Minuit et Gallimard aient trouvé un accord pour la parution de l’œuvre de Samuel Beckett à la Pléiade, un projet caressé depuis longtemps par Antoine Gallimard. Romans, pièces, contes, nouvelles, en français ou en anglais, il y a là matière pour deux tomes (ou plus ?). Il nous faut désormais attendre de nouvelles informations.

Cette première liste est donc composée de volumes dont la parution est possible à brève échéance (d’ici 2019).

Je la complète de diverses informations qui ont circulé depuis trente ans sur les projets en cours de la Pléiade : les « impossibles » (abandonnés), les « improbables » (suspendus ou jamais mis en route), « les possibles » (projet sérieusement évoqué, encore récemment, mais sans attestation dans l’Agenda et sans équipe de réalisation identifiée avec certitude).

A/ Les (presque) impossibles

-> Textes philosophiques indiens fondamentaux ; une édition naguère possible (le champ indien a été plutôt enrichi en 20 ans, avec le Ramayana et le Théâtre de l’Inde Ancienne), mais plutôt risquée commercialement et donc de plus en plus incertaine dans le contexte actuel. Zéro information récente à son sujet.

–> Xénophon ; cette parution était très sérieusement envisagée à l’époque du prédécesseur de M. Pradier, arrivé à la direction de la Pléiade en 1996 ; elle a été au mieux suspendue, au pire abandonnée.

–> Écrits Juifs (textes des Kabbalistes de Castille) ; très improbable en l’état économique de la collection.

–> Mystiques médiévaux ; aucune information depuis longtemps.

–> Maître Eckhart ; la Pléiade doit avoir renoncé, d’autant plus que j’ai noté la parution, au Seuil, cet automne 2015, d’un fort volume de 900 pages consacré aux sermons, traités et poèmes de Maître Eckhart ; projet abandonné.

–> Joanot Martorell ; le travail accompli sur Martorell a été basculé en « Quarto », un des premiers de la collection ; la Pléiade ne le publiera pas, projet abandonné.

–> Chaucer ; projet abandonné de l’aveu de son maître d’œuvre (le travail réalisé par les traducteurs a pu heureusement être publié, il est disponible via l’édition Bouquins, parue en 2010).

-> Vies et romans d’Alexandre est un volume qui a été évoqué depuis vingt-cinq ans, sans résultat tangible à ce jour. Jean-Louis Bacqué-Grammont et Georges Bohas étaient supposés en être les maîtres d’œuvre. Une mention récente dans Parole de l’orient (2012) laisse à penser que le projet a été abandonné. En effet, une partie des traductions a paru en 2009 dans une édition universitaire et l’auteur de l’article explique que ce « recueil était originellement prévu pour un ouvrage collectif devant paraître dans la Pléiade ». C’est mauvais signe.

Ces huit volumes me paraissent abandonnés.

B/ Les improbables

–> Aimé Césaire, Léon Gontran Damas et Léopold Sedar Senghor ; ce tome était attendu pour 2011 ou 2012, le projet semble mettre un peu plus de temps que prévu. Selon quelques informations recueillies depuis, il semble que, malgré l’effet d’annonce, la réalisation ce volume n’a jamais été vraiment lancée.

–> Saikaku ; quelques informations venues du traducteur, M. Struve, informations vieilles maintenant de dix ans ; notre aruspice de CV, Geo, est pessimiste, du fait du changement opéré dans l’équipe de traduction en cours de route.

–> Carpentier ; cela commence à faire longtemps que ce projet est en cours, trop longtemps (plus de quinze ans que Gallimard l’a évoqué pour la première fois). Carpentier est désormais un peu oublié (à tort). Ce projet ne verra probablement pas le jour.

–> Barrès ; peu probable, rien ne l’a confirmé ces derniers temps…

–> la perspective de la parution d’un volume consacré à Hugo von Hofmannsthal avait été évoquée dans les années 90 (par Jacques Le Rider dans la préface d’un Folio). La Pochothèque et l’Arche se sont occupés de republier l’écrivain autrichien. Cette parution me paraît abandonnée.

–> En 2001, Mme Naudet s’est chargée du catalogage des œuvres de Pierre Guyotat en vue d’une possible parution à la Pléiade. Je ne pense pas que cette réflexion, déjà ancienne, ait dépassé le stade de la réflexion. Gallimard a visiblement préféré le sémillant d’Ormesson au ténébreux Guyotat.

-> Voici quelques années, M. Pradier, le directeur de la collection avait évoqué diverses possibilités pour la Pléiade : Pétrarque, Leopardi et Chandler. Ce n’étaient là que pistes de réflexions, il n’y a probablement pas eu de suite. Un volume Pétrarque serait parfaitement adapté à l’image de la collection et son œuvre y serait à sa place. Je ne sais pas si la perspective a été creusée. Boccace manque aussi, d’ailleurs. Pour Leopardi, le fait qu’Allia n’ait pas réussi à écouler le Zibaldone et la Correspondance (bradée à 25€ désormais) m’inspirent de grands doutes. Le projet serait légitime, mais je suis pessimiste – ce qui est logique en parlant de l’infortuné poète bossu. Enfin, Chandler a fait l’objet depuis d’un Quarto, et même s’il est publié aux Meridiani (pléiades italiens), je ne crois pas à sa parution en Pléiade.

Ces neuf volumes me paraissent incertains. Abandon possible (ou piste de réflexion pas suivie).

C/ Les plausibles

–> Nathaniel Hawthorne ; à la fois légitime (du fait de l’importance de l’auteur), possible (du fait du tropisme américain de la Pléiade depuis quelques années) et annoncé par quelques indiscrétions ici ou là. On m’a indiqué, parmi l’équipe du volume, les possibles participations de M. Soupel et de Mme Descargues.

-> Le projet de parution d’Antonin Artaud à la Pléiade a été suspendu au début des années 2000, du fait des désaccords survenus entre la responsable du projet éditorial et les ayants-droits de l’écrivain ; il devrait entrer dans le domaine public au 1er janvier 2019 et certains agendas ont cité Artaud par le passé ; un projet pourrait bien être en cours, sinon d’élaboration, tout du moins de réflexion.

–> Romain Gary, en deux tomes, d’ici la fin de la décennie.

–> Kierkegaard ; deux volumes, traduits par Régis Boyer, maître ès-Scandinavie ; on n’en sait pas beaucoup plus et ce projet est annoncé depuis très longtemps.

–> Jean Potocki ; la découverte d’un second manuscrit a encore ralenti le serpent de mer (un des projets les plus anciens de la Pléiade à n’avoir jamais vu le jour).

–> Thomas Mann ; il faudrait de nouvelles traductions, et les droits ne sont pas chez Gallimard (pas tous en tout cas) ; Gallimard attend que Mann tombe dans le domaine public (une dizaine d’années encore…), selon la lettre que l’équipe de la Pléiade a adressé à un des lecteurs du site.

–> Le dit du Genji, informations contradictoires. Une nouvelle traduction serait en route.

–> Robbe-Grillet : selon l’un de nos informateurs, le projet serait au stade de la réflexion.

–> Huysmans : Michel Houellebecq l’a évoqué dans une scène son dernier roman, Soumission ; le quotidien Le Monde a confirmé que l’écrivain avait été sondé pour une préface aux œuvres (en un volume ?) de J.K.Huysmans, un des grands absents du catalogue. Le projet serait donc en réflexion.

–> Ovide : une nouvelle traduction serait prévue pour les années à venir, en vue d’une édition à la Pléiade.

–> « Tigrane », un de nos informateurs, a fait état d’une possible parution de John Steinbeck à la Pléiade. Information récente et à confirmer un jour.

–> Calvino, on sait que la veuve de l’écrivain a quitté le Seuil pour Gallimard en partie pour un volume Pléiade. Édition possible mais lointaine.

–> Lagerlöf, la Pléiade n’a pas fermé la porte, et un groupe de traducteurs a été réuni pour reprendre ses œuvres. Édition possible mais lointaine.

Enfin, j’avais exploré les annonces du catalogue 1989, riche en projets, donc beaucoup ont vu le jour. Suivent ceux qui n’ont pas encore vu le jour (et qui ne le verront peut-être jamais) – reprise d’un de mes commentaires de la note de décembre 2013.

– Akutagawa, Œuvres, 1 volume (le projet a été abandonné, vous en trouverez des « chutes » ici ou là)
Anthologie des poètes du XVIIe siècle, 1 volume (je suppose que le projet a été fondu et  dans la réfection de l’Anthologie générale de la poésie française ; abandonné)
Cabinet des Fées, 2 volumes (mes recherches internet, qui datent un peu, m’avaient laissé supposer un abandon complet du projet)
– Chénier, 1 volume, nouvelle édition (abandonné, l’ancienne édition est difficile à trouver à des tarifs acceptables – voir plus bas)
Écrits de la Mésopotamie Ancienne, 2 volumes (probablement abandonné, et publié en volumes NRF « Bibliothèque des histoires » – courants et néanmoins coûteux, dans les années 90)
– Kierkegaard, Œuvres littéraires et philosophiques complètes, 3 volumes (serpent de mer n°1)
– Laforgue, Œuvres poétiques complètes, 1 volume (abandonné, désaccord avec le directeur de l’ouvrage, le projet a été repris, en 2 coûteux volumes, par L’Âge d’Homme)
– Leibniz, Œuvres, 3 volumes : un ISBN attribué à un volume Leibniz a récemment été découvert. Les possibilités d’édition de Leibniz dans la Pléiade, avec une envergure moindre, sont donc remontées.
– Montherlant, Essais, Volume II (voir plus bas)
Moralistes français du XVIIIe siècle, 2 volumes (aucune information récente, abandonné)
Orateurs de la Révolution Française, volume II (mis en pause à la mort de François Furet… en 1997 ! et donc abandonné)
– Potocki, Manuscrit trouvé à Saragosse, 1 volume (serpent de mer n°1 bis)
– Chunglin Hsü, Roman de l’investiture des Dieux, 2 volumes (pas de nouvelles, le dernier roman chinois paru à la Pléiade, c’était Wu Cheng’en en 1991, je penche pour l’abandon du projet)
– Saïkaku, Œuvres, 2 volumes (cas exploré plus haut)
– Sôseki, Œuvres, 2 volumes (cas exploré plus haut)
– Tagore, Œuvres, 2 volumes (le projet a été officiellement abandonné)
Théâtre Kabuki, 1 volume (très incertain, aucune information à ce sujet)
Traités sanskrits du politique et de l’érotique (Arthasoutra et Kamasoutra), 1 volume (idem)
– Xénophon, Œuvres, 1 volume (évoqué plus haut)

b) Les séries en cours :

Attention, je n’aborde ici que les séries inédites. J’évoque un peu plus bas, dans la section IV-b, le cas des séries en cours de réédition, soit exhaustivement : Racine, La Fontaine, Vigny, Balzac, Musset, Marivaux, Claudel, Shakespeare et Flaubert.

Aragon : l’éventualité de la publication un huitième volume d’œuvres, consacré aux écrits autobiographiques, a pu être discutée ; elle est actuellement, selon toute probabilité, au stade de l’hypothèse.

Aristote : le premier tome est sorti en novembre 2014, sans mention visuelle d’un quelconque « Tome I ». Le catalogue parle pourtant d’un « tome I », mais il a déjà presque un an, l’éditeur a pu changer d’orientation depuis. La suite de cette série me paraît conditionnelle et dépendante du succès commercial du premier volume. Néanmoins, les maîtres d’œuvre évoquent, avec certitude, la parution à venir des tomes II et III et l’on sait désormais que Gallimard ne souhaite plus numéroter ses séries qu’avec parcimonie. Il ne faut pas être pessimiste en la matière, mais prudent. En effet, la Pléiade a parfois réceptionné les travaux achevés d’éditeurs pour ne jamais les publier (cas Luther, voir quelques lignes plus bas).

Brecht : l’hypothèse d’une publication du Théâtre et de la Poésie, née d’annonces vieilles de 25 ans, est parfaitement hasardeuse. La mode littéraire brechtienne a passé et l’éditeur se contentera probablement d’un volume bizarre d’Écrits sur le théâtre. Dommage qu’un des principaux auteurs allemands du XXe siècle soit ainsi mutilé.

Brontë :  Premier volume en 2002, deuxième en 2008, il en reste un, Shirley-Villette. Il n’y a pas beaucoup d’information à ce sujet, mais le délai depuis le tome 2 est normal, il n’y a pas d’inquiétude à avoir pour le moment. La traduction de Villette serait achevée.

Calvin : L’Institution de la religion chrétienne est absent du tome d’Œuvres. Aucun deuxième volume ne semble pourtant prévu.

Cendrars : voir plus haut, un volume de Romans serait en cours de préparation.

Écrits intertestamentaires : un second volume, dirigé par Marc Philonenko, serait en chantier, et quelques traductions déjà achevées.

Giraudoux : volume d’Essais annoncé au début des années 90. Selon Jacques Body, maître d’œuvre des trois volumes, et que j’ai personnellement contacté, ce quatrième tome n’est absolument pas en préparation. Projet abandonné.

Gorki : même situation que Brecht et Faulkner, réduction de voilure du projet depuis son lancement. Suite improbable.

Green : je l’évoque plus bas, dans les sections consacrées aux volumes « indisponibles » et aux volumes en voie d’indisponibilité. Les perspectives de survie de l’œuvre dans la collection sont plutôt basses. Aucun tome IX et final ne devrait voir le jour.

Hugo : Œuvres poétiques, IV et V, « en préparation » depuis 40 ans (depuis la mort de Gaëtan Picon). Les œuvres de Victor Hugo auraient besoin d’une sérieuse réédition, la poésie est bloquée depuis qu’un désaccord est survenu avec les maîtres d’ouvrage de l’époque. Il est fort improbable que ce front bouge dans les prochaines années, mais Gallimard maintient les « préparer » à chaque édition de son catalogue. À noter que le 2e tome du Théâtre complet, longtemps indisponible, est à nouveau dans les librairies.

Luther : Le tome publié porte le chiffre romain I. Une suite est censée être en préparation mais l’insuccès commercial de ce volume (la France n’est pas un pays de Luthériens) a fortement hypothéqué le second volume. Personne n’en parle plus, ni les lecteurs, ni Gallimard. Suite improbable. D’autant plus que M. Arnold, le maître d’œuvre explique sur son CV avoir rendu le Tome II… en 2004 ! Ces dix années entre la réception du tapuscrit et la publication indiquent que Gallimard a certainement renoncé. Projet abandonné.

Marx : Les Œuvres complètes se sont arrêtées avec le Tome IV (Politique I). L’éditeur du volume est mort, la « cote » de Marx a beaucoup baissé, il est improbable que de nouveaux volumes paraissent à l’avenir, le catalogue ne défend même plus cette idée par une mention « en préparation ». Série probablement arrêtée.

Montherlant : Essais, tome II. Le catalogue évoque toujours un tome I. Aucune mention de préparation n’est présente (contrairement à ce que les catalogues de la fin des années 2000 annonçaient). Le premier volume a été récemment retiré (voir plus bas, dans la section « rééditions »), tout comme les volumes des romans. Perspective improbable néanmoins.

Nietzsche : Œuvres complètes, d’abord prévues en 5 tomes, puis réduites à 3 (c’est annoncé au catalogue). Le premier volume a paru en 2000. Le deuxième devrait paraître au premier semestre 2017 (information officieuse et à confirmer).

Orateurs de la Révolution française : paru en 1989 pour le bicentenaire de la Révolution, ce premier tome, consacré à des orateurs de la Constituante, n’a pas eu un grand succès commercial. François Furet, son éditeur scientifique, est mort depuis. Tocqueville, son autre projet, a été retardé quelques années, mais a pu s’achever. Celui-ci ne le sera pas. Suite abandonnée.

Queneau : en principe, ont paru ses Œuvres complètes, en trois tomes, mais le Journal n’y est pas, pas plus que ses articles et critiques. Un quatrième tome, non annoncé par la Pléiade, est-il néanmoins possible ? Aucune information à ce sujet.

Sand : un volume de Romans est en préparation (cf. plus haut).

Stevenson : un troisième tome d’Œuvres est en préparation. Le deuxième volume a paru en 2005 déjà, il serait temps que le troisième (et dernier) sorte dans les librairies.

Supervielle : une édition des Œuvres en 2 volumes avait été initialement prévue, la poésie est sortie en 1996, le reste doit être abandonné.

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III. Les volumes « épuisés »

Ces volumes ne sont plus disponibles sur le marché du livre neuf. Gallimard ne compte pas les réimprimer. Cette politique est assortie de quelques exceptions, imprévisibles, comme les Cahiers de Paul Valéry, « épuisés » en 2008 et pourtant réimprimés quelques années plus tard. Cet épuisement peut préluder une nouvelle édition (Casanova par exemple), mais généralement signe la sortie définitive du catalogue. Les « épuisés » sont presque tous trouvables sur le marché de l’occasion, à des prix parfois prohibitifs (je donne pour chaque volume une petite estimation basée sur mes observations sur abebooks, amazon et, surtout, ebay, lors d’enchères, fort bon moyen de voir à quel prix s’établit « naturellement » un livre sur un marché assez dense d’amateurs de la collection ; mon échelle de prix est évidemment calquée sur celle de la collection, donc 20€ équivaut à une affaire et 50€ à un prix médian).

1/ Œuvres d’Agrippa d’Aubigné, 1969 : Gallimard a exclu explicitement la réédition. C’est le cas de beaucoup de volumes des années 1965-1975, majoritaires parmi les épuisés. Ils ont connu un retirage, ou aucun. 48€ au catalogue, peut monter à 70€ sur le marché de l’occasion.

2/ Œuvres Complètes de Nicolas Boileau, 1966 : Gallimard a exclu explicitement la réédition. Le XVIIe siècle est victime de son progressif éloignement ; cette littérature, sauf quelques grands noms, survit mal ; et certains auteurs ne sont plus jugés par la direction de la collection comme suffisamment « vivants » pour être édités. C’est le cas de Boileau. 43€ au catalogue, il est rare qu’il dépasse ce prix sur le second marché.

3/ Œuvres Complètes d’André Chénier, 1940 : Gallimard a exclu explicitement la réédition. Étrangement, il était envisagé, en 1989 encore (source : le catalogue de cette année-là), de proposer au public une nouvelle édition de ce volume. Chénier a-t-il été victime de l’insuccès du volume Orateurs de la Révolution française ? L’œuvre, elle-même, paraît bien oubliée désormais. 40€ au catalogue, trouvable à des tarifs très variables (de 30 à 80).

4/ Œuvres de Benjamin Constant, 1957 : Gallimard a exclu explicitement la réédition. À titre personnel, je suis un peu surpris de l’insuccès de Constant. 48€ au catalogue, assez peu fréquent sur le marché de l’occasion, peut coûter cher (80/100€)

5/ Conteurs français du XVIe siècle, 1965 : pas d’information de la part de l’éditeur. L’orthographe des volumes médiévaux ou renaissants de la Pléiade (et même ceux du XVIIe) antérieurs aux années 80 n’était pas modernisée. C’est un volume dans un français rocailleux, donc. 47€ au catalogue, assez aisé à trouver pour la moitié de ce prix (et en bon état). Peu recherché.

6/ Œuvres Complètes de Paul-Louis Courier, 1940 : pas d’information de la part de l’éditeur. Courier est un peu oublié de nos jours. 40€ au catalogue, trouvable pour un prix équivalent en occasion (peut être un peu plus cher néanmoins).

7/ Œuvres Complètes de Tristan Corbière et de Charles Cros, 1970 : pas d’information de la part de l’éditeur. C’était l’époque où la Pléiade proposait, pour les œuvres un peu légères en volume, des regroupements plus ou moins justifiés. Les deux poètes ont leurs amateurs, mais pas en nombre suffisant visiblement. Néanmoins, le volume est plutôt recherché. Pas de prix au catalogue, difficilement trouvable en dessous de 80€/100€.

8/ Œuvres de Nicolas Leskov et de M.E. Saltykov-Chtchédrine, 1967 : Gallimard a exclu explicitement la réédition. Encore un regroupement d’auteurs. Le champ russe est très bien couvert à la Pléiade, mais ces deux auteurs, malgré leurs qualités, n’ont pas eu beaucoup de succès. 47€ au catalogue, coûteux en occasion (quasiment impossible sous 60/80€, parfois proposé au-dessus de 100)

9/ Œuvres de François de Malherbe, 1971 : Gallimard a exclu explicitement la réédition. Et pour cause. C’est le « gadin » historique de la collection, l’exemple qu’utilise toujours Hugues Pradier, son directeur, quand il veut illustrer d’un épuisé ses remarques sur les méventes de certain volume. 39€ au catalogue, je l’ai trouvé neuf dans une librairie il y a six ans, et je crois bien que c’était un des tout derniers de France. Peu fréquent sur le marché de l’occasion, mais généralement à un prix accessible (30/50€).

10/ Maumort de Roger Martin du Gard, 1983 : aucune information de Gallimard. Le volume le plus récemment édité parmi les épuisés. Honnêtement, je ne sais s’il relève de cette catégorie par insuccès commercial (la gloire de son auteur a passé) ou en raison de problèmes littéraires lors de l’établissement d’un texte inachevé et publié à titre posthume. 43€ au catalogue, compter une cinquantaine d’euros d’occasion, peu rare.

11/ Commentaires de Blaise de Monluc, 1964 : aucune information de Gallimard. Comme pour les Conteurs français, l’orthographe est d’époque. Le chroniqueur historique des guerres de religion n’a pas eu grand succès. Pas de prix au catalogue, assez rare d’occasion, peut coûter fort cher (60/100).

12/ Histoire de Polybe, 1970 : Gallimard informe ses lecteurs qu’il est désormais publié en « Quarto », l’autre grande collection de l’éditeur. Pas de prix au catalogue. Étrange volume qui n’a pas eu de succès mais qui s’arrache à des prix prohibitifs sur le marché de l’occasion (difficile à trouver à moins de 100€).

13/ Poètes et romanciers du Moyen Âge, 1952 : exclu d’une réédition en l’état. C’est exclusivement de l’ancien français (comme Historiens et Chroniqueurs ou Jeux et Sapience), quand tous les autres volumes médiévaux proposent une édition bilingue. Une partie des textes a été repris dans d’autres volumes ou dans l’Anthologie de la poésie française I. 42€ au catalogue, trouvable sans difficulté pour une vingtaine d’euros sur le marché de l’occasion.

14/ Romanciers du XVIIe siècle, 1958 : exclu d’une réédition. Orthographe non modernisée. Un des quatre romans (La Princesse de Clèves) figure dans l’édition récente consacrée à Mme de Lafayette. Sans prix au catalogue, très fréquent en occasion, à des prix accessibles (20/30€).

15/ et 16/ Romancier du XVIIIe siècle I et II, 1960 et 1965. Gallimard n’en dit rien, ce sont pourtant deux volumes regroupant des romans fort connus (dont Manon LescautPaul et VirginieLe Diable amoureux). Subissent le sort d’à peu près tous les volumes collectifs de cette époque : peu de notes, peu de glose, à refaire… et jamais refaits. 49,5€ et 50,5€. Trouvables à des prix similaires, sans trop de difficulté, en occasion.

17/, 18/ et 19/ Œuvres I et II, Port-Royal I, de Sainte-Beuve, 1950, 1951 et 1953. Gallimard ne prévoit aucune réimpression du premier volume de Port-Royal mais ne dit pas explicitement qu’il ne le réimprimera jamais. Les chances sont faibles, néanmoins. Son épuisement ne doit pas aider à la vente des volumes II et III. Le destin de Sainte-Beuve semble du reste de sortir de la collection. Les trois volumes sont sans prix au catalogue. Les Œuvres sont trouvables à des prix honorables, Port-Royal I, c’est plus compliqué (parfois il se négocie à une vingtaine d’euros, parfois beaucoup plus). L’auteur ne bénéficie plus d’une grande cote.

20/, 21/ et 22/ Correspondance III et III, de Stendhal, 1963, 1967 et 1969. Cas unique, l’édition est rayée du catalogue papier (et pas seulement marquée comme épuisée), pour des raisons de moi inconnues (droits ? complétude ? qualité de l’édition ? Elle fut pourtant confiée au grand stendhalien Del Litto). Cette Correspondance, fort estimée (par Léautaud par exemple) est difficile à trouver sur le marché de l’occasion, surtout le deuxième tome. Les prix sont à l’avenant, normaux pour le premier (30/40), parfois excessifs pour les deux autres (le 2e peut monter jusque 100). Les volumes sont assez fins.

23/ et 24/ Théâtre du XVIIIe siècle, I et II, 1973 et 1974. Longtemps marqués « indisponibles provisoirement », ces deux tomes sont récemment passés « épuisés ». Ce sont deux volumes riches, dont Gallimard convient qu’il faudrait refaire les éditions. Mais le contexte économique difficile et l’insuccès chronique des volumes théâtraux (les trois tomes du Théâtre du XVIIe sont toujours à leur premier tirage, trente ans après leur publication) rendent cette perspective très incertaine. 47€ au catalogue, très difficiles à trouver sur le marché de l’occasion (leur prix s’envole parfois au-delà des 100€, ce qui est insensé).

Cas à part : Œuvres complètes  de Lautréamont et de Germain Nouveau. Lautréamont n’est pas sorti de la Pléiade, mais à l’occasion de la réédition de ses œuvres voici quelques années, fut expulsé du nouveau tome le corpus des écrits de Germain Nouveau, qui occupait d’ailleurs une majeure partie du volume collectif à eux consacrés. Le volume est sans prix au catalogue. Il est relativement difficile à trouver et peut coûter assez cher (80€).

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 IV. Les rééditions

Lorsque l’on achète un volume de la Pléiade, il peut s’agir d’une première édition et d’un premier tirage, d’une première édition et d’un ixième tirage ou encore d’une deuxième (ou, cas rare, d’une troisième, exceptionnel, d’une quatrième) édition. Cela signifie qu’un premier livre avait été publié voici quelques décennies, sous une forme moins « universitaire » et que Gallimard a jugé bon de le revoir, avec des spécialistes contemporains, ou de refaire les traductions. En clair, il faut bien regarder avant d’acheter les volumes de ces auteurs de quand date non l’impression mais le copyright.

Il arrive également que Gallimard profite de retirages pour réviser les volumes. Ces révisions, sur lesquelles la maison d’édition ne communique pas, modifient parfois le nombre de pages des volumes : des coquilles sont corrigées, des textes sont revus, des notices complétées, le tout de façon discrète. Ces modifications sont très difficiles à tracer, sauf à comparer les catalogues ou à feuilleter les derniers tirages de chaque Pléiade (un des commentateurs, plus bas, s’est livré à l’exercice – cf. l’exhaustif commentaire de « Pléiadophile », publié le 12 avril 2015)

La plupart des éditions « dépassées » sont en principe épuisées.

a) Rééditions à venir entièrement (aucun volume de la nouvelle édition n’a paru)

Parmi les rééditions à venir, ont été évoqués, de manière très probable :

Kafka, par Jean-Pierre Lefebvre (je ne sais si ce projet concerne la totalité des quatre volumes ou seulement une partie).

Michelet, dont l’édition date de l’avant-guerre ; certes quelques révisions de détail ont dû intervenir à chaque réimpression, mais enfin, l’essentiel des notes et notices a vieilli.

Descartes (l’édition en un volume date de 1937) en deux volumes.

Apollinaire, pour la poésie seulement (la prose est récente).

Jeux et sapience du Moyen Âge, édition de théâtre médiéval en ancien français, réputée « indisponible provisoirement ». La nouvelle édition est en préparation (cf. plus haut). Cette édition, en deux volumes serait logique et se situerait dans la droite ligne des éditions bilingues et médiévales parues depuis 20 ans (RenartTristan et Yseut, le Graal, Villon).

De manière possible

Verlaine, on m’en a parlé, mais je ne parviens pas à retrouver ma source. L’édition est ancienne.

Chateaubriand, au moins pour les Mémoires d’Outre-Tombe mais l’hypothèse a pris du plomb dans l’aile avec la reparution, en avril 2015, d’un retirage en coffret de la première (et seule à ce jour) édition.

Montherlant, pour les Essais… c’est une hypothèse qui perd d’année en année sa crédibilité puisque le tome II n’est plus annoncé dans le catalogue. Néanmoins, un retirage du tome actuel a été réalisé l’an dernier, ce qui signifie que Gallimard continue de soutenir la série Montherlant… Plus improbable que probable cependant.

b) Rééditions inachevées ou en cours (un ou plusieurs volumes de la nouvelle édition ont paru)

Balzac : 1/ La Comédie humaine, I à XI, de 1935 à 1960 ; 2/ La Comédie humaine, I à XII, de 1976 à 1981 + Œuvres diverses I, en 1990 et II, en 1996 + Correspondance I, en 2006 et II, en 2011. Le volume III de la Correspondance est attendu avec optimisme pour les prochaines années. Pour le volume III des Œuvres diverses en revanche, l’édition traîne depuis des années et le décès du maître d’œuvre, Roland Chollet, à l’automne 2014, n’encourage pas à l’optimisme.

Claudel : 1/ Théâtre I et II (1948) + Œuvre poétique (1957) + Œuvres en prose (1965) + Journal I (1968) et II (1969) ; 2/ Théâtre I et II (2011). Cette nouvelle édition du Théâtre pourrait préfigurer la réédition des volumes de poésie et de prose (et, sans conviction, du Journal ?), mais Gallimard n’a pas donné d’information à ce sujet.

Flaubert : 1/ Œuvres complètes, I et II, en 1936 ; 2/ Correspondance I (1973), II (1980), III (1991), IV (1998) et V (2007) + Œuvres complètesI (2001), II et III (2013). Les tomes IV et V sont attendus pour bientôt (les textes auraient été rendus pour relecture selon une de nos sources). En attendant le tome II de la vieille édition est toujours disponible.

La Fontaine : 1/ Œuvres complètes I, en 1933 et II, en 1943 ; 2/ Œuvres complètes I, en 1991. Comme pour Racine, le deuxième tome est encore celui de la première édition. Il est assez courant. Après 25 ans d’attente, et connaissant les mauvaises ventes des grands du XVIIe (Corneille par exemple), la deuxième édition du deuxième tome est devenue peu probable.

Marivaux : 1/ Romans, en 1949 + Théâtre complet, en 1950 ; 2/ Œuvres de jeunesse, en 1972 + Théâtre complet, en 1993 et 1994. En principe, les Romans étant indisponibles depuis des années, une nouvelle édition devrait arriver un jour. Mais là encore, comme pour La Fontaine, Vigny ou le dernier tome des Œuvres diverses de Balzac, cela fait plus de 20 ans qu’on attend… Rien ne filtre au sujet de cette réédition.

Musset : 1/ Poésie complète, en 1933 + Théâtre complet, en 1934 + Œuvres complètes en prose, en 1938 ; 2/ Théâtre complet, en 1990. La réédition prévue de Musset en trois tomes, et annoncée explicitement par Gallimard dans son catalogue 1989, semble donc mal partie. Le volume de prose est « indisponible provisoirement » et la poésie est toujours dans l’édition Allem, vieille de 80 ans. Là encore, comme pour La Fontaine et Racine, il est permis d’être pessimiste.

Racine : 1/ Œuvres complètes I, en 1931 et II, en 1952 ; 2/ Œuvres complètes I, en 1999. Le deuxième tome est donc encore celui de la première édition. Il est très rare de le trouver neuf dans le commerce. Le délai entre les deux tomes est long, mais il l’avait déjà été dans les années 30-50. On peut néanmoins se demander s’il paraîtra un jour.

Shakespeare : 1/ Théâtre complet, en 1938 (2668 pages ; j’ai longtemps pensé qu’il s’agissait d’un seul volume, mais il s’agirait plus certainement de deux volumes, les 50e et 51e de la collection ; le mince volume de Poèmes aurait d’ailleurs peut-être relevé de cette édition là, mais avec une vingtaine d’années de retard ; les poèmes auraient par la suite été intégrés par la nouvelle édition de 1959 dans un des deux volumes ; ne possédant aucun des volumes concernés, je remercie par avance mes aimables lecteurs (et les moins aimables aussi) de bien vouloir me communiquer leurs éventuelles informations complémentaires) ; 2/ Œuvres complètes, I et II, Poèmes (III) (?) en 1959 ; 3/ Œuvres complètes I et II (Tragédies) en 2002 + III et IV (Histoires) en 2008 + V (Comédies) en 2013. Les tomes VI (Comédies) et VII (Comédies) sont en préparation, pour une parution en 2016. Le tome VIII (Poésies) paraîtra ultérieurement.

Vigny : 1/ Œuvres complètes I et II, en 1948 ; 2/ Œuvres complètes I (1986) et II (1993). Le tome III est attendu depuis plus de 20 ans, ce qui est mauvais signe. Gallimard n’en dit rien, Vigny ne doit plus guère se vendre. Je suis pessimiste à l’égard de ce volume.

c) Rééditions achevées

Quatre éditions :

Choderlos de Laclos : 1/ Les Liaisons dangereuses, en 1932 ; 2/ Œuvres complètes en 1944 ; 3/ Œuvres complètes en 1979 ; 4/ Les Liaisons dangereuses, en 2011. Pour le moment, les éditions 3 et 4 sont toujours disponibles.

Trois éditions :

Baudelaire : 1/ Œuvres complètesI et II, en 1931 et 1932 ; 2/ Œuvres complètesen 1951 ; 3/ Correspondance I et II en 1973 + Œuvres complètesI et II, en 1975 et 1976.

Camus : 1/ Théâtre – Récits – Nouvelles, en 1962 + Essais, en 1965 ; 2/ Théâtre – Récits et Nouvelles -Essais, en 1980 ; 3/ Œuvres complètesI et II, en 2006, III et IV, en 2008.

Molière : 1/ Œuvres complètesI et II, en 1932 ; 2/ Œuvres complètesI et II, en 1972 ; 3/ Œuvres complètesI et II, en 2010. L’édition 2 est encore facilement trouvable et la confusion est tout à fait possible avec la 3.

Montaigne : 1/ Essais, en 1934 ; 2/ Œuvres complètes, en 1963 ; 3/ Essais, en 2007.

Rimbaud : 1/ Œuvres complètes, en 1946 ; 2/ Œuvres complètes, en 1972 ; 3/ Œuvres complètes, en 2009.

Stendhal : 1/ Romans, I, II et III, en 1932, 1933 et 1934 ; 2/ Romans et Nouvelles, I et II en 1947 et 1948 + Œuvres Intimes en 1955 + Correspondance en 1963, 1967 et 1969 ; 3/ Voyages en Italie en 1973 et Voyages en France en 1992 + Œuvres Intimes I et II, en 1981 et 1982 + Œuvres romanesques complètes en 2005, 2007 et 2014. Soit 16 tomes différents, mais seulement 7 dans l’édition considérée comme à jour.

Deux éditions :

Beaumarchais : 1/ Théâtre complet, en 1934 ; 2/ Œuvres, en 1988.

Casanova : 1/ Mémoires, I-III (1958-60) ; 2/ Histoire de ma vie, I-III (2013-15).

Céline : 1/ Voyage au bout de la nuit – Mort à crédit (1962) ; 2/ Romans, I (1981), II (1974), III (1988), IV (1993) + Lettres (2009).

Cervantès : 1/ Don Quichotte, en 1934 ; 2/ Œuvres romanesques complètesI (Don Quichotte) et II (Nouvelles exemplaires), 2002.

Corneille : 1/ Œuvres complètes, I et II, en 1934 ; 2/ Œuvres complètes, I (1980), II (1984) et III (1987).

Diderot : 1/ Œuvres, en 1946 ; 2/ Contes et romans, en 2004 et Œuvres philosophiques, en 2010.

Gide : 1/ Journal I (1939) et II (1954) + Anthologie de la Poésie française (1949) + Romans (1958) ; 2/ Journal I (1996) et II (1997) + Essais critiques (1999) + Souvenirs et voyages (2001) + Romans et récits I et II (2009). L’Anthologie est toujours éditée et disponible.

Goethe : 1/ Théâtre complet (1942) + Romans (1954) ; 2/ Théâtre complet (1988). Je n’ai jamais entendu parler d’une nouvelle édition des Romans ni d’une édition de la Poésie, ce qui demeure une véritable lacune – que ne comble pas l’Anthologie bilingue de la poésie allemande.

Mallarmé : 1/ Œuvres complètes, en 1945 ; 2/ Œuvres complètes I (1998) et II (2003).

Malraux : 1/ Romans, en 1947 + Le Miroir des Limbes, en  1976 ; 2/ Œuvres complètes I-VI (1989-2010).

Mérimée : 1/ Romans et nouvelles, en 1934 ; 2/ Théâtre de Clara Gazul – Romans et nouvelles, en 1979.

Nerval : 1/ Œuvres, I et II, en 1952 et 1956 ; 2/ Œuvres complètes I (1989), II (1984) et III (1993).

Pascal :  1/ Œuvres complètes, en 1936 ; 2/ Œuvres complètes I (1998) et II (2000).

Péguy : 1/ Œuvres poétiques (1941) + Œuvres en prose I (1957) et II (1959) ; 2/ Œuvres en prose complètes I (1987), II (1988) et III (1992) + Œuvres poétiques dramatiques, en 2014.

Proust : 1/ À la Recherche du temps perdu, I-III, en 1954 ; 2/ Jean Santeuil (1971) + Contre Sainte-Beuve (1974) + À la Recherche du temps perdu, I-IV (1987-89).

Rabelais : 1/ Œuvres complètes, en 1934 ; 2/ Œuvres complètes, en 1994.

Retz : 1/ Mémoires, en 1939 ; 2/ Œuvres (1984).

Ronsard : 1/ Œuvres complètes I et II, en 1938 ; 2/ Œuvres complètes I (1993) et II (1994).

Rousseau : 1/ Confessions, en 1933 ; 2/ Œuvres complètes I-V (1959-1969).

Mme de Sévigné : 1/ Lettres I-III (1953-57) ; 2/ Correspondance I-III (1973-78).

Saint-Exupéry : 1/ Œuvres, en 1953 ; 2/ Œuvres complètes I (1994) et II (1999).

Saint-Simon : 1/ Mémoires, I à VII (1947-61) ; 2/ Mémoires, I à VIII (1983-88) + Traités politiques (1996).

Voltaire : 1/ Romans et contes, en 1932 + Correspondance I et II en 1964 et 1965 ; 2/ le reste, c’est à dire, les Œuvres historiques (1958), les Mélanges (1961), les deux premiers tomes de la Correspondance (1978) et les onze tomes suivants (1978-1993) et la nouvelle édition des Romans et contes (1979).

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V. Les volumes « indisponibles provisoirement »

Un volume ne s’épuise pas tout de suite. Il faut du temps, variable, pour que le stock de l’éditeur soit complètement à zéro. Gallimard peut alors prendre trois décisions : réimprimer, plus ou moins rapidement ; ou alors renoncer à une réimpression et lancer sur le marché une nouvelle édition (qu’il préparait déjà) ; ou enfin, ni réimprimer ni rééditer. Je vais donc ici faire une liste rapide des volumes actuellement indisponibles et de leurs perspectives (réalistes) de réimpression. Je n’ai pas d’informations exclusives, donc ces « informations » sont à prendre avec précaution. Elles tiennent à mon expérience du catalogue.

-> Boulgakov, Œuvres I, La Garde Blanche. 1997. C’est un volume récent, qui n’est épuisé que depuis peu de temps, il y a de bonnes chances qu’il soit réimprimé d’ici deux ou trois ans (comme l’avait été le volume Pasternak récemment).

-> Cao Xueqin, Le Rêve dans le Pavillon Rouge I et II, 1981. Les deux volumes ont fait l’objet d’un retirage en 2009 pour une nouvelle parution en coffret. Il n’y a pas de raison d’être pessimiste alors que celle-ci est déjà fort difficile à trouver dans les librairies. À nouveau disponible (en coffret).

-> Defoe, Romans, II (avec Moll Flanders). Le premier tome a été retiré voici quelques années, celui-ci, en revanche, manque depuis déjà pas mal de temps. Ce n’est pas rassurant quand ça se prolonge… mais le premier tome continue de se vendre, donc les probabilités de retirage ne sont pas trop mauvaises.

-> Charles Dickens, Dombey et Fils – Temps Difficiles Le Magasin d’Antiquités – Barnabé Rudge ; Nicolas Nickleby – Livres de Noël ; La Petite Dorrit – Un Conte de deux villes. Quatre des neuf volumes de Dickens sont « indisponibles », et ce depuis de très longues années. Les perspectives commerciales de cette édition en innombrables volumes ne sont pas bonnes. Les volumes se négocient très cher sur le marché de l’occasion. Gallimard n’a pas renoncé explicitement à un retirage, mais il devient d’année en année plus improbable.

-> Fielding, Romans. Principalement consacré à Tom Jones, ce volume est indisponible depuis plusieurs années, les perspectives de réimpression sont assez mauvaises. À moins qu’une nouvelle édition soit en préparation, le volume pourrait bien passer parmi les épuisés.

-> Green, Œuvres complètes IV. Quinze ans après la mort de Green, il ne reste déjà plus grand chose de son œuvre. Les huit tomes d’une série même pas achevée ne seront peut-être jamais retirés une fois épuisés. Le 4e tome est le premier à passer en « indisponible ». Il pourrait bien ne pas être le dernier et bientôt glisser parmi les officiellement « épuisés ».

 -> Hugo, Théâtre complet II. À nouveau disponible.

-> Jeux et Sapience du Moyen Âge. Cas évoqué plus haut de nouvelle édition en attente. Selon toute probabilité, il n’y aura pas de réédition du volume actuel.

-> Marivaux, Romans. Situation évoquée plus haut, faibles probabilité de réédition en l’état, lenteur de la nouvelle édition.

-> Mauriac, Œuvres romanesques et théâtrales complètes, IV. Même si Mauriac n’a plus l’aura d’antan comme créateur (on le préfère désormais comme chroniqueur de son époque, comme moraliste, etc.), ce volume devrait réapparaître d’ici quelques temps.

-> Musset, Œuvres en prose. Évoqué plus haut. Nouvelle édition en attente depuis 25 ans.

-> Racine, Œuvres complètes II. En probable attente de la nouvelle édition. Voir plus haut.

-> Vallès, ŒuvresI. La réputation de Vallès a certes un peu baissé, mais ce volume, comprenant sa célèbre trilogie autobiographique, ne devrait pas être indisponible depuis si longtemps. Réédition possible tout de même.

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VI. Les volumes « en voie d’indisponibilité »

Ce n’est là qu’une courte liste, tirée de mes observations et de la consultation du site « placedeslibraires.com », qui donne un aperçu des stocks de centaines de librairies indépendantes françaises. On y voit très bien quels volumes sont fréquents, quels volumes sont rares. Cela ne préjuge en rien des stocks de l’éditeur. Néanmoins, je pense que les tendances que ma méthode dégage sont raisonnablement fiables. Si vous êtes intéressé par un de ces volumes, vous ne devriez pas hésiter trop longtemps.

– le Port-Royal, II et III, de Sainte-Beuve. Comme les trois autres tomes de l’auteur sont épuisés, il est fort improbable que ces deux-là, retirés pour la dernière fois dans les années 80, ne s’épuisent pas eux aussi. Ils sont tous deux assez rares (-10 librairies indépendantes).

– la Correspondance (entière) de Voltaire. Les 13 tomes, de l’aveu du directeur de la Pléiade, ne forment plus un ensemble que le public souhaite acquérir (pour des raisons compréhensibles d’ailleurs). Le fait est qu’on les croise assez peu souvent : le I est encore assez fréquent, les II, III et XIII (celui-ci car dernier paru) sont trouvables dans 5 à 10 librairies du réseau indépendant, les volumes IV à XII en revanche ne se trouvent plus que dans quelques librairies. Je ne sais pas ce qu’il reste en stock à l’éditeur, mais l’indisponibilité devrait arriver d’ici un an ou deux pour certains volumes.

– les Œuvres de Julien Green. Je les ai évoquées plus haut, à propos de l’indisponibilité du volume IV. Les volumes V, VI, VII et VIII, qui arrivent progressivement en fin de premier tirage devraient suivre. La situation des trois premiers tomes est un peu moins critique, des retirages ayant dû avoir lieu dans les années 90.

– les Œuvres de Malebranche. Dans un entretien, Hugues Pradier a paru ne plus leur accorder grand crédit. Mais je me suis demandé s’il n’avait pas commis de lapsus en pensant à son fameux Malherbe, symbole permanent de l’échec commercial à la Pléiade. Toujours est-il que les deux tomes se raréfient.

– les Œuvres de Gobineau. Si c’est un premier tirage, il est lent à s’épuiser, mais cela vient. Les trois tomes sont moins fréquents qu’avant.

– les Orateurs de la Révolution Française. Série avortée au premier tome, arrêtée par la mort de François Furet avant l’entrée en lice de Robespierre et de Saint-Just. Elle n’aura jamais de suite. Et il est peu probable, compte tenu de son insuccès, qu’elle reste longtemps encore au catalogue.

– le Théâtre du XVIIe siècle, jamais retiré (comme Corneille), malgré trente ans d’exploitation. D’ici dix ans, je crains qu’il ne soit dans la même position que son « homologue » du XVIIIe, épuisé.

– pèle-mêle, je citerais ensuite le Journal de Claudel, les tomes consacrés à France, Marx, Giraudoux, Kipling, Saint François de Sales, Daudet, Fromentin, Rétif de la Bretonne, Vallès, Brantôme ou Dickens (sauf David Copperfield et Oliver Twist). Pour eux, les probabilités d’épuisement à moyen terme sont néanmoins faibles.

13 807 réflexions sur “La Bibliothèque de la Pléiade

  1. Stace constitue, depuis le XVIe siècle, le cimetière des latinistes: poète difficile, féru de novitas et de concentration (hormis dans l’Achilléide), dont l’originalité pour le moins égale celle du torrentueux Lucain, il s’inscrit à contre-courant de beaucoup des tendances de l’épopée post-vergilienne, et d’aucuns ont pu penser que ce maître absolu du latin d’argent était en vérité un Grec de Grande Grèce (Poplinios Papinios Statios). Grand versificateur, styliste laborieux épris de concentration et d’effets heurtés baroquisants avant la lettre, mais capable d’après sa propre inspiration d’improviser en une nuit des poèmes de quelques centaines de vers repris dans ses Silves, Stace est de ces auteurs qui sollicitent constamment le jugement d’un éditeur s’il ne veut ni lui attribuer currente calamo tous les barbarismes, les solécismes, les expressions sans parallèle ou précurseur évident, ou les bizarreries mythographiques dont semblent se parer la tradition manuscrite, ni corriger à tort et à travers la moindre aspérité qui pourrait avoir été délibérément recherchée. Le grand Housman, qui entre autres choses, abattit de la besogne de très haute volée sur le texte de Stace, remarquait ainsi  » it is hard to tell, in Statius or Valerius Flaccus, whether this or that absurd expression is due to miscopying or to the divine afflatus of the bard ». L’édition Teubner qui fit référence pendant tout le XXe siècle pour la Thébaïde, signée d’Alfred Klotz, non le pire des philologues de son époque, est de celles qui, par conservatisme frileux et acceptation routinière des leçons du manuscrit le plus ancien (à ce titre tenu pour codex optimus), se constelle sans scrupule de fautes métriques aveuglantes tout en laissant balbutier l’expression. Un travail plus consciencieux fut accompli par Donald Hill, auteur de l’édition Brill (1983, 1996²), lequel s’est efforcé d’éliminer les idioties aveuglantes sans se piquer de critique conjecturale. Hélas, la Budé de Roger Lesueur tient de Klotz et Hill par leurs défauts plutôt que leurs qualités. Littéraire pur jus qui se fit remarquer par une thèse sur la composition de l’Enéide, Lesueur ne brille ni par sa compétence linguistique ni par ses lumières exégétiques, ce dont témoigne son annotation très superficielle et plus encore sa traduction, paraphrase assez lourde et matoise (elle éteint toutes les difficultés que ce savant ne pouvait résoudre dans l’appareil critique en adoptant des conjectures) que n’étouffent pas les qualités d’expressivité. Il était d’un imbécile fini, ou plutôt d’un cynique conscient de ses limites mais désireux de dorer la pilule, de prétendre avoir fait le point de première main sur la tradition manuscrite alors même que Hill y avait consacré de longs efforts dans l’ensemble couronnés de succès; cette posture permettait à Lesueur de donner le change sur la nature de son travail, une resucée de Klotz matinée d’un peu de Hill équipée d’un (médiocre) appareil critique, de notes ignorant toute la critique textuelle en langues latine, allemande et anglaise, et d’une traduction française qui n’a presque d’autre attrait que d’être la première en plus d’une siècle. Quant à Sylvie d’Espéray, « Madame la Comtesse » comme d’aucuns l’appellent du côté de Bordeaux pour ses grands airs, c’est une bécasse plus inapte encore que Lesueur à rendre raison de Stace. Oubliez-là, Zino.

    • 😅😅😅 Neobirt7 vous avez un don absolu pour la critique franche et nette ! C’est comme se faire opérer de l’appendicite… sans anesthésie. Mais dieu, que de temps gagné ! Merci encore Neobirt7
      C’est justement sa dimension baroquisante qui m’intéresse. Stace apporte en quelque sorte de la nouveauté dans le schéma narratif épique traditionnel. J’arrive à le lire correctement dans le texte, mais aux premières grosses difficultés, mes limites se font vite sentir. Hormis la Budé, il n’existe rien de satisfaisant chez les français ?… Auriez-vous donc la gentillesse de me dire quelle est pour vous la meilleure ( ou la moins mauvaise…) édition ? De préférence en anglais. Et si vous pouvez faire d’une pierre deux coups, j’aimerais également connaître votre préférence pour la Pharsale.
      Bien à vous.

  2. Il existe une excellente Loeb, éditée (avec beaucoup de conjectures personnelles, souvent intéressantes, dans les endroits altérés) et traduite en prose de bon artisan, par David R. Shackleton Bailey, qui fut l’un des plus fins critiques textuels latins de la seconde moitié du XXe siècle ainsi qu’un homme remarquablement intelligent, un Anglais avec l’ongle et la griffe, tout l’opposé de l’eau de vaisselle des Sorbonagres; je vous recommande chaudement sa prestation. L’édition critique maior de la Thébaïde préparée par un autre grand Briton expert en critique conjecturale de la poésie latine, le spécialiste d’Ovide et de Claudien John B. Hall, assisté d’A. L. Ritchie et M. J. Edwards (Cambridge, Scholars Publishing, 2008, 3 vol.), offre une traduction anglaise moins littéraire dans son second tome; elle n’est hélas pas très exploitable, dans la mesure où le texte qui a servi de base incorpore un nombre considérable de conjectures dues à Hill et (quoique dans une mesure infiniment moindre) à Ritchie, dont beaucoup sont tirées par les cheveux et dont il faut se méfier même quand elles sont plausibles car les éditeurs tendent à s’en prendre à des passages sains qu’ils ne peuvent, ou ne veulent, pas expliquer. Hall a pris depuis vingt ans la détestable habitude de présenter ses conjectures sans fournir de démonstration; cela ouvre grande la porte aux réécritures idiosyncratiques et aux solutions hâtives.

  3. Merci Neobirt7 pour vos suggestions. Le début de votre commentaire concerne Lucain, ou s’agit-il de recommandations globales pour la Thébaïde ?
    Vos commentaires nous sont précieux, pardonnez cet excès de sollicitations que nous manifestons à votre endroit.

      • J’ai eu -intérim- la réponse à ma question. Je suis allé sur le site des éditions Loeb. Le prix de 21 euros pour le premier volume est tout à fait correct.
        Une bonne journée à vous.

  4. Philip Roth, qui vient de mourir, aurait eu cette saillie : « Pour un écrivain, seul compte l’impact qu’il a de son vivant. »
    C’est une réaction qui relève d’un point de vue particulier sur la littérature, qui est le point de vue anglo-saxon, plus particulièrement encore étasunien.
    La plupart des écrivains que nous admirons aujourd’hui n’ont eu en fait aucun impact de leur vivant.
    Par définition, un artiste de valeur est ou ignoré de ses contemporains ou incompris d’eux. Le succès et la gloire sont toujours le fruit d’un malentendu portant sur ce qui compte le plus : à savoir les intentions qui sous-tendent l’œuvre, et rien n’est plus suspect, en ce qui regarde l’art, qu’un succès que tout le monde voit.
    S’il y a une action quelconque exercée du vivant d’un auteur, elle est nécessairement restreinte, et je pense ici en particulier à l’influence que va exercer un écrivain parvenu à la maturité sur ceux de la jeune génération qui suit immédiatement la sienne (Valéry et Mallarmé).
    Le public qui achète les livres et fait la réussite sociale de l’auteur ne subit, lui, aucune influence, si l’on excepte le très petit nombre de gens formant la partie active de ce public, c’est-à-dire les rares lettrés pouvant juger en toute connaissance de cause.

  5. Le Lucain de la Collection des Universités de France, 1927-1930, 2 vol. aux trois quarts préparé par Abel Bourgery (les livres VIII-X reviennent à Max Ponchont, l’éditeur de Tibulle dans cette série ainsi que le réviseur du premier tome), est de ces travaux que seule l’existence de leurs devanciers a permis de produire. L’établissement du texte y repose en effet entièrement sur l’édition Teubner à très large apparat critique fondé sur collations nouvelles, de Carl Hosius (3e, 1913), de laquelle ont été reprises les leçons de tous les manuscrits autres que parisiens. En effet, Bourgery, qui n’a même pas relu le codex tenu par Hosius pour le plus précieux aetate et qualitate qua mais entre-temps objet d’une attaque dévastatrice et somme toute juste dans la préface anglaise du Lucain « ad usum eruditorum » de Housman (1926, pp. X-XIII), alors même que ce codex était à la portée de Bourgery puisque conservé à Montpellier (M), s’est contenté de vérifier les manuscrits conservés à la Bibliothèque Nationale, selon son affirmation difficile à contrôler, I, p. XVI, et de collationner un seul d’entre eux, coté Z, dont son apparat donne le relevé de toutes les variantes y compris orthographiques (I, p. XVI et la note 1). Bourgery pousse le culte de Z, et l’inintelligence philologique car enfin il ne fournit aucune démonstration de la précellence de Z, laquelle n’existe objectivement pas, jusqu’à conformer le texte de son édition à l’orthographe de ce manuscrit ! L’extrême maigreur de la partie de la préface consacrée à la tradition manuscrite (I, pp. XIV-XVII) laissait de toute façon attendre une édition peu fignolée; et de fait c’est le cas. En voici les principes:

    « Les manuscrits anciens étant nombreux et de provenance diverse, l’activité des correcteurs manifeste, il est peu de fautes de copiste qui n’aient été corrigées quelque part. Surtout on doit s’abstenir de traiter comme un poème achevé l’œuvre d’un jeune homme de vingt-cinq ans, élevé dans la déclamation et qui est mort sans avoir revu ou même terminé son épopée. Les répétitions de mots, les obscurités, les bizarreries d’expression, les platitudes réelles ou apparentes, même les tours d’une correction douteuse peuvent fort bien être imputés à la jeunesse de l’auteur ou à la précipitation avec laquelle il a travaillé. Il convient d’accueillir très rarement les conjectures, si séduisantes soient-elles, à plus forte raison faut-il se garder de refaire le texte à la façon de Bentley » (I, p. XVII).

    Le bât blesse en ceci que ces généralités avec lesquelles tout le monde ne peut que s’inscrire en accord ne donnent aucune règle d’application globale s’agissant d’une matière où il n’y a que des cas d’espèce. Or, loin de choisir avec dextérité en fonction de leur connaissance de la latinité poétique d’argent (il s’agit en effet d’un idiolecte assez particulier, qui ne se pénètre pas sans une longue familiarité avec l’épopée virgilienne et post-virgilienne) les leçons manuscrites, Bourgery et Ponchont ne sont même pas capables de traduire avec justesse le texte qu’ils excipent de Z, M ou leurs autres manuscrits choisis chez Hosius. Ces deux volumes grouillent malheureusement d’erreurs de toute nature, parfois jusqu’à cinq ou six par page; celles-ci vont de la substitution irrationnelle d’un mot ou d’une expression française à leur original latin (la recension d’Edouard Galletier, modérée dans le ton, accumule les exemples flagrants et tourne au jeu de massacre: https://bit.ly/2x41cw9 ) à des fautes dramatiques sur la construction d’une phrase, le sens d’une épithète, la portée entière d’une sententia (les recensions des deux tomes par Housman sont justement impitoyables ; on en prendra une idée ici https://bit.ly/2KOu3q5). Que penser d’une traduction qui patauge misérablement dès le vers 4 du chant I (rupto foedere regni = « rompant l’unité de l’empire » selon Bourgery! en vérité, bien sûr, « une fois rompu le pacte de tyrannie », i.e. le second triumvirat fragilisé par la mort de Crassus à Carrhes) ? Attendu que le gros appareil critique est une simplification assez peu habile de celui de Hosius gonflé par les leçons individuelles, qu’elles soient plausibles, indifférentes ou vicieuses, de Z, y compris les quisquiliae orthographiques, et que la rédaction en est obscure, seules étant sourcées les variantes (il faut donc à chaque pas pratiquer une opération de soustraction des sigles par rapport à la liste du vol. I, pp. XXVII-XXVII, même pas reproduite en tête du tome II, afin de déterminer quels manuscrits donnent la leçon adoptée dans le texte et figurant en tête d’unité critique, ce que l’on appelle le lemme), cette Budé ne mérite pas tant une refonte, comme le signale l’avertissement du correcteur Paul Jal ajouté au sixième tirage du tome II en 1993, p. [VI]), que le pilon pur et simple.

    Que si maintenant l’on recherche un bon texte critique de Lucain sans vouloir remonter à l’édition Housman, introuvable et fort recherchée, je dirai simplement que la base s’incarne dans le travail sur collations intégrales poursuivi pendant plus de vingt ans par Renato Badali (« Lucani Opera », Rome, Romae, Typis Officinae Polygraphicae,1992 : préface latine dense et richement dotée en références qui esquisse une histoire de la transmission de l’oeuvre, bibliographie exhaustive, texte conservateur mais pas trop inintelligent, appareil critique très sobre et appendices orthographiques compilant les leçons stemmatiquement non pertinentes des principaux manuscrits primaires). Les éditions courantes sont la seconde Teubner de D. R. Shackleton Bailey, comme toujours stimulante et assez conjecturale (1988, 1997²), et surtout celle, avec traduction allemande, de Georg Luck dans la collection Reklam (Stuttgart, 2009, révision de son édition chez Akademie en 1989²). Cette jolie bilingue au format poche donne à mon sens le meilleur texte latin disponible (voir l’apparat aux pp. 602-607).

  6. Neobirt7
    Mille fois merci pour ces précieux renseignements. L’idéal pour moi sera donc l’édition allemande pour la lecture dans le texte, et la Toebner pour la traduction en anglais ( je ne maîtrise pas suffisamment l’allemand )
    Vos critiques sans appel à l’égard de la tradition philologique française ne laissent pas de me désappointer. Nous aurions pu espérer que le patrimoine littéraire Romain fût traité en France avec un sérieux, un engagement, une probité plus prononcés ( nous avons, toutes proportions gardées, plus de liens avec la latinité, que l’Angleterre ou l’Allemagne…)
    Merci encore.
    Je ne vous demanderai pas votre avis sur une édition fréquentable de Martial… ( vous pardonnerez mon usus praeteritionis ☺️)
    Bien à vous.

  7. Lecture de la nécrologie de Roth par Savigneau dans Le Monde daté d’aujourd’hui (24 mai 2018): elle annonce qu’il y aura quatre volumes de Roth dans la Pléiade (un paru et trois à paraître donc). Je l’ignorais moi-même, donc je me permets de donner l’info.

    • Dommage que Victor Hugo soit déjà mort, nous aurions peut-être eu droit aux volumes « poésie » manquants…
      Cette manière opportuniste d’opérer est proprement vomitive.

        • Si la Pléiade est toujours aussi rapide, il se peut que la notoriété de Roth s’étiole avant même que le 3e et le 4e volumes soient disponibles et donc ils pourraient ne jamais paraître…

          • Ce serait une élégante solution à la crux interpretum que constitue la présence de Roth sur Bible. Pourvu que la préparation de l’Ovide ne s’étale pas sur autant de décennies que celle du Virgile, car voilà bien un auteur indémodable pour lequel l’érudition classique française a hélas démérité depuis l’époque des Lafaye (sa thèse, pas son édition Budé !) et Chamonard et dont le besoin se fait davantage sentir que celui de traductions depuis l’anglais simpliste de Roth.

          • D’un point de vue matériel, on peut imaginer que le deuxième volume serait essentiellement consacré au Zuckerman enchaîné (La Leçon d’anatomie, Zuckerman délivré,…). Le troisième volume pourrait comprendre les autres Zuckerman (La Contrevie, Pastorale américaine, J’ai épousé un communiste, La tache,…) et le dernier comprendrait divers romans comme Opération Shylock, Le Théâtre de Sabbath, Le complot contre l’Amérique, etc

            Je ne pense pas que les volumes soient très longs à faire : le travail éditorial et philologique me semble bien moindre que pour un classique.

            En revanche, je me demande s’il y a vraiment un public. Le premier volume s’est-il bien vendu ? Philip Roth avait du succès dans le cercle étroit des rédacteurs des journaux parisiens, une sorte d’aura même, mais en débordait-il vraiment ?

  8. Brumes
    C’est le fait de surfer sur la vague necrologique…
    Cela me fait penser aux albums de rock stars, que l’on sort peu après le décès de la « légende ».
    Rien ne dit d’ailleurs que les volumes poésie en question ne soient pas prêts. C’est juste que Victor Hugo est mort depuis « trop longtemps »…
    Je n’essaie plus de comprendre ni même d’apprécier pour la Pléiade, les choix ainsi que les calendriers éditoriaux de Gallimard. C’était pourtant une collection dont j’étais fou amoureux dans ma jeunesse.
    Et j’en profite pour vous remercier de votre complaisance ( dont je n’abuse pas) pour les quelques hors sujet qui viennent polluer ( pas trop j’espère) votre blog.

  9. Ces 3 prochains volumes des Œuvres de Roth ont été annoncé à la soirée du 29 mars dernier – de son vivant, point de « surf » post mortem. Cependant un grand pari sur l’avenir, je suis assez d’accord avec Pléiadophile : cela serait bien de faire vite ! Les aventures de Nathan Zuckerman le méritent ô combien (même si tout est déjà à découvrir hic et nunc en Folio heureusement !)

  10. Et sinon, pour Huysmans et Segalen, un seul tome de prévu en 2019… Mais bon, il est vrai que quand on lit Le Monde ou Libération (8 pages ce matin!), on a l’impression que Roth, c’est quasiment Shakespeare… Toujours l’éternelle obsession journalistique du « grand écrivain américain ». Sans commentaire.

    • Tout à fait d’accord avec vous, hélas.
      Et le public suit, puisque la très grande majorité, il me semble, des éditions actuelles, tout au moins étrangères, est anglo-saxonne.
      Cependant, ce public est-il prêt à acheter cette littérature en édition « prestigieuse », alors que les éditions de poche sont aisément disponibles ?
      Ainsi, Gallimard se trompe de « cible », je pense, en ouvrant de manière inconditionnelle sa collection « culturelle » à ces écrivains avant tout « populaires » (Twain, London, …), alors qu’en même temps on supprime Fielding du catalogue.
      En matière musicale, le « cross over » (quelle expression !) n’a pas renfloué l’industrie du disque, ni, ce qui est pire encore, permis en contrepartie le développement d’éditions ambitieuses.
      Pour la plupart des français, d’ailleurs, un « investissement » éditorial se portera plus aisément vers ce qui lui semble appartenir naturellement à notre patrimoine : Jean d’O, les écrits bibliques, et les grands « piliers » de notre littérature romanesque récente (Balzac, Hugo, Flaubert et, à la limite, Proust).

  11. Sinon, pour 2019 ?
    D’après ce que j’ai retenu, on devrait avoir :
    1 volume pour Segalen.
    1 volume pour Huysmans.
    1 volume sur les vampires (?)
    Quoi d’autre ?

  12. Pour Descartes, j’ai un doute car Gallimard continue la publication (directement en poche!) des Œuvres complètes en poche…. Je crois qu’en 2019, il y’a aura aussi les 2 volume de Romain Gary (peut-être avec l’Album?) Et pourquoi pas le dernier Shakespeare et le nouveau Apollinaire… Suspens…

    • Programme qui m’aurait, en d’autres temps, alléché, mais… Trop tard, trop peu, toujours trop quelque chose…

      Segalen, Huysmans, un seul volume, ce n’est ni fait ni à faire et il y a longtemps que ma bibliothèque a cessé de compter sur la Pléiade pour s’enrichir des oeuvres de ces estimables auteurs (on ne va pas crier au génie constamment, non plus).

      Artaud, je pense qu’il ne peut s’agir que d’un tome I, mais franchement cela arrive trop tard pour moi, j’ai comblé au cours de mon dernier voyage parisien, les trous qui persistaient dans sa série dite des « oeuvres complètes » (je sais tout ce qu’on peut dire sur l’incomplétude de ladite). D’ici que la Pléiade arrive au terme de l’entreprise, je serai passé dans l’autre monde.

      Bonnefoy : trop tard pour moi, j’aurais adoré il y a dix ou quinze ans, mais il me fait moins rêver qu’autrefois – c’est un avis très personnel, mais il me semble que son oeuvre est achevée depuis au moins ces dix ou quinze années et que, depuis, il a multiplié les livres inutiles qui n’ont d’autre but que d’assurer la survie d’un auteur qui ne veut pas accepter la mise à la retraite (je pourrais citer mille autres exemples).

      Romain Gary, vous plaisantez ? Moi, ça ne me fait pas rire.

      Les Vampires, pourquoi pas, encore que, j’espère qu’il apportera un peu plus de surprises que les prétendus « Gothiques ».

      Reste le dernier Shakespeare, pour qui ça ne sera jamais trop peu ou trop tard (et là, oui, oui, oui, on peut crier au génie !)

      • J’exprime ici des opinions et une sensibilité, j’en demande pardon à ceux qui s’en froisseraient ; libre à eux d’exprimer, s’il leur plaît, des opinions et une sensibilité contraires, sans inutilement chercher à me pousser à la polémique, que je veux éviter, quitte à prendre lâchement la fuite devant elle.

  13. Le mésaise d’amour.

    Vous connaissez évidemment, au moins de réputation, la prose tant célébrée d’Amyot.

    Je relis en ce moment, avec quelles délices, sa traduction de la pastorale de Longus, qui a été revue par pas moins que Paul-Louis Courier lui-même.
    Cette langue m’éblouit : sa beauté est toute de simplicité, et l’expression y prend toujours, dirait-on, le chemin le plus court :

    « elle [Chloé] pensait à Daphnis nu, et ce penser-là était commencement d’amour. » Si bien que « bientôt elle n’eut plus souci ni souvenir de rien que de Daphnis, et de rien ne parlait que de lui. » Et quant au pauvre Daphnis, qui lui a « ravi le sommeil », « il se consumait, il séchait comme les herbes au temps chaud, n’ayant plus de joie, de babil, fors qu’il parlât à elle ou d’elle. »

    Et j’ai dit ici déjà comment, à ce « fors que » délicieusement archaïque, Montherlant — ce Romain perdu en plein XXe siècle — ne sut pas résister.

    Je suis d’avis que ceux qui aiment passionnément la langue française se retrempent « de fois à autre », pour faire une salutaire cure de jouvence, dans les traductions d’Amyot — aussi imparfaites soient-elles au point de vue de la fidélité —, et dans les pamphlets de Courier.
    L’un et l’autre sont heureusement en Pléiade, — même si le second ne l’est plus désormais que virtuellement et à titre honorifique.

    Autre chose : savez-vous que la correspondance de Madame Schiappa vient de paraître ?

    • Bonjour Ahmed,
      Je suis heureux de trouver sur ce blog quelqu’un qui apprécie Amyot et ses traductions « aussi imparfaites soient-elles au point de vue de la fidélité ».
      Ce pauvre Amyot s’est vu plus haut gratifier de qualificatifs moins indulgents à propos de sa version de « La Vie des hommes illustres » en Pléiade ; si vous voulez rire un peu, je me permets de recopier ici un petit extrait de ce florilège : « Le Plutarque également mériterait de passer à la trappe, […] ; la saveur des Vies selon Amyot s’étant dissipée depuis belle lurette, trois traductions modernes de bel aloi persuadent de laisser son français traînant sombrer dans l’oubli. »

  14. Cher Domonkos,
    Je ne sais pas quels sont vos critères pour désigner un artiste de génial, mais, concernant Huysmans, il me semble que sur le seul plan de l’écriture ( pour un écrivain, c’est quand même le critère le plus important…) on peut sans trop se forcer, lui accorder ce titre. Pour ma part, je le trouve infiniment plus innovant, inattendu, original, que Zola ou les Goncourt, auxquels on le compare trop souvent. Et je pousse la témérité jusqu’à dire que Huysmans dépasse Léon Bloy, l’éternel numéro 2.

    • Je vous rends les armes et il ne me viendrait pas à l’idée de placer ceux que vous nommez au-dessus de Huysmans ; ma remarque se voulait simple réserve, contre l’usage abusif et dévaluant du terme « génie » ou « génial » : peut-être mon exemple fut-il (futile ?) mal choisi.

    • Cher Zino, un profane ès lettres françaises du XIXe siècle peut considérer que, sur le strict plan stylistique (art narratif, beauté et originalité de l’écriture, force évocatrice du trait) et générique,
      Huysmans est un distant second de Villiers, splendidement édité par Castex et Raitt en Pléiade. Il est séduisant de spéculer que les caciques de chez Gallimard ont jugé l’auteur d’A rebours dès lors dispensable, jusqu’à ce qu’un part de la gloriole attachée au nom de Houellebecq ne rejaillisse sur lui. Je partage l’avis de Demonkos : bon, voire grand écrivain, et ingénieux (au sens du latin ingenium) styliste, mais sûrement pas « génial ».

  15. Cher Domonkos,
    Il ne s’agissait pas pour moi de vous encourager à la querelle. C’est juste une réaction devant le qualificatif « estimable » pour un auteur majeur ( pour moi…) qu’on ne lit plus trop et qu’on cite beaucoup. Un seul volume pour Huysmans, la triste plaisanterie…
    Garnier à entamé une intégrale. Espérons qu’elle ira jusqu’au bout.

    • Estimable n’a rien de dépréciatif mais souffre tout de même de trop de modération dans l’admiration, j’avais sans doute trop en tête le génie hors norme de Shakespeare et, du coup, cela a abaissé toute mon échelle d’appréciation pour les auteurs qui sont appelés à partager avec lui la prochaine actualité pléiadesque. A part ça, point ne suis marri de votre réaction, au contraire (tout vaut mieux que l’indifférence, n’est-ce pas ? ha ha ha)

  16. Cher Neobirt7
    C’est bien là qu’apparaît dans toute sa puissante subjectivité, la notion de génie. Où réside le génie de Baudelaire ? Celui de Hugo ? Virgile est-il plus génial que d’Aubigné ? Et d’ailleurs peut on utiliser des superlatifs de comparaison pour désigner une notion dont l’essence même suppose un absolu. Réduire Huysmans à son seul ingenium c’est lui retirer sa profonde originalité scripturaire. D’ailleurs s’il fallait parler de littérature générique, Villiers, Barbey d’Aurevilly, Maupassant, bref, tous les décadents réalistes, qui se piquent de littérature fantastique, entretiennent peu de rapports avec lui. Je me plais à penser que Huysmans est un génie de la prose française, grâce à cette combinaison inédite de style claudiquant ( il faudrait faire, chez lui, une étude stylistique de la cadence mineure) de baroque sarcastique, de misanthropie autiste ( il faut voir comment le thème du célibataire renvoie par métonymie, à la figure de l’écrivain supérieur) de réalisme photographique, de romantisme noir, de lexiques fulgurants comme des pierreries, placés au milieu d’une prose volontairement neutre, de toute une stratégie anti-narrative, visant justement à faire exploser le carcan mollasson du roman moderne. Le génie de Huysmans réside exactement dans cette alchimie vulgaire et sublime, que les thuriferaires de la recta litteratura considèrent au mieux comme une monstrueuse curiosité.

    • Cela vous ennuie, Zino, si je reprends votre commentaire dans une page de présentation Huysmans sur propagerlefeu.fr ? (À partir de « Je me plais à penser… »)

    • Je me rends compte, en vous lisant, que je suis trop avare dans l’emploi du mot « génie » en littérature, mais encore une fois, pardon, c’est en réaction contre le mésusage médusant de ce terme, pour qualifier toute sorte de petits chanteurs, barbouilleurs ou écriveurs à la croix de bois dont on nous assomme ad libitum. Je vais tâcher de me soigner.

      • Ou pas. La parfaite santé mentale, morale, est peut-être la pire des maladies. La santé, c’est bon pour le corps. Ha ha ha (encore).

    • Zino, j’entendais simplement dire que Villiers a beaucoup subverti les genres littéraires dans lesquels il trouvait des limites à sa puissante originalité; est-ce aussi vrai de Huysmans ? Il ne vous échappe pas que l’obsession du classement par genres trahit l’antiquisant; qu’on le veuille ou non, Grecs et surtout Romains ne considéraient pas que l’on pût frayer un chemin à l’écart des grands maîtres, que l’on fût donc alter sine illo magistro. Pour moi, de ce que j’en ai vu, Huysmans ressemble au croquis horatien sur lequel s’ouvre l’Art poétique.

  17. Je ne crois pas à ce que vous appelez « stratégie anti-narrative », pas plus qu’à l’idée de roman blanc – il y a des romans où la structure du récit est cultivée pour elle-même, voilà tout, et cela dès le Satiricon. Non plus que je ne vois dans A rebours une technique de subversion générique plus souveraine que dans Bouvard et Pécuchet, ô combien mieux écrit.

  18. Neobirt7
    Vous ne sauriez pas si bien dire ! Voilà pourquoi j’ai parlé de monstrueuse curiosité. Mais avec Huysmans il faudrait ajouter : in cauda venenum est.
    Huysmans ne recherche pas l’harmonie mais une certaine forme paradoxale d’unité. Je vous laisse apprécier la différence.
    Quant à ses prédécesseurs, il n’a jamais renié ce qu’il devait à Zola et aux soirées de Médan. Simplement il s’en est affranchi, a plongé « au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau »

  19. Cher Neobirt7
    Je ne voudrais pas commencer une discussion sur la meta-fiction, ni même en faire la généalogie, car cela déborderait trop largement du cadre que Brumes nous autorise bien gentiment à déborder un peu. Libre à vous de trouver l’écriture de Bouvard supérieure à celle d’À-rebours. Je ne partage évidemment pas cet avis. Du reste, le trouver mieux écrit ne veut rien dire. D’une certaine manière, Huysmans écrit « mal »… Bref, développer les raisons de ma préférence serait superflu, tout cela renvoyant, de facto, à la vieille problématique de la réceptivité, dont j’ai eu l’occasion sur ce blog de parler très succinctement.
    Flaubert est un grand écrivain, Salammbo est l’un de mes romans favoris ( sans doute mon penchant pour l’heroic fantasy) mais je ne lui trouve pas de génie. En tout cas, pas comme je l’entends.

  20. Acheté aujourd’hui la correspondance balzacienne à la Pléiade, malgré mes réticences devant l’élision des lettres à Madame Hanska. Dans son introduction, très rhétorique, voire ronflante, et son appareil critique, plutôt maigrelet (rien à voir avec les annotations pléthoriques de Bruneau aux lettres de Flaubert ou de Pichois à celles de Baudelaire dans la Pléiade), le grand Roger Pierrot me semble en singulière méforme. La justification présentée pour l’appauvrissement de cette édition tient moins encore du déni de science que de la tartufferie; comme personne à ma connaissance n’a reproduit in extenso ce texte, le voici :

    « le poids démesuré des Lettres à Madame Hanska, leur caractère de journal intime et littéraire – qui aurait été rompu par l’intercalation de la correspondance générale polyphonique, dont le classement chronologique strict serait devenu impossible – nous avaient déjà incité (comme Albert Béguin et Jean-A. Ducourneau avant nous) à ne pas les publier dans l’édition Garnier. Ici également, les lettres à Mme Hanska, à sa fille et à son gendre – rééditées par ailleurs en 1990 – n’ont pas été reprises. A cette exception près, nous nous sommes astreints à publier toute lettre ou billet de Balzac que nous avons pu recueillir et dater, même approximativement. Il nous a paru essentiel et nécessaire de joindre aux lettres de Balzac celles qu’il a reçues de ses correspondants et correspondantes et qui nous ont été conservées » (I, pp. LVII-LVIII).

    Eh quoi ! les lettres des épistoliers occasionnels ou familiers de Balzac seraient donc plus « essentielles et nécessaires » que celles qu’il a multipliées à l’adresse de la comtesse polonaise et de sa parentèle… Autant publier la correspondance de Cicéron expurgée des Ad Atticum ! Quant à l’antithèse entre la prétendue polyphonie de Balzac épistolier et le caractère intime de ses missives à l’Etrangère, on s’étonne qu’un aussi grand savant que Pierrot songe à s’en autoriser pour mutiler la correspondance de Balzac pendant sa dernière décennie, où Mme Hanska est partout. Il y a de quoi subodorer ou un conflit entre Gallimard et Robert Laffont à propos de la reproduction du texte de l’édition Pierrot des lettres à l’Etrangère ou de basses considérations mercantiles de la part de la Pléiade (une correspondance complète sur Bible aurait compté deux ou trois volumes de plus, surtout vu leur assez faible épaisseur). Quitte à verser dans la cruauté, Pierrot n’avait plus grand chose d’un chercheur quand il a signé cette scandaleuse tirade. Qui plus est, les lettres inédites justifient à peine l’acquisition de cette édition; le commentaire n’en a même pas été étoffé, alors pourtant qu’il s’agit de publications princeps ! Comme pour le choix des vignettes sur le carton illustré (trois atroces caricatures, de nature à faire passer pour une merveille celle ornant la nouvelle Pléiade Rimbaud), c’est un travail dans le vent et dénué d’ambitions documentaires.

    • Vous avez raison et je vous trouve même, pour cette fois d’une grande mansuétude… Le procédé est injustifiable et, par un reste de respect de ses lecteurs, l’éditeur ne devrait pas aggraver son cas en tentant de le justifier par des arguments qui ne peuvent être qu’en bois (et pas d’un bois des plus précieux).

  21. Suis d’accord avec vous Neo-Birt je l’ai écrit ici déjà il y’a longtemps ! Mais vous pouvez toujours lire les lettres à Madame Hanska (même éditeur come par hasard!) dans les 2 excellents volumes collection Bouquins. Cette pléiade lettres (3 volumes quand même!) nous a offert beaucoup de nouvelles lettres malgré tout.

    • Tout à fait, Tigrane, je m’en souviens. Mon intervention vise cependant aussi à flétrir Pierrot et M. Yon pour avoir perpétré cette ignominie éditoriale. Déjà dans l’introduction de son « Classique Garnier » sur la Correspondance, le premier de ces auteurs se permettait de ne pas argumenter l’exclusion des lettres à Mme Hanska; tout au plus y lit-on, pp. XI-XII, le singulier argument que voici (encore une fois, il faut le reproduire in extenso) :

      « la correspondance conservée de Balzac est beaucoup moins abondante que celles de Mérimée, Saint-Beuve, Flaubert ou Hugo, pour ne pas parler de celle de George Sand. Mais cette correspondance souffre d’un grand déséquilibre. Dans une statistique numérique, les lettres à Mme Hanska ne comptent que pour 460 numéros, mais ces 460 lettres remplissent plus de 2 200 pages in- 8 de typographie serrée. Contrairement à la plupart des grandes correspondances littéraires, celle de Balzac ne va pas en se gonflant dans les dernières années de l’écrivain, la montée de la gloire engageant les correspondants à conserver les autographes. A partir de 1844, la correspondance générale de Balzac va en s’ amenuisant , car une seule correspondante, Mme Hanska, l’accapare tout entier ; quand il est séparé d’elle, il lui écrit presque tous les jours, lui envoyant à un rythme irrégulier de gros paquets de ce véritable journal; ainsi, de 1846 à 1848, 10 à 15 pages d’une écriture serrée s’étendant sur 4 à 10 jours sont de règle. Quand il voyage en Europe occidentale en sa compagnie ou séjourne chezz elle en Ukraine, il n’écrit que de rares lettres d’affaires à à sa famille, à des éditeurs ou à des fonctionnaires russes. Le poids démesuré des Lettres à l’Étrangère, leur caractère de journal, nous a incité à ne pas les reprendre dans notre édition. On lira donc ici toutes les lettres de Balzac que nous avons pu retrouver à l’exception de celles adressées à Mme Hanska ».

      Depuis quand le « poids démesuré » et la nature thématique d’une portion des lettres d’un grand écrivain, ou d’un grand personnage (on pense ici à Napoléon, dont la correspondance rivalise d’ampleur comme d’intérêt avec celle de G. Sand), constituent-ils des obstacles qualifiants à leur insertion dans une publication de type maior, tels les « Classiques Garnier », où ont paru les innombrables tomes des lettres de Sand ? Nos jugements nous jugent; celui de Pierrot ne vaut pas l’encre qui a servi à le composer, et je m’étonne que ce conservateur de bibliothèque ait eu si grande réputation chez nous, alors qu’un Pierre Barbéris, à la fois pédagogue de génie, travailleur inlassable et immense érudit, fut constamment marginalisé durant sa carrière. Je ne veux maintenant pas m’étendre sur le cas de M. Yon, amateur éclairé qui a certainement rendu moult services à Balzac, mais dont enfin, depuis qu’il est à la retraite, on attend vainement que paraissent dans les revues et surtout sous forme monographique les fruits de cinquante ans de passion balzacienne soit-disant délayés par les obligations de sa carrière non universitaire. Pour avoir prêté les mains à la décision exécrable de Pierrot, M. Yon ne me semble pas mériter très grande estime.

      • Je radote, je radote, mais ces « arguments » me laissent pantois ! Pour parler familièrement, « qu’est-ce qu’il fume ? » ce monsieur ?

  22. Cher Domonko, les 2 volumes des romans de Gary ne seront pas si mauvais ! Il était un adepte de la réécriture et des corrections. Et n’aurez-vous pas un plaisir à relire Éducation européenne, Promesse de l’aube, la Vie mode d’emploi, Pseudo etc?

    • La Vie mode d’emploi ? Gary n’était donc pas seulement derrière Ajar, il était derrière Perec ? Quel mystificateur !
      Vous vouliez bien évidemment parler de La Vie devant soi.

    • J’ai plutôt de la sympathie et de l’intérêt pour Gary, je n’ai éprouvé aucun désagrément à le lire, et sa présence en Pléiade ne me dérangerait pas (pas plus et parfois plutôt moins que celle d’autres de mes cibles favorites : Kundera, Roth, Colette, même Duras…) s’il n’y avait autant de grands et considérables absents que j’aurais voulu voir rejoindre la collection avant notre ami Romain. Il ne s’agit donc pas d’un jugement de valeur essentiel, mais plutôt conjoncturel.

  23. Oui cher Brumes ! Quel lapsus calami. Désolé. Mais finalement ce sont 2 très bons livres à relire….! Je suis vraiment d’accord avec vous Neo-Birt, quel bêta argumentaire. Sa seule vraie raison est «que la vente de mon édition Bouquins continue !» L’essentiel au fond est qu’on puisse lire ce monument balzacien, même hors Pléiade…

  24. Du vivant de Kierkegaard, c’est à peine s’il se vendait par-ci par-là quelques dizaines d’exemplaires de ses livres (les premiers tout du moins), tous publiés à compte d’auteur :

    « Ma destinée d’auteur, je la dois principalement à elle [sa promise qu’il n’épousera jamais], à ma mélancolie, ainsi qu’à mon argent. »

    Les contemporains, comme il est naturel, n’entendirent goutte à ces livres richement et savamment composés et d’une grande beauté formelle. « Kierkegaard ? J’en ai lu très peu, et de ce peu que j’ai lu je n’ai pas compris grand-chose », dit quelque part Ibsen.

    On prie pour que ses deux Pléiades connaissent un meilleur sort.

    J’aurais juré par exemple que les Pléiades de la sublime Virginia Woolf auraient bien « marché », or il semble que ce ne fut pas le cas. Qu’en sera-t-il d’un auteur aussi original que Kierkegaard ? Et Madame de Staël, à qui on a cru pouvoir donner un petit coup de pouce en réimprimant le vieux volume de son Benjamin Constant, comment se porte-t-elle aujourd’hui ?

    Le métier d’éditeur, de nos jours, ne doit pas être une sinécure. Ne conduit-il pas à tout miser sur les auteurs « faciles », célèbres, adulés, merveilleux, que tout le monde dit lire, veut lire, et qui sont « tellement et tellement… qu’on ne sait plus quoi dire. » Et quand ils meurent ! — car ils meurent aussi —, ce grand malheur qui devient un grand bonheur : car voilà l’occasion rêvée de les lire derechef, et de faire la découverte de ce petit texte inouï — ô merveille ! —, qu’on croyait perdu, oublié à jamais et que le cher éditeur réédite pour la circonstance.

    • Joli. Versons une larme sur le sort du malheureux Gallimard et, tant qu’on y est, respectons une minute de silence (irons-nous jusqu’aux fleurs, dessins d’enfant, bougies allumées ?)
      Je ne me moque pas, Ahmed, je renchéris sur vous.

  25. J’ai commencé les Pléiades Kiergedaard par relire (paresse…) « feu » le Traité du désespoir (comme c’est curieux ces changements de noms des œuvres mais je ne peux pas juger de leurs pertinences : mon danois est trop faible !!) et je me demandais si quelqu’un ici, avait un avis sur le choix des œuvres, traducions, pertinence des notes etc ? Par rapport à l’édition Bouquins ? L’illustration d’Hammershoi pour le coffret est un peu bizarre mais sympathique, vous me direz que c’est un peu court comme commentaire d’une œuvre philosophique aussi importante…

    • Je n’ai pour l’instant lu que la préface qui met, je trouve, bien en perspective les différents aspects du complexe Soren et surtout souligne son ancrage dans l’histoire des lettres scandinaves (en pointant les références aux Eddas par exemple). Concernant la comparaison avec le volume Bouquins, il faut d’abord préciser que celui-ci est indisponible au catalogue… et qu’il ne comporte que quatre oeuvres. L’édition Pléiade est donc déjà beaucoup plus complète. Les notes sont aussi bien plus nombreuses (plus de 200 pages pour le premier tome). Quant aux traductions, elles sont toutes nouvelles et signées de Régis Boyer (Michel Forget s’étant surtout chargé semble-t-il de relire les épreuves après le décès de Régis Boyer). Dans le volume Bouquins il s’agissait de traductions assez anciennes un peu ripolinées.

  26. Pour 160€ je me suis procuré, ce mois-ci, chez les bouquinistes (Paris et Alès), en excellent état, quasiment comme neuf (je ne supporte pas moins) : Defoe Moll Flanders (complète mon Rovinson Crusoe) ; Romanciers du XVIIe tome II (complète mont tome I) ; Théâtre du XVIIe tome I (complète mon tome II) ; Saint-Simon tome III, V et VI.

    Je reporte à plus tard l’achat neuf, pour 125€ de Kierkegaard, j’ai jusqu’au 31 décembre pour profiter du prix de lancement, et cela m’évitera de me voir proposer par mon libraire le Fan-Album Simone de B. (je sens que cela me rendrait désagréable).

    Par la suite, mes achats à parution vont devenir l’exception, et je vais remplir les trous de ma bibliothèque pléiadesque avec les grands classiques des belles années. Comme quand, enfant, je remplissais les cases vides d’un album d’images… De plus en plus vieux réac » !

    • Nous serons deux, cher Domonkos. Je garde deux places pour Les Lais et Huysmans l’année prochaine mais les autres achats concerneront surtout les pléiades 1960-1999 que je désire et que je n’ai pas encore.

      • Mon libraire a eu l’extrême gentillesse de me négocier un album, alors que je lui soutenais que le programme de la Pléiade « était nul en ce moment » (pour faire court) et que je n’ai presque rien pris.
        De mon côté, j’en profite pour voir du côté d’autres éditeurs (j’ai acquis trop de Pléiades encore non lues, ce qui est un vice) ; et pour compléter mes trous en Belles lettres / CUF.

      • Même chose. Les Lais, et puis session de rattrapage pour Kierkegaard (ah, si j’arrive à persuader quelqu’un de me l’offrir pour mon Noël !)… Je préfère ne pas préjuger de 2019, on verra ce qu’il sera tenu des « promesses »…

        Disons que 2018 sera une année (quasi) sabbatique ou bien une cure de désintoxication… Même le Stevenson – je l’ai déjà dit – est comme une épine dans le pied : achat obligatoire quand on a les deux premiers volumes, mais cruelle déception devant sa minceur et sa fadeur… Un volume si attendu, incontournable et si décevant, c’est pire que pas de volume du tout (au moins, on peut continuer à en rêver et l’attendre comme le messie). On attend plus d’une édition en Pléiade que d’une édition ordinaire, et quand on nous livre des Stevenson, des Verne, des London, etc. qui n’apportent rien de nouveau, pas un brin de connaissance, pas une émotion, pas un frisson, on est en droit d’être chagrin et colère.

        J’ai plus de mal à pardonner à Gallimard ces Pléiades décevant(e)s que les Pléiades absent(e)s.

  27. Zino ce vous est un jugement totalement personnel de déclarer que Bloy vient après Huysmans, que Bloy fut l’éternel numéro 2. Ce n’est certes pas l’avis d’écrivains tel que Borges, Junger, Kafka qui mettent Bloy au plus haut. Les deux colloques Bloy 2017 ont montré à quel point restait vivant cet écrivain extraordinaire dont la sémiosis où tout se répond forme une œuvre d’une originalité totale. Même si je mets son Journal (pas le Journal inédit) au dessus du reste de l’œuvre ça ne veut pas dire grand chose. Le Désespéré est aussi une sorte de Journal, Les Histoires désobligeantes également. Bloy prodigieux écrivain dont la vaste conglobation, la constante réitration ne vise pas à moins que de tresser une seconde Bible à l’échelle de l’individu, Bloy lui-même, prit comme macrocosme et « avalant » le lecteur devenu un satellite de cet univers ouvre à la littérature une expérience telle qu’elle serait inconcevable sans lui . Son style est superbe, semé de trouvailles qui zèbrent la langue. On l’a dit précurseur de Céline parce que son style peut convenir au lecteur de 16 ans apprenti-coiffeur comme à l’académicien, et c’est vrai qu’il s’est créé une langue unique qui convient à tous, à condition de rentrer dans ce monde qui fascinait Bernanos. Mais a quoi sert-il que que je m’ égosille du phonème : on est Bloyen ou on ne l’est pas. Reste à témoigner que Dominique Gillet- Gérard au colloque de Périgueux en 2002 a bien mis en lumière les petits larcins de Huysmans sur Bloy. Mais je ne vais pas recopier un article ! (et puis ce n’est pas très important).
    En tous cas, non, on n’a pas le droit devant la postérité de déclarer aujourd’hui que Bloy est l’éternel numéro 2. IL suffit de voir le travail que font les éditions du Mercure de France pour Bloy et le livre monumental (Bloy et la bible) que lui a consacré Pierre Gaude qui donne tant de son temps à Bloy -dont la meilleure édition du Désespérée, en poche. De Glaudes toujours, pour bien comprendre le génie (oui, là j’use du mot) de Bloy il faudrait lire « Léon Bloy romancier », un titre qui masque le fait que dans les quelques 800 pages du livre c’est toute l’œuvre de Bloy et sa redoutable cohésion qui est mis en lumière.
    « Bloy est un cristal jumelé de diamant et de boue » Junger (C’est le « j’entrerais dans le Paradis avec un couronne d’étrons » qui amène chez Junger l’image de la boue).

    Mais j’aime beaucoup, oh que beaucoup certes ,Huysmans hein. Le voyage dans la lune de Jacques Marle, quel moment. Mais je ne mettrais pas ces auteurs sur un podium avec numéro.

    • Madeleine Bloy-Souberbielle, la fille de Léon Bloy, a accordé un entretien à Michel Malicet en 1987. Elle évoque avec lui Huysmans.


      M. M. – Votre père s’est quand même fait beaucoup d’ennemis par le biais de cette plume. Pour Huysmans, le cas est différent.

      M. B. S. – Il n’a jamais pu se défaire d’un profond attachement pour Huysmans. Il aimait profondément Huysmans.

      M. M. – Même, en revenant du Danemark, après la rupture…

      M. B. S. – Il n’y a pas eu de rupture.

      M. M. – Je veux dire, la désaffection, l’étonnement se manifestent au moment où Huysmans commence à publier en feuilletons Là-bas. Le premier chapitre soulève l’enthousiasme de votre père. Mais ensuite à mesure qu’il avance…

      M. B. S. – Mon père lui a d’abord écrit une lettre très belle, à laquelle il n’a pas répondu, je crois. Et puis, plus il a avancé dans sa lecture, plus il en a été dégoûté. Mais le début l’avait conquis.

      M. M. – A-t-il revu Huysmans?

      M. B. S. – Je ne crois pas. Huysmans s’est complètement éloigné. Il devait être témoin de son mariage, je crois bien qu’il avait accepté, mais il n’est pas venu.

      M. M. – Et ensuite?

      M. B. S. – Il ne l’a jamais revu. Ça prouve bien que Huysmans a toujours détesté mon père. Il a eu pour lui une haine féroce. Ça faisait partie de lui-même, cette haine.

      M. M. – Et votre père n’avait pas d’idée de l’origine de cette haine?

      M. B. S. – Oh ! pas du tout ! jamais il n’a compris, il l’a toujours aimé, et Huysmans l’a toujours haï.

      M. M. – Et même votre père a toujours gardé un portrait de lui.

      M. B. S. – Oui, il l’a toujours laissé au-dessus de son bureau. Il ne pouvait pas se débarrasser de cette amitié. Il l’a dit d’une façon très nette. Même, un jour, à table, au petit-déjeuner, il était seul avec moi et puis tout à coup il m’a dit : « Nous allons voir si Huysmans me demandera pardon avant de mourir. »

      M. M. – C’était au moment de la maladie de Huysmans?

      M. B. S. – Oui, il m’a dit ça à moi, comme ça. Et pourtant, ensuite il m’a prise à part pour me dire : « Souviens-toi que tes petits frères sont morts à cause de lui. » En effet, c’est à cette époque que Huysmans avait écrit à un journaliste : « Léon Bloy crève du silence. Surtout ne le rompez pas. » Oui, il lui a écrit cela : « Léon Bloy crève du silence. Surtout ne le rompez pas. » !

      Cet entretien se trouve dans le Cahier de l’Herne consacré à Bloy.

  28. Emporté par le flot de votre rhétorique, cher Rétif, vous qualifiez de ‘livre monumental’ le « Léon Bloy, la littérature et la Bible » de P. Glaudes, simple recueil d’articles non révisés, ou « Kleine Schriften », datant de 1990-2015 et qui n’a rien à faire dans la collection ‘Essais’ des Belles Lettres (450 pages petit in-octavo). Ce qui est plus grave, vous créditez le même Glaudes d’un titre qui n’existe simplement pas (« Léon Bloy romancier » !).

    • pardon : « L’œuvre romanesque de Léon Bloy ». J’ai tapé ça vite. C’est d’ailleurs ce dernier que je trouve monumental, l’autre livre je n’en ai lu que des recensions plus que flatteuses, et connaissant et Pierre Glaudes et son profond savoir sur Bloy je ne doute pas que l’ouvrage soit bel et bien monumental cher Neobirt7Quel sujet !

      • Précisons qu’il existe deux « L’oeuvre romanesque de Léon Bloy ». La première mouture, portant le sous-titre « Ecriture des mystères et mystère de l’écriture », constitue la thèse de M. Glaudes (Toulouse II, 1986, 3 vol., 886 pages grand in-quarto). Une version révisée et quelque peu amaigrie en a paru en 2006 aux Presses universitaires du Mirail (754 p. petit in-octavo); elle m’est vite tombée des mains, alors que j’avais dévoré l’ouvrage non moins considérable de Pierre Testud sur Rétif de la Bretonne. Concernant M. Glaudes, je trouve plutôt préoccupant qu’il s’occupe ainsi des racines doctrinales de l’oeuvre de Bloy sans être solide historien de la réception de la Bible, donc un minimum ferré en latin, en grec et en hébreu, histoire de ne pas se trouver, en cas de difficulté technique, à la merci des préjugés ou mêmes des erreurs inhérents aux sources bibliques intermédiaires que ses compétences ne lui permettaient en aucun cas de choisir avec discernement. Pour la monumentalité des thèses, nous autres français, à l’exception des travaux qui paraissent dans la Bibliothèque des Ecoles Françaises d’Athènes et de Rome (BEFAR), sommes encore loin des allemands ou des américains; le petit génie de la sumérologie Paul Delnero a doctoré en 2006 avec de splendides « Variation in Sumerian Literary Compositions. Case Study based on the Decad » qui ne comportent pas moins de 2500 pages.

  29. Messieurs,
    La vivacité de vos propos vient très clairement illustrer toute la partialité qu’il y a dans la reconnaissance du génie, chez untel ou untel. Restif, mon appréciation n’est pas absolument personnelle. Le « génie » de Huysmans a toujours éclipsé celui de Bloy. J’en ai tiré, sans doute un peu hâtivement, des conclusions partiales, mêlant le subjectif ( mon admiration pour Huysmans) à l’objectif ( son aura indéniable parmi ses admirateurs, dont… Bloy)
    Quant à faire de Huysmans une « pourriture » je ne sache pas que la « bonne conduite » soit un élément indispensable à la condition de génie. Et puis, cet « infâme » Huysmans avait imprimé, défendu, plébiscité, « Le désespéré » de Bloy…

  30. Je reviens en amont, pour développer ma réponse à Tigrane qui me reprochait (amicalement) de faire montre de trop de mépris pour Romain Gary – interprétation qui repose sur un malentendu dont je suis seul responsable.

    Donc, développons. D’accord pour Gary, pour Kundera, pour Beauvoir, même pour d’Ormesson, si vous voulez et pour tous ces américains, à la mode du jour ou bien arrachés à leur semi-oubli, si ça vous chante… Mais quoi ? l’histoire de la littérature au XXème siècle se résumerait donc essentiellement à un dialogue franco-américain ? Sans même parler du reste du monde (allez, ignorons-le superbement !) n’y a-t-il donc eu aucun auteur considérable au XXème siècle, en Europe ? Fi donc ! de ces littératures marginales et de peu de valeur, allemande, espagnole, italienne…

    Le coeur me fend lorsque je constate l’absence quasi totale des Belles Lettres italiennes !… Il faudra s’y résigner, il n’y a d’auteurs que ceux qu’on peut apercevoir des fenêtres de la Maison Gallimard, soit grosso modo, germanopratins ! Ces dames et ces messieurs ont fait leur, le patriotisme parisien du bon François Villon, et, avec lui, proclament :

    « Quoiqu’on tient belles langagères
    Florentines, Vénitiennes,
    Assez pour être messagères,
    Et mêmement les anciennes,
    Mais soient Lombardes, Romaines.
    Genevoises, à mes périls,
    Pimontoises, savoisiennes,
    Il n’est bon bec que de Paris. »

    Etendant leurs regard un peu au-delà, par-dessus, Rhin, Vistule, Danube, Pyrénées, ils persistent et récidivent en annonçant :

    « De beau parler tiennent chaïères,
    Ce dit-on, les Napolitaines,
    Et sont très bonnes caquetières
    Allemandes et Prussiennes ;
    Soient Grecques, Egyptiennes,
    De Hongrie ou d’autres pays,
    Espagnoles ou Catelennes,
    Il n’est bon bec que de Paris. »

    Enfin, féminisme le voulant, nul doute qu’après les « bonnes caquetières » Colette, Beauvoir, Duras, nous aurons toute la cohorte des Dames de Lettres qui illustrent notre Capitale-Phare éclairant le Monde, et qu’on nous serinera à longueur de journée :

    « Prince, aux Dames parisiennes
    De bien parler donnez le prix (…) »

    • Veuillez retirer, je vous prie, de mon petit libelle, « genevoises » : nous avons tout de même eu Rousseau, puis Ramuz et enfin Cendrars…

      • Je note au passage que Françoise Villon distingue soigneusement « espagnoles » et « catalanes » (ce qui est parfaitement compréhensible à son époque) : voilà qui devrait lui valoir quelque surcroît de popularité du côté de Barcelone.

        • Et pan sur le bec ! V’là t’y pas que je transforme le bon garçon en caquetière en l’affublant du prénom : Françoise…
          (encore heureux que j’aie échappé au François Fillon que me proposait le « correcteur » automatique)

  31. Premier Prix Jean d’Ormesson à Jacques-Stephen Alexis… disparu en 1961. Mais le temps ne fait rien à l’affaire, et il est toujours urgent de réparer une injustice, la postérité est parfois aussi ingrate que les contemporains.

    J-S. Alexis, écrivain relativement médiocre mais bon soldat communiste et héros-martyr de la lutte contre la dictature duvalliéraine (mort en 1961), dont l’oeuvre se trouve chez Gallimard, bientôt en Pléiade ?

    • Bonjour. Héloïse d’Ormesson avait prévenu : « « Ni l’époque, ni la langue, ni le genre n’entraveront le choix des douze jurés. Seuls leurs goûts, leur complicité et une certaine forme d’affinité élective guideront leur sélection », donc rien d’étonnant que les jurés se soient entendus pour « éclairer » l’œuvre d’un écrivain haïtien mort depuis un demi-siècle (écrivain dont, personnellement, je n’avais jamais entendu parler). Apparemment vous semblez le connaître : qu’entendez-vous par « relativement médiocre » ? Est-ce votre avis de lecteur ? Le (dé)conseillez-vous ? Merci.

      • Je connais plutôt mieux que bien ces écrivains haïtiens et plus généralement caraïbes (pardon pour ce qui ressemble à une vantardise). Si vous allez sur wikipedia vous tomberez sur un chant lyrique à sa gloire, écrit probablement par un fan militant de la cause des lettres caribéennes et afro-américaines, tiers-mondiste et faisant à J-S. Alexis un titre de gloire d’avoir reçu les félicitations de Mao Zedong. Hélas ! La meilleur façon qui soit de le maintenir dans un ghetto.

        J-S. Alexis, donc, bon soldat communiste, porté sur le pavois des lettres par tout ce que le Parti comptait d’intellectuels, et par suite fort surévalué. Je dois faire cet aveu : y compris par moi-même, à mon modeste niveau, dans une médiocre étude heureusement bien oubliée et introuvable sur les « littératures des Mondes Noirs », du temps où j’avais la jobardise de croire que la qualité d’homme à la peau noire, descendant d’esclaves, combattant-martyr d’une dictature fasciste, était un titre suffisant pour qu’on criât au génie littéraire, et en oubliant au passage – mais cela n’a rien à voir avec la littérature non plus – que le même homme soutenait toutes les dictatures staliniennes et maoïstes de la planète, en vertu du principe qui veut qu’on ne se guérit vraiment de la peste qu’en s’inoculant le choléra.

        En récompense de son aveuglement devant les morts de Budapest ou du Grand Bond en avant, et de ses pèlerinages à Moscou et Pékin, ses camarades ne l’empêcheront pas de s’imaginer en nouveau Castro, libérateur d’Haïti, et le laisseront aller au-devant d’une mort quasi-certaine, en débarquant sur une côte de l’île (c’était très à la mode, à l’époque).

        On sait que Jean d’Ormesson se plaisait en compagnie des Hommes de Gauche, ce devait être sa façon de « s’encanailler » et de faire passer un frisson dans le dos des bourgeoises lettrées dont il était le grand homme. Au premier rang desdits amis de gauche, Aragon (par commun goût du « mentir vrai » peut-être). Jacques-Stephen Alexis avait bien sûr bénéficié d’un de ces parrainages qu’Aragon dispensait d’un geste large de la main, à l’instar de l’auguste semeur. Cela impressionnait alors et peut encore bluffer ceux qui ont envie de l’être. Et c’est pourquoi votre fille, loin d’être muette, parle à tort et à travers.

        « L’espace d’un cillement, » « Compère Général Soleil », etc. sont toujours dans ma bibliothèque. En compagnie de Jacques Roumain et son fameux « Gouverneurs de la rosée » et pas mal d’autres du même tonneau. J’ai tenté d’en relire il y a quelques années. Hélas comme « ils ont mal vieilli » ! ainsi qu’il convient de dire, pour éviter de devoir reconnaître qu’on les a peut-être surévalués à la première lecture (ou bien qu’on a soi-même « mal vieilli », je ne nie pas que cette hypothèse puisse s’avérer dans mon cas).

        Certes, Jacques-Stephen Alexis est bien plus lisible aujourd’hui que Roumain, dont le roman-pensum croule littéralement sous le poids du dogmatisme politique et du catéchisme « progressiste ». Mort à 37 ans, Roumain qui n’était certainement pas dépourvu de talent, n’a pas eu le temps de nous prouver qu’il pouvait se débarrasser de ses oeillères jdanoviennes. J-S. Alexis, fut le grand promoteur du « réalisme merveilleux des Haïtiens », selon le titre d’un de ses textes théoriques. Certes, son écriture est aérienne, fantaisiste (dans le bon sens du terme), et agréable, mais il s’en faut que son vol nous entraîne vers de très hautes altitudes. Le « réalisme merveilleux haïtien » n’était qu’un provincialisme littéraire, une imitation créolisée du « real maravilloso » d’Alejo Carpentier et Miguel-Angel Asturias – véritables génies quant à eux qu’il vaudrait mieux remettre sur le pavois littéraire – mâtiné de joliesses poétiques héritées d’un vieux symbolisme tropicalisé. N’est pas Aimé Césaire qui veut !

        Je ne veux pas décourager de lire cet auteur, il le mérite, il a joué un rôle très important dans l’histoire des lettres haïtiennes et caribéennes, et c’est une expérience qu’on peut trouver agréable. Mais je ne puis admettre qu’on le place parmi les plus grands. De toute façon, sa disparition prématurée (et de la façon la plus stupide, lamentable et regrettable qui soit) nous a peut-être privé d’une oeuvre à venir dans laquelle il aurait déployé ses ailes et tenu ses promesses. Telle quelle, cette oeuvre est une « promesse de l’aube », certainement pas un incontournable, sauf pour ceux qui s’intéresse à ce domaine spécifique ou qui ont envie de voyager. Mais, méfiance, ce que vous prendrez peut-être, à première lecture, pour un « produit local » grâce à l’emploi d’un vocabulaire antillais et de tournures de phrases inspirées du créole, risque fort de recouvrir des marchandises d’importation passablement éventées, que vous mépriseriez sous leurs atours d’origine.

        Je m’en veux un peu de paraître accabler par trop cet estimable auteur et ses pareils, mais à l’inverse, il me navre de constater qu’aujourd’hui encore on dispense de ces admirations inconséquentes et qu’on ne fait pas l’honneur à ces écrivains de les prendre au sérieux, de les analyser avec les mêmes critères que tous les autres, de les juger avec la même sévérité. Si Balzac était impitoyable avec Stendhal, pourquoi ne le pourrait-on pour Alexis, Roumain, Depestre, Metellus, René Maran, Joseph Zobel et autre Léon-Gontran Damas ? Ce « paternalisme » recouvre un véritable mépris inavoué (peut-être à demi-conscient). Je ne vois pas pourquoi on s’interdirait de dire que Césaire et Glissant sont d’immenses écrivains (même dans leurs impasses), tandis que d’autres (pas forcément identifiés à tous ceux que j’ai cités) sont sans doute des jalons dans l’histoire des lettres caraïbes mais des auteurs moyens ou immatures, en ce qui concerne la valeur propre de leur oeuvre.

        On trouve facilement les livres de J-S. Alexis chez Gallimard, certains (ou tous ?) ont été réédités dans la collection semi-poche L’Imaginaire. Si vous tentez l’aventure – et si cela vous tente, il vaut mieux que vous alliez y voir vous-même, je suis prêt à lire votre avis, même et surtout s’il dément le mien – il me semble que le choix du jury n’est pas mauvais et que « L’Espace d’un Cillement » serait d’un meilleur abord que son roman emblématique « Compère Général Soleil. » Ce dernier étant franchement maladroit et démonstratif dans sa volonté de mettre en place un nouveau langage, encore balbutiant.

        Il me semble bien percevoir une évolution, une certaine dose de mûrissement d’un livre à l’autre et c’est ce qui me fait penser que Jacques-Stephen Alexis, lors de sa disparition (et sauf à se perdre totalement dans les marécages politiques) était loin d’avoir dit son dernier mot.

  32. Aux États-Unis, des romans sont scrutés avant publication pour éviter les polémiques. En France, Pierre Loti, remis en lumière par le loto du patrimoine, est montré du doigt pour ses écrits «haineux». Le livre est-il menacé de censure ?
    Bientôt, dans un roman, le personnage ne pourra plus tuer son père ou sa mère! On n’est pas à l’abri de ce qui se passe aux États-Unis et de devenir les cibles de ces “contrôleurs de sensibilité” et autres ligues de vertu. J’espère ne jamais voir ça en France…» affirme haut et fort Teresa Cremisi. L’ancienne PDG des éditions Flammarion, qui a aussi dirigé la littérature chez Gallimard, est aujourd’hui sidérée de constater à quel point le politiquement correct, incarné aux États-Unis par ce qu’on appelle les sensitivity readers, prend de plus en plus de poids. Ces «démineurs de polémiques» sont ni plus ni moins chargés de «vérifier» si un propos ou un personnage risquent d’être perçus comme racistes, homophobes, misogynes, désobligeants pour les bipolaires ou les personnes handicapées… Un métier d’avenir. » (Extrait d’un article du Figaro)

    Alors, quoi ! Je dois renoncer à l’espoir d’une Pléiade Loti ? Comme c’est triste…

    Au moins, comme ça, il n’y aura pas de débat sur le prochain Philip Roth, il ne sera pas publié ! D’ailleurs, si je regarde la liste des écrivains américains, depuis un ou deux siècles : pas un seul ne serait publié !

    Ce serait plus simple de la faire à la manière franche de Platon et d’expulser purement et simplement les poètes (et les romanciers) de la Cité.

  33. Xénophon et Ovide sont au programme de l’agrégation de Lettres Classiques de 2019. Seront-ils donc édités dans la Pléiade ?

  34. Le Kierkegaard vient de se faire allumer de belle et vraie manière dans l’Obs:

    https://bit.ly/2JBs8VC

    Il est de fait que cette édition ne démontre quasiment aucune familiarité doctrinale avec son auteur, et que les enjeux méthodologiques ont été escamotés tant par R. Boyer que par le réviseur M. Forget; le Kant de la Pléiade dirigé par le grand Ferdinand Alquié semble, par comparaison, appartenir à un autre univers académique. J’ajouterai pour ma part le caractère peu admissible de la modification de certains titres d’oeuvres; puisque les platonisants, bon gré mal gré, continuent de se satisfaire de l’Apologie de Socrate, beaucoup plus ésotérique pourtant et pas plus expressif que « Défense de Socrate », pour éviter de complexifier les références et de perturber les habitudes académiques et scolaires, je ne vois pas bien pourquoi Boyer foule aux pieds plus d’un siècle de conventions philosophiques françaises en renommant certains traités de Kierkegaard. Cui bono ?

    • Ces changements de titres devenus « classiques » semble être de mode ; je n’y vois rien d’autre que la volonté du traducteur-éditeur d’imprimer sa marque et faire table rase de ses devanciers. Une grande dose de présomption ! Je suis très surpris qu’une homme de l’expérience et de la réputation de Régis Boyer (qui n’a pas une once de gloire supplémentaire à y gagner) se soit livrer à cette regrettable pratique… Il n’est plus là pour s’en expliquer, peut-être l’idée ne venait-elle pas ou pas exclusivement de lui ?

      • Pour « ou bien… ou bien », il emploie bien ce titre, alors qu’un autre traducteur avait préféré l’Alternative. Pour le « traité du désespoir » publié cette fois sous le titre « la maladie mortelle » il s’agit de toute évidence de coller au plus près à l’original (Sygdommen til Døden) et de débarrasser Kierkegaard, justement, de ce qui ne vient pas de lui mais de ses commentateurs/traducteurs étrangers.

    • Cela sent un peu le règlement de comptes et le petit fumet politique nauséabond n’est pas là pour me faire penser que je me trompe. L’auteur de cet article accuse à mots à peine couverts Régis Boyer d’avoir été un facho…. on l’a aussi accusé d’être communiste… et j’avoue ne rien savoir de son parcours politique mais c’est un coup assez bas.

      Tiens, ce « Philippe Chevalier » c’est bien l’auteur de ce livre visiblement indispensable sur l’immense musicien Claude François paru aux PUF…?

      https://www.puf.com/content/La_chanson_exactement_Lart_difficile_de_Claude_François

      J’ai du mal à comprendre si ce livre est un gag où non…

      • Je n’avais pas été lire l’article indiqué par NéoBirt7, n’étant franchement pas un amateur de l’Os (new ou old), mais votre réaction m’a convaincu de le faire. L’ayant lu, donc, sur votre « invitation », il me semble que vous avez raison de traiter l’allusion (injustifiée) à la « Nouvelle Droite » de « coup bas ».

        Mais il me semble que vous en exagérez fortement la portée : est-ce pour éviter de discuter du fond du reste de l’article ?

        Pour s’en rendre compte, voici ce passage – qui n’occupe qu’un espace réduit de l’article, avec, à l’intérieur de ce passage, un membre de phrase qui ne peut être justifié par le soupçon qu’il induit, de plus inutile et hors-sujet :

        « Régis Boyer peut alors donner libre cours à son obsession habituelle – rappelons qu’il fut directeur de collection aux éditions du Porte-Glaive (du nom de l’ordre militaire germanique créé pour convertir les pays baltes), maison proche de la Nouvelle Droite: celle des marqueurs culturels ou régionalistes qu’il essentialise à satiété. »

        Ce que vous retenez de ce passage : « – rappelons qu’il fut directeur de collection aux éditions du Porte-Glaive (du nom de l’ordre militaire germanique créé pour convertir les pays baltes), maison proche de la Nouvelle Droite, » est ce qui représente à mes yeux le déchet ; ce que vous passez sous silence : « Régis Boyer peut alors donner libre cours à son obsession habituelle (…) : celle des marqueurs culturels ou régionalistes qu’il essentialise à satiété, » représente ce qui seul me paraît important.

        En effet, l’auteur de l’article semble vouloir dire qu’à force de se plonger uniquement dans ses chers Germains, Régis Boyer est atteint de myopie et a contracté quelques obsessions. On aurait pu en discuter, sans faire appel (ou rappel) d’une supposée (et non prouvée) proximité (qui sent l’artifice) avec une « Nouvelle Droite » largement fantasmé.

        Cependant, non seulement vous ne discutez pas du fond de l’article, n’avancez aucun argument contre les arguments de son auteur, affaiblissant ainsi votre défense de Régis Boyer, mais vous tombez à votre tour dans le « coup bas » que vous dénonciez, en laissant supposer que l’auteur de l’article est totalement incompétent et le traitant presque de « rigolo de service », en le réduisant à un unique livre sur le phénomène musical des chanteurs de variétés des années 60 dont Claude François fut une figure emblématique. Livre que vous avouez n’avoir pas lu (et je n’irai pas non plus le lire pour juger de son sérieux ou de sa légèreté : L’Obs + Claude François, franchement c’est plus que je puis en supporter dans une seule journée !)

        Il me semble que cet article, par-delà le passage incriminé qui ne reflète pas l’ensemble et ne me paraît pas le contaminer tout entier d’un « petit fumet politique nauséabond » (autre procédé facile destiné à le frapper d’indignité), pose quelques questions et mérite une discussion plus sérieuse – même si c’est pour le démolir.

        • J’ai porté à la connaissance de notre petite communauté cet article car l’auteur recoupait diverses observations qui m’étaient venues à l’esprit. L’accusation envers Boyer, que je trouve assez grotesque et qui, je suis persuadé, repose uniquement sur une allusion peu et mal sourcée de la notice de Wikipédia, mais qui pourrait néanmoins receler un fond de vérité (cf. le dernier paragraphe de l’entrée sur la maison d’édition incriminée à http://www.fafnir.fr/editions-du-porte-glaive), n’en invalide pas le fond solide. L’édition Boyer de Kierkegaard ne se justifie ni par le manque de retraductions récentes de cet auteur ni par la nécessité d’une annotation plus fouillée que ce qui existe, cette Pléiade se tenant pour quitte d’un service minimal en la matière, elle comporte des vices techniques assez importants, à commencer par l’absence de la suite des « Miettes philosophiques » et le choix de modifier suo Marte des titres d’oeuvres reçus, enfin son introduction ne donne guère une idée flatteuse des capacités philosophiques et exégétiques de Boyer. Il eût fallu un collaborateur spécialiste de la pensée de Kierkegaard pour balancer l’abord strictement philologique de Kierkegaard par Boyer et surtout pour rectifier sa lecture littéraire fatalement dictée par une « plain man’s approach » (il ne suffit pas de maîtriser les langues et la culture scandinave de toutes les périodes pour bien traduire avec un appareil critique succinct un tel auteur !).

          • Que pensez-vous, NeoBirt7, de l’article de Robert Maggiori, dans Libération, sur l’édition Pléiade de Kierkegaard ? Il m’intéresserait de connaître votre avis.

            Il me semble que, si Boyer ne s’y trouve pas soumis directement à la critique, une lecture « en creux » permet de songer que son édition ne sort pas grandie de l’épreuve. Il est d’ailleurs peu question du travail de Boyer, mais les deux ou trois phrases dudit qui sont citées, frisent parfois le ridicule.

            Au sujet de l’usage par K. des pseudonymes, « l’hypothèse » de Boyer – les « masques » – paraît tellement tarte à la crème, surtout quand on la compare au commentaire de K. lui-même. Ou bien, à propos du texte de K. : « Point de vue sur mon activité d’écrivain », ce commentaire de Régis Boyer : «sentait-il sa mort venir et voulait-il que sa production fût entendue dans toute sa cohérence ?». Ce « sentait-il la mort venir ? » (comme le chien de ma voisine ?) est insupportable, et « voulait-il que sa production fût entendue dans toute sa cohérence ? » ne peut être pris pour autre chose qu’une évidence niaise.

            Je ne trouve pas cela très engageant et, avant d’investir dans un achat assez important, j’aimerais voir lever quelques-unes de mes inquiétudes.

            ………………

            Je crois que deux ou trois des « permanents » de ce site ont en mains ces volumes et même en ont commencé la lecture. J’aimerais bien, s’il leur plaisait, qu’ils nous fassent part de leurs réactions, lorsqu’ils auront suffisamment avancé.

            J’ai assez de temps pour la réflexion, je ne passerai pas à l’acte avant d’avoir quelques opinions éclairées.

  35. Je me souviens qu’ici même, les premiers éléments d’un débat avaient été posés, concernant les compétences (ou appétences) philosophiques de Régis Boyer pour diriger cette édition de Kierkegaard (avec les tenants d’un Kierkegaard plutôt philosophe et ceux d’un Kierkegaard plutôt écrivain).

    Il me semble qu’à présent, nous y voici.

    • Le principal enjeu est peut-être de savoir si une édition de La Pléiade doit proposer un point de vue total et objectif d’une oeuvre? Si ce n’est pas le cas de ces volumes Kierkegaard, cela ne me semble pas un problème étant donné qu’il existe, comme vous le dites, d’autres éditions disponibles. Ce qui me semble toujours intéressant, c’est de souligner ce que d’autres n’ont pas fait. Ici, l’intégration de Kierkegaard et son oeuvre dans une histoire et une langue peu maîtrisée (euphémisme) par les francophones. En dépit de ce qu’affirme le fan de Cloco de l’Obs (coup bas, pardon…) les explications relatives à la grammaire danoise dans la préface sont pertinentes, sans parler de ce qui est dit au sujet des risques de traduction erronées de certains termes comme « erotisk ».

      Il faudrait aussi se pencher plus avant sur les traductions en elles-mêmes, pas seulement sur la préface et les notes.

      Sinon, l’absence de certains textes importants est en effet difficilement défendable.

      • Je n’ai compétence philologique ni philosophique suffisante pour juger du fond du travail de Régis Boyer sur Kierkegaard. Je me garderai donc de porter un jugement et de distribuer raisons et torts entre le vieux maître et son acerbe critique de l’Obs (ha ha ha ! quand j’ai tapé l’obs sur mon clavier, le « correcteur » automatique m’a proposé : « obscurantisme »… Si nos logiciels donnent dans le lapsus lacanien maintenant…)

        Je ne voulais défendre que le droit de ce dernier à critiquer, appeler gens plus instruits que moi en ces matières à répondre à ses arguments, pour les confirmer ou les infirmer, et ne pas s’en tenir uniquement à cette phrase que je trouve inutile et inutilement empreinte de sous-entendus fielleux. Je la désapprouve totalement, mais je refuse de ne retenir que cela de l’ensemble de l’article, non plus que d’en exagérer la portée et y répondre de façon disproportionnée (oui, il s’agit d’un sous-entendu très désagréable et condamnable, non il ne s’agit pas d’une accusation en bonne et due forme).

        C’est malheureusement une pratique tellement courante dans les milieux bien-pensants que c’est devenu une sorte de réflexe pavlovien, au point que leurs auteurs doivent même perdre conscience de sa gravité. Il est bon de les rappeler à quelque sursaut de conscience, mais je ne vais pas, en suivant leur exemple, les rejeter dans les enfers.

        Enfin, oui, il est vrai que des tenants d’une certaine extrême-droite, sur fond de celtisme ou de germanisme, dressent des passerelles entre leurs discours délirants et les travaux des spécialistes de ces domaines (en allant rechercher sur internet les références de travaux savants et parfaitement innocents, on ne peut pas éviter toutes les chausses-trappes qui nous conduisent en des lieux infréquentables). Ces derniers en sont certainement conscients et ne doivent jamais relâcher leur vigilance. Cette entreprise de « récupération » existe et elle peut parfois nourrir certaines interrogations, mais non pas des amalgames et des à peu-près. Et, bien entendu, je vois dans cette affaire Régis Boyer dans la position de la victime.

  36. Cette accusation d’extrême-droite n’est pas nouvelle. Dès qu’un érudit s’intéresse à la culture germanique ancienne, il est très vite faxé de nazisme. Dumézil et Tolkien ont essuyé les mêmes injures.

    • C’est malheureusement ainsi dans de nombreux domaines, et le nombre de victimes d’amalgames (de bonne ou de mauvaise foi) ne se peut compter. Qui aurait pu croire que de vieux symboles millénaires comme la croix celtique ou la svastika seraient transformées en symboles mortifères par des bandes d’assassins en masse et leurs héritiers amateurs de noir et de brun ?

      • D’autant que dans plusieurs livres R. Boyer dit clairement qu’il est très regrettable que la mythologie scandinave et l’histoire germanique soit associée par certains à l’idéologie hitlérienne. Notons par ailleurs que l’article de P. Chevalier se contente sur ce point de citer quasi mot à mot le texte du site fafnir…
        J’ai lu cet après-midi la notice des Miettes philosophiques que j’ai trouvée très utile et intéressante. Je vois mal ce qu’un lecteur non spécialiste mais intéressé par Kierkegaard pourrait souhaiter de plus pour se plonger dans le texte en toute liberté tout en en sachant assez pour mettre cette oeuvre dans son contexte.
        Concernant le post-scriptum aux miettes, il est juste dit que c’est un livre top long « pour cette édition » c’est très dommage mais il n’essaye pas de faire croire que c’est un choix autre que matériel, au moins…

        • Je l’avais aussi remarqué. Et c’est à partir du ce même Fafnir que je me suis aperçu que des vrais nostalgiques de l’extrême droite venaient se greffer sur le Porte-Glaive. Le quel Porte-Glaive prête le flanc à la critique avec l’édition certains livres, Maurras en particulier, qui ne sont guère recommandables. Bien sûr Boyer n’était que directeur d’une collection hébergée par le Porte-Glaive, mais il a reçu des éclaboussures. Dans l’article à lui consacré par Wikipedia, cela devient : « Il a dirigé Le Porte-glaive, une maison d’édition «dans la mouvance de la Nouvelle Droite» » (et non plus une collection), avec toujours, en note, la référence à Fafnir. Je ne sais pas si quelqu’un a le pouvoir de faire changer cette phrase assassine sur Wikipedia.

          Ce copié-collé est un mauvais signe. Le pire est que, connaissant la paresse des journalistes, le virus risque de continuer à se répandre, chacun copiant par-dessus l’épaule de son prédécesseur, comme dans la célèbre pub des Frères Ripolin…

          • A présent, je vais cesser de m’exprimer sur le sujet, sinon je vais participer au processus que je dénonce et en venir à mon tour à résumer l’article à cette seule phrase très discutable.

  37. De la source la plus sûre qui soit, sont annoncés pour 2019 de manière certaine : Nietzsche II, Michelet I & II en nouvelle édition, Gary pour la Quinzaine (donc Album), et Georges Duby et les Récits vampiriques au second semestre.

    • Cela ferait beaucoup pour l’histoire et la philosophie, peu pour la littérature de fiction… Exit ou renvoyés dans un futur indéterminé les Segalen, Huysmans, Bonnefoy, Artaud, dernier Shakespeare, que d’autres augures avaient cru apercevoir dans les entrailles de Gallimard ?

      • Votre intervention est tout de même étrange et apporte le trouble dans mon esprit, cher Revenant : j’ai acheté ce jourd’hui le Nietzche I (une occasion qui ne se peut refuser) et le Rabelais de Quarto (pour réparer une regrettable absentation à parution). Il n’aurait plus manquer que je relusse ce même jour « L’Affaire Tournesol » (je vous laisse deviner pourquoi) et je m’installais illico comme voyant extra-lucide.

  38. Onze pléiades dans l’année 2019, c’est beaucoup mais possible. C’est déjà arrivé me semble-t-il dans les années fastes. Cher Séraphin, d’où tenez-vous votre info pour Nietzsche II ? Quelle est la source la plus sûre ? Pradier ?

    • C’est comme les années de sécheresse et les années de grosse pluie… Mon jardin de Pléiades refleurira-t-il en 2019 ?

  39. Cher Pléiadophile comment arrivez-vous au nombre de 11 Pléiades pour 2019? Le programme annoncé par Séraphin n’en promet que 6 (plutôt 7 car Gary est en 2 volumes) …sauf mauvais compte de.ma part ….

    • Ce ne sont pas les seules pour 2019 bien entendu, mais ce sont celles confirmées de manière certaine par la source que vous avez devinée cher @pléiadophile. J’attends impatiemment la fin de Flaubert pour ma part, mais elle n’arrivera qu’avec le bicentenaire, encore deux ans …

  40. J’espère surtout qu’il ne se passera pas une décennie entre Nietzche II et Nietzche III (je risque de mourir sans le voir).

    Comme Calobarsy je piaffe en attendant la fin de Flaubert.

    Alors, en attendant, Nietzche II bien sûr (ce sera moins encombrant que les énormes volumes gris que je ne possède pas tous d’ailleurs), les Vampires pourquoi pas (s’ils me donnent une seconde vie), Huysmans quand même. Déjà pas mal.

    Michelet pour moi c’est vraiment trop IIIème République pour moi ; Duby je n’en vois pas la nécessité, j’ai déjà l’essentiel et je ne crois pas que la Pléiade m’apporte beaucoup plus ; Gary je l’ai déjà dit, sympathique mais pas indispensable en Pléiade (qui sait ? je serai peut-être tenté tout de même, selon le contenu, on peut trouver du charme au mode mineur) ; Bonnefoy son étoile a pâli à mes yeux, ne me paraît plus aussi important ; Ségalen, pur fétichisme, j’aurais du mal à me retenir de l’acquérir et pourtant ce serait une acquisition inutile, j’ai déjà tout ce qu’on peut avoir – qu’espérer de plus ?

    Tout ça sera quand même très français. Pas d’Américain cette fois-ci ? Nous allons nous ennuyer si nous ne pouvons pas polémiquer sur le thème du « Grand Ecrivain Américain »… Pas de Britannique, mais ce n’est pas le domaine le moins bien servi. Un Allemand. Hélas, ce n’est pas un nouveau venu et cela ne comblera pas le vide des lettres germaniques. Pas d’Italien, mamma mia, che tristezza !

    Et pour le reste du monde, le désert.

    Bah, ne crachons pas dans la soupe, celle de 2019 me paraît plus appétissante que le brouet de 2018.

    • Michelet, c’est tellement « IIIème République » (je n’ai plus le feu sacré) « pour moi » que je le répète deux fois… Pardon !

      • Ah si, il y aura forcément des Britanniques dans le volume vampirique. Fasse le ciel qu’il soit plus intéressant, plus inventif, plus excitant, que le soi-disant « gothique » !

        • Quelqu’un sur ce blog intervenait au sujet du Pléiade « gothiques » (je ne sais plus qui. Peut-être vous, Domonkos ?) pour signaler que rien dans ce Pléiade n’était gothique. Il se reconnaîtra peut-être. A la fin de l’intervention, je me suis demandé « mais qu’est ce qui est gothique, alors, en littérature ? » La question me travaille toujours. Si la personne qui se reconnaît peut avoir l’amabilité de m’éclairer…
          (Il est vrai qu’à la lecture de Frankenstein, j’ai trouvé plus de romantisme Friedrichien (le navire bloqué dans les glaces…) que de « gothique ».)

          • Bonjour Draak

            En ce qui me concerne, j’ai effectivement dénié à Frankenstein le caractère de « roman gothique » et je le réaffirme haut et fort. Mais cela ne concernait que ce roman. Et, en plus, ils ont mis en accroche dans le titre, le roman le moins gothique (mais le plus « commercial » sans aucun doute, au prix d’une véritable escroquerie). Personnellement, j’aurais préféré le voir remplacé par « Melmoth », même si on peut discuter à l’infini de la définition du « gothique »…

            J’avais surtout regretté que ce volume soit aussi « convenu », sans imprévu, sans apporter quoi que ce soit qui sorte des sentiers battus et de précédentes éditions de « gothiques ». J’avais considéré qu’on était en présence d’une occasion ratée de donner dans la Pléiade une édition « de référence » (comme vous diriez dans « Propagerlefeu » mon cher Draak), dans ce domaine.

            Mais je n’ai pas contesté, loin de là, la qualité de « gothique » à Mme Radcliffe et ses confrères.

          • Pour développer ma pensée sur le sujet, j’aurais trouvé bien mieux de privilégier la « reine du Gothique », en donnant pour le moins un second roman (« Les Mystères d’Adolphe ») et, pourquoi pas, son essai au titre délicat : « Du surnaturel dans la poésie, par la défunte Mme Ann Radcliffe », où elle tente une définition et une théorisation du Gothique. Voilà qui aurait eu de l’intérêt et une autre gueule !

            Le seul but était d’assurer la vente en mettant en exergue Frankenstein (mais, à ce compte, je ne serais pas opposé à un volume consacré à la seule Mary Shelley, ça aussi ça aurait de la gueule.)

            C’est impardonnable.

          • Tabernacle ! « Les Mystères d’Udolphe », bien sûr. Maudit « correcteur » ! Udolfo, c’est encore mieux et le « correcteur » ne moufte pas.

            ……………………..

            J’ajoute que, d’évidence, le titre complet : « Frankenstein ou le Prométhée moderne » ne peut pas évoquer quoi que ce soit de « gothique ».

            Egalement, que les amateurs éclairés de SF, revendiquent, à juste titre, ce roman comme un de leurs ancêtres ou prototypes.

  41. Que pensez-vous, NeoBirt7, de l’article de Robert Maggiori, dans Libération, sur l’édition Pléiade de Kierkegaard ? Il m’intéresserait de connaître votre avis.

    Il me semble que, si Boyer ne s’y trouve pas soumis directement à la critique, une lecture « en creux » permet de songer que son édition ne sort pas grandie de l’épreuve. Il est d’ailleurs peu question du travail de Boyer, mais les deux ou trois phrases dudit qui sont citées, frisent parfois le ridicule.

    Au sujet de l’usage par K. des pseudonymes, « l’hypothèse » de Boyer – les « masques » – paraît tellement tarte à la crème, surtout quand on la compare au commentaire de K. lui-même. Ou bien, à propos du texte de K. : « Point de vue sur mon activité d’écrivain », ce commentaire de Régis Boyer : «sentait-il sa mort venir et voulait-il que sa production fût entendue dans toute sa cohérence ?». Ce « sentait-il la mort venir ? » (comme le chien de ma voisine ?) est insupportable, et « voulait-il que sa production fût entendue dans toute sa cohérence ? » ne peut être pris pour autre chose qu’une évidence niaise.

    Je ne trouve pas cela très engageant et, avant d’investir dans un achat assez important, j’aimerais voir lever quelques-unes de mes inquiétudes.

    ………………

    Je crois que deux ou trois des « permanents » de ce site ont en mains ces volumes et même en ont commencé la lecture. J’aimerais bien, s’il leur plaisait, qu’ils nous fassent part de leurs réactions, lorsqu’ils auront suffisamment avancé.

    J’ai assez de temps pour la réflexion, je ne passerai pas à l’acte avant d’avoir quelques opinions éclairées.

  42. Au cours de mon dernier séjour parisien, j’ai trouvé sur les quais, quelques vieux bouquins de Witold Gombrowicz… et ma jeunesse dans le même temps. Ma jeunesse, c’est-à-dire ma mortalité ; et le passage de son « Journal Paris Berlin » où il évoque les odeurs de l’enfance retrouvées à Tiegarden – qui le persuadent d’avoir rencontré sa mort, « (qui) à partir de ce jour (…) à tout moment comme un oiseau venait se poser sur (son) épaule » – m’est apparu d’une criante vérité. Quand je suis arrivé, dans d’improbables circonstances (et ces circonstances contiennent à elles seules tout ce que ma vie a compté de romanesque), à Vence que je pris pour le lieu de ma naissance, Gombrowicz était disparu depuis deux ou trois ans, mais son aura était encore palpable, et on allait rentre visite à Rita Gombrowicz comme à la grande prêtresse d’un culte réservé à quelques initiés. Comme nous étions naïfs et il lui aurait plu de corrompre notre jeunesse. Mais nous nous en sommes bien chargés sans son aide…

    Vite acquis, vite relus – vite repris par cette fascination. Qui, ici, a lu ou relu récemment Gombrowicz ? Quelqu’un a-t-il songé à lui pour la Pléiade ?

    C’est une eau de jouvence et un élixir mortel en même temps.

    • Troublante expérience. Gombrowicz à Berlin, ne parlant et ne comprenant goutte à l’allemand. Reçu dans une société de lettrés, l’un des hôtes prend sur une étagère un exemplaire d’une édition allemande de Ferdydurke, et se met à en lire des passages. Gombrowiz sait que c’est lui qui parle à travers ce livre, mais, tandis que tous comprennent, lui n’y entend rien.
      Cela me rappelle les commentaires de Kierkegaard évoquant ses pseudonymes comme des lui-même et des étrangers.

    • Quelqu’un? Oui, moi! Mais Gombriwicz semble tellement indépendant qu’il dérange toujours tout le monde ou presque… on ne sait pas quoi en faire, ni où le mettre esthétiquement et idéologiquement. Un véritable inclassable, c’est rare. En Pologne (pays que je connais assez bien, je crois) il est à la fois le grand écrivain et celui qui a tout fait pour ne plaire à personne.
      Concernant la Pléiade, c’est une évidence, mais la Pologne a peu d’argent à mettre dans le sponsoring culturel, ce n’est pas la Suisse…..
      Aucun auteur polonophone en Pléiade, d’ailleurs… Un vrai scandale, si je peux me permettre un brin d’emphase…

      • Je suis entièrement de votre avis, en ce qui concerne les Polonais, pas l’ombre d’un Milosz, etc. (Et pourtant, j’ai du mérite, fils d’immigré hongrois, j’ai toujours entendu mes père et oncles accuser les Polonais de boire plus qu’eux ! Une véritable concurrence déloyale… Ce qui n’a pas empêché une de mes tantes d’en épouser un – de polonais.)

        Egalement pour Gombrowicz. A le relire, j’ai retrouvé intactes toutes mes impressions d’il y a 4O ans. Toujours aussi dérangeant. Et fascinant. J’avais failli ajouter des citations où il explique qu’il se fait un devoir d’être ingrat, mal aimable, qu’il s’agit chez lui d’une véritable stratégie, pour sauvegarder sa liberté. Etre aimé, c’est être digéré (pour donner un digest de ses développements sur la question, ha ha !)

  43. Je voulais juste vous dire que je viens de passer un peu de temps avec les deux Pléiades Kierkegaard aujourd’hui. J’ai pu enfin faire ce crochet par la librairie que je me promettais de faire depuis plusieurs semaines.

    J’ai lu une partie de l’introduction de Régis Boyer : elle est d’excellente facture, comme on les aime dans la Pléiade. Le style en est heureusement très éloigné du canon universitaire contemporain. Passionnante à lire, fouillée, documentée, fourmillant de détails sur la vie et l’œuvre du philosophe danois. Un régal.

    Je me suis promené un peu dans les textes et l’impression que j’ai eue est que la langue du traducteur est précise, agréable à suivre. L’introduction revient abondamment sur la langue assez particulière de Kierkegaard, ainsi que sur les limites posées par ces langues du Nord peu faites en vérité pour traiter avec précision de choses abstraites. Ne connaissant pas en détail les mérites des quelques traductions antérieures, on en vient à se dire qu’il y a là peut-être l’occasion de découvrir un Kierkegaard nouveau que personne jusqu’ici n’a connu en français.

    En conclusion, et ce n’est évidemment que mon avis : pour moi deux Pléiades très réussies.

    • Très juste, j’ai le même sentiment. Pour résumer: on a trop longtemps lu SK comme un philosophe allemand alors que c’est un romantique danois…

  44. Dans l’histoire de la Pléiade, on peut noter qu’il y a plus de 15 ans (environ) a été programmé et le projet était bien avancé, l’édition du Manuscrit trouvé à Saragosse de Jan Potocki. Malheureusement l’heureuse découverte d’un second manuscrit a bouleversé le volume ! Il fallait repenser le volume et finalement abandonner le projet, c’est grand dommage je trouve. Une nouvelle version a été publiée par Peteers et rééditée chez GF. Mais évidemment le livre ayant été écrit en français est-ce de la litterature polonaise ? (Comme Casanova !) Est-ce un roman gothique comme l’affirmait Caillios? Discussion ouverte mais du coup sujet hors Pléiade !…

    • je trouve qu’il y a aussi beaucoup de français dans « Guerre et Paix », je me demande si Tolstoï est suffisamment Russe ? ha ha !

  45. Bon, sinon, loin de moi l’idée de faire de Kierkegaard un « philosophe allemand », mais tout de même un « romantique danois », franchement, c’est tiré par les cheveux. Techniquement, c’est faux (j’entends bien « Romantique » pas « Danois »), et sur le plan de l’analyse c’est difficilement défendable.

    Alors, d’accord, il faut partie de ces écrivains qui sont un peu dans l’entre-deux, à qui on a dénié la « qualité » de philosophe (qui n’est d’ailleurs pas une appellation contrôlée), comme un Voltaire, par exemple. Je ne vois aucune raison de chasser K. de la confrérie (que ce soit pour l’honorer parce qu’on considère les philosophes comme des pas grand chose ou le contraire), et cela me confprte, ô combien, dans ma méfiance à l’égard de cette édition Boyer.

    Cette obsession chez ses partisans de vouloir laver K. de l’accusation de philosopher, cela me court un peu sur le haricot !

    • Mon cher Domonkos,

      Loin de moi l’idée de vous contredire, et vous connaissez sans nul doute la question mieux que moi, mais je n’ai rien senti de tel dans l’introduction de Boyer. Il faut que je la relise. Mais peut-être faites-vous allusion à des études qu’il aurait signées par ailleurs, ou à l’une de ses thèses ?

      Non, la seule chose qui m’a fait un peu sursauter au cours de ma lecture — je l’avoue —, c’est l’idée, énoncée sans précaution aucune et comme si elle était naturelle, c’est l’idée que la fameuse « écharde dans la chair », la parole de l’apôtre Paul qui revient quelquefois sous sa plume, que cette expression soit une allusion à son épilepsie (qui est d’ailleurs elle-même une hypothèse de travail, étayée peut-être, mais une hypothèse nonetheless).

      Le mot « romantique » dont use Joaquim est à mon avis justifié dans la mesure où il tient compte de l’environnement intellectuel, moral, artistique au sein duquel S.K. a vécu et écrit. Il y a une atmosphère générale dont il serait imprudent de ne pas tenir compte, sans nécessairement en venir par là à faire du Taine.

      Et sur la qualité de philosophe, je crois que ce qui ferait vraiment plaisir à S.K., ce serait qu’on se souvienne de lui comme d’un écrivain chrétien, et même mieux : d’un chrétien tout court, car je ne suis pas sûr qu’il tenait tant que cela à être connu comme un écrivain.

      • La préface de Boyer est en effet en partie basée sur l’idée que SK est un romantique, ce qui ne veut pas dire qu’il ne le considère pas aussi comme un philosophe. L’aspect autobiographique est tout de même assez central dans son oeuvre, cela ne me semble pas en contradiction avec la période romantique…

        Ahmed a raison de souligner que pour SK lui-même le terme chrétien était sans aucun doute plus important que tous les autres.

      • Bon, je ne suis pas, tant s’en faut, un spécialiste de K. ni un philosophe de métier. Mais je m’insurge (le mot est fort, ne le prenez pas au tragique) contre le terme de Romantique dont on use un peu légèrement. A moins de le prendre dans son sens populaire qui ne veut pas dire grand chose. La dépression ne se confond pas avec le Romantisme en tant que mouvement littéraire, artistique, esthétique et courant de pensée, non plus que la mélancolie. De même, l’atmosphère « romantique » de l’époque ne vaut pas présomption de Romantisme pour un auteur qui se confronte aux angoisses. Le travail de théologien de K. n’a d’ailleurs strictement rien à voir de près ou de loin avec le Romantisme.

        La réception de l’oeuvre de K. a été chaotique depuis un siècle, et son usage des pseudonymes n’a pas simplifié les choses. La fausse lecture des « existentialistes » est une chose entendue depuis longtemps. Mais la lecture philosophique de son oeuvre a fait de considérables progrès depuis un demi-siècle. Je n’ai pas lu la présentation de Régis Boyer, je n’en connais que ce qui est rapporté ici et là par ses lecteurs : aussi m’est-il difficile de savoir si ce qui en est dit lui appartient réellement ou bien appartient à ses lecteurs. Mais, si je m’en tiens à ce qui en est dit, je vois un recul d’un demi-siècle dans la réception de l’oeuvre de K. Il semblerait qu’un certain nombre d’imbéciles l’aient pris pour un théologien ou un philosophe mais que, fort heureusement, Régis Boyer (ou ses lecteurs) soient enfin venus pour rectifier le tir et nous donner le vrai-véritable K. !

        J’ai l’air de m’acharner contre ce pauvre Régis Boyer que je respecte infiniment, mais je crois, au fond, que le véritable problème est d’avoir voulu donner une oeuvre aussi riche, complexe, voire équivoque, que celle de K. à travers la vision d’un seul responsable d’édition. Il me semble impossible à quiconque de prétendre rendre compte seul de cette oeuvre, et les échanges de connaissances et de point de vue au sein d’une équipe auraient dû prévaloir.

        Je n’en dirai pas plus. Je n’éviterai de toute façon pas l’achat et la lecture de ces volumes – pour Kierkegaard, pas pour Régis Boyer – mais ce ne sera pas avant l’automne, d’autres urgences et un porte-monnaie bien entamé. Serai-je plus éclairé après lecture, cela n’est pas certain. Peut-être changerai-je d’avis, c’est également possible (probablement pas sur l’essentiel : K. « Romantique danois » (ou zoulou, papou, californien, peu importe d’ailleurs, cela restera non). Pour le moment, je n’irai donc pas plus loin.

        Veuillez pardonner ma vivacité, c’est dans ma nature, mais je ne mords pas et j’adore échanger avec vous tous.

        • Le mien de porte-monnaie ne l’est pas tant que je ne puisse vous envoyer les deux volumes Boyer par la poste, si cela peut être arrangé avec Brumes. Vous me rendrez la pareille un jour.

        • Les références de Boyer sont les éditions danoises les plus récentes et une biographie danoise de référence non traduite en français, donc si vous dites que cela fait reculer les études kierkegaardiennes de 50 ans ce sont les Danois qui en sont responsables…

          Je recopie quelques passages de l’introduction pour vous éclairer (et vous énerver 🙂

          « La première moitié du XIXe siècle est l’âge d’or du romantisme danois » (suit plusieurs lignes résumant celui-ci dans la peinture ou la musique) « Kierkegaard a nourri sa propre vie, sa propre jeunesse surtout, de conceptions bien romantiques: c’est particulièrement vrai dans les récits qu’il fait de son enfance et de sa jeunesse. La manière dont il évoque la nature – arôme de foin, moutons, sombres nuages et lueurs isolées – est sans équivoque. Lorsqu’il dépeint la lande, notamment, ce n’est pas uniquement en souvenir de la malédiction qu’y a proférée son père et qui est responsable du ‘grand tremblement de terre’ auquel nous avons fait allusion, c’est aussi, sinon surtout parce que:

          ‘la lande doit être propre à développer les forces spirituelles; là tout est nu et dévoilé devant Dieu, là les nombreuses distractions n’ont pas de place, ni les nombreux recoins où la conscience peut se cacher et d’où le sérieux a si souvent peine à rattraper les pensées dispersées; ici, la conscience doit se centrer résolument et scrupuleusement sur elle-même’

          ici, comme sans doute dans l’affaire de ses relations avec Régine Olsen, la quête d’un idéal à substituer à la réalité est patente; »

          Il cite ensuite la cas de Strindberg et son refus de la réalité « le réel n’existait pour lui que comme une conception mentale… trait au demeurant bien romantique » et continue en disant que SK ne se sentait exister que dans le monde de l’écriture et ajoute:

          « On fera observer que les romantiques ont été semblablement possédés du démon de l’écriture, et certainement pour les mêmes raisons, c’est-à-dire, en première approximation, à cause de la crainte de la mort, d’une conception dévastatrice du temps qui les poussait sans relâche à laisser des traces » etc…

          Ajoutons que Boyer commence son introduction en disant que la pensée de SK n’est « ni des plus aisées ni des plus immédiatement intelligibles ». D’où le fait que chaque lecteur y trouve des choses nouvelles ou pense y voir des choses que les autres ne voient pas..? Cela fait en tout cas la richesse de cet auteur et la vision de Boyer, sans doute parcellaire (il le met dans son contexte national et linguistique) s’ajoute aux 1001 autres interprétations déjà disponibles. Moi, ça me convient car je sais depuis que j’ai commencé à essayer de le comprendre que SK est un écrivain dont on ne fait jamais le tour entièrement au cours d’une vie.

          Bonne lecture quand même 🙂

  46. Vous connaissez peut-être la magistrale étude de Jean Wahl sur Kierkegaard. J’y trouve ce matin ceci :

    « Différentes influences ont contribué à former chez Kierkegaard l’idée du stade esthétique. Il avait été attiré par le romantisme allemand, “Le monde devint enfantin ; il avait besoin d’être rajeuni ; en ce sens, le romantisme fut bienfaisant”. Qu’est-ce que le romantisme ? Rien qui puisse se définir ; le romantisme échappe à toutes limites. Mais on peut dire toutefois qu’il est réflexion sur l’irréflexion, qu’il est vouloir réfléchi de l’immédiat.
    Et on peut ajouter qu’il est vouloir malheureux : Kierkegaard a admirablement vu les rapports du romantisme et de la conscience malheureuse. “L’élément romantique réside en ceci, que les deux moitiés d’une idée sont maintenues l’une à l’écart de l’autre par quelque chose d’étranger qui les sépare… L’écho est-il romantique ? Oui, mais, quand il donne une réponse, le romantisme a disparu.” Le romantique, c’est ce qui est brisé et non satisfait (mars et avril 1836). Et il sait que lui-même est romantique, en ceci que sa vie est dissonance (11 septembre 1836).
    Mais sa réflexion sur Socrate, à vrai dire un Socrate romanticisé, ne fut pas étrangère non plus à la formation de son idée de la séduction esthétique… »
    Etudes Kierkegaardiennes, Chapitre 3 : « Le stade esthétique. La lutte contre le romantisme. »

    Ces lignes montrent s’il en était besoin que SK n’était pas étranger aux idées et aux débats de son temps à ce point qu’on puisse totalement l’abstraire de son milieu (si particulier) et de son moment (si caractéristique). Mais précisément, Boyer souligne intelligemment dans son introduction le fait que rien de tout cela ne saurait évidemment expliquer SK, le philosophe, l’artiste et le religieux.

  47. Je réagis au court message de Domonkos à propos du français dans La guerre et la paix de Tolstoï. Saviez-vous qu’il a rédigé 6 versions différentes de son roman ? Et devant les critiques violentes qui lui reprochaient justement qu’il y’avait trop de phrases en français il en a rédigé une beaucoup plus courte 100% en russe et qui était, en URSS, celle publiée dans ses Œuvres complètes… Je n’ai pu lire la version complète originale avec les longs passages philosophiques qu’à la fin des années 80 ! Évidemment ces pages en français ne font plus débat en Russie aujourd’hui. Ne pas désespérer du genre humain !

    • J’ignorais cette particularité. Il est vrai que Tolstoï a été « accusé » d’être « moins russe » que Dostoïevski par certains. Cela m’a toujours paru assez ridicule. Dostoïevski, par plus d’un côté, était aussi occidentalisé que Tolstoï, et ce dernier a fini « plus russe que russe ».

    • Aïe. Déjà il est question d’une nouvelle édition de K. ? Pourtant nous sommes tellement attachés aux noms de Claude David, Marthe Robert et Alexandre Vialatte. Tous les kafkaïens comme moi les connaissent par cœur.
      J’ai beaucoup de tendresse pour Marthe Robert, que j’ai lue en dehors du champ « Kafka », dont elle s’était fait une spécialité.

      • Oui, une nouvelle édition est prévue en 2018 sous la direction de Jean-Pierre Lefebvre. Avec nouvelles et récits (t.1) et romans (t.2). Seulement je n’arrive pas à avoir la date. Je sais seulement que c’est au second semestre.

      • Nulle intention de contester la nécessité de cette nouvelle édition. Les aléas de l’édition des textes de Kafka ont accompagné ma vie de lecteur. J’ai débuté bien sûr par les traductions de Vialatte et de Marthe Robert, puis sont venues celles de Lortholary, l’édition en pochothèque de Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent, l’inénarrable imbroglio de l’édition David « corrigeant » celle de Vialatte en Pléiade…

        Je conserve pieusement toutes ces versions, mais, tout en comprenant que la nouvelle édition Pléiade deviendra indispensable pour des lecteurs qui ont la chance de compter quelques années de moins que moi, je ne me lancerai pas dans cette nouvelle aventure, je n’aurai ni le temps, ni l’envie d’entamer cette énième « redécouverte » de Monsieur K.

        L’unique raison étant que le temps m’est désormais compté et que j’ai tant de choses à découvrir encore…

          • Bah, je viens de faire des analyses pour info, elles sont tellement excellentes que je devrais pouvoir tenir aisément jusqu’au tome XXXIII de Jean d’Ormesson en Pléiade (celui où seront repris ses carnets de notes secrets entre 8 et 12 ans et ses derniers tweets à son arrière-petite-nièce) ; mais, bon, tout de même, plus d’années de lecture derrière moi que devant, et puis je lis moins vite qu’avant (mais, qui sait, peut-être un peu mieux ?)… et, surtout, il y a un Himalaya de livres que je rêve de lire pour la première fois !

          • Je jouis d’une santé insultante pour mes ennemis et désespérante pour mes héritiers, et j’ai raté toutes mes tentatives de suicides…

  48. Après lecture de «L’Invasion de la Mer», avant-dernier roman écrit par Jules Verne, qui, par bien des aspects, a valeur testamentaire, je suis moins enclin que jamais à dénier à Verne la qualité d’écrivain et même d’écrivain formaliste. Ici, non seulement l’aventure n’a aucune importance en soi, mais le monde réel lui-même est absent, au profit du projet, de l’intention et de la machinerie vernienne. Il n’est aucunement question de décrire le monde, ni de raconter une histoire. Ce roman sert un projet, une obsession de Jules Verne – la nature prométhéenne de l’homme dont, à sa dernière heure, l’auteur ne parvient pas à décider à quel versant, oscar ou lumineux, elle appartient.

    Ce roman n’est pas un «Voyage Extraordinaire». Il n’y a nulle intention de dépayser le lecteur, de le transformer en explorateur ou en enfant devant un livre d’Histoire ou de Géographie ouvert. Les indications qui sont données sur le pays, sa géographie, son histoire, ses populations et leurs moeurs, jusqu’aux plus innocentes descriptions de paysage, n’ont aucune raison d’être pour elles-mêmes, elles ne servent pas à transcrire une réalité, qui reste extérieure au roman, elles ne sont que des rouages de la machinerie , des éléments de la construction romanesque, des véhicules destinés à nous transporter où Verne veut nous transporter. On ne fait pas de tourisme à travers le sud tunisien, dans ce roman, d’une grande sècheresse (jeu de mots involontaire), ni d’excursion pédagogique.

    L’intrigue, les événements, les personnages, ont peu à voir avec le réel, dur moins ne prétendent à aucun réalisme. Leur destin, au fond, nous importe peu (à l’auteur comme au lecteur). Ce qui ne doit pas faire conclure à leur peu d’importance. Ils ont une existence, mais cette existence n’est que romanesque. Ils ne font pas «avancer l’action» comme on dit couramment, mais ils font avancer le récit, ils en sont des éléments essentiels. C’est une remarque d’ordre général, qui peut être appliquée à l’ensemble de l’oeuvre : Jules Verne n’appartient ni de près ni de loin au réalisme, son univers se situe sur le plan de l’imaginaire et de la pure littérature. C’est un univers qui n’a pas d’équivalent, pas de reflet ni de résonance ailleurs que dans les livres écrits par Jules Verne. Sa fameuse géographie – prétendument pédagogique, selon l’auteur et son éditeur, argumentaire de marketing repris à l’envi par foule de commentateurs paresseux – est celle d’un monde créé par l’auteur des «Voyages» et non pas celle du monde réel. Jules Verne fabrique (il s’agit bien d’une fabrique, d’une usine à rêves) à partir de cartes et les cartes ne décrivent pas le monde dans lequel nous vivons ou dans lequel vivaient ses contemporains, mais son double imaginaire et poétique. Je comprends ici, la fascination d’un Raymond Roussel et de Michel Butor.

    Pour autant, il ne s’agit pas d’un roman idéologique, d’un roman de propagande. Pas de conclusion claire, pas de leçon univoque. Et si les entrepreneurs qui se prennent pour des démiurges, voient leurs rêves se réaliser – rêves dont Jules Verne a longuement décrit le caractère cauchemardesque pour les autochtones – ils ne le doivent qu’à une catastrophe naturelle ! Phénomène purement naturel, sans que soit fait appel à l’énergie et à l’invention humaines, non plus qu’à la Providence totalement absente de l’oeuvre.

    Le roman s’achève sur la victoire apparente des entrepreneurs, mais cette victoire a un caractère illusoire, car elle repose sur la défaite des ingénieurs ( et nous savons à quel point les ingénieurs sont, sinon les vrais héros, du moins les protagonistes préférés de Jules Verne). Certes le vieux monde est défait, mais non pas par la volonté et par l’action de ceux qui le voulaient changer. A la fin, (sur sa faim ?), on assiste à la naissance d’un nouveau monde, post-apocalyptique. Quel sera-t-il ? Jules Verne ne nous le dit pas, il s’arrête au seuil de cette aube.

    Au lecteur de rêver. Entre la nostalgie des oasis à jamais engloutis, la saveur de leurs fruits irrémédiablement perdue et dont le souvenir s’estompera, la vie nomade dans les étendues désertiques, et la vision des rivages nouveaux, des villes du désert devenues ports maritimes et des bateaux sillonnant ces mers inouïes, en lieu et place des caravanes d’autrefois. Cet autrefois qui ne date que d’hier et qu’un coup de dé a aboli. Avec, en filigrane – il est évident que cette pensée est dans l’esprit de Verne, ainsi qu’en témoignera son récit «Le Nouvel Adam» – l’appréhension qu’un nouveau cataclysme, indifférent aux ouvrages humains, réduits à la dimension des châteaux de sable que les enfants construisent sur les plages, pourrait un jour effacer ce que le premier a établi.

    Quant au style – si je n’en parle pas, cela me sera reproché – on répétera que Verne n’en a pas. Il a celui de son époque, de son milieu, mélange de la fantaisie des boulevardiers et du sérieux des géographes. Péché mortel ! Pas de style, oui, mais pas d’écriture romanesque, c’est ce que je refuserai d’admettre. Et celle-ci apparaît d’autant mieux dans un roman, réputé mineur, réduit à son idée et à la mise en oeuvre d’icelle. Dépouillée des atours d’un style, de ceux de l’annecdote ou de l’aventure et de la description du monde, elle met à jour et à nu les rouages de la machinerie vernienne. Le fonctionnement de la mécanique. Toute tendue vers son but, elle ne s’attarde guère en route pour souffler, ni laisser souffler le lecteur. (Dans mon édition, l’absence des illustrations d’origine, pour une fois, m’apparaît comme un bienfait, car elle ne ralentit pas l’action et ne permet pas au regard de s’égarer sur des images non pas redondantes mais inutiles.) Ces rouages et ce mécanisme ne sont pas moins visibles et lisibles dans les oeuvres majeures que sont «Le Tour du Monde en 80 Jours», «20 000 Lieues sous les Mers», «Les Enfants du Capitaine Grant», etc. pour qui veut creuser sous les apparences. Ainsi que le rôle du hasard, de l’erreur, de l’égarement, qui conduisent à bonne fin bien plus sûrement qu’une Providence rarement évoquée (et uniquement pour rassurer les familles). Enfin, en guise de dernier mot – plutôt un remords – j’admets que j’aurais pu – que j’aurais dû ? – me servir du «Testament d’un Excentrique», roman que j’ai relu récemment en Pléiade*, après avoir injustement contesté sa valeur et sa présence. Mais l’évidence même de ce roman structurel (structuraliste ?) aurait représenté une facilité.

    * Ouf ! in extremis, le mot de passe est prononcé.

    • Pardon. C’est aussi long et ennuyeux qu’un dimanche – de Coupe du Monde de Foot -qu’il faut bien occuper, cependant.

  49. Je ne sais si ce lieu est encore habité, si même il l’a jamais été. Je pose à tout hasard la question malgré tout :

    Quelqu’un sait-il pourquoi Bouquins-Laffont sort un tome 2 de Colette ? S’agit-il d’une nouvelle édition, car le grand écrivain était déjà publiée chez eux depuis longtemps en trois volumes ?

    Si une âme charitable et éclairée venait à passer par ici…

      • Je ne savais pas que vous teniez Colette en mépris. Pour moi c’est un très grand écrivain.
        Etait-ce bien là le sens de votre commentaire moqueur ?

        • Grand écrivain, Colette? Il est à craindre que, dans la cave viticole à laquelle se peut comparer la Pléiade, l’auteur des Claudines soit l’un des crus les moins pérennes et les plus bouchonnés – un Beaujolais de bonne année que son embouteillage, son étiquetage et une promotion éhontée tentèrent de hausser au niveau des Saint Emilion, Château Petrus et autres Nuit Saint Georges. Cela mérite une petite nasarde innocente, d’autant que la dame se poussait fort haut du col et n’a strictement rien contribué sur le plan littéraire, sociologique, ethnographique, qui ne se trouvait déjà présent, et ô combien mieux, chez d’autres auteurs de son époque.

        • Ce n’était pas mon intention, en l’occurrence; Plutôt sous-entendre – ironiquement – qu’en cette période de Coupe du Monde, hors le foot point de salut !

          • Sinon, je n’ai pas de réponse éclairée à votre question. Je suppose qu’il s’agit d’une réimpression (avec nouvelle couverture pour s’harmoniser avec l’actuel « visuel » des couvertures de Bouquins). Sur le site de l’éditeur, il est présenté comme une « nouveauté » mais rien ne permet de savoir s’il s’agit d’une édition augmentée ou non. (Si vous avez l’ancienne édition, peut-être en comparant le nombre de pages ?) Cela ressemble à du pur marketing.

  50. Mon cher Neo-Birt,

    Permettez-moi de ne point partager votre avis. Je maintiens : Colette est un écrivain de premier ordre — pour qui s’intéresse à la langue et au style : quelle richesse et en même temps quelle simplicité ! Je n’ai malheureusement pas le temps de m’étendre aujourd’hui (pour cause d’obligations professionnelles interminables). Mais peut-être y reviendrai-je une autre fois.

    De Colette, j’ai une tendresse particulière pour ce petit volume sans prétention qui s’appelle « Mes apprentissages ». Certaine page en particulier de ce livre où elle évoque avec émotion l’exceptionnel Schwob.
    La déception de Gide qui, étant allé lui témoigner son admiration — non sans l’avoir au préalable avertie par téléphone de sa visite incongrue —, a la surprise désagréable de l’entendre longuement lui parler de… ses chats. Il connut le même genre de déconvenue chez Tolstoï, en Russie même, où le grand Russe l’entretint avec insistance de… sa nouvelle automobile.

    Je vous entends, mon cher Domonkos !

    • Je suis de l’avis d’Ahmed sur Colette, que je considère comme un grand écrivain, au style exceptionnel, méritant largement son édition en Pléiade.

      Bonne soirée à tous

    • Une seule page sur Schwob vaut pardon pour toutes fautes commises, dites ou pensées, réelles ou imaginaires, et équivaut à un billet d’entrée direct au Paradis des Lettres.

  51. Bonsoir, je lis régulièrement ce blog que je trouve fort intéressant. J’ai une pleiadothèque fort importante car j’en achète et je lis ces ouvrages depuis environ 30 ans. J’aimerai trouver plus de commentaires concernant cette magnifique collection car il y a une réelle histoire . Je comprends bien que certains d’entre vous sont des spécialistes de la littérature ou de la philosophie, mais moi qui suis plutôt un industriel, je recherche plutôt des informations vraiment liées å cette collection et son histoire. Les échanges au fleuret sur tel ou tel auteur me laissent les bras ballant. Chacun doit respecter le point de vue de l’autre et sa sensibilité. Il faut encourager Gallimard à continuer d’éditer des ouvrages de qualité. Merci César

    • Vous avez mille fois raison, cher Monsieur, puisque c’est l’objet même de ce blog que de traiter — en large et en travers — de cette collection qui vous tient tant à cœur. Je m’efface donc avec plaisir, moi qui ne suis spécialiste de rien, et surtout pas de littérature (Dieu m’en préserve) ou de philosophie.

  52. Cher Monsieur Berkani
    Je ne vois pas en quoi le fait de ne pas être spécialiste en Littérature ( et même dans n’importe quelle autre discipline) serait à mettre au crédit d’une intervention divine. Le profane serait-il épargné d’une possible propension à la fatuité, à la morgue, à la pose, à la dérive logorrhéique, simplement parce qu’il ne serait pas spécialiste ? ( ces attitudes négatives étant généralement considérées comme étant constitutives de l’ethos du spécialiste…)
    Il y a dans ce blog un mépris de principe à l’égard des « spécialistes », que je trouve au mieux suspect, mais que je ne vous soupçonne pas, cher Monsieur Berkani, de propager…
    Le Docere n’a jamais été l’ennemi du Placere.

    Bien à vous.

    • « Il y a dans ce blog un mépris de principe à l’égard des spécialistes ».
      Dans certains commentaires peut-être mais sûrement pas dans ce que j’ai commis.
      Cela fait un moment que les commentaires sont devenus « le blog » pour les commentateurs de ce fil, je ne me fais pas d’illusion sur ce point. Mais ce n’est pas vrai. Le blog est mort, comme ma cervelle, c’est un fait. Mais il n’était pas vos commentaires.
      De même ce blog n’est pas consacré à la Pléiade. Il ne l’a jamais été. Cette page, oui, mais pas le défunt blog.

      • Ps : je réagis là, mais ça fait mille fois que je veux le dire et que je laisse filer.
        Que cela ne vous empêche pas de discuter mais ne me confondez pas avec mes aimables commentateurs, ne confondez pas le blog et les commentaires de cette page.
        C’est un détail mais j’y suis sensible.

      • Cher Brumes, ce blog est « mort » dites-vous, c’est à vous d’en décider, il va de soi que vous n’avez jamais signé de votre sang un pacte avec le démon de la littérature, vous engageant à le nourrir jusqu’à votre dernier souffle. Quant à votre « cervelle », le simple fait que vous interveniez encore, de-ci de-là, avec une pertinence qui ne se dément pas, prouve qu’elle n’est pas morte. Tout au plus peut-il s’agir d’un coma passager lui permettant de se « refaire une santé »… Je ne vous ai croisé qu’un quart d’heure, mais je vous lis depuis plusieurs années, et cela suffit amplement à éprouver à votre égard assez d’amitié pour vous souhaiter de retrouver quelque jour votre enthousiasme. Portez-vous bien et tâchez d’être heureux – sans vous soucier outre-mesure de nos querelles parfois fécondes, parfois vaines.

  53. Cher Brumes,
    Je suis sincèrement désolé si la tournure de ma phrase a pu vous laisser croire que je vous visais personnellement. Je faisais allusion à certains commentaires acrimonieux visant, en particulier, le très indispensable Neobirt7 ( je prends la liberté de parler à sa place)
    J’espère avoir levé tout malentendu.

    • Quant à moi, Zino, quand bien même avons-nous eu certains désaccords, qui ont pris parfois une tournure un peu acrimonieuse (pour l’essentiel sur des malentendus), j’espère que vous ne me comptez pas dans la cohorte des « ennemis » des « spécialistes ». Il se peut que j’éprouve parfois de l’impatience face aux arguments d’autorité, mais je n’en respecte pas moins le haut savoir, et les personnes qui le possèdent. Dans nos débats passés, j’ai seulement voulu qu’on prête considération aux points de vue des « généralistes », mais point ne voudrait être embrigadé dans la cohorte des contempteurs des « élites » du savoir et des tenants du « tous les points de vue se valent, chacun selon sa sensibilité » et autres masques de la paresse de la pensée.

      • Cher Domonkos,
        La fréquentation des grands auteurs m’a très heureusement préservé du délit de rancune.
        Quant à vous, cher Domonkos, je tiens pour un grand honneur de compter parmi vos amis.
        Une bonne soirée à vous.

  54. Bonsoir cher Brumes,
    Vous avez raison, il s’agit bien du fil des commentaires. Ce blog est maintenant une référence incontournable et les commentaires sur la pléiade sont lus par tous ceux qui s’intéressent à cette collection. J’aimerai voir une mise à jour de la page avec des données actualisées mais je comprend bien que cela prend du temps. Il serait intéressant que chacun partage des informations sur les éditions passées , présentes ou à venir. Chacune a une histoire, qui au delà du texte et/ou de l’auteur, qui peut intéresser bon nombre d’entre nous. Avez vous des informations sur les pléiades des années 40 avec des Couvertures en skivertex ? Ont elles été commercialisées en parallèle de celles en cuir ? Si quelqu’un a des informations… merci césar

  55. Cher Monsieur Zino,

    Avec Leibniz, je dis que je ne méprise presque rien.

    « Dieu m’en préserve », c’est une façon de parler : je n’ai jamais cru aux interventions divines, à celle-là moins qu’à toutes.

    C’est de la forfanterie de ma part, de l’enfantillage, c’est surtout que je me laisse trop facilement emporter par mes phrases, par ma logorrhée, comme vous dites si bien.

  56. Mais j’ajoute malgré tout ceci qui me paraît important : c’est que l’université a (de nos jours surtout) beaucoup de mal à admettre que l’essentiel de la littérature se passe à l’extérieur des murs de l’université, et lui échappe en quelque sorte.

    De quoi donc un Jean Genet pouvait-il être spécialiste ? De quoi est spécialiste ce poète qu’on admire et dont on a appris dès l’enfance les poèmes par cœur ? De quoi sinon de sa langue et de son art ?

    Mais il y a des professeurs qui sont aussi par accident des poètes ou des écrivains. C’est autre chose. Ils font de la littérature, et, comme littérateurs, comme hommes de lettres — et non plus comme professeurs — rien ne les distingue des autres, sinon précisément le fait qu’ils ne peuvent plus ignorer ce qu’ils savent, ce qui a nécessairement des conséquences sur ce qu’ils écrivent ou prétendent écrire.

    • Cher Ahmed
      Je goûte fort les deux derniers paragraphes de votre dernière intervention qui me semblent frapper juste (le terme frapper n’a rien, ici et dans mon esprit, de guerrier). Etant entendu que, s’il n’y a pas plusieurs vérités, des propositions peuvent contenir des parcelles de vérité et aucune ne la peut contenir toute.
      Je pense qu’il doit y avoir peu d’endroits comme celui-ci, où des spécialistes et des non-spécialistes, des professionnels et des amateurs (non point que je veuille dire qu’un professionnel ne peut demeurer également un amateur), des passionnés dans tous les cas, peuvent se rencontrer, dialoguer et disputer (ce dernier terme dans son sens noble). Je prie ce Dieu que vous évoquez (celui qu’on peut invoquer impunément, justement parce qu’il n’existe pas) que cela continue très longtemps.

  57. Cher monsieur Berkani

    Vous ne pouviez pas tomber plus à propos en citant Genet. Il y a quelques temps de cela,  » Le balcon » a été proposé en stylistique aux étudiants de L3. Et bien je peux vous assurer qu’il y a vraiment eu un avant et un après ! Genet fait partie de ces auteurs très cultivés ( Ionesco, Beckett… ) dont les œuvres, en surface, ne reflètent pas du tout l’étendue de leur culture. À priori, pour un jeune lectorat, c’est souvent une lecture décevante car le texte montre une sorte de neutralité qui n’offre pratiquement pas de prises référentielles, thématiques, sémantiques auxquelles s’accrocher. C’est là que le rôle du « spécialiste » prend tout son sens. Genet à passé son temps à se créer une image de mauvais garçon, image que son écriture constamment traversée par l’intertextualité, par l’élégance scripturaire, par la présence autoritaire de l’auteur ( quel énorme paradoxe, pour un taulard !) vient constamment contredire. Il faut voir comment les langues se délient après une exploration éclairée du texte ! Ce qui semblait plat, révèle des sinuosités, d’innombrables précipices, des à pic vertigineux. Alors, dire que le Mystère de la littérature échapperait à l’Université est non seulement faux mais également malhonnête. Bien sûr que Genet n’est spécialiste de rien, même pas de son écriture ( le génie littéraire est comme inconscient de son propre génie) c’est d’abord un créateur ! Encore que ses nombreuses didascalies scénographiques, là encore, tendraient à dire le contraire.
    Pour ma part, je n’ai jamais adhéré à la théorie du mystère inviolé, chère à Valery, lui qui a passé son temps à théoriser ce mystère dans ses Cahiers !
    Je maintiens que l’approche savante ( et même déjà simplement pédagogique…) est un adjuvant salutaire. Genet entre à l’Université. Il en ressort sinon blanchi, du moins compris.
    J’arrête là ce discours prosélyte et je vous souhaite le bonjour.

    • Sur les admirables Cahiers de Valéry — un auteur incontournable pour moi, avec lequel je dialogue sans fin depuis tant d’années — : il s’agit d’une tentative, d’une brillante tentative, d’un essai : non pas pour théoriser — même s’il a accepté plus tard un cours de poétique —, mais plutôt cerner au plus près ce mystère. Et j’avoue humblement que c’est une chose qui m’occupe aussi passablement (je veux dire le processus de la création, en littérature, celui de l’invention en mathématiques).

      Je retiens de votre intervention cette phrase dont la justesse n’échappera à personne ici : « le génie littéraire est comme inconscient de son propre génie », que l’on pourrait sans peine abréger, ramasser de la sorte, pour dire que « le génie est inconscient de lui-même. »

      • Et même mieux : « le génie est inconscient de lui-même, jusqu’à un certain point. »
        Soyons précis et rigoureux.

        (C’est en pensant à D. H. Lawrence — mon auteur d’étude depuis quelques mois — que j’ai voulu tout de suite rectifier.

  58. Ce dialogue entre Ahmed Berkani et Zino me laisse une impression étrange. Il contient certes moult vérités, mais dans sa globalité il pourrait – peut-être – faire accroire qu’on séparerait deux « camps » : celui des auteurs « inconscients de leur génie » (si génie il y a, terme ô combien équivoque d’ailleurs), les muets du sérail en quelque sorte, et celui des analystes, commentateurs, qui seraient seuls à pouvoir en parler et en dévoiler les véritables enjeux, seuls détenteurs du discours. Or il y a une réflexion des auteurs sur leur « art » et un discours qui peut dialoguer avec celui des analystes, comme également avec celui des lecteurs. (Ce disant, n’ignore point ni ne nie que l’auteur peut être le pire lecteur et le pire analyste de son oeuvre, comme il peut en être – en « même temps » pour parler en jargon macronien – le meilleur.) Echange fécond s’il en fut. Foin de la fameuse (fumeuse) Tour d’Ivoire du créateur, de la forteresse de l’universitaire, de l’exil du lecteur. Dans tous les cas, l’entre-soi conduit à la stérilité.

    • Il est bien sûr possible que cette impression étrange soit le résultat d’une mauvaise lecture ou d’une mauvaise compréhension des propos échangés. Dans l »éventualité de cette occurrence j’en demande par avance pardon aux susnommés.
      J’ajoute à propos de ce dialogue que j’appelle de mes voeux, qu’ici même j’en vois les signes.

  59. Pendant que j’y suis, j’ai mis la main, hier, chez mon bouquiniste, sur le « pochothèque » Knut Hamsun, comprenant l’essentiel de son oeuvre romanesque, ordonnée, présentée et traduite pour la plus grande part par Régis Boyer, très souvent évoqué en ces lieux ces derniers temps, actualité pléiadesque et kierkegaardienne oblige.

    Ai commencé à parcourir ces textes, dont aucun ne m’était inconnu, et à lire l’intro, avec le regret poignant de ne pas disposer de l’équivalent (augmenté d’un appareil de notes dont l’absence en pochothèque se fait cruellement sentir) en Pléiade.

    Ce m’est incompréhensible !

    (Et quand,d je pense que nous discutons presque à l’infini sur les mérites et démérites ou la légitimité à figurer en Pléiade, de tant d’auteurs de second ou de troisième rang…)

    • Bien sûr, bien sûr… Hamsun, vous dites ? Ce vieux facho qui s’est depuis bien longtemps effacé derrière les brumes de notre oubli et celles de ses nordiques et improbables contrées…

      • Cela dit, ne pas avoir eu un comportement hostile à l’envahisseur allemand n’est pas un critère pour être exclu de la Pléiade…. (Drieu récemment).
        Mais plus largement, en ce qui concerne la moralité de l’écrivain, nul mieux que Vialatte a résumé le problème avec ce texte que je ne me lasse jamais de citer:

        DE LA BROUETTE ET DU STYLE (La Montagne 30 septembre 1958)

        II n’est rien de plus étrange que l’homme : il va demander des leçons de morale aux écrivains ! Lui qui n’achèterait pas ses souliers chez le coiffeur ou son chapeau chez le marchand de bicyclettes, il s’adresse à un marchand de phrases pour apprendre comment se conduire dans la vie ! Or l’écrivain commence au style, ou à la prétention au style, et il finit exactement au même endroit. Il n’y a pas plus de morale de l’art que de la brouette ou du fer à repasser. Il y a en revanche une morale de l’artiste. Mais on n’a pas plus de chance de la trouver chez lui que chez le fabricant de brouette, fût-elle à frein sur jante, ou de fer à repasser, fût-il à marche arrière. Il se peut qu’en vous vendant son précieux véhicule le fabricant de brouettes scrupuleux vous exhorte à ne pas faire trop de vitesse, à ne pas brûler les feux rouges, à ne pas écraser les piétons, bref vous donne mille conseils moraux. Il se peut aussi que l’écrivain vous engage à offrir votre place aux dames âgées et à ne dire du mal de vos meilleurs amis que lorsqu’ils ne peuvent vous entendre. Mais c’est hasard, dans un cas comme dans l’autre; du moins n’est-ce pas obligatoire.
        Ce qu’il faut demander au marchand de brouettes c’est de la brouette, à l’homme de lettres c’est du style. Le reste est chimère et confusion. Pour la morale on n’a qu’à s’adresser à des spécialistes locaux. On peut trouver dans tout arrondissement des vieillards chenus et modestes, avec du poil dans les oreilles, qui ont élevé trente enfants, sauvé trois cents personnes, pêché cinquante ans la sardine (dans des endroits où l’esprit de la Mer mugit comme un troupeau de taureaux au fond d’entonnoirs de vingt mètres) ou confessé trente ans et par cinquante à l’ombre, des gens qui ont mangé leur grand-mère, des incestueux, des parricides et même des tricheurs de l’impôt. Ils savent tout. Leur accent rocailleux prévient en faveur de leur thèse. Leur savoir-faire universel inspire confiance. Leur instinct ne les trompe pas : ils vont au Beaujolais. Adressons-nous à eux. Mais à des écrivains ? … Pourquoi ? …

        • C’est une éthique qui en vaut une autre. Je crois à des rapports nécessaires entre le beau et le vrai, au point qu’il m’arrive fréquemment de les prendre l’un pour l’autre. L’alternative c’est quand même de laisser la morale aux religions, qui ne demandent pas mieux.

          Je préfère me tromper avec l’écrivain qu’avoir raison avec le religieux.

          Comme lecteur, je dois dire que suis volontiers ce que Jules Renard appellerait « une bonne poire » (il dit « une poire de luxe »). Et cela ne me déplaît pas. Je ne vais pas jusqu’à demander aux écrivains de me dire comment il faut vivre, mais enfin je les écoute attentivement, et c’est surtout que je réfléchis avec eux, en même temps qu’eux, voilà ce qui est important.

          Vialatte se trompe de toute façon. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Il faudrait développer, mais le temps encore me manque.

          Merci en tout cas de partager avec nous ce texte que je m’en vais copier à mon tour.

  60. Cher Domonkos
    Vous avez raison de rappeler que de nombreux auteurs n’ont pas manqué de parler de leur œuvre : Corneille faisant un travail rétrospectif – et terriblement critique – sur ses pièces, dans les Examens ; Hugo analysant les conditions d’apparition de son théâtre, dans la préface de Cromwell ( analyse au demeurant, incroyablement retorse…) Robe-Grillet posant les limites d’un nouveau terrain littéraire dans  » Pour un nouveau roman ». Mais tout cela ( et les exemples sont très nombreux) renvoie plutôt à la figure de l’Auteur, une notion fluctuante qui se construit non pas sur les décombres de la biographie mais bien sur les fondations de l’œuvre. L’auteur ce n’est pas l’homme, c’est l’œuvre. Or, le génie c’est l’homme qui s’ignore. Un auteur pourra donc parler de son œuvre ( faite ou à faire…) mais pas de son génie propre. Et c’est bien là le seul mystère que je reconnaisse.
    Picasso a beau savoir qu’il est un génie il ne sait pas pourquoi il est un génie ; c’est d’ailleurs je crois le sens qu’il faut donner à sa – trop – fameuse réplique : « Je ne cherche pas, je trouve ».
    Le travail des enseignants, des universitaires, des aventuriers du verbe, consiste au mieux à relever l’amplitude et les variables de ce qu’on appelle le génie, pour les comparer à d’autres courbes…
    Passé le charme puissant de la matière, l’étude des Lettres c’est de la statistique descriptive ( je plaisante !)
    Je vous rassure, le charme persiste…

    • Effectivement. Distinction éclairante. Un jour, vous m’expliquerez en tête à tête ce qu’est le génie ou un génie – en tous cas ce que vous entendez par là. Pour moi, c’est un abîme de perplexité. Mais je ne veux pas abuser de votre temps, et puis il n’est certain que je sois apte à vous suivre sur ce terrain, je crains fort de m’égarer rapidement, il n’y a rien à faire, jamais je ne pourrai compenser certains manques dans mon éducation, il y a des connaissances techniques qui doivent être acquises à un certain âge ; pour moi c’est sûr, c’est trop tard (je n’y récolterais que des migrants).

      Digression. J’aimerais avoir votre avis sur un livre que j’ai déniché par hasard, dans une boîte de livres-échangisme, dans une banlieue parisienne anonyme, au milieu de cochoncetés sous-littéraires innommables. Je me suis mis à le lire, ma foi avec une aisance qui m’a surpris, et un certain intérêt. Mais peut-être me leurrai-je et allez-vous me dire que ça ne vaut pas tripette. C’est une vieillerie, je vous en avertis. Ça s’appelle « Critique du roman » et sous ce titre d’une rare innocuité se dissimule en réalité une lecture critique de « La Modification » de Butor (roman qui, en son temps, me fascina). L’auteur est Françoise Van Rossum-Guyon. 1971. Précisément à l’époque où je lisais du Nouveau Roman, c’est amusant. « Nouveau Roman » dont je n’ai gardé que Claude Simon et (bien qu’elle s’en défendît) Nathalie Sarraute que notre ami NéoBirt7 me reproche de porter aux nues.

      • Pour le tête à tête sur la notion de génie, rien ne presse, je répète. Ma cervelle reptilienne n’y pourrait résister et il faudrait que vous ayez vraiment le goût de prêcher dans le désert…

  61. Cher Domonkos
    Y récolter des migrants ce n’est déjà pas si mal 😅 Rappelez vous ce vers de Valery :  » Chaque atome de silence est la chance d’un fruit mûr. »
    Il faut bien sûr comprendre le mot chance dans le sens latin de cadere. Mais pas que…
    Bien à vous.

    • hou lala lala !… Hier, en lisant votre dernière réponse, Zino, je me suis demandé « Que viennent faire ici ces migrants ? » Et puis, je suis allé dormir du sommeil du juste (ou de celui de l’injuste inconscient de son injustice).
      Aujourd’hui, je vous relis, avec le même étonnement. Poussant plus loin mes investigations, je relis également mon propre message antécédent, et j’y découvre ces fameux migrants ! (« Je n’y récolterais que des migrants ») Nouvelle stupéfaction, que le diable me patafiole si j’ai jamais voulu mêler quelque migrant que ce soit à notre échange ! Si je les y ai mis, ce ne peut-être qu’à l’insu de mon plein gré.

      Voilà le secret de l’affaire : le mot « migrant » a été placé là par le « correcteur » automatique, par suite sans doute d’une faute de frappe de ma part, en lieu et place du mot auquel je pensais : MIGRAINE !
      Souffrir de migraine ou souffrir de migrant, il se peut qu’il y ait une analogie entre les deux, mais j’avoue ne pas la voir d’évidence…

      Mille pardons de vous avoir égaré, bien involontairement.

      PS : cependant, vous n’avez pas répondu à ma question, posée sérieusement, au sujet de « Critique du roman » de Mme Van Rossum-Guyon.

  62. Il y a des écrivains à la mode, des penseurs à la mode. Chaque époque a les siens. J’ai toujours observé la même chose dans les sciences. Telle est la puissance du mimétisme et celle de la peur — la peur du ridicule surtout. Il s’agit en pareil cas, et devant ces figures étirées démesurément et proposées à l’admiration obligée de tous, de garder la tête froide et de dire qu’on ne comprend pas si on ne comprend pas. Le temps souvent nous donne ensuite raison. Il suffit d’être patient et d’attendre son heure.

    • Je me réponds ici à moi-même :

      « Les vraies sympathies sont excellentes, dit Baudelaire, car elles sont deux en un (comme les shampoings : note de votre serviteur). »

      Ce que Baudelaire appelle une sympathie vraie, c’est une sympathie involontaire, et vérifiée ultérieurement, donc raisonnable.

      La littérature, au fond, n’est que ce savant réseau de sympathies vérifiées. Chacun s’étant constitué le sien propre, il peut à raison l’appeler son panthéon.

  63. Valéry, à propos de l’impasse du symbolisme, dont l’idée, très pure, s’est heurtée, avance-t-il, à une limite du monde.

    « Faut-il périr à ce point ? comment périr, ô camarades ? — Qu’est-ce donc qui a si secrètement altéré nos certitudes, atténué notre vérité, dispersé nos courages ? A-t-on fait cette découverte que la lumière puisse vieillir ? Et comment se peut-il (c’est ici le mystère), que ceux qui vinrent après nous, et qui s’en iront tout de même, rendus vains et désabusés par un changement tout semblable, aient eu d’autres désirs que les nôtres, et d’autres dieux ? Il nous apparaissait si clairement qu’il n’y avait pas de défaut dans notre idéal !

    […] Nous traversons seulement l’idée de la perfection, comme la main impunément tranche la flamme ; mais la flamme est inhabitable, et les demeures de la plus haute sérénité sont nécessairement désertes. […]

    La poésie absolue ne peut procéder que par merveilles exceptionnelles. Les œuvres qu’elle compose entièrement constituent dans les trésors impondérables d’une littérature ce qui s’y remarque de plus rare et de plus improbable. Mais comme le vide parfait, et de même que le plus bas degré de la température, qui ne peuvent pas être atteints, ne se laissent même approcher qu’au prix d’une progression épuisante d’efforts, ainsi la pureté de notre art demande à ceux qui le conçoivent, de si longues et si rudes contraintes qu’elles absorbent toute la joie naturelle d’être poète, pour ne laisser que l’orgueil de n’être jamais satisfait. […]
    Nos successeurs n’ont pas envié notre tourment : ils n’ont pas adopté nos délicatesses […] Ils ont rouvert aussi sur les accidents de l’être les yeux que nous avions fermés pour nous faire plus semblables à sa substance… Tout ceci était à prévoir. »
    Connaissance de la déesse de Lucien Fabre, Préface.

    • Dans la même préface, cet emploi, qui m’arrête un moment, de la conjonction à valeur adversative « mais » :

      « Cette culture générale, mais ces habitudes de rigueur ; ce sens pratique et décisif, mais ces connaissances glorieusement inutiles, témoignent ensemble d’une volonté qui les compose et les ordonne. »

      Impossible de lire Valéry sans avoir, ouvert à côté de soi, son cahier de « pillages ». J’ai la même curieuse tentation, que je refrène violemment, avec Jacques Amyot.

  64. Sur un site quelconque, quelqu’un a trouvé seyant, original de mettre sur un large bandeau bien visible sur la page cette phrase de Jean d’Ormesson, qui me laisse pantois — moi qui n’ai encore rien lu de cet auteur, cette occasion étant donc une première :

    « De part et d’autre de votre présent si fragile, le passé et l’avenir sont des monstres assoiffés de temps. »

    Quelle dégringolade tout de même pour la littérature française ! Je connais maints écrivains secondaires du XIXe siècle qui surpassent les meilleurs d’entre ceux d’aujourd’hui. Il n’est que de fouiller un peu dans les bibliothèques numériques pour en remuer à la pelle.

    Cette phrase n’est pas précisément mal écrite, mais il cède là à une facilité indigne d’un vrai écrivain, sans compter la vacuité philosophique de la chose, et sans faire mention de la flaccidité d’un tel style. On dirait de la littérature taillée tout exprès pour un certain public auquel je pense, et qu’il aura œuvré toute sa vie à contenter.

    • Pour rire, simplement (et pour montrer en souriant qu’un style ne se juge pas sur une phrase piochée) :

      « Longtemps, je me suis couché de bonne heure. »

      Quelle dégringolade tout de même pour la littérature française ! Je connais maints écrivains secondaires du XIXe siècle qui surpassent les meilleurs d’entre ceux d’aujourd’hui. Il n’est que de fouiller un peu dans les bibliothèques numériques pour en remuer à la pelle.

      Cette phrase n’est pas précisément mal écrite, mais il cède là à une facilité indigne d’un vrai écrivain, sans compter la vacuité philosophique de la chose, et sans faire mention de la flaccidité d’un tel style. On dirait de la littérature taillée tout exprès pour un certain public auquel je pense, et qu’il aura œuvré toute sa vie à contenter.

      • « Longtemps, je me suis couché de bonne heure. »

        Je chéris cette phrase, qui ne m’a jamais quitté. Même prise isolément, elle garde de la tenue : mais c’est un avis ô combien partial, et qui donc ne compte pas.

      • A ceci près que la phrase de d’Ormesson a la prétention d’émettre une vérité inouïe, alors que celle de Proust est simplement l’ouverture de l’armoire aux souvenirs et ne cherche pas à se hisser sur l’estrade. Différence fondamentale.
        Ceci étant dit, je ne jugerai pas l’oeuvre de d’Ormesson sur une phrase, que je n’ai même pas choisie. J’espère qu’il y a dans cette oeuvre autre chose que ce genre de facilités, dont on pourrait effectivement trouver des exemples chez les plus grands (votre exemple, avec la phrase de Proust, est simplement mal choisi).

  65. Cher Draak,
    Votre exemple n’est pas valable. Cette phrase en effet, n’a pas pour vocation de véhiculer une pensée profonde, elle n’est pas sentencieuse, elle ouvre simplement un récit, et quel récit !
    Du reste, cette simple phrase dans l’économie générale de la Recherche, est d’une importance capitale : Avec sa simplicité désarmante, elle résume par son caractère résomptif ( dans le sens grammatical du terme) tout le projet Proustien.
    Et puis si l’on parle de style, c’est à pleines brassées que Proust nous en offre ! Pour d’Ormesson, je nai aucun scrupule à le déclarer sans intérêt. J’ai tenté de lire « La douane des mers », je me suis arrêté au premier tiers, la vie est trop courte pour lire ça…

    • Et moi doublement. Je me suis inutilement jeté, toutes dents dehors sur le pauvre Draak, avant même de lire la réponse de Zino. Double faux-pas. Pardon à tous les deux.

        • J’attendais la volée de bois vert, les bras croisés, et riant à gorge déployée. Quelle perfection, bien sûr que l’incipit de la Recherche. Mais on ne le sait qu’à la lecture du reste : Reste qu’un extrait hors contexte est un procédé déloyal.

          Pour être constructif, je me permets d’attirer l’attention sur un petit essai de Laurent Nunez : « L’énigme des premières phrases. », chez Grasset, 2017. 13 euros superbement investis. Plein d’humour et de finesse.

          • Attitude de défi classique du héros vernien. Mais le procédé n’en est pas moins déloyal : vous ne pouviez ignorer que vous vous adressiez à des cerveaux en vacances.
            N’empêche que ……………………………………. (veuillez compléter les lignes de pointillés).

          • avec la ribambelle de petits-enfants et de petites-enfantes qui nous est tombé dessus sans crier gare, j’ai perdu le compte.

  66. Le grec Denys d’Halicarnasse et le romain Quintillien, soit deux des plus fins critiques littéraires de l’Antiquité classique, insistent sur la part de travail littéraire, φιλοπονία / philoponia (« amour de la peine, du travail »), qui se cache sous l’entame de la République de Platon, pourtant toute simple mais que les libertés en matière d’ordre des mots inhérentes au grec ancien rendaient loisibles de diverses permutations: κατέβην χθὲς εἰς Πειραιᾶ μετὰ Γλαύκωνος τοῦ Ἀρίστωνος, « j’étais hier descendu au Pirée en compagnie de Glaucon, fils d’Ariston » (cf. Helen F. North, ‘Combing and Curling: Orator Summus Plato », dans Gregory Nagy (ed.), « Greek Literature and Philosophy », Londres-New York, Routledge, 2001, pp. 199-200). C’est dire si l’incipit constitue une place éminemment sensible sur le plan rhétorico-poétique et énonciatif.

    • J’ai toujours cru aux vertus de l’incipit. Et j’ai même rêvé qu’on fasse un jour un livre des meilleurs, des plus mémorables incipit.

          • V’là, comme on dit dans le Nord :

            « Pour être constructif, je me permets d’attirer l’attention sur un petit essai de Laurent Nunez : « L’énigme des premières phrases. », chez Grasset, 2017. 13 euros superbement investis. Plein d’humour et de finesse. »

  67. Les incipit sont l’ambroisie des stylisticiens ! Chez Balzac c’est même un genre en soi : l’incipit Balzacien. Évidemment pour les oraux du CAPES, l’étudiant un peu cultivé qui tombe sur l’incipit d’un roman de Balzac a toujours le sourire au coin des lèvres ! Il a devant lui un boulevard.
    Certains incipit en revanche, revêtent un caractère volontairement déceptif. C’est le cas pour certains romans de Mauriac ou d’Aragon. Il s’agit de mettre sur la diégèse une sorte de voile opacifiant, assez léger mais suffisant pour mimer le flux mystérieux de la pensée.

    • Cher Berkani.
      Pour Hugo la formule serait plutôt : Un écrivain est la somme de tout ce qu’il s’autorise 😄
      C’est le déterminant indéfini « un » qui pose problème, il généralise trop. Certains écrivains c’est vrai correspondent à cette définition. Je pense notamment ( et vous aussi sans doute…) à Mallarmé ou à Valery. Mais ce qu’ils se refusent, trop souvent ils nous en privent. Mallarmé s’enfermera dans une désolante minéralité, que ses premiers poèmes d’inspiration Baudelairienne ne laissait pas supposer. Quant à Valery, ce peintre suprême de la Méditerranée, que de frissons perdus, au nom de la raison toute puissante ! Valery c’est  » Midi le juste… »

      • J’ai un penchant pour celui qui s’autorise tout, mais, après m’être goinfré de Hugo, une petite cure d’amaigrissement avec Valéry… de temps en temps. Voire un épisode ascétique, juché au sommet de ma colonne mallarméenne, en plein désert…

      • Merci pour ces considérations. Nous touchons là à la question centrale du parti pris esthétique.
        Je ne sais pas pour ma part d’où me vient cet intérêt profond pour l’étranglement, la sécheresse, l’économie drastique des moyens. Je veux retourner à La Bruyère et n’en plus bouger.

  68. Quelqu’un ici, y compris notre hôte, aurait-il des précisions sur les raisons du très long retard accumulé par les tomes II et III de Nietzsche ? Je subodore une mévente du tome I, pas bien épais et dont le parti-près exégétique approfondi (un tiers du volume consacré aux Notices, notes et variantes, y compris un commentaire de plus de 100 pages à la Gebürt des Tragödie) a pu refroidir le grand public cultivé. Ce volume comporte aussi des défauts irritants: faute d’avoir consulté un helléniste spécialiste d’histoire de l’érudition et de Geistesgeschichte (ce que n’a jamais été F. Fronterotta, philosophe spécialiste des traditions platonicienne et aristotélicienne),
    les spécificités du jeune Nietzsche, très brillant philologue classique dans lequel ses maîtres croyaient tellement qu’ils le dispensèrent, chose extraordinaire, de dissertation inaugurale, n’y apparaissent que peu et mal. Le fait d’avoir exclu du tome I les pièces du dossier polémique suscité par la parution de la Geburt (deux pamphlets savants d’un jeune condisciple de Nietzche à Pforta destiné à devenir le plus illustre classiciste au monde pour la période 1870-1930 et un véritable athlète du savoir, Ulrich von Wilamowitz-Möllendorff, Junker prussien par ailleurs gendre de Theodor Mommsen; le libelle au titre injurieux par double entendre « Sous philologie / Philologie des fesses » [Afterphilologie] composé par Erwin Rohde, l’ami classiciste de Nietzsche qui s’affirma par la lui suite le pionnier des études sur le roman grec et sur le concept grec de l’âme, en réponse au premier pamphlet wilamowitzien, enfin l’intervention publique de Wagner lui-même) appauvrit en même temps qu’il l’aplanit la perception qui se dégage de cette Pléiade en ce qui a trait à l’abandon par Nietzsche de la carrière académique; toute cette littérature, présentée, traduite et très abondamment annotée, n’occupe jamais que 304 p. Monique Dixsaut (ed.), « Nietzsche. Querelle autour de la “Naissance de la Tragédie” », Paris, Vrin, 1995). On peut aussi déplorer que la Geburt n’ait pas fait l’objet d’une nouvelle traduction Pléiade mais se présente dans la version donnée à Gallimard, collection grise, par Philippe Lacoue-Labarthe en 1977 (si ce n’est qu’elle repose sur l’édition critique de Colli et Montinari, cette traduction n’offre pas d’améliorations notables par rapport à celle de Geneviève Bianquis sur le plan de la fidélité et n’égale ni la langue ni l’aisance propre à la version d’Henri Albert, étant entendu que l’on rend bien mieux Nietzsche philologue et théoricien de la tragédie quand on a soi-même l’expérience du grec, de la tragédie attique et de la religion athénienne, ce qui n’est le cas d’aucun de ces trois chercheurs).

    • « le libelle au titre injurieux par double entendre […] »

      Par « double entendre ». Tiens, tiens. Les dictionnaires sont muets sur une possible substantivation du verbe « entendre », cela m’aurait grandement intéressé.

      • « Double entendre » appartient au vocabulaire courant de la stylistique, bien que plus commun en anglais, comme gallicisme adapté (à l’instar de « née »), qu’en français, où l’on recourt en général à « (mot à) double entente », expression à mes yeux pourtant plus ambiguë.

      • Cher monsieur Berkani,
        C’est en effet, comme le dit Neobirt7, une figure rhétorique, assez commune, que l’on appelle également syllepse de sens ou antanaclase, figure très prisée chez Beaumarchais, par exemple. J’en avais cité une, sous forme de boutade, à notre ami Domonkos. Je l’ai relevée dans un vers fort connu de Valery :  » Chaque atome de silence est la chance d’un fruit mûr « . La figure porte ici sur le mot « chance » qui signifie à la fois opportunité et chute ; dans cet exemple, elle repose donc, en partie sur l’étymologie du mot. Chez Valery, cela participe de cette volonté toute classique de concision. C’est également, avouons-le, de la coquetterie…

        • As a matter of fact, when I said that none of my dictionaries mentioned it, I was wrong, as it is there, in the Oxford English Dictionary (OED), where this same meaning, as given by Neo-Birt appears. One reads the following :

          « A double meaning ; a word or phrase having a double sense, esp. as used to convey an indelicate meaning. »

          Dans l’utilisation anglaise, on trouve effectivement la nuance supplémentaire du « indelicate meaning ». L’article du dictionnaire renvoie à Littré (suppléments) où il y aurait un exemple de 1688, que je ne trouve pas.

          Mais la langue anglaise a aussi « double meaning » (et son dérivé « double-meaner), qui est donné comme synonyme de l’autre. On trouve aussi dans l’OED « double entendement », avec un exemple cité de 1548.

          Merci à tous deux pour vos précisions.

  69. La plus belle critique.

    Soit une pièce de théâtre, que son auteur a imprudemment intitulée « Enterrons ça ». Elle arrive, cette pièce, chez Georges Perros, qui à ce moment est lecteur pour Jean Vilar. Sur sa fiche, destinée à rendre compte de la pièce, Perros n’écrit que ce seul mot :

    « Oui. »

    Il paraît que Jean Vilar était d’une patience et d’une compréhension infinies à son égard.

    Ces petites fiches de lecture de Georges Perros nous le montrent en tout cas maître déjà de sa langue et doté d’une culture très vaste, et habité par une idée du théâtre si haute qu’on se dit qu’elle a dû bien le gêner dans ce petit emploi qu’il ne paraît pas avoir pris à la légère.

  70. La nouvelle édition de Kafka est annoncée pour octobre. J’en suis désolé pour les nouveaux traducteurs, mais je reste bien trop attaché aux Pléiades de Claude David, et bien trop habitué à Marthe Robert et Vialatte dont les noms, je l’ai dit, sont indissociablement attachés à celui de Kafka pour moi.

    Voilà bien une attitude passéiste hautement ridicule, bien évidemment, mais de le savoir, d’en être pleinement conscient ne diminue en rien son emprise.

    • Rien de hautement ridicule dans le fait de préférer une version d’hier à la toute dernière version (dont la dilection deviendra hautement ridicule lors de la publication de la version suivante). Pour ma part, je l’ai déjà dit, sans vergogne, en plus de cinquante années de fréquentation de Kafka, j’ai connu moult versions et j’ai eu le temps, en tenant compte également de mes propres évolutions, de me constituer « mon » Kafka. En ce qui concerne la nouvelle édition, deux hypothèses : soit elle n’apporte rien de nouveau, et elle m’est inutile, soit elle révèle un « nouveau » Kafka et il est bien trop tard pour que j’abandonne celui qui m’a accompagné toute une vie. Tout en respectant ceux qui vont le découvrir dans ce nouvel habit.

  71. L’occasion est bonne (mais toute occasion est bonne pour lire), l’occasion est bonne aujourd’hui pour reprendre Les jeux et les hommes, qui porte le sous-titre : « Le masque et le vertige ». Je parle bien sûr du livre de Roger Caillois, avec lequel je vais passer tout mon dimanche.

    Presque tout ce qui est dit dans l’introduction est démenti par l’Avenir — cet avenir qui est notre présent à nous, et notre privilège. Quelques postulats sur lesquels l’auteur fait reposer son étude, qui se veut une sorte de système, ces postulats dis-je sont ébranlés pour certains, renversés pour d’autres. Mais qu’importe après tout, si le jeu des idées, l’agencement ingénieux des propositions ne font pas moins de ce petit livre un objet intellectuellement séduisant. C’est un bel exercice d’érudition, une heureuse tentative.

  72. La question des volumes de la Pléiade à recommander avait été posée par un intervenant il y a quelque temps. En guise de réponse, je fais suivre la recension du Théâtre complet de Genet sur laquelle la lecture d’un ancien numéro d’Histoires Littéraires (n°15 de juillet-août-septembre 2003) m’a fait tomber.

    Jean Genet, Théâtre complet, édition établie par Michel Corvin et Albert Dichy (Gallimard, 2002, 1568 p., 62,50 €). La collection de la Pléiade a connu des fortunes diverses, et tous ses volumes ne sont pas des modèles uniformément admirables, on le sait. On sait aussi ce que sont les difficultés de toute entreprise de cette nature, infiniment variables en fonction des auteurs, mais toujours redoutables. Il y a cette fois-ci tout lieu d’admirer Michel Corvin et Albert Dichy. Le Théâtre complet qu’ils annoncent mérite entièrement l’épithète ; tout y est, les pièces devenues des classiques incontournables du XXe siècle comme les œuvres peu connues ou inachevées. Mais on découvre surtout ici à quel point, inachevées, elles le sont toutes : Genet n’a pas cessé d’y travailler, de les remanier, de les reprendre d’édition en édition, la plupart du temps dans des manuscrits qui demeuraient hors de portée. C’est là la grande chance de cette édition : les multiples états des manuscrits et des éditions sont désormais accessibles aux chercheurs. La liste des lieux de conservation forme le Gotha de l’archive littéraire aujourd’hui, de l’IMEC à la Carlton Lake Collection d’Austin. La BnF (malgré une dactylographie des Bonnes du Fonds Rondel de l’Arsenal) ne fait pas partie du lot, on le remarquera. Il faut ajouter à ces fonds institutionnels les nombreuses archives privées dont l’accès a permis de faire de cette édition un travail génétique exemplaire en ce qu’elle n’étudie pas l’avant-texte pour lui-même mais le fait servir (ce qui devrait toujours être le cas) à comprendre dans toute sa complexité la richesse d’une œuvre en mouvement, jamais arrêtée sur une version définitive. Ceci, on le conçoit, répond parfaitement au nomadisme souvent tragique de Genet, dans sa vie comme dans ses convictions et ses affections et donne tout leur sens aux jeux compliqués de ses personnages avec des identités et des situations toujours insaisissables. Une pareille ouverture s’imposait d’autant plus dans le cas d’une œuvre théâtrale dont les avatars (au premier sens du terme) sont potentiellement infinis : chaque mise en scène, chaque style de jeu, chaque choix de décor, chaque contexte de représentation diffère de tous les autres. Michel Corvin, en spécialiste qu’il est de la dramaturgie, présente pour chaque pièce des analyses approfondies et toujours éclairantes jusque dans le détail de leur attention minutieuse aux virtualités des textes comme aux réalités des représentations. Chaque notice est un condensé d’érudition intelligente. On pourrait dire la même chose des autres choix éditoriaux. Voilà donc rassemblés dans un seul volume, non seulement les pièces elles-mêmes avec leurs variantes souvent inconnues, mais également toute une série de documents, parfois déjà connus mais jamais sous une forme complète et annotée ; ainsi, une préface inédite des Nègres, les lettres à Roger Blin – document fondamental – et toute une correspondance largement inédite avec Bernard Frechtman (l’artisan initial de la mondialisation de Genet) ou avec Patrice Chéreau. On trouve encore dans cet ensemble aussi bien le fameux Cas Genet de Mauriac que le compte rendu du débat historique à l’Assemblée nationale à propos des Paravents en 1966, plus quelques entretiens inédits. L’appareil critique est à la hauteur, avec une excellente chronologie due à Albert Dichy, où les moments essentiels de la vie de Genet apparaissent avec toute une force quasi-physique, comme les images chargées de sens et impénétrables de son théâtre. L’iconographie des mises en scène souffre évidemment du format et du support imposés aux reproductions par la collection. Il faut souhaiter une édition séparée intégrale en grand format. En revanche, le répertoire des créations majeures en France et dans le monde, l’inventaire des premières éditions (souvent plus ou moins clandestines), etc., forment un outil de travail exemplaire autour d’une œuvre qui n’en sort pas amoindrie parce que mitée par du discours parasite, comme il arrive trop souvent : la parole de Genet s’impose au contraire plus fortement que jamais, souveraine, impérieuse et douloureuse tout à la fois. Les trois générations de Gallimard qui ont voulu tour à tour ce Genet pléiadisé avaient raison d’insister, tout comme Cocteau, auquel il faudra rendre cette justice qu’il aura aidé à advenir, très consciemment, plus grand que lui.

    • Dans son journal Cocteau raconte ses premières rencontres avec Genêt, et se délecte masochistement des avanies que le jeune « écrivain-voyou » lui fait subir ; il ne cesse également de chanter la grandeur de son poulain, mais je le soupçonne de se vouloir grandir de cette grandeur, par une sorte de narcissisme inversé.

      Ainsi Cocteau est lui-même à l’origine du mythe de Genêt génie incomparable et au-dessus de l’artiste Cocteau, il aura trop bien « réussi son coup ».

      Pour ma part, je m’oppose radicalement à cette vision. Bien que n’aimant pas du tout ces hiérarchies, s’il faut y sacrifier pour l’occasion, je me refuse à mettre Genêt au-dessus de Cocteau (non plus qu’en-dessous, sauf sur le plan humain, toute la générosité étant du côté de Cocteau). Tous deux artistes et littérateurs, touchant également au génie. Cocteau continue d’être très largement sous-estimé. Notre époque adore le sombre et le tragique et ne lui pardonne pas d’être dans la lumière. Le reproche qu’on lui fait de ses minauderies, de la mise en scène de son art et de lui-même, on peut le faire dans les mêmes termes à Genêt qui se prête aux mêmes préciosités, à la même roublardise. Une grande partie de l’aura « maudite » de Genêt n’est que de la comédie, tandis qu’il ne manque pas chez Cocteau de force dramatique sous le vernis. Quant à la question de l’engagement politique qui a bien contribué à l’édification de la légende de Genêt, elle n’est pas plus à prendre au sérieux – là encore comédie – que l’indifférence de Cocteau. Ne pas oublier que, des deux, celui qui a eu les fréquentations les plus inquiétantes, sur le plan idéologique, est bien Genêt. Finalement, les deux Jean, ne s’étaient pas rencontrés par hasard, tellement semblables sous les apparences. Bien entendu, Genêt pour devenir enfin « tel en lui-même » a dû se débarrasser de l’encombrant Cocteau. Pour tout dire, je ne saurais me passer ni de l’un ni de l’autre.

    • Merci infiniment. J’ai copié ce texte que je lirai à tête reposée dès que possible. Il y aurait tant à dire sur Genet, dont la prose non théâtrale manque cruellement à la Pléiade. Pour ma part, je me contenterais bien d’une Pléiade de quelques dizaines de pages seulement enfermant le texte du Funambule, dont j’ai cité un jour ici les premières phrases.

  73. Une anecdote.
    Un écrivain passé inaperçu (et non une écrivaine comme disent nos contemporains, ni surtout une « autrice », mot honteux que j’ai rencontré une fois dans un grand quotidien), c’est la sœur d’Alain-Fournier, Isabelle Rivière, femme du grand écrivain chrétien Jacques Rivière. Belle intelligence, belle plume.

    • Le néologisme « autrice » par analogie avec « actrice », qui tend à se répandre jusque dans la prose savante, est absolument ignoble; « femme auteur » tenant de la périphrase difficile à caser dans la plupart des styles, le québécois « auteure » présente un très grand intérêt, en particulier pour son euphonie, et mérite qu’en sa faveur on fasse une concession à la présente tentation de féminiser en e nombre de mots que notre langue, depuis le XVIIe siècle au moins, n’emploie qu’au masculin, comme « professeur ». En effet, « professeur » fonctionne en variation libre avec « enseignant », dont le féminin se dit depuis la seconde moitié du XIXe siècle, alors que l’on ne dispose d’aucun synonyme exact et usité au féminin pour « auteur » (« écrivain » a une nuance strictement littéraire, et « écrivaine » appartient au français helvétique et québécois).

      • Je suis déjà fatigué de cette mode du jour. Au début assez réticent j’ai voulu surmonter mes préventions et appliquer un certain nombre de propositions de « féminisation ».
        Puis je me suis rendu compte que de surenchère en surenchère, chacun voulant être le « mieux disant » on en arrivait, faute de réflexion et de raison et en l’absence de nouvelles normes acceptées de tous, d’errances idéologiques en néologismes aventureux, à défigurer sans profit notre langue et à créer une novlangue digne des meilleures tyrannies (entre Staline, Mao et Big Brother).
        Ou bien, autre danger, à la multiplication des jargons, selon l’appartenance des locuteurs à telle ou telle categorie, genre, parti, conviction, etc. Bref, une babelisation.
        Tant pis, j’au décidé d’en revenir au clacissisme. Qu’on me traite de réactionnaire si on veut. En attendant qu’un peu de raison et de sagesse viennent mettre un peu d’ordre là-dedans.

        • En matière de langue, je suis un réactionnaire authentique, pour reprendre le titre de ce livre d’aphorismes traduit de Nicolás Gómez Dávila — qui a vite disparu des librairies et qu’on rééditera ou retraduira peut-être un jour.

          Après que nous avons évoqué Colette ici l’autre jour, le même jour d’ailleurs, ma moitié est rentrée avec le Cahier de l’Herne consacré à Colette et paru en 2011. Je l’ai feuilleté par curiosité sans y rien trouver qui me donne l’envie de lire, rien sinon une curieuse étude, qui est une interview en réalité (une interviouwe, écrirait Céline) due à Walter Benjamin, et où Colette tient des propos sur la condition féminine qui lui vaudraient aujourd’hui et sans le moindre doute bien des ennuis.

          Je dis souvent que les grands écrivains français que nous admirons tant, s’ils vivaient aujourd’hui, seraient convoqués incessamment par la justice et passeraient une bonne partie de leur temps dans les tribunaux. Et la paranoïa de Stendhal, qui se croyait constamment surveillé, et qui l’était bel et bien, trouverait toute justification et paraîtrait naturelle.

  74. Sur le blog où je commente parfois, je me retrouve encore nez à nez ce matin avec Jean d’Ormesson, dans une contribution à teneur philosophique et prenant pour sujet la mort. Je prends la liberté de citer cet internaute, dont le texte est par ailleurs d’excellente tenue, mais que cette conclusion qu’il lui fait saborde en quelque sorte, à mes yeux tout au moins :

    « Je termine mon commentaire avec cette excellente phrase de notre illustre intellectuel décédé en décembre dernier, Jean d’Ormesson, qui avait dit un jour : “mourir n’est pas gai, mais ne jamais mourir serait atroce, la vie est belle parce que nous mourrons” ! »

    Le goût de nos contemporains s’est altéré. Et rien ne nous dit que ce goût nouveau n’est pas le vrai goût. Mais la petite voix intérieure, qu’il n’est pas possible de faire taire, ne veut pas, elle, consentir.

    • Le sujet de cette phrase est l’objet d’un superbe roman de Saramago : Les intermittences de la mort. Il a une formulation beaucoup plus intéressante : « Si nous ne recommençons pas à mourir, nous n’avons plus d’avenir ». Dire que d’Ormesson est dans la Pléiade, et pas Saramago…

  75. Pauvre Jean d’O. Je me sens coupable en vous lisant d’une infinie « tendresse de pitié » comme l’écrivait Albert Cohen à propos de ses frères humains, pour lui. Ce deuxième (second ?) volume m’est arrivé sans dédicace cette fois. A part “La Douane de mer” que je vais relire ici en Vénétie, il n’y aura pas grand chose d’intéressant. Son titre emprunté à Mao (le vagabond etc) peut faire sourire. C’est déjà quelque chose….

    • Je pense que vous avez mille fois raison de relire les livres de Jean d’Ormesson que vous avez aimés. Je crois que l’homme intelligent prend sa nourriture partout et qu’il y a toujours pour lui du profit à lire n’importe quel livre.
      Plus je lis et plus je me persuade que le livre qu’on a choisi de lire n’a pas d’importance par lui-même. Il y a de l’instruction à prendre dans un mauvais livre, et même quelquefois beaucoup d’instruction. Un bon livre nous forme différemment.

  76. Une petite curiosité de la Pléiade «Œuvres romanesques» de Marguerite Yourcenar. On peut lire dans sa postface à la nouvelle «Anna, soror…», cette phrase : «Quant à Anna, soror…, le recours à Greco s’expliquait en tant qu’allusion au faire convulsif et tremblé du grand peintre, mais le décor de Naples et une certaine fougue sensuelle me ferait [sic] aujourd’hui plutôt songer à Caravage, si tant est qu’il soit nécessaire de placer ce récit violent sur le vocable d’un peintre.» (réédition de 1991: p. 931/932; première édition 1982: p. 904) Étonnante faute d’orthographe qui surprend d’autant plus qu’elle est déjà présente dans le volume publié chez Gallimard en 1981 et encore dans Comme l’eau qui coule (recueil de 3 nouvelles dont AS) en 1982; ces deux éditions publiées du vivant de l’auteure ! Il faudra attendre l’édition Folio en 1991 (donc édition très largement posthume) pour lire une nouvelle version corrigée de cette phrase : «Toutefois, non seulement le décor de Naples, où se situe l’aventure, mais encore la fougue amoureuse et je ne sais quelle plénitude ou quelle vénusté italienne me feraient plutôt aujourd’hui songer à Caravage, si tant est qu’il soit nécessaire de placer ce récit sous le vocable d’un peintre.» (p. 96/97) À quand une édition sérieuse, corrigée, complète et commentée des Œuvres de Marguerite Yourcenar dans la Pléiade ?! «Faisons un rêve…!»

  77. Pauvre Lewis Carroll ! Le titre de son livre, Alice’s adventures in wonderland, est devenu le nom d’une opération jihadiste qui devait prendre pour cible le British Museum — en période d’affluence, nous dit-on. Dans quel monde vivons-nous.

    Ceux qui ont formé le projet funeste de faire sauter ce prestigieux musée, ont-ils eu la curiosité de le visiter ?

    Pardonnez-moi d’être hors du sujet une nouvelle fois.

    • Cher Monsieur Berkani, malheureusement, vous n’êtes pas du tout hors sujet ! Rappelez-vous ce court dialogue terriblement visionnaire :
      – Lorsque j’utilise un mot, dit Humpty Dumpty avec mépris, il signifie exactement ce que je choisis qu’il signifie, ni plus ni moins.
      – la question est de savoir si vous pouvez faire signifier aux mots autant de choses différentes, dit Alice.
      – La question est de savoir qui est le maître, et rien d’autre, dit Humpty Dumpty.

      • Formidablement actuel (mots qu’on pourrait appliquer à toutes les époques). Cela devrait également être rappelé à la mémoire de ces prétendues « élites » qui nous gouvernent (celles qui gouvernent nos institutions comme celles qui gouvernent nos esprits ou qui prétendent le faire) qui sont en train de nous créer une novlangue, sur la base d’une importation massive de vocabulaire (généralement déformée) appartenant à la « langue des maîtres » (anglo-américain).

        Merci de ce rappel.

  78. Ce fut l’occasion pour moi de rouvrir une édition complète des œuvres de Lewis Carroll. Pour les curieux qui passeraient pas ici, cet échange cité par Zino se trouve dans Through the looking glass, paru en 1872. Alice’s adventures in wonderland a été publié par le modeste professeur de mathématiques qui a pris le nom de plume de Lewis Carroll en 1865.

    Voici le texte original de ce passage :

    « “I don’t know what you mean by ‘glory,’ ” Alice said.
    Humpty Dumpty smiled contemptuously. “Of course you don’t — till I tell you. I meant ‘there’s’ a nice knock-down argument for you !’
    “But ‘glory’ doesn’t mean ‘a nice knock-down argument,’ ” Alice objected.
    “When I use a word,” Humpty Dumpty said, in rather a scornful tone, “it means just what I choose it to mean — neither more nor less.”
    “The question is,” said Alice, « whether you can make words mean so many different things.”
    “The question is,” said Humpty Dumpty, “which is to be master — that’s all.”

    Sur Lewis Carroll : rarement dans l’histoire de la littérature on aura vu une telle séparation, une telle opposition, un tel divorce, un aussi violent contraste entre la vie de l’homme qui écrit et la personnalité littéraire — le double — qui a produit l’œuvre. Du pain béni pour la psychanalyse, mais il ne semble pas qu’ils se soient beaucoup occupé de son cas.

    Quand les premières aventures d’Alice ont paru, la reine Victoria en fut si enchantée qu’elle fit part de son souhait à l’auteur que son second livre lui fût dédicacé. Elle ne pouvait certes pas prévoir que ce prochain livre serait un obscur opuscule de mathématiques qui s’appellerait An elementary treatise on determinants.

    C’est le seul homme que je connaisse qui se soit servi des mathématiques pour un usage improbable et curieux : celui de se garder des mauvaises pensées, de neutraliser les pensées impures. (Voir ses Pillow problems).

    Notre époque soupçonneuse peut-elle encore comprendre cet homme dédoublé qui, à propos d’Alice, écrivait, en guise de justification :

    « The why of this book cannot, and need not, be put in- to words. Those for whom a child’s mind is a sealed book, and who see no divinity in a child’s smile would read such words in vain; while for any one who has ever loved one true child, no words are needed. For he will have known the awe that falls on one in the presence of a spirit fresh from God’s hands, on whom no shadow of sin, and but the outermost fringe of the shadow of sorrow, has yet fallen; he will have felt the bitter contrast between the selfishness that spoils his best deeds and the life that is but an overflowing love. For I think a child’s first attitude to the world is a simple love for all living things. And he will have learned that the best work a man can do is when he works for love’s sake only, with no thought of fame or gain or earthly reward. No deed of ours, I suppose, on this side of the grave, is really unselfish. Yet if one can put forth all one’s powers in a task where nothing of reward is hoped for but a little child’s whispered thanks and the airy touch of a little child’s pure lips, one seems to come somewhere near to this. »

    • Merci à Zino pour avoir mis le doigt sur ce passage.

      Ahmed, puis-je vous demander quelle est votre édition de Lewis Carroll ? Simple curiosité.

    • Il était de bon ton, il y a peu d’années de cela encore (mais que ces années sont interminables et pesantes d’ennui !) de se moquer de la pudibonderie de l’époque victorienne… Que dira-t-on de la notre dans un siècle ou deux ? Dans mon enfance, c’était aux curés de traquer les mauvaises pensées, et je ne devais le subir que deux heures par semaine (le jeudi pour le catéchisme et le dimanche pour la messe) : aujourd’hui, c’est 24H par jour et 7 jours par semaine que les inquisiteurs psycho-enfroqués nous balancent leur moralisme et leurs vitupérations porcines…

  79. Cher Domonkos
    Je vois cet extrait de dialogue comme une mise en abyme, assez étrange, du travers qu’il dénonce : l’arbitraire polysémique du langage.
    Pour ma part je n’y voyais pas la dénonciation du langage comme outil d’un totalitarisme culturel ( même si le dialogue dit cela ) mais plutôt, en synchronie, la critique du détournement idéologique d’une parole sacrée.
    Cela dit, l’un dans l’autre, les deux procédés visent le même but…

    • j’entends bien, mais partant d’un point j’ai vite fait de prendre une autre direction, quitte à me jeter dans des chemins de traverses. Je pratique sans doute plus que de raison l’analogie (est-ce ainsi que j’ai été conduit vers la Chine ou bien est-ce d’avoir trop fréquenté la Chine qui m’y a conduit ?). Il m’a manqué de bons maîtres, armés d’une solide férule, pour me maintenir dans le droit chemin ou y ramener mon esprit par trop vagabond, voire dévergondé (dans son sens non restreint au domaine sexuel).

    • Du temps que les portes des collèges et lycées (ne parlons même pas de celles des Université, portes dimensionnelles donnant sur d’autres mondes, d’autres planètes) ne s’entrouvraient que chichement et avec force grincements devant les enfants de cités ouvrières déjà habitées par des travailleurs immigrés (pour qui n’avait ni la chance d’être distingué par son instituteur ni, sans doute, le génie, d’un Albert Camus), j’eusse adoré user mes fonds de culotte sur les bancs que les fils de bourgeois feignaient de prendre pour des bancs de nage de galère. J’ai même été, avec la complicité de certains d’entre eux, galérien clandestin et volontaire, m’introduisant dans les salles d’études pour y faire des devoirs de latin qui avaient pour moi la saveur de la nourriture volée tandis qu’ils avaient pour eux le goût du pain noir imposé. Une pionne de mon CET, sans doute étudiante en Lettres Classiques, m’empruntait à l’occasion mon Tacite en manifestant sa stupéfaction que je pusse trouver du plaisir dans ce qui pour elle était le plus aride pensum.

      Et ces braves instituteurs laïcs et républicains, descendants des mythiques « hussards noirs », n’y avaient vu que du feu ! Contents et satisfaits de leur héroïque tâche, quand un gosse de nos banlieues, fils de commerçant (soit un peu plus vers le haut du panier), réussissait le concours d’entrée en 6ème, et exprimant à haute voix devant nos mères, que, pour le reste, « c’est tout de même bien bon pour des fils d’ouvriers immigrés analphabètes ». Qu’on ne vienne pas me bassiner avec le retour aux blouses grises et aux coups de règle sur les doigts !

      De cette immense frustration est né cet amour-haine (celui de l’amoureux éconduit) de la planète Education Nationale et de ses diverses tribus.

      Je me flattais de l’illusion que j’eusse été un excellent élève (et, il est vrai que, dans les écoles marginales – telles que CET ou cours du soir – que je fréquentai pour éviter d’entrer à l’usine, mes profs m’adoraient, mais c’était qu’eux-mêmes étaient des profs de second rang, méprisés et tenus à l’écart – souvent communistes à l’époque où cela ne vous garantissait pas carrière et prébendes – qui s’extasiaient devant un phénomène de mon calibre). Mais rien ne prouve que cela se fût vérifié dans les faits. La façon dont j’ai toujours regimbé devant tous les enregimentements me ferait plutôt penser le contraire.

      Ce n’est pas faire preuve de fatalisme que de s’avouer, tardivement, que les choses devaient nécessairement se passer ainsi, les contraintes extérieures rencontrant d’autres contraintes, plus profondes et plus intérieures. Mais, basta, je continue, sur mes vieux jours, de cultiver la nostalgie de ce qui n’a pas été, c’est un luxe qui ne coûte pas bien cher.

      • Si, avec ça, je ne fais pas pleurer dans quelques chaumières boboïsées, c’est à désespérer de l’humaine fraternité !

      • J’ai même, vers la même époque, envié les héros de Jules Vallès qui « crevaient de faim » mais, au moins, avaient été « nourris de grec et de latin », trouvant leur sort plus enviable que celui des bons porcs bourgeois, luisants et gras, satisfaits et ignorants. Admiration bien légère, d’un qui n’a pas vraiment connu la faim, la vraie faim, comme lui avait un jour fait remarquer un de ses instituteurs moins cons que les autres (hélas, rencontré trop tard).

      • Pour ces raisons, trouvais quelque peu Jacques Vingtras ingrat, et ne pouvais, en dépit de mes efforts, me sentir entièrement parmi mes semblables au milieu des soixantuitards,qui, à mes yeux, crachaient dans la soupe que nous n’avions pas été conviés à goûter. Quoiqu’elle fasse, la harengère sent toujours la caque . Je rougis encore en songeant au nombre de fois où j’ai dû injurier mes parents pour me faire admettre parmi ces jeunes gens qui se rebellaient contre tout ce à quoi j’aspirais.

          • Je n’ai effectivement trouvé sur internet que cette version, qui est un truisme et dont je ne comprends pas l’utilité. Quant à celle que j’ai utilisée, je l’ai moult fois entendue dans mon enfance et ne crois pas l’avoir inventée (?…). Elle me semble bien plus significative, en ce sens où la « harengère » quand bien même changerait-elle d’état, sentirait toujours l’odeur de ses (humbles ou indignes) origines…

  80. Dans le cas de Camus — puisque vous l’évoquez —, il s’en est fallu d’un cheveu quand même. Et ce fut le début d’une grande et belle amitié, je parle de celle qui le liera pour toujours à ce valeureux instituteur, qu’on devine épris de justice et clairvoyant.

    C’est un point qui m’a toujours ému presque jusqu’aux larmes dans la biographie de l’écrivain algérien (je crois que c’est ainsi qu’il aurait aimé qu’on dise : lui à qui il fut épargné d’assister à la fin de l’Algérie française et à toutes les catastrophes qui l’ont suivie, dont la plus grave — qui eût été la plus douloureuse pour lui peut-être — serait d’avoir continuellement sous les yeux cette chose assez hideuse que l’Algérie, à laquelle l’attachaient bien des liens organiques, est devenue.)

    J’ajoute que je comprends d’autant mieux certaine partie lyrique de son œuvre que le hasard nous a fait naître, lui et moi, sous le même ciel. (Et malgré tout ce qu’en peut dire un Kateb Yacine — que j’aime et estime tout autant d’ailleurs.)

    • J’ai tant aimé Camus dans ma jeunesse (je ne dis pas que je ne l’aime plus), et plus tard Kateb Yacine, Mouloud Feraoun, Mohammed Dib (surtout lui), Malek Haddad, etc. – sans compter les Amrouche ou les Isefra de Si Mohand ou Mhand, et sans oublier non plus les musiciens – que j’ai été à deux doigts de croire que moi aussi j’étais né sous ce même ciel. Au point que, lorsqu’il s’est agi de donner un pays natal au héros de mon premier roman, j’ai choisi celui-là (et comme je n’ai jamais su créer un personnage qui ne fut, peu ou prou, une part de moi-même, j’ai, en quelque sorte, réalisé mon fantasme). Mais j’ai aimé tant de pays au point de décréter qu’ils étaient miens !

      Pour le reste, je partage hélas votre description de l’Algérie actuelle. Il y a un moment que j’en suis venu à penser que, si à l’issue de la guerre d’indépendance il n’y avait que des vainqueurs bruyamment auto-proclamés, dès le lendemain il n’y eut plus que des perdants.

      • Les noms que je cite ici sont puisés au hasard dans ma mémoire pour leur seule valeur sentimentale, sans aucun jugement quant à leur valeur littéraire respective (pour cela il faudrait que je les relises, mais il faudrait que je relise tout).

      • Je ne sais si c’est une coïncidence, mais tous les auteurs que vous citez à part Mohammed Dib (Camus, Kateb Yacine, Mouloud Feraoun, Malek Haddad, les Amrouche, Si Mouhand ou Mhand) sont longuement évoqués par Assia Djebar dans la procession d’écrivains à la fin du Blanc de l’Algérie.

        D’ailleurs, peut-on rêver de l’entrée d’Assia Djebar dans la Pléïade ? (j’espère que ça se fera de mon vivant).

  81. Cher Berkani
    Vous avez raison de relativiser la défiance de Kateb Yacine à propos de Camus. Selon lui, dans les œuvres de fiction de Camus, l’Algérien ( disons l’autochtone…) n’existe pas. C’est une ombre, un prétexte à fiction. Soit…
    Mais c’est oublier tous les textes du journaliste Camus, où l’on peut lire mille fois par exemple son amour des peuples berbères, son admiration face au mode de fonctionnement mutualiste de certains villages de Kabylie ( dont mes parents sont originaires) en bref, son souci pour les opprimés. À moins de considérer que les kabyles n’étaient pas algériens…
    Je crois que Yacine n’a jamais accepté que Camus fut toujours considéré comme le premier écrivain algérien francophone, et que lui, Kateb Yacine, ne le fût pas.
    D’ailleurs il faut rendre grâce à Gallimard de proposer les œuvres complètes de Camus ( et pas seulement les oeuvres de fiction…) en Pléiade. Cela permet d’y voir un peu plus clair, dans ce débat que je trouve au mieux, biaisé.

    • Vous avez raison de parler de l’activité journalistique de Camus. Je crois que c’est la partie la moins connue de son œuvre. Et ici les volumes de la Pléiade sont absolument irremplaçables.

  82. Cher Domonkos, vous avez le complexe de l’autodidacte, pardonnez-moi de vous le dire et n’y voyez la moindre offense. Croyez-moi sur parole : vos supputations sur l’université que vous semblez regretter de n’avoir pas connue, sont le fruit de votre imagination. Je n’ai jamais rien vu à l’université qui m’ait fait dire : voilà bien une chose dont je n’aurais pas pu me passer. Ou pire : que serais-je devenu si je n’avais pas été à l’université. Et je n’ai jamais rencontré d’étudiant qui paraissait absolument enchanté de se trouver là. La préoccupation essentielle des étudiants est toujours la même : qu’est-ce que cet imbécile va nous mettre à l’examen et quand allons-nous en finir.

    Rien de mieux que d’apprendre par soi-même. Et tenez-vous bien : les meilleurs étudiants à l’université sont justement ceux qui, n’assistant presque à aucun cours, ont fait le choix d’apprendre par eux-mêmes, guidés par leur curiosité, et armés du seul bon sens.

    (René Thom a fait ses gammes à la bibliothèque municipale de sa ville où, enfant, ses parents étaient contraints de le laisser toute la journée : un jour, la curiosité l’a poussé vers un rayon où se trouvaient des livres de mathématiques. Sa première réaction fut celle-ci à peu près : mais qu’est-ce que c’est que ça ? C’était le début d’une aventure. Je crois qu’après un an ou deux de ce régime, il savait tout le programme qui permettait de présenter le concours de polytechnique.)

    Je ne dis pas qu’il n’y a pas de temps à autre un cours, un professeur qui vous ouvre tout d’un coup des horizons. Cela arrive, mais ce n’est pas la règle.

    • Je suis bien d’accord avec vous. Il n’empêche. Il est plus facile de critiquer la saveur d’un plat qu’on a goûté. Malgré la fameuse phrase de Poil de Carotte que j’adore répéter, on convaincra difficilement l’orphelin qu’il est préférable de n’avoir point de parents plutôt que d’en avoir de mauvais.

      • Je dois tout de même apporter un correctif à mes propos sur les instit’s : j’en ai connu un qui m’a deviné en quelques jours, mais hélas il était trop tard, le couperet était tombé et ma tête, séparée de mon corps, avait déjà roulé dans la sciure.
        Par ailleurs, mon oncle maternel et ma tante étaient un couple d’instituteurs vivant leur métier comme un sacerdoce (il est vrai qu’ils étaient catholiques jusqu’au martyr), mais ils vivaient très loin de chez nous et je ne les voyais qu’une fois par an : et encore, j’avais ordre, comme il était de mode à cette époque, de rester assis immobile sur ma chaise et de me taire, en écoutant des conversations qui ne me concernaient en rien. (J’appris de leur bouche, cinquante ans plus tard, qu’ils avaient des disputes féroces avec ma mère, au sujet de ce qui ne s’appelait pas encore mon « orientation scolaire », mais cela se passait à huis clos : personne n’aurait jamais eu l’idée de convoquer à son procès le petit justiciable et son destin était pesé par les adultes sans qu’il n’en sût rien.)

  83. La différence entre les deux populations, celle à laquelle appartenaient vos parents et celle qui est venue par la suite la remplacer est bien là. Vous en êtes comme le symbole et l’illustration.
    Au refus de la culture française on a associé un rapprochement dangereux avec les couches les plus défavorisées de cette abominable société étasunienne, et ce par le moyen de tout ce que celle-ci peut produire de sous-culture promue par les puissances d’argent. Et pour ce qui est de l’identité de substitution, on est allé la chercher dans la pratique religieuse la plus revendicative et la plus sectaire.
    Il y a beaucoup à dire là-dessus, mais qu’au moins cette remarque soit faite, à la lumière de ce que vous avez si bien décrit.
    Ai-je besoin de dire qu’il me coûte d’écrire ces lignes, qui apportent de l’eau à certains épouvantables moulins, etc.

    • Il arrive, plus souvent qu’on ne voudrait, que le médecin qui veut guérir le malade, se trouve d’accord sur le nom de la maladie, parfois même sur ses causes, avec celui qui souhaite la mort du malade.
      Si, pour ne pas risquer d’être confondu avec ce dernier, le médecin changeait son diagnostic, il se rendrait complice de son ennemi et ennemi de celui à qui il veut du bien.
      On sait à quelles aberrations ce genre d’attitude a conduit une foule de gens de gauche et de bien-pensants de tous bords.

      Seuls ceux de mauvaise foi et les imbéciles trouveront que vous apportez de l’eau à certains épouvantables moulins.

  84. On s’éloigne un peu de la littérature…comme on s’était déjà éloigné depuis longtemps de la Pléiade ?
    Il y a des blogs autrement spécialisés pour satisfaire à la tournure que prennent les derniers échanges.

      • Et pis, ça fait cent fois, ma pauv’ fille que je vous dis que les torchons c’est le tiroir d’en haut à gauchen, celui d’en bas à droite, c’est pour les serviettes !

      • C’est mon commentaire qu’on doit taxer d’intolérant, ou celui qui ne tolère pas qu’on s’étonne ?
        Je voulais simplement préciser que ce que j’apprécie chez vous et que j’aime trouver sur ce blog, c’est simplement votre culture littéraire et votre capacité à la partager.

        • Et pis bon, aujourd’hui c’est ma fête, alors je fais c’qui me plaît, c’qui me plaît…

          Restons bons amis. C’est ici un des rares lieux civilisés que je connaisse.

          • Oui, je sais, ce n’est pas la Saint Domonkos, mais en Hongrie c’est ainsi qu’on nomme les Dominique dont on célèbre (?) aujourd’hui le saint patron… (Aïe, aïe, aïe, on va encore me rétorquer l’Inquisiteur et tout ça.

            Sinon, ben, il fait très chaud, la Pléiade est un peu en vacances, et, en attendant son retour, on divague un peu…

          • Il est beaucoup question de saint Dominique dans les Lettres à un gentilhomme russe sur l’Inquisition espagnole. Mais de Maistre est loin de lui prêter ce premier rôle, qui est celui que lui fait jouer surtout Michelet.

            Pour de Maistre en effet, et ici il cite une vie de saint Dominique, « les premiers inquisiteurs, et saint Dominique surtout, n’opposèrent jamais à l’hérésie d’autres armes que la prière, la patience et l’instruction ».

            Mais « le Judaïsme avait jeté de si profondes racines en Espagne, qu’il menaçait de suffoquer entièrement la plante nationale… », et le Mahométisme augmentant prodigieusement le danger, et compte tenu de l’axiome politique qui veut qu’aux grands maux politiques, ceux surtout qui menacent le corps de l’état, on réponde par des moyens pareillement violents, il s’en suit que, etc.

            Bonne fête !

          • Plutôt une demi-faute, une incorrection selon Littré, mais qui se rencontre chez un grand nombre d’auteurs.

  85. Pour en revenir à la Pléiade, donc, est-ce que vous savez s’il y a un projet sur les récits mésopotamiens ? C’est quand même les plus vieux récits écrits de l’humanité, et ils sont d’une modernité, ou plutôt d’une intemporalité étonnante.
    Je suis sidéré que l’Épopée de Gilgamesh ou La descente aux enfers d’Ishtar ne figurent dans aucun volume de la Pléiade. Pour moi c’est le plus gros « trou » de la collection.

    • Contrairement à un préjugé tenace, si un volume d’écrits mythologiques en langues sumérienne et akkadienne trottale gros volume de la Bibliothèque des Histoires « Lorsque les dieux faisaient l’homme. Mythologie mésopotamienne »

  86. Pardon pour mon commentaire, issu d’une mauvaise manipulation.

    Contrairement à un préjugé tenace, si un volume d’écrits mythologiques en langues sumérienne et akkadienne trotta dans la tête des pilotes de la Pléiade autour des années 80 et 90, le gros volume sorti en 1989 dans la Bibliothèque des Histoires et constamment réimprimé depuis lors « Lorsque les dieux faisaient l’homme. Mythologie mésopotamienne » aux soins de Jean Bottéro pour l’akkadien et la traduction de la partie sumérologique accomplie par l’Américain S. N. Kramer, a été conçu de manière indépendante. Je ne sais, en revanche, si la traduction du Gilgamesh donnée par le même Bottéro dans cette collection visait initialement la Pléiade, mais cela ne me semble guère plausible a priori, vu la légèreté de son appareil exégétique rapporté à la tonalité érudite qui était alors celle de la Pléiade, et – osons-le mot – le caractère délibérément simpliste plutôt que simplement vulgarisateur du Gilgamesh de Bottéro (ce dernier a voulu prendre le contre-pied de la traduction Tournay-Shaeffer au Cerf, collection Littératures anciennes du Proche-Orient, riche mais réfrigérante pour le profane).

    • J’avais toujours pensé que le Bottéro & Kramer était destiné à la Pléiade et que ça ne s’était pas fait pour des raisons obscures.

      D’ailleurs, j’aimerais bien en savoir plus sur son caractère simpliste que je n’ai pas perçu. N’étant pas du tout un spécialiste, je suis preneur de tout avis pouvant m’éclairer.

      • Si Bottéro et Kramer furent deux éminents assyriologues, maîtres du sumérien comme de l’akkadien (car il y a impossibilité technique à étudier l’un sans l’autre, pour des raisons que je ne puis esquisser ici sans me lancer dans tout un discours aride), leurs compétences étaient bien distinctes. Fin grammairien mais plus intéressé par les problématiques historiques et religieuses que par l’épigraphie (on ne lui doit quasiment aucune publication marquante de textes nouveaux, alors que celles-ci constituent le pain quotidien des assyriologues, ni contribution à la fois significative et majeure à la lexicographie), Bottéro se spécialisa dans les deux « dialectes » de l’akkadien que sont le babylonien et l’assyrien; Kramer, lui, était avant tout sumérologue, auteur à la fois de larges synthèses et grand éditeur princeps de textes, et domina sa discipline durant la période allant des années 40 à la fin des années 90, quand même les sumérologues lui préférèrent souvent, avec raison, tant pour la qualité textuelle ou le jugement grammatical et philologique, que pour la pénétration des interprétations religieuses, le travail du Danois émigré aux Etats-Unis Thorkild Jacobsen (deux indices suffiront pour étayer cette synkrisis : alors qu’une édition de textes sumériens est habituellement vieillie en quinze à vingt ans, et périmée au delà d’une génération, du fait du progrès continu de la grammatologie et de la lexicographie ainsi que par suite des accrétions documentaires, l’édition commentée par Jacobsen de la liste royale sumérienne, sortie en 1939, constitue encore une référence majeure ainsi qu’une autorité que l’on ne questionne qu’avec force circonscription; les livres, trop souvent spéculatifs ou vulgarisateurs, de Kramer ne sont plus guère lus par les professionnels, lesquels se méfient également beaucoup de ses traductions, tandis que le traité de religion sumérienne de Jacobsen « The Treasures of Darkness », son recueil d’articles « Towards the Image of Tammuz and Other Essays », et son volume de traductions « The Harps that Once » peuvent se targuer d’une belle longévité, malgré leur inévitable vieillissement). Ensemble, Bottéro et Kramer représentaient une équipe aux compétences formidables, capable de traiter avec maestria de toute la littérature mythologique pendant les trois millénaires et demi que dura la civilisation mésopotamienne. Il est dommage que Bottéro, en se changeant de passer en français le manuscrit anglais de son ami (grosso modo, toute la partie sumérologique), se soit permis une unification stylistique douteuse avec la moitié du volume à lui dévolue; le sumérien s’y trouve translaté dans un style sonore, voire grandiloquent, et avec une liberté d’allures frisant régulièrement la paraphrase, voire la glose explicative, toutes déviations qui faussent assez gravement la sécheresse, la tonalité, les moyens d’expression de l’original. La faute en revient à la détestation bien connue de Bottéro pour les versions plutôt littérales dont les assyriologues se contentent volontiers (trop « savantasses » et « désespérantes » à son idée). Il suffit d’ouvrir n’importe quel volume de la collection LAPO du Cerf, notamment les splendides « Hymnes et prières et prières aux dieux de Babylonie et d’Assyriee » de M.-J. Seux, pour comprendre ce que des assyriologues tout aussi distingués préféraient faire. Il est évident aussi que Bottéro s’est octroyé le même genre de libertés que lorsqu’il révisa et publia sous leurs deux noms en tant que « Le mariage sacré à Sumer et à Babylone » (1983) le livre populaire de Kramer « The Sacred Marriage Rite. Aspects of Faith, Myth, and Ritual in Ancient Sumer » (1969). Sur un plan plus strictement technique, ce n’est pas trop exagérer que d’affirmer que les versions françaises des poèmes sumériens Le rêve de Dumuzi ou de compositions akkadiennes aussi capitales que l’Epopée babylonienne de la Création (Enûma elish), l’Epopée du déluge (Atra-hâsis, dont Bottéro fait maladroitement, par exceptionnel scrupule de littéralité, « le Supersage »), ou le poème de Er(r)a / Ir(r)a, présentes dans « Lorsque les dieux faisaient l’homme », ne représentent de progrès sur celles déjà existantes en français que parce que Bottéro / Kramer ont pu utiliser une nouvelle édition critique et commentée de chacun de ces textes; par rapport aux traductions étrangères de ces éditeurs (notamment celles de Luigi Cagni pour Erra, de Bendt Alster pour le Rêve, ou de Wilfred Lambert / Alan Millard pour Atra-hâsis), le gros tome de Gallimard constitue un cas d’école de pillage en règle.

        • La composition au fil du clavier m’a fait ranger l’Atra-hâsis parmi les poèmes akkadiens, alors qu’il s’agit bien entendu d’un chef d’oeuvre sumérien. Mea maxima culpa.

        • Merci pour ces explications très éclairantes. Je crois que les livres de Thorkild Jacobsen ne sont malheureusement pas traduits en français. Du coup quel livre me conseillez-vous ? A vrai dire, les aspects grammaticaux ne m’intéressent pas trop. Cependant, je suis très attaché à la fidélité aux mythes. S’il y a une édition qui comprend les principaux recits et qui soit fidèle, je suis preneur.

  87. Quant à parler d’une lacune dans la collection… La Pléiade n’en est plus à un manque criant près, hélas, puisque toute la sapience et la mythologie égyptiennes ou japonaises n’y sont pas davantage représentées, malgré leur valeur rien moins qu’éminente. On doit malheureusement en prendre son parti. Ce qui, pour ma part, me révolte, outre la surreprésentation d’auteurs récents médiocr(issim)es tels Simenon, Colette, London, etc, dont le caractère vendeur hic et nunc est tout relatif à la différence de l’inénarrable Jean d’O, et la multiplication des éditions faibles, voire scientifiquement nulles et non avenues, sous prétexte soit qu’elles concernent des auteurs réputés faciles (Verne, Aymé) soit qu’elles relèvent du désastreux tropisme fémino-postpostmoderne au sein de l’érudition littéraire (Staël, les romans de Bernanos), tient dans le manque absolu d’empressement de Gallimard à achever ses entreprises éditoriales en cours. Eh quoi ! Nietzsche en panne depuis dix-sept ans, le tome III de Diderot attendu depuis 2010 et la sortie du volume d’écrits philosophiques, les tomes III de Vigny et des Oeuvres diverses de Balzac toujours dans les limbes – par un étrange hasard, cela ne concerne que des éditions scientifiquement de (très) haut vol. Et lorsque l’un de ces works-in-progress aboutit enfin à publication, il déçoit presque immanquablement: Luther II, Stevenson IV parlent par eux-mêmes.

  88. J’imagine cher Néo-Birt que vous vouliez parler du tome III de Stevenson ! Votre enthousiasme vous transporte ! Pauvre Colette qui décidément n’a pas la côte ici. La visite de sa maison enfin ouverte au public a été un plaisir et certains de ses livres un bon moment de (re)lecture. Je ne la trouve pas si faible auteure que cela. Mais les goûts et les couleurs n’est-ce pas ? Passons. Je viens de terminer le second volume des Mémoires de Simone et le premier bilan (pour moi) des Pléiades 2018 est finalement assez positif. Plaisir de relire Les Misérables, de découvrir des textes inconnus de Stevenson et de Kierkegaard (pour cet auteur je n’ai fait que piocher dans les 2 volumes au hasard sans lire les notes, honte sur moi, mais j’ai trouvé cela intéressant et agréable à lire en français). Bien sûr c’est Simone qui a été la plus riche la plus intéressante la plus nouvelle la plus sérieusement lue. (Au lieu de nous distiller au compte goutte son journal inédit peut-être que Gallimard nous fera un jour l’aumône d’une édition complète….) Même avec les désormais inévitables coquilles c’était enrichissant ces 2 volumes. Finalement, c’est pas trop mal. Pour l’automne, là, je dois avouer un pressentiment de déception car si j’attends les Lais avec impatience et si j’aurais plaisir à relire Kafka, je trouve ce minuscule programme bien faible. Seulement 4 volumes publiés dont 2 « nouvelles éditions nouvelles traductions  » et Jean d’O. C’est bien léger… c’est la première fois que La Pléiade fait si peu. Dommage. Mais 2019 sera peut-être une année exceptionnelle !!!!

    • Puissiez-vous parler en prophète, Tigrane ! Le tome III de Diderot ferait mon bonheur, pour ne rien dire de Nietzsche II (est-il même encore au programme ?)…

      Je ne méprise pas totalement Colette, dont je possède l’édition du Club de l’honnête homme (1973, 16 vol.); mais force est d’admettre qu’y voir autre chose, sur le fond comme dans la forme, que du sable sans chaux (Caligula, critiquant le style sénéquien), requiert une indulgence peu commune. De Simenon, en revanche, je me trouve dans l’incapacité de dire quelque bien que ce soit; sa présence en Pléiade reflète l’abaissement des standards de la collection.

      J’ai relu ce mois-ci le Port-Royal de Sainte-Beuve, et n’ai pas trouvé cette oeuvre fleuve aussi profonde ni aussi bien écrite qu’on le prétend presque universellement. Balzac ne clamait pas sans raison que le grand critique ressemblait à une chauve-souris. Dès la première page du livre I, le ton fat et obséquieux est donné: « on se mettra du cloître, on se fera de la famille Arnault », et la superficialité de la pensée éclate: « il viendra un moment où nous posséderons assez notre plan d’église et de cloître, et tout le domaine de notre abbaye, pour pouvoir ne négliger sur nos terres aucun des embranchements, alors aussi plus nombreux, vers le siècle, pour avoir même l’air de nous y oublier » (Pléiade, I, pp. 113, 113-114). Et que dire des minauderies rhétoriciennes, dont chaque page offre une ample moisson ? J’en veux citer une seulement, car elle est caractéristique: « j’ai insisté sur la scène de fanatisme et de destruction, parce que Port-Royal, à sa manière, périra un jour presque ainsi, et que, juste cinq cents ans plus tard, nous aurons affaire aux mêmes passions forcenées et triomphantes. Cette clémence chrétienne de la fondation semble de loin crier grâce pour les saintes filles persécutées » (I, p. 120).

  89. NeoBirt7,
    je me souvenais d’un récent dialogue évoquant la publication de Nietzsche II pour l’année prochaine… Remontant le fil, j’ai retrouvé cet échange, dont je vous donne l’essentiel ci-dessous.
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    Séraphin Calobarsy | 12 juin 2018 à 21 h 05 mn
    De la source la plus sûre qui soit, sont annoncés pour 2019 de manière certaine : Nietzsche II, Michelet I & II en nouvelle édition, Gary pour la Quinzaine (donc Album), et Georges Duby et les Récits vampiriques au second semestre.

    Réponse
    pléiadophile | 13 juin 2018 à 9 h 19 mn
    Cher Séraphin, d’où tenez-vous votre info pour Nietzsche II ? Quelle est la source la plus sûre ? Pradier ?

    Réponse
    Séraphin Calobarsy | 13 juin 2018 à 20 h 05 mn
    Ce ne sont pas les seules pour 2019 bien entendu, mais ce sont celles confirmées de manière certaine par la source que vous avez devinée cher @pléiadophile. J’attends impatiemment la fin de Flaubert pour ma part, mais elle n’arrivera qu’avec le bicentenaire, encore deux ans …
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    J’ignore totalement si, en l’espèce, Séraphin Calobarsy est un bon augure. Je le souhaite ardemment !

  90. Comme a dit NeoBirt7, « Je ne méprise pas totalement Colette, (…) mais force est d’admettre qu’y voir autre chose, sur le fond (…) » …qu’un simple fonds de commerce (vendant ce qu’on nommait autrefois – expression heureusement passée de mode – des articles pour Dames)… « requiert une indulgence peu commune ». Quant à la forme, un ton tellement fabriqué qu’il finit par paraître « naturel » (ne doit-il pas en être ainsi des gestes mille et mille fois répétés ?). Elle bénéficia des leçons d’un excellent instituteur et, contrairement à ce qu’on dit, et qu’elle fit dire, l’élève ne s’éleva pas beaucoup au-dessus du (petit) maître.

    « Du sable sans chaux », l’expression est on ne peut plus heureuse : c’est doux, agréable au toucher, encore plus si le soleil l’a chauffé, cela coule entre les doigts, et il n’en reste aucune trace, qu’un vague souvenir. Sans doute, y retournant, y trouverais-je encore quelque plaisir, trop mêlé d’irritation cependant, car le sable a aussi cette propriété. Le pire étant, qu’à la fin, on se met à le détester, tant il est difficile de s’en débarrasser !

    A côté, Simone de Beauvoir, que j’ai (sans doute trop) sévèrement critiquée, c’est du béton !

    Ah, comme je suis marri à l’idée que je vais déplaire, à mon corps défendant, croyez-le bien !

  91. Ah qu’elle heureuse conclusion à vos messages cher Domonkos ! Va pour Marguerite et tant pis pour Colette alors. Tout de même Chéri et Sido sont des livres qui comptent. Indulgence coupable direz-vous tous deux. Soit. Tant pis ou tant mieux ? Pour Simenon j’ai fait une expérience audacieuse : lire les 2 volumes des romans en fermant les yeux tellement j’étais certain de menn voire même de m’énerver. Et j’ai eu de très très heureuses surprises. Le Chat est un formidable roman, un presque huis clos terrifiant. Très fort aussi L’affaire Saint Fiacre avec la double chute inattendue et si violente (le seul roman je crois ou le commissaire pique une telle colère!). J’ai été impressionné par le Bourgmestre de Furnes, La neige était sale et le Président. Un certain plaisir surprise à le lire. (Seul Pedigree m’est tombé des mains…) Mais là où je suis bien d’accord avec Néo-Birt, c’est que le Pléiadiser avant Mishima, Mann etc c’est énervant. L’édition Omnibus est suffisante ! Côté prophète suis plutôt pro-fête…. Merci de nous rappeler le pré-programme 2019. J’avais oublié Duby et les Vampires. Pour Gary j’ai toujours un doute sur cette édition de morceaux choisis, seulement en deux volumes obligent, mais c’est déjà bien. Flaubert attendra donc son anniversaire hélas…. et Apollinaire ?!…

    • Tout de même, je ne conteste pas le titre de véritable écrivaine à Colette, elle a fait son métier sérieusement et non sans talent (même si ce talent me semble aller trop vers la « légèreté » et je ne jette la pierre à quiconque qui apprécie sa prose.
      Rien à voir avec cette cohorte d’écriveurs et d’écriveuses qui encombrent les médias et squattent les petits écrans.

    • Pour Simenon, j’ose avouer, sous l’oeil sourcilleux de NeoBirt7, une coupable faiblesse… Je sais bien que c’est de l’écriture au kilomètre, une philosophie au ras des pâquerettes, mais… ça marche et, même si on voit tous les rouages de la mécanique, il n’en reste pas moins que demeure une petite part énigmatique dans le fonctionnement de cette machine. Par contre, oui, bien d’accord avec vous deux : qu’est-ce que cela vient faire dans la Pléiade ? Et puis même si on admettait que sa présence était légitime, ne perd-elle pas toute signification, réduite à ces échantillons ? Cela n’a aucun sens.

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