La Pucelle d’Orléans, Friedrich Schiller, L’Arche, 2011 (trad. Brice Germain) (Première éd. originale 1801)
Évoquant La Pucelle d’Orléans dans son Journal (1942-1949), André Gide n’eut pas de mots assez durs pour fustiger cette invraisemblable « Jeanne-Walkyrie », « pénible », « inadmissible », « ridicule », « insignifiante », personnage principal d’une pièce où tout ne serait motivé par « un enfantin besoin d’effet scénique ». Et il est vrai, sans même adopter la dureté gidienne à son égard, que le personnage de Jeanne, chez Schiller, surprend quelque peu par son monolithisme martial, ses coups d’épée, son illumination guerrière, mais bien plus encore par ses inattendus dilemmes amoureux et par son ascension finale. Si le théâtre d’histoire, par souci de cohérence dramatique, permet bien à un auteur de s’écarter du strict déroulement des évènements, Schiller prend néanmoins de considérables libertés, qui ébahissent le lecteur et le spectateur actuels. Jeanne prédisant la découverte de l’Amérique à l’ancêtre de Charles Quint, Jeanne appelant Agnès Sorel « ma reine », Jeanne amoureuse d’un Anglais, Jeanne tuée sur le champ de bataille, Jeanne sans ses juges, Jeanne sans son bûcher, voilà beaucoup, tout de même, à admettre pour quiconque connaît un peu l’histoire de la Pucelle. Même si elle a sa cohérence interne, cette étrange altération historique convainc d’autant moins le spectateur moderne qu’il ne peut plus admettre Jeanne, désormais mythifiée en victime des juges et des bourreaux, mourant d’une flèche anglaise reçue en libérant son roi… La Pucelle d’Orléans montre, à cet égard, deux pièces distinctes. Jusqu’à la mort (anachronique) de Talbot face aux armées du Dauphin et de Jeanne, au troisième acte, Schiller ne s’éloigne guère du tissu historique. Ses péchés sont alors bien véniels : il supprime d’Alençon, vieillit Agnès Sorel (la future maîtresse de Charles VII est alors historiquement âgée de sept ans…), modifie les prénoms des familiers de Jeanne (dont son « soupirant » lorrain historique, ici appelé Raymond), montre le retournement d’alliance du duc de Bourgogne, etc. Contrairement à Shakespeare, les Anglais l’intéressent peu – on n’aperçoit pas même Bedford. Rien de tout cela ne change radicalement l’histoire de Jeanne, ni n’altère son sens mythologico-philosophique. On admet même sans peine son décorum et ses paysages. L’ambiance de la pièce, avec ses tempêtes, ses forêts, ses crépuscules, ses coups de tonnerre, prend une teinte vaguement magique, médiévale comme pouvait l’imaginer le XIXe siècle romantique, avec son allure de tableau de Caspar David Friedrich. On a dit et répété que Schiller, transposant le classicisme en Allemagne, ne figurait pas dans la grande école du Romantisme allemand ; par cette pièce tardive, pourtant, il s’en approche. Dans cette fantaisie héroïco-médiévale, avec ses cliquetis d’armures, ses grands serments, ses miracles et ses apparitions surnaturelles, on trouve en germe ce que le romantisme exaltera, en France comme en Allemagne – mais gauchi par un certain rationalisme, une tenue classique qui semble empêcher le véritable déchaînement magique que le sujet pouvait laisser espérer.
Jusqu’à la mort de Talbot, donc, le lecteur ou le spectateur n’est pas surpris. Schiller figure d’abord Domrémy et l’Arbre aux Fées – sous lequel Jeanne a été accusée par ses juges rouennais de se livrer au commerce démoniaque – dans un Prologue plutôt convaincant, durant lequel la jeune illuminée fait montre de la détermination qui lui permettra de se faire présenter au Dauphin à des centaines de kilomètres de là. Elle est déjà elle-même, investie d’une puissance qui la distingue du commun. Alors que son père essaie de la raisonner en lui montrant que les affaires dynastiques ne concernent pas une paysanne, Jeanne répond, grandiloquente : « Avec sa faucille, la Pucelle viendra / Faucher les récoltes de son orgueil [l’orgueil de l’Anglais] / Arracher du ciel sa gloire / Qu’il a accrochée là-haut, aux étoiles ». Le père de Jeanne voit là la manifestation d’une démesure inhumaine et l’œuvre du Malin ; il ne croira jamais au rôle historique de Jeanne et reviendra – passablement injuste – au 4e Acte la condamner en public et contribuer à son bannissement. Les discours de Jeanne, qu’ils soient destinés à ses familiers ou aux Grands du royaume, montrent une grande éloquence, mêlant, dans un système prophétique, les évènements du jour (l’occupation de la France), les retournements du lendemain (la mort de Talbot, la défaite anglaise) et les espérances du surlendemain (le couronnement, la victoire, la Croisade, Jérusalem). Les études historiques tendent à accréditer ce déroulement de prédictions médiévales, aboutissant toujours à la libération de l’humanité à Jérusalem. À la fois visionnaire et inspirée, Jeanne s’arme pour rejoindre le Dauphin. Seule en chemin, elle précise la nature du message qui lui a été adressé par la Vierge et qui constituera la trame des trois premiers actes : Chinon, Orléans, Reims. Après cette ouverture où la jeune fille, suffisamment forte pour dompter un loup (p.16), a pris les armes qu’une bohémienne avait données à un des paysans du village, Schiller suit un temps la ligne bien connue des évènements de 1429. Le Premier Acte, c’est Chinon, la Cour désespérée (où seuls Dunois et Sorel semblent encore y croire), l’arrivée inattendue de la Pucelle qui ravive l’espérance, la scène de la reconnaissance immédiate du Dauphin par Jeanne, le serment, l’étendard, l’épée. Le deuxième Acte, c’est Orléans, la fuite des Anglais, la route de Reims qui s’ouvre aux armes françaises. Au troisième Acte, Jeanne rallie le duc de Bourgogne, énonce quelques prophéties auprès des Princes, puis c’est la chevauchée vers Reims, les batailles, le beau monologue de Talbot agonisant, véritable poème dans la pièce : « Je rendrai à la terre / et au soleil éternel, les atomes qui sont / réunis en moi pour la douleur et le plaisir / et du puissant Talbot, qui, de sa gloire martiale / Emplissait le monde, il ne restera plus rien / Qu’une poignée de légère poussière. C’est ainsi / que l’homme finit… et la seule richesse / Que nous emportions du combat de la vie / Est la révélation évidente du néant / Et le mépris profond de tout / Ce qui nous parut respectable et désirable » . La pièce bascule ici.
Jeanne, sur le champ de bataille, peu après, se trouve isolée des troupes françaises et opposée à un intrigant Chevalier Noir, dont il s’avère bientôt qu’il est une présence surréelle, une voix d’ombre, un personnage infernal, venu avertir Jeanne de ne pas dépasser les bornes que le Destin lui a prescrites. Voix intérieure ? Émanation des ténèbres ? Messager de raison ? Nul ne le sait – et le metteur en scène aura toute liberté pour figurer la scène de la manière qui lui paraîtra la plus judicieuse. Le message dont Jeanne se savait investie est définitivement troublé. Sa foi en elle-même est atteinte : elle qui a toujours écouté les messages divins – émis par une apparition en qui elle avait confiance, la Vierge de lumière – doute désormais. Que penser de ce personnage, sombre comme l’enfer, sarcastique et visionnaire, qui lui prédit sa chute ? Doit-elle s’arrêter à Reims ? Continuer ? Jeanne, en doutant, devient vulnérable. La seconde partie de la pièce s’ouvre : elle s’éloigne considérablement de l’Histoire. Qu’on en juge ! Peu après avoir combattu le Chevalier Noir, Jeanne se bat contre un bel Anglais, invention de Schiller, Lionel, qu’elle épargne non par miséricorde mais par désir amoureux. Jeanne amoureuse ! Et d’un Anglais qui plus est ! Jeanne sujette aux tourments du cœur, comme une vulgaire grisette ! Pour Jeanne, troublée par les prédictions de l’infernal Chevalier Noir, ce coup de foudre est le signe de sa chute. Jusqu’à sa captivité, elle ne sera plus elle-même, coupable, à ses yeux, d’avoir trahi son serment, d’avoir songé un instant à abandonner sa virginité, coupable au fond, non d’avoir cédé à la tentation, mais d’y avoir été exposée. Cela montre l’étendue de son orgueil : le Christ lui-même fut tenté ! Ce coin bien léger dans le système de la Pucelle entraîne son effondrement dans le 4e Acte. Schiller y malmène désormais allègrement l’histoire ; c’est qu’il faut montrer sa Pucelle se tourmentant d’avoir éprouvé un sentiment humain, se dénigrant publiquement d’avoir abandonné l’armure de la Walkyrie pour les sentiments de la Demoiselle. Jeanne a « profané, blasphémé le Saint-Nom » (IV, 3). En conséquence de quoi, Jeanne est punie, autant par elle-même que par les autres. La Hire et Dunois se battent presque pour obtenir sa main, qu’elle refuse. Pis, son père l’accuse publiquement, sur le parvis de la cathédrale de Reims, à la sortie de la messe de couronnement, d’être une créature des Enfers, mue par le Malin ! Et elle ne se défend pas, consciente qu’elle a trahi, manqué à son serment, fauté en s’abaissant à ressentir une fugace attirance pour un beau visage de jouvenceau. À l’incrimination publique de son père s’ajoute le tonnerre, les orages, bref, la colère divine, qui sanctionne, aux yeux naïfs de la foule, la chute de Jeanne mortifiée. Deux coups de tonnerre, la pluie commence à tomber, le parvis se vide, même Dunois fuit et ne reste plus que Jeanne, seule, abandonnée de tous, bientôt en exil. Le versatile Charles VII qui parlait d’en faire « l’égal de Saint-Denis, le protecteur de ce pays » et d’élever un « autel en son honneur » (IV, 10), la bannit deux scènes plus tard.
L’Acte V montre Jeanne réfugiée chez de simples charbonniers, arrêtée par les Anglais, enchaînée sur ordre d’Isabeau de Bavière (la veuve de Charles VI), plus sorcière virago que jamais, écumant contre son fils, contre les Français, contre la mollesse des hommes, contre tout. Isabeau est la véritable putain maléfique de la pièce, voix monstrueuse, vengeresse sanglée et armée, reflet inversé de la pauvre Pucelle. Entre parenthèses, je voudrais indiquer que les trois personnages féminins principaux, Isabeau, Sorel et Jeanne possèdent bien des traits communs, généralement attribués aux hommes : virilité, esprit de décision, volonté, fermeté, rigueur, etc. Ceci ouvre probablement quelques champs de réflexion aux critiques modernes, préoccupés par le genre… L’Acte V tourne à la tragédie pour les Français. Jeanne assiste impuissante à l’effondrement de l’armée française ; elle prie Dieu d’intervenir (V, 11), le supplie de donner la victoire à la France ; à l’instant qui suit cette supplique insistante, Charles VII lui-même est fait prisonnier. Le message est clair : Dieu a bien abandonné Jeanne s’il répond à sa prière par la capture du roi ! Il n’est plus question de douter, le Chevalier Noir avait raison, le terme de son épopée se situait à Reims. L’instant est crucial. Jeanne n’est plus soutenue par la puissance surnaturelle qui la poussait aux trois premiers actes – elle le disait peu avant, à la scène 6 de l’Acte V (« Nul Dieu n’apparaît, plus aucun Ange ne se montre / Les miracles s’arrêtent, le Ciel est clos »). Pourtant, il y a en elle quelque chose qui ne dépend pas du surnaturel, quelque chose qui ne tient pas compte des avertissements des Cieux, quelque chose d’éminent qui pourrait s’appeler l’exercice de sa propre liberté. Jeanne, trahissant son serment de virginité totale, est abandonnée des cieux, mais elle est par là rendue à elle-même. Tout dépend désormais d’elle, et non plus des arbitraires considérations de puissances supérieures. Sans la condamnation de Dieu, Jeanne est libre. Si elle a été élue par les cieux, c’est qu’elle avait en elle des qualités qui demeurent, quoi qu’il puisse se passer : le courage, la force physique (ne rappelait-on pas au Prologue qu’elle avait terrassé un loup trop insistant auprès de ses brebis ?), plus encore, la foi, l’espérance, la détermination. Immédiatement après que le roi fut tombé dans les mains anglaises, Jeanne se libère, seule, de ses chaînes, à l’ébahissement de tous. Ne rompt-elle pas symboliquement les chaînes de son élection divine, ces chaînes qui la condamnaient à disparaître après Reims, ces chaînes d’agent divin sans libre-arbitre, ces chaînes qui la liaient à des serments, des promesses, des espérances de rétribution ? Ces chaînes anglaises incarnaient la stase d’impuissance dans laquelle sa « trahison » l’avait mise durant tout l’Acte IV et les trois quarts de l’Acte V. En les brisant, elle reprend la main sur sa destinée. Ne comptant plus que sur elle, sur sa conviction, Jeanne se jette dans la mêlée, libère le roi, fait basculer la bataille. Isabeau est faite prisonnière, Charles VII triomphe. Et Jeanne ? Elle meurt, libre et réconciliée, en prononçant ces paroles « Vers le ciel… vers le ciel… la terre s’efface / Brève est la douleur et éternelle est la joie ». Silencieusement les chefs militaires français recouvrent son corps de bannières et d’étendards puis le rideau tombe sur la scène.
Que dire alors de cette fin, qui rejette délibérément les instants tragiques de la captivité, du procès et du bûcher, au profit d’une réconciliation finale, malgré la mort, entre Jeanne, sa foi et le royaume ? Triomphe de la force matérielle et de la volonté libre ? Matérialisation, sur terre, d’une puissance surnaturelle ? La pièce ne choisit pas vraiment, tentant de mêler deux explications exclusives dans une synthèse hésitante, qui bascule subitement à l’extrême fin de la pièce (Schiller aime ce genre d’accélérations). On ne saura pas si les signes matériels de la supériorité de la guerrière sont les causes ou les conséquences de son élection divine. On ne saura pas si Dieu a abandonné Jeanne à dessein, pour la contraindre à manifester son libre-arbitre et à conquérir, sans aide, la grâce, sanctionnée par l’assomption qui s’ouvre à elle dans son agonie. Jeanne a vaincu et sauvé le royaume, consciente tout à tour de son élection divine et de sa liberté irréfragable : la part de l’une et de l’autre demeureront incertaines. Le spectateur n’aura vu qu’un mystérieux chevalier noir et entendu tonner la foudre. À lui d’estimer ce que valent ces signes. Revenons un peu sur ceux-ci. Jeanne dit avoir aperçu et écouté la sainte Vierge ; ses proches constatent, dès le Prologue, qu’elle a une force physique inattendue, signe peut-être d’une élection qui restera toujours cachée, dissimulée aux yeux des spectateurs, contraints, comme les courtisans du Dauphin, de croire à un miracle dont ils n’ont pas vu l’origine, et dont ils perçoivent seulement les plus évidentes manifestations. Je l’ai dit, Jeanne, jusqu’au mitan du troisième acte, est invulnérable. Elle est une guerrière formidable, qui apparaît à Chinon déjà auréolée d’une victoire, victoire acquise sur la route de Vaucouleurs à Chinon, victoire historiquement fictive qui justifie d’ailleurs sa présentation à un Dauphin désespéré, que Dunois et La Hire menacent déjà d’abandonner à son sort. Elle gagne à Orléans les armes à la main, abat sans pitié ses ennemis (l’implorant Montgomery est tué en duel, aux dernières scènes de l’acte II), commande au même titre qu’un grand général aux armées du Valois. Sa parole lui permet, surnaturelle, de convertir qui la rencontre. Ni Charles, ni le duc de Bourgogne ne peuvent lui résister.
Alors que la Jeanne de Shakespeare convertissait Bourgogne en utilisant tout le clavier des sentiments humains, la Jeanne de Schiller obtient le même résultat avec moitié moins de paroles, mais beaucoup plus de magie (Bourgogne : « Est-ce un Dieu qui chavire mon cœur au plus profond de ma poitrine ?[…] Mon cœur me le dit : elle est envoyée de Dieu. »). La prophétesse convertit plus qu’elle ne convainc. Ses pouvoirs semblent ceux qu’une puissance supérieure lui a donnés. Ainsi, inspirée par Dieu, qui connaît le monde du lendemain, elle est une prophétesse qui annonce à Charles les périls à venir de sa lignée – l’orgueil et la démesure des guerres d’Italie – et qui promet déjà au duc de Bourgogne l’ascension et la chute de Charles le Téméraire, l’alliance habsbourgeoise et la découverte de l’Amérique ! (« ils [tes descendants] décrèteront des lois au monde connu / et à un nouveau que la main de Dieu / garde encore caché derrière des mers inviolées » III, 4). Le spectateur peut donc juger le caractère authentique des prophéties de Jeanne qui est inspirée par une puissance surnaturelle – elle n’est pas la « charlatanerie » soupçonnée par Talbot – propos aigri de commandant défait. Elle souligne que sa force dépend de son vœu de virginité « Je suis la guerrière du Dieu Suprême [on comprend que Gide ait parlé de Walkyrie] / et ne puis être l’épouse d’aucun homme. » Or, un émissaire surnaturel lui annonce la fin de sa mission et, elle-même, plus humaine qu’elle n’y paraît, sent en elle monter peu après un sentiment amoureux pour un noble anglais, Lionel. Elle doute. Elle n’est plus l’agent aveugle de la fatalité, incapable de miséricorde pour le pauvre Montgomery à l’Acte II – celui-ci tente par tous les moyens de l’attendrir. Dieu l’abandonne et la punit – la foudre, les tempêtes, la capture par les Anglais. Son silence, comme sa parole, n’obtiennent plus rien : ses charmes se sont dissipés. Son salut final, dans les dernières scènes de l’Acte V, après avoir éprouvé la tentation, l’exil, l’envie d’en finir, ce sera de, librement, briser ses chaînes et aller conquérir, sur le champ de bataille une mort choisie, une libération, que sa force intérieure lui offre comme compensation à l’abandon de Dieu – et que Dieu a peut-être voulu. La Walkyrie meurt libre.
La pièce de Schiller s’éloigne de l’histoire pour constituer une variation « romantique » (dixit Schiller) sur le thème préféré du dramaturge allemand : l’exercice de la liberté. Il importait peu à Schiller, préoccupé par le libre-arbitre, que Jeanne affrontât à Rouen une cruelle ordalie ; il aurait pourtant été possible, comme Thierry Maulnier l’a montré dans sa propre pièce, de faire de Jeanne, parce qu’elle fut relapse, un agent de la liberté humaine et de la pièce une mise en scène de celle-ci. La modification de l’Histoire laisse dubitatif – même si, on le sait, l’explication vient probablement du fait que Schiller n’avait pas à sa disposition les sources, notamment judiciaires, compilées un demi-siècle plus tard par Quicherat. L’étrange choix de faire de Jeanne une pure guerrière nationale, coincée entre l’armure de l’héroïne et la robe de la jeune femme, écartelée entre sa transparente destinée de martyre tragique et ses obscures aspirations de jeune femme commune, affaiblit plus qu’il ne renforce la pièce. Sa conquête de la liberté nous paraît bien méandrique. Du même auteur, on préférera sans doute l’immense Wallenstein (chroniqué ici) ou Marie Stuart, œuvres autrement plus réussies que cette variation un peu clinquante et parfois mécanique sur un thème auquel le mythe de Jeanne aurait pourtant pu et dû convenir.
Post-Scriptum : quelques propos de Dunois à l’Acte I sonnent bien ironiquement si l’on pense qu’ils ont été écrits en 1800/1801 : « Le peuple doit se sacrifier pour son roi / C’est la destinée et la loi du monde / Le Français ne sait ni ne veut autre chose / Infâme est la nation qui n’entreprend / Pas tout dans la joie pour son honneur. » (I, 5)
Cycle à suivre…