La Bibliothèque de la Pléiade

Version du 30 octobre 2015

Version du 19 février 2016

Version du 29 mars 2016

En décembre 2013, j’écrivis une modeste note consacrée à la politique éditoriale de la célèbre collection de Gallimard, « La Bibliothèque de la Pléiade », dans laquelle je livrais quelques observations plus ou moins judicieuses à ce propos. Petit à petit, par l’effet de mon bon positionnement sur le moteur de recherche Google et du manque certain d’information officielle sur les prochaines publications, rééditions ou réimpressions de la collection, se sont agrégés, dans la section « commentaires » de cette chronique, de nombreux amateurs. Souvent bien informés – mieux que moi – et décidés à partager les informations dont Gallimard est parfois avare, ils ont permis à ce site de proposer une des meilleures sources de renseignement officieuses à ce sujet. Comme le fil de discussions commençait à être aussi dense que long (près de 100 commentaires), et donc difficile à lire pour de nouveaux arrivants, j’ai pensé qu’il pourrait être intéressant, pour les nombreuses personnes qui trouvent mon blog par des requêtes afférentes à la « Pléiade », que toutes les informations soient regroupées sur cette page. Les commentaires y sont ouverts et, à l’exception de ce chapeau introductif, les informations seront mises à jour régulièrement. Les habitués de l’autre note sont invités à me signaler oublis ou erreurs, j’ai mis un certain temps à tout compiler, j’ai pu oublier des choses.

Cette page, fixe, ne basculera pas dans les archives du blog et sera donc accessible en permanence, en un clic, dans les onglets situés en dessous du titre du site.

Je tiens à signaler que ce site est indépendant, que je n’ai aucun contact particulier avec Gallimard et que les informations ici reprises n’ont qu’un caractère officieux et hypothétique (avec divers degrés de certitude, ou d’incertitude, selon les volumes envisagés). Cela ne signifie pas que l’information soit farfelue : l’équipe de la Pléiade répond aux lettres qu’on lui adresse ; elle diffuse aussi au compte-gouttes des informations dans les médias ou sur les salons. D’autre part, certains augures spécialistes dans la lecture des curriculums vitae des universitaires y trouvent parfois d’intéressantes perspectives sur une publication à venir. Le principe de cette page est précisément de réunir toutes ces informations éparses en un seul endroit.

J’y inclus aussi quelques éléments sur le patrimoine de la collection (les volumes « épuisés » ou « indisponibles ») et, à la mesure de mes possibilités, sur l’état des stocks en magasin (c’est vraiment la section pour laquelle je vous demanderai la plus grande bienveillance, je le fais à titre expérimental : je me repose sur l’analyse des stocks des libraires indépendants et sur mes propres observations). Il faut savoir que Gallimard édite un volume en une fois, écoule son stock, puis réimprime. D’où l’effet de yo-yo, parfois, des stocks, à mesure que l’éditeur réimprime (ou ne réimprime pas) certains volumes. Les tirages s’épuisent parfois en huit ou dix ans, parfois en trente ou quarante (et ce sont ces volumes, du fait de leur insuccès, qui deviennent longuement « indisponibles » et même, en dernière instance, « épuisés »).

Cette note se divise en plusieurs sections, de manière à permettre à chacun de se repérer plus vite (hélas, WordPress, un peu rudimentaire, ne me permet pas de faire en sorte que vous puissiez basculer en un clic de ce sommaire vers les contenus qu’ils annoncent) :

I. Le programme à venir dans les prochains mois

II. Les publications possibles ou attendues ; les séries en cours

III. Les volumes « épuisés »

IV. Les rééditions

V. Les volumes « indisponibles provisoirement »

VI. Les volumes « en voie d’indisponibilité »

Cette page réunit donc des informations sur le programme et le patrimoine de la collection.

Les mises à jour correspondent à un code couleur, indiqué en ouverture de note (ce qui évite à l’habitué de devoir tout relire pour trouver mes quelques amendements). La prochaine mise à jour aura lieu dans quelques temps, lorsque le besoin s’en fera sentir.

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I. Le programme à venir dans les prochains mois

Le programme du premier semestre 2016 est officiellement connu et publié sur le site officiel.

->Henry James : Un Portrait de femme et autres romans. Après la publication des Nouvelles complètes, Gallimard décide donc de proposer plusieurs romans de l’épais corpus jamesien. Le volume comprend quatre romans : Roderick Hudson (1876), Les Européens (1878), Washington Square (1880) et Portrait de femme (1881). La perspective de publication semble à la fois chronologique et thématique. Elle n’est pas intégrale puisque sont exclus trois romans contemporains du même auteur : Le Regard aux aguets (1871), L’Américain (1877) et Confiance (1879). En cas de succès, il paraît probable que ce volume soit néanmoins suivi d’un ou deux autres, couvrant la période 1886-1905.

On peut imaginer que le(s) volume(s) à venir comprendra/comprendront Les Bostoniennes, Ce que savait Maisie, Les Ambassadeurs, Les Ailes de la Colombe ou La Coupe d’Or, mais comme certains de ces ouvrages ont été retraduits, fort récemment, par Jean Pavans, il est difficile d’établir avec certitude ce que fera la maison Gallimard du reste de l’œuvre. La solution la plus cohérente serait de publier deux autres tomes (voire trois…).

->Mario Vargas Llosa : Œuvres romanesques I et II. M. Vargas Llosa a beaucoup publié, souvent d’épais romans (ou mémoires – comme le très recommandable Le Poisson dans l’eau). La Pléiade ne proposera qu’une sélection de huit romans parmi la vingtaine du corpus. Le premier tome couvre la période 1963-1977 et comprend La Ville et les chiens (1963), La Maison verte (1965), Conversation à La Cathedral » (1969) et La Tante Julia et le scribouillard (1977). Le deuxième tome s’étend de 1981 à 2006 et a retenu La Guerre de la fin du monde (1981), La Fête au bouc (2000), Le Paradis un peu plus loin (2003) et Tours et détours de la vilaine fille (2006).

Il faut noter l’absence des Chiots, de l’Histoire de Mayta et de Lituma dans les Andes, ainsi que des derniers romans parus. De ce que je comprends de l’entretien donné par M. Vargas Llosa au Magazine Littéraire (février 2016), cette sélection a été faite voici dix ans. Cela peut expliquer quelques lacunes. Entre autres choses, le Nobel 2010 de littérature dit aussi que, pour lui, féru de littérature française et amateur de la Bibliothèque de la Pléiade depuis les années 50, il fut plus émouvant de savoir qu’il entrerait dans cette collection que de se voir décerner le Nobel de littérature. Il faut dire qu’à la Pléiade, pour une fois, il précède son vieux rival Garcia Marquez – dont les droits sont au Seuil.

-> en coffret, les deux volumes des Œuvres complètes de Jorge Luis Borges, déjà disponibles à l’unité.

-> Jules Verne (III)Voyage au centre de la terre et autres romans. L’œuvre de Verne a fait l’objet de deux volumes en 2012 ; un troisième viendra donc les rejoindre, signe que cette publication, un peu contestée pourtant, a eu du succès. Quatre romans figurent dans ce tome : Voyage au centre de la terre (1864) ; De la terre à la lune (1865) ; Autour de la lune (1870) et, plus étonnant, Le Testament d’un excentrique (1899), un des derniers romans de l’auteur – où figure en principe une sorte de jeu de l’oie, avec pour thème les États-Unis d’Amérique (qui ne sera peut-être pas reproduit).

Un quatrième tome est-il envisagé ? Je ne sais.

-> Shakespeare, Comédies II et III (Œuvres complètes VI et VII). Gallimard continue la publication des œuvres complètes du Barde en cette année du quatre centième anniversaire de sa mort. L’Album de la Pléiade lui sera également consacré. C’est une parution logique et que nous avions, ici même, largement anticipée (ce « nous » n’est pas un nous de majesté, mais une marque de reconnaissance envers les commentateurs réguliers ou irréguliers de cette page, qui proposent librement leurs informations ou réflexions à propos de la Pléiade).

Le tome II des Comédies (VI) comprend Les Joyeuses épouses de Windsor, Beaucoup de bruit pour rien, Comme il vous plaira, La Nuit des rois, Mesure pour mesure, et Tout est bien qui finit bien.

Le tome III des Comédies (VII) comprend Troïlus et Cressida, Périclès, Cymbeline, Le Conte d’hiver, La Tempête et Les Deux Nobles Cousins.

J’ai annoncé un temps que les poèmes de Shakespeare seraient joints au volume VII des Œuvres complètes, ce ne sera pas le cas. Ils feront l’objet d’un tome VIII, à venir. Ce corpus de poésies étant restreint (moins de 300 pages, ce me semble, dans l’édition des années 50, déjà enrichie de divers essais et textes sur l’œuvre), il est probable qu’il sera accompagné d’un vaste dossier documentaire, comme Gallimard l’a fait pour les rééditions Rimbaud et Lautréamont, ou pour la parution du volume consacré à François Villon.

Le programme du second semestre 2016 a filtré ici ou là, via des « agents » commerciaux ou des vendeurs de Gallimard. Nous pouvons l’annoncer ici avec une relative certitude.

-> Après Sade et Cervantès, le tirage spécial sera consacré à André Malraux, mort voici quarante ans. Il reprendra La Condition humaine, et, probablement les romans essentiels de l’écrivain (L’Espoir, La Voie royale, Les Conquérants). Ces livres sont dispersés actuellement dans les deux premiers des six volumes consacrés à Malraux.

Je reste, à titre personnel, toujours aussi dubitatif à l’égard de cette sous-collection.

–> Premiers Écrits chrétiens, dont le maître d’œuvre est Bernard Pouderon ; selon le site même de la Pléiade, récemment et discrètement mis à jour, le contenu du volume sera composé des textes de divers apologistes chrétiens, d’expression grecque ou latine : Hermas, Clément de Rome, Athénagore d’Athènes, Méliton de Sardes, Irénée de Lyon, Tertullien, etc. Ce volume  n’intéressera peut-être que modérément les plus littéraires d’entre nous ; il pérennise toutefois la démarche éditoriale savante poursuivie avec les Premiers écrits intertestamentaires ou les Écrits gnostiques.

Pour l’anecdote, Tertullien seul figurait déjà à la Pléiade italienne, dans un épais et coûteux volume ; ici, il n’y aura bien évidemment qu’une sélection de ses œuvres.

–> Certains projets sont longuement mûris, parfois reportés, et souvent attendus des années durant par le public de la collection. D’autres, inattendus surprennent ; à peine annoncés, les voici déjà publiés. C’est le cas, nous nous en sommes faits l’écho ici-même, de Jack London. Dès cet automne, deux volumes regrouperont les principaux de ses romans, dont, selon toute probabilité Croc-blanc, L’Appel de la forêt et Martin Eden. Le programme précis des deux tomes n’est pas encore connu.

L’entrée à la Pléiade de l’écrivain américain a suscité un petit débat entre amateurs de la collection, pas toujours convaincus de la pertinence de cette parution, alors que deux belles intégrales existent déjà, chez Robert Laffont (coll. Bouquins) et Omnibus.

-> enfin, s’achèvera un très long projet, la parution des œuvres de William Faulkner, entamée en 1977, et achevée près de quarante ans plus tard. Avec la parution des Œuvres romanesques V, l’essentiel de l’œuvre de Faulkner sera disponible à la Pléiade. Ce volume contiendra probablement La Ville, Le Domaine, Les Larrons ainsi que quelques nouvelles.

Comme souvent, la Pléiade fait attendre très longtemps son public ; mais enfin, elle est au rendez-vous, c’est bien là l’essentiel.

Cette année 2016 est assez spéciale dans l’histoire de la Pléiade, car neuf volumes sur dix sont des traductions, ce qui est un record ; l’album est également consacré à un écrivain étranger, ce qui n’est pas souvent arrivé (Dostoïevski en 1975, Carroll en 1990, Faulkner en 1995, Wilde en 1996, Borges en 1999, les Mille-et-une-nuits en 2005).

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Le domaine français fera néanmoins son retour en force en 2017, avec la parution (selon des sources bien informées) de :

-> Perec, Œuvres I et II. Georges Perec ferait également l’objet de l’Album de la Pléiade. Voici quelques années déjà que l’on parle de cette parution. Des citations de Georges Perec ont paru dans les derniers agendas, M. Pradier m’avait personnellement confirmé en 2012 que les volumes étaient en cours d’élaboration pour 2013/14 ; il est donc grand temps qu’ils paraissent.

Que contiendront-ils ? L’essentiel de l’œuvre romanesque, selon toute vraisemblance (La Disparition, La vie, mode d’emploi, Les Choses, W ou le souvenir d’enfance, etc.). Le Condottiere, ce roman retrouvé par hasard récemment y sera-t-il ? Je ne le sais pas, mais c’est possible (et c’est peut-être même la raison du retard de parution).

-> Tournier, Œuvres (I et II ?). Michel Tournier l’avait confirmé lui-même ici ou là, ses œuvres devaient paraître d’ici la fin de la décennie à la Pléiade. Sa mort récente peut avoir « accéléré » le processus ; preuve en est que Pierre Assouline, très au fait de la politique de la maison Gallimard, a évoqué, sur son site et dans son hommage à l’auteur, la parution pour 2016 de ces deux volumes. Il s’est peut-être un peu trop avancé, mais selon nos informations, un volume (au moins) paraîtrait au premier semestre 2017 (ou bien les deux ? rien n’est certain à cet égard), ce qu’Antoine Gallimard a confirmé au salon du livre.

-> Quand on aime la Pléiade, il faut être patient. Après dix-sept ans d’attente, depuis la parution du premier volume, devrait enfin sortir des presses le tome Nietzsche II. Cette série a été ralentie par les diverses turpitudes connues par les éditeurs du volume. La direction de ce tome, et du suivant, est assurée par Marc de Launay et Dorian Astor.

Cela fait quatre ou cinq tomes, soit l’essentiel du premier semestre. D’autres volumes sont attendus, mais sans certitude, pour un avenir proche, peut-être au second semestre 2016 :

-> Flaubert IV : la série est en cours (voir plus bas), le volume aurait été rendu à l’éditeur. On évoquait ici-même sa parution pour 2015.

-> Nimier, Œuvres. Je n’oublie pas que l’Agenda 2014 arborait une citation de Nimier, ce qui indique une parution prochaine.

-> Beauvoir, Œuvres autobiographiques. Ce projet se confirme d’année en année : annoncé par les représentants Gallimard vers 2013-2014, il est attesté par la multiplication des mentions de Simone de Beauvoir dans l’agenda 2016 (cinq, dans « La vie littéraire voici quarante ans », qui ouvre le volume). Gallimard est coutumier du fait : il communique par discrètes mentions d’auteurs inédits, dans les agendas, que les pléiadologues décryptent comme, jadis, les kremlinologues analysaient le positionnement des hiérarques soviétiques lors des défilés du 1er mai.

-> Leibniz : un volume d’Œuvres littéraires et philosophiques s’est vu attribuer un numéro d’ISBN (cf. sur Amazon). C’est un projet qui avait été évoqué dans les années 80, mais plus rien n’avait filtré le concernant depuis. Je n’ai (toujours) pas trouvé de mention de ce volume dans des CV d’universitaires. Comme pour Nietzsche II, je tiens cette sortie pour possible (ISBN oblige) mais encore incertaine. Cependant, le site Amazon indique une parution au 1er mars… 1997 : n’est-ce pas là, tout simplement, un vieux projet avorté, et dont l’ISBN n’a jamais été annulé ? À bien y réfléchir, l’abandon est tout à fait plausible.

-> D’autres séries sont en cours et pourraient être complétées : Brontë III, Stevenson III, Nabokov III, la Correspondance de Balzac III. D’autres séries, en panne, ne seront pas plus complétées en 2016 que les années précédentes (cf. plus bas) : Vigny III, Luther II, la Poésie d’Hugo IV et V, les Œuvres diverses III de Balzac, etc.

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II. Les publications possibles ou attendues ; les séries en cours

a) Nouveaux projets et rééditions

Les volumes que je vais évoquer ont été annoncés ici ou là, par Gallimard. Si dix nouveaux volumes de la Pléiade paraissent chaque année, vous le constaterez, la masse des projets envisagés énumérés ci-dessous nous mène bien au-delà de 2020.

–> un choix de Correspondance de Sade ;

–> les œuvres romanesques de Philip Roth, en deux volumes ; une mention de Roth, dans l’agenda 2016, atteste que ce projet est en cours.

–> l’Anthologie de la poésie américaine ; les traducteurs y travaillent depuis un moment ;

–> une nouvelle édition des œuvres de Descartes et de la Poésie d’Apollinaire (direction Étienne-Alain Hubert) ; Jean-Pierre Lefebvre travaille en ce moment sur une retraduction des œuvres de Kafka, une nouvelle édition est donc à prévoir (les deux premiers tomes seulement ? les quatre ?) ; une nouvelle version de L’Histoire de la Révolution française, de Jules Michelet est en cours d’élaboration également ;

–> Une autre réédition qui pourrait bien être en cours, c’est celle des œuvres de Paul Valéry, qui entreront l’an prochain dans le domaine public ; certains indices dans le Paul Valéry : une Vie, de Benoît Peeters, récemment paru en poche, peuvent nous en alerter ; la réédition des Cahiers, autrefois épuisés, n’est certes pas un « bon » signe (cela signifie que Gallimard ne republiera pas de version amendée d’ici peu – ce qui ne serait pourtant pas un luxe, l’édition étant ancienne, partielle et, admettons-le, peu accessible) ; en revanche, les Œuvres pourraient faire l’objet d’une révision, comme l’ont été récemment les romans de Bernanos ou les pièces et poèmes de Péguy. La publication de la Correspondance de Valéry pourrait être une excellente idée, d’un intérêt certain – mais c’est là seulement l’opinion du Lecteur (Valéry y est plus vif, moins sanglé que dans ses œuvres).

–> Tennessee Williams, probablement dirigée par Jean-Michel Déprats ; une mention discrète dans l’agenda 2016 tend à confirmer cette parution à venir ;

–> Blaise Cendrars, un troisième volume, consacré à ses romans (les deux premiers couvraient les écrits autobiographiques) ; selon le CV de Mme Le Quellec, collaboratrice de cette édition, ce volume paraîtrait en 2017 ;

–> George Sand : une édition des œuvres romanesques serait en cours ; l’équipe est constituée.

–> De même, Michel Onfray a évoqué par le passé, dans un entretien, l’éventuelle entrée d’Yves Bonnefoy à la Pléiade. Ce projet est littérairement crédible, d’autant plus que l’Agenda 2016 cite plusieurs fois Bonnefoy. Je suppose qu’il s’agira d’Œuvres poétiques complètes, ne comprenant pas les nombreux ouvrages de critique littéraire. Quelque aventureux correspondant a posé franchement la question auprès de Gallimard, qui lui a répondu que Bonnefoy était bien en projet.

-> Il faut également s’attendre à l’entrée à la Pléiade du médiéviste Georges Duby. Une information avait filtré en ce sens dans un numéro du magazine L’Histoire ; cette évocation dans l’agenda, redoublée, atteste de l’existence d’un tel projet. J’imagine plutôt cette parution en un tome (ou en deux), comprenant plusieurs livres parmi Seigneurs et paysans, La société chevaleresque, Les Trois ordres, Le Dimanche de Bouvines, Guillaume le Maréchal, et Mâle Moyen Âge.

-> Le grand succès connu par le volume consacré à Jean d’Ormesson (14 000 exemplaires vendus en quelques mois) donne à Gallimard une forme de légitimité pour concevoir un second volume ; les travaux du premier ayant été excessivement vite (un ou deux ans), il est possible de voir l’éditeur publier ce deuxième tome dès 2017…

-> Jean-Yves Tadié a expliqué, en 2010, dans le Magazine littéraire, qu’il s’occupait d’une édition de la Correspondance de Proust en deux tomes. Cette perspective me paraît crédible et point trop ancienne. À confirmer.

–> Textes théâtraux du moyen âge ; en deux volumes, j’en parle plus bas, c’est une vraie possibilité, remplaçant Jeux et Sapience, actuellement « indisponible ». La nouvelle édition, intitulée Théâtre français du Moyen Âge est dirigée par J.-P.Bordier.

–> Soseki ; le public français connaît finalement assez mal ce grand écrivain japonais ; pourtant sa parution en Pléiade, une édition dirigée par Alain Rocher, est très possible. Elle prendra deux volumes, et les traductions semblent avoir été rendues.

–> Si son vieux rival Mario Vargas Llosa vient d’avoir les honneurs de la collection, cela ne signifie pas que Gabriel Garcia Marquez soit voué à en rester exclu. Dans un proche avenir, la Pléiade pourrait publier une sélection des principaux romans de l’écrivain colombien.

–>Enfin, et c’est peut-être le scoop de cette mise à jour, selon nos informations, officieuses bien entendu, il semblerait que les Éditions de Minuit et Gallimard aient trouvé un accord pour la parution de l’œuvre de Samuel Beckett à la Pléiade, un projet caressé depuis longtemps par Antoine Gallimard. Romans, pièces, contes, nouvelles, en français ou en anglais, il y a là matière pour deux tomes (ou plus ?). Il nous faut désormais attendre de nouvelles informations.

Cette première liste est donc composée de volumes dont la parution est possible à brève échéance (d’ici 2019).

Je la complète de diverses informations qui ont circulé depuis trente ans sur les projets en cours de la Pléiade : les « impossibles » (abandonnés), les « improbables » (suspendus ou jamais mis en route), « les possibles » (projet sérieusement évoqué, encore récemment, mais sans attestation dans l’Agenda et sans équipe de réalisation identifiée avec certitude).

A/ Les (presque) impossibles

-> Textes philosophiques indiens fondamentaux ; une édition naguère possible (le champ indien a été plutôt enrichi en 20 ans, avec le Ramayana et le Théâtre de l’Inde Ancienne), mais plutôt risquée commercialement et donc de plus en plus incertaine dans le contexte actuel. Zéro information récente à son sujet.

–> Xénophon ; cette parution était très sérieusement envisagée à l’époque du prédécesseur de M. Pradier, arrivé à la direction de la Pléiade en 1996 ; elle a été au mieux suspendue, au pire abandonnée.

–> Écrits Juifs (textes des Kabbalistes de Castille) ; très improbable en l’état économique de la collection.

–> Mystiques médiévaux ; aucune information depuis longtemps.

–> Maître Eckhart ; la Pléiade doit avoir renoncé, d’autant plus que j’ai noté la parution, au Seuil, cet automne 2015, d’un fort volume de 900 pages consacré aux sermons, traités et poèmes de Maître Eckhart ; projet abandonné.

–> Joanot Martorell ; le travail accompli sur Martorell a été basculé en « Quarto », un des premiers de la collection ; la Pléiade ne le publiera pas, projet abandonné.

–> Chaucer ; projet abandonné de l’aveu de son maître d’œuvre (le travail réalisé par les traducteurs a pu heureusement être publié, il est disponible via l’édition Bouquins, parue en 2010).

-> Vies et romans d’Alexandre est un volume qui a été évoqué depuis vingt-cinq ans, sans résultat tangible à ce jour. Jean-Louis Bacqué-Grammont et Georges Bohas étaient supposés en être les maîtres d’œuvre. Une mention récente dans Parole de l’orient (2012) laisse à penser que le projet a été abandonné. En effet, une partie des traductions a paru en 2009 dans une édition universitaire et l’auteur de l’article explique que ce « recueil était originellement prévu pour un ouvrage collectif devant paraître dans la Pléiade ». C’est mauvais signe.

Ces huit volumes me paraissent abandonnés.

B/ Les improbables

–> Aimé Césaire, Léon Gontran Damas et Léopold Sedar Senghor ; ce tome était attendu pour 2011 ou 2012, le projet semble mettre un peu plus de temps que prévu. Selon quelques informations recueillies depuis, il semble que, malgré l’effet d’annonce, la réalisation ce volume n’a jamais été vraiment lancée.

–> Saikaku ; quelques informations venues du traducteur, M. Struve, informations vieilles maintenant de dix ans ; notre aruspice de CV, Geo, est pessimiste, du fait du changement opéré dans l’équipe de traduction en cours de route.

–> Carpentier ; cela commence à faire longtemps que ce projet est en cours, trop longtemps (plus de quinze ans que Gallimard l’a évoqué pour la première fois). Carpentier est désormais un peu oublié (à tort). Ce projet ne verra probablement pas le jour.

–> Barrès ; peu probable, rien ne l’a confirmé ces derniers temps…

–> la perspective de la parution d’un volume consacré à Hugo von Hofmannsthal avait été évoquée dans les années 90 (par Jacques Le Rider dans la préface d’un Folio). La Pochothèque et l’Arche se sont occupés de republier l’écrivain autrichien. Cette parution me paraît abandonnée.

–> En 2001, Mme Naudet s’est chargée du catalogage des œuvres de Pierre Guyotat en vue d’une possible parution à la Pléiade. Je ne pense pas que cette réflexion, déjà ancienne, ait dépassé le stade de la réflexion. Gallimard a visiblement préféré le sémillant d’Ormesson au ténébreux Guyotat.

-> Voici quelques années, M. Pradier, le directeur de la collection avait évoqué diverses possibilités pour la Pléiade : Pétrarque, Leopardi et Chandler. Ce n’étaient là que pistes de réflexions, il n’y a probablement pas eu de suite. Un volume Pétrarque serait parfaitement adapté à l’image de la collection et son œuvre y serait à sa place. Je ne sais pas si la perspective a été creusée. Boccace manque aussi, d’ailleurs. Pour Leopardi, le fait qu’Allia n’ait pas réussi à écouler le Zibaldone et la Correspondance (bradée à 25€ désormais) m’inspirent de grands doutes. Le projet serait légitime, mais je suis pessimiste – ce qui est logique en parlant de l’infortuné poète bossu. Enfin, Chandler a fait l’objet depuis d’un Quarto, et même s’il est publié aux Meridiani (pléiades italiens), je ne crois pas à sa parution en Pléiade.

Ces neuf volumes me paraissent incertains. Abandon possible (ou piste de réflexion pas suivie).

C/ Les plausibles

–> Nathaniel Hawthorne ; à la fois légitime (du fait de l’importance de l’auteur), possible (du fait du tropisme américain de la Pléiade depuis quelques années) et annoncé par quelques indiscrétions ici ou là. On m’a indiqué, parmi l’équipe du volume, les possibles participations de M. Soupel et de Mme Descargues.

-> Le projet de parution d’Antonin Artaud à la Pléiade a été suspendu au début des années 2000, du fait des désaccords survenus entre la responsable du projet éditorial et les ayants-droits de l’écrivain ; il devrait entrer dans le domaine public au 1er janvier 2019 et certains agendas ont cité Artaud par le passé ; un projet pourrait bien être en cours, sinon d’élaboration, tout du moins de réflexion.

–> Romain Gary, en deux tomes, d’ici la fin de la décennie.

–> Kierkegaard ; deux volumes, traduits par Régis Boyer, maître ès-Scandinavie ; on n’en sait pas beaucoup plus et ce projet est annoncé depuis très longtemps.

–> Jean Potocki ; la découverte d’un second manuscrit a encore ralenti le serpent de mer (un des projets les plus anciens de la Pléiade à n’avoir jamais vu le jour).

–> Thomas Mann ; il faudrait de nouvelles traductions, et les droits ne sont pas chez Gallimard (pas tous en tout cas) ; Gallimard attend que Mann tombe dans le domaine public (une dizaine d’années encore…), selon la lettre que l’équipe de la Pléiade a adressé à un des lecteurs du site.

–> Le dit du Genji, informations contradictoires. Une nouvelle traduction serait en route.

–> Robbe-Grillet : selon l’un de nos informateurs, le projet serait au stade de la réflexion.

–> Huysmans : Michel Houellebecq l’a évoqué dans une scène son dernier roman, Soumission ; le quotidien Le Monde a confirmé que l’écrivain avait été sondé pour une préface aux œuvres (en un volume ?) de J.K.Huysmans, un des grands absents du catalogue. Le projet serait donc en réflexion.

–> Ovide : une nouvelle traduction serait prévue pour les années à venir, en vue d’une édition à la Pléiade.

–> « Tigrane », un de nos informateurs, a fait état d’une possible parution de John Steinbeck à la Pléiade. Information récente et à confirmer un jour.

–> Calvino, on sait que la veuve de l’écrivain a quitté le Seuil pour Gallimard en partie pour un volume Pléiade. Édition possible mais lointaine.

–> Lagerlöf, la Pléiade n’a pas fermé la porte, et un groupe de traducteurs a été réuni pour reprendre ses œuvres. Édition possible mais lointaine.

Enfin, j’avais exploré les annonces du catalogue 1989, riche en projets, donc beaucoup ont vu le jour. Suivent ceux qui n’ont pas encore vu le jour (et qui ne le verront peut-être jamais) – reprise d’un de mes commentaires de la note de décembre 2013.

– Akutagawa, Œuvres, 1 volume (le projet a été abandonné, vous en trouverez des « chutes » ici ou là)
Anthologie des poètes du XVIIe siècle, 1 volume (je suppose que le projet a été fondu et  dans la réfection de l’Anthologie générale de la poésie française ; abandonné)
Cabinet des Fées, 2 volumes (mes recherches internet, qui datent un peu, m’avaient laissé supposer un abandon complet du projet)
– Chénier, 1 volume, nouvelle édition (abandonné, l’ancienne édition est difficile à trouver à des tarifs acceptables – voir plus bas)
Écrits de la Mésopotamie Ancienne, 2 volumes (probablement abandonné, et publié en volumes NRF « Bibliothèque des histoires » – courants et néanmoins coûteux, dans les années 90)
– Kierkegaard, Œuvres littéraires et philosophiques complètes, 3 volumes (serpent de mer n°1)
– Laforgue, Œuvres poétiques complètes, 1 volume (abandonné, désaccord avec le directeur de l’ouvrage, le projet a été repris, en 2 coûteux volumes, par L’Âge d’Homme)
– Leibniz, Œuvres, 3 volumes : un ISBN attribué à un volume Leibniz a récemment été découvert. Les possibilités d’édition de Leibniz dans la Pléiade, avec une envergure moindre, sont donc remontées.
– Montherlant, Essais, Volume II (voir plus bas)
Moralistes français du XVIIIe siècle, 2 volumes (aucune information récente, abandonné)
Orateurs de la Révolution Française, volume II (mis en pause à la mort de François Furet… en 1997 ! et donc abandonné)
– Potocki, Manuscrit trouvé à Saragosse, 1 volume (serpent de mer n°1 bis)
– Chunglin Hsü, Roman de l’investiture des Dieux, 2 volumes (pas de nouvelles, le dernier roman chinois paru à la Pléiade, c’était Wu Cheng’en en 1991, je penche pour l’abandon du projet)
– Saïkaku, Œuvres, 2 volumes (cas exploré plus haut)
– Sôseki, Œuvres, 2 volumes (cas exploré plus haut)
– Tagore, Œuvres, 2 volumes (le projet a été officiellement abandonné)
Théâtre Kabuki, 1 volume (très incertain, aucune information à ce sujet)
Traités sanskrits du politique et de l’érotique (Arthasoutra et Kamasoutra), 1 volume (idem)
– Xénophon, Œuvres, 1 volume (évoqué plus haut)

b) Les séries en cours :

Attention, je n’aborde ici que les séries inédites. J’évoque un peu plus bas, dans la section IV-b, le cas des séries en cours de réédition, soit exhaustivement : Racine, La Fontaine, Vigny, Balzac, Musset, Marivaux, Claudel, Shakespeare et Flaubert.

Aragon : l’éventualité de la publication un huitième volume d’œuvres, consacré aux écrits autobiographiques, a pu être discutée ; elle est actuellement, selon toute probabilité, au stade de l’hypothèse.

Aristote : le premier tome est sorti en novembre 2014, sans mention visuelle d’un quelconque « Tome I ». Le catalogue parle pourtant d’un « tome I », mais il a déjà presque un an, l’éditeur a pu changer d’orientation depuis. La suite de cette série me paraît conditionnelle et dépendante du succès commercial du premier volume. Néanmoins, les maîtres d’œuvre évoquent, avec certitude, la parution à venir des tomes II et III et l’on sait désormais que Gallimard ne souhaite plus numéroter ses séries qu’avec parcimonie. Il ne faut pas être pessimiste en la matière, mais prudent. En effet, la Pléiade a parfois réceptionné les travaux achevés d’éditeurs pour ne jamais les publier (cas Luther, voir quelques lignes plus bas).

Brecht : l’hypothèse d’une publication du Théâtre et de la Poésie, née d’annonces vieilles de 25 ans, est parfaitement hasardeuse. La mode littéraire brechtienne a passé et l’éditeur se contentera probablement d’un volume bizarre d’Écrits sur le théâtre. Dommage qu’un des principaux auteurs allemands du XXe siècle soit ainsi mutilé.

Brontë :  Premier volume en 2002, deuxième en 2008, il en reste un, Shirley-Villette. Il n’y a pas beaucoup d’information à ce sujet, mais le délai depuis le tome 2 est normal, il n’y a pas d’inquiétude à avoir pour le moment. La traduction de Villette serait achevée.

Calvin : L’Institution de la religion chrétienne est absent du tome d’Œuvres. Aucun deuxième volume ne semble pourtant prévu.

Cendrars : voir plus haut, un volume de Romans serait en cours de préparation.

Écrits intertestamentaires : un second volume, dirigé par Marc Philonenko, serait en chantier, et quelques traductions déjà achevées.

Giraudoux : volume d’Essais annoncé au début des années 90. Selon Jacques Body, maître d’œuvre des trois volumes, et que j’ai personnellement contacté, ce quatrième tome n’est absolument pas en préparation. Projet abandonné.

Gorki : même situation que Brecht et Faulkner, réduction de voilure du projet depuis son lancement. Suite improbable.

Green : je l’évoque plus bas, dans les sections consacrées aux volumes « indisponibles » et aux volumes en voie d’indisponibilité. Les perspectives de survie de l’œuvre dans la collection sont plutôt basses. Aucun tome IX et final ne devrait voir le jour.

Hugo : Œuvres poétiques, IV et V, « en préparation » depuis 40 ans (depuis la mort de Gaëtan Picon). Les œuvres de Victor Hugo auraient besoin d’une sérieuse réédition, la poésie est bloquée depuis qu’un désaccord est survenu avec les maîtres d’ouvrage de l’époque. Il est fort improbable que ce front bouge dans les prochaines années, mais Gallimard maintient les « préparer » à chaque édition de son catalogue. À noter que le 2e tome du Théâtre complet, longtemps indisponible, est à nouveau dans les librairies.

Luther : Le tome publié porte le chiffre romain I. Une suite est censée être en préparation mais l’insuccès commercial de ce volume (la France n’est pas un pays de Luthériens) a fortement hypothéqué le second volume. Personne n’en parle plus, ni les lecteurs, ni Gallimard. Suite improbable. D’autant plus que M. Arnold, le maître d’œuvre explique sur son CV avoir rendu le Tome II… en 2004 ! Ces dix années entre la réception du tapuscrit et la publication indiquent que Gallimard a certainement renoncé. Projet abandonné.

Marx : Les Œuvres complètes se sont arrêtées avec le Tome IV (Politique I). L’éditeur du volume est mort, la « cote » de Marx a beaucoup baissé, il est improbable que de nouveaux volumes paraissent à l’avenir, le catalogue ne défend même plus cette idée par une mention « en préparation ». Série probablement arrêtée.

Montherlant : Essais, tome II. Le catalogue évoque toujours un tome I. Aucune mention de préparation n’est présente (contrairement à ce que les catalogues de la fin des années 2000 annonçaient). Le premier volume a été récemment retiré (voir plus bas, dans la section « rééditions »), tout comme les volumes des romans. Perspective improbable néanmoins.

Nietzsche : Œuvres complètes, d’abord prévues en 5 tomes, puis réduites à 3 (c’est annoncé au catalogue). Le premier volume a paru en 2000. Le deuxième devrait paraître au premier semestre 2017 (information officieuse et à confirmer).

Orateurs de la Révolution française : paru en 1989 pour le bicentenaire de la Révolution, ce premier tome, consacré à des orateurs de la Constituante, n’a pas eu un grand succès commercial. François Furet, son éditeur scientifique, est mort depuis. Tocqueville, son autre projet, a été retardé quelques années, mais a pu s’achever. Celui-ci ne le sera pas. Suite abandonnée.

Queneau : en principe, ont paru ses Œuvres complètes, en trois tomes, mais le Journal n’y est pas, pas plus que ses articles et critiques. Un quatrième tome, non annoncé par la Pléiade, est-il néanmoins possible ? Aucune information à ce sujet.

Sand : un volume de Romans est en préparation (cf. plus haut).

Stevenson : un troisième tome d’Œuvres est en préparation. Le deuxième volume a paru en 2005 déjà, il serait temps que le troisième (et dernier) sorte dans les librairies.

Supervielle : une édition des Œuvres en 2 volumes avait été initialement prévue, la poésie est sortie en 1996, le reste doit être abandonné.

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III. Les volumes « épuisés »

Ces volumes ne sont plus disponibles sur le marché du livre neuf. Gallimard ne compte pas les réimprimer. Cette politique est assortie de quelques exceptions, imprévisibles, comme les Cahiers de Paul Valéry, « épuisés » en 2008 et pourtant réimprimés quelques années plus tard. Cet épuisement peut préluder une nouvelle édition (Casanova par exemple), mais généralement signe la sortie définitive du catalogue. Les « épuisés » sont presque tous trouvables sur le marché de l’occasion, à des prix parfois prohibitifs (je donne pour chaque volume une petite estimation basée sur mes observations sur abebooks, amazon et, surtout, ebay, lors d’enchères, fort bon moyen de voir à quel prix s’établit « naturellement » un livre sur un marché assez dense d’amateurs de la collection ; mon échelle de prix est évidemment calquée sur celle de la collection, donc 20€ équivaut à une affaire et 50€ à un prix médian).

1/ Œuvres d’Agrippa d’Aubigné, 1969 : Gallimard a exclu explicitement la réédition. C’est le cas de beaucoup de volumes des années 1965-1975, majoritaires parmi les épuisés. Ils ont connu un retirage, ou aucun. 48€ au catalogue, peut monter à 70€ sur le marché de l’occasion.

2/ Œuvres Complètes de Nicolas Boileau, 1966 : Gallimard a exclu explicitement la réédition. Le XVIIe siècle est victime de son progressif éloignement ; cette littérature, sauf quelques grands noms, survit mal ; et certains auteurs ne sont plus jugés par la direction de la collection comme suffisamment « vivants » pour être édités. C’est le cas de Boileau. 43€ au catalogue, il est rare qu’il dépasse ce prix sur le second marché.

3/ Œuvres Complètes d’André Chénier, 1940 : Gallimard a exclu explicitement la réédition. Étrangement, il était envisagé, en 1989 encore (source : le catalogue de cette année-là), de proposer au public une nouvelle édition de ce volume. Chénier a-t-il été victime de l’insuccès du volume Orateurs de la Révolution française ? L’œuvre, elle-même, paraît bien oubliée désormais. 40€ au catalogue, trouvable à des tarifs très variables (de 30 à 80).

4/ Œuvres de Benjamin Constant, 1957 : Gallimard a exclu explicitement la réédition. À titre personnel, je suis un peu surpris de l’insuccès de Constant. 48€ au catalogue, assez peu fréquent sur le marché de l’occasion, peut coûter cher (80/100€)

5/ Conteurs français du XVIe siècle, 1965 : pas d’information de la part de l’éditeur. L’orthographe des volumes médiévaux ou renaissants de la Pléiade (et même ceux du XVIIe) antérieurs aux années 80 n’était pas modernisée. C’est un volume dans un français rocailleux, donc. 47€ au catalogue, assez aisé à trouver pour la moitié de ce prix (et en bon état). Peu recherché.

6/ Œuvres Complètes de Paul-Louis Courier, 1940 : pas d’information de la part de l’éditeur. Courier est un peu oublié de nos jours. 40€ au catalogue, trouvable pour un prix équivalent en occasion (peut être un peu plus cher néanmoins).

7/ Œuvres Complètes de Tristan Corbière et de Charles Cros, 1970 : pas d’information de la part de l’éditeur. C’était l’époque où la Pléiade proposait, pour les œuvres un peu légères en volume, des regroupements plus ou moins justifiés. Les deux poètes ont leurs amateurs, mais pas en nombre suffisant visiblement. Néanmoins, le volume est plutôt recherché. Pas de prix au catalogue, difficilement trouvable en dessous de 80€/100€.

8/ Œuvres de Nicolas Leskov et de M.E. Saltykov-Chtchédrine, 1967 : Gallimard a exclu explicitement la réédition. Encore un regroupement d’auteurs. Le champ russe est très bien couvert à la Pléiade, mais ces deux auteurs, malgré leurs qualités, n’ont pas eu beaucoup de succès. 47€ au catalogue, coûteux en occasion (quasiment impossible sous 60/80€, parfois proposé au-dessus de 100)

9/ Œuvres de François de Malherbe, 1971 : Gallimard a exclu explicitement la réédition. Et pour cause. C’est le « gadin » historique de la collection, l’exemple qu’utilise toujours Hugues Pradier, son directeur, quand il veut illustrer d’un épuisé ses remarques sur les méventes de certain volume. 39€ au catalogue, je l’ai trouvé neuf dans une librairie il y a six ans, et je crois bien que c’était un des tout derniers de France. Peu fréquent sur le marché de l’occasion, mais généralement à un prix accessible (30/50€).

10/ Maumort de Roger Martin du Gard, 1983 : aucune information de Gallimard. Le volume le plus récemment édité parmi les épuisés. Honnêtement, je ne sais s’il relève de cette catégorie par insuccès commercial (la gloire de son auteur a passé) ou en raison de problèmes littéraires lors de l’établissement d’un texte inachevé et publié à titre posthume. 43€ au catalogue, compter une cinquantaine d’euros d’occasion, peu rare.

11/ Commentaires de Blaise de Monluc, 1964 : aucune information de Gallimard. Comme pour les Conteurs français, l’orthographe est d’époque. Le chroniqueur historique des guerres de religion n’a pas eu grand succès. Pas de prix au catalogue, assez rare d’occasion, peut coûter fort cher (60/100).

12/ Histoire de Polybe, 1970 : Gallimard informe ses lecteurs qu’il est désormais publié en « Quarto », l’autre grande collection de l’éditeur. Pas de prix au catalogue. Étrange volume qui n’a pas eu de succès mais qui s’arrache à des prix prohibitifs sur le marché de l’occasion (difficile à trouver à moins de 100€).

13/ Poètes et romanciers du Moyen Âge, 1952 : exclu d’une réédition en l’état. C’est exclusivement de l’ancien français (comme Historiens et Chroniqueurs ou Jeux et Sapience), quand tous les autres volumes médiévaux proposent une édition bilingue. Une partie des textes a été repris dans d’autres volumes ou dans l’Anthologie de la poésie française I. 42€ au catalogue, trouvable sans difficulté pour une vingtaine d’euros sur le marché de l’occasion.

14/ Romanciers du XVIIe siècle, 1958 : exclu d’une réédition. Orthographe non modernisée. Un des quatre romans (La Princesse de Clèves) figure dans l’édition récente consacrée à Mme de Lafayette. Sans prix au catalogue, très fréquent en occasion, à des prix accessibles (20/30€).

15/ et 16/ Romancier du XVIIIe siècle I et II, 1960 et 1965. Gallimard n’en dit rien, ce sont pourtant deux volumes regroupant des romans fort connus (dont Manon LescautPaul et VirginieLe Diable amoureux). Subissent le sort d’à peu près tous les volumes collectifs de cette époque : peu de notes, peu de glose, à refaire… et jamais refaits. 49,5€ et 50,5€. Trouvables à des prix similaires, sans trop de difficulté, en occasion.

17/, 18/ et 19/ Œuvres I et II, Port-Royal I, de Sainte-Beuve, 1950, 1951 et 1953. Gallimard ne prévoit aucune réimpression du premier volume de Port-Royal mais ne dit pas explicitement qu’il ne le réimprimera jamais. Les chances sont faibles, néanmoins. Son épuisement ne doit pas aider à la vente des volumes II et III. Le destin de Sainte-Beuve semble du reste de sortir de la collection. Les trois volumes sont sans prix au catalogue. Les Œuvres sont trouvables à des prix honorables, Port-Royal I, c’est plus compliqué (parfois il se négocie à une vingtaine d’euros, parfois beaucoup plus). L’auteur ne bénéficie plus d’une grande cote.

20/, 21/ et 22/ Correspondance III et III, de Stendhal, 1963, 1967 et 1969. Cas unique, l’édition est rayée du catalogue papier (et pas seulement marquée comme épuisée), pour des raisons de moi inconnues (droits ? complétude ? qualité de l’édition ? Elle fut pourtant confiée au grand stendhalien Del Litto). Cette Correspondance, fort estimée (par Léautaud par exemple) est difficile à trouver sur le marché de l’occasion, surtout le deuxième tome. Les prix sont à l’avenant, normaux pour le premier (30/40), parfois excessifs pour les deux autres (le 2e peut monter jusque 100). Les volumes sont assez fins.

23/ et 24/ Théâtre du XVIIIe siècle, I et II, 1973 et 1974. Longtemps marqués « indisponibles provisoirement », ces deux tomes sont récemment passés « épuisés ». Ce sont deux volumes riches, dont Gallimard convient qu’il faudrait refaire les éditions. Mais le contexte économique difficile et l’insuccès chronique des volumes théâtraux (les trois tomes du Théâtre du XVIIe sont toujours à leur premier tirage, trente ans après leur publication) rendent cette perspective très incertaine. 47€ au catalogue, très difficiles à trouver sur le marché de l’occasion (leur prix s’envole parfois au-delà des 100€, ce qui est insensé).

Cas à part : Œuvres complètes  de Lautréamont et de Germain Nouveau. Lautréamont n’est pas sorti de la Pléiade, mais à l’occasion de la réédition de ses œuvres voici quelques années, fut expulsé du nouveau tome le corpus des écrits de Germain Nouveau, qui occupait d’ailleurs une majeure partie du volume collectif à eux consacrés. Le volume est sans prix au catalogue. Il est relativement difficile à trouver et peut coûter assez cher (80€).

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 IV. Les rééditions

Lorsque l’on achète un volume de la Pléiade, il peut s’agir d’une première édition et d’un premier tirage, d’une première édition et d’un ixième tirage ou encore d’une deuxième (ou, cas rare, d’une troisième, exceptionnel, d’une quatrième) édition. Cela signifie qu’un premier livre avait été publié voici quelques décennies, sous une forme moins « universitaire » et que Gallimard a jugé bon de le revoir, avec des spécialistes contemporains, ou de refaire les traductions. En clair, il faut bien regarder avant d’acheter les volumes de ces auteurs de quand date non l’impression mais le copyright.

Il arrive également que Gallimard profite de retirages pour réviser les volumes. Ces révisions, sur lesquelles la maison d’édition ne communique pas, modifient parfois le nombre de pages des volumes : des coquilles sont corrigées, des textes sont revus, des notices complétées, le tout de façon discrète. Ces modifications sont très difficiles à tracer, sauf à comparer les catalogues ou à feuilleter les derniers tirages de chaque Pléiade (un des commentateurs, plus bas, s’est livré à l’exercice – cf. l’exhaustif commentaire de « Pléiadophile », publié le 12 avril 2015)

La plupart des éditions « dépassées » sont en principe épuisées.

a) Rééditions à venir entièrement (aucun volume de la nouvelle édition n’a paru)

Parmi les rééditions à venir, ont été évoqués, de manière très probable :

Kafka, par Jean-Pierre Lefebvre (je ne sais si ce projet concerne la totalité des quatre volumes ou seulement une partie).

Michelet, dont l’édition date de l’avant-guerre ; certes quelques révisions de détail ont dû intervenir à chaque réimpression, mais enfin, l’essentiel des notes et notices a vieilli.

Descartes (l’édition en un volume date de 1937) en deux volumes.

Apollinaire, pour la poésie seulement (la prose est récente).

Jeux et sapience du Moyen Âge, édition de théâtre médiéval en ancien français, réputée « indisponible provisoirement ». La nouvelle édition est en préparation (cf. plus haut). Cette édition, en deux volumes serait logique et se situerait dans la droite ligne des éditions bilingues et médiévales parues depuis 20 ans (RenartTristan et Yseut, le Graal, Villon).

De manière possible

Verlaine, on m’en a parlé, mais je ne parviens pas à retrouver ma source. L’édition est ancienne.

Chateaubriand, au moins pour les Mémoires d’Outre-Tombe mais l’hypothèse a pris du plomb dans l’aile avec la reparution, en avril 2015, d’un retirage en coffret de la première (et seule à ce jour) édition.

Montherlant, pour les Essais… c’est une hypothèse qui perd d’année en année sa crédibilité puisque le tome II n’est plus annoncé dans le catalogue. Néanmoins, un retirage du tome actuel a été réalisé l’an dernier, ce qui signifie que Gallimard continue de soutenir la série Montherlant… Plus improbable que probable cependant.

b) Rééditions inachevées ou en cours (un ou plusieurs volumes de la nouvelle édition ont paru)

Balzac : 1/ La Comédie humaine, I à XI, de 1935 à 1960 ; 2/ La Comédie humaine, I à XII, de 1976 à 1981 + Œuvres diverses I, en 1990 et II, en 1996 + Correspondance I, en 2006 et II, en 2011. Le volume III de la Correspondance est attendu avec optimisme pour les prochaines années. Pour le volume III des Œuvres diverses en revanche, l’édition traîne depuis des années et le décès du maître d’œuvre, Roland Chollet, à l’automne 2014, n’encourage pas à l’optimisme.

Claudel : 1/ Théâtre I et II (1948) + Œuvre poétique (1957) + Œuvres en prose (1965) + Journal I (1968) et II (1969) ; 2/ Théâtre I et II (2011). Cette nouvelle édition du Théâtre pourrait préfigurer la réédition des volumes de poésie et de prose (et, sans conviction, du Journal ?), mais Gallimard n’a pas donné d’information à ce sujet.

Flaubert : 1/ Œuvres complètes, I et II, en 1936 ; 2/ Correspondance I (1973), II (1980), III (1991), IV (1998) et V (2007) + Œuvres complètesI (2001), II et III (2013). Les tomes IV et V sont attendus pour bientôt (les textes auraient été rendus pour relecture selon une de nos sources). En attendant le tome II de la vieille édition est toujours disponible.

La Fontaine : 1/ Œuvres complètes I, en 1933 et II, en 1943 ; 2/ Œuvres complètes I, en 1991. Comme pour Racine, le deuxième tome est encore celui de la première édition. Il est assez courant. Après 25 ans d’attente, et connaissant les mauvaises ventes des grands du XVIIe (Corneille par exemple), la deuxième édition du deuxième tome est devenue peu probable.

Marivaux : 1/ Romans, en 1949 + Théâtre complet, en 1950 ; 2/ Œuvres de jeunesse, en 1972 + Théâtre complet, en 1993 et 1994. En principe, les Romans étant indisponibles depuis des années, une nouvelle édition devrait arriver un jour. Mais là encore, comme pour La Fontaine, Vigny ou le dernier tome des Œuvres diverses de Balzac, cela fait plus de 20 ans qu’on attend… Rien ne filtre au sujet de cette réédition.

Musset : 1/ Poésie complète, en 1933 + Théâtre complet, en 1934 + Œuvres complètes en prose, en 1938 ; 2/ Théâtre complet, en 1990. La réédition prévue de Musset en trois tomes, et annoncée explicitement par Gallimard dans son catalogue 1989, semble donc mal partie. Le volume de prose est « indisponible provisoirement » et la poésie est toujours dans l’édition Allem, vieille de 80 ans. Là encore, comme pour La Fontaine et Racine, il est permis d’être pessimiste.

Racine : 1/ Œuvres complètes I, en 1931 et II, en 1952 ; 2/ Œuvres complètes I, en 1999. Le deuxième tome est donc encore celui de la première édition. Il est très rare de le trouver neuf dans le commerce. Le délai entre les deux tomes est long, mais il l’avait déjà été dans les années 30-50. On peut néanmoins se demander s’il paraîtra un jour.

Shakespeare : 1/ Théâtre complet, en 1938 (2668 pages ; j’ai longtemps pensé qu’il s’agissait d’un seul volume, mais il s’agirait plus certainement de deux volumes, les 50e et 51e de la collection ; le mince volume de Poèmes aurait d’ailleurs peut-être relevé de cette édition là, mais avec une vingtaine d’années de retard ; les poèmes auraient par la suite été intégrés par la nouvelle édition de 1959 dans un des deux volumes ; ne possédant aucun des volumes concernés, je remercie par avance mes aimables lecteurs (et les moins aimables aussi) de bien vouloir me communiquer leurs éventuelles informations complémentaires) ; 2/ Œuvres complètes, I et II, Poèmes (III) (?) en 1959 ; 3/ Œuvres complètes I et II (Tragédies) en 2002 + III et IV (Histoires) en 2008 + V (Comédies) en 2013. Les tomes VI (Comédies) et VII (Comédies) sont en préparation, pour une parution en 2016. Le tome VIII (Poésies) paraîtra ultérieurement.

Vigny : 1/ Œuvres complètes I et II, en 1948 ; 2/ Œuvres complètes I (1986) et II (1993). Le tome III est attendu depuis plus de 20 ans, ce qui est mauvais signe. Gallimard n’en dit rien, Vigny ne doit plus guère se vendre. Je suis pessimiste à l’égard de ce volume.

c) Rééditions achevées

Quatre éditions :

Choderlos de Laclos : 1/ Les Liaisons dangereuses, en 1932 ; 2/ Œuvres complètes en 1944 ; 3/ Œuvres complètes en 1979 ; 4/ Les Liaisons dangereuses, en 2011. Pour le moment, les éditions 3 et 4 sont toujours disponibles.

Trois éditions :

Baudelaire : 1/ Œuvres complètesI et II, en 1931 et 1932 ; 2/ Œuvres complètesen 1951 ; 3/ Correspondance I et II en 1973 + Œuvres complètesI et II, en 1975 et 1976.

Camus : 1/ Théâtre – Récits – Nouvelles, en 1962 + Essais, en 1965 ; 2/ Théâtre – Récits et Nouvelles -Essais, en 1980 ; 3/ Œuvres complètesI et II, en 2006, III et IV, en 2008.

Molière : 1/ Œuvres complètesI et II, en 1932 ; 2/ Œuvres complètesI et II, en 1972 ; 3/ Œuvres complètesI et II, en 2010. L’édition 2 est encore facilement trouvable et la confusion est tout à fait possible avec la 3.

Montaigne : 1/ Essais, en 1934 ; 2/ Œuvres complètes, en 1963 ; 3/ Essais, en 2007.

Rimbaud : 1/ Œuvres complètes, en 1946 ; 2/ Œuvres complètes, en 1972 ; 3/ Œuvres complètes, en 2009.

Stendhal : 1/ Romans, I, II et III, en 1932, 1933 et 1934 ; 2/ Romans et Nouvelles, I et II en 1947 et 1948 + Œuvres Intimes en 1955 + Correspondance en 1963, 1967 et 1969 ; 3/ Voyages en Italie en 1973 et Voyages en France en 1992 + Œuvres Intimes I et II, en 1981 et 1982 + Œuvres romanesques complètes en 2005, 2007 et 2014. Soit 16 tomes différents, mais seulement 7 dans l’édition considérée comme à jour.

Deux éditions :

Beaumarchais : 1/ Théâtre complet, en 1934 ; 2/ Œuvres, en 1988.

Casanova : 1/ Mémoires, I-III (1958-60) ; 2/ Histoire de ma vie, I-III (2013-15).

Céline : 1/ Voyage au bout de la nuit – Mort à crédit (1962) ; 2/ Romans, I (1981), II (1974), III (1988), IV (1993) + Lettres (2009).

Cervantès : 1/ Don Quichotte, en 1934 ; 2/ Œuvres romanesques complètesI (Don Quichotte) et II (Nouvelles exemplaires), 2002.

Corneille : 1/ Œuvres complètes, I et II, en 1934 ; 2/ Œuvres complètes, I (1980), II (1984) et III (1987).

Diderot : 1/ Œuvres, en 1946 ; 2/ Contes et romans, en 2004 et Œuvres philosophiques, en 2010.

Gide : 1/ Journal I (1939) et II (1954) + Anthologie de la Poésie française (1949) + Romans (1958) ; 2/ Journal I (1996) et II (1997) + Essais critiques (1999) + Souvenirs et voyages (2001) + Romans et récits I et II (2009). L’Anthologie est toujours éditée et disponible.

Goethe : 1/ Théâtre complet (1942) + Romans (1954) ; 2/ Théâtre complet (1988). Je n’ai jamais entendu parler d’une nouvelle édition des Romans ni d’une édition de la Poésie, ce qui demeure une véritable lacune – que ne comble pas l’Anthologie bilingue de la poésie allemande.

Mallarmé : 1/ Œuvres complètes, en 1945 ; 2/ Œuvres complètes I (1998) et II (2003).

Malraux : 1/ Romans, en 1947 + Le Miroir des Limbes, en  1976 ; 2/ Œuvres complètes I-VI (1989-2010).

Mérimée : 1/ Romans et nouvelles, en 1934 ; 2/ Théâtre de Clara Gazul – Romans et nouvelles, en 1979.

Nerval : 1/ Œuvres, I et II, en 1952 et 1956 ; 2/ Œuvres complètes I (1989), II (1984) et III (1993).

Pascal :  1/ Œuvres complètes, en 1936 ; 2/ Œuvres complètes I (1998) et II (2000).

Péguy : 1/ Œuvres poétiques (1941) + Œuvres en prose I (1957) et II (1959) ; 2/ Œuvres en prose complètes I (1987), II (1988) et III (1992) + Œuvres poétiques dramatiques, en 2014.

Proust : 1/ À la Recherche du temps perdu, I-III, en 1954 ; 2/ Jean Santeuil (1971) + Contre Sainte-Beuve (1974) + À la Recherche du temps perdu, I-IV (1987-89).

Rabelais : 1/ Œuvres complètes, en 1934 ; 2/ Œuvres complètes, en 1994.

Retz : 1/ Mémoires, en 1939 ; 2/ Œuvres (1984).

Ronsard : 1/ Œuvres complètes I et II, en 1938 ; 2/ Œuvres complètes I (1993) et II (1994).

Rousseau : 1/ Confessions, en 1933 ; 2/ Œuvres complètes I-V (1959-1969).

Mme de Sévigné : 1/ Lettres I-III (1953-57) ; 2/ Correspondance I-III (1973-78).

Saint-Exupéry : 1/ Œuvres, en 1953 ; 2/ Œuvres complètes I (1994) et II (1999).

Saint-Simon : 1/ Mémoires, I à VII (1947-61) ; 2/ Mémoires, I à VIII (1983-88) + Traités politiques (1996).

Voltaire : 1/ Romans et contes, en 1932 + Correspondance I et II en 1964 et 1965 ; 2/ le reste, c’est à dire, les Œuvres historiques (1958), les Mélanges (1961), les deux premiers tomes de la Correspondance (1978) et les onze tomes suivants (1978-1993) et la nouvelle édition des Romans et contes (1979).

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V. Les volumes « indisponibles provisoirement »

Un volume ne s’épuise pas tout de suite. Il faut du temps, variable, pour que le stock de l’éditeur soit complètement à zéro. Gallimard peut alors prendre trois décisions : réimprimer, plus ou moins rapidement ; ou alors renoncer à une réimpression et lancer sur le marché une nouvelle édition (qu’il préparait déjà) ; ou enfin, ni réimprimer ni rééditer. Je vais donc ici faire une liste rapide des volumes actuellement indisponibles et de leurs perspectives (réalistes) de réimpression. Je n’ai pas d’informations exclusives, donc ces « informations » sont à prendre avec précaution. Elles tiennent à mon expérience du catalogue.

-> Boulgakov, Œuvres I, La Garde Blanche. 1997. C’est un volume récent, qui n’est épuisé que depuis peu de temps, il y a de bonnes chances qu’il soit réimprimé d’ici deux ou trois ans (comme l’avait été le volume Pasternak récemment).

-> Cao Xueqin, Le Rêve dans le Pavillon Rouge I et II, 1981. Les deux volumes ont fait l’objet d’un retirage en 2009 pour une nouvelle parution en coffret. Il n’y a pas de raison d’être pessimiste alors que celle-ci est déjà fort difficile à trouver dans les librairies. À nouveau disponible (en coffret).

-> Defoe, Romans, II (avec Moll Flanders). Le premier tome a été retiré voici quelques années, celui-ci, en revanche, manque depuis déjà pas mal de temps. Ce n’est pas rassurant quand ça se prolonge… mais le premier tome continue de se vendre, donc les probabilités de retirage ne sont pas trop mauvaises.

-> Charles Dickens, Dombey et Fils – Temps Difficiles Le Magasin d’Antiquités – Barnabé Rudge ; Nicolas Nickleby – Livres de Noël ; La Petite Dorrit – Un Conte de deux villes. Quatre des neuf volumes de Dickens sont « indisponibles », et ce depuis de très longues années. Les perspectives commerciales de cette édition en innombrables volumes ne sont pas bonnes. Les volumes se négocient très cher sur le marché de l’occasion. Gallimard n’a pas renoncé explicitement à un retirage, mais il devient d’année en année plus improbable.

-> Fielding, Romans. Principalement consacré à Tom Jones, ce volume est indisponible depuis plusieurs années, les perspectives de réimpression sont assez mauvaises. À moins qu’une nouvelle édition soit en préparation, le volume pourrait bien passer parmi les épuisés.

-> Green, Œuvres complètes IV. Quinze ans après la mort de Green, il ne reste déjà plus grand chose de son œuvre. Les huit tomes d’une série même pas achevée ne seront peut-être jamais retirés une fois épuisés. Le 4e tome est le premier à passer en « indisponible ». Il pourrait bien ne pas être le dernier et bientôt glisser parmi les officiellement « épuisés ».

 -> Hugo, Théâtre complet II. À nouveau disponible.

-> Jeux et Sapience du Moyen Âge. Cas évoqué plus haut de nouvelle édition en attente. Selon toute probabilité, il n’y aura pas de réédition du volume actuel.

-> Marivaux, Romans. Situation évoquée plus haut, faibles probabilité de réédition en l’état, lenteur de la nouvelle édition.

-> Mauriac, Œuvres romanesques et théâtrales complètes, IV. Même si Mauriac n’a plus l’aura d’antan comme créateur (on le préfère désormais comme chroniqueur de son époque, comme moraliste, etc.), ce volume devrait réapparaître d’ici quelques temps.

-> Musset, Œuvres en prose. Évoqué plus haut. Nouvelle édition en attente depuis 25 ans.

-> Racine, Œuvres complètes II. En probable attente de la nouvelle édition. Voir plus haut.

-> Vallès, ŒuvresI. La réputation de Vallès a certes un peu baissé, mais ce volume, comprenant sa célèbre trilogie autobiographique, ne devrait pas être indisponible depuis si longtemps. Réédition possible tout de même.

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VI. Les volumes « en voie d’indisponibilité »

Ce n’est là qu’une courte liste, tirée de mes observations et de la consultation du site « placedeslibraires.com », qui donne un aperçu des stocks de centaines de librairies indépendantes françaises. On y voit très bien quels volumes sont fréquents, quels volumes sont rares. Cela ne préjuge en rien des stocks de l’éditeur. Néanmoins, je pense que les tendances que ma méthode dégage sont raisonnablement fiables. Si vous êtes intéressé par un de ces volumes, vous ne devriez pas hésiter trop longtemps.

– le Port-Royal, II et III, de Sainte-Beuve. Comme les trois autres tomes de l’auteur sont épuisés, il est fort improbable que ces deux-là, retirés pour la dernière fois dans les années 80, ne s’épuisent pas eux aussi. Ils sont tous deux assez rares (-10 librairies indépendantes).

– la Correspondance (entière) de Voltaire. Les 13 tomes, de l’aveu du directeur de la Pléiade, ne forment plus un ensemble que le public souhaite acquérir (pour des raisons compréhensibles d’ailleurs). Le fait est qu’on les croise assez peu souvent : le I est encore assez fréquent, les II, III et XIII (celui-ci car dernier paru) sont trouvables dans 5 à 10 librairies du réseau indépendant, les volumes IV à XII en revanche ne se trouvent plus que dans quelques librairies. Je ne sais pas ce qu’il reste en stock à l’éditeur, mais l’indisponibilité devrait arriver d’ici un an ou deux pour certains volumes.

– les Œuvres de Julien Green. Je les ai évoquées plus haut, à propos de l’indisponibilité du volume IV. Les volumes V, VI, VII et VIII, qui arrivent progressivement en fin de premier tirage devraient suivre. La situation des trois premiers tomes est un peu moins critique, des retirages ayant dû avoir lieu dans les années 90.

– les Œuvres de Malebranche. Dans un entretien, Hugues Pradier a paru ne plus leur accorder grand crédit. Mais je me suis demandé s’il n’avait pas commis de lapsus en pensant à son fameux Malherbe, symbole permanent de l’échec commercial à la Pléiade. Toujours est-il que les deux tomes se raréfient.

– les Œuvres de Gobineau. Si c’est un premier tirage, il est lent à s’épuiser, mais cela vient. Les trois tomes sont moins fréquents qu’avant.

– les Orateurs de la Révolution Française. Série avortée au premier tome, arrêtée par la mort de François Furet avant l’entrée en lice de Robespierre et de Saint-Just. Elle n’aura jamais de suite. Et il est peu probable, compte tenu de son insuccès, qu’elle reste longtemps encore au catalogue.

– le Théâtre du XVIIe siècle, jamais retiré (comme Corneille), malgré trente ans d’exploitation. D’ici dix ans, je crains qu’il ne soit dans la même position que son « homologue » du XVIIIe, épuisé.

– pèle-mêle, je citerais ensuite le Journal de Claudel, les tomes consacrés à France, Marx, Giraudoux, Kipling, Saint François de Sales, Daudet, Fromentin, Rétif de la Bretonne, Vallès, Brantôme ou Dickens (sauf David Copperfield et Oliver Twist). Pour eux, les probabilités d’épuisement à moyen terme sont néanmoins faibles.

13 763 réflexions sur “La Bibliothèque de la Pléiade

  1. Prenons l’exemple des auteurs antiques.
    Il ne viendrait à l’idée de personne de mettre sur le même plan Velleius Paterculus et Tacite, ni de faire de Triphiodore l’égal d’Homère. Les princes des Lettres servent le Beau pour l’éternité, les autres sont seulement utiles à l’histoire de la pensée, ce qui n’est pas rien.
    Polybe, dont on a pu dire qu’il était lisible dans toutes les langues sauf la sienne, est indispensable à la connaissance du monde hellénistique. Mais littérairement parlant, il n’arrive pas à la cheville de Thucydide.
    Quand je lis Orwell, j’ai beaucoup de sympathie pour l’homme et tire toujours quelque profit de ses œuvres.
    Mais le pléiadiser, c’est lui tailler un costume trop grand pour lui.
    On pourrait d’ailleurs en dire autant de London ou de Kessel.
    Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas les lire, seulement respecter les hiérarchies.
    Il y a les auteurs qui divertissent, ceux qui instruisent, ceux enfin qui atteignent l’Absolu.

    • Je contresigne « Un Strasbourgeois » (je n’en attendais pas moins d’un habitant de cette ville où mon fils vit depuis quinze ans et qu’il ne veut pas quitter). Cela me semble pertinent et équilibré.

    • Le problème est cependant qu’on peut ergoter ad infinitum sur les mérites de tel ou tel écrivain. Quelle méthode permet infailliblement de déterminer la hiérarchie dont vous parler ? Il n’y a pas de méthode parfaite, seulement une discussion nécessitant des critères partagés et des argumentations antagonistes. Je ne suis pas de ceux qui pensent que les poèmes de l’amateur du coin valent ceux de Nezahualcoyotl, mais on ne peut que reconnaître que « style » et « canon » sont des notions hautement problématiques.

      Je recommande à ce sujet la lecture du « Démon de la théorie » d’Antoine Compagnon qui traite de ces questions de façon plaisante et stimulante.

      Il est certain par ailleurs que j’aurais préféré Mishima qu’Orwell en Pléiade, mais la collection n’a plus pour vocation principale de fournir des éditions de référence des piliers de la littérature mondiale. Surtout qu’Orwell était déjà bien servi ailleurs (éd. Agone notamment). C’est un auteur dans l’air du temps et qui est invoqué à tout instant, quels que soient par ailleurs ses mérites.

      • S’obnubiler sur un « classement » hiérarchique et maniaque ou bien refuser toute distinction entre les grands créateurs et les estimables suiveurs, sont deux attitudes opposées que je récuse (presque) également. Avec un refus plus prononcé pour l’attitude qui consiste à refuser toute hiérarchie, à croire que tout est « dans le goût et les couleurs », que tout se vaut, etc. Attitude qui conduit rapidement à une médiocrisation générale.

        La question n’est pas de disputer sur la place de tel ou tel dans une hiérarchie rigide. Il paraît vain de savoir si tel auteur doit occuper la centième place ou la trois millième, sur une échelle qui ne serait que le symptôme d’une redoutable maniaquerie.
        Par contre, les amateurs s’entendent généralement pour distinguer les génies les plus élevés et le reste de la troupe. Quand bien même cela ne correspondrait pas à ses goûts personnels. Il y a des géants incontestés de la littérature auxquels je ne suis pas très sensibles, et des « petits maîtres » que je goûte au plus haut point, pour telle ou telle raison, circonstance, goût particulier… Mais il ne me vient pas à l’idée de placer ces petits maîtres au-dessus des très grands, ceux qui dominent la discipline.
        Soyons sérieux, rares sont les personnes qui mettent London au-dessus de Victor Hugo, même si la lecture de London les réjouit et celle de Hugo les accable.

        Plus essentiel, et il ne s’agit pas là de hiérarchie, la question de savoir ce qui est ou non littérature, qui est ou non un écrivain. Énumérer des critères ne servirait pas à grand chose et ne remplacerait pas la sensibilité, l’intelligence et l’expérience. Ceux qui pratiquent sérieusement de depuis longtemps la lecture et l’écriture, « savent » si un livre appartient à la littérature, si un auteur est un véritable écrivain (ne me chipotez pas sur les termes « littérature » ou « écrivain » au risque d’entrer dans des querelles byzantines). J’ai assez vécu dans les milieux littéraires pour savoir que nous « reconnaissons les nôtres » et qu’il suffit de quelques pages pour cela, et nos désaccords sur la qualité d’écrivain d’un auteur ne devaient pas dépasser un pour mille, même lorsque nous avions des disputes féroces sur d’autres points.

        En tous cas, je refuse absolument, l’interdiction de peser, critiquer, juger. C’est la mort de la pensée. Et… la disparition de l’Art et de la Littérature.

  2. Pour les « grands » auteurs, il y a un consensus à peu près général quand il s’agit d’écrivains célébrés de leur vivant et par la postérité. Pour ceux qui n’ont pas été reconnus à leur juste valeur par leurs contemporains (Stendhal, par exemple), leur succès posthume sanctionne leur place dans la hiérarchie dont je parlais.
    Par contre, les auteurs récents , disons d’après-guerre, sont beaucoup plus difficiles à classer. Engouement passager ou gloire durable? Le XXIIe siècle tranchera.
    Le meilleur moyen d’échapper à la subjectivité selon moi est de l’utiliser comme arme à double tranchant : est un auteur majeur celui qu’on se sent obligé de lire… même quand on ne l’aime pas !

    • Globalement vrai et juste. J’aurais dû moi-même songer, dans mon intervention, à ce critère de « nécessité » qui s’attache à certains auteurs, quand bien même leur lecture nous est pénible. Mais, pour cela, encore faut-il prendre la littérature au sérieux (ce qui est mon cas, bien sûr, puisque je la place bien au-dessus de la pensée politique et même de la philosophie).

      Avec une réserve, cependant : il arrive que la postérité soit aussi aveugle ou « injuste » que l’actualité. Des auteurs importants tombent « injustement » dans l’oubli, et plus rarement des auteurs mineurs sont portés aux nues parce que, tout à coup, ils rencontrent un événement ou une idée, une sensibilité, longtemps après leur disparition. La gloire posthume peut aussi être circonstancielle et éphémère.
      Mais, ce sont plutôt des exceptions, qui n’infirment pas la règle.

      • Je ne suis certes pas en désaccord avec ce qui a été dit. C’était bien davantage un tempérament. Je suis pour la critique, en distinguant ce qui relève d’un tropisme personnel de critères plus rationnels, mais je me suis déjà heurté concernant la discussion des œuvres d’art à des impasses sérieuses concernant les mérites de telle œuvre ou de tel artiste. Ce qui vaut en littérature doit valoir dans les autres disciplines.

        Il y a en effet des écrivains – anciens, je ne parle pas des problèmes à peu près inextricables de l’actualité -, par exemple Nezahualcoyotl, qui ne sont pas assez connus à mes yeux alors qu’il me semble bien qu’il s’agisse d’un sommet. Ou n’est-ce que mes propres tropismes à l’œuvre ? On ne peut pas penser, je crois, que les mérites sont totalement indifférents à l’époque et au lieu.

        Ce que vous avancez n’est cependant pas sans poser problème. Il faudrait déjà avoir des qualifications pour bien juger. Quelles sont-elles ? Qui les contrôlent ? Par quels critères ? Autant de problème réels, bien qu’en réalité, on puisse sans doute estimer les compétences de son interlocuteur. Cependant, un inculte ne pourrait donc pas apprécier la culture ? Comment commencer alors ? Que penser lorsqu’on apprécie une œuvre en la comprenant de travers (par rapport du moins aux interprétations reconnues). Rien n’est simple.

        Je ne parlais pas d’une hiérarchie place par place, mais de certains désaccords sérieux. La question de la légitimité par compétence est la première, et plus encore pour les temps contemporains. Les maisons d’édition savent-elles pour la plupart apprécier le talent littéraire ? Est-ce d’abord cela qu’elles recherchent (nullement, on le voit suffisamment pour nombre d’entre elles). De même pour les universitaires, n’ont-ils pas parfois tendance à l’enflure afin d’avoir matière à écrire un énième l’article sur l’artiste dont ils sont spécialistes ? Les critiques professionnels ne jouent-ils pas un rôle social ? Je me roule par terre de rire et de dégoût quand je vois nombre de critiques de cinéma descendre un film qui devient en vingt ans un jalon important de cette discipline, surtout du fait de la nullité des réponses. Il y a beaucoup de gens qui prétendent savoir juger, combien sont-ils réellement compétents ? Bien peu à ce qu’il me semble. Comment trier ? Par la discussion et la fréquentation écrite. Cela prend du temps. Ce n’est pas immédiat, ni évident.

        Ainsi, nous voilà passés de bon ou mauvais artiste à bon ou mauvais critique (amateur, professionnel, universitaire etc). Comment détache-t-on l’un de l’autre ? Quels sont les critères, en dehors des grands maîtres ? Comment distinguer avec finesse et certitude ce qui est subjectif et ce qui est objectif. Je ne renonce certainement pas à la critique, mais les problèmes esthétiques sont à mon sens en philosophie ceux qui peuvent susciter le plus de discussion sans pouvoir recevoir de réponses fermes. Je refuse pour ma part de croire que tout se fait de manière à peu près simple et évidente.

        Il faut déjà trier les intentions dans les discours (critiques « professionnels », marché de l’art, air du temps – et réaction d’ailleurs, idéologie donnée et reçue d’une œuvre (sur l’artiste ou l’œuvre en sus), disposition sociale etc. C’est déjà un travail infini. Ensuite, il faudrait distinguer dans ce qui reste les critères de validité d’une explication (l’écriture blanche et ses raisons par exemple, ou l’ornement de la poésie lyrique de telle époque qui nous paraît mièvre peut-être à présent). Enfin, il faudrait apprécier ces raisons (le réalisateur produit tel plan à tel moment pour telle raison, qu’en penser ? Est-ce réussit ? Aurait-il pu faire mieux, autrement ?). Autant de longues et passionnantes discutions qui n’impliquent nullement de tout niveler ou d’interdire de parler, mais qui font droit à la complexité de problèmes esthétiques redoutables. C’est ce que, du mois, j’ai voulu – trop brièvement sans doute – mettre en valeur par mon précédent message.

        Quant à la question de la postérité, le critère tend à se dégrader par de nombreux angles : la démocratie de l’opinion, l’affaissement de la culture au profit d’autres valeurs (mais n’est-ce une illusion décadentiste si courante ?), l’hypermnésie par la technique, l’hyperproduction mondiale des biens sur un marché quasi-infini, l’hypercontemporéanité relative comme biais, l’incompétence notoire de nombre de soi-disant experts… Ou peut-être n’est que la fin des illusions quant à la démocratie de l’accès à la culture.

        J’espère avoir pu brosser rapidement le tableau des problèmes que je crois sérieux en esthétique. (Toute hiérarchie absolue pose problème de toute façon.)

        • Je ne reprendrai pas paragraphe par paragraphe votre démonstration, certaines parties, concernant l’Art étant d’ailleurs nettement en-dehors de mes compétences (et peut-être étrangères à la Littérature qui a ses spécificités).

          Je voudrais seulement dire à quel point je goûte et j’approuve votre avant-dernier paragraphe sur l’évolution de la « postérité ». Tout ce qui peut être dit de juste et de pertinent sur la question me semble s’y trouver.

        • Pour ma part, et de manière très modeste, je distinguerais, dans une oeuvre à vocation artistique, deux aspects complémentaires :
          l’aspect technique d’une part, qui peut être plus ou moins objectivement évalué ;
          l’aspect « métaphysique », si j’ose abuser d’un tel terme, d’autre part. Je veux dire par là : la propriété de renvoyer l’oeuvre à quelque chose qui dépasse son simple contenu : toute création qui éveille une résonance dans mon imaginaire, qui ouvre grand les portes de la rêverie.
          Une oeuvre, dans quelque domaine que ce soit, qui répond, plus ou moins favorablement, à ces deux critères (qualité technique, invitation au rêve), est porteuse d’une valeur que je crois artistique.

    • Heureusement, nous avons à notre disposition le critère ultime : Orwell mérite-t-il d’être sur Propagerlefeu.fr, ah ah ? La réponse est oui. C’est donc un auteur, et pas n’importe lequel : Un classique.
      Mérite-t-il d’être en Pléiade ? Si d’autres qui n’écrivent pas mieux que lui et qui n’ont pas eu le même impact culturel y sont, alors la réponse est encore oui.
      DraaK fut là
      (…qui ignore pourquoi son ordinateur lui propose de signer leopardricecallisto49997)

      • Quant à votre signature étrange, c’est sûrement un coup de Big Brother.

        En ce qui concerne le « si de plus mauvais qu’Orwell figurent en Pléiade, alors c’est qu’Orwell mérite d’y être » ne serait-ce pas un syllogisme ?

        D’ailleurs, je ne connais pas en Pléiade de plus mauvais écrivains qu’Orwell (même London, même Duras, même d’Ormesson…) ! Grand par sa lucidité, son influence, inexistant comme écrivain. Je dois prendre trois cachets, et de drogue dure, pour pouvoir me farcir un de ses livres et tenir jusqu’au bout (à part le petit miracle que constitue « La Ferme des Animaux » qui dit beaucoup en peu de pages).
        C’est pour moi quasiment illisible et nettement en-deçà de ce que j’appelle de la littérature. Ne me demandez pas de le prouver point par point, nous ne sommes pas dans le domaine de la preuve juridique, mais veuillez croire que je parle d’expérience et pas du tout à la légère, ni par provocation.

        Notre désaccord profond sur la question étant constaté, j’espère que nous resterons cependant les meilleurs amis du monde. Je serais navré qu’il en fût autrement.

        • Cher Domonkos,

          Je souhaitais éviter de citer un nom, d’autant que je ne l’ai pas lu, mais puisqu’on y est : Si feu d’Ormesson écrivait mieux qu’Orwell (je vous fais confiance), je parie une plaque de chocolat que son influence culturelle sera sans commune mesure avec celle de ce dernier ; ce qui compte, quand même, quand on juge de littérature.

          Notre désaccord n’est pas si profond. Je pense simplement que la littérature dépasse le bien écrire, le style, la poésie, le travail sur la langue, la beauté des images. Sinon, jetez Lovecraft, jetez tout, pour ne garder que votre coffret Proust, Céline et deux ou trois poètes. Vous pourriez presque jeter Homère.

          Comme en peinture : vous pouvez peindre assez mal, comme Van Gogh, mais cela reste de l’art car vous ne passerez jamais devant un Van Gogh sans penser « Tiens, un Van Gogh », qui n’appartient qu’à lui et dont l’influence irradie sur le monde.

          La littérature, c’est aussi la puissance d’idées, la mise en place d’un univers propre à l’auteur (on reprend Lovecraft, finalement), ou même le scintillement de quelques fulgurances dans un tas de boue-pas-si-bien-écrit.

          Orwell, avec le seul 1984, m’a donné Big brother, le novlangue (masculin dans la traduction historique d’Aurélie Audiberti), le « dégraisser la langue jusqu’à l’os », le doublepenser. Il m’a donné un passage de ce genre :
          « Ce n’est pas le cerveau qui s’exprime, mais le larynx. Strictement parlant, ce sont bien des mots qui sortent de cette bouche, mais au lieu d’être du discours articulé, ce n’est qu’un bruit émis en toute inconscience, comme le canard cancane. »
          …auquel je pense souvent (surtout en période électorale, ah ah. J’adore le « comme le canard cancane ». J’ai ri tout haut en le lisant). Tout ce que m’a donné Orwell, c’est bien assez pour me le faire lire, relire (ce que j’ai fait l’an passé), et engager mon entourage à le lire.

          Et, oui, certains passages sont pénibles (l’an passé, je me souviens avoir jeté l’éponge sur un chapitre et être passé au suivant) ; mais cela n’ôte rien à son « indispensabilité ».

          Il y a certainement des hiérarchies à établir ; mais elles m’intéressent peu et me paraissent surtout très conventionnelles. On ne me parle que de Hugo, de Proust, etc. Mais quel éblouissement quand je lis, un peu par hasard, Ernst Jünger, Agota Kristof ou d’autres moins « courus ». Je me méfie des hiérarchies : Je passe un peu de temps en ce moment sur Nerval. De temps en temps me vient l’idée que j’emploierais mieux mon temps à creuser Baudelaire ou Rimbaud, mais en fait : Non.

          Tout ceci étant dit, je vous donne mon avis avec toute l’incertitude de celui qui a découvert la littérature sur le tard, qui possède la sensibilité d’une plaque de fonte, et qui peine encore, livre après livre, à trouver les clés de décryptage (si tout le monde sur ce site connaissait les questions bêtes que je me pose parfois et les efforts démesurés que je fais pour comprendre en quoi réside la beauté d’un texte, plus personne ne m’adresserait la parole).

          Enfin, sur les terres de Brumes, nous pouvons encore échanger sans nous écharper : J’entends votre avis, le comprends, le partage à moitié, ne le partage pas pour l’autre moitié, le soupçonne d’être partiellement celui d’un avocat-du-diable (comme le mien ; Comme votre avis sur Céline, peut-être ?). Il me fait m’interroger, et donc progresser. Je vous remercie donc (tout comme, je le signale, votre avis tranché sur Céline m’a fait acheter un livre dédié spécifiquement à l’étude de son style ; pour me faire ma propre idée ; pour vous en reparler à l’occasion, et pour le plaisir de débattre).

          Amicalement,
          DraaK fut là

  3. Ah, DraaK fut là, comme je me reconnais dans le portrait que vous faites de vous-même!
    Ayant mis dès l’adolescence l’Histoire au-dessus de tout, moi aussi je suis venu à la littérature « sur le tard ». Moi aussi, j’ai  » la sensibilité d’une plaque de fonte » ( j’adore votre expression).
    Nous peinons sur les textes, nous ne comprenons pas toujours tout mais qu’importe ! Au mois, nous aurons osé.
    Mieux vaut tard que jamais et la Littérature est comme une mère aimante: elle accueille chaleureusement ceux de ses enfants qui viennent un peu craintifs lui offrir humblement un petit bouquet de fleurs.
    C’est l’une des multiples qualités de ce merveilleux site que de rassembler en une fraternelle communion les amoureux des Lettres de toute condition.
    Vive le Beau!

    • Sur le tard, vous dites ?
      Pour ma part, j’ai 42 ans, et je regrette tous les jours que mon amour de la lecture ne surpasse mon amour des livres.
      Tant de classiques que je n’ai pas encore approchés.
      Mieux vaut tard que jamais. J’ai découvert cette année Moby Dick, dans la traduction fabuleuse d’Armel Guerne, des fulgurances dans l’écriture. Une splendeur. J’en conserverai un souvenir ému. Et pourtant, Dieu sait comme je déteste que l’on fasse du mal aux baleines.

      • Je hais la tauromachie et je révère Hemingway que j’ai commencé à lire très jeune et à qui j’ai consacré une biographie romancée.
        Je hais la torture, l’humiliation, le SM même en version édulcorée, et pourtant je suis fasciné par D.A.F. de Sade (excepté les illisibles « 120 journées de Sodome » qui n’est pas de la littérature mais une cochonnerie masturbatoire d’un homme rendu fou par l’enfermement à Vincennes ou à La Bastille, qu’il n’a jamais songé à réécrire ni à publier, et qu’on n’aurait jamais dû sortir de son tombeau), que je considère dans ses moments les plus noirs comme un romancier « Gothique ».

        Moi aussi me révulse le massacre des baleines mais « Moby Dick » fut pour moi une sorte de Bible : le premier livre que ma mère m’a acheté, j’avais 13 ans, c’était à la Maison de la Presse de ma Cité (1964), un présentoir de Livre de Poche (ancienne mouture), et, sachant que ma mère n’allait pas consacrer de l’argent (rare) à l’achat d’un livre de sitôt, j’avais pris, à l’aveugle, le plus gros du présentoir, pour me nourrir plus longtemps… À l’aveugle ? Un ange ou quelque créature magique devait s’être perché sur mon épaule et avait dû guider ma main !

        …………………………………………

        J’ai passé trois quart-d’heure chez mon libraire à consulter le volume « Essais » de Proust ; sauf si vous êtes un spécialiste et voulez avoir sous la main un ouvrage documentaire sur le sujet, n’achetez pas !
        Lecteurs innocents, amoureux de « La Recherche », n’achetez pas ce livre : 800 pages de notes, notices, notes bibliographiques, précédées de 1 200 pages de « dossiers », ébauches, articulets, appendices…

        Combien je regrette mon ancien volume de « Contre Sainte-Beuve » suivi de « Pastiches et Mélanges » ! Certes, ces deux massifs avaient été construits artificiellement après la mort de leur auteur, mais fallait-il les déconstruire et les noyer dans un océan de plancton sous-littéraire, une poussière d’articulets et d’ébauches, de notes d’intention, etc. ?

        Mes craintes étaient fondées : encore un OVNI dans la Pléiade.
        J’en demande pardon aux spécialistes qui y trouveront provende et me traiteront – à juste titre – de béotien. Je m’adresse, je le répète, au « lecteur innocent », à l’amoureux transi de « La Recherche ».
        Ceux aussi qui respectent le travail de titan d’un auteur qui a sué sang et eau – jusqu’à y laisser sa vie – sur une oeuvre pour la polir et la rendre aussi parfaite que possible : la publication sous la même prestigieuse couverture, le même sensible papier bible, des scories tombées de la plume et de l’écritoire de Marcel Proust, n’était pas nécessaire, et marque un irrespect de l’auteur, quoi que s’en défendront les éditeurs.

        • Ce volume intitulé « Essais » est un hommage au délicat écrivain mondain dénommé Marcel Proust, et c’est une insulte à l’auteur de « La Recherche du Temps Perdu ».

          Le temps que vous y perdriez, vous ne le retrouveriez jamais.

  4. L’article sur la parution de « Guerre » de Céline indique que le tome III de ses Œuvres va être refondu pour tenir compte des dernières découvertes sur les brouillons de l’auteur.
    Par ailleurs le site de la Pléiade indique la préparation d’une nouvelle édition de Baudelaire, une réflexion sur Leon Bloy, le fait que le théâtre de Brecht n’a pas abouti, Diderot est retardé car le maître d’œuvre a jeté l’éponge.

    • Bonjour à tous ! Kyat en savez-vous un peu plus sur cette nouvelle édition de Baudelaire ? n’est-ce pas simplement un nouveau coffret ? Y a-t-il eu de grandes découvertes/avancées depuis l’édition de Claude Pichois ?

  5. Dieu, le jésuitisme des responsables de la Pléiade. Les prétendus essais proustiens comportent 800 pages d’appareil scientifique, entre les prolégomènes et le bloc traditionnel des notices et des notes, ce dernier rempli de fatras, ce qui revient à accorder à tous ces faux départs prétendus romanesques un degré de micrologie dont la Recherche elle-même n’a pas bénéficié dans l’édition Tadié, toute richissime qu’elle soit; Il est plus qu’inconvenant qu’en réponse à une énième interrogation sur le devenir des Oeuvres poétiques hugoliennes, conçues sur un patron magistral d’ampleur et admirable de minutie et de science par le grand Pierre Albouy, en particulier l’édition des Contemplations et des Châtiments, Gallimard affirme froidement que « la défection ou le décès des personnes pressenties a bloqué ces volumes pendant des années. Les volumes I à III ne sont plus conformes au modèle critique de la collection, il serait donc délicat de les compléter selon le même protocole ». Le modèle critique de la Pléiade a évolué pour Hugo, dont on ne lit plus guère l’abondante production poétique comparativement à ses romans, mais il prévaut encore dans le cas des minora, voire des quisquiliae, de Proust ! L’abject double standard de boutiquiers cyniques. Le même type d’écran de fumée prévaut pour le cinquième et dernier tome de Marx, prévu autrefois mais à présent « en suspens » (sic) ; pourquoi n’avoir pas confessé que ce très vieil ensemble a avorté avec le décès de son éditeur-arrangeur, Maximilien Rubel, lequel s’était arrogé le droit de chambouler les oeuvres à son idée tout en les commentant avec une très grande individualité, si bien que personne d’autre, même épousant sa vision du marxisme, ne saurait achever son monstre philologique ? Il serait, par suite, risqué de s’en remettre aveuglément aux indications de ce courrier des lecteurs. On a du mal à croire que personne ne veut succéder à Germain et Jarry pour éditer Vigny III ni que vingt-cinq ans après le décès de Furet il ne se trouve toujours aucun spécialiste de la période révolutionnaire intéressé à continuer les si méritoires orateurs de la Révolution. Gallimard a bien sélectionné d’honorables nullités féminines non spécialistes de ces auteures pour Mme de Staël et Laclos à côté d’une excellente jeune chercheuse dans le cas de Mme de Lafayette.. Il semblerait plutôt que les contraintes corsetant du début à la fin l’édition de textes en Pléiade, dont l’impossibilité de payer un relecteur externe, découragent les bonnes volontés d’universitaires traités, sous le masque de l’affabilité, comme des sous-ordres par MM. Pradier et consorts.

  6. Voilà quelque chose de fort excitant, et de la matière pour un futur troisième volume Pérec en Pléiade, dans… cinquante ans !

    ……………………………………………….

    « Lieux ». de Georges Perec
    Ce […] livre est parti d’une idée assez monstrueuse, mais, je pense, assez exaltante.
    J’ai choisi, à Paris, douze lieux, des rues, des places, des carrefours, liés à des souvenirs, à des événements ou à des moments importants de mon existence. Chaque mois, je décris deux de ces lieux ; une première fois, sur place (dans un café ou dans la rue même) je décris « ce que je vois » de la manière la plus neutre possible, j’énumère les magasins, quelques détails d’architecture, quelques micro-événements (une voiture de pompiers qui passe, une dame qui attache son chien avant d’entrer dans une charcuterie, un déménagement, des affiches, des gens, etc.) ; une deuxième fois, n’importe où (chez moi, au café, au bureau) je décris le lieu de mémoire, j’évoque les souvenirs qui lui sont liés, les gens que j’y ai connus, etc. Chaque texte […] est, une fois terminé, enfermé dans une enveloppe que je cachette à la cire. Au bout d’un an, j’aurai décrit chacun de mes lieux deux fois, une fois sur le mode du souvenir, une fois sur place en description réelle. Je recommence ainsi pendant douze ans […].
    J’ai commencé en janvier 1969 ; j’aurai fini en décembre 1980 ! j’ouvrirai alors les 288 enveloppes cachetées […]. Je n’ai pas une idée très claire du résultat final, mais je pense qu’on y verra tout à la fois le vieillissement des lieux, le vieillissement de mon écriture, le vieillissement de mes souvenirs : le temps retrouvé se confond avec
    le temps perdu ; le temps s’accroche à ce projet, en constitue la structure et la contrainte ; le livre n’est plus restitution d’un temps passé, mais mesure du temps qui s’écoule ; le temps de l’écriture, qui était jusqu’à présent un temps pour rien, un temps mort, que l’on feignait d’ignorer ou que l’on ne restituait qu’arbitrairement (L’Emploi du temps), qui restait toujours à côté du livre (même chez Proust), deviendra ici l’axe essentiel.
    Je n’ai pas encore de titre pour ce projet ; ce pourrait être Loci Soli (ou Soli Loci) ou, plus simplement, Lieux.
    LE SEUIL
    La Librairie du XXIe siècle
    Date de parution 29/04/2022
    29.00 € TTC
    608 pages
    EAN 9782021114096

    • Mille z’excuses.
      Je respecte effectivement beaucoup plus Johnny Hallyday que Céline.
      Pour la bonne et simple raison que je suis lâche, et que les fans de Johnny sont plus susceptibles de me mettre leur poing dans la figure que les fans de Céline (sauf exception).

  7. Concernant Lobo Antunes, j’ai parlé avec Michel Chandeigne qui pense que le projet a du plomb dans l’aile et qu’il ne verra peut-être pas le jour. La raison est évidemment économique, les ventes ne seront pas mirobolantes et surtout Gallimard est conscient que certaines traductions doivent être refaites. Celle de Le cul de Judas est en effet très mauvaise (déjà le titre doit être LES culs de Judas: Os cus de Judas).

  8. La section du courrier des lecteurs sur le site de la Pléiade est quelque peu aux fraises comme on s’en rendra aisément compte : pas de projet Tristant Corbière ou Germain Nouveau selon le site alors qu’ils sont publiés par exemple (et depuis longtemps !). Pour le reste, tout est très nébuleux : « nous y réfléchissons », un projet « pourrait être envisagé », certains projets sont « suspendus », d’autres « incertains ». Concernant le vol. de « philosophie chinoise », il n’est pas fait mention que cela sera une nouvelle édition d’un tome déjà paru ; certaines réponses sont prolixes tant que d’autres sont lapidaires ; les réponses ne sont pas mises à jour dans l’ensemble. Bref, tout cela est assez brouillon.

    Cette section permet également de mesurer les tropismes des lecteurs : demander si Sollers va être publié en Pléiade…

    Enfin, je note, comme nombre d’autres ici avant moi, l’incapacité de Gallimard de terminer ses séries, numérotées ou non, avec une politique du yo-yo « sortira, sortira pas », assez peu respectueuses des lecteurs. Pour ma part, je préfère attendre qu’une série soit complète pour acheter l’ensemble plutôt que de me retrouver le bec dans l’eau.

    Tout cela me navre assez.

    • Corbière et Nouveau n’y sont plus (sauf d’occasion) puisque les volumes (partagés) à eux consacrés sont épuisés et pas près de reparaître un jour.

      • Pour posséder ledit volume, j’en ai bien conscience. Enfin, la formule me paraît par assez étrange tout de même. Le volume est paru, ce me semble être une bizarrerie que de ne pas l’indiquer là, surtout au vu d’autres réponses, par exemple celles mentionnant les volumes Quarto.

  9. Parmi les nouveautés du catalogue Pléiade, pour le 2e semestre, on annonce un volume intitulé « Histoire Auguste et autres historiens païens » regroupant des oeuvres publiées « entre 360 et 394 » et relatives à l’histoire de Rome

  10. Un volume d’historiens de l’Antiquité tardive pourrait être intéressant.
    L’Histoire Auguste existe déjà dans la collection Bouquins, traduction de Chastagnol.
    Quant à Eutrope, Aurélius Victor, le Pseudo Aurélius Victor et Orose, ils sont disponibles en Budé.
    Grouper ces auteurs peu connus du public en un seul volume permettrait de mieux les faire connaître.
    Affaire à suivre, donc.

  11. J’ai mentionné les noms qui me sont venus à l’esprit en premier.
    Peut-être ce nouveau volume pléiade comprendra-t-il aussi le De Viris Illustribus voire Ammien Marcellin?
    Mais d’après moi, c’est improbable.

    • Suivant le sommaire : Aurélius Victor, Eutrope, Festus, + « Vie et moeurs des epereurs » et « Trois poèmes contre les païens ». L’éditeur en est Stéphane Ratti

  12. J’ai essayé d’en savoir un peu plus sur le nouveau Baudelaire 2023, il s’agit bien d’une nouvelle édition remaniée, mais ils n’ont pas voulu m’en dire plus ! (ni même le directeur d’ouvrage)

  13. J’ai fait une belle acquisition en Pléiade : les Nouvelles du XVIIe siècle.
    L’ouvrage est pourtant officiellement indisponible au catalogue depuis un moment.
    Bizarre…mais je ne vais pas me plaindre !

    • Riche et excellent volume, sous la direction de Raymond Picard si mes souvenirs sont bons. Belle réussite côté notices. A constitué pour moi une enrichissante découverte.

  14. Eh non. Désolé.
    Livre acheté à Kléber, dans mon Strasbourg natal.
    En fait, j’étais parti pour m’offrir Pouchkine mais quand j’ai vu celui-ci j’ai évidemment sauté sur l’occasion.

  15. J’en ai assez d’être déçu année après année par le programme des parutions… Depuis bien longtemps je n’attends plus avec impatience la sortie d’un volume. Que ne donnerais-je pas pour avoir dans ma pléiadothèque le Journal de Léautaud, Thomas Mann, l’Homme sans qualités, le Livre de l’intranquillité, le DIt du Genji, Jean-Christophe, Thomas Bernhard etc. J’envisage d’attaquer Gallimard pour non-assistance à lecteur en détresse!

    • Priorité à Céline ! Pour 2023, les inédits, au plus vite. Le grand style bidasse se recycle si bien sur les réseaux sociaux, une source pour vocifération, la petite musique du porc qu’on égorge!
      Extraits de « Guerre »:
      « La bouille à Récumel c’était pas du bonbon. J’avais connu forcément bien des gueules de gradés que même en train de fouiner, un rat y aurait réfléchi avant de mordre dedans. »
      « J’écoutais qu’elle m’y faisait sautiller de joye l’imagination. Je me tenais plus. Tant qu’il y a du vice, y a du plaisir »
      La presse est unanime, c’est génial, un évènement, un chef-d’oeuvre de premier jet ! Gallimard aurait pu écrire sur le bandeau rouge « inédit retrouvé d’un collabo en fuite » ça se serait vendu mieux encore… (No 1 des ventes, premier tirage 80 000)

      • Si on voit les choses positivement, on peut se dire qu’avec l’argent que Céline va rapporter, Gallimard va peut-être publier des pléiades à faible tirage…

        Tant que j’y suis, je me demande si je ne devrais pas rajouter à ma plainte la nullité consternante de la collection blanche depuis des années… Rien de rien, c’est affligeant. Reste dans le groupe le Mercure de France, parfois. Et Minuit, maintenant.

        • Comment lire Céline aujourd’hui ? C’est très simple, on commence la lecture en haut de la page à gauche, on la finit en bas à droite et on passe à la page suivante et ainsi de suite jusqu’à la fin. Qu’on arrête de nous faire chier avec les avertissements, les encadrements, les mises en garde et en contexte et autres ‘trigger warnings’. Que ceux qui veulent le lire le fassent, les autres qu’ils lisent autre chose. Pour ma part, ces nouveaux textes de Céline me réjouissent et je ne compte pas bouder mon plaisir et merde aux chasseurs de collabos à quatre-vingts ans de distance !

          • Nous sommes parfaitement d’accord ! Il s’agit d’un grand « petit » livre, comme on aimerait en voir un peu plus de nos jours…
            – Cordialement, UAPI

          • Bravo ! C’est ainsi que Céline voulait être lu : par des amnésiques.
            Toute sa vie il a tenté de faire oublier ses pamphlets.
            Et pourtant, jusqu’à son dernier souffle, jusqu’à sa dernière page, le racisme, la xénophobie, la misanthropie, la bassesse de pensée, ont continué de s’exprimer dans tous ses écrits, ses lettres, ses déclarations.
            Céline, dans sa tentative d’auto-béatification – à laquelle, à la suite à quantité de thuriféraires, vous apportez votre témoignage – voulait qu’on oublie le Céline de la guerre, de la collaboration et de l’avant-guerre, mais lui ne l’oubliait jamais.

            Alors, lisez-le comme il voulait qu’on le lise, sans notes, sans commentaires, sans « avertissement », est « toute innocence » et pour le « pur plaisir » de goûter à toute la délicatesse de ses éructations, si vous voulez. Vous êtes heureusement libre de le faire. Mais ne faites pas « ch…er » ceux qui ont envie de le contextualiser (comme on le fait pour tous les auteurs du passé) et ceux qui veulent connaître les « ingrédients » qui entrent dans la composition de la potion Céline, y compris les ingrédients qui sont des poisons.

      • Aliocha, Valère, ayant rompu, à propos de Céline, plus de lances qu’il n’est raisonnable, sur ce forum et ailleurs, en bien des occasions, je vais me contenter de vous faire part de ma vive approbation pour tous vos propos, en ce qui concerne l’auteur cité plus haut, la collection de la Pléiade, et la Blanche a fortiori, qui est devenue pire que la caricature de ce qu’elle a été, d’une médiocrité qui confine à la nullité. Autrefois je me précipitais sur un volume de la Blanche, pensant avoir plus qu’une chance de tomber sur quelque chose d’intéressant, maintenant je m’en détourne en me bouchant le nez. Tant pis pour les deux ou trois auteurs qui – peut-être ? – sont estimables et que je ne lirai pas sous cette couverture infamante.

  16. Veuillez croire que cela m’est très pénible de revenir encore et encore ! sur le cas Céline. Et que je n’ai pas l’intention d’entamer une nouvelle polémique, seulement de préciser le fond de ma pensée et n’y pas revenir de sitôt, bien conscient que ce serait en pure perte (et fracas !).

    Deux choses rendent la discussion entre gens civilisés quasiment impossible, l’une tient à Céline lui-même, l’autre aux lecteurs-adulateurs de Céline.

    Commençons par eux. Car il n’y a pas de lecteurs modérés de Céline. On déteste ou on adore. Pas de milieu. Du moins, je n’en connais pas (et j’ai parmi des amis proches quelques adulateurs). On ne semble pas parler d’un écrivain, de ses mérites et démérites, comme on parlerait de Flaubert ou de Julien Gracq, mais d’une rock star. À peine a-t-on prononcé ce nom que des voix s’élèvent pour crier au Génie suprême et pour défendre l’Idole contre toute attaque ou toute critique. Pour ma part, ce seul fait me paraît suspect. On ne parle pas ainsi d’un écrivain, d’une oeuvre, de la littérature.

    Le second point tient à la personnalité de Céline. Qu’on soit pour la séparation de l’oeuvre et de l’auteur, contre toute contamination de la biographie de l’écrivain sur l’analyse de ses oeuvres, on est bien forcés d’admettre que le cas Céline dépasse la mesure et n’obéit à aucune règle, dans un sens ou dans l’autre. Car on ne parle pas de la vie privée de l’auteur, de ses défauts ou de ses vices, comme chez Proust, Gide, Rousseau… On parle d’un homme qui a affirmé et réaffirmé sa sympathie pour la pire monstruosité du XXème siècle (la Shoah s’il faut préciser) qui n’en est pourtant pas avare. D’un homme qui a complété son infamie par la lâcheté, en s’enfuyant dans les fourgons de l’armée nazie (pas de n’importe quelle armée d’envahisseurs), pour se réfugier dans un premier temps au coeur du IIIème Reich hitlérien ! Excusez du peu !

    Et qu’on ne me parle pas de l’Ancien Combattant traumatisé, ils ont été des millions et il n’y a, heureusement, en France du moins, pas eu des millions de Céline. À ce compte-là, ne faudrait-il pas aussi montrer de la compréhension pour Hitler qui fut également un Ancien Combattant traumatisé ?

    D’après les lecteurs « innocents » de Céline il faudrait n’en plus parler, l’oublier, suspendre tout jugement en lisant ses livres. Outre le fait que ce serait se condamner à ne rien comprendre à ces fameux livres dans lesquels Céline, je le répète, a mis TOUT de lui, le meilleur et le pire, les moments de grâce et l’atroce, mais il y aurait également dans cette abstention, cette amnésie volontaire, une forme d’amnistie que, pour ma part, je ne me sens ni le droit légitime, ni le désir de prononcer, de même que je n’accepte pas sa « normalisation ».

    Ne vous étonnez pas, chers thuriféraires du Génie Incomparable, des haines, détestations et rejets que votre idole s’attire (et ne croyez pas que la question du « style » de la « petite musique » puisse échapper à l’analyse du cas Céline, car rien n’est séparable chez lui). L’expression est rebattue, certes, mais elle reste particulièrement pertinente ici : « Qui sème le vent, récolte la tempête. »
    Céline (de son vivant), ses héritiers et ses adorateurs (après sa mort), se plaignent de la façon dont il est traité ? Bien fait pour lui ! Il a ce qu’il mérite.

    • Ah, oui, la fameuse (trop fameuse) « petite musique ». Cette musique des anges, ce summum du style ! Qu’est-ce que c’est que ça ? Cette lourde (trop lourde) insistance sur la miraculeuse « petite musique »… Ne serait-ce pas également contre-feu, voire un rideau de fumée pour faire passer en contrebande le sens, ce qu’il peut y avoir d’insupportable sur le fond ? Un de ces arômes artificiels pour rendre mangeable un plat préparé avec de douteux ingrédients, qui, sans cela, ne sentirait pas la rose ?

      • Cher Domonkos,
        Quel dommage que vous répétiez, à l’envi, les mêmes clichés sur Céline.
        Et d’où sortez-vous que le style Célinien ne serait qu’un prétexte littéraire pour faire passer en contrebande une idéologie nauséeuse ? Et d’où sortez-vous également que les livres de Céline, par ce subterfuge, sentiraient la rose ? Aucun des romans de Céline ne sent bon ( je ne parle pas évidemment des pamphlets… ) Chez Céline, les fleurs rhétoriques sentent le moisi. Les romans de Céline sont des épithalames en noir et blanc. Ils célèbrent les noces rageuses entre l’Homme et la Bête qui est en lui. Et je dirais pour paraphraser Mallarmé, que la Rose est  » l’absente de tout bouquet  » célinien.
        Bref …

        • Libre à vous d’appeler cela des clichés. Un peu réducteur, non ? Le mot « cliché » n’est-il pas lui-même l’exemple parfait du… cliché ?
          Les faits deviennent-ils des clichés pour la seule raison qu’ils s’entêtent à ne pas vouloir disparaître ?

          Pour ma part, je ne marche pas dans le « mythe » Céline, ni du côté de l’angélisme, ni du côté du démonisme.
          Céline version rose (le bon médecin des pauvres de Bezons) ou Céline version noire (romantisme maldororien) m’indiffèrent également. Je parle d’un homme, en chair et en os, avec ses responsabilités d’homme, dans un certain moment de l’histoire.
          Tout le reste est (mauvaise) littérature.

          Croyez que je vous aime beaucoup Zino (autant qu’on peut aimer une personne qu’on ne connaît pas), et que je respecte généralement vos avis et vos analyses, mais ici nous sommes séparés irrémédiablement. À notre prochain rendez-vous, sous de meilleurs cieux.

          • Bien sûr, j’endosse le mauvais rôle, celui de Procureur ou d’Accusateur Public. Clic ! (cliché) Celui que je déteste moi-même par-dessus tout, et pourtant je l’assume, sans éprouver la moindre gêne.
            Simplement l’impardonnable ne doit pas être pardonné. Clic ! (cliché)

            Et je n’ai pas la moindre excuse pour me faire pardonner : durant ces années-là aucun membre de ma famille ne s’est trouvé ni parmi les victimes, ni parmi les salauds. Pas de vengeance à exercer, pas de crime à expier. Clic !
            Pas d’excuse… rien qui plaiderait en ma faveur.
            « Ni le courage d’être juif
            Ni l’élégance d’être nègre
            On se croit mèche on n’est que suif… » (Brel)

          • Cher Domonkos,
            Céline sera toujours clivant, en particulier parce que l’on s’entête à indifférencier l’homme et l’auteur ( encore un cliché… Hélas… ) Il faudrait que je developpe certains points sur la théorie littéraire : qu’est-ce qu’un auteur ? Est-ce que l’auteur existe ?…
            Je ne le ferai pas, on me traiterait de pédantisme.
            Je vous respecte, Domonkos, évidemment… Nous ne sommes pas d’accord. Rien d’étonnant, avec Céline. Oubliez l’homme, gardez l’œuvre, gardez l’objet esthétique. Il ne s’agit pas ici de morale, mais de littérature.

          • Je vous renvoie tous au bon billet d’En Attendant Nadeau, où cette ‘édition’ princeps et l’auteur dont elle tente de redorer l’image ternie par les tribulations de la reprise chez Gallimard des pamphlets, ont reçu l’assaisonnement qu’ils méritaient. Je suis pour ma part scandalisé que l’on ait fait appel, pour préfacer cet étique volume, non pas à un célinien incontestable, mais à l’un des deux ayant-droits de la feue Lucette Destouches ! Cela revient à demander à François-Marie Banier d’introduite la divulgation de l’un des trésors littéraires inédits que les largesses de certaine héritière lui permirent de thésauriser, ou à l’homme présentement le plus riche du monde, certain magnat français de la nippe et du trompe-couillons, d’écrire le texte de la plaquette introductive à un trésor patrimonial en sa possession. Le droit de propriété ne saurait créer la légitimité exégétique. Quant à Céline, la lecture de l’oeuvre de Godard et de plusieurs thèses consacrées à sa technique scripturaire ne m’a pas fait changer d’avis sur la nocivité du personnage public comme privé ; et c’est Barrès ou Bloy que l’on persiste à confiner dans une sorte d’Enfer, en tout cas fermement aux portes de la Pléiade !

          • « Oubliez l’homme, gardez l’œuvre, gardez l’objet esthétique. Il ne s’agit pas ici de morale, mais de littérature. »
            Impossible, Zino !

            C’est un rêve, un idéal, une idéologie. La Littérature comme production du pur Esprit ! Ça ne marche pas comme ça. La littérature ne vient pas d’un autre monde, elle est produite par un cerveau, ce cerveau fait partie d’un corps, l’ensemble fait partie d’une existence, cette existence a une biographie.

            Séparer l’oeuvre de l’auteur, c’est comme les vieilles lunes sur la séparation du corps et de l’esprit. Il faudrait supposer que l’oeuvre appartînt à une autre dimension, comme lorsqu’on croit que le corps n’est que l’abri provisoire d’une âme.

            Pour autant, je n’ai pas de doctrine fixée sur le sujet. La part personnelle, la part de la biographie, dans l’oeuvre, peut varier dans des proportions énormes. Parfois omniprésente, parfois presque invisible. Certains auteurs ont voulu, ont proclamé leur intention de se retirer de leur oeuvre. Fort bien. Il n’empêche : supprimez l’homme, vous supprimez l’oeuvre, du moins vous la renvoyez à la non-existence.

            Il n’empêche également, qu’il reste la part de l’oeuvre « qui échappe » à l’auteur. Pour avoir été confronté intimement à ce problème pendant soixante années au moins je puis affirmer que je n’ai pas de doctrine constituée sur la question. C’est de l’ordre de l’indécidable, pour moi.
            Combien de fois, relisant ce que j’avais écrit, parfois la veille, parfois dans un livre que j’ai publié vingt ans auparavant, me suis-je exclamé : « Ce n’est pas moi, ce ne peut être moi qui vais écrit cela ! D’ailleurs, je n’y comprends rien. Je ne sais pas ce que ce prétendu moi a voulu dire. On dirait l’oeuvre d’un fou… » et de m’interroger : « d’où est-ce que cela provient, de quel gouffre en moi, de quel surmoi ou de quel inconscient, de quel « autre que moi-même, étranger à moi-même et moi-même pourtant » ?
            C’est peut-être, pour partie au moins, mais la partie essentielle (outre certaines raisons d’ordre beaucoup plus pratique), la raison pour laquelle je ne publie plus et ne cherche plus à publier ce que j’écris. L’exposition de ce que j’ai de plus intime et qu’en même temps je peine à revendiquer pour mien – dont je ne supporterais pas qu’on l’attaque mais que je ne saurais pas justifier ni défendre, car aussi ignorant à son égard que n’importe qui – m’est devenue insupportable.

            ……………………………

            En ce qui concerne le cas Céline, il est évident à mes yeux qu’il appartient à la catégorie où tout l’homme est dans l’oeuvre, dont l’oeuvre est faite de sa chair, de son sang, de la matière molle de son cerveau. Qu’ils sont indissociables. Qu’il l’a voulu lui-même ainsi. Qu’il n’a écrit qu’une longue, interminable, harassante, épuisante, autobiographie fantasmée.
            Comment pourrait-on le lire en l’oubliant ?
            Dirait-on cela si la part qu’il faut oublier n’était pas si ignoble ? On ne me fera pas plus changer d’avis que je ne vous ferai changer d’opinion, la tentative de désincarnation de l’oeuvre de Céline ne revient à rien d’autre – même à l’insu de son plein gré – qu’à une demande d’amnistie.

            .

  17. Pardon pour cette petite remarque technique: le site de la Pléiade me semble inaccessible depuis hier.
    Serait-ce ma menace d’attaquer Gallimard (voir un peu plus haut) qui les a à ce point-là impressionnés qu’ils en ont perdu l’usage du web?
    Ou peut-être sont-ils en train de renouveller le catalogue de fond en comble, afin d’accéder à tous mes modestes desiderata? (Léautaud, Mann, Musil, Bernhard, le Dit du Genji, le Livre de l’intranquillité)?

  18. Était-ce une farce de Domonkos, une maladresse de André-Louis ou un mauvais coup de Lombard, un acte de salubrité de notre gouleyant monsieur Birt dont l’admonestation calibrée d’autrefois semble avoir été entendue par un Zino qui a renoncé à dorer la pilule (au moins pour le cas du bouffon Dr Destouches) ? Mystère.

    • L’épicerie est bien ouverte… C’est donc chez vous dorénavant que j’irai me fournir en camomilles. Voyez-vous, j’ai quitté ce post depuis longtemps, j’y reviens de façon parfaitement exceptionnelle parce que j’ai une tendresse particulière pour Domonkos, dont le  » blaze » me rappelle ces personnages truculents des comédies de Shakespeare. Quand je lis le nom Domonkos, je pense à Dromion de Syracuse…
      Concernant Céline, décidément, c’est peine perdue. Il est intéressant de noter cependant, que parlant de Céline, on dise  » ce personnage  » et non cet homme ou cet individu. Façon évidemment de déprécier l’individu, mais symptomatique aussi de la manière dont Céline lui-même s’est arrangé pour inventer de son vivant sa propre facticité. Il y a des personnages en quête d’auteur ( Pirandello ) et puis il y a un auteur en quête de Personnage ( Céline )
      Concernant neobirt, si vous me croyez assez stupide pour donner du vent à son moulin, c’est que vous ne me connaissez pas. Et d’ailleurs, j’y pense… Vous ne me connaissez pas.
      J’adore, enfin, cet unanimisme bien pensant d’aujourd’hui qui consiste non pas à hurler avec les loups mais à braire avec ses semblables : asinus asinum fricat.

      • Shakespeare ? C’est trop d’honneur !
        Mais il est vrai que, bien que le nom dont je m’affuble soit celui que je porte à l’État Civil, je ne suis qu’un personnage de roman – sous la figure d’un escroc d’ailleurs, fournissant des « curiosités » à l’Empereur Rodolphe – apparu dans un roman de Frédérick Tristan (qui ne savait pas encore, pas plus que moi, à l’époque où il avait écrit ‘Les Tribulations Héroïques de Balthasar Köber » , que mon fils plus tard s’appellerait Rodolphe).

        Âne et moutons ? Serviettes et torchons !
        L’âne me conviendrait assez comme totem et comme compagnon, le mouton je me contente de le manger sans me soucier de ses opinions.

  19. Qu’on aime ou pas Céline, son « Guerre » est bien représentantatif des pratiques éditoriales de Gallimard. Ma petite librairie n’a eu AUCUN exemplaire sur les 12 pré-commandés (dont le mien). La question est alors : mais où sont partis les 80.000 exemplaires du premier tirage ? Bah, au Furet et chez Amazon, cela va de soi.

    • Pour ma part, ma librairie de modeste province a reçu le jour dit l’exemplaire que j’avais commandé afin de l’offrir à un ami, grand amateur.

  20. …J’en profite pour recommander Monsieur Toussaint Louverture, un éditeur qui a à cœur de faire bien son métier.

    DraaK fut là.

    • Une excellente maison ! Des livres soignés, des projets originaux, des prix modestes. J’aime beaucoup les sublimes couvertures de la collection « Les grands animaux ». Un de mes éditeurs préférés.

      • Vidar, vous êtes un frère.
        Je me détends en binge-readant leur série Blackwater, en admirant le magnifique « Moi, ce que j’aime, c’est les monstres. »
        Enig Marcheur est en transit vers ma maison, et Watership Down a été une des meilleures surprises de ces dernières années. (J’ose à peine ajouter ici que j’ai pris beaucoup de plaisir à lire « Anne de Green Gables » a l’été dernier, ah ah).
        Ce n’est pas tous les jours que l’on peut avoir l’ambition raisonnable et délectable de lire TOUTE la production d’un éditeur.

        DraaK fut là

        • J’ai lu nombre de leurs publications, et je les ai par ailleurs presque toutes dans ma bibliothèque.

          J’ai hâte de l’été pour lire les parutions des derniers mois que l’agrégation de philosophie et mon travail m’empêchent de savourer immédiatement (Anne of Green Gables, Zephyr, Alabama, la série Blackwater… Je commanderai et lirai tout !

          Je me réjouis également d’une prochaine réédition (fin août, je crois) de La maison des feuilles, épuisé ailleurs, et qui m’intrigue fort.

  21. Actualité des fonds de tiroirs.
    Guerre, le 1er jet de Céline – qui n’aurait jamais obtenu en l’état son imprimatur – a réalisé selon Edistats 31 567 ventes dans la semaine de 2 au 8 mai, No 1 en littérature hors poche.
    Le tirage de 80 000 de Gallimard semble donc bien calibré, contrairement au dernier opus Anéantir de Houellebecq (même style de pintade effarouchée) chez Flammarion avec un stock d’au moins 100 000 restant sur un 1er tirage mégalo de 300 000.

    Kafka suite et fin, avec l’éditeur qui expose fièrement sur son site la trahison des voeux de l’auteur « Les textes ici réunis n’étaient pas destinés à la publication, et Kafka eut soin de le faire savoir à son ami Max Brod : « tout ce qui se trouve dans ce que je laisse derrière moi […] en fait de journaux, manuscrits, lettres, écrites par d’autres ou par moi, dessins, etc., est à brûler sans restriction et sans être lu »
    Coffret de 2 volumes de chez Roto, sans défaut majeur, pages un peu bruyantes, pièces de titre toujours un peu tremblée, pas trop de notes. L’album Kafka – ce truc marketing qui fait dépenser 180 balles pour un album gratuit coutant 5 balles à produire (et revendable 20 au marché noir) – en rajoute une couche contre la pudeur du très privé Kafka. Dans les remerciements en fin d’album: « Antoine Gallimard a bien voulu qu’un Album soit consacré à K. » confirme que cette collection est toujours dirigée « là-haut ».

    Comment en sommes-nous arrivé là ? Il y a l’expérience du livre prévue par l’auteur qui devrait être la seule, dont les clés sont données dans le texte, mais une petite secte de chercheurs grassement payés, ont fait croire que les « vraies » clés se trouvaient ailleurs, dans les textes préparatoires, dans l’intertexte, dans la vie de l’auteur… Ils ont fait croire que leur intercession entre le texte et sa compréhension était essentielle (à l’instar des pratiques papales) et que ce que fait Paris-Match pour « éclairer » le parcours des célébrités, eh bien il n’y a aucune honte à le faire aussi très sérieusement dans le domaine littéraire. Nous avons donc avec le pack Coffret K-Album K, 3 expériences pour le prix d’une, celle de l’auteur à travers des écrits qu’il voulait détruire, celle d’un universitaire (car y-a-t-il une autre manière légitime de se sentir lettré aujourd’hui ?) et enfin celle de Paris-Match version cuir Babouot.

    • Cher Valère, je vous sens un peu énervé, non ?
      À quoi bon s’acharner à donner des coups de pieds au cadavre, pour voir s’il bouge encore ?
      Ce qui n’empêche que je partage entièrement votre énervement, et vos jugements, sur le fond et la forme, de la première à la dernière ligne de votre envoi. Je vous remercie de vous être attelé à cette tache ingrate.

      Cela fait au moins deux énervés dans la compagnie.
      Il en faut. La vie, même littéraire, ne peut être composée que de lait et de miel.

        • D’un sincère repentir le pardon implorons
          Nous autres ci transis, de peu de sens rassis,
          Péroreurs, râleurs, distributeurs d’horions,
          Et n’ayez contre nous le coeur endurci.

          Pour excuse, le lait dorénavant produit d’usine,
          Nous est indigeste, ainsi que miel provenant de Chine.

          • Sauf à le faire sous forme de libations aux Mânes de la Pléiade de la grande époque et de ses directeurs éclairés, la collection telle qu’elle croît et se multiplie ne donne plus guère occasion aux esprits discriminants de prodiguer céans le lait et le miel. Le fait que le propriétaire de la maison décide désormais de matières aussi spécialisées que l’attribution des albums nous renvoie à la période où ce forban magnifique de Lemerre faisait du compte d’auteur déguisé en tondant les poètes qui le mettaient au centre de la vie culturelle de l’époque er décidait de tout d’après des critères financiers. C’est ainsi que l’aventure de l’Anthologie des poètes français du XIXe siècle (1887-1888), ces quatre grands et forts volumes dont le succès commercial alla de pair avec une réception nuancée, voire froide, par les milieux lettrés pour leur sélection d’auteurs ou de passages et leurs matériaux introductifs, souvent navrants (Leconte de Lisle sur Hugo, par exemple, se montre d’une faiblesse assez incroyable), lui doit beaucoup, voire tout, à commencer par l’absence de maître d’oeuvre ; il suffit de rapprocher l’Anthologie des poètes français contemporains de Gérard Walch (1ere édition, 1906-1907), pourtant dénuée de prétentions car d’essence scolaire, témoin son format elzévirien, mais très appliquée et remplie de bonus utiles (chaque auteur reçois un chapeau introductif étoffé, une bibliographie aussi étendue que nécessaire, un autographe en fac-similé), pour mesurer la légèreté du travail de Lemerre. Ce nonobstant, Antoine Gallimard n’est pas Lemerre, car cette librairie a toujours confectionné des livres superbes, solides et résistants, même dans ses collections courantes, alors que les malfaçons, la fabrication parfois aléatoire, l’encrage détestable sont monnaie courante jusque dans la Pléiade, collection devenue sans charme matériel depuis le début des années 90. Il n’est pas jusqu’aux exemplaires spéciaux de la Pléiade, dont Tiré à part offre un bon nombre, qui ne soient assez laids dans leur habillage distinct, alors que sont de pures merveilles les Lemerre en tirage de tête ou le Leconte de Lisle par Medeleine et Vallée (1927-1928; 500 exemplaires plus 40 hors commerce ; je recommande le tirage sur Hollande, avec double état des eaux-fortes en noir et en sépia : il est absolument superbe, même s’il n’existe qu’en broché, le tirage sur vergé Lafuma, lui, étant relié en pleine peau rouge ou bleue), .

    • Gallimard affirme de manière bien péremptoire que Kafka a pris soin de faire savoir à Brod qu’il le chargeait de détruire ses écrits. Comme l’explique Brod dans une interview accordée à la télévision allemande peu de temps avant sa mort, le papier lui demandant la destruction ne lui a pas été transmis, il a été trouvé par Brod dans l’appartement de Kafka après sa mort. Il n’est pas sûr que ce papier – non daté – ait correspondu aux derniers désirs et volontés de l’auteur, qui, d’après Brod, alternait entre des périodes de confiance en soi et dans sa vocation et des périodes de doute.

      La partie de l’entretien consacré à cette question :

      Was über diese von Ihnen erwähnten Aufträge an mich betrifft, sein Werk zu vernichten, so hat er das nicht etwa in einem formellen Testament ausgesprochen, sondern einen Zettel nicht einmal mir überreicht, sondern ich habe, als ich nach seinem Tode in seine Wohnung ging und sah da was übrig geblieben war, hab ich diesen Zettel vorgefunden. Ich kann ihn nicht einmal genau datieren. Nach der Schrift zu schließen stammt er nicht aus der allerletzten Zeit. Denn in der letzten Zeit war… hatte er eine relativ glückliche Zeit erlebt, da er die ihm gemäße Lebensgefährtin in Dora Dymant gefunden hat.

      • Pour ma part, et sans prendre parti sur le traitement de l’oeuvre de Kafka dans les derniers volumes Pléiade pour la simple raison que je ne les ai pas encore lus, je n’ai jamais songé à reprocher à Max Brod un crime de lèse-mémoire à l’égard de son ami et ses supposées « dernières volontés ».

        Quand bien même ces dernières auraient-elles été parfaitement formalisées, datées, etc. qui, à la place de Max Bord, aurait osé livré aux flammes tous les papiers de Franz Kafka, fauché prématurément par la mort ?

        Et qu’aurait-on dit de celui qui aurait pratiqué un tel auto-a-fé ?

        Quant à faire un tri entre l’essentiel et le trivial, l’oeuvre littéraire et les écrits circonstanciels, sur quels critères ? Avec quelle autorité ? Tâche impossible.
        La maladie seule doit être accusée d’avoir empêché Franz Kafka de faire lui-même ce travail qu’il était seul apte et habilité à faire.

        Je suis reconnaissant à Max Brod de n’avoir pas accepté de pratiquer ce « suicide assisté » de l’oeuvre kafkaïenne.

  22. Je lis (mieux vaut tard que jamais) la Partreuse de Charme, comme disait notre ami Perec. Et je constate en parcourant le catalogue de notre collection préférée que Stendhal est probablement le plus mal traité des auteurs français du 19e, alors qu’il en est un des plus grands! Les trois volumes de sa correspondance ont visiblement disparu pour toujours, et les deux volumes d’Oeuvres intimes sont indisponibles, consternant car c’est peut-être ce qu’il a écrit de plus beau. On ne trouve qu’un choix de lettres et le Journal en Folio (pour rester chez Gallimard, je ne sais ce qu’il en est ailleurs).
    J’en profite pour poser une question qui découle de ce constat: Stendhal est-il encore lu ou enseigné aujourd’hui?

  23. Félicitations pour vos saines lectures, Aliocha!
    Stendhal est un auteur que j’apprécie beaucoup également. J’ai les Œuvres intimes et les Voyages en Pléiade, le reste en poche.
    Si mes souvenirs sont bons, le Rouge et le Noir était au programme du bac de français 2020.
    Reste que votre question est pertinente et qu’une certaine inquiétude me taraude quant à l’avenir de certains classiques.
    Et pourtant, la finesse de Stendhal en matière de psychologie et d’esthétisme devrait logiquement lui assurer une plus grande visibilité.
    À nous, lettrés, de communiquer notre enthousiasme autour de nous. Il faut beaucoup semer pour espérer récolter…

  24. Il est encore au programme pour le bac 2022, jusqu’en juin prochain donc. Hélas beaucoup d’élèves ne l’ont pas lu jusqu’au bout comme la plupart des livres, d’ailleurs…

  25. Bonjour à tous ! est-ce que vous en savez un peu plus sur la nouvelle édition Baudelaire ? Qui sera le maître d’oeuvre ?

  26. Courageux Ulysse ! vous devez vous sentir bien seul sur l’île Brumes ( île jadis florissante et passionnée ; aujourd’hui déserte et silencieuse ).

    Mais où sont donc passés tous nos joyeux compagnons ô Ulysse ? Naufragés à jamais nos chers Bilopétos dit Domonkos, Encyclopétos dit Neobirt7, Atlapétos dit Valère, et tous les autres ?…

      • je n’étais pas passionné du tout – jusqu’à mon acquisition et lecture du coffret Saint-Ex’, dont le 2e tome est une honte totale qui présente l’intégralité des imperfections recensées … par les censeurs de ce blogue : Gallimard gougnafier !
        Que cela n’empêche personne de passer un bel été (avec un peu de pluie pour Domonkos, puisqu’il y tient : liceat omnibus bibere Corinthi, inquam).

    • Bilopétos dit Domonkos… ???????
      Pardonnez mon ignorance mais cette appellation m’est obscure….

      À part ça, c’est la morte saison.

      Je n’ai pas participé à la discussion sur La Recherche du Temps Perdu avec ou sans notes, car, possédant le coffret de quatre volumes, je n’avais personnellement aucun intérêt à acquérir celui en deux volumes, avec le texte nu. Partant de là, je n’ai aucun avis, à chacun de faire à sa guise.

      Mes derniers achats sont décourageants. Me suis copieusement ennuyé à la lecture des deux Kafka Journaux & Lettres, je regrette de les avoir acquis et j’hésite à les conserver.
      Je n’aime pas ces fourre-tout où tout est mis à la suite et au même niveau, le meilleur et l’inintéressant. Forêt difficilement pénétrable où les découvertes sont décevantes et le voyage au bout du compte décourageant.
      Kafka en est rapetissé. Réduit à sa misérable condition humaine. Le plus petit commun dénominateur. Plus aucune trace de ce qui fait sa grandeur inouïe. Vite, revenir à l’oeuvre qui a changé l’esprit du siècle !
      Ces deux volumes encombrants ne me sont d’aucune utilité et ne me procurent aucun plaisir, alors, à quoi bon ?
      Fétichisme ? Il faudra bien songer à se débarrasser de cette manie !
      ………………………
      PS : je fais mon « coming out », effectivement je n’ai vraiment rien à faire des discussions (et rien à en dire) sur la colle, le grammage, l’impression, la reliure, sauf s’ils sont vraiment complètement ratés au point de gêner la lecture. Cela ne m’est jamais arrivé. Je dois avoir vraiment mauvais goût, incapable d’apprécier la haute gastronomie, tout juste bon pour les plats préparés et la restauration rapide. J’en demande pardon derechef, je ne suis qu’un rustre (faire attention par les temps qui courent de ne pas faire de faute de frappe et écrire « russe » !)

      • Je me relis et je me dis que je parle pour ne rien dire : au fond, ce que je reproche à ces Pléiade Journaux & Lettres de Kafka, c’est ce que je reproche à de très nombreux volumes. En fin de compte, devrais-je m’avouer que je n’aime plus le principe même de la collection, à de rares exceptions près ? Encore un peu et après m’être renié et avoir fait acte de repentance j’irai rejoindre les rangs des partisans de la Pléiade « à l’ancienne » !

        Je continue (et continuerai probablement, mais à un rythme de plus en plus ralenti) d’acheter des volumes, comme un vieil ivrogne continue de boire sans grand plaisir un vin qu’il ne goûte plus guère et alors que l’ivresse a fait place à la gueule de bois. À quoi bon m’entêter à accabler les éditeurs, ce n’est peut-être pas le vin qui a tant changé mais moi qui en suis dégoûté.

        Je vous quitte sur ces propos dont je me reproche l’amertume (on devrait garder ce genre de sentiment pour soi et ne pas embêter les autres avec). Faites comme si je n’avais rien dit.

        Bonnes vacances à tous et bel été (avec, si l’un de vous a le pouvoir d’intercéder auprès du Ciel, un peu de pluie, je vous en supplie !)

  27. Bilopétos ? Invention de ma part ( ne connaissant pas le nom des compagnons d’Ulysse ).

    Bel été et bonnes vacances à vous également.

    • Un bel été ?
      Pour moi, n’est peut-être pas tel que vous l’imaginez…

      « Parlez-moi de la pluie et non pas du beau temps
      Le beau temps me dégoûte et m’fait grincer les dents
      Le bel azur me met en rage
      (…)
      À partir de ce jour (je n’baisserai plus) les yeux
      (Je consacrerai) mon temps à contempler les cieux
      À regarder passer les nues
      À guetter les stratus, à lorgner les nimbus
      À faire les yeux doux aux moindres cumulus (…) »

      Mais hélas, trois fois hélas,
      il se trouve que j’habite un de

      « (Ces pays imbéciles où jamais il ne pleut
      Où l’on ne sait rien du tonnerre. » (…)

      (Merci à Georges Brassens, et excuses pour les légères modifications…)

  28. J’ai envoyé une question à Gallimard pour savoir s’ils comptaient refaire le tome II de Julien Gracq pour y intégrer Les Terres du Couchant. Je vous envoie la réponse :

    Pour répondre à votre question : nous ne pensons pas rééditer le tome II des œuvres de Julien Gracq pour y intégrer les Terres du Couchant. Les Œuvres complètes de cet auteur dans la Pléiade ont été organisées par Gracq lui-même. Il n’avait pas souhaité révéler alors le contenu de ce manuscrit (dont l’existence était connue).

    • Merci de nous partager cette réponse. Les œuvres complètes de Gracq peuvent très bien se passer de cet inédit, le fait que Gracq ait abandonné ce roman est suffisamment explicite.

  29. Bonjour,
    Je rebondis sur la remarque de Domonkos : « Je n’aime pas ces fourre-tout où tout est mis à la suite et au même niveau »
    C’est en effet le problème des intégrales, que l’on ne sait pas par quel bout prendre, et qui peuvent se faire côtoyer les grandes oeuvres de la maturité littéraire d’un auteur et ses premiers écrits de collège.
    A l’occasion de l’opération « album Pléiade », j’ai acquis l’intégrale de Nerval, et suis un peu démuni avant d’entamer la lecture : Les amateurs de l’auteur pourraient ils m’indiquer quels sont les incontournables pour une bonne découverte chronologique de cet auteur ?
    Je suis très motivé, mais les trois épais volumes et le tic-tac du temps qui passe dans une courte vie m’obligent à une première sélection, avant que de fouiller plus loin si le coeur et la chance m’en donnent l’occasion.

    DraaK fut là

    • Les meilleures oeuvres de Nerval sont celles de la fin
      Les Filles du feu (surtout Sylvie), les Chimères, Aurélia, Pandora.
      On peut se contenter du volume III où elles se trouvent toutes. Sinon le Voyage en Orient est intéressant aussi (lui dans le volume II).
      Bonne lecture.

    • Beaucoup moins restrictif que Pléiadophile, étant un fanatique de Gérard de Nerval, je pourrais vous répondre que tout est indispensable chez lui, car tout participe de son art et de sa légende.
      En effet, l’oeuvre de Nerval n’est pas une « oeuvre » et si les ouvrages qu’il a publiés précipitamment dans les toutes dernières années de sa vie, sentant sa dernière heure venir ou bien craignant l’abolition définitive de sa raison dans la folie ou le « rêve éveillé », sont bel et bien des aboutissements, l’édifice lui n’est pas achevé. Pas sûr, d’après son caractère et les sollicitations de la littérature alimentaire et du journalisme gagne-pain, qu’il y serait jamais parvenu, quand bien même aurait-il vécu cent années.

      Mais il me faut bien reconnaître – et accorder à Pléiadophile – que le premier volume contient essentiellement des écrits mineurs, presque insignifiants pour certains, où seuls les fanatiques voient les prémices de ce qui est à venir, et qui peuvent décourager les novices.

      Effectivement, c’est par le troisième volume qu’il faut commencer, car c’est là qu’on trouve les oeuvres les plus belles, les plus émouvantes et les plus hautes artistiquement, arrachées à la nuit de la folie, dont, bien entendu, Lorely, Les Filles du Feu (qui comportent deux ou trois pièces rapportés mais ne peuvent être réduite à la seule « Sylvie » toute charmante qu’elle soit), la Pandora, et les extraordinaires Chimères et Aurelia.
      Mais, j’ajouterais que, dans le même volume, on trouve des oeuvres mêlant souvenirs, rêveries, récit de la vie errante (celle du corps comme celle de l’esprit), dans lesquels s’exprime également tout le génie de Nerval : Les Nuits d’Octobre, Promenades et Souvenirs. Quant aux Petits Châteaux de Bohême, de la même veine, ils devaient encadrer un choix restreint des meilleures poésies de G de N, hors les Chimères.

      Pour peu que ce volume vous ait converti, je vous recommande hautement « Le Voyage en Orient » qui occupe la majeure partie du volume II. À mes yeux, cet ouvrage qui contient quelques parties de qualité inférieure destinées à lui donner du corps – Nerval ayant eu toute sa vie du mal à constituer la matière d’un volume aux dimensions exigées par l’édition – c’est du meilleur Nerval, et il contient certaines des plus belles pages de l’auteur, qui ne le cèdent en puissance évocatrice à aucune autre.
      Non seulement s’agit-il d’une oeuvre majeure de Nerval, mais encore constitue-t-il l’un des deux ou trois indispensables récits de Voyage en Orient, genre qui fut cultivé par les meilleurs écrivains du XIXème siècle (Chateaubriant, Flaubert…), et le plus personnel, le plus poétique. Voyage intérieur plus que parcours touristique ou ethnographique, à travers les mythes et les traditions orientales, et pourtant pas dépourvues d’observations rares, dues au fait que Nerval était un voyageur pauvre et modeste.
      Je ne vous pardonnerais pas de vous en dispenser. Vous ne sauriez prétendre que vous connaissez Nerval si vous ne connaissez pas son Voyage en Orient.

      Ensuite, et seulement si vous avez contracté la fièvre nervalienne, vous pouvez élargir le champ, avec Les Illuminés et quelques autres textes qui appartiennent hautement à son univers. Mais je ne l’exige pas de votre part.

      Ah oui, j’oubliais : dans les oeuvres de sa jeunesse, il y a, bien sûr, sa merveilleuse et irremplaçable traduction du Premier Faust de Goethe. Mais là, on sort vraiment du cadre de votre question (et de ma réponse).

    • Cher Draak, avez-vous déjà acquis les trois volumes Nerval ?

      Si ce n’est pas le cas, et puisque vous n’êtes pas sûr de désirer posséder et lire Nerval in extenso (cet exercice étant réservé, je l’ai dit, aux groupies qui ne se laissent pas rebuter par l’insanité de poésies adolescentes et d’articles éphémères ou bien le spécialiste savant), je vous recommanderais de ne pas perdre votre temps et votre argent avec ces trois lourds volumes qui souffrent de l’habituel défaut de fourre-tout – et qui n’ont d’ailleurs, guère de logique interne – et de vous porter acquéreur des deux volumes de l’ancienne édition, dirigée par Béguin et Richer, en deux volumes. Ils se trouvent sur le marché de l’occasion à prix raisonnable, j’ai vérifié.

      Peu importe que l’appareil critique ait vieilli ou paraisse insuffisant à des analystes rigoureux, que la vision de Nerval par Richer soit particulier (très féru d’ésotérisme), vous trouverez dans ces deux volumes, sous un format pratique, avec une juste répartition et la possibilité de passer constamment d’un volume à l’autre au gré de vos envies ou affinités, le best of de Nerval, tout l’essentiel, la substantifique moelle.

      Votre plaisir ne sera entaché d’aucun ennui, vous ne rencontrerez pas d’obstacles à votre voyage dans le monde nervallien.

      Pour ma part, je les avais vendus à parution de la nouvelle édition plus complète (mais pas vraiment complète, d’ailleurs) et plus « scientifique ». Ces trois volumes me sont indispensables quand je recherche quelque chose de précis. Mais j’ai rapidement racheté l’ancienne édition, car c’est celle dans laquelle je préfère me replonger, pour retrouver le plaisir de la lecture, la rêveries, l’inspiration, l’esprit de Nerval (qui ressort un peu desséché comme un cadavre disséqué sous le scalpel des nouveaux éditeurs).

      • S’il devait exister tout de même quelque chose approchant de « ‘L’Oeuvre » de Nerval, c’est l’ancienne édition qui en donnerait la meilleure idée (la nouvelle n’ayant pas cette qualité « littéraire » et n’atteignant pas non plus au stade de l’édition vraiment complète, savante ou critique).
        C’est un travail d’artiste.

        (Vous avez compris, je pense, que groupie je suis et l’assume, à défaut d’être savant, bien qu’il ne me faudrait pas grand chose – un peu plus de rigueur et d’exactitude et plus de patience et de continuité dans le travail – pour avoir la prétention de revendiquer également ce titre dans le domaine nervalien.

        • Bonjour Domonkos,

          Il me semble qu’avec très peu de petites modifications la somme de vos interventions feraient une belle fiche sur Nerval pour Propager le feu.

          Quant à la défense de l’ancienne édition en Pléiade, si ce n’est pas le cas pour toutes les œuvres ni pour tous les auteurs, il faut bien admettre que certaines anciennes éditions de La Pléiade correspondaient en effet au besoin du lecteur néophyte à qui elles permettaient de découvrir l’œuvre ou l’auteur.

          • Cher Lombard,

            je ne pensais pas en arriver là – pardonnez-moi ma prolixité – mais si on me branche sur mes idoles (Jules Verne ou Gérard de Nerval, pour m’en tenir à ces deux-là), je deviens intarissable, et il faudrait m’abattre comme un chien pour m’arrêter.

            J’espère n’avoir point trop ennuyé la compagnie, et vous et Draak ou bien Plédiadophile, particulièrement.
            Merci de votre patience et de votre bénévolence.

        • J’ai déjà acheté les trois volumes de la nouvelle édition. L’album Kafka 2022 était à ce prix, et je profite des « opérations » Pléiade pour compléter ma bibliothèque avec « d’anciennes » éditions (ne voyant pas vraiment d’intérêt aux dernières parutions).
          Mais devant cette édition touffue, il m’a semblé nécessaire de vous solliciter tous.
          DraaK fut là

  30. Merci à tous les deux.
    Je note donc de lire Nerval à rebours, tome 3, 2, 1. Voyage dans le temps et compte à rebours.

    • Bon, puisque vous avez commis la bêtise, vilain garnement, autant vous prendre par la main et vous conduire pas à pas, pour vous sortir de ce roncier.

      Non, en fin de compte, je ne vous recommande pas de remonter le cours des volumes mécaniquement. Ne vous dispensez pas de commencer par lire l’intro du volume I (elle est succincte et ne vous prendra pas trop de temps). Je ne sais si vous connaissez bien la biographie de Nerval, si oui, sautez la chronologie, si non jetez-y un coup d’oeil, car chez Nerval, la vie est un rêve éveillé et le rêve une seconde vie (la « vraie » à ses yeux).

      Ensuite, vous sautez allègrement par-dessus les premiers essais du lycéen et du jeune homme qui ânonne péniblement tous les mièvres poncifs du Romantisme, pour atterrir à pieds joints à la pages 332 (à 341) : « Odelettes ».
      Ce petit recueil poétique contient les premières poésies intéressantes de Nerval, dont quelques-unes qui sont mieux que charmantes : « Le soleil et la gloire » (qui porte en germe le « soleil noir »), « Nobles et valets », « Le réveil en voiture », « le relais » (prémices des errances nervaliennes,

      « Fantaisie » :
      Il est un air, pour qui. je donnerais
      Tout Rosini, tout Mozart et tout Wèbre,
      Un air très vieux, languissant et funèbre,
      Qui pour moi seul a des charmes secrets.

      Or, chaque fois que je viens à l’entendre,
      De deux cents ans mon âme rajeunit…
      (…)
      Puis une dame, à sa haute fenêtre,
      Blonde aux yeux noirs, en son costume ancien
      Que dans une autre existence peut-être
      J’ai déjà vue et dont je me souviens. »

      N’y a-t-il pas là déjà du Verlaine ?
      ………………………
      Ensuite, toujours chaussé de vos bottes de Sept Lieues, par-dessus les articles critiques, les introductions de traductions (non reproduites, quelle stupidité !) les essais avortés de romans, jusqu’à la page 732 (à 740), pour trouver une poignée de sonnets qui annonce (et sont même pour certains des premières moutures – autre stupidité de les mettre là pour suivre bêtement l’ordre chronologique) des formidables « Chimères », l’un des sommets poétiques du XIXème siècle (et de tous les temps) qui sont à la suite des « Filles du Feu » dans le dernier volume.

      Ensuite quelques centaines de pages d’articles et de correspondances, où seuls les explorateurs chevronnés du monde nervation peuvent s’aventurer sans risquer d’y mourir d’inanition.
      Vous en aurez alors vite et bien fini avec ce premier volume.

      (à suivre)

      • (suite du précédent numéro)

        C’est maintenant qu’il faut faire fi de la chronologie et passer directement au volume III.
        À mes yeux, « Le Voyage en Orient » qui constitue l’essentiel du volume II est une oeuvre majeure, mais je crains qu’elle ne vous rebute de prime abord.

        Dans ce volume III il faut tout lire (du moins ce qui appartient à l’ordre de la haute littérature) et dans l’ordre SVP quand bien même cet ordre est problématique, mais nous n’entrerons pas dans ces détails.
        Sachez que, si ces oeuvres immortelles ont jailli dans les toutes dernières années, elles ne sont que la gerbe, la vendange, de ce qui avait été semé, arrosé, taillé, soigné, conduit, durant les longues années précédentes.

        Comme je l’ai dit plus tôt, l’émotion est double : de par leur valeur poétique et de par leur miraculeux arrachement à la nuit de la folie. Image d’un esprit qui s’aventure dans les forêts du délire et qui en revient, effroyablement lucide, pour en rapporter des merveilles.

        Lorely, souvenirs d’Allemagne (essentiel Nerval dans la réception en France d’une Allemagne et d’une Autriche romantiques).

        La Bohême Galante (souvenir de la jeunesse bohème, avec de joyeux compagnons, dont Théophile Gautier, hymne à l’innocence).

        Les Nuits d’Octobre (imaginez un « gentil Rimbaud » errant, à demi-perdu, et changeant tout ce qu’il voit, la plus sordide réalité, en poésie).

        Contes et Facéties (de simples amusettes, une quarantaine de pages que, par exception, vous pouvez sauter sans dommage comme un fossé).

        Petits Châteaux de Bohême (trois « châteaux » qui sont un sertissage autour de quelques odelettes, d’une Fille du Feu et autres poèmes, textes qui se trouvent ailleurs et qui ont servi à Nerval toujours désespérément à la poursuite d’un recueil qui tienne la route ; on se contente généralement de ne donner que les trois petits textes – qui sont du même ordre que la Bohême Galante – en se dispensant des joyaux sous prétexte qu’il s’agit d’une redite, mais je félicite pour cette fois d’avoir restitué le recueil comme Nerval le voulait, car il est une oeuvre et des plus charmantes en soi : disons, une sorte de petite anthologie personnelle).

        Les Filles du Feu, qu’en dire qui n’ait été dit et bien mieux que je ne saurais faire ? La merveille des merveilles. Qui contient pourtant deux ou trois textes qui sont des pièces rapportés pour épaissir le volume. « Sylvie » évidemment, mais aussi « Angélique » que je ne place guère en-dessous, « Octavie » et, inséparables des Filles du Feu, les fantastiques sonnets des « Chimères ». La quintessence !

        Pandora. Un diamant.

        Promenades et Souvenirs. Voir les Nuits dOctobre, mais aussi Aurelia pour les visions et la perte de sens de la réalité au profit du rêve né du vagabondage (car il y a aussi chez Nerval, dont la richesse est impressionnante, du « clochard céleste » !)

        Enfin ! Enfin arrive « Aurelia » ! Toute auréolée de sa noire merveille. Annonciatrice des « Démons et Merveilles » d’un certain H.P. Lovecraft (certains passages des randonnées de Randolph Carter dans les royaumes du rêve m’évoquent des pages de ce Nerval, à commencer par les premières lignes sur « l’épanchement du rêve dans la vie réelle » et les « portes de corne et d’ivoire ».)
        Mais ce n’est pas un quelconque « trip sous acide » ou sous peyotl mais aussi une combat contre les démons de la folie, une tentative d’analyse où la rationalité tente de ramener la folie « à la raison » en quelque sorte et c’est en quoi Nerval se distingue de tous les autres écrivains qui se sont complus à rapporter leurs délires plus ou moins psychédéliques.

        Vous voici arrivé à la page 758 du volume III et nous pouvons nous arrêter là de notre cheminement, et faire une manoeuvre de demi-tour.

        • (Troisième épisode, consacré au volume II)

          Je ne vous supplie pas de lire « Le Voyage en Orient », je vous en donne l’ordre ! Je vous avertis qu’au cas où vous jugeriez bon de vous dispenser de cette lecture in extenso, les pires sévices et tourments vous attendraient : ici et maintenant (sans attendre la juste punition que vous subiriez dans l’éventuel autre monde).

          Donc, vous commencerez à la page 173 et ne détellerez pas avant la page 878, appendices compris, et alors seulement aurez la permission de vous arrêter et vous reposer à l’auberge des « Faux Sauniers ».
          Quand bien même là encore Nerval, pour le feuilleton puis la reprise en volume, n’étant pas un auteur au long souffle, a dû insérer quelques pièces rapportées, ce récit (ces récits plutôt) d’un voyage à la fois terre-à-terre et halluciné dans l’espace, dans le temps et dans le mythe, est absolument unique en son genre.
          Vous n’y trouverez ni le voyage d’un touriste, ni celui d’un archéologue, ni celui d’un sociologue et d’un historien, mais le voyage d’un poète qui voit ce que les autres ne voient pas ou bien méprisent.
          Egypte, Liban, Turquie. Avec ce mystérieux Trou Noir dans la traversée du Liban, qui correspond sans doute à une récidive de crise de folie délirante – celle qui avait attaqué Nerval en France et qu’il tentait de fuir dans ce voyage vers l’Orient – crise qu’il passe sous silence mais qui « se lit en creux » et donne un autre relief, une autre couleur à ce qui est dit…

          Après cette céleste randonnée, vous reviendrez aux premières pages pour savourer la fiction purement littéraire (et fantaisistement savante) des « Faux Sauniers » qui, comme certains « making off » de films vous donnera des clés de la Fille du Feu : Angélique, ainsi qu’un arrière-fonds de certaines « Promenades et Souvenirs » (tout n’est-il pas « promenades et souvenirs » dans l’oeuvre de Nerval, celles appartenant à ce monde et celles appartenant au monde de la merveille se confondant ?)

          Puis, vous finirez par « Les Illuminés » : encore l’Abbé de Bucquoy personnage de la mythologie nervalienne, « Les Confidences de Nicolas » (Rétif de la Bretonne), « Jacques Cazotte », « Cagliostro »… les maîtres à rêver de Gérard de Nerval.

          Et nous voici arrivés à bonne fin !
          Si vous n’en êtes pas saturé, lassé, voire écoeuré, si le charme de Gérard de Nerval vous a saisi et intoxiqué, libre à vous alors d’explorer tout le reste (mais je ne l’exige pas de vous, loin de là).

          Bien à vous.
          Je vous souhaite bon voyage.

          • Cher Domonkos,
            Draak arrivera peut-être à vous convaincre : il y a là une bonne matière pour donner envie de lire cet auteur qui vous tient à cœur, ce qui est une des missions du site.

          • Ah, merci Domonkos, pour ce chemin si bien balisé ! Mais notre ami Lombard(*) a bien raison : il y a là de quoi alimenter une page Nerval dédiée. Seriez-vous fâché si je reprenais cet itinéraire de lecture sur Propagerlefeu ? Je crois que cela rendrait vraiment service aux lecteurs curieux et même à l’édition de la Pléiade en tant que « notice d’utilisation ».
            [Et, oui, je vous fais confiance et compte bien lire Le Voyage en Orient, dont tout le monde me dit le plus grand bien. Bien que je sois d’épaisseur à me défendre de vous, je ne vais pas vous contrarier sur ce sujet ; nous avons déjà assez Céline et Orwell pour nous écharper gaiement. Tiens, au sujet de Céline, je viens de commander l’étude historique d’Odile Roynette et suis en cours de lecture de Guerre ; nous pourrons bientôt nous couvrir de beignes]

            (*) que vous avez toujours le loisir de contacter au sujet de Kafka [message personnel]

          • Cher Draak, je n’ai guère d’orgueil d’auteur à vous opposer pour l’utilisation de ma prose au sujet de Nerval, mais je préférerais cependant, la relire et, peut-être, la peaufiner quelque peu, avant de la livrer pieds et poins liés, comme une captive de guerre entre vos mains, ô Nouvel Achille, pour que vous en fassiez usage à votre gré.

          • Mais c’est vous Achille, et je suis Agamemnon vous volant Chriséis. Vous voilà réduit à pleurer dans les jupes de Thétis votre mère.
            Je reprendrai votre itinéraire et vous le soumettrai en privé pour validation.
            Amitiés,
            DraaK qui, pour la cupidité, n’a pas son pareil, mais qui vous le revaudra au triple et au quadruple, si Zeus nous donne un jour de ravager Troie aux bonnes murailles.

          • Draak et Lombard, quel argument puis-je encore invoquer pour justifier ma non réponse à vos appels, sinon, en désespoir de cause l’aveu de ma fainéantise – procrastination, dilettantisme et que sais-je encore ? (Laquelle doit avoir, cependant, quelques causes plus profondes, comme le manque d’assurance qui n’est sans doute pas pour rien non plus dans mes emportements et mes diatribes.)

            Faut-il que Nerval me tienne à coeur, pour que je lâche ainsi la bride à ma cavale.

        • « Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Acheron »…
          Tout le drame Nervalien se trouve résumé dans ce vers foudroyant. Nerval, persuadé que la poésie le tiendra éloigné du fatal rendez-vous, exhibe sa joie d’être encore en vie, par l’emploi du mot  » vainqueur » dont la nature grammaticale reste indécise : nominal, adjectival ?
          Il ne reviendra pas vivant, hélas, de son troisième voyage.
          Vous avez bien raison, Domonkos, de présenter Nerval comme un écrivain majeur.

          • Ah, Zino, c’est évidemment el Desdichado qui m’a soufflé et conduit à l’intégrale en Pléiade. J’ai beau avoir la sensibilité d’un parpaing et la clairvoyance d’une paire de bottes, mon être entier a vibré à la lecture du poème.

          • Excellent choix que ce vers qui exprime bien mieux que de longs discours la dureté du combat contre la nuit engagé par le « délicat » Gérard qui se rêvait guerrier (et qui, en l’occurrence, le fut).

            Il est vrai qu’il fut la troisième fois vaincu, mais les « deux fois vainqueur » et la troisième vaincu sont inséparables et interdépendants. Le drame ne saurait être complet autrement. La défaite finale – qui nous guette tous – ne fait que rehausser la gloire des deux premières victoires.
            Sans elle, n’apparaîtraient-elles pas comme de simples escarmouches ?
            Et sans ces « deux fois vainqueur » que saurions-nous de cette nuit « blanche et noire » dans laquelle il sombra finalement ?

            Par ailleurs, n’étant point linguiste, tant s’en faut, je n’avais pas songé à « l’indécision » de la « nature grammaticale » de ce « vainqueur » même si j’avais ressenti sans bien analyser pourquoi l’ambiguïté de cette construction.
            Aurait-il écrit (sous réserve du nombre de pieds) « en vainqueur » que la la « foudre » de ce vers aurait bien perdu de sa force.

          • Ne médisez pas, Draak, de « la clairvoyance d’une paire de bottes », elle trouve infailliblement les derrières qui méritent de recevoir son hommage.
            J’ai effectivement un peu plus de doute sur « la sensibilité d’un parpaing »…

            ………………………

            et sinon :

            MYRTHO

            Je pense à toi, Myrtho, divine enchanteresse,
            Au Pausilippe altier, de mille feux brillant,
            À ton front inondé des clartés d’Orient,
            Aux raisins noirs mêlés avec l’or de ta tresse.

            C’est dans ta coupe aussi que j’avais bu l’ivresse,
            Et dans l’éclair furtif de ton œil souriant,
            Quand aux pieds d’Iacchus on me voyait priant,
            Car la Muse m’a fait l’un des fils de la Grèce.

            Je sais pourquoi là-bas le volcan s’est rouvert…
            C’est qu’hier tu l’avais touché d’un pied agile,
            Et de cendres soudain l’horizon s’est couvert.

            Depuis qu’un duc normand brisa tes dieux d’argile,
            Toujours, sous les rameaux du laurier de Virgile,
            Le pâle Hortensia s’unit au Myrthe vert !

            et puis encore…

            ARTÉMIS

            La Treizième revient… C’est encor la première ;
            Et c’est toujours la seule, — ou c’est le seul moment :
            Car es-tu reine, ô toi ! la première ou dernière ?
            Es-tu roi, toi le seul ou le dernier amant ?…

            Aimez qui vous aima du berceau dans la bière ;
            Celle que j’aimai seul m’aime encor tendrement :
            C’est la mort — ou la morte… Ô délice ! ô tourment !
            La rose qu’elle tient, c’est la Rose trémière.

            Sainte napolitaine aux mains pleines de feux,
            Rose au cœur violet, fleur de sainte Gudule :
            As-tu trouvé ta croix dans le désert des cieux ?

            Roses blanches, tombez ! vous insultez nos dieux,
            Tombez, fantômes blancs, de votre ciel qui brûle :
            — La sainte de l’abîme est plus sainte à mes yeux !

            ………………………………..

            Poésie « fin de siècle » ?
            Mallarmé n’avait que treize ans (« La Treizième revient… » ha ha ha !) quand Nerval disparut.

        • Merci pour cette voix, petit rien et cette petite anthologie.

          ………………………………………………………
          Fantaisie
          Gérard de Nerval

          Il est un air pour qui je donnerais
          Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
          Un air très vieux, languissant et funèbre,
          Qui pour moi seul a des charmes secrets.

          Or, chaque fois que je viens à l’entendre,
          De deux cents ans mon âme rajeunit :
          C’est sous Louis treize ; et je crois voir s’étendre
          Un coteau vert, que le couchant jaunit,

          Puis un château de brique à coins de pierre,
          Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
          Ceint de grands parcs, avec une rivière
          Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;

          Puis une dame, à sa haute fenêtre,
          Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
          Que, dans une autre existence peut-être,
          J’ai déjà vue… – et dont je me souviens !

          Gérard de Nerval

          …………………………………..

          Mon rêve familier
          Paul Verlaine

          Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
          D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,
          Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
          Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.

          Car elle me comprend, et mon coeur transparent
          Pour elle seule, hélas! cesse d’être un problème
          Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
          Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

          Est-elle brune, blonde ou rousse? Je l’ignore.
          Son nom? Je me souviens qu’il est doux et sonore,
          Comme ceux des aimés que la vie exila.

          Son regard est pareil au regard des statues,
          Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
          L’inflexion des voix chères qui se sont tues.

          Paul Verlaine, Poèmes saturniens

  31. Cher Draak,
    Si vous frémissez d’émotion en lisant les Chimères, c’est que votre sensibilité dépasse et de loin, la compacité obscure d’un parpaings. Pour ma part, je place la perfection de la langue française, précisément chez trois auteurs : Racine, Nerval, Valéry. Chacun sur le fil, évidemment, pourra mentionner sa propre trinité.
    Concernant Nerval, ce qui le rend si attachant ( et cela, également, est vrai pour Tristan Corbière) c’est cette conscience aiguë d’un destin, non pas tragique ( les poètes maudits ne sont grands que dans la médiocrité… ) mais dramatique. Voilà, me semble-t-il, ce qui fait de ces écrivains-là, de vrais romantiques, peut-être les seuls, après tout, qui le soient authentiquement.

    • Zino, je crois qu’el Desdichado, bien lu, à bonne fréquence et à voix grave, ferait vibrer tous les parpaings du monde. Je parle d’insensibilité car Il me faut bien ça, ce niveau de perfection, pour que quelque chose dans ma pâte abrutie s’éveille soudain et se dise « wouuuuh, ça c’est quelque chose » (sans encore savoir mettre le doigt sur ce qui produit cet effet).
      N’est-ce pas ce qui nous pousse en avant vers de nouvelles lectures, et que l’on sait trouver prioritairement chez les classiques, ce genre de découverte, de claque au visage, ces rencontres avec le Beau et le Vrai (on ne sait pas comment l’appeler ; le Bvrai ?) ?
      Racine, en effet, m’a procuré cela. Au point de contacter Georges Forestier, le spécialiste en France de Racine, pour qu’il m’explique et que je comprenne la nature de ce qui m’avait touché, et d’y passer, guidé par lui, trois années de lecture concentrée et de recherches (Jack le squelette dans sa tour, qui chante « je veux comprendre, je veux comprendre ! »)
      Et puisqu’on parle de trilogie, m’ont soufflé également : la subtilité de la langue de Choderlos de Laclos, que je mets sur le piédestal de ce qu’il est possible d’écrire en français ; l’absolue noirceur d’Agota Kristof, dont les deux premiers tomes de sa trilogie des jumeaux font passer le Voyage au bout de la Nuit pour une comédie de Dany Boon, et dont le troisième tome nous secoue encore, saisit notre visage et nous le met en face d’une noirceur nouvelle, dont on ignorait l’existence, et qui nous fait nous demander « le sombre n’a-t-il aucune limite ? » ; Kazuo Ishiguro, dont j’ai recommandé les Vestiges du jour pendant des années à un collègue, qui ne le lisait pas, qui a fini par le lire, et qui est revenu vers moi avec le même air d’avoir pris une claque au réveil, ébouriffé presque, avec ce commentaire laconique « c’est un livre parfait » ; Ernst Jünger, dont les titres seuls, « Sur les falaises de marbre », « Orages d’acier », font déjà vibrer les molécules du parpaing. Tout cela fait plus que trois, mais comme vous savez, il y a des précédents.

      • Draak,
         » Les liaisons dangereuses » vaut d’abord pour son exceptionnel sens de l’expertise humaine. Également, pour cette prodigieuse maîtrise des niveaux de langue et des idiosyncrasies. À propos de Laclos, on pourrait reprendre ce vers de Hugo :  » un poète est un monde enfermé dans un homme « .
        Cependant, les trois auteurs que je citais représentent à mes yeux l’aboutissement des possibles de la langue française dans sa dimension phono-sémantique. Laclos est prodigieux pour le fond, un peu moins pour la forme. D’ailleurs, voyez : Hugo est mon écrivain favori, et pourtant il n’est pas sur le podium. N’est-ce pas lui qui a  » disloqué ce grand niais d’Alexandrin  » ?
        En littérature, je prends toujours soin de dissocier le fond de la forme, même si ( Hugo encore… ) la forme c’est du fond qui remonte à la surface.
        Bien à vous.

    • J’avoue assez mal connaître Corbière. Je l’ai lu autrefois, dans une vie précédente, sans doute assez superficiellement, sans m’y arrêter. Et il y a longtemps que je n’y suis revenu. J’ai des souvenirs plus précis de Cros. À revoir, si l’on m’accorde une seconde vie.

      Je suis d’autant moins pardonnable que j’ai trouvé sur la Toile, il y a quelques semaines, le volume épuisé Cros-Corbière en Pléiade (sachant qu’il n’y a aucune chance de le voir réimprimer, ni de voir un volume nouveau consacré à l’un ou à l’autre).

      Puis-je me permettre, Zino, de vous demander des éclaircissements sur votre : « les poètes maudits ne sont grands que dans la médiocrité » ?
      Je ne suis pas certain de ce faut comprendre, cela m’échappe.

  32. Domonkos,
    Maintenant que j’y pense, voilà une phrase que j’aurais pu soumettre pour la dissertation de CAPES 😄
    Blague à part, il n’est pas très difficile de comprendre ce faux paradoxe : la grandeur de ces poètes s’inscrit dans une lutte esthétique, idéologique contre la bourgeoisie, la bienpensance, l’académisme ronflant. Les poètes maudits sont des êtres médiocres, ils ne revendiquent pas les Palmes, ni les honneurs des Salons ( une coquetterie de dandy que Baudelaire utilise souvent … ) trop fiers et trop pauvres pour être courtisés, ils refusent obstinément à la Vie, les compromis faciles. Cyniques et revenus de tout, ils ne vont nulle part, inaptes au bonheur ils chantent en mineur, préfèrent l’impair, la petite rime, le souffle court, l’ombre à la lumière. C’est dans le quotidien, le trivial ou bien la réalité déformée, la vie comme un rêve, qu’ils trouvent l’inspiration. Ils ne sont pas beaux, Verlaine, Corbière, Nerval n’étaient pas beaux. Leurs amours sont jaunes, bilieuses, décevantes et sombres.
    Mais c’est précisément dans cette aporie :  » grandeur dans la médiocrité  » que s’épanouit leur génie. Ils ne sont pas grands, ils sont rejetés, mal nés, boiteux, pauvres et pusillanimes. Mais par le miracle du Verbe, ils s’arrachent à la trivialité sournoise qui les mine, pour transformer leur situation de souffreteux en destin.
    Lisez, je vous en prie, l’épitaphe de Corbière, tout y est dit.

    • Je suis très intéressé par vos développements sur le sujet. J’ai eu raison de vous demander des éclaircissements, car j’étais loin d’apercevoir la portée de votre formule, qui me troublait (nul doute que je récolterais, avec un correcteur lucide et ferme dans ses positions, tout au plus un 2/20 à une dissertation de CAPES – plus disert que « dissert »).

      Je ne suis pas sûr de mettre Nerval ou Baudelaire dans le même bateau que Verlaine et ses contemporains (ni Nerval et Baudelaire dans la même embarcation, d’ailleurs, tant s’en faut). En fait je vois bien une certaine filiation entre le « guignon » de Baudelaire » et les « maudits », et entre la « modestie » la pauvreté et l’errance de Nerval et les susnommés, mais cela ne me paraît pas suffisant pour constituer une confrérie. Baudelaire (comme vous l’avez dit) et Gérard de Nerval (rien que le pseudonyme !) ne méprisaient d’ailleurs pas du tout les honneurs mondains. Cela nous mènerait trop loin, je me sens incapable de dire toute ma pensée sur la question de manière succincte.

      D’un autre point de vue, par-delà l’aspect « slogan publicitaire » de la dénomination utilisée par Verlaine pour « vendre » les poètes qu’il a recueillis dans le célèbre volume, je remarque qu’avant le XIXème siècle, dans les siècles aristocratiques, le sort des poètes faisait l’essuie-glace entre le statut de courtisan et celui de marginal, mais ils ne se souciaient pas pour autant de s’abîmer dans la délectation morbide et assez complaisante de leur « malédiction ». Disons que la poésie avait un statut « sacré » (voire religieux) et si les poètes n’étaient pas forcément dans la réalité « bien traités » ils étaient tout de même les porteurs reconnus d’un souffle quasi divin. Bien sûr Platon, prétend-on voulait chasser les poètes de la Cité et certains religieux leur étaient hostiles. Mais c’est d’un autre ordre.

      Le concept de « poète maudit » n’a-t-il rien à voir avec la nature bourgeoise et prosaïque du XIXème siècle ? Dit crûment : les poètes avaient-ils encore une place dans la Société Industrielle ? En tous cas, la coïncidence entre les deux phénomènes m’amène à me poser la question.

    • Merci de m’avoir mis sur la piste de l’Épitaphe de Tristan Corbière, tout ce que vous dites s’y trouve.
      J’ai eu la curiosité de la comparer avec l’Épitaphe de Nerval.

      J’y trouve des correspondances (la paresse, l’inutilité d’être là, etc.) mais également je vois un abîme entre les deux. Une chute – de l’ange à l’homme tombé à terre. Nerval se prend pour une créature céleste égarée sur terre, Corbière s’enfonce dans la boue absurde de la réalité.
      D’une attitude aristocratique à un sentiment de vaincu ; d’une angoisse existentielle à cette délectation morose que j’évoquais précédemment.
      (Intuitions plutôt qu’idées longuement réfléchies et analysées. Moi aussi je suis sujet à la paresse et plus cigale que fourmi travailleuse.)

      Et puis, alors, et là c’est l’amoureux fou de la poésie de Nerval qui parle – sans souci d’être juste et équilibré – quelle hauteur, quelle concision, quelle force évocatrice chez Nerval, quand il faut à Corbière une longue litanie de plaintes, agrémentée d’amusants calembours tout à fait délectables, je le reconnai ! On change d’époque, on change de genre. Entre les deux, il y a… le Second Empire ?

      Gérard de NERVAL
      1808 – 1855

      Épitaphe

      Il a vécu tantôt gai comme un sansonnet,
      Tour à tour amoureux insoucieux et tendre,
      Tantôt sombre et rêveur comme un triste Clitandre.
      Un jour il entendit qu’à sa porte on sonnait.

      C’était la Mort ! Alors il la pria d’attendre
      Qu’il eût posé le point à son dernier sonnet ;
      Et puis sans s’émouvoir, il s’en alla s’étendre
      Au fond du coffre froid où son corps frissonnait.

      Il était paresseux, à ce que dit l’histoire,
      Il laissait trop sécher l’encre dans l’écritoire.
      Il voulait tout savoir mais il n’a rien connu.

      Et quand vint le moment où, las de cette vie,
      Un soir d’hiver, enfin l’âme lui fut ravie,
      Il s’en alla disant :  » Pourquoi suis-je venu ?  »

      ………………………………………….

      Tristan Corbière
      ÉPITAPHE
      Les Amours jaunes, 1873

      ÉPITAPHE

      Sauf les amoureux commençans ou finis qui veulent commencer par la fin il y a tant de choses qui finissent par le commencement que le commencement commence à finir par être la fin la fin en sera que les amoureux et autres finiront par commencer à recommencer par ce commencement qui aura fini par n’être que la fin retournée ce qui commencera par être égal à l’éternité qui n’a ni fin ni commencement et finira par être aussi finalement égal à la rotation de la terre où l’on aura fini par ne distinguer plus où commence la fin d’où finit le commencement ce qui est toute fin de tout commencement égale à tout commencement de toute fin ce qui est le commencement final de l’infini défini par l’indéfini — Égale une épitaphe égale une préface et réciproquement
      (Sagesse des nations)

      Il se tua d’ardeur, ou mourut de paresse.
      S’il vit, c’est par oubli ; voici ce qu’il se laisse :

      — Son seul regret fut de n’être pas sa maîtresse. —

      Il ne naquit par aucun bout,
      Fut toujours poussé vent-de-bout,
      Et fut un arlequin-ragoût,
      Mélange adultère de tout.

      Du je-ne-sais-quoi. — Mais ne sachant où ;
      De l’or, — mais avec pas le sou ;
      Des nerfs, — sans nerf. Vigueur sans force ;
      De l’élan, — avec une entorse ;
      De l’âme, — et pas de violon ;
      De l’amour, — mais pire étalon.
      — Trop de noms pour avoir un nom. —

      Coureur d’idéal, — sans idée ;
      Rime riche, — et jamais rimée ;
      Sans avoir été, — revenu ;
      Se retrouvant partout perdu.

      Poète, en dépit de ses vers ;
      Artiste sans art, — à l’envers,
      Philosophe, — à tort à travers.

      Un drôle sérieux, — pas drôle.
      Acteur, il ne sut pas son rôle ;
      Peintre : il jouait de la musette ;
      Et musicien : de la palette.

      Une tête ! — mais pas de tête ;
      Trop fou pour savoir être bête ;
      Prenant pour un trait le mot très.
      — Ses vers faux furent ses seuls vrais.

      Oiseau rare — et de pacotille ;
      Très mâle … et quelquefois très fille ;
      Capable de tout, — bon à rien ;
      Gâchant bien le mal, mal le bien.
      Prodigue comme était l’enfant
      Du Testament, — sans testament.
      Brave, et souvent, par peur du plat,
      Mettant ses deux pieds dans le plat.

      Coloriste enragé, — mais blême ;
      Incompris… — surtout de lui-même ;
      Il pleura, chanta juste faux ;
      — Et fut un défaut sans défauts.

      Ne fut quelqu’un, ni quelque chose
      Son naturel était la pose.
      Pas poseur, — posant pour l’unique ;
      Trop naïf, étant trop cynique ;
      Ne croyant à rien, croyant tout.
      — Son goût était dans le dégoût.

      Trop crû, — parce qu’il fut trop cuit,
      Ressemblant à rien moins qu’à lui,
      Il s’amusa de son ennui,
      Jusqu’à s’en réveiller la nuit.
      Flâneur au large, — à la dérive,
      Épave qui jamais n’arrive…

      Trop Soi pour se pouvoir souffrir,
      L’esprit à sec et la tête ivre,
      Fini, mais ne sachant finir,
      Il mourut en s’attendant vivre
      Et vécut, s’attendant mourir.

      Ci-gît, — cœur sans cœur, mal planté,
      Trop réussi — comme raté.

  33. Bonjour Domonkos,
    Pour les poètes maudits, je parlais d’une coincidence de destins, plutôt que d’un mouvement esthétique. Regardez le Parnasse : on y trouve sur le plan formel, des ressemblances absolument évidentes. Ce qui n’est pas le cas des « poètes maudits » dont l’expression est de Verlaine, poète assez classique finalement, et même soporifique… Rimbaud est-il un symboliste ? Oui, assurément. Est-il un poète maudit ? Oui, assurément. Vous avez raison Domonkos, de faire un parallèle entre l’émergence du poète maudit et l’extravagante percée de la bourgeoisie industrielle, immobilière, conservatrice au possible. Mais vous avez tort de ne pas voir un lien, fût-il distendu, entre les destins de Nerval et de Corbière. Ces deux là ont un cœur qui bat dans une même arythmie pathétique et pareillement névrosée.

    • Oui, tout cela est vrai. J’ai tout de même mis des nuances et reconnu certains liens ; surtout en ce qui concerne Baudelaire qui est un poète de son temps et dans son temps, en révolte contre la société bourgeoise et industrielle, et aussi un poète de l’avenir.
      Peut-être je vous l’accorde, devrais-je, dans son cas, me renier entièrement et le considérer comme le « premier » des « poètes maudits » (quoique… comme vous l’avez dit vous-même, son dandysme met une limite à la comparaison et empêche toute assimilation).

      En ce qui concerne Gérard de Nerval, je m’entête. En dépit de sa misère, de ses errances, de sa marginalité (toute relative, il n’aurait tenu qu’à lui… il faut aussi l’imaginer aimable et aimé), c’est un Romantique (qualifié de « Petit Romantique » et cette expression me va, qui n’a rien à voir avec un quelconque jugement de valeur), le seul vrai Romantique fait d’un métal pur en France. Du moins à ce niveau d’importance.
      Contrairement à Baudelaire, qui domine le siècle, en qui « l’avenir » est déjà présent, Nerval a quasiment disparu de la circulation presque immédiatement après sa disparition physique. Il n’avait pas de place dans ce second XIXème siècle, pas même la place de « poète maudit » ou à l’écart, et son « avenir » à lui se situait dans une époque plus lointaine, après la Grande Guerre Industrielle de 14-18 (et même plus encore celle de 33-45 puisque j’y inclus les années de montée du nazisme et la mort de l’Allemagne Romantique du jeune traducteur de « Faust »), c’est-à-dire au XXème siècle.
      Sacrée différence.

      C’est bien normal pour quelqu’un aussi sensible à la ronde des heures et à la boucle du temps :

      La Treizième revient… C’est encor la première ;
      Et c’est toujours la seule, — ou c’est le seul moment :

      ………………………………………………..
      Pardonnez-moi mes approximations, mes doutes, mes retours, mes hypothèses et mes retournements, je parle en poète (raté) et en écrivain – de surplus autodidacte, histoire d’aggraver mon cas – plutôt qu’en critique et enseignant (je ne veux pas dire qu’un enseignant ne serait fait que d’assurance ou de rigueur et d’exactitude, mais tout de même un peu plus).

      • Et s’il a disparu des mémoires peu après sa mort, comment et quand Nerval est-il devenu classique (au sens, disons, d’un membre de notre canon littéraire) ?

        • On se plait à lui accorder une certaine reconnaissance de la part des Symbolistes, dont l’importance me semble assez minime ou du moins confidentielle, puis, plus importante, des Surréalistes. Mais, dans le second cas, cela ne dépasse guère le cercle du Surréalisme et environ, féru de littérature « alternative » en quelque sorte, et de « réhabilitations » d’auteurs obscurs ou marginaux. Cela touche évidemment l’imaginaire d’artistes et d’auteurs considérables, fait son chemin dans l’esprit de l’époque, sans pour autant mettre Nerval au milieu de la place publique de la République des Lettres.
          Tout juste un poète à partager entre initiés, un de ces bijoux qu’on se communique entre amis avec le sentiment de constituer une élite, qui hors la sphère surréaliste pourrait attirer l’attention d’un Francis Carco (certainement sensible à son côté piéton égaré dans les rues du Paris populaires et sur les routes peu fréquentées) ou Kléber Haedens qui lui consacrera chacun un petit livre. Ce genre de livres qu’on fait pour son plaisir et celui de ses semblables proches.

          Plus qu’une grande marée, la remontée à la surface fut une lame de fond, progressive, et aux effets tardifs après ces premières résurgences.
          Essentiellement après la seconde guerre mondiale et encore ! lorsque j’avais 20 ans (je suis né en 1951) étant déjà, depuis la lecture des « Filles du Feu-Chimères » en poche Garnier-Flammarion (le seul à figurer alors dans la collection) à l’adolescence, sous le charme de Nerval, il était toujours, essentiellement, pour les uns l’aimable auteur de « Sylvie » et pour les autres un obscur poète ésotérique.
          Je n’ignore pas et ne saurais passer sous silence la très importante, très complète pour l’essentiel, et indépassable par certains critères, édition en deux volumes, d’Henri Lemaître, parue en 1958 chez Garnier, qui n’avait pour autant pas brisé les murs de l’ignorance ni auprès de l’institution ni auprès du grand public lettré.
          Béguin, Richer avaient déjà fait beaucoup, et continueraient à le faire, d’autres également, mais ce n’était pas encore la véritable consécration et la reconnaissance officielle parmi les grands classiques. Ce statut lui était encore contesté ou bien concédé du bout des lèvres, pour ne fâcher personne. Combien de textes emberlificotés ai-je lus, voulant bien reconnaître que… peut-être… mais tout de même…
          J’ai vu cette consécration et cette reconnaissance officielle arriver à son plein épanouissement de mon vivant.

          Je dirais même, pour retomber in fine sur mes pieds, dans le domaine qui justifie le présent forum – un peu par goût de la provoc – qu’il y a un changement complet de paradigme entre la première édition en Pléiade de Béguin-Richer qui est encore destinée aux happy few, et la seconde, plus vaste, « sérieuse » et se voulant savante, qui fait entrer en majesté définitivement Nerval dans le panthéon des grands.

      • précision : « (…) la mort de l’Allemagne Romantique du jeune traducteur de « Faust » – au terme d’une longue agonie. »

  34. Nerval doit aux surréalistes, son statut immense de poète précurseur. N’était cet intérêt des surréalistes pour sa dimension ésotérique, Nerval, sans doute, aurait disparu des anthologies…
    Concernant les poètes maudits en général, c’est rétrospectivement que certains auteurs accèdent à ce statut. Ce sont des écrivains ou des enseignants, des chercheurs, des essayistes qui, voyant certaines coïncidences thématiques ou biographiques entre certains poètes, y apposent le cachet officiel. Aloysius Bertrand ou Lautréamont sont « maudits » après coup. Il s’agit donc d’une filiation autant artificielle sur la forme que pertinente sur le fond, les deux ne s’excluant évidemment pas.

    • L’histoire de la réception d’une œuvre est souvent intéressante. Merci pour vos observations sur celle de Nerval.
      (un des rares poètes dont ma très mauvaise mémoire « mot à mot » connaisse un poème par cœur)

      • Je suis moi-même et je le déplore, totalement incapable de réciter parfaitement le moindre poème in extenso – au-delà du quatrain qui représente pour moi une forme de perfection, je m’essouffle et tombe dans toutes les chausse-trappes – à deux exceptions près, les seules qui ont survécu à moult naufrages, l’une évidente, l’autre plus surprenante (mais qui me remplit de délices et qui trahit certainement chez moi une secrète perversion, allez savoir).

        « El desdichado », de Nerval pour la première, et, de Charles Baudelaire :

        La géante

        Du temps que la Nature en sa verve puissante
        Concevait chaque jour des enfants monstrueux,
        J’eusse aimé vivre auprès d’une jeune géante,
        Comme aux pieds d’une reine un chat voluptueux.

        J’eusse aimé voir son corps fleurir avec son âme
        Et grandir librement dans ses terribles jeux ;
        Deviner si son cœur couve une sombre flamme
        Aux humides brouillards qui nagent dans ses yeux ;

        Parcourir à loisir ses magnifiques formes ;
        Ramper sur le versant de ses genoux énormes,
        Et parfois en été, quand les soleils malsains,

        Lasse, la font s’étendre à travers la campagne,
        Dormir nonchalamment à l’ombre de ses seins,
        Comme un hameau paisible au pied d’une montagne.
        ……………………………………………………………..
        Vous avez le droit de rire de moi !

  35. Pour ma part, j’ai le plaisir, depuis plusieurs mois, d’apprendre Les Fleurs du mal dans son intégralité. Je prends mon temps, j’en suis à une vingtaine de poèmes, certains étant vraiment imposants (je pense aux 19 strophes de Bénédiction). Au rythme que je me suis fixé, dans cinq années, j’aurai intégré le recueil.

    Faire sien un poème, ce petit microcosme, le retenir pour se le réciter et finalement en jouir à tout moment, l’emporter partout avec soi, une tâche réellement gratifiante.

    • Félicitations KleineFuge. J’en fais autant avec les Fables de la Fontaine qui, pour être simples et courtes, mettent quand même la bouillie qui me tient de cerveau à rude épreuve. Toujours un mot mal placé ou un article modifié. C’est à désespérer. Quand je vois des acteurs qui vous récitent le Malade imaginaire ou Andromaque sans erreur visible et avec l’intonation présumée du XVIIe, cela me remet à ma vraie place.
      …Mais effectivement, se plonger dans la mémorisation de poèmes est une manière exceptionnelle de mieux les comprendre et d’intégrer un peu de sens dans notre chair.

      • À dire vrai, je n’entre pas dans un nouveau poème tant que je ne maîtrise pas parfaitement le précédent. Je me le récite sous la douche, à vélo, au travail, tant que je peux. Et j’entretiens régulièrement le souvenir des poèmes appris bien avant.

        Je les connais suffisamment, et à ce point, que parfois, dans la journée, je me surprends à réciter des vers, puis me rends compte que j’ai commencé le poème il y a déjà plusieurs minutes, machinalement, comme on se fredonne une mélodie entêtante !

  36. Le poème récité, à voix haute ou  » in petto » renvoie évidemment à ses origines orales : rythme, scansion, accents, analogies phoniques, assonances, allitérations, anaphores, antepiphores, toutes les figures de répétition en général, favorisaient une bonne mémorisation du « récit ». Apprendre un poème par cœur et le RÉCITer ensuite, c’est donc revenir à ses origines orales et même oraculaires. C’est un retour, en quelque sorte, aux origines.

  37. Je suis sans doute aveugle, mais pouvez-vous me dire, cher Domonkos, dans quel tome et à quelle page de la nouvelle édition pléiade de Nerval figure le poème ‘Epitaphe’ que vous citez — et que, honte à moi, je ne connaissais pas. Je possède les trois volumes que j’ai retournés dans tous les sens, dont j’ai soigneusement épluché la table des matières, des titres et des incipit, impossible de mettre la main sur ce poème qu’on trouve par ailleurs reproduit absolument partout sur Internet..

    • Y’a un truc épatant pour ce genre de recherche, ça s’appelle Internet : vous tapez Nerval puis Épitaphe et vous l’avez illico.

        • Prévenez nous quand vous l’aurez trouvé.
          Je ne peux malheureusement pas vous aider même si je possède les deux éditions de la Pléiade Nerval (et que je préfère de très loin l’ancienne, celle en 2 volumes) et même l’Album Nerval…mais je ne suis pas chez moi.
          Bonne recherche

        • « NERVAL, TOUT NERVAL, SEULEMENT NERVAL »

          C’est ainsi que s’ouvre la préface de Guillaume et Pichois qui n’ont pas jugé bon de faire figurer l’Épitaphe dans leur édition. Le poème est paru en 1897 dans la Nouvelle Revue Internationale, il y est donné dans une lettre qu’a conservée et que reproduit l’auteur de l’article, le vicomte de Tresserve – en fait Mme de Rute https://fr.wikipedia.org/wiki/Marie-Lætitia_Bonaparte-Wyse .

          On trouve cet article sur Gallica :

          https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1193966/f616.item

          La note de la page 778 du tome III de l’édition Pichois-Guillaume et qu’on trouve p.1394 évoque la chose.

          • Merci Petitrien pour ces instructives précisions.

            J’aurais beaucoup de choses à dire sur cette édition qui est loin de me satisfaire – encore un de ces fourre-tout où est privilégié l’ordre chronologique qui détruit tout autre ordre et la colonne vertébrale de l’oeuvre ; 300 premières pages inutiles, indignes de figurer dans l’Oeuvre de Nerval même si elles furent écrites par le très jeune Nerval, alors qu’on écarte toutes les traductions qui sont du Nerval incontestablement et toutes les oeuvres en collaboration qui appartiennent aussi logiquement à son oeuvre, au moins celles qui sont de son inspiration – mais il vaut mieux que je ne m’étende pas trop sur le sujet, de peur d’aggraver ma réputation de mauvais coucheur.
            …………………………………..
            Pour avoir un second album Kafka que je voulais offrir à une personne proche de moi, j’ai acheté le coffret Jules Vallès, ne possédant pas ces deux volumes – édition datant d’avant les années 2000 et où je retrouve déjà cette même obsession de la chronologie mécaniste, qui conduit à entrelarde la trilogie romanesque, L’Enfant, Le Bachelier, L’Insurgé, de bonnes grosses tranches d’articles indigestes et qui la dénaturent.

          • On voit bien que la collection de la Pléiade erre d’un récif à l’autre, quand on songe que sont éliminées de l’édition Nerval les oeuvres en collaboration (il n’y aurait donc aucune part ?) – effectivement comme vous le faites apparaitre Petitrien la proclamation liminaire « NERVAL, TOUT NERVAL, SEULEMENT NERVAL » ressemble à un rodomontade – tandis que dans la récente édition Shakespeare, on étoffe les volumes « Histoires » de pièces surnuméraires : l’une d’attribution douteuse, l’autre, ouvrage collectif au sujet duquel l’éditeur avoue lui-même que Shakespeare, dans le meilleur des cas, n’en a écrit que quelques pages.

            Une chatte n’y retrouverait pas ses petits !

    • Il fallait bien que cela arrivât et voici que vous me prenez en défaut !
      J’avais reproduit le poème « Épitaphe », par fainéantise, en allant le pêcher, comme tout le monde, sur la Toile, sans plus de vérification. Honte sur moi !

      Suite à votre invitation, ai fureté et point n’ai trouvé dans les trois volumes Pléiade incriminés d’Épitaphe de Gérard de Nerval, même en les feuilletant page à page.
      Et pourtant ce texte réputé nervation est bien connu de moi, et depuis fort longtemps.
      J’ai donc poursuivi mes vérifications. Voici les premiers résultats.

      – « Épitaphe » se trouve à la p.66 de ma vieille édition des « Poésies » de Gérard de Nerval dans Le Livre de Poche, établie par Mounir el Hafez, le mystique soufi féru d’ésotérisme.

      – On la retrouve p. 158 du « Gérard de Nerval » dans la collection Poètes d’Aujourd’hui (n°21) chez Seghers, établie par Jean Richer.

      – Item, p. 178 de « Poésies et Souvenirs » de Gérard de Nerval, dans la collection Poésie/Gallimard, du même Jean Richer.
      Nul doute qu’il doit également figurer dans l’ancienne édition Pléiade en deux volumes, celle-ci ayant été mise en oeuvre par Béguin et Richer, mais je n’y suis pas allé voir encore, le marchand de sable commençant à annoncer son prochain passage dans les parages.

      – Je ne l’ai en revanche point trouvée dans l’édition en deux volumes des « Oeuvres » par Henri Lemaitre, chez Garnier 1956 ; mais cette édition, ancienne et par bien des points dépassée, bien que non dépourvue de hauts mérites, ne peut être considérée comme une Oeuvre Complète.

      Je n’ai pas poursuivi plus avant mes recherches, pour le moment, et il se fait tard.

      Ni approfondi le mystère de son absence de la Pléiade moderne : ses éditeurs l’ont-ils dissimulée dans quelque « bonus caché » ou bien éliminée, la considérant d’attribution fausse ou douteuse ? (J’aurais bien des choses à dire sur cette édition, dont la principale vertu est d’être la plus complète et rigoureuse à ce jour, sous cette forme, mais je ne veux pas être désagréable.)

      ………………………………

      Je profite de l’occasion pour dire que j’éprouve des remords à avoir saucissonné l’oeuvre de Nerval pour complaire au Haut et Redoutable Sieur Draak-fut-là, au détriment sans doute de sa profonde unité d’inspiration et de motifs – hormis les tous premiers essais du lycéen et du tout jeune homme où le ridicule le dispute à la naïveté.

      N’ai point insisté non plus sur l’humour, la fantaisie, la légèreté et parfois l’ironie (voire sa réponse à Jules Janin qui avait annoncé la mort définitive de son esprit suite à sa première crise de démence), voire le talent parodique, qui doivent tempérer la figure tragique du poète, obscurci par sa dernière errance et sa fin lamentable.

      Il faudra que j’y revienne et lui rende cette justice, car il convient de toujours réparer ses fautes et je ne puis rester en tort vis-à-vis de Nerval, le plus merveilleux des amis, qui, lui, m’a toujours fidèlement accompagné tout au long de ma vie.

      • Zino, si vous nous lisez, j’en appelle à votre sapience, si vous avez plus de lumières en ce qui concerne ce fantomatique poème intitulé « Épitaphe » et que nous ne trouvons point dans les trois volumes de la Pléiade (pourtant attesté par ailleurs en moult lieux et résidences).
        Que faut-il en conclure ?
        Avons-nous vraiment les yeux crevés ou bien le cerveau bouché ?

  38. Messieurs,
    Internet nous apprend que ce sonnet est paru dans un recueil posthume « poésies diverses » daté de 1877, mais que, aux origines, il a été inséré dans une lettre adressée à la Princesse de Solms, petite nièce de Napoléon. Pour ma part, je n’ai que les deux premiers volumes de l’édition Guillaume/Pichois. Les détenteurs de l’édition intégrale pourraient jeter un coup d’oeil au troisième volume.
    J’ai regardé, en oblique, la correspondance, disséminée dans les deux deux premiers volumes, je n’ai pas mis la main dessus. Il est un peu tard, mes yeux, depuis longtemps, ont perdu de leur acuité…
    Je crois avoir lu cette épitaphe pour la première fois, au collège, dans l’Anthologie de la poésie française, de Georges Pompidou. À moins qu’il ne s’agisse de l’édition Garnier.

    Bien à vous.

    • Pas trouvé dans l’édition Garnier.
      Vais explorer la Correspondance ; merci, Zino d’avoir sacrifié une heure de votre sommeil (couché aux aurores ou bien levé aux aurores ?)

        • Je fus ainsi.
          De ce point de vue, la meilleure période de ma vie appartient à ma jeunesse et aux années où j’exerçais le métier de gardien de nuit. (Généralement des supermarchés qui me fournissaient les vivres ; ou des usines ; ou, une fois, pendant quelques semaines, le Paradis lui-même : le grand centre de stockage et de distribution Hachette, en région parisienne, à l’époque où Hachette se disputait le monopole avec les Presses de la Cité : même Gallimard était distribué par eux ! Je ne vous raconte pas : un ours lâché dans une ruche débordant de miel !…)

          Hélas, ne suis plus que l’ombre de moi-même !

  39. Merci à vous tous pour vos réponses. D’après les indications de petitrien, il est clair désormais que le poème Épitaphe n’est évoqué dans l’appareil critique de l’édition Guillaume/Pichois (tome 3) que pour signaler qu’il n’y a pas été reproduit, pour quelque obscure raison d’attribution incertaine. Quand bien même le sonnet ne serait pas de la main de Nerval (en ce cas quel extraordinaire pastiche !), il est tellement associé dans l’histoire de la littérature à l’auteur des Chimères qu’il aurait dû figurer dans ses œuvres complètes, au même titre d’ailleurs que ses traductions, comme vous le rappelez cher Domonkos.

  40. Comme on dispute des mérites respectifs des éditions de Nerval, je me permets d’exhumer le passage de l’interview qu’avait accordée Claude Pichois à Histoires Littéraires où il est question de la nouvelle édition « bulldozer » entreprise avec le Père Guillaume (j’avais déjà posté tout ça il y a deux ans, ne m’en veuillez pas).

    (…)

    HL : A côté de Baudelaire, une de vos grandes passions littéraires a été Nerval.

    C. P. : Oui

    HL : Vers quelle époque de votre vie et dans quelles circonstances avez-vous abordé cet auteur ?

    C. P. : Ça s’est passé d’une manière douloureuse ; j’étais à Aix quand j’ai été nommé. On ne m’a pas rendu le travail facile, puisque moi qui étais à peine licencié, enfin diplômé d’études supérieures, on m’a infligé le cours d’agrégation sur Nerval. Alors, j’ai commencé : j’ai eu des nuits cauchemardesques ! Il y a un cauchemar qu’il faudra que je raconte un jour, qui venait d’un film de la guerre de 14… J’ai regardé l’édition de la Pléiade et me suis dit : c’est impossible. Quelqu’un qui a un peu d’honnêteté intellectuelle ne peut pas accepter ce genre de choses. Selon les tirages, Les Filles du feu passait de cinq ou six, à presque neuf, n’est-ce pas ! Elles n’étaient jamais sept. Et comme j’avais terminé le Baudelaire, je suis allé trouvé Pierre Buge, qui fut le grand directeur de la Pléiade. Nous avions eu quelque fois des conflits au sujet de textes à prendre ou à ne pas prendre, à transcrire exactement ou au contraire… Je lui dis : « Ecoutez, Monsieur, je regrette beaucoup, vous avez maintenant un bon Baudelaire, pourquoi avez-vous un si mauvais Nerval ? » Il me dit : « Cher ami » — ça fait partie des formules — « Cher ami, nous avons un contrat, nous ne pouvons pas le rompre. » Et puis il est arrivé ceci. Ce qui est bien dans la Pléiade — les gens ne le savent pas —, c’est qu’on peut changer le texte d’une édition à une autre à condition de respecter le nombre de lignes à la page. Or, Richer ne cessait pas d’envoyer des corrections pour les réimpressions de son édition. Je crois que c’était le cinquième tirage. Mais les dernières corrections étaient telles que Buge les a refusées. Et Richer a fait ce qu’il ne faut pas faire avec une maison d’édition comme Gallimard. Il a envoyé une lettre recommandée avec accusé de réception pour exiger que fussent intégrées ses corrections. Evidemment Gallimard pouvait se payer un avocat et j’ai reçu une lettre de Buge : « Cher Monsieur, le Nerval de Monsieur Richer ne devant pas être réimprimé, accepteriez-vous, comme vous nous l’avez proposé, etc. » J’ai proposé d’y collaborer à mon ami Jean Guillaume, un père jésuite, extraordinaire philologue. Nous sommes ainsi arrivés à faire les trois volumes des Œuvres complètes.

    HL : Qu’est-ce qui vous avait précisément amené à proposer de refaire le Nerval de la Pléiade ?

    C. P. : Une querelle qui n’en finissait pas entre le Père Jean Guillaume et Jean Richer. La revue L’Autographe du 1er août 1864 avait présenté sur la même page le sonnet Vers dorés, fac-similé de l’album de Nadar, signé Gérard de Nerval, et, au-dessous, un monogramme de Charlemagne, emprunté à un document des Archives de l’Empire. Jean Richer n’en démordait pas, il voulait que ce monogramme soit la signature utilisée par Nerval : celui-ci n’avait-il pas été élève au collège Charlemagne ? Le Père Guillaume n’avait pas de preuve décisive ; son bon sens le persuadait qu’il n’y avait aucun rapport entre les deux parties de cette page et que juxtaposition n’était pas raison. L’échange d’articles amusait la galerie. Je conseillai au Père de cesser la polémique et de consacrer nos énergies à l’élaboration d’œuvres complètes de Nerval. A ce moment-là, je ne savais pas que Gallimard nous offrirait de les publier. Je lui ai dit : on va annuler complètement l’édition actuelle, on fera passer le bulldozer et nous aurons le Nerval de la Pléiade. Ensuite, il fallut aller à Philadelphie pour voir l’album de Nadar, grâce à un ami, Frank Bowman. Cet album avait été vendu par Nadar au dentiste américain de l’impératrice — vous savez la réputation des dentistes américains de l’époque —, celui qui a permis à l’impératrice de sortir de France en 1870…

    HL : Evans ?

    C. P. : C’est ça. L’album avait été donné à la Bibliothèque de l’université de Philadelphie et je suis allé le voir. L’album porte bien les Vers dorés mais sans le monogramme de Charlemagne…

    (…)

    • Encore merci Petitrien d’enrichir ainsi nos connaissances et nous apporter vos lumières. Grâces vous en soient rendues ! (Non, non, je ne me moque pas, c’est sincère.)

      Eh bien, que ce soit Richer, Guillaume ou Pichois, on peut être fin lettré, grand sçavant, et demeurer de grands enfants qui se disputent dans la cour de récréation pour savoir qui est le chef !
      Je comprends mieux certaines choses…

      J’ai dit par ailleurs que l’édition de Richer présentait des défauts et me semblait par certains aspects dépassées – ne serait-ce que par son obsession de l’ésotérisme et du détail toujours signifiant, forcément signifiant – mais qu’elle me semble plus fidèle à l’esprit de Nerval et plus proche de ce que pourrait être « l’oeuvre » de Nerval ; je ne nie pas que celle de Guillaume et Pichois soit généralement plus scientifique et plus complète, mais l’oeuvre y est atomisée et déséquilibrée : forcément après le passage du « bulldozer » !

      Je ne nie pas que l’édition Béguin-Richer fût obsolète et dût être refaite, mais je maintiens qu’elle demeure un monument inégalé dans sa catégorie, un bel hommage à Gérard de Nerval, un livre indispensable à tout amoureux de cet auteur, et qu’elle mérite plus de respect que de mépris.
      …………………………………….
      Je me suis bien amusé (?) en lisant : « vous avez un bon Baudelaire » (c’est moi qui l’ai fait) « pourquoi un si mauvais Nerval » (c’est l’autre nul qui l’a fait). On n’est pas plus modeste et confraternel. Sans parler du respect minimal dû à celui qui vous a précédé et tant fait pour la reconnaissance de Nerval… Nature humaine, ô nature humaine !…
      Tous deux sont disparus, paix à leur âme.

      Mention spéciale au passage et hommage à Albert Béguin qui semble bien être le grand oublié dans cette affaire :

      – .Nerval, Textes choisis, GLM, 1939.
      – Nerval, Poésies, Édition critique, Mermod, 1944.
      – Nerval, Aurélia et Les Filles de Feu, Skira, 1944.
      – Nerval, Œuvres (2 tomes), texte établi, présenté et annoté par Albert Béguin et Jean Richer, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard (1952).

      Le « bulldozer » Claude Pichois n’était pas encore passé pour nous débarrasser de tout ce fatras et aplanir la route ç

  41. Pour rebondir sur le billet d’humeur de P.B. – posté ce jour mais hélas perdu des centaines de lignes plus haut – qui nous dit (je cite) : « […] coffret Saint-Ex’, dont le 2e tome est une honte totale qui présente l’intégralité des imperfections recensées […] Gallimard gougnafier ! » :

    Saint-Exupéry est l’un des très nombreux exemples où l’ancienne édition Pléiade, en un volume et 1050 pages, était largement supérieure à la nouvelle édition, en deux volumes et 2880 pages (!) : elle comprenait Courrier Sud, Vol de nuit (Prix Femina 1931), Terre des hommes (Grand prix du roman l’Académie française 1939), Pilote de guerre, Lettre à un otage, Le Petit Prince et Citadelle.

    • Le second volume de Saint-Exupérie fait partie des dégueulasseries que Gallimard n’hésite pas à proposer à la vente, et qui ne méritent pourtant pas 1 euro.

      J’ai toutefois eu la chance d’en trouver un exemplaire potable, dernièrement.

    • Vous avez raison, Lombard, d’attirer notre attention sur la remarque de P.B. Quand bien même ne suis-je personnellement pas passionné par les questions « de colle et de grammage » il n’en demeure pas moins qu’en toute chose il faut garder la mesure et ne pas pousser mémère dans les orties : ce que les Grands Maîtres de la Prestigieuse Collection ne se privent pourtant pas de faire !
      ………………………………………………..
      P.B. | 6 juillet 2022 à 3 h 02 mi
      je n’étais pas passionné du tout – jusqu’à mon acquisition et lecture du coffret Saint-Ex’, dont le 2e tome est une honte totale qui présente l’intégralité des imperfections recensées … par les censeurs de ce blogue : Gallimard gougnafier !

      Que cela n’empêche personne de passer un bel été (avec un peu de pluie pour Domonkos, puisqu’il y tient : liceat omnibus bibere Corinthi, inquam).
      ……………………………………………………………………………………
      Quant à la pluie, cher P.B. toujours pas la moindre goutte, mon jardin meurt de soif et a l’aspect qu’il a d’habitude vers la fin du mois d’août ou septembre… Et l’été vient à peine de débuter !

      Ne croyez pas que cela soit pour moi sans importance, pour le moins autant que les questions pléiadesques, et certainement plus !

      J’implore le ciel et celui-ci se moque autant de mes prières et de mes imprécations, que les Grands Maîtres de la Prestigieuse Collection se moquent des vôtres.

      • Aïe, canicule prévue dès la semaine prochaine … On ne peut qu’arroser un peu le soir, et attendre la mousson – en lisant un Pléiade non saboté ? : – (

        • Hier soir, pluie…. mais c’était une pluie de cendres (à cause des incendies dans les collines environnantes).
          Et, un malheur n’arrivant jamais seul, une ministre a jugé bon de venir en personne « soutenir » les pompiers : traduisez, jouer la mouche du coche. Et faire bzzzzz bzzzzz aux infos télévisées.

          Bon, ce n’était pas Pompéï, mais tout de même !

  42. A paraître les 15 et 22 septembre sur le site officiel (en accord avec la liste du 8 avril sur ce forum): Albert Cohen – Coffret pléiade Œuvres 2 vol., Charlotte Brontë – Shirley – Villette

    • Mon Quarto Albert Cohen me suffit très largement, d’autant que le coffret ne fait que reprendre l’édition existante en Pléiade et que celle-ci est très loin de répondre aux critères de la collection selon la version complaisamment répétée par l’éditeur.

      Bienvenue au dernier volume des Brontë. Mais je ne sais toujours pas si, outre les deux romans annoncés, nous aurons droit aux romans inachevés qui ne surchargeraient pas excessivement le volume. Je ne crois pas aux miracles.

      Les indignations quant à la présence de certains auteurs ou bien la qualité de l’édition, n’ont plud aucun autre effet que d’agiter notre bile.
      La « prestigieuse » collection ayant totalement renoncé au « prestige » mieux vaut, soit se tourner vers d’autres horizons, soit si on ne peut s’y résigner se contenter de ce qu’elle peut encore nous offrir, dont le niveau se situe entre le médiocre et le moyen ou l’assez bon, plus jamais vers l’excellent. À quoi bon s’obstiner à presser une orange qui a donné tout son jus ?

      « La vraie vie est ailleurs. »

  43. Mais oui, mais oui, n’empêche que quand j’ai commencé mes Pléiades, en 1974, il n’y avait que les étrangers essentiels (Dante, Shakespeare, Cervantes, Goethe, les Russes), deux vivants (saint John Perse, Malraux) et deux femmes (Sévigné, Sand) : ça avait une autre gueule qu’aujourd’hui !
    Les contemporains devaient attendre devant les anciens et les classiques, lesquels n’auraient aucune chance d’entrer aujourd’hui…
    Tous ces étrangers mal traduits, toutes ces femmes qui ne sont là que parce qu’il en faut…je vous les laisse.

    • Je me suis mal fait comprendre, Faure : je n’en veux pas plus que vous ! Quand je dis « il faut se contenter de… » je parle des potentialités de la collection dans son état actuel, mais cela sous-entend qu’on ne peut que « se contenter » de ce qui est acceptable et laisser le reste et aller voir ailleurs.
      L’achat systématique ou de confiance des nouveautés n’a plus cours. La règle aujourd’hui est la méfiance et la défiance.

      Et encore, même prévenu, même ayant tourné et retourné 70 fois un volume dans mes mains, l’ayant consulté, compulsé, ayant grappillé dans moult pages, parcouru en diagonale l’intro, etc. il m’arrive encore d’être déçu et de me dire que j’ai encore une fois dépensé 70 euros en pure perte.

      La Pléiade me fait penser à un certain personnage politique qui ne se fait élire que par une minorité, grâce à la division et à la médiocrité de ses concurrents, tout en n’obtenant ni la confiance ni l’estime de ses propres électeurs : on continue à l’acheter (peu ou prou) car elle n’a pas de concurrents dans sa catégorie, tout en ne l’aimant pas et lui trouvant plus de défauts que de qualités.

    • J’aime la littérature, une chose qui n’a pas l’air de vous soucier. Vous préférez la bienveillance universelle ouverte à « toutes et à tous ». La Pléiade est maintenant boursouflée de contemporains et d’étrangers qui ne sont pas de grands écrivains.
      Mais ce sont les femmes qui vous obsèdent le plus on dirait, vous faites partie de ces paritaristes à tout crin, persuadés qu’il faut des femmes à tout prix quitte à ne pas être regardant sur les mérites ou plutôt en exagérant la valeur de toute œuvre signée d’une femme et d’entonner le lamento du génie iméconnu ou injustement délaissé.

      • Même chose sur France Musique : tous les jours ce petit refrain, sur Clara, Fanny, Alma… bien plus intéressantes que Maurice, Félix, Gustav…

        • C’est exactement ce que je me dis chaque jour en écoutant France Musique, On ne sait plus si l’on doit en rire ou en pleurer.
          Il y a notamment sur cette chaîne une certaine Anne Montaron qui fait entendre deux fois par jour une émission de création mondiale, de la « musique » inédite donc ,où où il n’y a presque exclusivement des compositrices : aucune oreille humaine n’y peut résister.
          Combien vous avez raison ! (Sauf sur le prénom de Schumann)

          • Oh, mille excuses ! J’ai confondu avec le vieux grognard de De Gaulle, Maurice Schuman (une réminiscence mal appropriée) !
            Eh bien, me voilà définitivement classé parmi les béotiens.

            Désolé pour Robert (justement, hier, un certain Docteur Robert m’a un peu torturé avec son bistouri électrique – authentique ! – faut-il y voir un lien de cause à effet ou du moins un « hasard objectif » cher à André Breton ?

  44. Les éditions Plon annoncent la réédition en novembre de la correspondance de Proust, 445 euros les 5 volumes. Postface de J-Y Tadié.
    Il était question d’un projet de volume de choix de correspondance de Proust dans la Pléiade, vu le goût de Gallimard pour les anniversaires on l’aurait attendu cette année. Quelqu’un a-t-il eu des infos fraîches ? Qu’en est-il de la qualité de cette correspondance chez Plon (20 volumes pour la précédente édition…), est-ce que toutes les lettres de Proust ont un intérêt littéraire ?

  45. Bonjour,

    Quelqu’un aurait-il une recommandation concernant l’œuvre de Friedrich Hölderlin entre l’édition de la Pléiade et celle à la Différence ?

    Je vous en remercie.

  46. A choisir ce serait l’édition de la Pléiade, assurément.
    Pourtant le projet des éditions la Différence avait dans sa main deux grands atouts : celui d’être la première édition complète de la poésie d’Holderlin en langue française (elle reprend la partie intitulée Gedichte dans l’édition Hanser, à laquelle le traducteur a adjoint Le Chant du destin tiré du deuxième volume d’Hypérion, et la dernière partie du premier volume, Dichtungen nach 1806 ainsi que le fragment de prose d’une ébauche de suite d’Hypérion), suivi du choix de s’en tenir à un seul traducteur, en l’occurrence François Garrigue.
    Malheureusement ce dernier nous a rendu une copie volumineuse de plus de mille pages « assez terne », « sobre » diront certains, en tout cas fort pâle et sans éclat comparée à celle de la Dream Team dirigée d’une main de maître par Philippe Jaccottet.
    Il est vrai que l’édition La Pléiade est loin d’être complète (tout en ayant un spectre nettement plus large : y figurent lettres, essais, roman, tragédie). D’après son ordonnateur : « Il ne pouvait être question de tout traduire. Ce qui a été écarté n’en constitue pas moins qu’une part secondaire de l’œuvre. Le lecteur trouvera dans ce volume l’intégralité des Lettres et des Essais ; Hypérion dans sa version définitive ; la tragédie inachevée d’Empédocle dans ses trois versions. Pour les Poèmes, on a écarté une assez grande proportion d’œuvres antérieures à 1800 (environ 130 poèmes), jugeant que l’essentiel jusqu’à cette date tenait dans le roman et la tragédie, et que ces poèmes, les plus éloignés de notre goût, souffriraient excessivement de la traduction. Mais après 1800, on lira ici plus de la moitié des Odes, toutes les Elégies, tous les Hymnes, tous les fragments, projets et ébauches d’hymnes ; enfin 29 des 48 poèmes des dernières années (les fameux Poèmes de la Folie). »
    D’autre part Philippe Jaccottet reconnait que l’idéal eût été de faire appel à un seul traducteur mais la tâche était irréalisable en l’état. C’est pourquoi il s’est tourné le plus souvent vers des traducteurs (des poètes la plupart du temps) qui avaient déjà travaillé sur Holderlin et dont le travail a consisté à prendre en compte les derniers travaux allemands sur les textes et de revoir occasionnellement leurs anciennes traductions pour y apporter quelques corrections d’ensemble :
    Jean Tardieu dans sa magistrale traduction de l’Archipel datant de 1939 (dommage qu’elle soit incomplète) ;
    Robert Rovini auteur d’une biographie suivie d’un florilège de poèmes dans la collection Poètes d’aujourd’hui chez Seghers (1953) (où l’on constate, niveau traduction, le travail parcouru en quelques années suite aux nombreux échanges avec Jaccottet, c’est ainsi que Rovini, dans les Odes, a des accents pratiquement horaciens) ;
    André du Bouchet (émérite traducteur d’un fragment de l’intraduisible Finnegans Wake de James Joyce) qui, lui, va s’occuper des derniers hymnes moins lyriques, plus secs, plus cassants, plus énigmatiques;
    et surtout celui qui, pour moi, incarne de façon merveilleuse la voix la plus lyrique d’Holderlin à savoir le suisse Gustave Roud dont un recueil intitulé Poèmes de Holderlin était paru en 1942 à Lausanne.
    Ce qui s’est passé entre les deux hommes est une belle histoire de poètes : quand Roud a dédicacé ce volume à Jaccottet, ce dernier avait à peine dix-huit ans. Le jeune poète et son mentor. Ce fut un évènement qui le nourrira, poétiquement parlant, toute sa vie. Et lorsque Jaccottet le rappellera, en 1967 (vingt-cinq ans plus tard), à la fin de sa vie, très solitaire, pour reprendre ses versions, il fut très touché par ce geste, tout en étant très réticent aux suggestions de retouches demandées par le jeune poète qui avait grandi de son coté !
    (je vous conseille, en complément, de vous offrir la réédition de ce recueil paru en 2002 chez la Bibliothèque des Arts où l’on reprend la version de chez Mermod en 1942, ajoutée de nouveaux poèmes ou de poèmes modifiés intégrés dans la version La Pléiade).
    Sinon Jaccottet dit de sa traduction : « je vois bien ce que l’on peut reprocher quelquefois aux versions de Roud qui courent quelquefois à arrondir un peu trop les angles, de relâcher la tension et de mettre une sourdine aux dissonances du langage des hymnes et des fragments tardifs » .
    Ne pas oublier Jaccottet lui-même qui fournira quelques traductions de première main !
    Toutefois, j’ai deux petits bémols à cette édition : que le poème Archipel ne soit pas complet (on aurait pu entreprendre une version complète à coté de celle, brillante soit, de Tardieu) ; devant la furia des Heidegerriens qui sévissaient à l’époque, Jaccottet a du, contraint et forcé, embaucher le plus sectaire d’entre eux à savoir François Fédier, ce qui d’un coup a fait dégringoler (de plusieurs étages) le niveau des traductions ; heureusement Fédier s’est occupé principalement des hymnes en esquisse …

    Pour mieux comparer les deux éditions, faisons place à la confrontation de deux traductions sur un extrait d’un des plus beaux poèmes de Holderlin : Aux Sources du Danube (1801)

    Traduction Gustave Roud

    Ainsi qu’à l’orgue, en accords sonores et splendides,
    Dans l’enceinte sacrée, très haut
    Jaillissement pur hors des tuyaux inépuisables,
    Sonnant l’éveil le prélude au matin commence,
    Et maintenant, au loin, de salle en salle,
    En nappe de fraîcheur le fleuve mélodieux s’épanche
    Et gorge d’enthousiasme peu à peu
    Toute la demeure aux replis d’ombre glacée,
    Et voici naître alors, voici qui montent vers le
    Soleil de la fête et lui répondent, les voix en chœur
    Des fidèles : telle s’en vint
    De l’Orient à nous la Parole,
    Et contre les rocs du Parnasse, aux flancs du Cithéron, ô
    Asie ! j’entends l’écho venu de toi et il se brise
    Au Capitole et des Alpes vertigineusement descendue

    Une étrangère s’en vient à nous, celle qui rompt
    Le sommeil, la
    Voix façonneuse d’hommes.
    Et de tous ceux qu’elle avait frappés, une stupeur
    Saisit l’âme, et sur les yeux les plus dignes
    Ce fut la nuit.
    Car l’homme est de grand pouvoir ; il maîtrise
    Les flots, la ferme roche et la fureur du feu ;
    Et l’épée, à ce forgeur de hauts desseins, n’impose
    Point, mais devant
    Le Divin l’homme fort gît abattu …

    Traduction François Garrigue (Œuvre poétique Complète : La Différence, 2005)

    Car tel qu’en haut de l’orgue aux splendides accords
    De la salle sacrée,
    Sourdant pur des tuyaux inépuisables
    Le prélude, éveilleur, attaque au matin
    Et loin, de nef en nef, à la ronde,
    Voici rafraichissant couler le fleuve mélodique,
    Emplissant jusqu’en ses ombres froides
    La demeure d’inspirations,
    Mais que s’éveille à son tour, montant vers la
    Solaire Etoile de la fête, en réponse,
    Le chœur de la communauté ; tel vint
    Le verbe d’Orient vers nous,
    Et aux rocs du Parnasse et au Cithéron j’entends
    Ô Asie, l’écho né de toi et il éclate
    Au Capitole et soudain descendant des Alpes

    Elle arrive en étrangère
    Sur nous, l’éveilleuse,
    La voix pétrisseuse d’hommes.
    Et un saisissement a pris les âmes
    De tous ceux qu’elle atteignait et ce fut
    Nuit souvent sur les yeux des meilleurs.
    Car il peut beaucoup
    Et le flot et le roc et la force du feu même
    Il maîtrise avec art, l’homme,
    Et n’a cure en sa grandeur
    De l’épée, mais il est
    Prostré, le fort, devant le divin.

    Maintenant, en reprenant le même extrait, voici un petit florilège allant des traducteurs les plus sourciers aux plus ciblistes en passant par les plus lyriques !

    Traduction François Fédier (Douze poèmes : La Différence, Coll. Orphée, 1992)

    Car, tout comme d’en haut, depuis le superbement accordé, depuis l’orgue,
    Dans la salle sauve,
    Jaillissant pur des inépuisables tuyaux
    Le prélude, éveillant, au matin commence
    Et loin tout autour, de halle en halle,
    Le rafraîchissant, alors, le fleuve mélodieux ruisselle,
    Jusque dans les froides ombres la maison
    Emplit d’enthousiasme,
    Et alors est réveillé, alors, se levant à lui,
    Au soleil de la fête répond
    Le chœur de la communauté : ainsi vint
    La parole depuis l’Est vers nous,
    Et aux rochers du Parnasse et au Cithéron j’entends,
    O Asie, ton écho et il se brise
    Au Capitole et abrupte, descendant des Alpes,

    Vient, une étrangère, elle,
    Vers nous, l’éveilleuse,
    La voix formeuse d’hommes.
    Un étonnement, là, saisit l’âme
    De ceux qui furent atteints, tous, et la nuit
    Etait sur les yeux des meilleurs.
    Car de beaucoup est capable,
    Et le flot et le roc et la force du feu aussi
    Il les soumet avec art, l’homme,
    Et ne tient pas, le magnanime, compte
    Du glaive mais il se trouve,
    Devant ce qui est divin, frappé à terre, le vigoureux …

    Traduction Bernard Pautrat (Hymnes et autres poèmes : Rivage Poche, 2004)

    Car, de même que, lorsque, tombant du splendidement accordé, de l’orgue dans la salle sainte,
    Sourdant pur des inépuisables tuyaux,
    Commence du matin le prélude éveilleur
    Et que, loin alentour, de halle en halle
    À présent, le rafraîchissant, le flot mélodieux, s’écoule, –
    Jusqu’en ses ombres froides la maison
    En est toute emplie d’enthousiasmes,
    Mais à présent voici qu’est éveillé, à présent, que, montant à lui,
    Soleil de la fête répond
    Le choeur de la communauté : de même vint
    La parole de l’est chez nous,
    Et sur les rochers du Parnasse et sur le Cithéron j’entends,
    O Asie, l’écho de toi venu, il se brise
    Sur le Capitole et soudain du haut des Alpes

    Vient une étrangère, elle,
    Chez nous, l’éveilleuse,
    La voix façonneuse d’hommes.
    Là fut saisie d’une stupeur l’âme
    Ceux qu’elle frappa, tous, et nuit
    Ce fut souvent sur les yeux des meilleurs.
    Car il est de beaucoup capable,
    Et le flot et le roc ainsi que la force du feu
    Il les dompte, l’homme, avec art,
    Et se soucier, l’orgueilleux, du glaive,
    Il ne le fait, mais il se voit
    Par du divin, le fort, jeté à terre,

    Traduction Armel Guerne (Hymnes, Elégies et autres poèmes : Flammarion, Coll. GF, 1983)

    Ainsi que de là-haut, des riches harmonies, et puissantes, de l’orgue
    Dans la salle sacrée,
    En pur ruissellement de ces tuyaux intarissables
    Le Prélude éveilleur commence le matin
    Et va s’amplifiant de galerie en galerie
    Et que vivifiant, le fleuve mélodique coule à présent
    Jusqu’aux ombres glacées, et la ferveur
    Emplit partout la Maison,
    Et alors éveillé, maintenant il se lève, maintenant
    Il répond au soleil de la Fête,
    Le chœur de l’assemblée ; ainsi le verbe vint
    De l’Orient à nous,
    Et sur les roches du Parnasse et sur le Cithéron
    Je l’entends, ô Asie, l’écho venu de toi
    Et il se rompt contre le Capitole,
    Et voici que soudain, précipitée du haut des Alpes,

    Elle vient, Etrangère,
    Jusqu’à nous, l’Eveilleuse,
    La voix façonneuse d’hommes.
    Une stupeur alors étreignit l’âme
    De tous ceux qu’elle avait atteints, et la nuit fut
    Sur les yeux des meilleurs.
    Car le pouvoir est grand
    De l’homme et de son art, et il mate
    Et le flot et le roc et la force du feu,
    Et l’épée, ce porteur de très nobles pensées, point ne la craint ;
    Mais devant le divin
    Le fort est abattu.

    Traduction Raoul de Varax (Hymnes : des Vanneaux, 2014)

    De même que dans la nef sacrée s’élèvent
    Les splendides accords de l’orgue,
    Pure effusion de ses tuyaux inépuisables,
    Entonnant le prélude éveilleur du matin,
    Et qu’au loin, de proche en proche, de salle en salle,
    Coule le flot rafraîchissant du fleuve mélodique
    Et jusqu’en ses niches d’ombre glacée
    D’enthousiasme s’emplit la demeure,
    Et que maintenant réveillé, se lève le soleil
    De la Fête et lui répond
    Le chœur de la communauté ; ainsi nous est
    Venue d’orient la Parole,
    Et contre le roc du Parnasse et aux pentes du Cithéron,
    J’entends retentir, Asie, l’écho de ta voix, et
    Il expire au Capitole et soudain descendue des Alpes,

    Vient à nous une étrangère,
    L’éveilleuse,
    La voix qui donne forme aux hommes.
    Et la stupéfaction saisit l’âme
    De tous ceux qu’elle avait atteints et sur les yeux
    Des meilleurs tomba la nuit.
    Car grand est le pouvoir
    De l’homme, habile à dompter le roc et les flots
    Et la puissance du feu.
    Et celui qui porte haut les desseins, n’a peur
    Du glaive, mais le Fort
    Devant le Divin git terrassé..

    Traduction Geneviève Bianquis (Poèmes : Aubier, 1943)

    Car, tel, du haut de l’orgue aux somptueux accords,
    Dans la nef consacrée,
    En un flot pur jailli des tuyaux inépuisables,
    Dès le matin le Prélude résonne et nous éveille ;
    Tel ensuite, de proche en proche, de voûte en voûte,
    Le fleuve mélodique s’épanche en torrents de fraîcheur
    Jusqu’à ce que l’édifice, en ses recoins même les plus sombres empli d’enthousiasme,
    S’éveille enfin, et que, montant à sa rencontre
    Comme vers le soleil de cette fête
    S’élève en réponse le chœur des fidèles ;
    Tel le Verbe nous est venu de l’Orient,
    Et sur les rochers du Parnasse, sur les flancs du Cithéron,
    Voix de l’Asie, j’entends ton écho,
    Qui se brise ensuite sur le Capitole
    Et soudain fond sur nous du haut des Alpes,

    L’Etrangère,
    L’Eveilleuse,
    La Voix qui forme les humains.
    Et d’abord la stupeur saisit les âmes
    De tous ceux qui l’entendirent, et les ténèbres
    Couvrirent les yeux des meilleurs.
    Car grand est le pouvoir de l’homme,
    Et par son art il dompte les flots, les rocs et la puissance du feu,
    Et son âme intrépide ne redoute pas l’épée,
    Mais en présence du divin
    Le fort demeure anéanti …

    Et comme preuve de la qualité de la Dream Team chez La Pléiade, voici d’autres échantillons !

    Vulcain (Robert Rovini) (1800)

    Or, viens, Génie du feu familier, blottir
    Dans les nuées, le tendre cœur des femmes,
    Dans l’or des rêves, viens, protège.
    Ces fleurs de calme et de bonté sans fin.

    Pour l’homme, fasse qu’à son affaire et ses pensées,
    Qu’au feu de sa bougie et au jour qui vient
    Il se plaise, qu’il n’ait excès à souffrir
    Ni de chagrin ni de soucis odieux,

    Ces nuits venues où, dans sa colère sans trêve, Borée,
    Mon ennemi mortel, saisit les terres sous le gel
    Et, se riant des hommes, leur chante à l’heure
    Tardive du sommeil sa terrible musique,

    Ravage les murs de nos cités, et la clôture
    Avec tout notre soin posée, et le verger paisible,
    Et vient, lui qui dévaste tout, même
    Quand elle chante, troubler mon âme,

    Déchaîne sur le fleuve tranquille sa furie,
    Ses noirs orages sur la vallée qui bout
    Au loin tandis que, feuille morte, roule
    De la colline éventrée le roc et retombe….

    L’archipel ( Jean Tardieu) (printemps 1800)

    …Car tu vis, ô Puissant ! et toujours sans vieillir tu reposes dans l’ombre
    De tes monts, comme alors, et toujours étreignant de tes bras de jeune homme
    La terre que tes vagues entourent, le pays ravissant de tes filles.
    Pas une île perdue ! Oh, pas une des fleurs de tes eaux n’est perdue !
    Crète est debout et Salamine a reverdi, et, sous la lueur des lauriers
    Ornée d’une auréole de rayons, à l’heure où s’enflamme l’aurore,
    Délos élève son front inspiré ! Et Ténos et Chios
    Regorgent de fruits empourprés, et, du haut de ses collines ivres,
    La boisson de Cypros ruisselle, et, sur les pentes de Kalauria
    Comme alors, les ruisseaux argentés gagnent l’onde ancestrale du Père !
    Toutes sont là, les îles, les mères immortelles des Héros.
    Les printemps successifs voient leurs fleurs ; mais au temps où du fond de l’abîme
    La flamme de la nuit, l’ouragan souterrain déchaînant sa fureur,
    Saisissait tout à coup l’une d’elles et jetait dans ton sein la mourante,
    Tu restais patient et divin, car ta face impassible aura vu
    Plus d’un monde apparaître et sombrer sur les gouffres remplis de ténèbres….

    La promenade à la campagne (Philippe Jaccottet) (Elégie, Automme 1800)

    …Viens dans l’Ouvert, ami ! bien qu’aujourd’hui peu de lumière
    Scintille encore, et que le ciel nous soit prison.
    Les cimes des forêts à notre gré ni les montagnes
    N’ont pu s’épanouir, et l’air reste sans voix.
    Il fait sombre, allées et ruelles dorment, et pour un peu
    Je nous croirais à l’âge du plomb revenus.
    Pourtant un voeu s’exauce, la juste foi n’est point troublée
    Par un moment : ce jour soit voué à la joie!
    Car ce n’est maigre aubaine que nous arrachons au ciel,
    Comme ces dons aux enfants longtemps refusés.
    Que seulement de tels propos, de nos pas, de nos peines,
    Le gain soit digne, et sans mensonge l’agrément!
    C’est pourquoi je garde l’espoir, quand nous aurons risqué
    Le pas rêvé, et d’abord délié nos langues
    Et trouvé la parole, et notre coeur épanoui,
    Quand du front ivre une autre raison jaillira,
    Que notre floraison hâte la floraison du ciel,
    Qu’ouverte soit au regard ouvert la lumière. ..

    Mnémosyne (André du Bouchet) (troisième version, automne 1803) (Mercure de France, 1986)

    …Sous le figuier, oui, il
    Est mort, mon Achille,
    Et Ajax repose
    Auprès des grottes de la mer,
    Auprès des ruisseaux, voisins du Scamandre.
    D’un pareil froissement aux tempes, autrefois, selon
    La coutume de Salamine, là comme toujours
    Où elle aura été, en terre étrangère, le grand
    Ajax a péri ;
    Mais Patrocle, lui, dans le harnais du roi. Et d’autres
    Ont péri, nombreux. Mais près du Cythéron s’étendait
    Eleuthère, la ville de Mnémosyne. Elle de qui, tard, comme
    Le dieu laissait son manteau, un crépuscule également dénoua
    Les boucles. Car les Célestes sont
    Irrités, dès lors qu’un être, au hasard de son âme,
    Se sera voulu entier, mais lui le doit ; et tel,
    Pour lui défaut sera le deuil…

    Très bonnes lectures !

    • Merci Revpop pour cet excellent article qui constituerait la base d’une solide introduction à Friedrich Hölderlin sur le site Propager le feu, dont l’un des principaux objectifs est, justement, de conseiller telle ou telle édition d’un auteur. Pourquoi ne contacteriez-vous pas Draak fut là à cette fin ?

  47. Annonce officielle parution le 13 octobre des oeuvres complètes de Spinoza avec une courte présentation qui baratine au lieu de décrire la différence entre cette édition et celle de 1955.

    «Spinoza naît en 1632 dans la communauté juive d’Amsterdam avec laquelle il rompra. Malgré ses liens avec le monde actuel et politique, il incarne le type du philosophe solitaire. La plus grande partie de son œuvre est publiée en 1677, l’année de sa mort, par ses proches. Tout un XVIIIe siècle s’est fait peur avec Spinoza, qualifié de matérialiste et d’athée, de destructeur du libre arbitre et de la morale. Il a fallu attendre l’idéalisme allemand, Schelling et Hegel, pour que soit abordé le contenu spéculatif du spinozisme : le rapport de la totalité et de l’unité, de l’infinité et de la négation, de l’absolu, de la substance et de la liberté.» – Alexandre J.-L. Delamarre.

    • Décidément, Spinoza est à la mode. Nous avons notamment récemment eu des éditions chez Flammarion et aux PUF. Je suis curieux de savoir ce que celle-ci apportera.

  48. Quel est le plus beau livre du monde ? Typiquement une question estivale, vous me direz ! N’empêche quelle serait votre réponse ?

    Claro, le très imminent traducteur de langues anglaises (Vollmann, Pynchon, Danielewski, Barth, Gaddis , Gass , Rushdie, et Alan Moore pour ne citer que les meilleurs) le connait, lui, le plus beau livre, et le martèle, tambour battant, à la face du monde depuis 2014. Pourquoi tant d’acharnement de sa part ? Tout simplement du fait qu’il n’est toujours pas traduit en français.

    Il y a quelques jours, sur son compte twitter, ce même Claro récidivait :
    « Je lance une fois de plus un ultimatum. Si aucun éditeur n’achète les droits de « Miss MacIntosh, My Darling » de Marguerite Young d’ici la fin de l’année, je n’écrirai plus que des poèmes sur les légumes mous. »
    Voici un message brûlant pour tous les éditeurs français et j’ai pensé tout de suite aux éditions la Pléiade. J’imagine que ses décideurs, spécialistes ô combien sérieux de la Littérature Mondiale, connaissent bien ce blog ; ils en savourent, tous les jours, les multiples louanges ! Un véritable délice pour eux, ce blog !
    Alors éditer le plus beau livre du monde, qui plus est, inédit en langue française, serait, pour eux, le casse du siècle. Le jackpot de la reconnaissance ultime ! Messieurs, écoutez attentivement, collez vos oreilles si besoin est, le sermon de l’ami Claro :
    « Allez, parlons une fois de plus du plus beau livre du monde: « Miss Macintosh, My Darling », de Marguerite Young, ce fabuleux roman de plus de mille pages que l’auteur mit dix-huit ans à écrire et qui parut en 1965, éblouissant les rares lecteurs qui eurent la force d’âme de s’y noyer »

    Quand le nom de Marguerite Young est revenu en 2014 dans le monde littéraire parisien sous la plume de Claro, il me disait quelque chose : je l’avais effectivement croisé il y a bien longtemps, le temps d’une jeunesse où j’accumulais tous les dictionnaires sur les littératures étrangères que je pouvais trouver (Gibert Jeune à Odéon), plus particulièrement la littérature américaine. Entre autres, j’éprouvais une petite faiblesse pour les ouvrages de Pierre Brodin dans la collection « écrivains américains d’aujourd’hui », qui s’étalait de la seconde guerre mondiale aux années 80.
    Et voila ce que disait Pierre Brodin du plus beau livre du monde en 1969 ! je répète en 1969, soit il y a plus de cinquante ans !
    « Dans un monde d’ouvrages brefs, superficiels ou frivoles pour lecteurs fatigués, le roman de Marguerite Young, MISS McINTOSH, MY DARLING, ne saurait avoir aucune place. Il exige un certain effort, ne serait-ce que pour prendre en mains ce volume de poids (trois livres et demie), dont les trois mille cinq cents pages de manuscrit n’ont pu être réduites qu’à onze cent quatre-vingt-dix-huit de texte imprimé. L’ouvrage est long, massif, mais pas plus que MOBY DICK, qu’ULYSSE ou que FINNEGAN’S WAKE, et pas plus que ces grands classiques, il ne peut être lu d’une seule traite. Il est vrai que l’auteur a mis dix-sept ans à l’écrire, et, pour paraphraser un mot de Valéry, il serait impensable qu’une oeuvre d’art mûrie en dix-sept ans puisse être assimilée et jugée en dix-sept minutes.
    L’ouvrage est aussi un roman picaresque, une sorte d’épopée, de MILLE ET UNE NUITS de l’infraconscience du XXe siècle américain, un roman philosophique, un roman réaliste, où l’on retrouve les couleurs, les sons et les odeurs de l’hinterland américain, de cet Indiana où a grandi l’auteur, un roman surréaliste, un roman poétique. L’auteur est une virtuose du langage. Eloquente, imaginative, sensible, elle use d’un style extrêmement musical, fait d’images très riches, de métaphores, d’incantations, de litanies, de répétitions, d’énumérations, d’illuminations. L’ouvrage abonde en pages d’un lyrisme extraordinaire et d’une intensité obsédante. On pense à Rimbaud, aux romantiques allemands, à Anaïs Nin, à Dylan Thomas et, plus encore, à certains peintres anciens et modernes : Breughel, Hogarth, Goya, Chagall, Rouault, Dali.
    Quelles réserves, donc, doit-on faire sur ce livre ? On lui a reproché d’être long et exubérant. Il est, incontestablement, trop long pour le lecteur pressé, et il est exubérant comme la vie peut l’être. On a dit qu’il était indigeste. Il l’est certainement pour ceux qui ont une petite bouche et un petit estomac. On l’a accusé d’être trop écrit. Il l’est, évidemment, pour ceux qui n’aiment que les reportages sociaux (de préférence illustrés) et qui ont perdu l’amour et jusqu’à la notion du style.
    Je suis volontiers tenté, pour ma part, de déclarer que MISS McINTOSH est un des ouvrages les plus importants qu’on ait publiés en Amérique depuis MOBY DICK. »

    Vous avez entendu, Messieurs de la Pléiade, vous allez éditer l’équivalent d’un Moby Dick, oui d’un Moby Dick, de quoi faire taire, une bonne fois pour tout, tous ces pisse-froids qui je l’avoue, mais de temps en temps, encombrent ce blog de leurs litanies nauséeuses envers vous.

    Claro connaissait également l’ouvrage de Pierre Brodin et donnons lui le mot de la fin :

    « Brodin espérait également que le livre trouve vite un accueil en traduction. Hélas, il n’en a rien été à ce jour. Miss McIntosh, My Darling reste le secret le mieux gardé de la littérature mondiale dans la catégorie des chefs d’œuvre, malgré le soutien indéfectible d’Anaïs Nin à l’époque. Sa taille n’y est pour rien, car ses cousins – Ulysse, Moby Dick, La Recherche, etc. – n’ont en rien pâti de leur volume, mais il est vrai que ces derniers étaient écrits par des hommes. Espérons que cette œuvre surréelle et lunaire finira par s’imposer, non parce qu’elle est imposante, mais parce que son invisibilité est parmi les plus terribles injustices littéraires. Saint Jérôme, priez pour elle… »

    Voici deux traductions d’un même extrait provenant du chapitre 1. C’est le seul morceau publié de la main de Claro. La deuxième traduction vient de Fanny Quément, fan de Marguerite Young, qui sur son site a fait paraitre tout le chapitre 1.

    Traduction Claro :
    « De longues nuits, à la recherche de celle qui était morte, moi, Vera Cartwheel, moi, la fille implorante d’une mère sous le joug de l’opium, une mère plus belle que les anges de lumière, moi, Vera Cartwheel, j’avais erré dans les rues de vastes et mystérieuses cités portuaires, celles qui, la nuit, se ressemblaient toutes, et où les visages fantomatiques surgissaient comme l’écume, disparaissant aussitôt, des visages aussi perdus que le mien, des voix qui criaient sous l’eau, des algues emmêlées dans les cheveux des noyés imprudents. J’avais dormi dans des abris pour âmes errantes, ces âmes qui ne manqueront à personne, à la recherche de celle qui était morte, et toujours dehors, et seule, l’unique personne qui ne rêvait pas et qui pourtant avait paru, au fil des années depuis sa disparition, le cœur central, le cœur de tous les cœurs, le visage de tous les visages, la défunte timonière, mon amour de Miss McIntosh, cette vieille gouvernante et domestique aux cheveux roux et dont le visage fixait le ciel océan. »

    Traduction Fanny Quément :
    « Des nuits durant, à la recherche de quelqu’un qui n’était plus, moi, Vera Cartwheel, moi, la fille agenouillée d’une mère sous l’emprise de l’opium, une mère plus belle que des anges de lumière, moi, Vera Cartwheel, j’avais erré dans les rues de grands et mystérieux ports, ceux qui, la nuit, se ressemblaient tous, là où les visages spectraux apparaissaient, disparaissaient tel l’écume, des visages aussi perdus que le mien, des voix qui hurlaient sous les eaux, des algues prises dans les cheveux du baigneur noyé. J’avais dormi dans des refuges pour âmes perdues, celles qui ne manqueront à personne, à la recherche de quelqu’un qui était perdu, dehors pour toujours, dans la solitude, la seule personne qui ne rêvait pas et qui pourtant s’était apparentée, avec les années passées depuis qu’elle avait disparu de ma vie, au cœur central, au cœur de tous les cœurs, au visage de tous les visages, au timonier mort, Miss MacIntosh, ma très chère, une vieille gouvernante aux cheveux roux qui levait la tête vers les eaux du ciel »

    Un troisième extrait qui se situe à la fin du chapitre 1, toujours traduit par Fanny Quément et qui décrit, entre autres, la fameuse Miss MacIntosh :
    « une pauvre domestique dont les plus jolis gants de coton noir étaient rapiécés, dont le réticule était un filet, dont les lunettes étaient minimales et dont le visage, vierge de tout maquillage, sans la moindre trace de rouge à lèvres, montrait son teint naturel sous son vieux parapluie de toile noire qui l’abritait de la pluie comme du soleil puisqu’elle avait pris l’habitude d’aller marcher sur le rivage, préférant ces confins à la demeure de ma mère où, bien que la houle l’emplît de ses rugissements félins, l’océan lui-même n’était qu’un rêve de plus dans le lointain et semblait intangible. Cette grande bâtisse noircie par la mer, avec les dorures de ses flèches et de ses corniches, ses tourelles qui s’écaillaient dans l’air salé, ses obscures venelles, ses intérieurs secrets, ses grands salons vides dont la maîtresse de maison n’avait pas franchi le seuil depuis des années, autant de salons que d’années sans marées, ses pièces trop nombreuses pour une seule vie, ses chambres qui renfermaient d’autres chambres, ses salles de bal tout en dorures et miroirs où personne ne dansait, ses tentures de velours doré, pelées et maculées d’auréoles, tous ses monstres païens, ses plafonds peints, nuageux, que les dieux venaient illuminer de leurs apparitions partielles, ses murs capitonnés de soie, les cordes de ses cloches rouillées, ses anges et son chérubin, et sa rose éternelle, ce rêve de paradis avec ses vierges aux seins d’ivoire parties batifoler dans les champs d’asphodèles, ses gargouilles que la pluie faisait gargouiller ou bien celles que la poussière recouvrait, ses fontaines intérieures ou extérieures, ses marbres en morceaux dans les ruines des jardins qui descendaient vers la mer, son discobole, ses gros cupidons, ses psychés graciles, toutes anglaises au vent, son Apollon du Belvédère muet, ses cavaliers du roi, ses pièces d’échec à taille humaine qui semblaient se mouvoir sur le mouvement des nuages en émoi sur les eaux mouvantes, la lumière des eaux venant illuminer le bois de leurs yeux tandis que les mouettes s’y perchaient comme un tourbillon de neige. »

    Très Bonnes Lectures (Messieurs de la Pléiade)

    • Revpop,
      Je viens de vous copier-coller en extraits pour transmettre l’ultimatum à Monsieur Toussaint Louverture. Ils éditent des américains. Sait-on jamais ?
      DraaK fut là

        • Merci infiniment pour ses retours.
          Sachez que Claro, notre vigie à tous, a déjà entamé la traduction (il en a fait à peu près le dixième d’après son compte twitter), et qu’il est habitué à traduire des livres « monstres » comme Le Tunnel de William Gass ou Jerusalem d’Alan Moore (1266 pages !).
          Il faut savoir également que Claro a traduit un grand classique de chez Monsieur Toussaint Louverture qui doit être ré-édité le 25 Août : La Maison Des Feuilles de Mark Z. Danielewski.

          • Erratum : la première édition de La Maison Des Feuilles est parue aux éditions Denoël et d’ailleurs en 2002. C’est sa ré-édition qui est chez Monsieur Toussaint Louverture, avec, parait-il, un bonus :  » Aujourd’hui et pour la première fois, il est offert aux lecteurs français dans son Édition couleur remasterisée. » !

    • J’adore les Vrais Croyants comme vous, cher revpop, qui ont fait de leur vie un sacerdoce et vont partout répétant qu’eux seuls ont découvert le Nouveau Coran, la Bible de notre Temps ou bien Le-Plus-Grand-Livre-du-Monde tout simplement.
      J’en ai connu quelques-uns dans ma jeunesse – j’ai même dû me prendre pour l’un d’eux en plus d’une occasion. Mais comment choisir entre tous ces prophètes et toutes ces nouvelles Bibles ?

      Évidemment, comme tout bon prophète, il faut qu’ils vitupèrent et lancent des malédictions contre le peuple de béotiens qui fait la sourde oreille :
      « Vous avez entendu, Messieurs de la Pléiade, vous allez éditer l’équivalent d’un Moby Dick, oui d’un Moby Dick, de quoi faire taire, une bonne fois pour tout, tous ces pisse-froids qui je l’avoue, mais de temps en temps, encombrent ce blog de leurs litanies nauséeuses envers vous. »

      Pas si sourd que cela le « pisse-froid », il vous a reçu cinq sur cinq, et il vous rend la pareille, en toute amitié.

      Je mourrai donc en n’ayant pas lu le-plus-grand-livre-du-monde (et même, 99% des plus grands livres du monde) et ce ne sera pas mon plus grand regret, en quittant la vie.

      …………………………………………..

      PS : au fait, un conseil de vieux p…-fr… : un peu de mesure, même dans la démesure, cela ne gâcherait rien, vous savez.

      • Il va sans dire (mais toujours mieux en le disant, selon la formule consacrée) que ma petite pique ne concerne en rien Marguerite Young que je ne connais pas, mais concernent directement ses zélés zélateurs qui, je trouve, poussent le bouchon un peu loin.
        J’avoue avoir une nette préférence pour la modestie, la rigueur, l’emploi du conditionnel, l’esprit critique et auto-critique et toute cette sorte de choses qui n’a plus cours en nos temps où tout est si vite qualifié de « génial ».

        Remarque (fielleuse) en passant) : le fait de citer Alan Moore (que je révère comme scénariste de comics, un peu moins comme écrivain) au milieu de ce fatras ne me rassure guère. On va considérer cela comme un simple dégât collatéral et n’en plus parler.

        • Cher Domonkos, c’était de l’humour !
          Je me mettais à la place des gens de la Pléiade qui, en lisant ce blog, doivent nous considérer comme des p…-fr… ! tout simplement ! Au contraire, pour ma part, je vous rejoins la plupart du temps sur les avis (tranchés) plus que négatifs à l’encontre de cette prestigieuse maison d’édition !
          Quant au coté « surjoué » je peux vous l’accorder, mais n’empêche, sur les quelques pages que j’ai lues, j’aimerais vraiment lire ce roman en français si dieu le veut, et le plus vite possible …Je souhaite la même chose à pas mal de nos lecteurs …
          Vous savez, j’ai bien aimé quand vous avez été dithyrambique (et long et complet) sur Gérard de Nerval, me décidant même d’aller pointer mon nez sur son oeuvre : ce qui n’aurait pas été le cas si vous aviez été tiédasse (ou mesuré) sur le bonhomme !

          • Faut bien que je me venge de cette horrible chaleur et de cette sècheresse qui durent depuis trois mois et détruisent mes nerfs (et pas que…). C’est tombé sur vous. Je sais, c’est injuste. Mais la vengeance n’en est que meilleure…

      • La différence entre les prophètes et les promoteurs enthousiastes de meilleur-livre-du-monde est que nous n’avons pas à choisir notre religion, mais que nous sommes libres de butiner et de nous faire notre propre avis.

        Quand je rencontre un lecteur, ou la moindre personne ayant l’air d’avoir pu lire un jour, c’est d’ailleurs une question que je pose presque systématiquement : « Quel est ton livre préféré ? » Les réponses, une fois dégagées de leurs croûtes de merde séchée (L’Alchimiste, les Piliers de la terre, les Fourmis…) m’offrent parfois quelques belles trouvailles.

        DraaK fut là

        • Il y a des livres formidables – et difficilement exportables – dans nombre de langues du monde… Citons par exemple « Orcynus Orca » de Stefano d’Arrigo… par exemple.

          • Bingo ! Une autre poésie italienne !
            Je suis, là, ce matin, entrain de relire pour la énième fois l’incipit de « Horcynus Orca » traduit divinement par Danielle Appolonio dans la non moins superbe revue Caravanes (n°2, 1990). Cette dernière, depuis, a disparu des radars alors qu’elle était pressenti pour livrer sa traduction des 1257 pages de ce livre aux éditions Le Promeneur. Dès fois la nuit, je me réveille en sursaut, pensant trouver l’ouvrage tant espéré dans ma boîte aux lettres !
            Depuis 2012, Benoit Virot, des éditions Nouvelle Attila, tente de le publier avec une autre équipe de traducteurs, plus de dix ans déjà !
            Voici quatre versions du début de l’incipit ici : http://www.lenouvelattila.fr/ho/la-traduction/quatre-versions-de-l-incipit/
            J’ai une trèstrès nette préférence pour celle d’Appolonio !

          • pressentie*
            Il ne va pas sans dire que « Horcynus Orca » de Stéfano d’Arrigo fait partie des plus beaux livres du monde, aussi ! 🙂

  49. Et si le livre le plus beau du monde n’était pas finalement le « Horcynus Orca » de Stefano d’Arrigo ?
    Pour ma part, c’est une des pistes possibles depuis qu’en 1990 je découvrais les trente premières pages dans une revue littéraire. Un choc ! Il est totalement incongru que la simple goutte d’eau que j’avais lue puisse me provoquer un tel traumatisme, alors que j’étais (et je le suis encore) à mille lieux de me noyer dans cet océan de plus de 1200 pages. Une simple goutte d’eau a suffi. Trente deux ans après, aujourd’hui, j’ai toujours la gorge serré malgré le fait que j’en sois resté à ces trente petites pages que je relis ad libitum ..

    Comment ne pas tomber amoureux du portrait de cette fameux Cata, bibelot ô combien gracile, que le héros, le marin ‘Ndrja Combria, doit déflorer sous les ordres et sous les yeux inquisiteurs de sa belle-mère maquerelle, chef d’une harde de piratesses nommée les féminardes ?
    Voici la version de Danielle Appolonio (quel nom divin !) qui me fait à chaque fois frissonner d’autant plus qu’il est très fort probable que l’on ne connaîtra d’elle que l’incipit du roman (je vous conseille d’acheter pour une dizaine d’euros la revue Caravanes n°2, y est aussi inclus un texte de l’ogre de Budapest, autre intraduisible !) :

    « Parmi les féminardes, il est plus difficile d’en trouver de laides que de jolies, et parmi la dizaine qui se trouvait tapie là dans l’ombre feuillue, les belles ne devaient pas faire défaut ; peut-être en était-il même de plus belles que Cata. Mais elle, elle était différente, elle était rare : elle n’était pas belle, elle était Beauté. Voilà pourquoi l’entremetteuse lui avait dit qu’il devait se frotter les yeux avant de la voir. Cata ne ressemblait à aucune autre. Elle n’avait rien du maintien dur, autoritaire et sombre des féminardes, rien de l’allure canaille et sauvage de leur corps sculpté, proportionné à la perfection – cuisses longues, jambes d’échassier reposant sur des pieds toujours nus, à la plante large toute noircie de poussière, formes souples, élastiques, démarche de statues vivantes animées de moelle de bambou, avec ce mouvement de tige qui vibre et dont se ressent même l’air où elles passent. Non, Cata n’avait rien de ces vertus féminardes, rien de cet air tyrannique et impudent par lequel ses consœurs manifestent leur ascendant sur l’homme, rien, en somme, de cette allure aguicheuse qui attire et décourage à la fois. Elle était tout le contraire : la négation même d’une féminarde.
    On restait bouche bée à détourner le regard des autres et à la contempler, elle seule, mignonne jouvencelle, vraie miniature, petite merveille charnelle qui, depuis la taille fine, jaillissait en bouquet vers la poitrine, dilatant le corsage à lacets, non pas comme ces mammelleries écrasantes qui s’exhibaient dans le jardin, mais plutôt comme un gros soupir : c’était un si petit bout de femme qu’on aurait pu, pour s’en faire une idée, entrecroiser sous elle les doigts en balançoire et la bercer dans ses bras comme une poupée de chiffons. Toute menue, de peau satinée, elle avait un visage couleur de sucre glace, d’une blancheur si pure, si virginale qu’elle laissait penser que si ses compagnes au teint sauré marchaient éternellement sous le soleil, elle au contraire devait s’abriter jalousement sous une ombrelle. Les traits de son visage donnaient l’impression d’avoir été dessinés à la main, sur petit format, à seule fin de composer un ovale d’une si exacte précision. Le blanc de ses yeux en amande était à peine visible et la pupille, pareille à un petit papillon encore dans son cocon, noire, rondelette et translucide. Tant de grâce envoûtante, surtout au milieu de cette compagnie, suscitait si bien la surprise qu’on en avait le souffle coupé. Et pour finir, on avait envie de la manger des yeux.
    Toutefois, lorsqu’on essayait de croiser son regard pour la caresser des prunelles, l’enthousiasme tombait, l’intention mourait car, pour reprendre une comparaison, si nos yeux s’élançaient vers elle comme deux bourdons attirés par l’odeur du miel, l’instant d’après ils s’envolaient au loin, effrayés de découvrir que ce parfum sucré émanait d’elle comme d’une fleur artificielle – ou comme d’une fleur bien réelle mais carnivore.
    D’après l’expression de son visage, on aurait dit que son esprit contemplait la merveille de son corps, ni plus ni moins, comme eût fait un petit nuage posé au-dessus de lui, et qu’il s’amusait à lui faire de l’ombre, tantôt le couvrant, tantôt le découvrant, tantôt feignant de le suivre, tantôt de se faire suivre. C’était là une impression claire et obscure à la fois, que l’on recevait au premier regard : dans l’ombre douce et sous-marine du jardin, on avait l’illusion de la voir comme reflétée dans l’eau ; non pas de la voir en réalité, elle et son regard sain, réel, mais de découvrir son image réfléchie, projetée hors d’elle, distraitement, dans ses yeux mêmes, comme une pensée qui se serait échappée de son esprit.
    Elle était là, posée plus qu’assise sur sa claie, entre les deux vieilles qui se tenaient debout, muettes et attentives. Elle était seule, avec son sourire étrange, terrible et béat, baignant dans un air délicat, bien en vue, tel un objet intouchable exposé derrière une vitre, fragile, nimbée d’une majesté sans attributs comme sans raison. Telle était sa part de mystère : ce qui attirait, en elle, éloignait d’elle; ce qui poussait presque à la prendre dans ses bras poussait aussi à la fuir. »

    Voici la version de Monique Bacelli et Antonio Werli qui doit paraitre aux éditions Nouvelle Attila dans un futur plus ou moins proche. Ceci est une version non définitive lue il y a quelques années dans un forum sur la traduction.
    Où l’on voit tout de suite le gap entre une traduction littérale, soucieuse de conserver et convertir les nombreux néologismes du texte source mais bancale dans son résultat final et celle d’Appolonio, plus poétique et harmonieuse, une sorte d’ample largo tantôt tendu, tantôt sinueux.

    « Chez les féminautes, il est difficile de trouver la laide, pas la belle, et parmi cette dizaine de femmes tassées dans l’ombre du jardin, les belles assurément ne manquaient pas. Peut-être y en avait-il même de plus belles que cette Cata, mais elle était différente, elle était rare. Ce n’était pas une beauté, c’était une vénusté. C’est pour cela que l’entremetteuse disait qu’il devait purifier ses yeux pour la voir, parce qu’elle ne ressemblait pas aux autres, à aucune autre. Elle n’avait rien de la carnation féminaute, ferme, impérieuse, hâlée, rien de leur allure malandrine si naturelle avec leur corps de statue plutôt grand mais bien proportionné, parfait, un corps haut de pont, cuisses longues, jambes échassières, les larges noires et poussiéreuses plantes de pied toujours nues sur lesquelles repose puissamment ce corps pourtant doux et élastique, comme de vraies statues qui marchent, animées de cette moelle de roseau leur donnant une allure de tige vibrante que l’on ressent jusque dans l’air où elle passe. Cette Cata n’avait aucune
    des fameuses particularités féminautes, rien de l’air despotique et insolent avec lequel elles assurent leur ascendant sur l’homme, rien, somme toute, de cet ensemble canaille qui, chez la féminaute, attire et décourage à la fois. Elle était tout le contraire, la négation d’une féminaute.
    Il restait la bouche ouverte et détournait les yeux des autres. Il la regardait, elle, une fémignonne, une mignonnette, une miniature, un petit bijou de corps s’élevant de la taille galbée jusqu’aux seins qui gonflaient un casaquin entre les lacets, pas comme cette mamellerie débordante que l’on voyait au jardin, mais comme un gros soupir. Cette féminelle était une vraie figure de mode, au point que l’on songeait à croiser les mains en bercelonnette et à la bercer dans ses bras comme un poupon. Mignonnette, une peau satinée, le visage comme du sucre fondu, une blancheur si naturellement vierge, laissant penser qu’elle, tandis que ses compagnes boucanées et hâlées marchaient toujours en plein soleil, elle s’abritait jalousement sous une ombrelle. Des traits de visage que l’on aurait dit dessinés à la main dans un petit format modulé juste ce qu’il fallait pour cet ovale, des yeux en amande, le blanc à peine éclos et la pupille comme une coccinelle, papillon encore fermé, soucoupe noire translucide. Elle était d’une beauté captivante, si surprenante à voir en cette compagnie qu’elle coupait le souffle. Pour conclure, on avait envie de la manger des yeux.
    Ce qu’il se passait, c’est qu’au moment de rechercher son regard, peut-être pour lui faire un petit clin d’œil, de connivence, l’enthousiasme se refroidissait, l’intention mourait, parce que, pour filer la comparaison, les yeux couraient vers elle comme deux abeilles attirées par l’odeur du miel, puis s’envolaient aussitôt, alarmés de découvrir que ce parfum de miel émanait d’elle comme d’une fleur artificielle, ou une vraie fleur mais carnivore.
    D’après l’expression du marin, on aurait dit que son esprit regardait cette beauté de corps ni plus ni moins que comme un petit nuage au-dessus de lui qui jouait à lui faire de l’ombre, tantôt le couvrant, tantôt le découvrant, tantôt faisant mine de le poursuivre, tantôt de se laisser poursuivre. C’était une impression immédiate mais obscure à la fois que l’on éprouvait au premier regard, dans l’ombre molle, sous-marine du jardin. On croyait la voir comme un reflet dans l’eau, non pas la voir elle, avec son regard fin, réel, mais une image reflétée hors d’elle, discrètement, dans ses propres yeux, comme une pensée tombée dans son esprit.
    Elle était là, posée plus qu’assise sur le bord de la couche, entre les deux vieilles qui la regardaient debout, en silence, avec son sourire étrange, terrible, béat. Un air fragile, en vitrine, comme quelque chose d’intouchable sous un verre, un air tangéleux, où elle apparaissait nimbée d’une majesté sans raison et sans force, et là était son mystère, ce qui appelait vers elle et éloignait d’elle, ce qui poussait presque à la prendre dans ses bras et qui poussait presque en même temps à échapper à ses yeux. »

    Bonnes lectures

    • Entre Marguerite Young et D’Arizzo, ce sont décidément les plus loquaces des romanciers qui ressortent du demi-oubli où les confine, non sans raison, l’absence de traductions anglaises ou françaises. Lourdeur insupportable du style chez l’une comme chez l’autre, abondance verbale touchant à la monomanie, inflation assez risible du moindre détail mentionné, de la plus petite action commise par l’un des personnages, flaccidité narrative, le connaisseur de notre vieille littérature est irrésistiblement remémoré de nos romans courtois : le Lancelot tel qu’édité par Alexandre Micha, véritable purge où tant de parties sont mortes (pas seulement l’Agravain), alors même que la version non-cyclique et sans doute primitive traduite par François Mosès en Lettres Gothiques se lit encore assez agréablement, le Tristan en prose, dont les tant longues phrases semblent avancer par les seules répétitions de mots et qui se perd en interminables morceaux d’éloquence sur la casuistique amoureuse, pire que tout Guiron le Courtois, dont l’édition partielle par Bubenicek révèle la fadeur couplée à la loquacité. Young tout du moins avait quelque chose à dire par le truchement de sa cathédrale, et l’on peut prendre de l’intérêt à son évocation d’une certaine Amérique cul-terreuse observée avec un recul amusé ; c’est à mon avis douteux dans le cas de D’Arrigo, impénitent phraseur croyant marcher dans les pas d’Homère et de Joyce parce qu’il tort(ure) la langue, la narration, le récit au fil de sa bizarre épopée de la flibuste en jupons. Voici un échantillon de sa manière, représentatif quoique choisi au hasard :

      « La femminota, padrona e donna sui ferribò, la barca, per l’avanti, non l’aveva mai degnata, commentariava il vecchio femminòtoro. E certo, doveva apparirle un mezzo troppo mignunaro di trasbordo, se appena appena le veniva a mente il tempo di splendore dei ferribò. Ma dovette essere proprio in quei giorni, nel battagliare di mezzagosto proprio mentre ne vedevano fare massacro, che la barca si profilò in mente a lei come scialuppa di salvataggio: per ripigliare e riguadagnare Sicilia, o quella o niente, si dovette dire, meglio quella che mai più sale, mai più Sicilia.
      « La femminota, non è lei quella che si rassegna, rovesciando le mani, resa palma e reso palmo… » commentario al commentario l’ardente femminòtoro. « Un’altra si schiferebbe di passare dalla carne di filetto dello spada alla carneditesta della fera, dal grande ferribò alla lancitta. Un’altra, non lei: lei, sapete come ragiona? Scappare è vergogna ma è salvazione di vita. Questa è la regola sua, grandiosa donna, quella è lei ? »
      Era quella che lui doveva immaginare di vedere all’opera per barca, fra quelle spiagge, plaie e scogliere prese di mira dai cannoni americani, centinaia e centinaia di bocche da fuoco che sparavano dalla Sicilia e il loro fiammeggiare s’incrociava con quello dei cannoni germanesi e ci fu una notte, quella sul primo settembre, che fu tutta un lungo terrorizzante giorno che fecero migliaia e migliaia di cannoni e tutta la gente che morì quella notte in quella luce che nemmeno fosse di mezzogiorno, vedette almeno di che morte mori.
      Si tirarono il paro e disparo e zitte, magone, piratesche, in quella giornotte, avevano arraffato le barche o i resti restanti in quei loro paraggi. Notturno tempo, le avevano fatte passare per la porta di casa, e lavorando di mano callosa e delicata, le avevano sfilate pezzo a pezzo, armatura e traversine, sponde e scafo, scollando e schiodando, scatramando e distoppando, scucendole in poche parole, come calze all’uncinetto.
      Avevano poi sistemato i legni sotto il letto, unitamente al loro catrame, alla loro stoppa, ai loro chiodi, forse pure al loro minio grattato, sino insomma alla loro ultima mollichella. Poi, ci si erano messe a dormire sopra, sdraiate lunghe lunghe, col loro personale di femmine alte, carnose e attiranti, col loro bruno cotto di pelle di maghe. E lì, a guardia delle barche incasciate, erano rimaste nel ferro e fuoco della guerra, che passava allora allora, coi cannoni fumanti davanti alle loro porte » (ed. Mondadori, p. 127 in extenso ; je corrige tacitement les coquilles).

      Allez sur Google Translation, entrez cette tranche de texte, et venez me dire en face que mille trois cents pages couchées de cette plume crient absolument après un traducteur !

      • Je me pose la question s’il est judicieux de proposer Google Traduction pour juger la qualité d’un texte qui mêle « non seulement plusieurs registres de langage (familier, littéraire, précieux, scientifique, flux de conscience), mais aussi plusieurs niveaux de langue : l’italien ancien voire archaïsant, le « jargonnesque » des pêcheurs du détroit de Messine, l’italien du Mezzogiorno, des sicilianismes italianisés et des néologismes forgés par l’auteur ».
        Imaginons qu’on le fasse pour Ulysse de Joyce, devant le résultat, tout lecteur serait horrifié, et tout traducteur partirait en courant…D’Arrigo n’est pas Musso.

        Dans notre cas, la tâche du traducteur est ô combien difficile ; à ce sujet je laisse la parole à l’un de ces traducteurs, Antonio Werli :
        « La lecture d’Horcynus Orca est parfois limpide, parfois trouble : la densité des références, le cadre sicilien, l’ample construction du récit et la richesse de la langue déployée sont les principales difficultés pour l’aborder. Pourtant l’histoire, les personnages, péripéties, récits, paysages harponnent le lecteur de bout en bout, et surtout le texte fait appel à la sensibilité avant la raison. Le livre mêle le lyrisme au flux de conscience, une espèce de fantastique mythologique au réalisme de l’histoire, la chronique mémorielle et onirique au tableau de mœurs. Je peux comprendre, sans pour autant l’accepter, qu’on fût découragé à traduire et publier ce complexe chef d’œuvre depuis 40 ans. »

        Sinon, personnellement je dois confesser que les tentatives de traduction de ce texte, en dehors de Danielle Appolonio, m’ont toujours déçu, que ce soient Jean-Noël Schiffano pour Les Lettres nouvelles (Maurice Nadeau) ou Benoit Vincent sur son site ou la paire Monique Baccelli et Antonio Werli pour le compte des éditions Nouvelle Attila ; car ma lecture a souvent trébuché devant des gaucheries syntaxiques (même si je sais que sa syntaxe se veut biscornue), a souvent buté devant la traduction de néologismes dont l’écho crisse encore à mes pauvres oreilles.
        Par contre, et là je me répète, Danielle Appolonio m’a littéralement enchanté : est-ce à dire que cette dernière a vampirisé ce texte, l’a translaté de façon à gommer toutes aspérités, rugosités et autres étrangetés ? Sommes-nous en face de mauvais traducteurs et d’un génie littéraire ou d’un écrivain de seconde zone et d’une magicienne des mots ?
        Il serait intéressant de poser la question, sur ce blog, à des spécialistes de langue italienne comme l’est « une autre poésie italienne ».

        J’ai entendu, pour ma part, dans ce portrait de la bellissima Cata plutôt des accents Pétrarquistes étonnants (et dieu sait si Pétrarque est difficile à traduire, souvenez-vous de nos discussions enfiévrées précédentes). C’est vrai que D’Arrigo adore pasticher, tout comme Joyce, et faire en sorte que le pastiche égale l’original est en lui-même un tour de force littéraire.

        Peut-on critiquer ces deux livres, le Young et le D’Arrigo : oui bien sur ! Peut-on émettre des réserves, des reproches, encore oui, mais ne pas oublier ce qu’a dit Pierre Brodin, vieux sage parmi les sages, sur le Young mais qui peut très bien s’appliquer sur le D’Arrigo. Pour cela je vous renvoie au post précédent du 25 juillet.

        Et pour finir sur une belle note, le but de ce blog étant de partager nos plaisirs et non nos aigreurs, voici la première page de l’incipit de « Horcynus Orca » traduit magistralement, une fois de plus, par l’Apollonienne Danielle Appolonio, prose qui me rappelle les fabuleux récits maritimes largement illustrés aux couleurs fanés de mon enfance …

        « Le soleil se coucha quatre fois au cours de son voyage, et à la fin du quatrième jour, le quatre octobre mille neuf cent quarante-trois, le marin ‘Ndrja Cambria, simple nocher de la défunte Marine royale, aborda au village des Femmes, à la jonction des mers où veillent Charybde et Scylla.
        Le jour tombait à vue d’œil et un filet d’air soufflait du large sur le bas promontoire. Ce jour là, les flots s’étaient de nouveau lissés sous la grande accalmie de sirocco qui durait, sans changement aucun, depuis son départ de Naples : est, ouest, est, hier, aujourd’hui, demain, et cette nonchalante vacillation de l’onde grise, pareille à l’argent ou au fer, qui se répétait à perte de vue.
        Depuis quelques heures pourtant, même si la trêve accordée par le sirocco, toujours assoupi, avait fini par embraser le lieu, les eaux avaient commencé à s’agiter par en-dessous. Au même instant, d’ailleurs, la mer était devenue nerveuse, envenimée par les premières spirales torturantes d’embruns et de détritus semblables à de gigantesques murènes enchevêtrées aux vagues – et de son œil de connaisseur, il les distinguait d’après leur couleur différente, comme de pierre moussue, glaciale et frissonnante. Ceci s’était donc passé après que les Iles eurent disparu de sa vue derrière le cap Milazzo ; et Stromboli, Vulcano et Lipari, qu’il apercevait pour la première fois de loin depuis la terre, alors qu’il les avait toujours vues depuis la pélamidière en remontant le Golfe du Vent, semblaient s’évaporer au soleil, comme des carcasses de baleines tombées en bonace.
        Tandis qu’il marchait vers l’extrémité du promontoire des femmes, le ciel devant lui, sur le Détroit, passait de la pourpre ardente à une brume de frétillements goudronneux. Lorsqu’il surplomba la mer – et l’on pouvait encore y voir clair, grâce aux éclats nacrés de l’air – la nuit sans lune tomba tout à coup, suscitant ce passage soudain et foudroyant de la lumière à l’obscurité si propre aux nuits de lune manquante, même par le plus clair été. Comme s’ils dévalaient des sommets de l’Aspromonte et de l’Antinnamare, des amas de nuages fumeux avaient recouvert et nivelé, en un seul mélange obscur, le passage ouvert entre les deux rives.
        En Sicile, une forme travaillée par les reflets violacés de l’eau, et qui ressemblait à une grande touffe de bougainvillier surplombant la ligne des deux mers, scintilla un instant au milieu de ces nuages, puis aussitôt laissa place à un très bref étincellement blanc de pierre : alors, à l’instant où il allait disparaître dans la fumée, il reconnut l’éperon corail qui de leur bord de mer piquait de l’avant, presque au milieu, entre Tyrrhénienne et Ionienne, comme pour les séparer.
        Sur cette pointe habitait leur Délégué de Plage, dans une cabane en cube qui tenait de la cabine de navire et de la guérite de sentinelle. L’éperon servait à des conversations et à des assemblées ; il servait également d’observatoire sur les deux mers, à la saison de l’espadon, lorsque le tirage au sort leur assignait le poste de pêche proche du rivage, où la mer n’était pas suffisamment profonde pour y placer la felouque d’où la vigie, du haut du mat, eût pu scruter en cercle la première apparition des espadons – il fallait donc déployer des gardes à terre et c’étaient aussi des agitations de bras et de chapeaux de ces sentinelles que le timonier, à bord de l’esquif, guettait de ses yeux écarquillés, comme le signal de l’approche du poisson.
        ‘Ndrja Cambria voyait ainsi la nuit, une nuit doublement ténébreuse – de part la conjugaison de l’absence de lune et du black-out – se répandre entre lui et ces derniers milles marins qui lui restait à parcourir pour arriver au terme de son voyage : Charybde et sa quarantaine de maisons en tête de tenaille, derrière l’éperon, faisant face à Scylla, sous l’amas des nuages noirs dominant la ligne des deux mers.
        Et tandis que la nuit submergeait toujours plus la Tyrrhénienne, dévorant la mer de sang, la piétinant comme pour y déverser son encre noire, et semblait par intervalles raccourcir la diagonale que l’on pouvait suivre à l’œil nu entre l’éperon face à Scylla et ce lieu de basse cheville calabraise où il se trouvait, il s’était mis à mesurer, comme autrefois à bord de l’esquif, cette courte distance marine, en avançant une rame après l’autre, ooh … hisse … ooh … hisse sur le souffle faible de l’espadon agonisant qui se débattait, se débattait et prenait la fuite, nageant dans son dernier sang pour venir expirer avant d’avoir parcouru ce dernier mille – les eaux devant le village des Femmes avaient à peine le temps de sentir la pointe de son épée, car de Charybde à là-bas, son saut n’était qu’un saut dans la mort. »

        Très Bonnes Lectures

        • Italianisant moi-même, je proposais d’aborder cette page de D’Arrigo via le meilleur outil de traduction automatique dans le seul but d’offrir à des lecteurs moins chevronnés un premier contact avec les procédés d’expression affectionnés par cet auteur : les redites, les synonymes, les paires appariées, les interjections, les pléonasmes filandreux (les dialectalismes ont bon dos !), les pesants blocs de dialogue à l’opposé de la stichomythie, les longues phrases paraissant errer à l’aventure ou d’une syntaxe raboteuse, les couleurs trop vives, Ce style à gros grains, dans lequel ni les échanges entre les personnages ni les parties narratives ne sont plus vivement troussés que les descriptions, se veut à grand orchestre, et c’est à peine si l’image pittoresque, le tour vif ou naturel, l’allure dégagée, en rehausse la coulée imperturbablement abondante. Il est bien beau de citer des traductions ; celles-ci trompent en francisant la rhétorique de l’original de telle façon qu’elle font passer pour une guimauve plus ou moins succulente mais digeste l’épaisse et trop nourrissante halva confectionnée par d’Arrigo. Son roman très méridional n’est pas adapté à tous les palais ; je sais maints Italiens du Nord desquels il tomba des mains, par manque d’innutrition dans la culture de ce sud de la Botte.

          • « Ce style à gros grains, dans lequel ni les échanges entre les personnages ni les parties narratives ne sont plus vivement troussés que les descriptions, se veut à grand orchestre, et c’est à peine si l’image pittoresque, le tour vif ou naturel, l’allure dégagée, en rehausse la coulée imperturbablement abondante »
            Palsambleu ! j’ai cru un moment que c’était un calque de la prose si décriée d’Arrigo et dieu sait si mon oreille est fine !
            Bref vous avez fait un réquisitoire à charge, soit, très bien, c’est votre droit. Maintenant à sa décharge laissez moi citer, pour nos lecteurs, quelques noms qui vont par contre louanger ce texte : les (fameux) italiens du Nord comme Claude Magris (Trieste) et Primo Levi (Turin), le critique George Steiner, deux grands traducteurs que sont Jean-Paul Manganaro et Jean-Noël Schifano et plein d’autres encore …
            Bref bis repetita, c’est typiquement une œuvre clivante, soit on déverse une tonne d’immondices (métaphore), soit on l’élève au pinacle de la littérature. Pas de demi-mesure. Comme dirait ma grand-mère c’est une question d’estomac : certains peuvent être trop sensibles au sucre …

        • Merci à Revpop de ses interventions toujours instructives, pondérées, respectueuses des opinions différentes. Nous avions écrit, vers la fin juillet, qu’il y a des oeuvres très originales, voire géniales d’un certain point de vue, mais mal exportables (et nous citions justement Orcynus). Dit plus joliment, avec Walter Benjamin, il est des oeuvres qui ne « demandent » pas à être traduites – ou seulement dans certaines langues (dites précisément « de destination »). Nos appareils obsolètes nous empêchent, malheureusement, de nous étendre – parfois même de relire nos réponses. On s’arrêtera donc là. Mais, comme notre nom l’indique, nous nous occupons exclusivement de poésie – au sens le plus courant et trivial du terme. Là où existe, par exemple, la stichomythie, ou plus généralement le mètre (qui règle bien sûr un rythme – celui-ci universel)…Un bel exemple, NON poétique, serait chez Gustave Flaubert. – Pas sûr, même dans les versions « tour de force » que mentionne Revpop (serait-elles tenues tout au long du pavé ? on peut en douter…) puissent être à cette hauteur… Cordialement, UAPI. ,

  50. Chers monsieurs/et quelques dames qui s’aventurent dans ce site:

    Je me permets de vous adresser cette lettre après l’inclusion de tous les Astérix en Pléiade, ainsi que les discours complets du maréchal Pétain (qu’il vive pour toujours et à jamais).
    Je proviens d’un milieu où prédomine ce sensuel acharnement à la terre, contrairement à ces terres minières de l’horrible nord de ce pays si, comment dirait-je… ornithorynque!!!
    Je m’adresse à vous suite aux guerres qui ont prédominé dans cette Europe, devenu si triste après accueillir tant d’immigrants (oui, j’écoute Wagner et me brosse les dents une fois remplacés par celles de Napoléon).
    Je m’adresse aussi à vous (mais quelle répétition d’adressages versés dans une marée de prosélytismes et de mensonges qui, sociologiquement parlant, se faufilent par les portes battantes des ports nord-sud France).
    Mais finalement, pourquoi mettre Stendhal en Pléiade si l’on a des auteurs tellement avancés dans leur pensée comme le sont Gérard de Villiers (il partage son nom avec un de mes ancêtres!!!!) ou bien le grand poète belge qui publiait sous le nom de Damesieur Nectar, de son vrai nom Nicolas Dupont des Ailes des Feuilles des Ailes des Pont Dupont?
    Mais quelles longues phrases! Pour finir enfin avec ce message si important pour l’avenir de notre pays si affecté par les immigrants, je voulais dire qu’il faut accueillir tous les immigrants, puisqu’ils ramènent la beauté tu métissage. Si l’on se métisse (ce métier est à métisser!!!) l’on n’aura plus de covid-19, et on vivra dans le bonheur éternelle seulement réservés aux néo-nazis du sud-nord-est-ouest-centre-droite-gauche des États-Unis.
    Mais enfin, pourquoi inclure Hitler dans la Pléiade, si l’on peut accueillir les grands comme Pol Pot ou bien mon cher Staline?

    Je vous pris d’agréer à mes sincères salutations pour ce travail si dur qu’est de labourer la terre.
    Jean-Pierre.

    P.D: Oui, je suis schizophrène.

    • … ou de la censure à deux vitesses !

      Incompréhension devant la publication de cette diarrhée d’un Jean-Pierre au mieux salement aviné quand d’autres billets critiques certes mais fondés ne passent pas le portillon du square !

      • en marge d’une copie de capésien (mains point d’agrégatif) : « Reprenez-vous cher Brumes ; vous pouvez mieux faire ! »

        • C’est amusant cette habitude de certains à prendre pour pseudonyme, des topiques discursifs. Le sarcasme et l’ironie ne sont que des bruits désagréables dans la bouche des petits esprits. Ces piques désolantes, bas-du-plafond, me rappellent ce vers d’Eluard : « des injures pourrissent dans la bouche des muets »…
          Cher ami, je vous le dis doucement : ne tentez jamais l’agrégation de grammaire, vous donneriez des crises d’apoplexie au pauvre et malheureux correcteur :  » mains  » ? Sans doute une forme archaïque ( non recensée dans le TLF… ) de l’adversatif 😄 ah oui, c’est vrai, la faute au clavier…

          • Procédé (que je vois effectivement se multiplier)) révélant une solide dose d’infantilisme ? Sur le mode : « c’est çui qui dit qui y est ! »

  51. Dictes-moy où, n’en quel pays,
    Sont anciens sages et moins sages
    Découvreurs et commentateurs de sens rassis
    De moult Pléiades et admirables ouvrages ?
    Sont-ilz à jamais disparus
    En des contrées moins frivoles ?
    Ou bien retirés au mustisme résolus
    Ah que nous manque le miel de leurs paroles !
    Où sont-ilz, Vierge souveraine ?…
    Mais où sont les Brumes d’antan !

    Prince, n’enquerez de sepmaine
    Où ils sont, ne de cest an,
    Qu’à ce refrain ne vous remaine :
    Mais où sont les Brumes d’antan !

    Où soient-ils, mon rêve est de les rejoindre ou bien comme eux au silence me résoudre, qu’il m’en soit donné force et courage, car où cacophonie règne plus ni sagesse ni sérénité ne le peuvent mie.
    Mais où sont les Brumes d’antan ?

  52. Dictes-moy où, n’en quel pays,
    Sont les sages et moins sages
    Découvreurs et commentateurs de sens rassis
    En moult Pléiades et admirables ouvrages
    Echo, parlant quand bruyt on maine
    Dessus rivière ou sus estan,
    Qui sapience eurent trop plus qu’humaines ?
    Mais où sont les Brumes d’antan !

    Ou bien retirés au mutisme résolus
    En un lieu silencieux vivant ainsi que moynes
    À l’étude et la réflexion tenus
    Éloignés de toute pavane.
    Ah que nous manque le miel de leurs paroles
    L’encre de leur plume tout autant
    Foin de propos vains et frivoles
    Mais où sont les Brumes d’antan !

    Prince, n’enquerez de sepmaine
    Où ils sont, ne de cest an,
    Qu’à ce refrain ne vous remaine :
    Mais où sont les Brumes d’antan !

    Enfin, Seigneur, quant à moi je souhaite seulement que force et courage me soient donnés, quelque jour, de les imiter… Mais où sont les Brumes d’antan ?

        • Aujourd’hui, à défaut de Brumes ou de Neiges, une douce pluie continue sur mon piémont cévenol (et surtout sur mon jardin).

          Loin du déluge, certes, mais première ondée depuis deux mois (peut-être trois, je ne me souviens plus s’il est tombé trois gouttes en mai) !

          Loin d’être la fin de la sècheresse mais, tout de même, petite pluie consolatrice : je suis donc de meilleure humeur.

  53. C’est décidé : je prends mes cliques et mes claques et je vais m’aventurer dans les terres d’Orient, me noyer dans les mers de Chine ou dans les brumes des sommets du Céleste Empire où est perché le monastère des Parfums . Plus prosaïquement, je me lance dans la poésie chinoise !
    Et pour cela j’ai besoin de vos avis lumineux, sachant que traînent ici quelques sinologues.
    J’aurais pu (ou du) commencer par le début, à savoir le plus ancien recueil poétique de la Chine, Shijin dont Confucius recommandait la lecture. Mais mon petit cerveau d’occidental a eu du mal à appréhender ces saynètes de la vie quotidienne, trop éloignées, pour moi, des envolées épiques ou lyriques dernièrement lues.
    Par contre, ça été un coup de foudre instantané pour les poètes de l’époque T’ang (618-907), l’âge d’or de la poésie chinoise, paraît-il, et je suis tombé amoureux plus particulièrement de ses trois plus grands représentants : Du Fu ou Tu Fu, essentiellement confucéen ; Li Bai ou Li Bo, de tendance taoïste ; et Wang Wei, adepte du bouddhisme.
    J’ai besoin de vous car, comme les falaises abruptes noyées dans les brumes, je suis un peu perdu devant toutes les traductions françaises : doit-on privilégier les quelques ouvrages consacrés à un seul poète ( et qui sont le plus souvent des florilèges) ou ratisser plus large avec les nombreuses anthologies dont celle de la Pléiade.
    Sur ces trois poètes j’ai besoin de connaître vos coups de cœur ou, à l’opposé, vos rejets.
    J’ai bossé un peu quand même, et pour vous aider je vous propose une liste de 23 traductions (modernes) que j’ai pu trouver.
    Pour une fois je ne terminerai pas par « Bonnes Lectures » mais par « A vos avis »

    Du Fu ou Tu Fu

    Poèmes de jeunesse (735-755), Œuvre poétique I, texte établi et traduit par Nicolas Chapuis, Les Belles Lettres, coll. « Bibliothèque chinoise », 2015.
    La Guerre civile (755-759), Œuvre poétique II, texte établi et traduit par Nicolas Chapuis, Les Belles Lettres, coll. « Bibliothèque chinoise », 2018.
    Au bout du monde (759) Œuvre poétique III, texte établi et traduit par Nicolas Chapuis, Les Belles Lettres, coll. « Bibliothèque chinoise », 2021.
    Tu fu, dieux et diables pleurent, traduit par Cheng Wing fun et Hervé Collet, Moundarren, 2014
    Du Fu, Il y a un homme errant, bilingue, traduit par Georgette Jaeger, Éditions de la Différence, coll. « Orphée », 1989.

    Li Bai ou Li Po

    Li Bai, Sur notre terre exilé, choix de poèmes, traduit par Dominique Hoizey , La Différence, Paris, 1990.
    Li Bai, Florilège, traduit par Paul Jacob, Gallimard, « Connaissance de l’Orient », 1983
    Li Po, L’exilé du ciel, traduit par Daniel Giraud, Serpent à plumes, 2004
    Poèmes de Li Bai destinés aux calligraphes, traduit par Florence Hu-Sterk, éditions You-Feng, 2003

    Wang Wei

    Les saisons Bleues, L’œuvre de Wang Wei, traduit par Patrick Carré, Phébus, 1989
    Le plein du vide, trad. du chinois par Cheng Wing fun et Hervé Collet, Moundarren, 1991

    Anthologies

    Rémi Mathieu, Anthologie de la poésie chinoise, Gallimard, « La Pléiade » (Traduit par Florence Hu-Sterk), 2015
    Paul Demiéville, Anthologie de la poésie chinoise, Gallimard, « Poésie », 1962.
    Maurice Coyaud, Anthologie de la poésie chinoise classique, Les Belles Lettres, 1997
    Jacques Pimpaneau, Anthologie de la littérature chinoise classique, Picquier, 2004
    André Markowicz, Ombres de Chine, éditions Inculte, 2015
    François Cheng : Entre source et nuage : voix de poètes dans la Chine d’hier et d’aujourd’hui », Albin Michel, 1990
    Paul Jacob : Vacances de pouvoir, Poèmes des Tang, Gallimard, « Connaissance de l’Orient », 1985
    Florence Hu-Sterk, L’Apogée de la poésie chinoise Li Bai & Du Fu, Editions You Feng, 2000
    Georgette Jaeger : l’Anthologie de trois cents Poèmes de la Dynastie des Tang, Société des éditions culturelles internationales, 1987
    Ferdinand Stoces, Neige sur la montagne de lotus, Picquier, 2006
    Patrick Carré et Bianu : Poésie chinoise de l’éveil: A l’infini du ciel, Albin Michel, 2017
    Guilhem Fabre, Instants éternels. Cent et quelques poèmes connus par cœur en Chine, La Différence, 2014

    A vos Avis !

        • Je suis *ponctuellement* dubitatif. (En fait, j’étais surtout étonné des éloges de Neo-Birt7, habituellement très difficile 🙂
          Mais comme je le disais, le commentaire est assez détaillé et les choix de traduction souvent explicités, pour qu’on puisse changer un mot pour un autre qui nous plaît plus.
          Ces réserves minimes ne m’ont pas empêché d’acheter le 3e volume et j’achèterai les prochains.

          • Pour votre édification, WoO, mon indulgence envers les traductions de Du Fu par Chapuis, si souvent sises à la limite de la phraséologie, résulte de mon appréciation de la suprême difficulté qu’il y avait à franciser, sans transporter purement et simplement dans notre langue le rendu anglais si sûr, si plein et si adroit en sa concision de Stephen Owens (2016, en Open Source), ce poète dans lequel confluent tous les motifs de désespérance exégétique. A l’usuelle polyphonie des figures, de l’imagerie allusive et du sémantisme qui rend la poésie chinoise hautement intraduisible dans nos langues modernes, toujours trop rigides quoi qu’on en aie ainsi que regimbant aux schèmes structurants propres à cette poésie (parataxe, parallélismes, non explicitation de ce qui cimente une idée ou un fait à la remarque, au commentaire ou à la qualification qui les suivent), Du Fu ajoute sa propre marque par une diction empruntant à presque tous les registres de la langue ; une dilection spéciale pour la complexité prosodique ; une référentialité d’une extrême richesse (il suppose assimilé un nombre impressionnant de points de civilisation, de lieux littéraires et de couleurs rhétoriques) ; et une versatilité d’inspiration jamais atteinte avant lui et rarement dépassée depuis lors. Ne pas témoigner la plus grande des mansuétudes au traducteur de ce diable d’homme qui entreprend par surcroît d’emmailloter sa translation d’un commentaire perpétuel, me semble par suite le comble de l’ingratitude. Le résultat se discute aussi souvent qu’on pouvait le craindre sur un poète pareil et sur une langue tonale comme le chinois, sans nul doute davantage encore en raison des choix stylistiques arrêtés par Chapuis, mais combien lui en tenir rigueur ?

          • Merci pour ses commentaires sur Du Fu et son principal traducteur en France. Mais qu’en est-il pour Li Bai et Wang Wei ? Y a t-il pour eux un équivalent à Nicolas Chapuis ?

    • J’ai oublié de citer deux ouvrages de Ferdinand Stoces : Le Ciel pour couverture, la terre pour oreiller chez Picquier qui raconte la vie et l’oeuvre de Li Po ainsi que son recueil de poèmes lyrique de la Chine ancienne intitulé « Signes immortels » aux éditions Sanshan.

  54. Acheté et lu le livre d’Antoine Compagnon sur la part juive de Marcel Proust. C’est documenté, intéressant, complète mes connaissances et constitue une piste de réflexion, mais laisse au final un sentiment de vacuité : pas l’ombre d’une pensée là-dedans.
    Bien franchement ça ne pète guère plus haut qu’un bon article de Wikipedia ou bien un Album de la Pléiade (la multiplication de documents photographiques dont un très grand nombre – la majorité ? – à la limite du hors sujet y aide beaucoup).. Ca se lit très vite et avec agrément, comme s’écoute une chansonnette, et s’efface aussi rapidement sans laisser trace profonde.

    Au final, achat non indispensable (32euros tout de même) et que je ne conserverai pas dans ma bibliothèque (tout en sachant que j’y laisserai ma chemise en le revendant). Un livre moins luxueux, dans le format poche, aurait suffi largement.
    Je ne le recommande pas.

    • C’est un peu le préjugé que j’avais contre Antoine Compagnon…

      En revanche, le Proust, prix Goncourt. Une émeute littéraire de Thierry Laget était passionnant.

      • Merci pour l’information, concernant « Proust, prix Goncourt. »

        Il est vrai qu’Antoine Compagnon laisse deviner, dans son introduction, que son livre n’est autre qu’un divertissement par temps de confinement covidien.

        Coûteux divertissement pour le naïf acheteur. De lecture facile et assez agréable, je n’aurais émis aucune plainte si je m’étais contenté d’emprunter le livre dans une bibliothèque, mais, une fois de plus, j’ai eu l’impression d’être pris par Gallimard pour une bécasse (à la fin, il doit avoir raison, puisque je me laisse facilement prendre).

        • Je ne veux pas prêter. à malentendu : c’est un livre sérieusement fait, très documenté, que j’ai lu avec intérêt. Mais, en même temps, avec une grande frustration.
          Tous les éléments d’un livre vraiment intéressant sont là, le « dossier technique » en quelque sorte, mais le vrai livre sur le sujet reste à écrire.

        • Un exemple concret pour montrer l’esprit qui a présidé à ce divertissement : Antoine Compagnon, pour chaque personnage ou témoin ayant approché (parfois d’assez loin) ou fait partie des amis ou de la famille de Marcel Proust qu’il nous présente, se sent obligé – sans doute pour insister sur la judéité de Valentin Louis Georges Eugène Marcel Proust, Weil par sa mère – de nous énumérer toute la généalogie desdits personnages, sur plusieurs générations d’ascendants, outre leurs relations dans le milieu israélite français, celles de leurs descendants et collatéraux. Sans parler de leur carrière, de leur position dans les institutions juives, etc.

          Cela finit par donner une impression de catalogue ou, mieux encore, d’album de famille révérencieux (ou, pire encore, un ouvrage de fan sur une rock star). Je le répète : amusant, intéressant comme source secondaire pour qui voudrait écrire un ouvrage sérieux, comportant quelques réflexions profondes, sur la judéité et les limites de la judéité de Marcel Proust.

          Par conséquent, c’est avec des prudences de Sioux et une méfiance de cheval « sur l’oeil » que j’aborderai la Pléiade « Essais » avec le même Antoine pour compagnon !…

  55. La méthode d’Antoine Compagnon de dresser une liste de tous les contacts de Proust sous le rapport de la judéité est une technique d’historien : la prosopographie.
    Inventée à l’origine par les antiquisants, comme Syme, elle a depuis servi à de nombreuses thèses, par exemple l’ordre équestre à l’époque républicaine (Claude Nicolet) ou les cohortes de vigiles (Robert Sablayrolles).
    Les spécialistes d’autres périodes ont repris cette technique à leur compte depuis quelques décennies.
    Je concède que le résultat est assez indigeste mais comme vous l’avez vous-même reconnu, cher Domonkos, cela peut être le point de départ d’autres études plus poussées.

    • Merci de cet éclairage, « Un Strasbourgeois ». J’en suis parfaitement d’accord.

      « indigeste » ne me paraît pas le mot exact (en tous cas, je ne l’ai pas ressenti ainsi), car le tableau pointilliste qui en ressort, est plutôt agréable. Cela se lit comme un roman d’Agatha Christie.
      Mais, on a vraiment affaire à un dossier d’enquête. Pas de réflexion approfondie. Et, l’impression qu’il n’y a pas de discrimination entre les faits importants et les faits accessoires. Rien ne nous est épargné de détails qui semblent parfois fort éloignés de l’affaire ou parfaitement oiseux.
      Reste l’iconographie : et là, on atteint le comble du mélange de l’important et de l’inutile. Un album de famille ou tout a été conservé parce que cela donne l’illusion d’un épais et riche dossier.

      En conclusion, c’est au lecteur de faire le boulot : trier, classer, tirer ses propres réflexions. Je l’ai dit, j’y ai trouvé de l’intérêt et de l’agrément, mais en même temps une grande frustration. Le lecteur dévore les plats et s’aperçoit en fin de compte qu’il est « resté sur sa faim » car il aurait aimé goûter quelque chose de plus élaboré et de plus raffiné.

      Je ne conteste pas le prix de 32€ au vu de l’objet et de sa réalisation matérielle, mais le trouve très exagéré quant à l’intérêt intellectuel de l’ouvrage qui reste à faire.

  56. Quelques interrogations sur les parutions d’octobre :
    – Coffret Pléiade Philosophes Taoïstes 2v T1 + cale T2 le 20 Octobre 2022, l’éditeur a la délicatesse (pour la première fois ?) de proposer un coffret avec une cale pour le tome 2 de 2003 qui reste inchangé à coté du tome 1 nouvelle édition ?
    – Le coffret Saint-Augustin 2 vol. à paraître le 27 octobre n’est qu’une réimpression des 3 vol. des années 2000, un volume passerait donc à la trappe ?

    • Cher Valère,

      Ce n’est pas la première fois : lors de la parution du second volume de l’immortel (et mortel néanmoins) Jean d’Ormesson, un coffret 2 volumes a été également proposé, et un coffret contenant le volume 2 et une cale.

      Je pense que ce n’était pas la première fois (mais ne me souviens pas au juste des précédents : je me demande si cela n’a pas concerné aussi les coffrets 3 places de la nouvelle édition de Casanova).

      En tout cas, à côté de tous les exemples de désinvolture dont ce site se fait souvent l’écho, l’éditeur de la Pléiade fait quelquefois preuve d’une réelle prévenance envers les acquéreurs des volumes précédents. Le plus bel exemple en est l’existence même du volume 51bis consacré aux Poèmes de Shakespeare (mais contenant également articles et apparat critique concernant le Théâtre) et paru en 1959. Je me suis longtemps demandé à quoi pouvait bien servir ce volume, car les deux tomes du Théâtre parus en même temps, en 1959, contiennent exactement les mêmes textes et les mêmes éléments. J’ai fini par comprendre que Gallimard n’a pas voulu frapper de péremption les deux volumes du Théâtre parus en 1938 sous les numéros 50 et 51, et qu’il a donc sorti ce volume 51bis pour « compléter » les deux volumes de 1938 afin que les anciens acheteurs n’aient pas à racheter les nouvelles versions 1959 des volumes 50 et 51 ! C’est autre chose qu’une cale !

      On aimerait que ce genre de délicatesse pousse aujourd’hui l’éditeur à permettre aux anciens acheteurs de se procurer indifféremment jaquettes, boitiers et coffrets leur permettant d’unifier à leurs goûts leurs rayonnages !

      • Techniquement vous avez raison, cependant le cas est différent de celui de d’Ormesson.

        En effet, il s’agit là d’une toute nouvelle édition (et traduction) du premier volume des « philosophes » taoïstes, contenant les trois textes fondamentaux de cette doctrine (qui n’est ni une philosophie ni une religion), qui n’a pas vocation à remplacer à l’identique le premier volume (dont je ne vais pas me défaire) mais plutôt à apporter un autre éclairage et à s’harmoniser avec le second volume, paru longtemps après le premier, et répondant à des critères éditoriaux différents de ceux du premier. (J’ai l’impression d’être confus et j’espère que me faire comprendre tout de même.)

        De ce point de vue, il s’agit bel et bien d’un procédé inouï, auquel je ne m’attendais pas, et dont je suis (pour une fois !) reconnaissant à Gallimard.

        • La différence ne m’avait pas échappé, cher Domonkos, et je vais d’ailleurs, comme vous, conserver les deux versions… (sans même me poser de question de cale, car je n’ai pas de goût particulier pour les coffrets). Je répondais en effet à Valère sur le simple plan technique (les « cales » ne sont pas nouvelles), avant de me laisser aller à élargir le propos à propos de Shakespeare.

          Question subsidiaire : l’éditeur poussera-t-il la délicatesse jusqu’à offrir, en plus de la cale, une paire de jaquettes pour le volume 2 des taoïstes ? En effet ce volume 2 étant sorti en 2003, il n’a jamais été diffusé avec des jaquettes mais sous boîtier blanc illustré. Sans ces jaquettes, une regrettable dissymétrie s’introduira dans le coffret une fois complété…

          • Je n’avais pas pensé à ce détail. J’espère que Gallimard, lui, y aura pensé !

            J’ai la faiblesse d’être amateur de coffrets (même si je trouve que leur systématisation devient exagérée).
            Je me déciderai suivant le design de celui-ci.

          • Bonjour,
            Pouvez-vous nous éclairer sur l’esprit éditorial du premier tome et en quoi il différait du second ? Je vous en remercie. C’est une information intéressante pour guider l’achat éventuel de la nouvelle édition.

          • Honnêtement, Vidar, il n’existe aucune traduction du « canon » taoïste, et, en premier lieu, du Dao De Jing, qui puisse prétendre remplacer toutes les autres et se suffire à elle-même. Chaque traduction (je parle des traductions sérieuses, par des sinologues compétents) a ses mérites et ses démérites et ses limites. Chacune reflète son époque, l’état de la sinologie dans son pays de réception. Celles de la première Pléiade n’échappent pas à la règle. À la fois indispensables et insuffisantes.
            Les écrits taoïstes (qui ne répondent pas à nos critères d’écrits philosophiques et ne sont pas non plus des textes sacrés ou religieux) sont incertains, fragmentaires souvent même douteux, et dans tous les cas obscurs. Eloignez-vous immédiatement d’une personne qui vous dit avoir tout compris et pouvoir vous éclairer sans difficulté : c’est un escroc ou un gogo.

            De fait, cette pléiade est un recueil des traductions qui avaient paru au fil des ans dans la très sérieuse collection « Connaissance de l’Orient » patronnée par l’Unesco et publiée par Gallimard, à l’époque sous la haute autorité de René Etiemble (ce qui se ressent très nettement, pour les connaisseurs). Simple recueil, accompagné d’un appareil critique a minima.

            La nouvelle édition, si elle est sérieusement faite et dotée d’un appareil critique conséquent, serait donc indispensable et bienvenue. Pour autant je ne me séparerais pour rien au monde de la première : le fait qu’elle soit « datée » ne veut pas dire qu’elle serait « dépassée » comme si en cette matière il y avait un flot continu de « progrès ». On ne peut avoir trop d’éclairages sur ce courant de pensée qui a irrigué la pensée chinois tout au long de deux millénaires, à la fois au niveau de la religion populaire et au niveau des spéculations intellectuelles, esthétiques, etc.

          • La traduction Liou Kia-hway du Tao-tö king qui constitue la pièce maîtresse du tome premier des taoïstes de la Pléiade est rarement citée, moins encore mentionnée avec éloges, par les sinologues professionnels. Chinois de la diaspora, l’auteur a écrit une thèse excessivement ambitieuse qui s’efforce de démontrer l’antithèse traditionnelle entre le synthétisme sur fond de tour d’esprit concret du peuple chinois, ici représenté par Confucius, les taoïstes et les sophistes, et la pente analytique, spéculative et ontologique de la civilisation occidentale, réduite à Descartes et Kant (L’Esprit synthétique de la Chine. Étude de la mentalité chinoise selon les textes des philosophes de l’antiquité, Paris, 1961 ; livre très bref, bizarrement composé, qui affronte assertoriquement trop de notions redoutables comme le jen confucéen, ‘humanité, bonté’, et qui après avoir consacré tout son développement à des questions avant tout logiques saute soudain, au dernier chapitre, à des conclusions valant pour l’éthique et la métaphysique), ainsi qu’une traduction, bien annotée quoique de manière fort contestable, du Nanhua jing de Tchouang-tseu (Paris, 1969), mais ne semble pas avoir produit d’articles savants et sa trace se perd dès les années 70. Les connaisseurs d’avant-hier et d’hier préfèrent, au Lao-Tseu de Kia-hway, celui du néerlandais Duyvendak avec texte original et commentaire perpétuel, culmination de deux traductions successives en allemand et en hollandais dont les mérites en ont fait l’un des best-sellers d’Adrien Maisonneuve pendant une demi-siècle.

          • Point ne me réussit l’extrême chaleur. Duyvendak a écrit une traduction anglaise et une version hollandaise de Lao-Tseu. On peut trouver conservatrice et étriquée sa mouture française, un fort joli volume au format à l’italienne, juger qu’elle reflète un état périmé de la sinologie, mais sa préparation m’a toujours semblé infiniment plus sérieuse que celle qui fit produire à Kia-hway ses versions de « Connaissances de l’Orient » reprises en Pléiade (sans changement pour Lao-Tseu ! les modifications introduites pour Tchouang-Tseu sont loin de biffer toutes les hardiesses traductologiques de 1969).

          • Je veux dire également que celui qui a été intéressé par la première édition et qui a envie d’aller plus loin devrait être attiré par la seconde (sauf mauvaise surprise), tandis que celui qui n’a envie que de connaître l’essentiel, sur des bases sérieuses, peut se contenter de la première.

            Il faudrait également parler des qualités proprement littéraires des traductions de la première édition et des traductions de la seconde. Sauf à être un savant spécialiste, on n’est pas obligé de suer sang et eau pour ingurgiter une prose indigeste, et goûter également le plaisir procuré par une belle langue poétique.

            Nous aurons certainement à y revenir dans quelques semaines ou mois.

          • NeoBirt7, je n’ai point voulu me lancer dans une analyse de spécialiste (n’en étant pas un, d’ailleurs) et me suis contenté de dater et situer (la référence à Etiemble qui avait alors la haute main sur ces éditions servant de balise) les versions des textes fondateurs du taoïsme, sans me risquer à des jugements de valeur et sans m’engager sur la voie périlleuse du « dépassé ».
            À la limite, considérons les versions de Liou Khia-way comme des « curiosités » littéraires, tout de même respectables si on les compare au flot des versions du Dao De Jing qui circulent et qui sont de pures escroqueries.

            J’ai, au contraire précisé que certaines versions « datées » ne signifiait pas forcément « dépassées » ou bien à jeter aux « poubelles de la sinologie » (si je puis me permettre cet avatar des fameuses et fumeuses « poubelles de l’histoire ») et j’ai contesté la notion de « progrès » linéaire en la matière : écrivant cela, j’avais bien sûr en tête, au premier chef, les versions déjà anciennes et patinées par le temps de Duyvendak, et si je n’ai pas cité cet éminent auteur (et qui n’ont en leur temps pourtant pas été épargnées par certaines critiques, car personne n’y peut échapper), c’est que je ne voulais pas alourdir mon texte avec de longues explications à l’adresse de ceux qui nous lisent et qui n’en auraient jamais entendu parler.

            Point n’ait voulu non plus m’étendre sur les questions philosophiques, car, et je n’en démords pas, si les textes fondateurs du taoïsme remuent bien entendu des questions philosophiques, il s’en faut de beaucoup, à mes yeux du moins, qu’on les puisse considérer comme des textes « philosophiques ».

            En fin de compte je vous remercie de vos précisions et éclairages, et d’avoir fait le job mieux que je n’aurais su faire.

          • Je vous remercie tous deux pour ces précisions éclairantes. Par ailleurs, j’avais déjà acquis la traduction de Duyvendak, sur les conseils de Neo-Birt7.

          • J’ai placé le « h » dans Liou Kia-hway au petit bonheur la chance et j’en demande pardon à l’illustre compagnie.

        • Une critique qui va dans le sens des réserves exprimées par NeoBirt7 :
          recension de la traduction du Tchouang-tseu (Zhuangzi) de Liou Kia-hway, à l’époque de sa parution dans « Connaissance de l’Orient » – In « Revue de l’histoire des religions », tome 180, n°1, 1971. pp. 92-93.)

          « M. Liou croit devoir donner dans ses notes la traduction mot à mot des passages difficiles,
          mais ce procédé n’est guère utile, aboutissant à des accumulations inintelligibles de termes.
          En revanche, des passages que l’on pourrait interpréter de diverses façons sont traduits
          sans signaler les difficultés. Il est vrai que, dans un ouvrage non destiné aux spécialistes,
          il n’est guère possible de fournir trop d’explications philologiques.
          Tel quel, l’ouvrage restera longtemps utile. .

          Je ferai toutefois de sérieuses réserves sur la préface de M. Liou,
          qui manque décidément d’esprit historique et sociologique.
          Peut-on affirmer que « la vie et la pensée de Tchouang-tseu sont étroitement liées
          et s’éclairent réciproquement », que ce philosophe « vécut tragiquement »,
          alors que nous ne connaissons strictement rien de sûr sur le personnage ?
          De plus. le 1chouanq-iseu nest nullement une œuvre homogene,
          mais un recueil de textes où il est impossible de faire le partage entre
          ce qui revient à Tchouang Tcheou lui-même, et ce qui est dû à des
          adeptes de l’école. Les textes refletent plus la pensee d’un certain
          milieu quiétiste et mystique que celle d’un auteur déterminé.
          M. KALTENMARK.

          • Soutenues le samedi 28.II.1959 devant un jury composé de Demiéville, Étiemble, Gernet et Souriau sous la présidence du spécialiste de philosophie hégélienne Jean Wahl (!), les thèses de Kia-hway (<i<L'esprit synthétique… ; la thèse secondaire La critique de l’intelligence et l’expérience ontologique chez Tchouang Tseu est restée inédite), aboutissent à immoler l’esprit intellectuel occidental, marqué par le double appétit de l’abstraction et de l’utilitarisme, à la pensée chinoise, supposément beaucoup plus conscience de l’ineffabilité de la nature et de la dimension concrète des choses. Curieuse proposition à la vérité, surtout axée comme y insiste Kia-hway sur la radicale altérité de la structuration mentale chinoise par rapport aux catégories de pensée européennes, en particulier la déduction de type mathématique, la causalité et l’induction généralisatrice ; ce dogme est en effet condamné avec la plus criante évidence par le succès du marxisme chinois de Mao et ses successeurs. Quelques années avant le scandale soulevé par le François Villon et la scholastique d’Odette Petit-Morphy (Lille, 1975), preuve était ainsi faite que n’importe qui pouvait doctorer avec les apparences de la science sur un sujet extravagant devant des maîtres illustres rendus passifs, voire complice, par des liens d’amitié ou de connivence avec l’impétrant. Le grand Étiemble n’aura décidément pas patronné que des aigles… Il était grand temps de remplacer le Lao Tseu et le Tchouang Tseu Pléiade de Kia-hway, personnage dont l’épaisseur intellectuelle se mesure facilement dans ce qui semble être son unique article savant (‘Le Tao et le Tö chez Tchouang tseu’, Revue Philosophique de la France et de l’Étranger 165, 1975, pp. 289-295, où on lira d’incroyables contre-sens sur l’esprit de la philosophie des sciences [290 sqq.]), par des versions émanant d’incontestables spécialistes universitaires.

          • Comme de coutume je serai moins sévère que vous NéoBirt7, tout en vous donnant raison sur le fond, question de verre à moitié vide ou à moitié plein : je vois tant de cochonneries encombrer les rayons des librairies et portant le titre usurpé de Dao De Jing (Tao Tö-king) que je ne puis trouver déshonorant celui de M. Liou. Outre le fait qu’on ne saurait se faire une idée même approximative de ce traité obscur, fragmentaire et incertain, à la lecture d’une seule traduction, fut-elle ecxellentissime, ce qui m’empêche de classer celle de M. Liou dans la catégorie des inutiles ou des nuisibles.

            Plus condamnable est M. Liou quant à ses théories, qui s’inscrivent dans une longue lignée (qui aboutit, avec beaucoup moins de naïveté et plus de raffinement, à M. François Jullien dont vous avez déjà fait le procès ici), tradition de la radicale altérité des Chinois et de leurs façons de penser. Il est bien entendu que les Chinois ne sont pas des extraterrestres (d’autant plus que les véritables extraterrestres installés chez nous, sont bien connus : on les appelle Japonais – ha ha ha !). Et M. Liou dont je ne sais rien, des origines et de la formation, a grand tort de donner là-dedans.

            D’ailleurs, à l’autre extrême, il y a ceux qui veulent faire des Chinois des Occidentaux-comme-les-autres, qui auraient lu Platon ou bien (comme le voulaient certains missionnaires qui voyaient des croix chrétiennes partout) eu connaissance du message évangélique.

            Il n’empêche : la disparition absolue de ce M. Liou (je n’ai trouvé aucune trace de cet honorable céleste, comme s’il était parti à dos de buffle vers un ouest ineffable à l’instar du bon vieux Lao est tout de même fort étonnante. Le fait qu’il ait écrit des bêtises ne saurait l’expliquer à lui seul, quant tant d’autres se sont fait une célébrité et une belle carrière en en écrivant des tonnes (je ne citerai pas de noms, chacun a les siens).

  57. Je découvre sur le site officiel de la Pléiade l’annonce de la parution en novembre d’un coffret Mille et Une Nuit contenant les 3 vol. + « Album » !
    ?????
    Ce serait une reprise des exemplaires non écoulés de l’album précédemment paru et offert en prime lors d’une Quinzaine ?

    Est-ce que ce procédé a déjà été utilisé par Gallimard ? J’en appelle aux spécialistes de la spécialité…

    Simple curiosité, pour l’édification de certains de nos petits camarades qui seraient intéressés ; ce n’est pas mon cas, je possède déjà l’ancien coffret et l’album m’indiffère.

    • Bonjour Domonkos.
      Pour répondre à votre question, Gallimard avait déjà proposé un coffret Diderot avec l’album en 2013 pour le tricentenaire de la naissance de l’auteur.
      Je ne suis pas fan des albums non plus.
      J’en possède une quinzaine mais je ne cours pas après.
      Bonne journée.

      • Je peux les compter sur les doigts de mes deux mains : que des auteurs qui sont pour moi cultissimes (on est tout de même un peu fétichiste) et encore faut-il qu’ils contiennent des documents vraiment intéressants et peu courants.

        • De par leur conception publicitaire qui détermine une pente à l’hagiographie, voire a fait cultiver la légende dorée de l’auteur (l’Album Saint-Simon torché par Georges Poisson ! celui sur Chateaubriand rédigé par d’Ormesson !! celui sur Rimbaud commis par Matarasso et P. Petitfils !!!), les Albums Pléiade constituent de piètres parerga à la collection. Ils n’apportent presque jamais du neuf même dans le cas où leur maître d’oeuvre est un incontestable spécialiste de l’auteur (e.g., l’Album Sand, confié au grand Lubin, l’Album Voltaire, réalisé par l’excellent Van den Heuvel, auteur d’une Pléiade des contes et nouvelles voltairiens enrichie d’un commentaire remarquable, ou l’Album Nerval, confectionné par Pichois assisté du bibliomane Buffeteau), et ne tentent même pas de faire montre d’esprit critique (les pages sur Bosie Douglas dans l’Album Wilde poussent ainsi fort loin le jésuitisme ; on soupçonne la patte du petit-fils de l’écrivain, corédacteur du volume avec Gattégno). Un rien trop souvent, la documentation iconographique contemporaine de l’auteur manquait, comme pour Rimbaud, et même quand elle est abondante, le choix effectué par l’Album paraît s’être davantage modelé sur des critères de disponibilité et / ou de gratuité des droits à reproduction qu’il ne s’est fait à l’aune de l’intérêt intrinsèque de chaque pièce ; ainsi, pour Saint-Simon, une bonne partie de l’essentiel figure au tome premier, hélas resté unique, de l’édition Pauvert des Oeuvres complètes (1964). Bref, comme le disait Cléante dans L’école des femmes, « hormis un gros Plutarque à mettre mes rabats, | vous devriez brûler tout ce meuble inutile ».

          • « Brûler » sans doute pas, car ces objets de merchandising valent quelques euros sur le marché et sont susceptibles de participer à l’achat de quelques volumes d’oeuvres (en pléiade ou non). Généralement je les revends immédiatement, par sentimentalisme j’en ai conservé moins d’une dizaine, mais rien ne dit que c’est pour toujours. S’il ne devait en rester qu’un, ce serait certainement le Nerval, car je voue un tel culte à cet auteur que je collectionne (presque) tout ce qui me tombe sous la main, le concernant. Je n’en tire point gloire, mais n’en ai pas honte non plus.

            En tous cas, la chose est dite et bien dite, ces volumes ne valent pas plus que la moyenne des « cadeaux d’entreprise » qu’on consent aux bons clients ou les statuettes des super-héros Marvel que collectionnent les amateurs de comics. C’est-à-dire à peu près rien.

        • J’avais pensé faire de même pour Balzac, Baudelaire et peut-être Proust, mais ils sont maintenant inaccessibles, autant compléter ma petite bibliothèque.
          Que pensez-vous de la collection Découverte chez Gallimard ?

          • Je ne peux donner d’avis éclairé, n’en ayant plus consulté depuis quelques années et ne sachant comment cela a évolué. Mais je pensais un peu à cette collection, quand je laissais entendre que les album de La Pléiade n’apportaient pas grand chose d’intéressant ou d’inédit (je veux dire que, prétentions mises à part, ils n’apportent rien de plus, et peut-être même moins, qu’une collection comme « Découverte », hormis le prestige de La Pléiade, et la qualité matérielle du volume).

    • A noter que ce coffret en 3 vol. est affiché en précommande à 123€ (au lieu de 195 prix conseillé) dans « la zone ». Ce prix qui paraît erroné est bien appliqué, j’avais obtenu le coffret Proust à 97€ au lieu de 110 il y a quelques mois en prévente également. Cette pratique est agaçante, illégale selon la loi du prix unique du livre. Je me demande si l’éditeur n’accorderait pas un prix cassé en pré-prévente à « la zone » pour tester le marché et calibrer les tirages ? C’est cependant un prix adéquat pour un stock de 2005 dont je doute même qu’il s’agisse d’une réimpression – pour ce grand livre qui endort effectivement dès le volume 1.

      • Je suis curieux de savoir si Les Mille et une nuits ont connu plusieurs tirages et si ces volumes ne figurent pas parmi les moins lus. Dans le même registre j’ai les 3 volumes du Graal, qu’on ne voit pas passer souvent en occasion, et que je n’ai pas encore lus, même si le Roi pêcheur de Gracq m’encourage. Je n’ai pas souvenir que quelqu’un ait parlé de ces volumes du Graal sur ce site.

        • L’édition-traduction Pléiade du Cycle du Graal est notoirement faible, tant du côté de l’établissement du texte que de la traduction, et présente comme principal, pour ne pas dire : unique, intérêt de constituer la seule intégrale de cet énorme ensemble qui ait paru depuis O. Sommer (The Vulgate Version of the Arthurian Romances Edited from Manuscripts in the British Museum, Washington, 1909-1916, 8 vol. ; publication non critique, périmée aussitôt que sortie, mais référence indépassable pendant trois quarts de siècle). Le choix du manuscrit de base pour la Pléiade ainsi que des codices de contrôle ponctuel se discute franchement, l’établissement du texte est sujet à d’innombrables aléas (quand retenir ses leçons versus quand leur préférer celle(s) d’autres manuscrits, voire une correction moderne), le toilettage orthographique, tâche difficile entre toutes et qui opposa dans une querelle mémorable le Jean Frappier de La mort Arthu à May Plouzeau (romaniste au demeurant fort chagrine), a été accompli sinon avec une légèreté coupable, du moins sans soins particuliers, par l’équipe pléiadesque dirigée par l’incontournable Walter, et la traduction, à force de se vouloir moderne, ennemie des décalques archéologiques et aussi anti-bédiériste que possible, s’émaille d’innombrables glissements, abus et erreurs. Voir Richard Traschler, Romania 122, 2004, pp. 247-257. Pour ce qui est de la partie centrale du Graal, le Lancelot propre, on préférera franchement la jolie petite bilingue de la collection « Lettres Gothiques » du Livre de Poche dont les meilleures parties ont été traduites par le regretté Francis Mosès (l’introduction du tome III vaut même pour l’ensemble de l’oeuvre et doit être lue en premier, après quoi on peut passer à celle du tome I) : le texte, surtout pour les deux premiers tomes, y est incontestablement supérieur à celui de la Pléiade (puisqu’il il dépend du premier tome de la grande édition Kennedy de l’Oxford University Press, où l’appareil critique et exégétique remplit tout le second volume), ainsi que la traduction y sont tout particulièrement remarquables de justesse, de fermeté, d’aisance. Il est dommage que la Pléiade du Graal cyclique n’ait pas tenté de réviser, en une editio minor, la grande édition Alexandre Micha du Lancelot, très décevante pour l’étroitesse de sa conception ainsi que pour la qualité parfois trop aléatoire du texte français ; au lieu de cela, Walter (comme chacun sait dans le milieu, très médiocre éditeur de textes ; voir Fr. Vieillard, Romania 110, 1989. pp. 269-273) nous a donné une seconde mouture française médiocre de ce grand texte qui se recommande seulement pour sa traduction et son annotation perpétuelle (Micha n’a jamais proposé sa version du Lancelot, sans doute pas uniquement en raison de son grand âge ; en trop d’endroits son texte et ses bas de pages étiques défient toute compréhension). Pour les autres parties du corpus du Graal, les éditions des Lettres Gothiques sont toutes nettement préférables à la Pléiade ; beaucoup plus récentes que la série lancée par Mosès et continuée par d’autres, certaines d’entre elles (e.g. la regretté Fanni Bogdanow pour La Queste du Saint Graal) constituent des publications de type maior qui offrent un remarquable apparat de variantes, suggérant, par contraste, à quel travail de sagouins se sont livrés Walter et ses sbires sans la férule d’un réviseur pour leur dire quand ils cacographient ou extravaguent. Au total, une Pléiade pas du tout recommandable, une de plus hélas dans cette série médiévale où le pire (Moralistes du Moyen-Âge, Lais, Sagas islandaises, voire Villon) côtoie le meilleur (Chrétien, Roman de Renard, Tristan et Yseut).

          • Précisons que cette décevante trilogie du Graal en Pléiade n’est pas totalement ratée – introduction, notices, notes rendront service aux néophytes, mais le prix fort conséquent qu’en demande Gallimard a quelque chose d’obscène sachant que la solidité technique de l’ensemble n’est pas au rendez-vous, et ce alors que la concurrence offre des alternatives de bien meilleur aloi pour un coût infiniment moindre (un constat plus flagrant encore aujourd’hui, avec le grand essor du marché de l’occasion et avec les nouvelles éditions de morceaux du Graal en Lettres Gothiques). Je ne comprends toujours pas que Gallimard persiste à faire élaborer des éditions ambitieuses de textes médiévaux ou antiques, pour lesquels l’établissement du texte et de la traduction exige une vaste ascèse philologique même chez les plus chevronnés des experts actuels – ceux-là même qui ne font pas de Pléiades, s’agissant là de publications au prestige scientifique faible ou nul -, sans accompagner ces projets de la plus minime révision scientifique afin que les responsables de publication ne se reposent pas sur leurs seules forces. A condition d’accepter de s’humilier devant les bonnes idées ou la science supérieure ou le regard plus affûté d’autrui, le filet de sûreté que représente la relecture du manuscrit par un spécialiste connu pour être (très) bon technicien est basiquement ce qui fait la différence entre les bonnes et les mauvaises bilingues lorsque l’éditeur n’a pas tout à fait le profil d’un aigle.

          • Merci Neo-Birt7 pour votre intéressante critique très développée à propos de ces volumes du Graal. « le prix fort conséquent qu’en demande Gallimard a quelque chose d’obscène sachant que la solidité technique de l’ensemble n’est pas au rendez-vous », c’est malheureusement le cas pour de nombreux volumes de la collection, mais cela échappe à ceux qui ne sont pas spécialistes. Je vais me faire mon opinion sur ce cycle en commençant par Lancelot.

          • Je voudrais partager un cas d’espèce, unique mais d’assez grande conséquence, mettant en évidence les coupables faiblesses de la préparation de l’édition Pléiade du Lancelot. Soit la scène de l’écu brisé qui se reconstitue tout seul après la partie carrée au cours de laquelle Lancelot et Galehaut ont respectivement connu Guenièvre et la dame de Malehaut, ci-devant geôlière de Lancelot ; cette dernière, fine mouche, déclare à la reine que l’amour de Lancelot et de celle-ci est désormais enterine, ‘entier, total’, i.e. ‘consommé’, puis vient a Lancelot et lo prant por lo menton et li dit: Sire chevaliers, or n’i faut que la corone que vos ne soiez rois, « ensuite elle va à Lancelot, lui prend le menton et lui déclare: Messire chevalier, il ne vous manque que la couronne pour que vous soyez roi » (sous-entendu ; le mari légitime, ou le véritable mari, de Guenièvre en lieu et place d’Arthur). Une bonne partie de la tradition manuscrite a perdu l’apostrophe de la Dame à Lancelot, sans laquelle la balance du passage est défectueuse et le geste dénué de sens. Micha, dans son édition, suit une conformation textuelle qui met Guenièvre à la place de la Dame de Malehaut tout en présentant le texte court : et la roine voit que li chevaliers n’en ose plus faire, si le prent par le menton. Et il a grant honte de li, cela avec un apparat critique trop compressé qui induit en erreur quiconque n’a pas l’appareil critique de l’édition Kennedy sous les yeux (Lancelot. Roman en Prose du XIIIe siècle, VIII De la guerre de Galehot contre Arthur au deuxième voyage en Sorelois, Paris-Genève, 1982, p. 115). Rien de tel, heureusement, dans l’édition de la Pléiade, II, p. 887 § 876, mais le manuscrit de Bonn, qui a servi de fil rouge, remplace le menton par le poing et ne signale même pas la variante dans l’appareil critique, p. 1820. Or la main sous le menton d’autrui constitue un geste fusionnel et affectif, ici de spirituel badinage de la part de la Dame, à la différence du toucher du poing, dans le cadre de la grammaire médiévale des gestes, comme l’a bien noté F. Mosès traduisant le texte d’E. Kennedy, I, p. 547 ll.11-15 (texte), II, p. 360 (notes et variantes) : voir Lancelot du Lac, II, Paris, Lettres Gothiques, 1993, p. 523 note 2, et III, ibid., 1998, p.13 (explication de l’importance de ce texte long pour l’esprit du Lancelot). La substitution du poing au menton supprime totalement la pointe, le sourire malicieux de l’auteur, si présents pourtant dans la première partie du Lancelot mais qui échappaient complètement à Lot, à Frappier et à tant d’autres auxquels Mosès fait leur paquet dans son introduction au tome III de l’édition des Lettres Gothiques, pp. 5 sqq. En adoptant sans sourciller la leçon ultraminoritaire de leur manuscrit de base, apparemment dans l’ignorance de ce que portent les autres branches de la tradition, les éditeurs de la Pléiade adultèrent le texte non moins gravement que Micha, et Sommer avant lui, lorsqu’ils s’en tenaient à un texte court. Comme je l’écrivais précédemment, avec le Cycle du Graal sur papier Bible, nous avons donc une édition rivale de celle de Micha pour le seul Lancelot et un corpus complet, mais nullement une travail supérieur au sien. Quand on édite de la littérature médiévale, il est licite de s’en remettre à un manuscrit de base à condition qu’il soit de qualité incontestable et que l’on se donne la peine d’en relever les écarts individuels les plus graves pour le sens du récit ou pour sa portée littéraire ; on le voit, l’équipe de P. Walter se montre ici d’une négligence à la limite du désintérêt. Caveat emptor.

          • Je voudrais cette fois signaler une erreur d’interprétation assez grave. Dans sa Notice à la première partie du Lancelot, Anne Berthelot, la traductrice et l’annotatrice, revient sur l’épisode de la Douloureuse Garde, pièce de résistance du fantastique médiéval et qui a inspiré à Francis Dubost des pages mémorables dans sa grande thèse. Voici ce qu’elle écrit, p. 1731 :

            « Dans un premier temps, les données reprises en partie de La Charrette de Chrétien, et réorganisées pour les besoins du texte en prose, sont traitées avec la même économie de moyens qui caractérisaient jusque-là l’attitude du récit vis-à-vis du surnaturel : la manière dont il est suggéré que les habitants du bourg jouent un rôle non négligeable dans l’aménagement du cimetière futur afin de pousser leurs visiteurs à intervenir énergiquement dans les affaires du château et d’un seigneur qu’ils détestent peut apparaître avant la lettre comme une variation sur la distinction todorovienne qui fonde le fantastique : le cimetière futur est-il réellement un artefact magique, ou bien une habile supercherie entretenue par des ‘bourgeois’ opportunistes ? Les premiers triomphes de Lancelot témoignent de la même ambiguïté : certes, la triple épreuve des dix chevaliers et le recours aux écus à bandes vermeilles invitent à une lecture surnaturelle, mais le comportement des chevaliers vaincus par Lancelot, pour ne pas parler de celui de Lancelot lui-même, est tout ce qu’il y a de plus banalement humain. De même Brandis, le seigneur de la Douloureuse Garde, s’enfuit, et il emprisonne Gauvain et ses compagnons : la double lecture est possible, tous ces éléments sont
            passibles d’un interprétation merveilleuse, mais elle ne s’impose certainement pas. Et puis soudain, alors que la Douloureuse Garde ne semble plus au premier rang des préoccupations du récit, on y revient, mais sur un ton complètement différent : Lancelot est ramené par la ruse sur le théâtre de ses exploits, et la ‘fausse nouvelle’ de l’emprisonnement de la reine, qui joue sur ce secret universellement connu qu’est l’amour du héros pour Guenièvre, semble parfaitement dans la ligne des manipulations des habitants du château. Mais lorsque Lancelot se retrouve parmi eux, ils ont cette fois à lui offrir de véritables
            merveilles de nigremance, spectaculaires et puériles à la fois. Tout y est :
            souterrains, automates, puits d’enfer, cris et vacarme, puanteur, fumées,
            inscriptions magiques révélant obligeamment le mode d’emploi de la merveille, on a véritablement, en quelques pages, un catalogue des motifs surnaturels tels qu’on ne les rencontre ordinairement que dans un corpus de taille considérable. Lancelot, évidemment, triomphe de ces épreuves ; mais à quoi bon ? il a déjà conquis la Douloureuse Garde ; il a déjà manifesté sa prouesse et découvert son identité ; il a déjà libéré les prisonniers – quoique la réécriture du texte en prose rende cette séquence moins manifestement nécessaire dans l’économie d’ensemble de l’épisode, et qu’il ne soit pas évident à première vue que l’excursus
            de la Douloureuse Chartre appartienne au ‘massif’ signifiant de la Douloureuse Garde. L’effet de ‘feuilletage’ de la narration introduit par le processus de l’entrelacement se révèle idéal pour donner à voir ces interprétations et ces niveaux de signification multiples, et pour les contrôler. La Douloureuse Garde peut de la sorte être à la fois un réservoir de prodiges à forte connotation diabolique, et un simple château dont le seigneur retors et les bourgeois habiles ont organisé les défenses au moyen d’une fantasmagorie artificielle. »

            La distinction établie par Mme Berthelot entre le château authentiquement infernal de la Douloureuse Garde et le castel plutôt périlleux de pures mains d’hommes de l’épisode de la Douloureuse Chartre s’émousse considérablement, voire se délite, pour peu que l’on se réfère au chapitre de Dubost sur la dimension surnaturelle du château dans les textes littéraires (Aspects fantastiques de la littérature narrative médiévale (XIIe-XIIIe siècles). L’Autre, l’Ailleurs, l’Autrefois, Genève, Slatkine, 1991, pp. 351-389 [texte], 887-897 [notes]). Plus spécifiquement, Dubost montre ce qui échappe à l’exégète pléiadesque, à savoir que le surnaturel infernal de la Douloureuse Garde appartient en vérité au registre de l’illusoire et du danger voyant davantage que vraiment dangereux pour un chevalier de la nature de Lancelot (pp. 382-386, 895-896 notes 58-63). Dès lors, des prodiges diaboliques des premiers démêlés du héros à la Douloureuse Garde aux prouesses secondes et possiblement fallacieuses dont il est le protagoniste à la Douloureuse Chartre, il n’y a pas doublon, ni feuilletage, mais decrescendo, par focalisation sur l’élément proprement humain que constitue l’incarnation littéraire du thème de la noblesse ou de la royauté réfractaires à l’idéal du chevalier arthurien en des places-fortes figurées sous les traits de lieux maléfiques. « Ces féodaux malfaisants et irréductibles sont disséminés dans des châteaux que l’imaginaire représente volontiers comme autant de pétrifications des forces du mal. Chaque citadelle du mal est conçue comme un lieu où une faute s’est enkystée en coutume, laquelle prolonge souvent le malheur d’un grand nombre d’innocents. La coutume néfaste prolonge dans la mémoire romanesque le souvenir d’un passé coupable et scandaleux. etc » (Dubost, p.388). C’est autrement plus séduisant, et bien moins grossier, que l’appel au cadre théorique de Todorov. Voilà ce qui arrive quand on se pique de commenter une oeuvre médiévale sans avoir la ferme maîtrise de son intertexte savant (Dubost est cité en tout trois fois dans tout le tome II, pour des détails ou une extrapolation sur un détail du texte) ; la pente est glissante qui mène à la surinterprétation des données primaires.

  58. Petit message rectificatif pour Neo-Birt7:
    « Le gros Plutarque à mettre mes rabats » est énoncé par Chrysale et non par Cléante.
    Bien à vous.

    • Correction vénielle, au vrai, et qui s’assigne à du chipotage. Me voilà bien payé de retour pour avoir dédaigné de vous dispenser une leçon sur la prosopographie, dont les premiers grands chefs d’oeuvre remontent à la meilleure philologie germanique (les Fastes du Symmaque de Seeck dans les « Monumenta Germaniae Historica », 1883), en vous frottant par surcroît les oreilles pour avoir apparié à ce propos la truffe (la belle thèse de Nicolet) et l’oignon (le soporifique cale-porte de Sablayrolles, qui multiplie les questions sans y répondre vraiment et s’abîme dans le verbiage moderne, ainsi, pp. 173-174 la sous-section ‘le centurion des vigiles était-il un homme de terrain’, que je vous invite à relire).

  59. Bonjour à tous.
    Avis aux amateurs : les œuvres complètes de Flavius Josèphe sont annoncées dans la collection Bouquins.
    L’ouvrage, sous la direction de Mireille Hadas-Lebel, paraîtra fin septembre.

    • Une nouvelle édition des œuvres complètes de Rabelais est également annoncée pour début septembre dans la même collection, sous la direction de Romain Menini.

    • Je doute que le volume représente le produit d’une entreprise de translation fraîche par les soins de cette incontestable spécialiste du judaïsme hellénistique (noter que le titre n’annonce rien de tel). Mme Hadas-Lebel est en effet plutôt hébraïste qu’helléniste et historienne que philologue , or le grec dans lequel se piquait d’écrire Flavius, à la fois hautement élaboré – en dehors de la Vita – et frappé au coin d’une personnalité stylistique dédaignant les canons du style littéraire de l’époque, si bien qu’il est aisé d’y prendre des hardiesses pour des fautes ou vice-versa quand on n’en a point une grande pratique et que l’on connaît plutôt la koiné ou le grec augustéen dont la grammaire a été dressée par Crönert en sa Memoria Graeca Herculanensis (1903 ; le livre serait à refaire car il date fortement du côté tant de l’épigraphie que de la papyrologie, notamment pour Philodème de Gadara), exige un κριτικός de haut vol. Il lui faut en plus travailler à partir d’une tradition manuscrite loin de nous garantir un bon texte joséphien de base en dépit des efforts de la grande édition Niese sur laquelle tous les éditeurs et traducteurs subséquents se sont appuyés (l’édition Thackeray, qui sous-tend le texte grec de la Vita traduite par Pelletier a d’autres mérites).. Ce n’est pas un hasard si Pelletier n’a jamais achevé son édition Budé de La guerre des Juifs, lui qui pourtant n’y avait mis strictement aucune ambition, ni critique ni exégétique ni même traductologique, et si G. Liberman, à Bordeaux, prépare une nouvelle édition de Josèphe ouverte à la critique conjecturale. Je subodore que le Josèphe de la collection Bouquins rassemblera plutôt tout le corpus par addition des traductions françaises existantes, notamment chez Budé et au Cerf , cela ne constituerait pas un mince avantage que d’avoir les oeuvres complètes de Josèphe commodément rassemblées sous la la même couverture et sans doute augmentées des notes les plus nécessaires, compte tenu du prix, de la dispersion et de l’hétérogénéité de tous les volumes spécialisés existants (le Contre Apion Budé est une vieillerie qui offusque les standards de la collection ; les tomes Budé de Pelletier oscillent entre le faible et l’honnête ; la Guerre des Juifs translatée par Savinel est précise et plus vivante et enlevée que celle de Pelletier mais ne prétend pas être un décalque philologique ni un équivalent de la rhétorique joséphienne ; enfin l’entreprise de Nodet pour les Antiquités juives au Cerf, toujours inachevée, vaut surtout pour le commentaire). . .

  60. Merci Neo-Birt7 pour toutes ces intéressantes précisions.
    Je possède la Guerre des Juifs traduite par Savinel et je la conserverai même après l’acquisition du nouveau volume.
    J’ai pour règle de ne jamais remplacer une édition d’auteur ancien par une autre mais de les cumuler pour les comparer.

  61. Bonjour, je me demandais si ça valait vraiment la peine d’acquérir les nouvelles éditions de Camus (sorties en 2006 pour les deux premiers volumes)?

    • Personne ne vous a répondu, mais sauf erreur de ma part les anciennes éditions ne contiennent pas d’appareil critique et pas d’inédits. Les notes m’ont paru bien rédigées pour les textes que j’ai lus ou relus sur cette nouvelle édition. Camus est un auteur majeur du XXe siècle et il n’y a pas d’autre édition de référence puisqu’il est chez Gallimard, donc cette édition me parait importante à posséder, c’est pour ça que j’ai acquis les volumes.

      • L’édition Quilliot était pionnière et, à défaut de notices et de notes, valait par son rassemblement de toute l’oeuvre camusienne alors connue ainsi que par la vaste documentation accumulée en fin de chaque tome, sur le patron du Valéry Pléiade de Hytier. Les quatre tomes confectionnés par un aréopage de spécialistes sous la direction respective de J. Lévi-Valensi (I-II) et R. Gay-Crosier (III-IV) constituent une bonne édition universitaire bien à jour des inédits, ce qui implique un saut qualitatif par rapport à la première Pléiade. On peut toutefois reprocher à cette réédition, aux retirages discrètement actualisés par Gay-Croisier, un certain ton hagiographique, commun dans la collection mais parfois poussé ici jusqu’à l’admiration (Camus, c’est bien connu, demeure d’actualité pour avoir été de tous les bons combats politiques, décoloniaux, tiersmondistes, voire progressistes ; il ne manque plus qu’un satisfecit de B. Stora) ainsi qu’une échelle restreinte qui l’empêche de proposer l’étourdissante richesse exégétique en évidence dans les intégrales Pléiades de Prévert ou de Breton. Pour la modération des jugements, l’intelligence historique déployée dans le commentaire, la finesse littéraire avec laquelle sont évaluées les oeuvres, ce Camus bis n’arrive d’ailleurs pas à la hauteur des Essais et écrits de combat Pléiade de Bernanos dirigés par le grand Estève, particulièrement son tome II.

        • C’est la rentrée littéraire, Neo-Birt7, nous feriez-vous la faveur de nous dresser une liste de Pléiades exemplaires du coté de l’édition, une liste que vous présenteriez au No 9 rebelle rue Sébastien Bottin ou dans les locaux de Gallimard adjacents, s’ils avaient le flair de vous convoquer en Consultant Urgence Qualité ?

          • ANTIQUITÉ:
            Incontournables : Aristote I, Les Épicuriens, Philosophes confucianistes, Philosophes taoïstes II, Pline l’Ancien, Rāmāyana.
            Mention honorable: Hérodote-Thucydide, Historiens romains de la République, Les Stoïciens, Plaute-Térence, Romans grecs et latins, Virgile.
            Ratages: Aristophane, Premiers écrits chrétiens, Saint Augustin, Tragiques grecs (traductions peu fiables et/ou notoirement moins réussies que celles existantes, appareil scientifique absent, aléatoire ou peu fiable).

            MOYEN-ÂGE:
            Incontournables: Chrétien de Troyes, Dante (ed. Pézard), La Légende dorée, Roman de Renard, Tristan et Yseut
            Mention honorable: Au bord de l’eau, Ibn Kaldûn, Océan des rivières de contes, Voyageurs arabes (avec des réserves).
            Ratages: Écrits spirituels du Moyen Âge, Le livre du Graal, Sagas islandaises, Villon (éditions mal confectionnées par des auteurs pas forcément compétents ou à la hauteur de leur tâche; traductions aventureuses ou insuffisamment critiques, appareil scientifique soit factice soit dissimulant les difficultés de texte ou d’interprétation).

            XVIe SIÈCLE:
            Incontournables : Agrippa d’Aubigné, Brantôme, Calvin, Conteurs italiens de la Renaissance, Essais de Montaigne, Rabelais (Huchon), Ronsard (Céard etc), Théâtre élisabéthain.
            Mention honorable : Cervantès (Canavaggio etc), Jin Ping Mei. Pérégrination vers l’ouest.
            Ratage: Shakespeare (Desprats; traduction beaucoup trop plate et sans souci des nuances ni de l’épaisseur sémantique de l’original, appareil scientifique négligé).

            XVIIe SIÈCLE:
            Incontournables: Corneille (Couton), La Fontaine I (Collinet), Lafayette, Molière (Forestier), Libertins du XVIIe siècle, Nouvelles du XVIIe siècle, Pascal (Le Guern), Racine I, Retz (Hepp), Sévigné (Duchêne), Tallemant des Réaux.
            Mention honorable: Fénelon, Malebranche I, Théâtre du XVIIe siècle.
            Ratages: Boileau, Malebranche II, Malherbe (établissement du texte routinier, appareil scientifique décevant, aucune innovation ni apport personnel de l’éditeur).

            XVIIIe SIÈCLE:
            Incontournables: Choderlos de Laclos (Versini), Correspondance de Voltaire, Diderot I-II, Oeuvres de jeunesse (Deloffre) et Théâtre complet de Marivaux (Coulet/Gilot), Rétif de la Bretonne, Rousseau, Saint-Simon (Coirault).
            Mentions honorables: Beaumarchais, Buffon, Nouvelles du XVIIIe siècle, Rêve dans le pavillon rouge, Romanciers libertins du XVIIIe siècle.
            Ratages: Kant, Orateurs de la révolution française, Sade (éditions mal conçues n’ayant guère que le mérite d’exister et ne répondant ni aux attentes d’un large public ni aux demandes d’un lectorat cultivé).

            XIXe SIÈCLE:
            Incontournables: Comédie humaine (Castex) et Oeuvres diverses de Balzac, Baudelaire (Pichois), Corbière-Cros, Correspondance de Flaubert, Essai sur les révolutions et Génie du christianisme de Chateaubriand, Fromentin, Oeuvres autobiographiques de Sand, Oeuvres complètes de Flaubert, Mallarmé I (Marchal), Maupassant, Nerval (Pichois/Guillaume), Nietzsche I, Notre Dame de Paris et Les travailleurs de la mer de Hugo, Oeuvres autobiographiques et Voyages de Stendhal (Del Litto), Oeuvres poétiques de Hugo, Tocqueville I, Vigny I, Villiers de l’Isle-Adam.
            Mentions honorables: Andersen I, Gobineau, Lautréamont-Nouveau, Oeuvres romanesques complètes de Stendhal, Oeuvres romanesques et voyages de Chateaubriand, Huysmans, Romans de Sand, Romans, contes et nouvelles de Gautier, Vallès, Wilde.
            Ratages: Les Misérables de Hugo (Scepi), Nietzsche II, Rimbaud (Guyaux), Staël, Tocqueville II-III, Rougon-Macquart de Zola (très inférieur aux éditions séparées des romans dans les Nouveaux classiques Garnier ; les deux premiers tomes sont presque inutilisables).

            XXe SIÈCLE:
            Incontournables: Aragon, Breton, Céline (Godard), Colette, France, Giono, Essais et écrits de combat de Bernanos, Journal de Claudel, Gide (nouvelles éditions), Giraudoux, Joyce, Oeuvres complètes de Malraux, Oeuvres en prose complètes d’Apollinaire, Prévert, Recherche de Proust (Tadié), Queneau, Romans de Montherlant II, Sartre
            Mentions honorables : Drieu la Rochelle, Faulkner, Mauriac, Nabokov.
            Ratages: Borges (traductions souvent grossièrement fautives, en particulier dans la première édition, pilonnée ; appareil scientifique intéressant mais arbitraire), Péguy (l’ancienne comme la nouvelle édition ; pas d’appareil scientifique dans la première, beaucoup trop peu de contextualisation littéraire et de mise en place historique dans la seconde)

          • Merci pour cette liste dont je plussoie le classement pour les quelques volumes incontournables de mes rayons et les ratages revendus (Saint Augustin) ou conservés avec grimaces (Shakespeare car il est bilingue avec une mise en page pratique).

          • « Shakespeare : Desprats; traduction beaucoup trop plate et sans souci des nuances ni de l’épaisseur sémantique de l’original. »
            J’ai eu la même impression que vous : sa traduction manque furieusement de rythme, son vers libre, très souvent, fait plus prose (même si l’on passe à la ligne) que vers !

            Cher Neo-Birt7, avez-vous une ou plusieurs traductions à proposer ? Pas forcément sur l’ensemble du théâtre de Shakespeare mais, pourquoi pas, sur quelques pièces en particulier.

            Je m’étais amusé à faire un petit exercice comparatif sur la fameuse phrase de Macbeth (Acte V, Scène V) : «I have supp’d full with horrors »

            Et voilà ce que j’avais pu trouver en français :

            « J’ai soupé gras d’horreur » (Daniel et Geneviève Bournet)

            « Je suis rassasié d’atroce » (Pierre Leyris)
            « Je me suis rassasié d’horreurs » (François Guizot)

            « Je suis gorgé d’horreurs » (Pierre Jean Jouve)
            « Je me suis gorgé d’horreurs » (François-Victor Hugo)

            « Mais je suis saoul d’horreurs » (Jules Derocquigny)
            « J’ai eu mon saoul de l’horreur » (Yves Bonnefoy)
            « J’ai mon soûl d’horreurs » (Marcel Schwob)

            « Je suis repu d’horreurs » (Jean-Michel Déprats)

          • Revpop, vos exemples le montrent bien, traduire Shakespeare, c’est comme surcuire un rosbif au point d’en perdre la quintessence, jamais très loin de la faute de goût (« Le dressage de la rebelle »).
            Il faut faire l’effort de lire, d’entendre l’original, et le format bilingue avec traduction en regard est une béquille bien pratique.
            Du coté du non-bilingue, j’ai un faible pour le Conte d’Hiver, traduit par Koltès dans la belle édition de Minuit – mais Neo a sans doute bien d’autres citations honorables.

          • Soit innutrition trop intime avec l’univers du théâtre grec et romain, soit partialité excessive envers notre tragédie classique, le Barde est l’un des rares auteurs du tout premier rang avec la langue desquels j’entretiens un rapport de familiarité dont je ne suis jamais parvenu à m’éprendre tant soit peu. Il m’a toujours paru radicalement étranger à notre univers mental de Français ; et celui qui recherche l’expérience de drames couchés dans un très haut style poétique dispose déjà de l’admirable Robert Garnier, dont les Classiques Garnier secouent avec vigueur la poussière par trop injustement accumulée sur sa tombe J’ai lu le Barde dans les éditions bilingues de la Collection Shakespeare des Belles Lettres, très ancienne désormais et fort scolaire mais remarquable à bien des égards ; il est de mode de dauber sur ces jolis petits volumes, qui sont en quelque sorte l’anti-Pléiade pour la scène.

          • Réponse à Revpop, au sujet de sa petite citation et des diverses traductions d’une ligne de Shakespeare :

            Pour ma part, les seules qui me plaisent sont celles de Bonnefoy (j’ai eu mon saoul de l’horreur) et de Marcel Schwob (j’ai mon saoul de l’horreur) qui rendent bien le sens, en utilisant une expression « bien de chez nous » et significative.
            J’admets le volontiers « gorgé d’horreurs » de Jouve.
            Les deux expressions rendant l’idée d’en avoir vraiment trop avalé…

            Je ne comprends pas ces ineptes variations sur « rassasié » complètement plat, à la limite du chichi-pompon (« ah, ma chère, je suis rassasiée ) »), on est rassasié quand on mangé suffisamment, mais il n’y a pas l’idée du « trop » ou du dégoût ; étonné par l’inutile « atroce » de Leyris et sidéré par le « j’ai soupé gras d’horreurs » proprement hallucinant !

            Mais, il existe en français une expression à la fois proche littéralement, phonétiquement et rendant bien le sens de l’original (est-ce pour çà que les traducteurs la négligent : trop simple, trop « facile » pour eux ?), c’est « J’en ai soupé de… ! »

            « Ah ! tiens ! sortons ; j’en ai soupé de la bonne parole ! » — (André Gide, La Porte étroite, 1909)

            « J’en ai soupé de n’ pas briffer » – (Jehan Rictus, Les Soliloques du Pauvre, 1894-1895)

            Et pour la bonne bouche et les célinolâtres :
            « J’en ai soupé de ma galère. Elle n’est que trous ! » (Lettre à Jeanne Fernandez, août 1936, Lettres Pléiade 2010).

            Et pan ! pour finir, je retombe sur mes pattes et termine par La Pléiade… Admirez l’artiste !

          • Revpop traduction Shakespeare 2 :
            j’avais raté le petit dernier : « Je suis repu d’horreurs » (Jean-Michel Déprats)
            Dommage.
            Car le « repu » me plaît bien, je dois dire.
            Il est sonore, il donne assez bien l’idée du « trop mangé » de la « ventrée » et, sur le plan phonétique, il y a un petit quelque chose qui le rapproche de « supp’d »

  62. On a le « visuel » du coffret Cohen : outre son inutilité (les deux volumes publiés séparément ne nécessitaient en rien cet habillage), il révèle sa laideur et même sa vulgarité.
    On est bien dans les calculs d’épicier, mais ce n’est pas de l’épicerie fine, plutôt le rayon alimentaire tape-à-l’oeil d’un supermarché discount.

      • Gallimard a choisi une œuvre de Tamara de Lempicka pour illustrer le coffret de Cohen : c’est plutôt cohérent puisque c’est aussi le cas pour le Quarto qui lui a été consacré. On peut ne pas aimer Lempicka (ou Tal-Coat pour le tirage spécial Giono) ou regretter ce choix (choix d’une femme artiste, nudité embarrassante ou discordance entre l’œuvre peinte et l’œuvre de l’écrivain…) mais en quoi serait-ce un « calcul d’épicier » ?

        • Je n’aime pas les extraits musicaux d’une ou deux minutes qui défigurent et insultent une oeuvre, et remplissent les oreilles de bruits insignifiants ; je n’aime pas les détails exagérément grossis des tableaux, qui sont du tape-à-l’oeil et dénaturent l’oeuvre, procédé publicitaire assez vulgaire, d’autant plus quand on choisit le détail le plus susceptible de capter le regard de l’indifférent. « Suggestif » aurait-on écrit autrefois.
          Primat de l’image – et de l’image détournée – sur le texte.
          Quel rapport avec la littérature ?
          Mais, si vous y tenez, je veux bien faire un effort et retirer les termes « calcul d’épicier »… et les remplacer par celui – je n’ose l’écrire en toutes lettres – de « put…sier ».

          En ce qui concerne le Quarto, que j’ai le bonheur de posséder, je n’ai rien à redire à l’illustration de couverture que je trouve en adéquation avec une certaine « frime » de l’auteur lui-même et de ses personnages-doubles.

        • Vous avez raison aimable Thierry : les errements de Gallimard sont tels qu’il semble inutile d’y ajouter ; je soupçonne plutôt quelque pudibonderie inconsciente de notre betyár des Cévennes – refuge historique de rebuts austères (et lourdement schismatiques) – naguère si joyeux et dont le charme sauvage laisse à penser qu’il n’était pas le dernier à courir le guilledou.

          • Je verrais plutôt les betyárok dans la puszta que dans les Cévennes, quoi qu’il en soit il n’est pas de la RPR, horresco referens !

            Quant aux gallimarderies, tout est bon pour vendre, apparemment. Il ne reste qu’à espérer que le contenu mérite cet … effort mercatique.

          • S’il me faut accepter le titre de betyár, alors j’opte pour Sándor Rózsa, en hommage à mon père qui se prénommait ainsi – et bien qu’il mourût au pénitentier de Szamosújvár qui se trouve aujourd’hui dans la Transylvanie volée roumaine (grand bien leur fasse !).

            Hormis cela, je ne vois nulle trace de pudibonderie – même en sondant les abysses de mon inconscient – dans mes remarques sur l’habillage du coffret Cohen ; je regrette de m’être mal fait comprendre. Peut-être aurais-je dû parler de « publicité mensongère » et de « fausse monnaie » ? Car enfin, quand la vitrine répond aussi peu au contenu du magasin… (Prière de n’y point voir une allusion à certaines vitrines de certains quartiers de villes flamandes…)

            Mieux eût valu que je passasse mon chemin, avec un simple haussement d’épaules, pour ne point m’attirer de tels soupçons.

            J’espère que sur le coffret Saint-Augustin figurera quelque réjouissante trogne de buveur de bière, puisque notre Docteur de l’Église est l’un des saints patrons de cet honorable breuvage.

  63. Bonjour Domonkos,

    Ne passez pas votre chemin, nous sommes quelques-uns à vous lire avec joie et à aimer votre humour.

    Cordialement,

    Marc.

  64. – Xavier du CCP vient de recenser l’oeuvre complète la plus volumineuse, Balzac: https://www.catalogue-pleiade.fr/Balzac.NF.htm
    Belle édition Castex avec 33% d’appareil critique – à l’occasion de la parution du 18ème et dernier volume (sine die), je rêve que l’éditeur procède à l’harmonisation des reliures dans un ou deux coffrets (valise ?) à prix ajusté – la série actuelle présente un camaïeu de verts émeraude qui n’est pas trop à mon goût.
    – à lire et discuter, la liste de Neo-Birt7 du 29 août un peu plus haut, passée inaperçue peut-être, mais très utile pour qui veut repérer les incontournables de cette collection à la qualité peu homogène.

  65. Cher Neo-Birt7, pouvez-vous, s’il vous plaît, nous communiquer quelques éléments concernant les éditions que vous classez dans les « ratages » de :
    – Boileau
    – Sade
    – Kant
    – Rimbaud (Guyaux)
    – Tocqueville II-III

    Je vous en remercie vivement.

    De plus, que penser de l’éd. en vingt-quatre volumes de Rousseau sous la direction de R. Trousson et de F. S. Eigeldinger (Slatkine/Champion) ?

    • Le Kant de la Pléiade donne le sentiment d’un écart par trop considérable entre les fermes principes posés par le responsable éditorial, Alquié, soit la mise au point d’un outil de travail fiable permettant la consultation page à page, voire ligne à ligne, de l’édition critique de base en allemand et en néo-latin Kant’s gesammelte Schriften, 1910-1983 (témoin la justification du texte français avec une marge extérieure plus importante qu’il n’est d’usage dans la collection) tout en déférant le plus possible au lecteur l’interprétation historique et philosophique au motif qu’elle est éminemment subjective, et la réalisation, laquelle, au lieu d’avoir entrepris la retraduction sur des principes modernes des trois Critiques à tout le moins, particulièrement mal servies par les Barni et autres Tremesaygues et Pacaud, se borne à un pur et simple assemblage de ces mêmes traductions existantes dont l’insuffisante, voire la nullité, est constatée et obviée pour la présente édition par des révisions (cela concerne hélas la plupart des grandes traités) juxtaposés avec les versions nouvelles de quelques textes secondaires ou moins connus, le tout harmonisé par le ciment exégétique d’une annotation qui se veut objective mais n’évite guère les écueils de la pauvreté et du schématisme, quand elle ne donne pas dans la balourdise des poncifs scolaires. Ces trois volumes ne se ressentent que trop rarement de la main ferme de spécialistes bien au courant de l’abondante littérature secondaire kantienne. Dans les années 80, était-il encore à Dieu possible, pour éviter l’épouvantable travail de Tremesaygues-Pacaud sur la Critique de la raison pure, de corriger tacitement la vieille version, flaccide, prolixe et lâche, de Barni ? Gallimard l’a fait, ou plutôt la noble maison a tordu le bras en ce sens au grand Alquié.

      Tocqueville I se distinguait par un appareil critique assez détaillé et frais, ce qui représente quelque chose d’un tour de force s’agissant d’oeuvres offrant une grande diversité géographique et thématique. Le second tome, édité par le même A. Jardin à très (trop ?) bref intervalle, se dispense, inexplicablement s’agissant De la démocratie en Amérique, de presque tout éclairage historique ou constitutionnel hormis l’éclairage d’une sélection de données du texte, ce qui laisse penser soit que la philosophie de l’édition a changé, soit qu’il manquait l’apport d’un spécialiste de l’Amérique. Un bel exemple de ce qu’il était possible de faire sur ce registre littéraire particulier réside en l’édition Derathé du De l’esprit des lois aux Classiques Garnier, toujours aussi impressionnante aujourd’hui. Le tome III de ce Tocqueville, publié longtemps après par une survivante de l’équipe originale à partir du Nachlass de F. Furet, montre hélas combien un historien, fût-il éminent, ne se substitue pas avantageusement à un lettré spécialiste de la littérature d’idées, surtout quand son travail est trop encadré par la maison d’édition et a été laissé inachevé ; en ce volume à peine plus épais que le second, les oeuvres historiques françaises de Tocqueville ne reçoivent même pas l’ébauche du commentaire qu’elles méritaient. Cette trilogie complètement incohérente évoque le monstre horacien de l’incipit de l’Art poétique et ne fait pas honneur à Gallimard.

      Le Sade de la Pléiade ayant été confié à Delon, considérant par ailleurs la paucité de l’appareil critique disponible dans les intégrales de Pauvert (le pionnier) et du Cercle du Livre Précieux (très méritoire) ainsi que les conditions particulières d’édition des textes du Marquis, il était raisonnable d’attendre de cet éminent connaisseur du XVIIIe siècle une forte édition, ou du moins une contribution substantielle. Force est de constater que ses trois tomes déçoivent beaucoup sur tous les plans : pas ou peu d’appareil des variantes, des notes exégétiques succinctes, erratiques et assez mal distribuées, peu de mise en perspective historique en dehors du (minimum de discours) biographique attendu, des notices impersonnelles et insuffisantes, l’ensemble n’apporte guère à l’entreprise de résurrection d’un étonnant personnage dont le coeur ni les reins n’ont été sondés par Delon à l’occasion de son entrée dans la Pléiade. Mit-t-on trop de pression à l’éditeur de ces textes toujours considérés comme sulfureux ? Se surchargea-t-il ?

      En sa troisième mouture sur papier Bible, Rimbaud se présente sous une forme agressivement universitaire par l’un des spécialistes les plus affûtés du poète mais sans nul doute aussi, hélas, le plus controversé de tous pour son esthétique prétendue fragmentaire de l’écriture rimbaldienne en prose. Mal remis des réfutations qui ont plu à verse sur sa thèse doctorale, il aima mieux se dispenser de faire la synthèse des apports de ses prédécesseurs dans l’édition du corpus, en profitant de l’accroissement de notre documentation et en moissonnant avec recul critique le champ ensemencé par ses trois principaux prédécesseurs (Eigeldinger-Schaeffer, Hackett, Murphy). Les problèmes de reconstitution des différents recueils rimbaldiens (de Douai, Paul Demeny, etc) et les inextricables difficultés que l’on éprouve à choisir entre les versions divergentes existant pour maints poèmes ne sont nulle part résolus, ni même mentionnés nettement, dans sa Pléiade, alors même que l’Edition du centenaire dirigée par Borer puis le tome Ier du Rimbaud Champion les avait réimposés avec force. C’est que Guyaux a cyniquement fait sien le travail collectif accompli jusqu’à lui en anonymisant les apports de chacun au profit de ses propres fantaisies de présentation (la place des Illuminations et des Juvenilia, l’impression en petit module de poèmes pour lesquels n’existe aucun autographe rimbaldien alors même que l’insipide prose scolaire et les poésies latines, que Guyaux ne juge pas en connaisseur, sont composés en corps normal, etc) et en limitant l’annotation, présentée avec une grande compacité destinée à faire contraste avec la manière prolixe de son prédécesseur Adam comme avec la liberté plurivoque du commentaire de l’Edition du Centenaire, aux travaux des collègues envers lui complaisants ou appartenant à son bord esthétique (quand Guyaux daigne composer des notes ; Le Bateau ivre se présente ainsi virtuellement destitué de toute exégèse). Il en résulte une édition d’une grande correction matérielle et qui rassemble une foule de données utiles dans un espace relativement bref, pour laquelle le lecteur de tout venant lui sera in fine reconnaissant, mais qui ne marque strictement aucun progrès critique, même pas lorsque Guyaux, fort de son entregent mondain (car le personnage est un salonnier), a pu autopsier tel ou tel manuscrit depuis longtemps inaccessible en des mains privées. Il s’agissait pour lui, on le sent nettement, de couper l’herbe sous le pied à Murphy en damant le pion à sa monumentale édition Champion des Poésies déjà mentionnée. Malgré son prix, son encombrement et la difficulté qu’on éprouve à l’utiliser en raison de la prolifération des sigles et l’attention portée au plus infime détail graphologique ou poétologique, c’est pourtant celle-ci qui s’impose, pas cette Pléiade élégante mais trop nettement tendancieuse dans laquelle l’éditeur escamote les trois quarts au moins des questions de méthode conditionnant toute présentation du corpus rimbaldien. Je rejoins donc le verdict sans pitié prononcé par feu Lefrère, avec quelque exagération pro domo.

      Le Boileau Pléiade de F. Escal est la seule édition signée par cette agrégée devenue experte en histoire sociale et culturelle de la musique (!). Fidèle aux propres indications de Boileau, elle reproduit sa mouture favorite du texte, celle de 1701, puis l’édition Boudhors pour les oeuvres postérieures à cette date, d’ailleurs avec l’indépendance qui s’imposait dans le cas de cette dernière, et propose un appareil de variantes et de notes exégétiques somme toute très honorable. Malgré l’absence d’une intégrale commentée aux Grands Ecrivains de la France, il ne s’agissait pas là d’une gageure : non seulement Boudhors lui offrait en abondance les sources littéraires et les précisions historiques, mais Escal a pu bénéficier des éditions méritoires confectionnées par A. Cahen chez Droz et aux Belles Lettres ainsi que du richissime Commentaire de Le Verrier par F. Lachèvre. On peut considérer que lui revient en propre le commentaire d’ordre linguistique et grammatical de sa Pléiade, laissé hors champ par Boudhors sauf cas particulier, et c’est là que se constate sa relative faiblesse comme dixseptiémiste (trop de points qui font achopper le lecteur actuel sont passés sous silence par Escal ; ce qui relève de l’usage poétique, voire de la licence de versification, n’est jamais distingué de l’usus normal à l’époque ; les tics d’expression de Boileau, quoique bien moins marqués que ceux de Malherbe, auraient pu être relevés chemin faisant si l’éditrice avait dépouillé ses textes de bout en bout, comme le fit Fromilhague dans sa thèse sur la versification de Malherbe). Enoncée de trop elliptique manière (‘Note sur la présente édition’, p. XXIX), la philosophie éditoriale en vigueur dans cette Pléiade manifeste une technique un peu maladroite dont la préférence arbitraire pour l’orthographe d’époque est la marque la plus éclatante (cf. ce qu’écrivait Adam dans son propre Malherbe de la Pléiade, p. 757 : « la règle généralement observée dans cette collection est de moderniser l’orthographe. Cette règle a été suivie dans ce présent volume. L’avantage est évident, et les inconvénients ne sont qu’apparents. Car il n’est pas malaisé de faire la différence entre ce qui est du domaine de la langue, et ce qui est de pure graphie. etc »). Enfin, le commentaire d’ordre littéraire prolonge le classicisme de Boudhors et ne sert pas d’assez près le texte courant, témoin la complète absence d’appréciation pour la qualité traductologique et la simple beauté de la langue de la version du traité Du Sublime. Une édition décevante, au total, que ce Boileau de la Pléiade, car davantage encore que le Malherbe d’Adam (très solide mais autrement moins bon qu’aurait pu le confectionner Fromilhague, qui s’y entendait infiniment mieux qu’Adam sur ce poète hors normes) ; il cueille les fruits du labeur d’autrui sans y mettre du sien et ferme le champ au lieu d’ouvrir des perspectives d’avenir.

      • L’excellent P. Clarac, dans sa recension de la Revue d’Histoire littéraire de la France 68, 1968, pp. 299-300, énonce courtoisement de sérieuses réserves sur le Boileau de la Pléiade : l’éditrice « reproduit en principe (…) le texte établi par Boudhors et reconnaît s’être largement inspirée de ses notices et notes ; elle ne pouvait choisir meilleur guide. (…) On sent que Mme Escal s’est préparée à sa tâche par de longues lectures ; mais son commentaire conciliant demeure parfois à la surface des problèmes » (p. 299 ; suivent six adversaria mettant en évidence des manquements et erreurs de jugement assez sérieux, dont on cherche en vain la trace dans le seul compte rendu disponible sur Persée, par B. Beugnot, pourtant d’une longueur assez inusitée).

        • C’est une chose qui me chagrine en effet. À vous lire régulièrement, on se rend compte que les recensions ne sont guère fiables, et qu’on ne peut s’y fier aveuglément, car elles dépendent à la fois de la compétence et de l’honnêteté de leur auteur. On lit trop souvent des paroles d’admiration béate pour des éditions peu valeureuses sur des points plus techniques, et donc moins accessibles au profane de bonne volonté.

          • En matière d’humanités, la politesse et la confraternité ont, de longue date, supplanté la nécessaire franchise lorsqu’il s’agit de rendre compte de travaux techniques : au pays de Muret, Lambin et Scaliger, ces redoutables bretteurs humanistes, la verdeur dont étaient encore capables, au XVIIIe siècle, Dacier et Villoison, puis au début du XIXe, Courier, Boissonnade et Coray, lorsqu’ils rendaient compte des travaux textuels de leurs pairs ou s’estimaient offensés, a durablement cédé la place à un discours lénifiant, compassé, formaté. En cause parmi les membres français de la guilde, le sentiment du let’s all be kind to each other (il est vrai qu’à la différence de Dübner ou même de Pierron, un Patin, un Paul Girard, un Hauvette avaient fort besoin d’une telle indulgence pour briller dans leur discipline !) ; certain désir de se voir soi-même ménagé en retour ; l’extrême répugnance à faire preuve de l’odium philologicum dont étaient coutumières les grandes traditions anglaise et allemande de la philologie classique (la férocité d’un Housman est restée légendaire, mais demeure assez mesurée en comparaison des insultes ordurières qui volèrent bas durant la dispute de la Naissance de la tragédie de Nietzsche, des dragonnades que se permettait Wilamowitz envers ses bêtes noires, un Drerup, un Wecklein, des querelles fielleuses auxquels avaient donné lieu les ouvrages de l’école de Fick entre partisans de ses rétroversions dialectales de la poésie archaïque et linguistes moins hâtifs et plus méthodiques) ; et un chauvinisme inclinant les humanités françaises du côté du décorum littéraire et mondain des sociétés de savants, d’hommes du monde et de gens de lettres, comme on disait vers 1830-1860, plutôt que vers les querelles de chiffonniers autour d’un accent ou d’un esprit grecs (voir Jean Bollack, ‘Monsieur de W.-M. (en France): Sur les limites de l’implantation d’une science’, repris dans La Grèce de Personne. Les mots sous le mythe, Paris, Seuil, 1997, pp. 60-92 ; article raté en ce qui concerne les transferts de la philologie germanique vers la science classicisante française au tournant des XIXe et XXe siècles mais très éclairant à propos des mentalités de cette dernière comme profession). La bipartition chez nous entre littéraires et critiques de textes explique non seulement que les recensions d’éditions ou de traductions soient trop souvent confiées à des collègues ignorants de ces tâches pour n’avoir eux-mêmes jamais fait de Budés, de Textes Français Modernes, etc, plutôt qu’aux auteurs d’au moins une édition reconnue comme satisfaisante à l’étrange, concernât-elle un autre auteur ou un autre genre littéraire, mais encore des doubles standards choquants – un latiniste aussi extraordinairement médiocre que René Durand a pu acquérir une dimension quasi-mythique dans l’enseignement des lettres classiques, lui dont la révision ou la relecture des volumes rouges des Belles Lettres n’ont in fine pas permis aux Goelzer, Bornecque, Ernout, de Saint Denis, etc, de proposer des éditions moins calamiteuses, là où l’extraordinaire Louis Havet a promptement sombré dans l’oubli, bien aidé il est vrai par le caractère trop mécaniste de sa méthode de critique textuelle. Les recensions ne constituent donc jamais, ou si rarement, la base solide d’un argument d’autorité. Voilà pourquoi, à Lombard qui tenta de m’écraser sous l’auctoritas du compte rendu signé Alain Blanchard de l’Aristophane Pléiade de Thiercy, comme de juste fort élogieux, j’avais répondu par une fin de non-recevoir : la parole de Blanchard, fin papyrologue et très bon connaisseur de la comédie grecque, par ailleurs éditeur Budé de Ménandre, ne vaut rien en l’espèce car il n’a pas vu, ou pas voulu indiquer au public, les grossières erreurs de quantité qui empêchent d’être acceptables les quelques conjectures textuelles risquées par Thiercy dans sa Pléiade. Or si un éditeur ou un traducteur du grec ou du latin qui font des vers faux en offrant des corrections et ne s’en aperçoivent pas donnent une piètre opinion de leur science de spécialiste, à plus forte raison est blâmable le recenseur de leur travail qui de cela ne souffle pas mot et au contraire entonne le péan en l’honneur dudit livre – cet expert-là induit son public en erreur en lui demandant de lui faire confiance experto crede (ou credite). Dans le cas de Thiercy, il était d’autant plus malavisé de jouer la carte de la recension Blanchard contre l’auteur de ces lignes que l’expert qui a révélé les bévues en question du traducteur Pléiade (non que le moindre métricien tant soit peu compétent soit incapable de les remarquer par lui-même en dépouillant l’appareil critique de cette Pléiade !) a co-édité le Supplementum Hellenisticum chez de Gruyter puis Sophocle dans les Oxford Classical Texts, deux travaux reconnus comme splendides par les meilleurs juges, surtout le premier, avant de donner dans cette dernière collection des OCT des éditions magistrales d’Aristophane et d’Hérodote, arrimées à des companion volumes de haut bol, j’ai nommé Nigel Wilson d’Oxford, surtout connu comme paléographe grec de très grande classe. Si bon helléniste qu’il soit, Blanchard ne boxe pas dans la même catégorie que Wilson, mais cela, Lombard ne pouvait bien entendu s’en douter. Je le répète, il en va de la recension sérieuse, sincère et solide comme d’un grand vin que l’on reconnaît soudain en le goûtant à l’aveugle dans un étal de piquettes : elle est rare.

          • La pratique de la parrhèsia, du franc-parler comme outil de recherche de la vérité et de discernement, n’a pas la côte dans une université dominée par des habitudes mondaines ou catholiques: béatification des auteurs, respect des anciens (la plate continuation n’est pas plagiat ou paresse), sélection d’étudiants sur leur obédience plutôt que sur leur force de travail ou leur oeil critique.
            Plus à l’aise dans le noir que mal éclairé, je préfère les éditions nues – mais ce forum me permet de découvrir certains volumes édités avec sérieux qui entrent donc dans ma liste des livres à consulter pour cet automne.

  66. Chacun possède son Shakespeare préféré comme chacun voudrait posséder son îlot à soi.
    L’ami Valère opte pour le dramaturge Bernard-Marie Koltès dans sa traduction du Conte d’hiver, car, peut-être, en amateur de théâtre contemporain, se souvient-il de la version baroque, complètement déjantée d’Hamlet traduite par Michel Vittoz et mise en scène par Daniel Mesguish en 1977 ?
    D’autres préfèrent se rappeler leurs premiers émois avec le Barde, comme Néo-Birt7 qui cite les petits fascicules des Belles Lettres publiés à la fin des années vingt du siècle dernier pour la plupart d’entre eux. Fascicule que j’ai eu le plaisir d’avoir entre les mains à ma table de lectures sur Macbeth (traduit en beaux alexandrins par Jules Derocquigny ; ouvrage conseillé, ici-même, par Francis Moury).

    Pour ma part je voudrais parler des époux Bournet (Daniel & Geneviève). Ce couple a eu l’ambition de traduire, à quatre mains, le théâtre entier de Shakespeare à la fin des années quatre-vingt. Cet immense projet consistait à traduire trente-huit pièces étalées sur neuf tomes édités par l’Age d’Homme en Suisse sous la direction du serbe Vladimir Dimitrijević. Ce dernier ne tarissait pas d’éloges sur eux et déclamait à qui voulait l’entendre dans les librairies genevoises qu’il possédait un joyau plus que rare. Malheureusement l’hiver 1994, le projet s’arrêta, comme un couperet, au bout du sixième tome. Il restait à fournir trois tomes et treize pièces dont le chef d’œuvre de Shakespeare : Le Roi Lear. Que s’est-il passé ? Nul ne sait. Un suicide ? On pourrait le croire car l’année suivante le couple décida de partir dans une autre direction et publia sa version des Sonnets du Barde chez AG. Nizet : ce fut littéralement une catastrophe littéraire (qui m’a amené dans un premier temps à les « blacklister »). Et puis plus rien, ils ont définitivement disparu. Même pas une news sur le web. Même pas une nécrologie.
    Mais alors pourquoi les avoir choisis ?

    Au-delà de leur ambition (reproduire l’exploit du fils d’Hugo), je retrouve chez eux ce que j’avais admiré chez Robert Ellrodt dans sa traduction des Sonnets : un mélange détonnant d’opacité dense de mots émaillée d’une fine couche de préciosité.
    Leurs traductions s’appuient, pour moi, sur trois piliers : Fidélité, Musicalité et Obscurité.
    Fidélité : j’ai rarement lu une traduction aussi littérale, c’est presque du Google Translate avant la lettre, et dieu sait si les traducteurs qui choisissent cette option me font fuir. Mais ici il faut le voir comme une première étape : des diamants bruts qu’il va falloir polir.

    Musicalité : j’ai rarement vu (dans les trad. de Shakespeare) un travail sur les jeux d’euphonie ou au contraire sur les dissonances quand le texte source s’y prête. Il y a plus de recherche d’allitérations, d’assonances, de rimes internes dans une seule tirade traduite par les Bournet que dans tout le théâtre complet traduit par Déprats. Pour rendre le rythme du pentamètre shakespearien ils ont opté pour un vers libre n’ayant pas un nombre de syllabe fixe mais cela varie autour de l’alexandrin (privilégiant les rythmes impairs : 11 et 13 syllabes) , ce qui donne à leur traduction un caractère compact, ramassé : elle est finalement aussi dense que du mercure.

    Obscurité : et là je dois dire que ça peut coincer mais c’est relativement rare. La clarté du sens n’est pas la priorité de la langue de Shakespeare et ici les Bournet ne nous facilitent pas la tâche. (Et malheureusement ces derniers, dans leur traduction des Sonnets, sont tombés « dans le coté obscur de la Force » en optant pour des décasyllabes rimés ce qui a donné lieu à un charabia sans nom …)

    Maintenant, jugeons sur place.
    J’ai pris comme exemple dans cet exercice que vous commencez à connaitre le célèbre monologue de Richard III qui débute la pièce. Tirade célèbre que tous les traducteurs français se sont échinés à translater le mieux possible, leur honneur étant en jeu !

    Traduction Daniel et Geneviève Bournet (Edition l’Age d’homme) :

    « Voici l’hiver de notre mécontentement
    Mué en glorieux été par ce soleil d’York,
    Et tous les nuages grondant sur notre maison
    Au fin fond de l’océan ensevelis.
    Voici nos fronts coiffés de victorieux lauriers,
    Nos armes meurtries suspendues en trophées,
    Nos dures alarmes changées en joyeuses joutes,
    Nos redoutables marches en aimables mesures.
    Mars au noir visage a déridé sa face,
    Et lors au lieu de monter des coursiers bardés
    Pour apeurer l’âme de peureux adversaires,
    Il gambade agile dans la chambre d’une dame
    Sous le charme lascif d’un luth.
    Mais moi, qui ne suis pas formé pour les jeux d’adresse
    Ni fait pour courtiser un langoureux miroir,
    Moi, frappé sans art ni majesté d’amour
    Pour parader devant une nymphe à l’amble fol,
    Moi qui suis tronqué de ces belles proportions,
    Frustré de facture par la fourbe Nature,
    Difforme, inachevé, poussé avant mon temps
    Dans le souffle du monde, à peine à moitié fait.
    Et si bancal, si épouvantable
    Que les chiens aboient quand je boite auprès d’eux. »

    Traduction Jean Malaplate (Edition Robert Laffont) :

    « Voici donc que l’hiver de notre déplaisir
    Se fait été de gloire avec ce soleil d’York ;
    Et ces nuées qui menaçaient notre maison
    Le sein profond de l’océan les engloutit.
    La victoire à nos fronts vient poser ses couronnes,
    Nos armes bosselées sont pendues en trophées ;
    Les alarmes font place à de joyeuses fêtes,
    Et les marches guerrières à d’aimables chansons.
    La Guerre à son front rude efface chaque ride ;
    Laissant les destriers enharnachés de pointes
    Qui répandaient l’effroi sur l’ennemi craintif,
    Elle va, folâtrant dans la chambre des dames
    Au son lascif d’un luth à la tendre musique.
    Moi, mon corps n’est pas fait pour ces galants services,
    Ni pour poser devant un amoureux miroir.
    Moi, mal bâclé, qui n’ai la majesté d’amour
    Pour parader devant une nymphe aguichante,
    Moi qui suis dépouillé de cette belle taille,
    Que frustre de beaux traits l’hypocrite Nature,
    Difforme, inachevé, avant le temps jeté
    Au monde qui respire, à demi fait à peine –
    De façon si boiteuse et si mal agencée
    Qu’à me voir claudiquer près d’eux, les chiens aboient –»

    Traduction Jean-Michel Déprats (Edition La Pléiade) :

    « Ores voici l’hiver de notre déplaisir
    Changé en glorieux été par ce soleil d’York;
    Et tous les nuages qui menaçaient notre Maison
    Ensevelis au sein profond de l’océan.
    Voici nos fronts parés de couronnes triomphales,
    Nos armes ébréchées suspendues en trophées,
    Nos austères alarmes changées en gaies rencontres,
    Nos marches redoutables en pavanes exquises,
    Guerre, lugubre masque, a déridé son front :
    Et désormais, au lieu de chevaucher des coursiers harnachés
    Pour effrayer les âmes d’ennemis timorés,
    Il fait le leste et le cabri dans le boudoir d’une dame,
    Au son lascif et langoureux d’un luth.
    Mais moi qui ne suis pas formé pour ces folâtres jeux,
    Ni fait pour courtiser un amoureux miroir;
    Moi, qui suis marqué au sceau de la rudesse
    Et n’ai pas la majesté de l’amour
    Pour m’aller pavaner devant une impudique nymphe minaudière;
    Moi, qui suis tronqué de nobles proportions,
    Floué d’attraits par la trompeuse Nature,
    Difforme, inachevé, dépêché avant terme
    Dans ce monde haletant à peine à moitié fait…
    Si boiteux et si laid
    Que les chiens aboient quand je les croise en claudiquant… »

    Traduction André Markowicz (Edition Les Solitaires Intempestifs) :

    « Voici l’hiver de notre déplaisir
    Qu’un soleil d’York change en été glorieux :
    Les nues qui ombrageaient notre maison
    Trouvent au fond de l’océan leur tombe.
    Voici nos fronts alourdis de lauriers,
    Nos armes bosselées pendues au mur
    Comme trophées, et nos dures alarmes
    Se sont muées en assemblées joyeuses,
    Nos marches sombres en cadences douces.
    Le spectre Guerre, au visage lugubre,
    A effacé les rides de son front
    Et le voici, lassé du destrier,
    Se pavanant dans la chambre des dames
    Au son lascif et délicieux d’un luth.
    Mais moi qui suis inapte pour ces frasques,
    Pour courtiser ces doux miroirs d’amour,
    Qui suis campé d’un bloc, qui suis en manque
    De majesté d’amour pour parader
    Devant quelque dryade dandineuse;
    Moi, oui, tronqué de la noble harmonie,
    Floué par la Nature, l’hypocrite,
    Difforme, inachevé, mis avant l’heure
    Dans le monde vivant, à moitié fait,
    Et si boiteux, si contraire à l’image
    Que les chiens hurlent quand je viens à eux. »

    Traduction Pierre Leyris (versifiée par mes soins) (Edition Le Club Français Du Livre) :

    « Voici l’hiver de notre déplaisir
    Mué en radieux été par ce soleil d’York,
    Et les nuages qui menaçaient notre maison
    Enfouis tous au fin fond des mers.
    Voici nos tempes ceintes de guirlandes triomphales,
    Nos armées entamées pendues en trophées,
    Nos alertes sévères changées en joyeux raouts,
    Nos marches terrifiantes en mesures exquises.
    Guerre, ce masque de grimaces, a déridé son front plissé,
    Et voici qu’au lieu de monter des coursiers caparaçonnés
    Pour glacer l’âme d’un ennemi timide,
    Il se démène, il fait le leste dans la chambre d’une maîtresse
    Au son lascif et captieux du luth.
    Mais moi, qui ne suis pas formé pour les galants ébats
    Ni fait pour courtiser la luxure au miroir,
    Moi le mal équarri, à qui la majesté de l’amour fait défaut
    Pour m’aller pavaner devant une nymphe aux entrechats lubriques,
    Moi qui suis amputé de charmes corporels
    Et floué d’attraits par la cachotière Nature,
    Difforme, inachevé, dépêché avant terme
    En ce monde où l’on respire, à peine mi-bâti
    Et de si boiteuse et déplaisante manière
    Que les chiens aboient quand je claudique près d’eux ; »

    Traduction François-Victor Hugo (versifiée par mes soins) (Première édition la Pléiade) :

    « Donc, voici l’hiver de notre déplaisir
    Changé en glorieux été par ce soleil d’York ;
    Voici tous les nuages qui pesaient sur notre maison
    Ensevelis dans le sein profond de l’Océan !
    Donc, voici nos tempes ceintes de victorieuses guirlandes,
    Nos armes ébréchées pendues en trophée,
    Nos alarmes sinistres changées en gaies réunions,
    Nos marches terribles en délicieuses mesures !
    La guerre au hideux visage a déridé son front,
    Et désormais, au lieu de monter des coursiers caparaçonnés
    Pour effrayer les âmes des ennemis tremblants,
    Elle gambade allègrement dans la chambre d’une femme
    Sous le charme lascif du luth.
    Mais moi qui ne suis pas formé pour ces jeux folâtres,
    Ni pour faire les yeux doux à un miroir amoureux,
    Moi qui suis rudement taillé et qui n’ai pas la majesté de l’amour
    Pour me pavaner devant une nymphe aux coquettes allures,
    Moi en qui est tronquée toute noble proportion,
    Moi que la nature décevante a frustré de ses attraits,
    Moi qu’elle a envoyé avant le temps
    Dans le monde des vivants, difforme, inachevé,
    Tout au plus à moitié fini,
    Tellement estropié et contrefait
    Que les chiens aboient quand je m’arrête près d’eux ! »

    Traduction Joseph Delcourt (Edition des Belles Lettres) :

    « ..
    Mais moi, qui ne suis pas fait pour les jeux folâtres,
    Ni taillé pour charmer un miroir amoureux
    Moi rudement formé, sans majesté, sans grâce
    Pour m’oser pavaner devant de folles nymphes,
    Que le destin frustra dans son hypocrisie
    D’une noble stature et du charme des traits,
    Difforme, inachevé, venu vivre en ce monde
    Avant mon heure, et comme à peine à moitié fait,
    Contrefait, monstrueux à ce point que les chiens
    Aboient lorsqu’ils me voient claudiquer devant eux. »

    Un petit supplément pour les Bournet avec l’ Acte II scène 1 de Macbeth où ce dernier rêve du meurtre du roi :

    « C’est la sanglante besogne qui prend forme
    Ainsi sous mes yeux. Lors sur la moitié du monde
    Nature a l’air morte, et les rêves maudits trompent
    Sous les rideaux du sommeil ; les sorcières célèbrent
    La pâle Hécate en offrandes ; le meurtre sec,
    Alarmé par sa sentinelle, le loup,
    Qui lui hurle ses heures, à furtive allure,
    De Tarquin la foulée ravisseuse, à son dessein
    Se meut tel un spectre. Toi, sûre et ferme terre,
    N’entends pas mes pas, la voie qu’ils prennent, de peur
    Que tes pierres mêmes ne jasent à mon approche,
    Et ne dérobent la présente horreur au temps,
    Qui lors lui va. Tandis que je menace, il vit :
    Le mot au chaud de l’acte un air trop froid produit.

    (Une cloche sonne) J’y vais, et c’est fait : la cloche m’invite.
    Ne l’entends pas, Duncan, car c’est le glas
    Qui vers le Ciel ou vers l’Enfer t’envoie. »

    Bonnes Lectures !

    • Cher Revpop,
      Votre contribution serait bien agréable à lire (comme le furent vos interventions sur la fiche Lovecraft) sur la fiche Shakespeare de Propager le feu, le site de notre ami DraaK fut là qui tente de recenser « les meilleures éditions des classiques de la littérature » .
      Bien à vous

  67. Quelqu’un a-t-il des informations sur la nouvelle édition des « Philosophes Taoïstes 1 » ? Traducteurs, maîtres d’ouvrage…

    Toujours rien sur le site Pléiade, et je n’ai rien vu passer sur le forum… mais j’ai pu rater quelque chose.

  68. Voici la réponse que j’ai reçue de Gallimard après ma demande :
    Cher Monsieur,
    Nous avons bien reçu votre courrier électronique et nous vous en remercions. Nous vous prions d’excuser ce délai de réponse.
    Pour répondre à votre question : nous souhaitons en effet que les œuvres de Pierre Michon fassent leur entrée au sein de notre catalogue.

    Bien cordialement,

    Corentin Bréhard

    Bibliothèque de la Pléiade

    Éditions Gallimard

    5, rue Gaston-Gallimard

    75328 Paris Cedex 07

    • Tolkien, Michon, mon Dieu, la Pléiade devient folle pour envisager de publier ces auteurs sur un pied d’égalité avec Spinoza et la nouvelle édition de Kafka. J’ai persévéré jusqu’au bout des Onze dudit Michon, pas bien longs pourtant, et suis derechef parti me nettoyer l’âme avec Le mystère en pleine lumière de Barrès – style étudié et filandreux contre ensorcellement verbal donnant le sentiment de couler de source, fausse érudition livresque badigeonnée à la truelle contre culture profonde et intériorisée, bref un vieux gamin remis à sa place par un Prince des lettres.

      • Je ne connais Michon que de (lointaine) réputation, n’en ayant jamais rien lu. Mais je trouve brillante votre comparaison avec Barrès, Neo-Birt7, à défaut d’en pouvoir juger sur le fond.

        Quant à Tolkien, je suis pleinement d’accord avec vous. Même si j’éprouve une certaine fascination pour son univers, si j’ai beaucoup aimé la lecture et la relecture de son Hobbit et de son Seigneur des Anneaux, il ne me paraît pas plus devoir trouver place dans La Pléiade (telle que nous la concevons et que nous la « vend » l’éditeur) qu’un London (et tant d’autres, hélas !)

        Il s’agit de tout autre chose avec Lovecraft, auteur beaucoup plus bouleversant. Un seul volume, je suis preneur, à condition que l’édition soit véritablement enrichissante, mais ce ne sera qu’un échantillonnage.
        À moins que ce volume soit un ballon d’essai et, qu’en cas de succès, un ou deux autres s’ensuivent ?…

        • La réputation de Michon comme exceptionnel styliste, épris des beaux mots d’auteur bien sonores, étant fort usurpée et le fait, me semble-t-il, de lecteurs qui, par défaut de familiarité avec nos grands magiciens en prose, prennent pour du brio stylistique ses vaines afféteries surchargées d’épithètes au fil de périodes plus capricantes qu’arrondies, une comparaison avec Barrès s’imposait. J’ai choisi ce recueil-là car c’est la dernière gerbe d’essais à laquelle le Prince de la jeunesse travaillait lorsque le mort le faucha inopinément (encore que l’on puisse préférer le bouleversant N’importe où hors du monde, publié en 1958 seulement par son fils Philippe et qui préserve plusieurs petits chefs d’oeuvre, dont un début de roman avorté). D’Ormesson m’insupporte, mais son élégance un peu languide, fruit d’un tempérament nourri aux meilleures lectures, est autrement nourrissante que le style à grand orchestre de Michon (dont le nom suffit à l’attribuer aux cuisines ou à l’épicerie).

          • Le 4 décembre de l’an prochain sera… le centième anniversaire de la disparition de Barrès. Sauf très improbable surprise de dernière minute, ce sera une belle occasion manquée de la part de Gallimard, en ne lui consacrant pas au moins un volume dans sa ci-devant « prestigieuse » collection !

            Qu’est-ce qui l’en empêche ? Après Drieu et leur Grand Homme Céline, ce ne sont tout de même pas des raisons politiques… Et Dieu sait si ses idées ne sont pas les miennes. Celles d’Aragon non plus. Il n’empêche…

            Le petit nombre de ventes et de lecteurs espérés ? En quoi l’édition de Feydeau s’imposait-elle, tout de même pas pour ses grosses ventes ? À part la « bonne pensée » féministe, je doute fort que beaucoup de lecteurs (et même de lectrices) se soient précipité(e)s sur le George Eliot, qui jouit chez nous d’une remarquable invisibilité… Arrêtons là la litanie des exemples, qui paraîtrait vite interminable.

            Ah, si seulement le lamentable « héros » du roman d’Houellebecq, « Soumission », avait été un spécialiste de Maurice Barrès au lieu de Huysmans.

  69. Un unique volume pour Lovecraft semble-t-il, donc une sélection d’une poignée d’écrits (cf. l’article posté par Chlorophyle). Aucun intérêt (sauf à avoir de superbes traductions). Il aurait été aisé pourtant de sortir un album Lovecraft avec deux volumes sous coffret en mai prochain ou 2024…

      • Il me semble d’ailleurs que les œuvres complètes tiendraient en deux volumes. De plus, je crois avoir lu quelque part qu’il n’était pas question d’une retraduction, mais que Gallimard entendait négocier les droits de traductions déjà effectuées (comme pour le(s) volume(s) Tolkien à venir – pitié, deux volumes ! Là encore, il y a de quoi faire). À quoi pourrait donc bien servir alors ce nouveau volume ? Quelques notes sans doute soit inutiles, soit dont le contenu aura été distillé dans d’autres éditions ? Si c’est bien le cas, ces éditions à l’économie sont bien questionnables.

        • Ça commence à bien faire ces volumes uniques… La Pléiade est-elle une série d’anthologies ?… Où cela s’arrêtera-t-il ? Bientôt un « best of » ? Des extraits choisis…
          Pour qui nous prend-on ?

          • Chrestomathies d’un volume supposant une sélection brutale et arbitraire de textes (je pense à Feydeau, mais aussi aux écrits des camps, que leur limitation à la seule langue française mutile d’incroyable manière) ou coffret rassemblant des massifs entiers (Segalen, Beauvoir, etc), la Pléiade déçoit quasiment à tout coup depuis un quart de siècle par la qualité éditoriale très aléatoire de ses accrétions. Le sérieux de la préparation est non moins en cause que le choix des maîtres d’oeuvre, le recrutement des collaborateurs, les délais désormais trop serrés, et les contraintes matérielles toujours plus contraignantes de la collection (l’abandon du regroupement des notes par pages du texte de prose ou de poésie commenté au profit d’une répartition de ces notes toutes à la suite par chapitre ou par section du texte, a conditionné la réduction dramatique de leur volume moyen et commodément fait disparaître l’exégèse s’étendant sur une certaine longueur, même s’il se trouve encore quelques entrées du type de la « belle note » dans le Huysmans ; les conventions typographiques maison poussant la chinoiserie jusqu’à imposer la capitalisation ou son absence dans des titres d’oeuvres et à préempter certaines abréviations bibliographiques sans égard pour les normes en vigueur dans la recherche sur l’auteur, l’oeuvre, ou le genre littéraire, ligotent les éditeurs scientifiques ; la préférence autoritaire pour les traductions Gallimard sitôt qu’il s’agit de citer quelque chose d’autre quand bien même les éditeurs scientifiques préfèrent d’autres versions sur critères de qualité, diminue le niveau général des notices et des notes ; etc). La dilection de Gallimard pour des auteurs tout ensemble vendeurs et faciles qui ne nécessitent ni experts affûtés ni appareil critique conséquent et frais a comme corollaire la persistance de la noble maison ou à reconduire des savants amis et familiers de la collection sans considération pour la réussite technique de leur(s) précédente(s) Pléiade(s) quand, par extraordinaire, un auteur médiéval ou antique ou délicat fait l’objet d’un volume, ou à solliciter des chercheurs en renom familiers de la période mais non spécialistes de l’auteur pléiadisé. C’est ainsi que Philippe Walter, qui dirigea bien mal le Cycle du Graal, a récidivé avec le corpus des lais, où son édition de Marie de France réussit l’exploit d’être plus prolixe et moins bien annotée que la mouture qu’il donna dans la collection Poésie, tandis que Villon a échu à Cerquiglini-Toulet en dépit de son absence de tous travaux d’approche villonesques, avec pour conséquence une moindre fiabilité de sa traduction et de son commentaire que toutes les éditions françaises à prétentions savantes du XXe siècle ; le sommet de l’oeuvre romanesque hugolienne, lui, passa au piteux Scepi, qui fit différemment du valeureux Allem mais ne le dépassa dans aucun compartiment éditorial et ne procure en particulier pas un reflet tant soit peu satisfaisant de l’état de la recherche actuelle sur le texte des Misérables (je me fis maltraiter ici pour avoir émis, dès sa parution, un avis fort négatif sur son volume, avant que ne concourent à la curée des spécialistes autrement accrédités). Je crains que Ferré, qui dirige le futur Tolkien sans rien connaitre de la linguistique romane ni avoir la moindre familiarité avec le genre de la poésie épique et héroïque au moins dans le cadre indo-européen, soit un autre choix facile guidé par des considérations extra-universitaires et qui ne présage rien de substantiel (Charles Guittard aurait été un éditeur en chef de bien meilleur aloi). On va encore nous servir sans contrôle le poncif de l’exceptionnelle compétence linguistique de Tolkien, parce que l’homme était comparatiste et sur les seules bases de sa fameuse conférence sur Beowulf et d’un sien article de critique littéraire ; en vérité, tout laisse à penser, considérant le niveau général de sa traduction commentée dudit poème vieil-anglais telle que l’édita Christopher Tolkien, et en gardant à l’esprit que ce n’est pas sans raison qu’elle fut abandonnée sine die, que Tolkien s’y entendait moins en la matière, voire sans doute beaucoup moins, que l’éditeur de référence de Beowfulf au XXe siècle, j’ai nommé Klaeber, dont le travail remanié et mis à jour continue de faire l’admiration de ceux d’entre nous qui peuvent en juger (Crépin, dont l’admirable édition parue à Göppingen est trop peu connue, ne brûlait guère d’encens en faveur de l’inventeur des Hobbits et du quenya). A en juger par la faiblesse, qui n’est pas seulement mépris, de Tolkien en français et dans les langues indo-iraniennes (étrange pour un collègue et ami de l’immense Vinaver !), son polyglottisme n’égalait certainement pas celui de Dumézil et des grands indo-européanistes ses contemporains (Wolf Leslau ou Rüdiger Schmitt enfonceraient Tolkien, et ne disons rien de l’extraordinaire Leofranc Holford-Strevens). Or ce n’est pas à Ferré, bien entendu, qu’il faudrait demander de ne pas « lioniser », comme disent les Anglais, l’auteur qui a mis du lustre à sa petite carrière. En résumé, tout ce que touche la direction de la Pléiade prend une mauvaise direction, à moins qu’il ne s’agisse d’anciens projets qu’on laissa patiemment mûrir sur la table de travail d’éditeurs consciencieux (Aristote I, Huysmans, Lafayette), et ce n’est pas le Proust gonflé de mauvaise graisse savante ni le futur Descartes abrégé de l’editio maior de la collection Tel une fois achevée cette dernière, qui altèrent cette constatation. J’avoue ne rien attendre du Spinoza sur lequel rien n’a filtré, apparemment, même pas l’identité des responsables.

  70. En qualité de (modeste) lecteur, nostalgique de la grande époque Pléiade, j’avoue avoir accueilli avec un a priori plutôt favorable les dernières publications de Proust (essais), et de Kafka (correspondance, journal). L’ensemble éditorial est conséquent, et si le choix des maîtres d’œuvre a été correctement fait, ces ouvrages me semblent dignes d’intérêt. Bien sûr, je regrette cette absence de discernement qui confère à des écrits « non essentiels » d’auteurs majeurs une importance que l’on refuse aux meilleurs romans (ou autres) d’écrivains que Gallimard range, de manière arbitraire, parmi les « seconds couteaux » (je pense en particulier à l’étique édition de Stevenson, bien mal traité, mais il n’est pas le seul). D’ailleurs, le caractère arbitraire de ces jugements de valeur est amplement attesté par leurs fluctuations au cours du temps (ce qui questionne, d’ailleurs, par son choix d’un accompagnement éditorial aussi hétérogène, le « pari sur la durée et la qualité » que claironne Gallimard en tête de catalogue).
    Domonkos reproche à ces trois volumes de « noyer » les (relatives) pépites au milieu d’écrits « de circonstance ». Il me semble que c’est, au contraire, un des charmes d’une publication de type « oeuvres complètes » : elle permet de rassembler tous les écrits d’un auteur, et donc de parfaire la connaissance que l’on peut en avoir. Comme, dans l’intégrale d’un enregistrement d’opéra, les morceaux de bravoure sont entrecoupés de récitatifs, souvent jugés ennuyeux, mais qui ont une fonction narrative (il s’agit, à l’origine, de théâtre chanté), tous ces articles « de circonstance », ne serait-ce que par leur fonction alimentaire, ont contribué à l’élaboration des œuvres plus ambitieuses ; par ailleurs, elles nous rendent compte, bien souvent, de l’air du temps. Libre à chacun, ensuite, de piocher ce qui lui convient.
    Personnellement, ce qui me semble le plus regrettable dans les récentes publications Pléiade, c’est de nous offrir, parfois, des ouvrages bâclés. En qualité de client, je suis censé acheter une édition « de prestige » (selon l’éditeur), donc suis en droit de manifester mon mécontentement lorsque le travail éditorial est clairement insuffisant.
    Bien sûr, tous les ouvrages Pléiade ne sont pas mauvais. Dans mes lectures récentes, le « George Eliot » me semble l’ouvrage le plus représentatif d’une édition « bâclée ». On a déjà dit le caractère composite de son accompagnement éditorial, qui agrège une très mauvaise traduction d’une publication américaine (en introduction) à deux « essais » de Mona Ozouf, dont il résulte que la part éditoriale originale est très minime. De surcroît, les traductions des deux romans proposés sont, elles aussi, bien imparfaites. Il en résulte un ouvrage de lecture pénible, et qui ne rend pas service à George Eliot : car en définitive, on ne sait si l’ennui que l’on en retire est attribuable à l’auteur lui-même, ou à la qualité de l’édition.
    Un autre exemple, à un degré moindre, fort heureusement, est l’édition des « romans » de Henry James (un auteur jugé « important », pourtant). Dès le 2e chapitre du premier roman (Roderick Hudson), à la note 3 (p 34), on a la surprise de lire qu’une citation d’un personnage féminin, Cecilia, est attribué à un autre protagoniste féminin (Mary Garland), qui n’est pas encore apparu dans le roman : ce qui témoigne d’un défaut manifeste de relecture. Et, là encore, la traduction nous propose, beaucoup plus rarement que dans le volume George Eliot, des passages bien « lourds ». Je lis, par exemple, en haut de la page 290 : « Puisqu’il était blessé, il devait le claironner ; puisqu’il avait mal, il lui fallait disperser sa souffrance à tout vent. De son incapacité à jamais penser aux autres, sauf si, en quelque sorte, ils lui donnaient la réplique et agissaient en fonction de lui, cette extraordinaire insensibilité aux effets destructeurs de son éloquence ne visait jamais à solliciter la sympathie et la compassion, toutes choses auxquelles il semblait totalement indifférent, et dont il n’avait aucun usage. » Qui peut être convaincu qu’il s’agit là de la meilleure traduction de l’original ?

    • Je prends en compte vos arguments concernant les écrits « de circonstances » ou très secondaires, qui permettraient « de parfaire la connaissance que l’on peut avoir d’un auteur. » Comme on dit dans « Kameloot » : cépafo. Encore faut-il en ce domaine raison garder et ne pas déséquilibrer les masses de textes, entre les textes essentiels et… les scories. Au risque de gêner le lecteur qui doit faire des recherches archéologiques pour trouver l’or au milieu de tonnes de plomb. Non plus multiplier les fragments insignifiants, de la « note de blanchisseuse » au devoir de collégien, en passant par des membres de phrases sauvés in extremis de la corbeille à papier. Certains textes qui ne sont que des documents, n’ont pas leur place en Pléiade, mais dans d’autres types d’éditions, analytiques ou biographiques.
      Que dire également – vous l’évoquez – du déséquilibre entre des volumes prétendant à l’intégralité de l’intégralité, tandis que d’autres ne sont que des collages des « meilleurs morceaux » habillés de bric et de broc d’un appareil critique décroché chez Emmaüs ?

      Quand je parlais de ces volumes uniques contenant deux ou trois oeuvres jugées emblématiques d’un auteur, et suffisantes pour accrocher son portrait dans la galerie de tableaux de famille de Gallimard, je songeais particulièrement à un exemple récent et un auteur que je ne goûte guère, George Eliot. Je profite de l’occasion, puisque vous donnez cet exemple d’édition ni faite ni à faire, pour dire que ce volume est bancal : si l’auteur est aussi important que le prétendent les éditeurs et les présentateurs, l’ensemble de son oeuvre ne mérite-t-il pas d’être mieux représenté ? Si le but est de faire redécouvrir un auteur qui a tenu une grande place, trop mal connu en France, n’aurait-il pas fallu en donner une édition plus sérieuse, avec nouvelles traductions et un travail critique modernisé ?
      J’avoue que ce volume m’est, à plusieurs reprises, tombé des mains, en cours de lecture, et que j’en suis sorti avec peu de désir de faire mieux connaissance avec l’oeuvre et avec l’auteur. Je reprends votre question : est-ce seulement la « faute » de George Eliot ou bien un peu, beaucoup, celle de ses éditeurs ?
      Ai-je vraiment lu George Eliot ou bien un mauvais reflet ?
      Ce sont de véritables questions que je pose, dont je ne connais pas les réponses, ma connaissance de la langue originale et du contexte littéraire ne me permettant pas de me faire une opinion sur le sujet.
      Le constat que je fais, c’est que ce pléiade m’a dégoûté de George Eliot. J’en suis désolé.

      PS : vous avez ma totale approbation en ce qui concerne l’édition de Stevenson. Hélas, il n’y a aucun chance que nous en voyions paraître une autre, répondant mieux à nos voeux, d’ici deux ou trois cents ans.

      • Il conviendrait de se convaincre que, tout ce qui tombe de la plume (aujourd’hui du clavier) d’un homme qui, par ailleurs, fait profession d’écrivain, n’est pas forcément une oeuvre appartenant à cet auteur. Comme on parle « des deux corps du Roi » (c’est de circonstance, ce soir, alors qu’on commente la disparition de la grande Elizabeth II), ne pourrions-nous parler « des deux corps de l’écrivain » ?
        Il y a un écrivain, porteur d’une oeuvre littéraire, et il se trouve que cet écrivain habite le corps d’un homme qui, lui aussi, pour les nécessités et les circonstances de la vie, écrit beaucoup.

        Il est vrai que ces deux hommes ne sont pas étrangers l’un à l’autre, et qu’il y a des affinités ou des passerelles entre la vie et l’oeuvre. Où mettre la frontière, quand on publie les écrits ? Problème insoluble. Pour ma part, je suis assez extrémiste et je ne reconnais qu’un seul souverain sur l’oeuvre : l’auteur. Qu’une seule volonté, celle du créateur. Leur droit est absolu.
        La liberté des lecteurs, c’est de dire « non merci » et de passer leur chemin. Et non pas d’aller fouiller dans les fonds de tiroirs et les corbeilles à papier.

        Et qu’on ne vienne pas me seriner le refrain sur « l’oeuvre qui n’appartient plus à l’auteur mais au lecteur » et patati et patata… Bien sûr, chaque lecteur reçoit l’oeuvre selon son tempérament, sa formation, sa sensibilité, les circonstances, et « de l’approprie ». Se l’appropriant, il n’en dépossède pas l’auteur puisqu’il la change et que l’oeuvre qu’il fait sienne n’est plus celle que l’auteur a produite. En fin de compte, elle n’est qu’un reflet, plus ou moins déformé, plus ou moins ressemblant.

        Pour en revenir à mon point de départ – dont je me suis éloigné au point, je le crains, de m’égarer – je me souviens, même dans mes années d’adolescence, alors que j’idolâtrais tour à tour Hugo, Baudelaire, Rimbaud… de la gêne éprouvée en lisant, dans certaines éditions, leurs dissertations de lycéens, qui n’étaient pas du Hugo, du Baudelaire, du Rimbaud ! Même pas en germe.

        Par ailleurs, il y a des écrivains qui aiment cette confusion, qui font de ces « petits secrets » de polichinelle et de ces trivialités de l’existence la matière de leur oeuvre. C’est aussi leur droit.

        • Je suis tout à fait d’accord avec vous. Il me semble que, dans les œuvres « complètes », il ne devrait s’agir, dans les « compléments » offerts au lecteur, que d’écrits déjà publiés : articles de journaux, notes de lecture, … D’ailleurs, le « reste » présente-t-il un intérêt qui dépasse le voyeurisme ?
          Donc vous avez lu mon « opinion » de manière un peu maximaliste, et qui dépassait mes intentions.

      • La littérature n’est pas un Tribunal où ne doit manquer aucune pièce du dossier, ni un Confessionnal ou le divan du psy (le pire des trois).

  71. Cher Domonkos, j’ai besoin de vos compétences en pléiadologie et en sinologie. 1-La traduction de la Pérégrination vers l’ouest, publié en pléiade ( que vous possédez certainement ) est-elle LA référence ultime en français ?

    2- Le tirage est-il fabriqué par Aubin ou Normandie Roto ? ( Point extrêmement important pour moi ).

    Mon achat du coffret est entièrement conditionné par vos deux réponses…Donc de grandes responsabilités pèsent sur vos épaules de connaisseur. Je m’en remets à vous.

    Merci.

    • Le tirage original a été imprimé sur Bible des Papeteries Bolloré par Mame et relié par Babouot les 12/04/1991 (vol. I) et 16/04/1991 (vol. II). Sur le plan de la fabrication, il faut noter l’assemblage approximatif (la gouttière est nettement plus convexe que concave en dépit de la médiocre épaisseur des volumes), le bruissement désagréable du papier au feuilletage, la fragilité de ce dernier (il fait assez chiffon, marque aisément à la manipulation), et l’encrage pâlichon plutôt gris sombre que noir et à peine plus accusé que les gravures, comme toujours trop peu distinctes et détaillées dans les éditions chinoises de la Pléiade. En tant qu’oeuvre sinologique, on ne fait pas mieux en français que cette édition, ne serait-ce que parce que Lévy a traduit une version complète en cent chapitres de l’original, là où son prédécesseur immédiat, Louis Avenol au Seuil (1957, réimpr. 1967 en 2 vol.), se contentait de donner moins de la moitié du texte et, en dépit de ses déclarations, traduisait moins qu’il ne résumait. Lévy a toutefois choisi de délester une grosse soixantaine de pages de chinois à peu près, lui qui taille parfois drastiquement dans les poèmes les plus longs dont s’émaille le roman et en supprime carrément certains, sans que la raison en apparaisse ; il ne s’agit donc pas d’une version absolument complète. On lui reprochera aussi une méthode de traduction inflatoire qui surligne le moindre effet du chinois et remplace l’énergique concision de Wu Cheng’en par une élégance prolixe certes riche de trouvailles verbales et qui rend fort sensible la différence de tonalité existant, avec des nuances, entre la forme des discours prêtés par l’auteur aux principaux personnages, mais laisse accroire au lecteur français que le roman original est prolixe, oratoire et tour à tour châtié ou au contraire familier (le même défaut d’allongement, voire d’étirement, sémantique entache la version anglaise récente d’Anthony C. Yu à l’University of Chicago Press). Je dois dire que je n’aime pas beaucoup non plus le titre retenu de Pérégrination vers l’ouest, l’indéniable dimension religieuse de cette ruée vers l’occident, toute bouffonne soit-elle, garantissant plutôt un rendu comme ‘pèlerinage’ ; le plus neutre ‘voyage’ était recommandable. Au total, une oeuvre superbe d’intelligence, de maestria et d’érudition de la part de Lévy, malgré une annotation vraiment sommaire et souvent trop arbitrairement distribuée pour totalement aplanir l’étourdissant arrière-plan religieux, culturel, historique du roman, mais plus littéraire, voire belle-lettriste, que philologique, à l’image des autres traductions Pléiade des grands romans chinois par ce savant ou par Dars (je mets à part la version du Songe dans la chambre rouge faite par les élèves de l’immense André d’Hormon, qui pour les connaisseurs vaut bien Demiéville).

    • En ce qui concerne la version pléiadisée du Xi You Ji, la question de l’excellence (ou non) de la traduction et même de l’édition ne se pose pas, puisque c’est la seule version « intégrale » en langue française. Vous n’avez pas le choix. Mais, tout de même, le nom d’André Lévy (qui a également traduit, toujours dans la Pléiade, le Jin Ping Mei, Fleur en Fiole d’Or) est une référence incontestable et sa connaissance de l’hindi et du sanscrit a aussi dû lui être bien utile pour traduire l’histoire du Moine parti chercher les livres bouddhiques en Inde, accompagné du Singe Céleste et du Cochon Magique.

      Sur le plan de la qualité matérielle de l’ouvrage, je possède l’ancien coffret, il faut que j’aille voir ça de plus près. Je ne sais si le nouveau a le même relieur.
      Pour le moment, mes yeux se ferment et, la nuit, certains esprits parfois inquiétants hantent le fond obscur de ma bibliothèque…

      À bientôt.

      • L’honorable Lombard, qui fait partie de notre confrérie brumesque, parle du livre et de son édition sur le site « Propager le Feu » du non moins estimable Draak, et il précise que la seconde édition en Pléiade datée de 2020 est « sous une impression différente ».
        Il conviendrait peut-être de l’interroger à ce sujet ?

        • Merci Neo-Birt et Domonkos pour toutes ces renseignements. Puisqu’il s’agit de la seule traduction, la question ne se pose pas. Dans ce cas la problème ( si importante pour moi) de la qualité de fabrication passera en second plan.

          • Cher « Un Passant »,
            ayant entrepris, pour vous complaire, d’escalader ma haute échelle pour me hisser vers les sommets de ma bibliothèque – défiant le vertige et l’ivresse de l’altitude – j’ai déniché mon coffret de deux volumes Xi You Ji, Pérégrinations vers l’Ouest.

            Et je me vois contraint de démentir mes dires précédents, du fait qu’il s’agit du coffret « moderne » et non de l’ancien.

            Descendu des hauteurs pour plonger dans les obscures abysses de ma mémoire (quels risque je prends pour vous !), j’ai eu souvenance que j’avais remplacé mon ancien coffret, quelque peu malmené par des déménageurs sans doute plus habitués à manipuler des SAS de Gérard de Villiers que des Wu Cheng’en, par un nouveau, trouvé en excellent état (si ce n’est un commencement de jaunissement du rhodoïd) sur le marché de l’occasion.

            Je l’ai feuilleté assez longuement et ne lui trouve pas de défauts rédhibitoires, pas de plissements ou de bruit désagréable quand on tourne les pages. Quant à la tranche de gouttière, elle est raisonnablement concave. Il est vrai que je ne suis pas spécialiste en la matière, et n’ai pas « le nez » de certains connaisseurs de notre connaissance.

            Par contre, et contrairement aux affirmations de Lombard sur Propager-le-Feu, il ne s’agit pas d’une « nouvelle impression » puisque mes volumes portent les mentions détaillées par NeoBirt7 :
            « Le tirage original a été imprimé sur Bible des Papeteries Bolloré par Mame et relié par Babouot les 12/04/1991 (vol. I) et 16/04/1991 (vol. II). »
            S’agit-il d’anciens volumes simplement glissés dans le nouveau volume, dont le visuel reproduisant un détail d’une gravure traditionnelle se veut plus attrayant ?

          • Cher Domonkos,
            L’extrait auquel vous faites allusion en mentionnant très gentiment ma fiche consacrée à Wu Cheng’en sur Propager le feu est le suivant : « Les deux volumes ont été regroupés dans un premier coffret illustré, puis celui-ci a été réédité sous une impression différente en octobre 2020. »
            Ainsi je mentionnais bien le nouveau visuel du coffret et non l’impression des volumes qu’il contient.
            Les pages intérieures des deux tomes indiquent qu’ils ont été imprimés en avril 1991 : ce sont donc bien les deux éditions originales qui ont été glissées dans le nouveau coffret au contenu « plus attrayant ».
            Bien à vous,

          • Certes, cher Lombard, mais il ne faut pas croire pour autant que les volumes ont été extraits de coffrets ancien modèle et glissés dans de nouveaux coffrets. Comme je l’ai déjà expliqué ici, la date d’impression portée dans le colophon des Pléiades ne témoigne en rien de la date de fabrication des volumes (et donc pas a fortiori de celles de leurs étuis ou coffrets). En fait Gallimard ne fait relier les Pléiades qu’au fur et à mesure de leur commercialisation, par vagues successives, et stocke tranquillement à plat le reste du tirage jusqu’à épuisement. Un volume « imprimé par Machin sur papier truc le 1er avril 1990 » peut donc très bien avoir été relié en 2010 si le tirage initial papier n’était pas épuisé.
            Cette pratique a d’ailleurs plusieurs conséquences curieuses (dont la seconde corrige la première) :
            1/ Gallimard ne peut pas facilement se « débarrasser » du relieur Babouot car il est écrit que c’est lui qui « a relié » le volume bien avant que cette reliure ne soit effectivement fabriquée. Cela explique d’ailleurs que des volumes imprimés le même jour n’aient pas forcément la même épaisseur (du fait du changement des réglages des machines d’une vague de reliure à l’autre) – ce qui explique que les étuis ne soient pas forcément substituables – , pas forcément exactement les mêmes signets, ni la même teinte sur la tranche supérieure).
            2/ Gallimard, suite à des « retours », peut parfaitement faire discrètement réimprimer quelques feuilles sur lesquelles de grosses erreurs auraient été détectées, voire des cahiers dans lesquels l’ordre des pages se serait avéré fautif dans la première vague de volumes reliés… (Il y a des cas où deux volumes imprimés le même jour n’ont donc pas exactement le même contenu). Il en résulte même que l’éditeur pourrait… changer de relieur en faisant simplement réimprimer le cahier contenant le colophon !

          • Erratum : « S’agit-il d’anciens volumes simplement glissés dans le nouveau COFFRET, dont le visuel reproduisant un détail d’une gravure traditionnelle se veut plus attrayant ? »

            (J’ai beau me relire, toujours quelque fôte m’échappe, au risque de défigurer ma prose dont l’élégance n’est par ailleurs plus à démontrer.)

          • Merci, Lombard, pour cette précision. Il est donc normal que mes deux volumes soient bel et bien de l’ancienne édition (cela n’avait donc pas dû beaucoup se vendre, hélas !) puisque l’éditeur s’est contenté de changer l’habillage du coffret.
            Il est vrai que l’ancien, avec, sur fond rouge, ses caractères chinois, incompréhensibles pour le grand public, même cultivé, et même pas le rappel de l’auteur et du titre en français, était bien austère, voire rébarbatif.

            Je continue de conseiller à nos lecteurs d’aller voir votre notice sur les romans chinois classiques en pléiade, sur le site Propager-le-Feu, qui est de lecture agréable et instructive pour aborder ce domaine si regrettablement méconnu dans nos contrées.

            À vous revoir.

          • Chardin vos précisions, notamment sur le nom du relieur anti-daté, sont pour moi inédites, et m’ouvrent des pistes de réflexion étonnantes… Nous pourrions ainsi nous trouver devant des objets constituant des « vrais faux », en quelque sorte.
            Décidément, la pléiadologie rappelle les beaux jours de la feue-kremlinologie !

            Cela éclaire sur ce qui s’est écrit ici même, il y a peu de temps, entre des contributeurs disputant sur les mérites et démérites des éditions Gérard de Nerval.
            L’un d’eux – je ne sais plus lequel – expliquant que Richer s’était « flingué » lui-même auprès de Gallimard quand il avait exigé des corrections de son travail qui outrepassaient le volume d’une page et donc bousculaient la pagination de l’ouvrage, ce qui aurait contraint l’éditeur à pilonner les exemplaires non reliés en stock et les réimprimer complètement.
            Avec tout le respect que j’ai pour Richer, je peux comprendre que l’éditeur ne puisse mépriser certaines nécessités matérielles et économiques.

  72. Les éditions Diane de Selliers publient en octobre l’Épopée de Gilgamesh. Cette édition ne m’impressionne guère, pour deux raisons. D’une part, et c’est le pire, le texte est une traduction française d’une traduction arabe qui est annoncée déjà comme une adaptation (traduction déjà parue antérieurement d’ailleurs). Cela n’a donc aucun intérêt pour le lecteur un tant soit peu scrupuleux. Pourquoi ne pas avoir publié une traduction depuis le texte originel ? Je n’y comprends rien. D’autre part, les illustrations ne sont que des photographies d’objets mésopotamiens et de sites archéologiques. Je ne comprends pas en quoi cela viendra éclairer ou compléter le texte. 230 euros pour cette édition de l’Épopée de Gilgamesh tout de même. Cela fera des cadeaux de noël vite revendus ou oubliés sur une étagère ou une table basse dans les foyers les plus aisés j’imagine.

    Décidément, cette maison d’édition est plus décevante qu’à son tour malgré quelques réalisations réussies (les deux volumes japonais essentiellement) – ce qui prouve d’ailleurs qu’elle est capable de produire des livres plutôt bien conçus quand elle s’entoure de spécialistes par assez compétents. Quel gâchis.

  73. Pour répondre à votre question sur le Wu-cheng-En, l’imprimeur de la première impression (12 avril 1991) est bien Mame sur bible des papeteries Bolloré Technologies, à Tours et relié par Babouot à Lagny. J’ai acheté les deux volumes en mai 1991. J’ai donc l’édition originale. Le titre français est au sommet et le titre en chinois occupe le dos et les faces latérales.

  74. Programme Pléiade (je copie/colle) :

    SEPTEMBRE

    BRONTE 9782070114962 NOUVEAUTES NUMERO 664

    Octobre

    PHILOSOPHES TAOISTES T1 9782072992346 NELLE EDTION NUMERO 293

    ŒUVRES COMPLETES SPINOZA NOELLE TRADUCTION NUMERO 108

    Pas encore l’info pour novembre décembre.

    DraaK fut là.

  75. Et en novembre paraîtra l’histoire Auguste et autres historiens païens.
    Si quelqu’un a des infos complémentaires sur le sujet, je suis preneur.
    On peut cependant se poser la question de la nécessité de cette édition.
    Ces œuvres, fondamentales en tant que sources, n’ont en vérité pas une grande valeur d’un pur point de vue littéraire.
    Autant Tacite a sa place méritée dans la prestigieuse collection, autant ces auteurs qui n’intéressent que les historiens sont un choix assez étrange. Ammien Marcellin aurait été plus indiqué.
    Bref, wait and see…

    • Une nouvelle traduction de toute la littérature historique tardo-antique en langue latine s’imposait absolument. Pour des raisons savantes, d’abord. Soit les textes en question n’ont jamais fait l’objet d’une version française intégrale et ne sont connus que des spécialistes (ainsi le petit corpus antichrétien dont le très difficile et corrompu Carmen contra Paganos constitue la pièce de résistance), soit les traductions existantes méritent peu la confiance, par incompétence des éditeurs Budé (ainsi les premiers mots de l’Abrégé de Festus n’ont-ils pas été compris par Arnard-Lindet, en partie parce que cette grosse remplisseuse d’apparat critique établit ici n’importe comment le texte latin) ou par suite d’un labeur critique et philologique insuffisant, voire de tripotages minables (le Festus plagie plus ou moins ouvertement la riche édition commentée en anglais de John Eadie, très décriée pour des raisons en partie injustes et sur laquelle Arnaud-Lindet tape à bras raccourcies sans voir les énormités, notamment bibliographiques, qu’elle commet elle-même quand elle dépend de son seul labeur; l’Eutrope Budé, bien que signé d’un grand nom, contient notoirement plus de phraséologie, d’imprécisions et même de faux-sens que la vieille traduction Maurice Rat aux Nouveaux Classiques Garnier, pourtant basée sur un texte latin suranné, et c’est bien entendu pur hasard si les seuls livres vraiment bien rendus de cet ouvrage au style pourtant limpide sont ceux dont Stéphane Ratti a donné une traduction dans sa thèse de doctorat parue en 1996, trois ans avant ce Budé). Pour des raisons littéraires et historiques ensuite, une Pléiade de l’historiographie latine de l’Antiquité tardive s’imposait plus ou moins. L’Histoire Auguste, coeur nucléaire de cet ensemble de textes, n’a jamais été aussi discutée que depuis la date de la dernière traduction française (R. Laffont, 1994), de sorte qu’une version bien informée qui se montrât moins pesante et savantasse que celle, d’ailleurs très incomplète, disponible en Budé, offrait un indéniable intérêt ; en outre, par rapport à l’époque de Palanque, Mandouze, Marrou l’interprétation de l’Antiquité tardive elle-même n’est plus l’objet d’un consensus téléologique chez les spécialistes, et l’on ose se poser les questions épineuses du caractère heureux ou au contraire étouffant des décennies qui virent le paganisme traditionnel céder la place au christianisme finalement victorieux au Frigidus en septembre 394 et du solde positif ou négatif de la disparition de la culture classique au profit du christianisme. Tout le monde devrait lire le stimulant Vers la pensée unique. La montée de l’intolérance dans l’Antiquité tardive, Paris, Les Belles Lettres, 2010, de Polymnia Athanassiadi. Une Pléiade rassemblant tout le corpus historique latin sans caractère religieux marqué des IIIe-IVe siècle répond donc à un nécessaire aggiornamento des connaissances du grand public cultivé, surtout chez nous, où ont pignon sur rue les savants d’obédience catholique parmi les tardisants (Sébastien Morlet, Jean-Marie Salamito, etc, répandent leur bonne parole).

      • Merci Neo-Birt7.
        Voilà un argumentaire qui me fait attendre cette nouvelle édition avec plus d’enthousiasme que précédemment.
        Et tant que j’y suis, merci également d’avoir dressé la liste des Pléiades incontournables…et des autres.
        Je suis ainsi sûr d’acquérir les volumes les plus intéressants.

  76. J’interviens à propos du Coffret Pérégrination vers l’ouest : j’ai le coffret de 2020 et ce sont bien de nouvelles impressions pour moi : tirage de 2020 pour le volume 1 , tirage de 2017 pour le volume 2

  77. À noter également, une prochaine mise en coffret des trois volumes des Mille et une nuits avec en sus l’album, comme pour Diderot par exemple. Il existait pourtant déjà le coffret des trois volumes.

  78. Bonsoir,
    L’un d’entre vous aurait-il des informations à nous communiquer, au sujet de l’intégralité de la correspondance de Proust, que Plon s’apprête à rééditer en beau coffret en novembre prochain ?

    • Decitre annonce des volumes de 12×18 cm pour ces Proust, à pleine plus qu’une Pleiade de 10.9×17.6
      Est-ce que la correspondance est intéressante à avoir dans son ensemble ?

  79. Le coffret édité par Plon comprendra 5 volumes pour un prix initial de 495€.
    On devrait y retrouver les quelque 5000 lettres rassemblées par Philip Kolb augmentées des trouvailles des dernières décennies.
    Sortie le 3 novembre. 2000 exemplaires prévus.
    Un beau cadeau pour Noël !

    • Oui, j’avais ces informations officielles. J’espérais secrètement que certains auraient quelques détails recueillis ailleurs à partager ici.
      Ils n’en disent pour l’instant pas davantage sur cette nouvelle collection « La Prestigieuse ». Hâte d’avoir d’autres éléments et surtout un visuel de l’ensemble.

    • Je trouve cela, a priori, affreusement cher. Il est louable qu’une maison d’édition exploite son fonds en réimprimant quelques trésors, mais, à la moitié du prix, cela aurait déjà été un dîme conséquente. De plus, le maigre tirage fera la joie des spéculateurs de tout poil sitôt celui-ci épuisé, bien que je comprenne que Plon ne peut en espérer en vendre dix mille exemplaires.

      Mon espoir réside donc dans la revente du cadeau de Noël dans quelque foyer bien mieux dotée que le mien et son salaire enseignant guère mirobolant.

      Il semblerait par ailleurs qu’on puisse l’acquérir pour « seulement « 445 € (prix de lancement les trois premiers mois d’après un article).

      J’espère qu’à ce prix l’ensemble sera de très haute qualité matérielle (reliure véritable etc).

      Je me demande en combien de temps ce tirage s’épuisera. Il est désolant de constant qu’une partie non négligeable de ces éditions limités sont acquises à seule fin de spéculation, exemplaires neufs, jamais lu, et revendus trois fois le prix dès le lendemain. Bref, le même sort que la Playstation 5.

        • Oui, vous me devancez, Faure.
          Sans parler du prix actuel de l’ancienne édition, élevé parce que basé sur la rareté de l’objet (occasion), les 21 volumes devaient se vendre neufs assez cher…

          • D’ailleurs ce n’est pas tant le prix qui m’effraie. Mais justement la commodité. Je crains des volumes exagérément volumineux, du type livre d’art qui ne loge pas dans une bibliothèque classique…

          • J’ai cru lire quelque part que les volumes pouvaient être acquis individuellement, chacun pour 99€. On peut alors imaginer que l’édition limitée, à 2000 exemplaires, ne concerne que le coffret.

          • Peu m’importent les spéculateurs de tout poil, que je hais profondément. Je trouve que cela reste très cher. Le prix de l’occasion n’est pas du tout pertinent pour juger le prix de cette édition. Enfin, reste à voir la qualité de l’édition. Mais pour ce prix, vous avez l’œuvre de Lucian Freud chez Phaidon, ouvrage qui contient, en très grand format, des centaines de reproductions d’œuvres picturales…

            Cela fera environ dix mille pages apparemment. Cinq volumes de deux mille pages donc. Sur papier Bible, ce n’est point trop épais encore. Et puis on peut réduire la taille de la police.

            Ce serait mille exemplaires en coffret et mille pour chaque volume individuels, me semble-t-il avoir lu.

            Tant mieux si cela est à la portée des bourses de nombreuses personnes ici. Ce n’est pas mon cas (Je le dis sans ironie.)

          • Lu sur twitter :

            Ce sera au contraire une bonne affaire : pour acquérir les 21 volumes de la 1re édition, il fallait débourser plus de 3 800 F, soit 580 €, ou plutôt, en tenant compte de l’érosion monétaire due à l'inflation, 850 €. Sur eBay, on trouve le t. 15 à 200 €, le t. 19 à 220 €…— Thierry Laget (@ThierryLaget) July 10, 2022

            https://platform.twitter.com/widgets.js

            Ailleurs, une participante à l’édition en

  80. Mon message s’est retrouvé tout en haut. Je disais que Decitre annonce des volumes de 12×18 cm pour ces Proust, à pleine plus qu’une Pleiade de 10.9×17.6
    Est-ce que la correspondance est intéressante à avoir dans son ensemble ?

  81. En fin de compte, le « problème » de La Pléiade (s’il y a un « problème ») est un problème de position dominante : la collection est sans équivalent, ni par l’histoire, le patrimoine accumulé en près de cent ans, le prestige acquis, le savoir-faire et l’expérience, et certainement quelques autres critères que j’oublie. Pire, elle est seule sur ce segment de marché.

    Sans prôner la concurrence échevelée type Europe néo-libérale, il me paraîtrait souhaitable qu’une ou deux collections concurrentes, de même niveau, puissent apparaître, seule chance d’élargir l’offre, de réparer nombre d’injustices (quant aux auteurs), d’offrir des versions plus satisfaisantes de certaines éditions manifestement de mauvaise qualité.
    Par le passé il y eut bien quelques tentatives, mais qui ressemblaient plus à des plagiats de mauvaise qualité qui n’ont vécu que ce que vivent les roses.

    Voeu pieux, bien entendu, compte tenu du chemin parcouru par la collection « canal historique » qui représente un véritable Everest pour d’éventuels nouveaux venus, et de l’enjeu économique : je ne sais rien de la rentabilité de l’entreprise et ne suis pas persuadé qu’elle soit de nature à remplir les tiroirs-caisse.

    Par conséquent, Gallimard pourra continuer impunément à imposer ses errements et ses fantaisies à une clientèle captive, et nous boirons le calice jusqu’à la lie, comme il est de coutume dans un vieux couple chien et chat. Les cris et les récriminations d’un vieux barbon de mon acabit n’y changeront rien.

    • Mais les classiques Garnier, Bouquins, ou d’autres éditions plus confidentielles (ex : Memnos pour Lovecraft) font tout aussi bien l’affaire, si l’on veut bien se passer de cuir. Je ne me sens pas captif du tout.

      • Je parle bien de « La Pléiade » avec ses spécificités, et la présentation matérielle fait partie de ses spécificités. Pour les amateurs, cela la rend irremplaçable.

        La question n’est pas l’accès aux textes ou aux recherches sur les textes.

        Ma bibliothèque se compose, à la louche, de six mille ouvrages (plus deux mille albums de bande dessinée). Sur ce total, il y a environ 280 pléiades… C’est dire si je ne compte pas exclusivement et même pas prioritairement sur La Pléiade, pour avoir accès aux textes.

        Non, c’est un département à part, on voudrait que, selon les promesses de l’éditeur, ce soit un résumé de la bibliothèque idéale, qu’on ait l’excellence sous un bel habillage, solide et maniable, et peu d’encombrement. Ce qu’on sauverait en priorité en cas d’incendie ou d’inondation.

        C’est de moins en moins le cas. Il y a moult ouvrages que je tenterais de sauver avant bon nombre de mes pléiades.

      • Merci KleineFuge pour ce visuel. Je suis déçu par la tranche des volumes avec cette mention dorée « La prestigieuse ». On dirait une bibliothèque de club par correspondance des année 80… Et quand on voit les beaux coffrets des 4 Pléiades Proust… Mais si on se concentre sur le contenu cette édition est intéressante, complète même si c’est effectivement très onéreux.

        • Effectivement, c’est tout à fait cela… ou bien un coffret « collector » de bluray du « Seigneur des Anneaux » ou de « Game of Thrones », à l’approche des fêtes de fin d’année.

          Je ne serais pas particulièrement fier de voir trôner cet objet dans ma bibliothèque.
          Il faudrait bien sûr voir l’intérieur. Il y a des fruits dont la peau n’est guère attirante, tandis que la chair est succulente. Il paraît que ce Monsieur Proust a écrit quelques pages d’assez belle venue et qu’autrefois les jurés d’un Prix littéraire populaire ont jugé bon de le distinguer…

          • Ou une boîte de chocolats ? Très joli habillage pour des douceurs chocolatées, très Belle Époque, beaucoup de succès garanti.

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