La Bibliothèque de la Pléiade

Version du 30 octobre 2015

Version du 19 février 2016

Version du 29 mars 2016

En décembre 2013, j’écrivis une modeste note consacrée à la politique éditoriale de la célèbre collection de Gallimard, « La Bibliothèque de la Pléiade », dans laquelle je livrais quelques observations plus ou moins judicieuses à ce propos. Petit à petit, par l’effet de mon bon positionnement sur le moteur de recherche Google et du manque certain d’information officielle sur les prochaines publications, rééditions ou réimpressions de la collection, se sont agrégés, dans la section « commentaires » de cette chronique, de nombreux amateurs. Souvent bien informés – mieux que moi – et décidés à partager les informations dont Gallimard est parfois avare, ils ont permis à ce site de proposer une des meilleures sources de renseignement officieuses à ce sujet. Comme le fil de discussions commençait à être aussi dense que long (près de 100 commentaires), et donc difficile à lire pour de nouveaux arrivants, j’ai pensé qu’il pourrait être intéressant, pour les nombreuses personnes qui trouvent mon blog par des requêtes afférentes à la « Pléiade », que toutes les informations soient regroupées sur cette page. Les commentaires y sont ouverts et, à l’exception de ce chapeau introductif, les informations seront mises à jour régulièrement. Les habitués de l’autre note sont invités à me signaler oublis ou erreurs, j’ai mis un certain temps à tout compiler, j’ai pu oublier des choses.

Cette page, fixe, ne basculera pas dans les archives du blog et sera donc accessible en permanence, en un clic, dans les onglets situés en dessous du titre du site.

Je tiens à signaler que ce site est indépendant, que je n’ai aucun contact particulier avec Gallimard et que les informations ici reprises n’ont qu’un caractère officieux et hypothétique (avec divers degrés de certitude, ou d’incertitude, selon les volumes envisagés). Cela ne signifie pas que l’information soit farfelue : l’équipe de la Pléiade répond aux lettres qu’on lui adresse ; elle diffuse aussi au compte-gouttes des informations dans les médias ou sur les salons. D’autre part, certains augures spécialistes dans la lecture des curriculums vitae des universitaires y trouvent parfois d’intéressantes perspectives sur une publication à venir. Le principe de cette page est précisément de réunir toutes ces informations éparses en un seul endroit.

J’y inclus aussi quelques éléments sur le patrimoine de la collection (les volumes « épuisés » ou « indisponibles ») et, à la mesure de mes possibilités, sur l’état des stocks en magasin (c’est vraiment la section pour laquelle je vous demanderai la plus grande bienveillance, je le fais à titre expérimental : je me repose sur l’analyse des stocks des libraires indépendants et sur mes propres observations). Il faut savoir que Gallimard édite un volume en une fois, écoule son stock, puis réimprime. D’où l’effet de yo-yo, parfois, des stocks, à mesure que l’éditeur réimprime (ou ne réimprime pas) certains volumes. Les tirages s’épuisent parfois en huit ou dix ans, parfois en trente ou quarante (et ce sont ces volumes, du fait de leur insuccès, qui deviennent longuement « indisponibles » et même, en dernière instance, « épuisés »).

Cette note se divise en plusieurs sections, de manière à permettre à chacun de se repérer plus vite (hélas, WordPress, un peu rudimentaire, ne me permet pas de faire en sorte que vous puissiez basculer en un clic de ce sommaire vers les contenus qu’ils annoncent) :

I. Le programme à venir dans les prochains mois

II. Les publications possibles ou attendues ; les séries en cours

III. Les volumes « épuisés »

IV. Les rééditions

V. Les volumes « indisponibles provisoirement »

VI. Les volumes « en voie d’indisponibilité »

Cette page réunit donc des informations sur le programme et le patrimoine de la collection.

Les mises à jour correspondent à un code couleur, indiqué en ouverture de note (ce qui évite à l’habitué de devoir tout relire pour trouver mes quelques amendements). La prochaine mise à jour aura lieu dans quelques temps, lorsque le besoin s’en fera sentir.

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I. Le programme à venir dans les prochains mois

Le programme du premier semestre 2016 est officiellement connu et publié sur le site officiel.

->Henry James : Un Portrait de femme et autres romans. Après la publication des Nouvelles complètes, Gallimard décide donc de proposer plusieurs romans de l’épais corpus jamesien. Le volume comprend quatre romans : Roderick Hudson (1876), Les Européens (1878), Washington Square (1880) et Portrait de femme (1881). La perspective de publication semble à la fois chronologique et thématique. Elle n’est pas intégrale puisque sont exclus trois romans contemporains du même auteur : Le Regard aux aguets (1871), L’Américain (1877) et Confiance (1879). En cas de succès, il paraît probable que ce volume soit néanmoins suivi d’un ou deux autres, couvrant la période 1886-1905.

On peut imaginer que le(s) volume(s) à venir comprendra/comprendront Les Bostoniennes, Ce que savait Maisie, Les Ambassadeurs, Les Ailes de la Colombe ou La Coupe d’Or, mais comme certains de ces ouvrages ont été retraduits, fort récemment, par Jean Pavans, il est difficile d’établir avec certitude ce que fera la maison Gallimard du reste de l’œuvre. La solution la plus cohérente serait de publier deux autres tomes (voire trois…).

->Mario Vargas Llosa : Œuvres romanesques I et II. M. Vargas Llosa a beaucoup publié, souvent d’épais romans (ou mémoires – comme le très recommandable Le Poisson dans l’eau). La Pléiade ne proposera qu’une sélection de huit romans parmi la vingtaine du corpus. Le premier tome couvre la période 1963-1977 et comprend La Ville et les chiens (1963), La Maison verte (1965), Conversation à La Cathedral » (1969) et La Tante Julia et le scribouillard (1977). Le deuxième tome s’étend de 1981 à 2006 et a retenu La Guerre de la fin du monde (1981), La Fête au bouc (2000), Le Paradis un peu plus loin (2003) et Tours et détours de la vilaine fille (2006).

Il faut noter l’absence des Chiots, de l’Histoire de Mayta et de Lituma dans les Andes, ainsi que des derniers romans parus. De ce que je comprends de l’entretien donné par M. Vargas Llosa au Magazine Littéraire (février 2016), cette sélection a été faite voici dix ans. Cela peut expliquer quelques lacunes. Entre autres choses, le Nobel 2010 de littérature dit aussi que, pour lui, féru de littérature française et amateur de la Bibliothèque de la Pléiade depuis les années 50, il fut plus émouvant de savoir qu’il entrerait dans cette collection que de se voir décerner le Nobel de littérature. Il faut dire qu’à la Pléiade, pour une fois, il précède son vieux rival Garcia Marquez – dont les droits sont au Seuil.

-> en coffret, les deux volumes des Œuvres complètes de Jorge Luis Borges, déjà disponibles à l’unité.

-> Jules Verne (III)Voyage au centre de la terre et autres romans. L’œuvre de Verne a fait l’objet de deux volumes en 2012 ; un troisième viendra donc les rejoindre, signe que cette publication, un peu contestée pourtant, a eu du succès. Quatre romans figurent dans ce tome : Voyage au centre de la terre (1864) ; De la terre à la lune (1865) ; Autour de la lune (1870) et, plus étonnant, Le Testament d’un excentrique (1899), un des derniers romans de l’auteur – où figure en principe une sorte de jeu de l’oie, avec pour thème les États-Unis d’Amérique (qui ne sera peut-être pas reproduit).

Un quatrième tome est-il envisagé ? Je ne sais.

-> Shakespeare, Comédies II et III (Œuvres complètes VI et VII). Gallimard continue la publication des œuvres complètes du Barde en cette année du quatre centième anniversaire de sa mort. L’Album de la Pléiade lui sera également consacré. C’est une parution logique et que nous avions, ici même, largement anticipée (ce « nous » n’est pas un nous de majesté, mais une marque de reconnaissance envers les commentateurs réguliers ou irréguliers de cette page, qui proposent librement leurs informations ou réflexions à propos de la Pléiade).

Le tome II des Comédies (VI) comprend Les Joyeuses épouses de Windsor, Beaucoup de bruit pour rien, Comme il vous plaira, La Nuit des rois, Mesure pour mesure, et Tout est bien qui finit bien.

Le tome III des Comédies (VII) comprend Troïlus et Cressida, Périclès, Cymbeline, Le Conte d’hiver, La Tempête et Les Deux Nobles Cousins.

J’ai annoncé un temps que les poèmes de Shakespeare seraient joints au volume VII des Œuvres complètes, ce ne sera pas le cas. Ils feront l’objet d’un tome VIII, à venir. Ce corpus de poésies étant restreint (moins de 300 pages, ce me semble, dans l’édition des années 50, déjà enrichie de divers essais et textes sur l’œuvre), il est probable qu’il sera accompagné d’un vaste dossier documentaire, comme Gallimard l’a fait pour les rééditions Rimbaud et Lautréamont, ou pour la parution du volume consacré à François Villon.

Le programme du second semestre 2016 a filtré ici ou là, via des « agents » commerciaux ou des vendeurs de Gallimard. Nous pouvons l’annoncer ici avec une relative certitude.

-> Après Sade et Cervantès, le tirage spécial sera consacré à André Malraux, mort voici quarante ans. Il reprendra La Condition humaine, et, probablement les romans essentiels de l’écrivain (L’Espoir, La Voie royale, Les Conquérants). Ces livres sont dispersés actuellement dans les deux premiers des six volumes consacrés à Malraux.

Je reste, à titre personnel, toujours aussi dubitatif à l’égard de cette sous-collection.

–> Premiers Écrits chrétiens, dont le maître d’œuvre est Bernard Pouderon ; selon le site même de la Pléiade, récemment et discrètement mis à jour, le contenu du volume sera composé des textes de divers apologistes chrétiens, d’expression grecque ou latine : Hermas, Clément de Rome, Athénagore d’Athènes, Méliton de Sardes, Irénée de Lyon, Tertullien, etc. Ce volume  n’intéressera peut-être que modérément les plus littéraires d’entre nous ; il pérennise toutefois la démarche éditoriale savante poursuivie avec les Premiers écrits intertestamentaires ou les Écrits gnostiques.

Pour l’anecdote, Tertullien seul figurait déjà à la Pléiade italienne, dans un épais et coûteux volume ; ici, il n’y aura bien évidemment qu’une sélection de ses œuvres.

–> Certains projets sont longuement mûris, parfois reportés, et souvent attendus des années durant par le public de la collection. D’autres, inattendus surprennent ; à peine annoncés, les voici déjà publiés. C’est le cas, nous nous en sommes faits l’écho ici-même, de Jack London. Dès cet automne, deux volumes regrouperont les principaux de ses romans, dont, selon toute probabilité Croc-blanc, L’Appel de la forêt et Martin Eden. Le programme précis des deux tomes n’est pas encore connu.

L’entrée à la Pléiade de l’écrivain américain a suscité un petit débat entre amateurs de la collection, pas toujours convaincus de la pertinence de cette parution, alors que deux belles intégrales existent déjà, chez Robert Laffont (coll. Bouquins) et Omnibus.

-> enfin, s’achèvera un très long projet, la parution des œuvres de William Faulkner, entamée en 1977, et achevée près de quarante ans plus tard. Avec la parution des Œuvres romanesques V, l’essentiel de l’œuvre de Faulkner sera disponible à la Pléiade. Ce volume contiendra probablement La Ville, Le Domaine, Les Larrons ainsi que quelques nouvelles.

Comme souvent, la Pléiade fait attendre très longtemps son public ; mais enfin, elle est au rendez-vous, c’est bien là l’essentiel.

Cette année 2016 est assez spéciale dans l’histoire de la Pléiade, car neuf volumes sur dix sont des traductions, ce qui est un record ; l’album est également consacré à un écrivain étranger, ce qui n’est pas souvent arrivé (Dostoïevski en 1975, Carroll en 1990, Faulkner en 1995, Wilde en 1996, Borges en 1999, les Mille-et-une-nuits en 2005).

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Le domaine français fera néanmoins son retour en force en 2017, avec la parution (selon des sources bien informées) de :

-> Perec, Œuvres I et II. Georges Perec ferait également l’objet de l’Album de la Pléiade. Voici quelques années déjà que l’on parle de cette parution. Des citations de Georges Perec ont paru dans les derniers agendas, M. Pradier m’avait personnellement confirmé en 2012 que les volumes étaient en cours d’élaboration pour 2013/14 ; il est donc grand temps qu’ils paraissent.

Que contiendront-ils ? L’essentiel de l’œuvre romanesque, selon toute vraisemblance (La Disparition, La vie, mode d’emploi, Les Choses, W ou le souvenir d’enfance, etc.). Le Condottiere, ce roman retrouvé par hasard récemment y sera-t-il ? Je ne le sais pas, mais c’est possible (et c’est peut-être même la raison du retard de parution).

-> Tournier, Œuvres (I et II ?). Michel Tournier l’avait confirmé lui-même ici ou là, ses œuvres devaient paraître d’ici la fin de la décennie à la Pléiade. Sa mort récente peut avoir « accéléré » le processus ; preuve en est que Pierre Assouline, très au fait de la politique de la maison Gallimard, a évoqué, sur son site et dans son hommage à l’auteur, la parution pour 2016 de ces deux volumes. Il s’est peut-être un peu trop avancé, mais selon nos informations, un volume (au moins) paraîtrait au premier semestre 2017 (ou bien les deux ? rien n’est certain à cet égard), ce qu’Antoine Gallimard a confirmé au salon du livre.

-> Quand on aime la Pléiade, il faut être patient. Après dix-sept ans d’attente, depuis la parution du premier volume, devrait enfin sortir des presses le tome Nietzsche II. Cette série a été ralentie par les diverses turpitudes connues par les éditeurs du volume. La direction de ce tome, et du suivant, est assurée par Marc de Launay et Dorian Astor.

Cela fait quatre ou cinq tomes, soit l’essentiel du premier semestre. D’autres volumes sont attendus, mais sans certitude, pour un avenir proche, peut-être au second semestre 2016 :

-> Flaubert IV : la série est en cours (voir plus bas), le volume aurait été rendu à l’éditeur. On évoquait ici-même sa parution pour 2015.

-> Nimier, Œuvres. Je n’oublie pas que l’Agenda 2014 arborait une citation de Nimier, ce qui indique une parution prochaine.

-> Beauvoir, Œuvres autobiographiques. Ce projet se confirme d’année en année : annoncé par les représentants Gallimard vers 2013-2014, il est attesté par la multiplication des mentions de Simone de Beauvoir dans l’agenda 2016 (cinq, dans « La vie littéraire voici quarante ans », qui ouvre le volume). Gallimard est coutumier du fait : il communique par discrètes mentions d’auteurs inédits, dans les agendas, que les pléiadologues décryptent comme, jadis, les kremlinologues analysaient le positionnement des hiérarques soviétiques lors des défilés du 1er mai.

-> Leibniz : un volume d’Œuvres littéraires et philosophiques s’est vu attribuer un numéro d’ISBN (cf. sur Amazon). C’est un projet qui avait été évoqué dans les années 80, mais plus rien n’avait filtré le concernant depuis. Je n’ai (toujours) pas trouvé de mention de ce volume dans des CV d’universitaires. Comme pour Nietzsche II, je tiens cette sortie pour possible (ISBN oblige) mais encore incertaine. Cependant, le site Amazon indique une parution au 1er mars… 1997 : n’est-ce pas là, tout simplement, un vieux projet avorté, et dont l’ISBN n’a jamais été annulé ? À bien y réfléchir, l’abandon est tout à fait plausible.

-> D’autres séries sont en cours et pourraient être complétées : Brontë III, Stevenson III, Nabokov III, la Correspondance de Balzac III. D’autres séries, en panne, ne seront pas plus complétées en 2016 que les années précédentes (cf. plus bas) : Vigny III, Luther II, la Poésie d’Hugo IV et V, les Œuvres diverses III de Balzac, etc.

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II. Les publications possibles ou attendues ; les séries en cours

a) Nouveaux projets et rééditions

Les volumes que je vais évoquer ont été annoncés ici ou là, par Gallimard. Si dix nouveaux volumes de la Pléiade paraissent chaque année, vous le constaterez, la masse des projets envisagés énumérés ci-dessous nous mène bien au-delà de 2020.

–> un choix de Correspondance de Sade ;

–> les œuvres romanesques de Philip Roth, en deux volumes ; une mention de Roth, dans l’agenda 2016, atteste que ce projet est en cours.

–> l’Anthologie de la poésie américaine ; les traducteurs y travaillent depuis un moment ;

–> une nouvelle édition des œuvres de Descartes et de la Poésie d’Apollinaire (direction Étienne-Alain Hubert) ; Jean-Pierre Lefebvre travaille en ce moment sur une retraduction des œuvres de Kafka, une nouvelle édition est donc à prévoir (les deux premiers tomes seulement ? les quatre ?) ; une nouvelle version de L’Histoire de la Révolution française, de Jules Michelet est en cours d’élaboration également ;

–> Une autre réédition qui pourrait bien être en cours, c’est celle des œuvres de Paul Valéry, qui entreront l’an prochain dans le domaine public ; certains indices dans le Paul Valéry : une Vie, de Benoît Peeters, récemment paru en poche, peuvent nous en alerter ; la réédition des Cahiers, autrefois épuisés, n’est certes pas un « bon » signe (cela signifie que Gallimard ne republiera pas de version amendée d’ici peu – ce qui ne serait pourtant pas un luxe, l’édition étant ancienne, partielle et, admettons-le, peu accessible) ; en revanche, les Œuvres pourraient faire l’objet d’une révision, comme l’ont été récemment les romans de Bernanos ou les pièces et poèmes de Péguy. La publication de la Correspondance de Valéry pourrait être une excellente idée, d’un intérêt certain – mais c’est là seulement l’opinion du Lecteur (Valéry y est plus vif, moins sanglé que dans ses œuvres).

–> Tennessee Williams, probablement dirigée par Jean-Michel Déprats ; une mention discrète dans l’agenda 2016 tend à confirmer cette parution à venir ;

–> Blaise Cendrars, un troisième volume, consacré à ses romans (les deux premiers couvraient les écrits autobiographiques) ; selon le CV de Mme Le Quellec, collaboratrice de cette édition, ce volume paraîtrait en 2017 ;

–> George Sand : une édition des œuvres romanesques serait en cours ; l’équipe est constituée.

–> De même, Michel Onfray a évoqué par le passé, dans un entretien, l’éventuelle entrée d’Yves Bonnefoy à la Pléiade. Ce projet est littérairement crédible, d’autant plus que l’Agenda 2016 cite plusieurs fois Bonnefoy. Je suppose qu’il s’agira d’Œuvres poétiques complètes, ne comprenant pas les nombreux ouvrages de critique littéraire. Quelque aventureux correspondant a posé franchement la question auprès de Gallimard, qui lui a répondu que Bonnefoy était bien en projet.

-> Il faut également s’attendre à l’entrée à la Pléiade du médiéviste Georges Duby. Une information avait filtré en ce sens dans un numéro du magazine L’Histoire ; cette évocation dans l’agenda, redoublée, atteste de l’existence d’un tel projet. J’imagine plutôt cette parution en un tome (ou en deux), comprenant plusieurs livres parmi Seigneurs et paysans, La société chevaleresque, Les Trois ordres, Le Dimanche de Bouvines, Guillaume le Maréchal, et Mâle Moyen Âge.

-> Le grand succès connu par le volume consacré à Jean d’Ormesson (14 000 exemplaires vendus en quelques mois) donne à Gallimard une forme de légitimité pour concevoir un second volume ; les travaux du premier ayant été excessivement vite (un ou deux ans), il est possible de voir l’éditeur publier ce deuxième tome dès 2017…

-> Jean-Yves Tadié a expliqué, en 2010, dans le Magazine littéraire, qu’il s’occupait d’une édition de la Correspondance de Proust en deux tomes. Cette perspective me paraît crédible et point trop ancienne. À confirmer.

–> Textes théâtraux du moyen âge ; en deux volumes, j’en parle plus bas, c’est une vraie possibilité, remplaçant Jeux et Sapience, actuellement « indisponible ». La nouvelle édition, intitulée Théâtre français du Moyen Âge est dirigée par J.-P.Bordier.

–> Soseki ; le public français connaît finalement assez mal ce grand écrivain japonais ; pourtant sa parution en Pléiade, une édition dirigée par Alain Rocher, est très possible. Elle prendra deux volumes, et les traductions semblent avoir été rendues.

–> Si son vieux rival Mario Vargas Llosa vient d’avoir les honneurs de la collection, cela ne signifie pas que Gabriel Garcia Marquez soit voué à en rester exclu. Dans un proche avenir, la Pléiade pourrait publier une sélection des principaux romans de l’écrivain colombien.

–>Enfin, et c’est peut-être le scoop de cette mise à jour, selon nos informations, officieuses bien entendu, il semblerait que les Éditions de Minuit et Gallimard aient trouvé un accord pour la parution de l’œuvre de Samuel Beckett à la Pléiade, un projet caressé depuis longtemps par Antoine Gallimard. Romans, pièces, contes, nouvelles, en français ou en anglais, il y a là matière pour deux tomes (ou plus ?). Il nous faut désormais attendre de nouvelles informations.

Cette première liste est donc composée de volumes dont la parution est possible à brève échéance (d’ici 2019).

Je la complète de diverses informations qui ont circulé depuis trente ans sur les projets en cours de la Pléiade : les « impossibles » (abandonnés), les « improbables » (suspendus ou jamais mis en route), « les possibles » (projet sérieusement évoqué, encore récemment, mais sans attestation dans l’Agenda et sans équipe de réalisation identifiée avec certitude).

A/ Les (presque) impossibles

-> Textes philosophiques indiens fondamentaux ; une édition naguère possible (le champ indien a été plutôt enrichi en 20 ans, avec le Ramayana et le Théâtre de l’Inde Ancienne), mais plutôt risquée commercialement et donc de plus en plus incertaine dans le contexte actuel. Zéro information récente à son sujet.

–> Xénophon ; cette parution était très sérieusement envisagée à l’époque du prédécesseur de M. Pradier, arrivé à la direction de la Pléiade en 1996 ; elle a été au mieux suspendue, au pire abandonnée.

–> Écrits Juifs (textes des Kabbalistes de Castille) ; très improbable en l’état économique de la collection.

–> Mystiques médiévaux ; aucune information depuis longtemps.

–> Maître Eckhart ; la Pléiade doit avoir renoncé, d’autant plus que j’ai noté la parution, au Seuil, cet automne 2015, d’un fort volume de 900 pages consacré aux sermons, traités et poèmes de Maître Eckhart ; projet abandonné.

–> Joanot Martorell ; le travail accompli sur Martorell a été basculé en « Quarto », un des premiers de la collection ; la Pléiade ne le publiera pas, projet abandonné.

–> Chaucer ; projet abandonné de l’aveu de son maître d’œuvre (le travail réalisé par les traducteurs a pu heureusement être publié, il est disponible via l’édition Bouquins, parue en 2010).

-> Vies et romans d’Alexandre est un volume qui a été évoqué depuis vingt-cinq ans, sans résultat tangible à ce jour. Jean-Louis Bacqué-Grammont et Georges Bohas étaient supposés en être les maîtres d’œuvre. Une mention récente dans Parole de l’orient (2012) laisse à penser que le projet a été abandonné. En effet, une partie des traductions a paru en 2009 dans une édition universitaire et l’auteur de l’article explique que ce « recueil était originellement prévu pour un ouvrage collectif devant paraître dans la Pléiade ». C’est mauvais signe.

Ces huit volumes me paraissent abandonnés.

B/ Les improbables

–> Aimé Césaire, Léon Gontran Damas et Léopold Sedar Senghor ; ce tome était attendu pour 2011 ou 2012, le projet semble mettre un peu plus de temps que prévu. Selon quelques informations recueillies depuis, il semble que, malgré l’effet d’annonce, la réalisation ce volume n’a jamais été vraiment lancée.

–> Saikaku ; quelques informations venues du traducteur, M. Struve, informations vieilles maintenant de dix ans ; notre aruspice de CV, Geo, est pessimiste, du fait du changement opéré dans l’équipe de traduction en cours de route.

–> Carpentier ; cela commence à faire longtemps que ce projet est en cours, trop longtemps (plus de quinze ans que Gallimard l’a évoqué pour la première fois). Carpentier est désormais un peu oublié (à tort). Ce projet ne verra probablement pas le jour.

–> Barrès ; peu probable, rien ne l’a confirmé ces derniers temps…

–> la perspective de la parution d’un volume consacré à Hugo von Hofmannsthal avait été évoquée dans les années 90 (par Jacques Le Rider dans la préface d’un Folio). La Pochothèque et l’Arche se sont occupés de republier l’écrivain autrichien. Cette parution me paraît abandonnée.

–> En 2001, Mme Naudet s’est chargée du catalogage des œuvres de Pierre Guyotat en vue d’une possible parution à la Pléiade. Je ne pense pas que cette réflexion, déjà ancienne, ait dépassé le stade de la réflexion. Gallimard a visiblement préféré le sémillant d’Ormesson au ténébreux Guyotat.

-> Voici quelques années, M. Pradier, le directeur de la collection avait évoqué diverses possibilités pour la Pléiade : Pétrarque, Leopardi et Chandler. Ce n’étaient là que pistes de réflexions, il n’y a probablement pas eu de suite. Un volume Pétrarque serait parfaitement adapté à l’image de la collection et son œuvre y serait à sa place. Je ne sais pas si la perspective a été creusée. Boccace manque aussi, d’ailleurs. Pour Leopardi, le fait qu’Allia n’ait pas réussi à écouler le Zibaldone et la Correspondance (bradée à 25€ désormais) m’inspirent de grands doutes. Le projet serait légitime, mais je suis pessimiste – ce qui est logique en parlant de l’infortuné poète bossu. Enfin, Chandler a fait l’objet depuis d’un Quarto, et même s’il est publié aux Meridiani (pléiades italiens), je ne crois pas à sa parution en Pléiade.

Ces neuf volumes me paraissent incertains. Abandon possible (ou piste de réflexion pas suivie).

C/ Les plausibles

–> Nathaniel Hawthorne ; à la fois légitime (du fait de l’importance de l’auteur), possible (du fait du tropisme américain de la Pléiade depuis quelques années) et annoncé par quelques indiscrétions ici ou là. On m’a indiqué, parmi l’équipe du volume, les possibles participations de M. Soupel et de Mme Descargues.

-> Le projet de parution d’Antonin Artaud à la Pléiade a été suspendu au début des années 2000, du fait des désaccords survenus entre la responsable du projet éditorial et les ayants-droits de l’écrivain ; il devrait entrer dans le domaine public au 1er janvier 2019 et certains agendas ont cité Artaud par le passé ; un projet pourrait bien être en cours, sinon d’élaboration, tout du moins de réflexion.

–> Romain Gary, en deux tomes, d’ici la fin de la décennie.

–> Kierkegaard ; deux volumes, traduits par Régis Boyer, maître ès-Scandinavie ; on n’en sait pas beaucoup plus et ce projet est annoncé depuis très longtemps.

–> Jean Potocki ; la découverte d’un second manuscrit a encore ralenti le serpent de mer (un des projets les plus anciens de la Pléiade à n’avoir jamais vu le jour).

–> Thomas Mann ; il faudrait de nouvelles traductions, et les droits ne sont pas chez Gallimard (pas tous en tout cas) ; Gallimard attend que Mann tombe dans le domaine public (une dizaine d’années encore…), selon la lettre que l’équipe de la Pléiade a adressé à un des lecteurs du site.

–> Le dit du Genji, informations contradictoires. Une nouvelle traduction serait en route.

–> Robbe-Grillet : selon l’un de nos informateurs, le projet serait au stade de la réflexion.

–> Huysmans : Michel Houellebecq l’a évoqué dans une scène son dernier roman, Soumission ; le quotidien Le Monde a confirmé que l’écrivain avait été sondé pour une préface aux œuvres (en un volume ?) de J.K.Huysmans, un des grands absents du catalogue. Le projet serait donc en réflexion.

–> Ovide : une nouvelle traduction serait prévue pour les années à venir, en vue d’une édition à la Pléiade.

–> « Tigrane », un de nos informateurs, a fait état d’une possible parution de John Steinbeck à la Pléiade. Information récente et à confirmer un jour.

–> Calvino, on sait que la veuve de l’écrivain a quitté le Seuil pour Gallimard en partie pour un volume Pléiade. Édition possible mais lointaine.

–> Lagerlöf, la Pléiade n’a pas fermé la porte, et un groupe de traducteurs a été réuni pour reprendre ses œuvres. Édition possible mais lointaine.

Enfin, j’avais exploré les annonces du catalogue 1989, riche en projets, donc beaucoup ont vu le jour. Suivent ceux qui n’ont pas encore vu le jour (et qui ne le verront peut-être jamais) – reprise d’un de mes commentaires de la note de décembre 2013.

– Akutagawa, Œuvres, 1 volume (le projet a été abandonné, vous en trouverez des « chutes » ici ou là)
Anthologie des poètes du XVIIe siècle, 1 volume (je suppose que le projet a été fondu et  dans la réfection de l’Anthologie générale de la poésie française ; abandonné)
Cabinet des Fées, 2 volumes (mes recherches internet, qui datent un peu, m’avaient laissé supposer un abandon complet du projet)
– Chénier, 1 volume, nouvelle édition (abandonné, l’ancienne édition est difficile à trouver à des tarifs acceptables – voir plus bas)
Écrits de la Mésopotamie Ancienne, 2 volumes (probablement abandonné, et publié en volumes NRF « Bibliothèque des histoires » – courants et néanmoins coûteux, dans les années 90)
– Kierkegaard, Œuvres littéraires et philosophiques complètes, 3 volumes (serpent de mer n°1)
– Laforgue, Œuvres poétiques complètes, 1 volume (abandonné, désaccord avec le directeur de l’ouvrage, le projet a été repris, en 2 coûteux volumes, par L’Âge d’Homme)
– Leibniz, Œuvres, 3 volumes : un ISBN attribué à un volume Leibniz a récemment été découvert. Les possibilités d’édition de Leibniz dans la Pléiade, avec une envergure moindre, sont donc remontées.
– Montherlant, Essais, Volume II (voir plus bas)
Moralistes français du XVIIIe siècle, 2 volumes (aucune information récente, abandonné)
Orateurs de la Révolution Française, volume II (mis en pause à la mort de François Furet… en 1997 ! et donc abandonné)
– Potocki, Manuscrit trouvé à Saragosse, 1 volume (serpent de mer n°1 bis)
– Chunglin Hsü, Roman de l’investiture des Dieux, 2 volumes (pas de nouvelles, le dernier roman chinois paru à la Pléiade, c’était Wu Cheng’en en 1991, je penche pour l’abandon du projet)
– Saïkaku, Œuvres, 2 volumes (cas exploré plus haut)
– Sôseki, Œuvres, 2 volumes (cas exploré plus haut)
– Tagore, Œuvres, 2 volumes (le projet a été officiellement abandonné)
Théâtre Kabuki, 1 volume (très incertain, aucune information à ce sujet)
Traités sanskrits du politique et de l’érotique (Arthasoutra et Kamasoutra), 1 volume (idem)
– Xénophon, Œuvres, 1 volume (évoqué plus haut)

b) Les séries en cours :

Attention, je n’aborde ici que les séries inédites. J’évoque un peu plus bas, dans la section IV-b, le cas des séries en cours de réédition, soit exhaustivement : Racine, La Fontaine, Vigny, Balzac, Musset, Marivaux, Claudel, Shakespeare et Flaubert.

Aragon : l’éventualité de la publication un huitième volume d’œuvres, consacré aux écrits autobiographiques, a pu être discutée ; elle est actuellement, selon toute probabilité, au stade de l’hypothèse.

Aristote : le premier tome est sorti en novembre 2014, sans mention visuelle d’un quelconque « Tome I ». Le catalogue parle pourtant d’un « tome I », mais il a déjà presque un an, l’éditeur a pu changer d’orientation depuis. La suite de cette série me paraît conditionnelle et dépendante du succès commercial du premier volume. Néanmoins, les maîtres d’œuvre évoquent, avec certitude, la parution à venir des tomes II et III et l’on sait désormais que Gallimard ne souhaite plus numéroter ses séries qu’avec parcimonie. Il ne faut pas être pessimiste en la matière, mais prudent. En effet, la Pléiade a parfois réceptionné les travaux achevés d’éditeurs pour ne jamais les publier (cas Luther, voir quelques lignes plus bas).

Brecht : l’hypothèse d’une publication du Théâtre et de la Poésie, née d’annonces vieilles de 25 ans, est parfaitement hasardeuse. La mode littéraire brechtienne a passé et l’éditeur se contentera probablement d’un volume bizarre d’Écrits sur le théâtre. Dommage qu’un des principaux auteurs allemands du XXe siècle soit ainsi mutilé.

Brontë :  Premier volume en 2002, deuxième en 2008, il en reste un, Shirley-Villette. Il n’y a pas beaucoup d’information à ce sujet, mais le délai depuis le tome 2 est normal, il n’y a pas d’inquiétude à avoir pour le moment. La traduction de Villette serait achevée.

Calvin : L’Institution de la religion chrétienne est absent du tome d’Œuvres. Aucun deuxième volume ne semble pourtant prévu.

Cendrars : voir plus haut, un volume de Romans serait en cours de préparation.

Écrits intertestamentaires : un second volume, dirigé par Marc Philonenko, serait en chantier, et quelques traductions déjà achevées.

Giraudoux : volume d’Essais annoncé au début des années 90. Selon Jacques Body, maître d’œuvre des trois volumes, et que j’ai personnellement contacté, ce quatrième tome n’est absolument pas en préparation. Projet abandonné.

Gorki : même situation que Brecht et Faulkner, réduction de voilure du projet depuis son lancement. Suite improbable.

Green : je l’évoque plus bas, dans les sections consacrées aux volumes « indisponibles » et aux volumes en voie d’indisponibilité. Les perspectives de survie de l’œuvre dans la collection sont plutôt basses. Aucun tome IX et final ne devrait voir le jour.

Hugo : Œuvres poétiques, IV et V, « en préparation » depuis 40 ans (depuis la mort de Gaëtan Picon). Les œuvres de Victor Hugo auraient besoin d’une sérieuse réédition, la poésie est bloquée depuis qu’un désaccord est survenu avec les maîtres d’ouvrage de l’époque. Il est fort improbable que ce front bouge dans les prochaines années, mais Gallimard maintient les « préparer » à chaque édition de son catalogue. À noter que le 2e tome du Théâtre complet, longtemps indisponible, est à nouveau dans les librairies.

Luther : Le tome publié porte le chiffre romain I. Une suite est censée être en préparation mais l’insuccès commercial de ce volume (la France n’est pas un pays de Luthériens) a fortement hypothéqué le second volume. Personne n’en parle plus, ni les lecteurs, ni Gallimard. Suite improbable. D’autant plus que M. Arnold, le maître d’œuvre explique sur son CV avoir rendu le Tome II… en 2004 ! Ces dix années entre la réception du tapuscrit et la publication indiquent que Gallimard a certainement renoncé. Projet abandonné.

Marx : Les Œuvres complètes se sont arrêtées avec le Tome IV (Politique I). L’éditeur du volume est mort, la « cote » de Marx a beaucoup baissé, il est improbable que de nouveaux volumes paraissent à l’avenir, le catalogue ne défend même plus cette idée par une mention « en préparation ». Série probablement arrêtée.

Montherlant : Essais, tome II. Le catalogue évoque toujours un tome I. Aucune mention de préparation n’est présente (contrairement à ce que les catalogues de la fin des années 2000 annonçaient). Le premier volume a été récemment retiré (voir plus bas, dans la section « rééditions »), tout comme les volumes des romans. Perspective improbable néanmoins.

Nietzsche : Œuvres complètes, d’abord prévues en 5 tomes, puis réduites à 3 (c’est annoncé au catalogue). Le premier volume a paru en 2000. Le deuxième devrait paraître au premier semestre 2017 (information officieuse et à confirmer).

Orateurs de la Révolution française : paru en 1989 pour le bicentenaire de la Révolution, ce premier tome, consacré à des orateurs de la Constituante, n’a pas eu un grand succès commercial. François Furet, son éditeur scientifique, est mort depuis. Tocqueville, son autre projet, a été retardé quelques années, mais a pu s’achever. Celui-ci ne le sera pas. Suite abandonnée.

Queneau : en principe, ont paru ses Œuvres complètes, en trois tomes, mais le Journal n’y est pas, pas plus que ses articles et critiques. Un quatrième tome, non annoncé par la Pléiade, est-il néanmoins possible ? Aucune information à ce sujet.

Sand : un volume de Romans est en préparation (cf. plus haut).

Stevenson : un troisième tome d’Œuvres est en préparation. Le deuxième volume a paru en 2005 déjà, il serait temps que le troisième (et dernier) sorte dans les librairies.

Supervielle : une édition des Œuvres en 2 volumes avait été initialement prévue, la poésie est sortie en 1996, le reste doit être abandonné.

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III. Les volumes « épuisés »

Ces volumes ne sont plus disponibles sur le marché du livre neuf. Gallimard ne compte pas les réimprimer. Cette politique est assortie de quelques exceptions, imprévisibles, comme les Cahiers de Paul Valéry, « épuisés » en 2008 et pourtant réimprimés quelques années plus tard. Cet épuisement peut préluder une nouvelle édition (Casanova par exemple), mais généralement signe la sortie définitive du catalogue. Les « épuisés » sont presque tous trouvables sur le marché de l’occasion, à des prix parfois prohibitifs (je donne pour chaque volume une petite estimation basée sur mes observations sur abebooks, amazon et, surtout, ebay, lors d’enchères, fort bon moyen de voir à quel prix s’établit « naturellement » un livre sur un marché assez dense d’amateurs de la collection ; mon échelle de prix est évidemment calquée sur celle de la collection, donc 20€ équivaut à une affaire et 50€ à un prix médian).

1/ Œuvres d’Agrippa d’Aubigné, 1969 : Gallimard a exclu explicitement la réédition. C’est le cas de beaucoup de volumes des années 1965-1975, majoritaires parmi les épuisés. Ils ont connu un retirage, ou aucun. 48€ au catalogue, peut monter à 70€ sur le marché de l’occasion.

2/ Œuvres Complètes de Nicolas Boileau, 1966 : Gallimard a exclu explicitement la réédition. Le XVIIe siècle est victime de son progressif éloignement ; cette littérature, sauf quelques grands noms, survit mal ; et certains auteurs ne sont plus jugés par la direction de la collection comme suffisamment « vivants » pour être édités. C’est le cas de Boileau. 43€ au catalogue, il est rare qu’il dépasse ce prix sur le second marché.

3/ Œuvres Complètes d’André Chénier, 1940 : Gallimard a exclu explicitement la réédition. Étrangement, il était envisagé, en 1989 encore (source : le catalogue de cette année-là), de proposer au public une nouvelle édition de ce volume. Chénier a-t-il été victime de l’insuccès du volume Orateurs de la Révolution française ? L’œuvre, elle-même, paraît bien oubliée désormais. 40€ au catalogue, trouvable à des tarifs très variables (de 30 à 80).

4/ Œuvres de Benjamin Constant, 1957 : Gallimard a exclu explicitement la réédition. À titre personnel, je suis un peu surpris de l’insuccès de Constant. 48€ au catalogue, assez peu fréquent sur le marché de l’occasion, peut coûter cher (80/100€)

5/ Conteurs français du XVIe siècle, 1965 : pas d’information de la part de l’éditeur. L’orthographe des volumes médiévaux ou renaissants de la Pléiade (et même ceux du XVIIe) antérieurs aux années 80 n’était pas modernisée. C’est un volume dans un français rocailleux, donc. 47€ au catalogue, assez aisé à trouver pour la moitié de ce prix (et en bon état). Peu recherché.

6/ Œuvres Complètes de Paul-Louis Courier, 1940 : pas d’information de la part de l’éditeur. Courier est un peu oublié de nos jours. 40€ au catalogue, trouvable pour un prix équivalent en occasion (peut être un peu plus cher néanmoins).

7/ Œuvres Complètes de Tristan Corbière et de Charles Cros, 1970 : pas d’information de la part de l’éditeur. C’était l’époque où la Pléiade proposait, pour les œuvres un peu légères en volume, des regroupements plus ou moins justifiés. Les deux poètes ont leurs amateurs, mais pas en nombre suffisant visiblement. Néanmoins, le volume est plutôt recherché. Pas de prix au catalogue, difficilement trouvable en dessous de 80€/100€.

8/ Œuvres de Nicolas Leskov et de M.E. Saltykov-Chtchédrine, 1967 : Gallimard a exclu explicitement la réédition. Encore un regroupement d’auteurs. Le champ russe est très bien couvert à la Pléiade, mais ces deux auteurs, malgré leurs qualités, n’ont pas eu beaucoup de succès. 47€ au catalogue, coûteux en occasion (quasiment impossible sous 60/80€, parfois proposé au-dessus de 100)

9/ Œuvres de François de Malherbe, 1971 : Gallimard a exclu explicitement la réédition. Et pour cause. C’est le « gadin » historique de la collection, l’exemple qu’utilise toujours Hugues Pradier, son directeur, quand il veut illustrer d’un épuisé ses remarques sur les méventes de certain volume. 39€ au catalogue, je l’ai trouvé neuf dans une librairie il y a six ans, et je crois bien que c’était un des tout derniers de France. Peu fréquent sur le marché de l’occasion, mais généralement à un prix accessible (30/50€).

10/ Maumort de Roger Martin du Gard, 1983 : aucune information de Gallimard. Le volume le plus récemment édité parmi les épuisés. Honnêtement, je ne sais s’il relève de cette catégorie par insuccès commercial (la gloire de son auteur a passé) ou en raison de problèmes littéraires lors de l’établissement d’un texte inachevé et publié à titre posthume. 43€ au catalogue, compter une cinquantaine d’euros d’occasion, peu rare.

11/ Commentaires de Blaise de Monluc, 1964 : aucune information de Gallimard. Comme pour les Conteurs français, l’orthographe est d’époque. Le chroniqueur historique des guerres de religion n’a pas eu grand succès. Pas de prix au catalogue, assez rare d’occasion, peut coûter fort cher (60/100).

12/ Histoire de Polybe, 1970 : Gallimard informe ses lecteurs qu’il est désormais publié en « Quarto », l’autre grande collection de l’éditeur. Pas de prix au catalogue. Étrange volume qui n’a pas eu de succès mais qui s’arrache à des prix prohibitifs sur le marché de l’occasion (difficile à trouver à moins de 100€).

13/ Poètes et romanciers du Moyen Âge, 1952 : exclu d’une réédition en l’état. C’est exclusivement de l’ancien français (comme Historiens et Chroniqueurs ou Jeux et Sapience), quand tous les autres volumes médiévaux proposent une édition bilingue. Une partie des textes a été repris dans d’autres volumes ou dans l’Anthologie de la poésie française I. 42€ au catalogue, trouvable sans difficulté pour une vingtaine d’euros sur le marché de l’occasion.

14/ Romanciers du XVIIe siècle, 1958 : exclu d’une réédition. Orthographe non modernisée. Un des quatre romans (La Princesse de Clèves) figure dans l’édition récente consacrée à Mme de Lafayette. Sans prix au catalogue, très fréquent en occasion, à des prix accessibles (20/30€).

15/ et 16/ Romancier du XVIIIe siècle I et II, 1960 et 1965. Gallimard n’en dit rien, ce sont pourtant deux volumes regroupant des romans fort connus (dont Manon LescautPaul et VirginieLe Diable amoureux). Subissent le sort d’à peu près tous les volumes collectifs de cette époque : peu de notes, peu de glose, à refaire… et jamais refaits. 49,5€ et 50,5€. Trouvables à des prix similaires, sans trop de difficulté, en occasion.

17/, 18/ et 19/ Œuvres I et II, Port-Royal I, de Sainte-Beuve, 1950, 1951 et 1953. Gallimard ne prévoit aucune réimpression du premier volume de Port-Royal mais ne dit pas explicitement qu’il ne le réimprimera jamais. Les chances sont faibles, néanmoins. Son épuisement ne doit pas aider à la vente des volumes II et III. Le destin de Sainte-Beuve semble du reste de sortir de la collection. Les trois volumes sont sans prix au catalogue. Les Œuvres sont trouvables à des prix honorables, Port-Royal I, c’est plus compliqué (parfois il se négocie à une vingtaine d’euros, parfois beaucoup plus). L’auteur ne bénéficie plus d’une grande cote.

20/, 21/ et 22/ Correspondance III et III, de Stendhal, 1963, 1967 et 1969. Cas unique, l’édition est rayée du catalogue papier (et pas seulement marquée comme épuisée), pour des raisons de moi inconnues (droits ? complétude ? qualité de l’édition ? Elle fut pourtant confiée au grand stendhalien Del Litto). Cette Correspondance, fort estimée (par Léautaud par exemple) est difficile à trouver sur le marché de l’occasion, surtout le deuxième tome. Les prix sont à l’avenant, normaux pour le premier (30/40), parfois excessifs pour les deux autres (le 2e peut monter jusque 100). Les volumes sont assez fins.

23/ et 24/ Théâtre du XVIIIe siècle, I et II, 1973 et 1974. Longtemps marqués « indisponibles provisoirement », ces deux tomes sont récemment passés « épuisés ». Ce sont deux volumes riches, dont Gallimard convient qu’il faudrait refaire les éditions. Mais le contexte économique difficile et l’insuccès chronique des volumes théâtraux (les trois tomes du Théâtre du XVIIe sont toujours à leur premier tirage, trente ans après leur publication) rendent cette perspective très incertaine. 47€ au catalogue, très difficiles à trouver sur le marché de l’occasion (leur prix s’envole parfois au-delà des 100€, ce qui est insensé).

Cas à part : Œuvres complètes  de Lautréamont et de Germain Nouveau. Lautréamont n’est pas sorti de la Pléiade, mais à l’occasion de la réédition de ses œuvres voici quelques années, fut expulsé du nouveau tome le corpus des écrits de Germain Nouveau, qui occupait d’ailleurs une majeure partie du volume collectif à eux consacrés. Le volume est sans prix au catalogue. Il est relativement difficile à trouver et peut coûter assez cher (80€).

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 IV. Les rééditions

Lorsque l’on achète un volume de la Pléiade, il peut s’agir d’une première édition et d’un premier tirage, d’une première édition et d’un ixième tirage ou encore d’une deuxième (ou, cas rare, d’une troisième, exceptionnel, d’une quatrième) édition. Cela signifie qu’un premier livre avait été publié voici quelques décennies, sous une forme moins « universitaire » et que Gallimard a jugé bon de le revoir, avec des spécialistes contemporains, ou de refaire les traductions. En clair, il faut bien regarder avant d’acheter les volumes de ces auteurs de quand date non l’impression mais le copyright.

Il arrive également que Gallimard profite de retirages pour réviser les volumes. Ces révisions, sur lesquelles la maison d’édition ne communique pas, modifient parfois le nombre de pages des volumes : des coquilles sont corrigées, des textes sont revus, des notices complétées, le tout de façon discrète. Ces modifications sont très difficiles à tracer, sauf à comparer les catalogues ou à feuilleter les derniers tirages de chaque Pléiade (un des commentateurs, plus bas, s’est livré à l’exercice – cf. l’exhaustif commentaire de « Pléiadophile », publié le 12 avril 2015)

La plupart des éditions « dépassées » sont en principe épuisées.

a) Rééditions à venir entièrement (aucun volume de la nouvelle édition n’a paru)

Parmi les rééditions à venir, ont été évoqués, de manière très probable :

Kafka, par Jean-Pierre Lefebvre (je ne sais si ce projet concerne la totalité des quatre volumes ou seulement une partie).

Michelet, dont l’édition date de l’avant-guerre ; certes quelques révisions de détail ont dû intervenir à chaque réimpression, mais enfin, l’essentiel des notes et notices a vieilli.

Descartes (l’édition en un volume date de 1937) en deux volumes.

Apollinaire, pour la poésie seulement (la prose est récente).

Jeux et sapience du Moyen Âge, édition de théâtre médiéval en ancien français, réputée « indisponible provisoirement ». La nouvelle édition est en préparation (cf. plus haut). Cette édition, en deux volumes serait logique et se situerait dans la droite ligne des éditions bilingues et médiévales parues depuis 20 ans (RenartTristan et Yseut, le Graal, Villon).

De manière possible

Verlaine, on m’en a parlé, mais je ne parviens pas à retrouver ma source. L’édition est ancienne.

Chateaubriand, au moins pour les Mémoires d’Outre-Tombe mais l’hypothèse a pris du plomb dans l’aile avec la reparution, en avril 2015, d’un retirage en coffret de la première (et seule à ce jour) édition.

Montherlant, pour les Essais… c’est une hypothèse qui perd d’année en année sa crédibilité puisque le tome II n’est plus annoncé dans le catalogue. Néanmoins, un retirage du tome actuel a été réalisé l’an dernier, ce qui signifie que Gallimard continue de soutenir la série Montherlant… Plus improbable que probable cependant.

b) Rééditions inachevées ou en cours (un ou plusieurs volumes de la nouvelle édition ont paru)

Balzac : 1/ La Comédie humaine, I à XI, de 1935 à 1960 ; 2/ La Comédie humaine, I à XII, de 1976 à 1981 + Œuvres diverses I, en 1990 et II, en 1996 + Correspondance I, en 2006 et II, en 2011. Le volume III de la Correspondance est attendu avec optimisme pour les prochaines années. Pour le volume III des Œuvres diverses en revanche, l’édition traîne depuis des années et le décès du maître d’œuvre, Roland Chollet, à l’automne 2014, n’encourage pas à l’optimisme.

Claudel : 1/ Théâtre I et II (1948) + Œuvre poétique (1957) + Œuvres en prose (1965) + Journal I (1968) et II (1969) ; 2/ Théâtre I et II (2011). Cette nouvelle édition du Théâtre pourrait préfigurer la réédition des volumes de poésie et de prose (et, sans conviction, du Journal ?), mais Gallimard n’a pas donné d’information à ce sujet.

Flaubert : 1/ Œuvres complètes, I et II, en 1936 ; 2/ Correspondance I (1973), II (1980), III (1991), IV (1998) et V (2007) + Œuvres complètesI (2001), II et III (2013). Les tomes IV et V sont attendus pour bientôt (les textes auraient été rendus pour relecture selon une de nos sources). En attendant le tome II de la vieille édition est toujours disponible.

La Fontaine : 1/ Œuvres complètes I, en 1933 et II, en 1943 ; 2/ Œuvres complètes I, en 1991. Comme pour Racine, le deuxième tome est encore celui de la première édition. Il est assez courant. Après 25 ans d’attente, et connaissant les mauvaises ventes des grands du XVIIe (Corneille par exemple), la deuxième édition du deuxième tome est devenue peu probable.

Marivaux : 1/ Romans, en 1949 + Théâtre complet, en 1950 ; 2/ Œuvres de jeunesse, en 1972 + Théâtre complet, en 1993 et 1994. En principe, les Romans étant indisponibles depuis des années, une nouvelle édition devrait arriver un jour. Mais là encore, comme pour La Fontaine, Vigny ou le dernier tome des Œuvres diverses de Balzac, cela fait plus de 20 ans qu’on attend… Rien ne filtre au sujet de cette réédition.

Musset : 1/ Poésie complète, en 1933 + Théâtre complet, en 1934 + Œuvres complètes en prose, en 1938 ; 2/ Théâtre complet, en 1990. La réédition prévue de Musset en trois tomes, et annoncée explicitement par Gallimard dans son catalogue 1989, semble donc mal partie. Le volume de prose est « indisponible provisoirement » et la poésie est toujours dans l’édition Allem, vieille de 80 ans. Là encore, comme pour La Fontaine et Racine, il est permis d’être pessimiste.

Racine : 1/ Œuvres complètes I, en 1931 et II, en 1952 ; 2/ Œuvres complètes I, en 1999. Le deuxième tome est donc encore celui de la première édition. Il est très rare de le trouver neuf dans le commerce. Le délai entre les deux tomes est long, mais il l’avait déjà été dans les années 30-50. On peut néanmoins se demander s’il paraîtra un jour.

Shakespeare : 1/ Théâtre complet, en 1938 (2668 pages ; j’ai longtemps pensé qu’il s’agissait d’un seul volume, mais il s’agirait plus certainement de deux volumes, les 50e et 51e de la collection ; le mince volume de Poèmes aurait d’ailleurs peut-être relevé de cette édition là, mais avec une vingtaine d’années de retard ; les poèmes auraient par la suite été intégrés par la nouvelle édition de 1959 dans un des deux volumes ; ne possédant aucun des volumes concernés, je remercie par avance mes aimables lecteurs (et les moins aimables aussi) de bien vouloir me communiquer leurs éventuelles informations complémentaires) ; 2/ Œuvres complètes, I et II, Poèmes (III) (?) en 1959 ; 3/ Œuvres complètes I et II (Tragédies) en 2002 + III et IV (Histoires) en 2008 + V (Comédies) en 2013. Les tomes VI (Comédies) et VII (Comédies) sont en préparation, pour une parution en 2016. Le tome VIII (Poésies) paraîtra ultérieurement.

Vigny : 1/ Œuvres complètes I et II, en 1948 ; 2/ Œuvres complètes I (1986) et II (1993). Le tome III est attendu depuis plus de 20 ans, ce qui est mauvais signe. Gallimard n’en dit rien, Vigny ne doit plus guère se vendre. Je suis pessimiste à l’égard de ce volume.

c) Rééditions achevées

Quatre éditions :

Choderlos de Laclos : 1/ Les Liaisons dangereuses, en 1932 ; 2/ Œuvres complètes en 1944 ; 3/ Œuvres complètes en 1979 ; 4/ Les Liaisons dangereuses, en 2011. Pour le moment, les éditions 3 et 4 sont toujours disponibles.

Trois éditions :

Baudelaire : 1/ Œuvres complètesI et II, en 1931 et 1932 ; 2/ Œuvres complètesen 1951 ; 3/ Correspondance I et II en 1973 + Œuvres complètesI et II, en 1975 et 1976.

Camus : 1/ Théâtre – Récits – Nouvelles, en 1962 + Essais, en 1965 ; 2/ Théâtre – Récits et Nouvelles -Essais, en 1980 ; 3/ Œuvres complètesI et II, en 2006, III et IV, en 2008.

Molière : 1/ Œuvres complètesI et II, en 1932 ; 2/ Œuvres complètesI et II, en 1972 ; 3/ Œuvres complètesI et II, en 2010. L’édition 2 est encore facilement trouvable et la confusion est tout à fait possible avec la 3.

Montaigne : 1/ Essais, en 1934 ; 2/ Œuvres complètes, en 1963 ; 3/ Essais, en 2007.

Rimbaud : 1/ Œuvres complètes, en 1946 ; 2/ Œuvres complètes, en 1972 ; 3/ Œuvres complètes, en 2009.

Stendhal : 1/ Romans, I, II et III, en 1932, 1933 et 1934 ; 2/ Romans et Nouvelles, I et II en 1947 et 1948 + Œuvres Intimes en 1955 + Correspondance en 1963, 1967 et 1969 ; 3/ Voyages en Italie en 1973 et Voyages en France en 1992 + Œuvres Intimes I et II, en 1981 et 1982 + Œuvres romanesques complètes en 2005, 2007 et 2014. Soit 16 tomes différents, mais seulement 7 dans l’édition considérée comme à jour.

Deux éditions :

Beaumarchais : 1/ Théâtre complet, en 1934 ; 2/ Œuvres, en 1988.

Casanova : 1/ Mémoires, I-III (1958-60) ; 2/ Histoire de ma vie, I-III (2013-15).

Céline : 1/ Voyage au bout de la nuit – Mort à crédit (1962) ; 2/ Romans, I (1981), II (1974), III (1988), IV (1993) + Lettres (2009).

Cervantès : 1/ Don Quichotte, en 1934 ; 2/ Œuvres romanesques complètesI (Don Quichotte) et II (Nouvelles exemplaires), 2002.

Corneille : 1/ Œuvres complètes, I et II, en 1934 ; 2/ Œuvres complètes, I (1980), II (1984) et III (1987).

Diderot : 1/ Œuvres, en 1946 ; 2/ Contes et romans, en 2004 et Œuvres philosophiques, en 2010.

Gide : 1/ Journal I (1939) et II (1954) + Anthologie de la Poésie française (1949) + Romans (1958) ; 2/ Journal I (1996) et II (1997) + Essais critiques (1999) + Souvenirs et voyages (2001) + Romans et récits I et II (2009). L’Anthologie est toujours éditée et disponible.

Goethe : 1/ Théâtre complet (1942) + Romans (1954) ; 2/ Théâtre complet (1988). Je n’ai jamais entendu parler d’une nouvelle édition des Romans ni d’une édition de la Poésie, ce qui demeure une véritable lacune – que ne comble pas l’Anthologie bilingue de la poésie allemande.

Mallarmé : 1/ Œuvres complètes, en 1945 ; 2/ Œuvres complètes I (1998) et II (2003).

Malraux : 1/ Romans, en 1947 + Le Miroir des Limbes, en  1976 ; 2/ Œuvres complètes I-VI (1989-2010).

Mérimée : 1/ Romans et nouvelles, en 1934 ; 2/ Théâtre de Clara Gazul – Romans et nouvelles, en 1979.

Nerval : 1/ Œuvres, I et II, en 1952 et 1956 ; 2/ Œuvres complètes I (1989), II (1984) et III (1993).

Pascal :  1/ Œuvres complètes, en 1936 ; 2/ Œuvres complètes I (1998) et II (2000).

Péguy : 1/ Œuvres poétiques (1941) + Œuvres en prose I (1957) et II (1959) ; 2/ Œuvres en prose complètes I (1987), II (1988) et III (1992) + Œuvres poétiques dramatiques, en 2014.

Proust : 1/ À la Recherche du temps perdu, I-III, en 1954 ; 2/ Jean Santeuil (1971) + Contre Sainte-Beuve (1974) + À la Recherche du temps perdu, I-IV (1987-89).

Rabelais : 1/ Œuvres complètes, en 1934 ; 2/ Œuvres complètes, en 1994.

Retz : 1/ Mémoires, en 1939 ; 2/ Œuvres (1984).

Ronsard : 1/ Œuvres complètes I et II, en 1938 ; 2/ Œuvres complètes I (1993) et II (1994).

Rousseau : 1/ Confessions, en 1933 ; 2/ Œuvres complètes I-V (1959-1969).

Mme de Sévigné : 1/ Lettres I-III (1953-57) ; 2/ Correspondance I-III (1973-78).

Saint-Exupéry : 1/ Œuvres, en 1953 ; 2/ Œuvres complètes I (1994) et II (1999).

Saint-Simon : 1/ Mémoires, I à VII (1947-61) ; 2/ Mémoires, I à VIII (1983-88) + Traités politiques (1996).

Voltaire : 1/ Romans et contes, en 1932 + Correspondance I et II en 1964 et 1965 ; 2/ le reste, c’est à dire, les Œuvres historiques (1958), les Mélanges (1961), les deux premiers tomes de la Correspondance (1978) et les onze tomes suivants (1978-1993) et la nouvelle édition des Romans et contes (1979).

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V. Les volumes « indisponibles provisoirement »

Un volume ne s’épuise pas tout de suite. Il faut du temps, variable, pour que le stock de l’éditeur soit complètement à zéro. Gallimard peut alors prendre trois décisions : réimprimer, plus ou moins rapidement ; ou alors renoncer à une réimpression et lancer sur le marché une nouvelle édition (qu’il préparait déjà) ; ou enfin, ni réimprimer ni rééditer. Je vais donc ici faire une liste rapide des volumes actuellement indisponibles et de leurs perspectives (réalistes) de réimpression. Je n’ai pas d’informations exclusives, donc ces « informations » sont à prendre avec précaution. Elles tiennent à mon expérience du catalogue.

-> Boulgakov, Œuvres I, La Garde Blanche. 1997. C’est un volume récent, qui n’est épuisé que depuis peu de temps, il y a de bonnes chances qu’il soit réimprimé d’ici deux ou trois ans (comme l’avait été le volume Pasternak récemment).

-> Cao Xueqin, Le Rêve dans le Pavillon Rouge I et II, 1981. Les deux volumes ont fait l’objet d’un retirage en 2009 pour une nouvelle parution en coffret. Il n’y a pas de raison d’être pessimiste alors que celle-ci est déjà fort difficile à trouver dans les librairies. À nouveau disponible (en coffret).

-> Defoe, Romans, II (avec Moll Flanders). Le premier tome a été retiré voici quelques années, celui-ci, en revanche, manque depuis déjà pas mal de temps. Ce n’est pas rassurant quand ça se prolonge… mais le premier tome continue de se vendre, donc les probabilités de retirage ne sont pas trop mauvaises.

-> Charles Dickens, Dombey et Fils – Temps Difficiles Le Magasin d’Antiquités – Barnabé Rudge ; Nicolas Nickleby – Livres de Noël ; La Petite Dorrit – Un Conte de deux villes. Quatre des neuf volumes de Dickens sont « indisponibles », et ce depuis de très longues années. Les perspectives commerciales de cette édition en innombrables volumes ne sont pas bonnes. Les volumes se négocient très cher sur le marché de l’occasion. Gallimard n’a pas renoncé explicitement à un retirage, mais il devient d’année en année plus improbable.

-> Fielding, Romans. Principalement consacré à Tom Jones, ce volume est indisponible depuis plusieurs années, les perspectives de réimpression sont assez mauvaises. À moins qu’une nouvelle édition soit en préparation, le volume pourrait bien passer parmi les épuisés.

-> Green, Œuvres complètes IV. Quinze ans après la mort de Green, il ne reste déjà plus grand chose de son œuvre. Les huit tomes d’une série même pas achevée ne seront peut-être jamais retirés une fois épuisés. Le 4e tome est le premier à passer en « indisponible ». Il pourrait bien ne pas être le dernier et bientôt glisser parmi les officiellement « épuisés ».

 -> Hugo, Théâtre complet II. À nouveau disponible.

-> Jeux et Sapience du Moyen Âge. Cas évoqué plus haut de nouvelle édition en attente. Selon toute probabilité, il n’y aura pas de réédition du volume actuel.

-> Marivaux, Romans. Situation évoquée plus haut, faibles probabilité de réédition en l’état, lenteur de la nouvelle édition.

-> Mauriac, Œuvres romanesques et théâtrales complètes, IV. Même si Mauriac n’a plus l’aura d’antan comme créateur (on le préfère désormais comme chroniqueur de son époque, comme moraliste, etc.), ce volume devrait réapparaître d’ici quelques temps.

-> Musset, Œuvres en prose. Évoqué plus haut. Nouvelle édition en attente depuis 25 ans.

-> Racine, Œuvres complètes II. En probable attente de la nouvelle édition. Voir plus haut.

-> Vallès, ŒuvresI. La réputation de Vallès a certes un peu baissé, mais ce volume, comprenant sa célèbre trilogie autobiographique, ne devrait pas être indisponible depuis si longtemps. Réédition possible tout de même.

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VI. Les volumes « en voie d’indisponibilité »

Ce n’est là qu’une courte liste, tirée de mes observations et de la consultation du site « placedeslibraires.com », qui donne un aperçu des stocks de centaines de librairies indépendantes françaises. On y voit très bien quels volumes sont fréquents, quels volumes sont rares. Cela ne préjuge en rien des stocks de l’éditeur. Néanmoins, je pense que les tendances que ma méthode dégage sont raisonnablement fiables. Si vous êtes intéressé par un de ces volumes, vous ne devriez pas hésiter trop longtemps.

– le Port-Royal, II et III, de Sainte-Beuve. Comme les trois autres tomes de l’auteur sont épuisés, il est fort improbable que ces deux-là, retirés pour la dernière fois dans les années 80, ne s’épuisent pas eux aussi. Ils sont tous deux assez rares (-10 librairies indépendantes).

– la Correspondance (entière) de Voltaire. Les 13 tomes, de l’aveu du directeur de la Pléiade, ne forment plus un ensemble que le public souhaite acquérir (pour des raisons compréhensibles d’ailleurs). Le fait est qu’on les croise assez peu souvent : le I est encore assez fréquent, les II, III et XIII (celui-ci car dernier paru) sont trouvables dans 5 à 10 librairies du réseau indépendant, les volumes IV à XII en revanche ne se trouvent plus que dans quelques librairies. Je ne sais pas ce qu’il reste en stock à l’éditeur, mais l’indisponibilité devrait arriver d’ici un an ou deux pour certains volumes.

– les Œuvres de Julien Green. Je les ai évoquées plus haut, à propos de l’indisponibilité du volume IV. Les volumes V, VI, VII et VIII, qui arrivent progressivement en fin de premier tirage devraient suivre. La situation des trois premiers tomes est un peu moins critique, des retirages ayant dû avoir lieu dans les années 90.

– les Œuvres de Malebranche. Dans un entretien, Hugues Pradier a paru ne plus leur accorder grand crédit. Mais je me suis demandé s’il n’avait pas commis de lapsus en pensant à son fameux Malherbe, symbole permanent de l’échec commercial à la Pléiade. Toujours est-il que les deux tomes se raréfient.

– les Œuvres de Gobineau. Si c’est un premier tirage, il est lent à s’épuiser, mais cela vient. Les trois tomes sont moins fréquents qu’avant.

– les Orateurs de la Révolution Française. Série avortée au premier tome, arrêtée par la mort de François Furet avant l’entrée en lice de Robespierre et de Saint-Just. Elle n’aura jamais de suite. Et il est peu probable, compte tenu de son insuccès, qu’elle reste longtemps encore au catalogue.

– le Théâtre du XVIIe siècle, jamais retiré (comme Corneille), malgré trente ans d’exploitation. D’ici dix ans, je crains qu’il ne soit dans la même position que son « homologue » du XVIIIe, épuisé.

– pèle-mêle, je citerais ensuite le Journal de Claudel, les tomes consacrés à France, Marx, Giraudoux, Kipling, Saint François de Sales, Daudet, Fromentin, Rétif de la Bretonne, Vallès, Brantôme ou Dickens (sauf David Copperfield et Oliver Twist). Pour eux, les probabilités d’épuisement à moyen terme sont néanmoins faibles.

13 763 réflexions sur “La Bibliothèque de la Pléiade

  1. Je ne crois pas avoir vu sur ce fil une autre recension documentée de la nouvelle Pléiade des Misérables, signée d’un autre hugolien émérite, j’ai nommé P. Laforgue : elle est plus assassine encore que celle, immense, de Guy Rosa dont l’un de nos contributeurs fidèles se faisait l’écho. Tollite, legete : https://bit.ly/2UQLhZY. On n’y reviendra pas; n’en déplaise à Lombard, l’évolution présente de la collection aboutit infiniment plus souvent à de véritables débâcles éditoriales qu’à des travaux décents.

  2. Ayant lu la recension signalée par NeoBirt7, j’en ai plus vu le caractère informatif et analytique que le caractère assassin. Le second n’étant que la malheureuse conséquence de la mise à jour des graves vices de la nouvelle édition en Pléiade des Misérables, et non pas celle d’une mauvaise intention préconçue.

    Je note d’ailleurs que l’auteur de cette recension, s’il critique sévèrement – et, au vu des arguments qu’il avance, à bon escient, me semble-t-il – les conceptions et les méthodes des éditeurs, il n’épargne pas la collection elle-même en insistant sur les contraintes qu’elles imposent et qui sont toutes néfastes. Et j’ajoute, pour ne pas être taxé d’esprit chagrin une fois de plus, qu’il va même jusqu’à trouver certains mérites, sur certains points, à cette édition.

    Des intervenants semblent préférer gober sans examen toutes les affirmations des éditeurs, sans tenter de les confronter à d’autres point de vue ou à d’autres analyses. On peut certes adopter ce genre de conduite, mais à condition d’être pourvu d’un estomac et d’un foie à toute épreuve. Refusant de goûter à une autre cuisine, ils en viennent même à en nier l’existence. Hier, l’un d’eux n’en est-il pas arrivé à prétendre, contre toute réalité, que : « partout ailleurs on dit du bien de La Pléiade » !

    On peut, certes, n’être pas convaincu par les arguments de l’auteur de cette recension (et ceux de la longue analyse qui a été précédemment signalée), et leur préférer ceux des éditeurs de la Pléiade. Mais, pour cela, encore faut-il avoir accepté d’en prendre connaissance.

    Je tiens pour assuré que celui qui refuse de lire les avis divers sur le travail des éditeurs d’une Pléiade s’interdit d’en avoir une réelle connaissance.

    • M. Laforgue se montre vraiment très sévère envers l’édition Allem (1951), qu’il taxe d’indigence alors même que ses apports ne sont pas négligeables, ainsi la netteté typographique (le roman présente une moins grande densité à la page pour une fonte plus grasse et noire, ce que l’on opposera aux misérables soixante pages d’économie que le texte de l’édition Scepi a gagnées par rapport à celui de son prédécesseur en resserrant la composition) ; la confrontation quasi-systématique avec le texte des « Misères », donnée de manière commode au fil de l’oeuvre ; et la collecte des principales variantes. Cette vieille Pléade reste encore, vaille que vaille, une édition annotée qui rend les premiers secours et se ressent de la curiosité insatiable d’Allem. Certes, son introduction fait dix pages, ses éléments de bibliographie sont sans prétention, et le volume ne comporte aucun discours de la méthode, mais le stakhanoviste de l’édition de textes qu’était Allem ne semble pas s’être distingué par des erreurs techniques de grande conséquence, à la différence de Scepi.

  3. En regardant les parutions de 2018 et la programmation prévue pour 2019, je me disais que la Pléiade/Gallimard est devenue une maison de rééditions décidément ! Dommage. (Ce week-end j’ai terminé la lecture du tome 8 et dernier des œuvres complètes de Walter Benjamin. Passionnant. Si loin de la Pléiade française !)

      • Gallimard perd ses appas un à un : la Pléiade n’est plus ce qu’elle fut, la collection Poésie/Gallimard peine à trouver des poètes de ce temps à la hauteur de ceux d’antan, et la NRF publie une telle quantité de cochonneries qui ne vivent qu’une semaine avant de passer à la corbeille, que mon bouquiniste refuse absolument d’acheter, même à vil prix, tout ouvrage revêtu de la fameuse et jadis prestigieuse couverture « blanche », sachant qu’il n’a aucune chance de le revendre. Même chez Emmaüs on ne le prend plus qu’avec des pincettes et, une fois sur deux c’est pour le jeter à la benne, sans même lui donner la chance de trôner sur une de ses tables de vente. Je puis en témoigner personnellement, ayant bossé deux années comme bénévole dans l’association.

        Croyez-le ou non, même Jean d’O. ne se vend pas si bien que ça dans nos lointaines et barbares provinces, la date de péremption de ses ouvrages étant très courte. La reine déchue tente de se survivre en publiant de temps en temps quelque gros pavé regroupant la correspondance d’auteurs de la première moitié du XXème siècle. Du temps où elle était la NRF. Comme la Pléiade rhabillant sous coffrets colorés ses classiques.

        L’époque est bien derrière nous où nous accueillions avec un frémissement d’impatience les derniers titres de « La Bibliothèque de… » mais quelques ouvrages de bonne facture, rares îlots dans un océan de médiocrité, permettent encore aux naufragés que nous sommes de poser quelquefois un pied sur le sol ferme.

        Il n’y a guère que Quarto pour sauver l’honneur, mais c’est bien insuffisant.

      • Ne croyez pas que cela m’attriste plus que de raison. J’y vois même un grand avantage : cela me permet de lire quelques-uns de tous ces ouvrages que je n’ai pas eu le temps de lire dans ma jeunesse ou bien « au milieu de ma vie ».

        Quand bien même ne paraîtrait plus un seul livre, bon ou mauvais, à partir de ce jour, il restera une masse de chef-d’oeuvre que je ne parviendrais pas à épuiser en plusieurs vies.

        Aussi mon deuil est-il bien léger à porter.

  4. Oh que non cher Lonbard. Tout au contraire. La Pléiades c’était l’édition (avec apparat critique) des classiques et œuvres moins classiques avec des livres épuisés, des textes inédits, des articles (ou poèmes bien sûr) épars rassemblés, œuvres éclairées par des entretiens par exemple, le tout avec un relevé souvent passionnant de variantes d’après les manuscrits. Tout cela n’est plus qu’un souvenir. Tant pis. Mais dommage.

    • On le sait maintenant, l’histoire de la Pléiade, jusqu’à ce jour, peut se diviser, sans trop forcer le trait, en trois périodes.

      La première, des origines aux années soixante, serait l’Enfance. Son ambition alors était de publier les Classiques d’hier et avant-hier et les contemporains dont on pensait qu’ils avaient vocation à devenir des Classiques, sous un format proche du poche tout en étant revêtu d’un bel habillage. En tâchant de présenter un texte propre, un minimum de présentation et de notes (parfois pas du tout). A destination de « l’honnête homme » qui pouvait étaler sa Culture, dans une bibliothèque trônant au milieu de son salon. Age romantique, âge de l’innocence.

      La seconde période, grosso modo le dernier tiers du XXème siècle, serait l’âge de la Maturité. C’est alors qu’on vit ce qui constitue le véritable honneur de la Pléiade et dont nous, vieilles pleureuses, exprimons le regret, à grands cris et avec force lamentations et reniflements. Des belles éditions critiques ou s’en approchant, avec des textes parfois improbables, d’auteurs qui n’avaient pas été admis jusqu’alors à l’Olympe des Lettres ou qui venaient de très loin (jusqu’aux confins chinois et indiens). Comprenant des textes inédits ou difficilement accessibles. Des ouvrages qui comptaient et qui constituaient des Graals pour lecteurs exigeants.

      Puis vint la troisième période, la nôtre et, excusez-moi de le dire comme je le pense, à mes yeux c’est celui de la Vieillesse et de la sénilité. Un radotage de rééditions de vieux ouvrages, parfois grossièrement ravaudés, histoire d’entretenir la nostalgie ; des Classiques mal maîtrisés, voire gâchés, trahissant l’affaiblissement des facultés intellectuelles de la Vieille Dame ; et du n’importe-quoi, des auteurs à la mode du jour ou de la veille, de second ou de troisième ordre, qui sont là pour tenter de racoler un nouveau public (qu’elle méprise en le considérant comme beaucoup moins exigeant), dans un effort désespéré de rattraper sa jeunesse perdue, de draguer à la sortie des lycées, et de maquiller la façade qui se fissure.

      La suite logique ce serait l’admission en Ehpad, la longue agonie et les soins palliatifs, avant une mort indigne, dans l’indifférence.

      Qui sait ? Peut-être une autre histoire sera-t-elle écrite, et la Pléiade, nouveau Lazare, ressuscitera-t-elle d’entre les morts ! Je n’y crois guère, mais il ne m’appartient pas de tuer l’espérance.

      • Nous autres n’iront pas à son enterrement (la plupart du temps les cimetières ne sont guère accessibles en fauteuils roulants), et nous nous contenterons, en pensant à la défunte, de rouvrir les boîtes contenant quelques objets-souvenirs, les vieux albums-photos de famille : les belles Pléiades du temps de sa splendeur et de notre bel âge.

  5. Pour notre ami Lombard, l’éternel optimiste content de (fort) peu. Le tome II de l’Augustin, tout entier consacré à la « Cité de dieu » (2000), offre, outre la préface misérable (13 pages d’un ton trop général et mondain, voire benoît, qui sont loin de rivaliser avec l’introduction de dimensions pourtant comparables mise par Pierre de Labriolle en tête de sa version bilingue partielle des « Classiques Garnier » [1940, livres 1-5]), 158 pages de Notices et notes pour les livres 1 à 18, soit 843 pages Pléiade de traduction (J.-L. Dumas, L. Jerphagnon, C. Salles) mais seulement 12 pages (!!) pour les quatre derniers livres, 19-22, dont la traduction occupe pourtant 250 pages Pléiade. Comme par hasard, cette annotation miteuse qui déséquilibre l’ensemble du volume est l’oeuvre de Jean-Louis Boriaud, l’âne bâté responsable du désastre que fut l’édition Budé des « Fables » d’Hygin (hormis dans notre beau pays, au nom d’un principe de solidarité entre latinistes n’ayant point la tête critique, « asinus asinum fricat », les recensions savantes ont fait montre d’une rare unanimité dans l’éreintement : tous attaquèrent la faible érudition de cette Budé, qui, comme dans la Pléiade du « De ciuitate dei », tente de se dissimuler derrière l’extrême parcimonie en matière d’éclaircissements exégétiques ; l’inaptitude technique de l’éditeur à s’approprier les sources manuscrites d’une oeuvre antique pour les classer puis les valoriser ; sa nullité en matière d’établissement de texte ; et la littéralité balourde et souvent inexacte de sa traduction, que le latin en vis-à-vis soit corrompu ou sain). Quand on sait à quel point la langue de la « Cité de dieu » est entortillée, la prudence suggère de traiter la version Boriaud de ses quatre derniers livres avec circonspection, en la contrôlant par le volume 37 de la ‘Bibliothèque augustienne’ (1960), où texte français et commentaire sont l’oeuvre de Gustave Combès, traducteur un tantinet maniéré mais dans l’ensemble fiable (Goulven Madec a reproduit avec des révisions la totalité de la version Combès de l’oeuvre dans la ‘Nouvelle bibliothèque augustinienne’, Paris, Etudes augustiennes, 1993-1995, 3 vol.).

  6. Le volume Dracula et autres écrits vampiriques est annoncé pour avril. Voilà un livre avec sans doute des découvertes. N’ayant lu que le volume des Œuvres de Bram Stoker et les Vampires chez Omnibus et celui des Évadés des ténèbres chez Bouquins, il y aura beaucoup de nouveaux textes cette fois j’espère! (En plus des incontournables Hoffmann, Polidori, Camilla, Gautier, Ray, Lovecraft….)

    • Tout le monde ou presque est négatif en ce moment à propos de la collection, mais il faut reconnaître qu’elle n’y met pas beaucoup du sien. C’est peu dire que d’avoir des omnibus sous reliure cuir ne m’enchante guère.

      Un ami qui a ses petites entrées chez Gallimard, où il est l’éditeur scientifique d’un de nos plus grands auteurs, m’a confié :
      1/ que Gallimard reconnaît désormais chercher avant tout la rentabilité rapide de ses volumes (pour soutenir le stock des invendables)
      2/ que le 2e d’Ormesson se vend bien
      3/ que Philippe Berthier prépare un volume « Le Grand Meaulnes » d’Alain-Fournier, plutôt dans la sous-collection tirage spécial, qui pour la première fois donc s’aventurerait hors des œuvres déjà publiées en Pléiade.

      • La publication du Grand Meaulnes est une très bonne nouvelle. Il y a pas mal d’œuvres majeures qui mériteraient un tirage spécial hors d’un volume d’œuvres complètes.

        Après la littérature dite gothique, voici donc désormais les ouvrages de vampires. On assiste donc à l’introduction progressive au catalogue d’une certaine littérature « populaire ». Cela laisse espérer des romans comme Les Mystères de Paris – et d’ailleurs, pourquoi ce dernier ne ferait-il pas l’objet d’un tiré à part ?

        À propos de souhaits, j’ai récemment écrit à Gallimard : Oblomov n’est pas à l’ordre du jour – peut-être encore un roman qui se suffirait à lui-même sans le besoin d’une intégrale Gontcharov, quoi que…

  7. Sur Augustin d’Hippone:

    Merci Neo pour votre recommandation d’une édition alternative. La Nouvelle Bibliothèque Augustinienne ne semble pas (pas encore ?) contenir les Confessions. D’où ma question: le volume 1 de la Pléiade (Les Confessions, Dialogues philosophiques), est-il plus recommandable que le volume 2, et selon vous (« vous » collectif), une bonne introduction à Augustin d’Hippone est-elle constituée par: le Pléiade volume 1 pour les Confessions, et la NBA pour la Cité de dieu. Ou proposez-vous une autre édition ? (La Bibliothèque Augustinienne, en quelque quatre-vingts volumes, semble destinée à un autre lectorat.)

    Sur la BA et la NBA: http://www.etudes-augustiniennes.paris-sorbonne.fr/les-collections

    • Le problème est que le choix de Jerphagnon, qui n’était ni un latiniste de grande classe ni un augustinisant insigne, pour diriger cette sélection des principales oeuvres d’Augustin élargie à des traités plus secondaires, à l’exclusion de spécialistes incontestables tels Mandouze, Madec, Brichet, ou de purs philologues ayant bien mérité de l’augustinianisme comme Dolbeau, a déterminé une stratégie de pure vulgarisation qui n’était pas encore la norme pour la Pléiade à l’époque où ces trois tomes furent élaborés. Le choix des collaborateurs est à cet égard parlant ; que des littéraires au sein de ce θίασος, pas le moindre philologue confirmé, la naïveté ayant été poussée jusqu’à confier la traduction et l’exégèse des « Confessions » au fauteur d’une énorme thèse doctorale sur cette oeuvre restée inédite depuis 1979 (!), j’ai nommé Patrice Cambronne (le personnage, visiblement frappé de strangurie scientifique, n’a rien publié de toute sa carrière hormis, en 1993, un petit commentaire à plusieurs mains des livres 4 à 6 des « Confessions » dans l’édition italienne de la collection Lorenzo Valla, et se présente depuis sa retraite comme écrivain…). On prendra d’ailleurs la mesure de la qualité de ce tome Pléiade par l’absence d’annotation à certains traités.

      • En toute justice, il importe de signaler que l’annotation mise par Cambronne à sa traduction des « Confessions » (pp. 1373-1448, après une Notice de 9 pages) est assez bien conçue et rend un peu plus que les services attendus par des néophytes ; elle prête le flanc à la critique de par sa distribution franchement erratique, comme si l’auteur avait dû compenser les sections dont le thème ou le détail exigeait des explications tant soit peu circonstanciées en taillant ailleurs dans l’exégèse, ainsi que par son caractère dépassé dès avant sa parution (le commentaire capital de James O’Donnell, « Augustine. Confessions », Oxford, 1992, vol. 2-3, 900 pages au total, lui a échappé, ce qui suggère une date de complétion antérieure au, ou contemporaine, du tout début des années 90, soit pratiquement dix ans de retard par rapport à la sortie de cette Pléiade en 1998). Il y aurait aussi lieu de discuter le choix de l’édition Verheijen (‘Corpus Christianorum’ 27, 1981) comme texte de base ; d’abord, bien que Verheijen ait reconsidéré l’histoire de la transmission antique et médiévale dans une série d’articles parus dans les années 70, il n’a finalement pas donné une recension à la fois nouvelle et indépendante, car son apparatus criticus n’est guère que le remaniement typographique de celui de l’édition Skutella (1934), qui fit autorité pendant cinquante ans, pour en expulser les familles de manuscrits selon lui dispensables BPZ, AHV, GEMF, ensuite et surtout parce que Verheijen, qui s’écarte toujours plus du codex Sessorianus, le témoin le plus ancien de beaucoup mais terriblement imparfait et remontant hélas à une piètre ascendance, tend à retrouver, par sa préférence pour les leçons des manuscrits C, D, et surtout O, le texte pluriséculaire des Mauristes. Ce retour à un textus receptus préscientifique s’accompagne, comme de juste, d’un grand conservatisme en matière de leçons textuelles ; ni Skutella ni Verheijen n’accueillent les conjectures savantes, alors même que les « Confessions » ne nous ont pas été transmises dans des conditions telles qu’il faille en considérer le texte comme impeccable. Enfin, la traduction Cambronne est malheureusement loin d’être impeccable. Un exemple assez grave se présente dès la deuxième phrase, fecisti nos ad Te ; et inquietum est cor nostrum donec requiescat in Te, dont la Pléiade donne le navrant mot à mot que voici : « tu nous as faits tournés vers toi, et notre coeur est sans repos jusqu’à tant qu’il repose en toi », en y accrochant une note pompeuse et vide. Cf. G. Madec, ‘Libres propos sur les Confessions d’Augustin’, Vita Latina 151, 1998, 23-24 : « toutes les créatures sont faites par Dieu : a Deo ; mais il y en a qui sont aussi ad Deum : orientées vers Dieu, en tant qu’elles sont créées à l’image de Dieu (De uera religione, § 82). Elles sont aimantées. Veulent-elles se soustraire à cette dépendance ontologique, elles sont déséquilibrées (inquiéta). La Quies, en effet, ce n’est pas le repos au sens banal ou vague, mais l’assiette de l’être humain dans son lieu propre : « Notre quies, dit Augustin, c’est notre lieu ; l’amour nous y élève et ton Esprit qui est bon exalte notre bassesse… Un corps, en vertu de son poids, tend à son lieu propre. Le poids ne va pas forcément en bas mais au lieu propre. Le feu tend vers le haut, la pierre vers le bas : ils sont menés par leur poids, ils vont vers leur lieu… Quand ils sont mal en place, les êtres sont déséquilibrés ; qu’on les mette en place et ils retrouvent l’équilibre. Mon poids c’est mon amour… » (Minus ordinata inquiéta sunt ; ordinantur et quiescunt. Pondus meum amor meus) (Conf XIII, 9, 10). Je traduis donc : « Tu nous as faits orientés vers Toi ; et notre cœur est déséquilibré, tant qu’il n’a pas retrouvé son équilibre en Toi ». »

        • Petite correction: le passage latin dont Cambronne, comme tous ses prédécesseurs, a donné une traduction rabot ne tenant pas compte de l’idiolecte théologico-philosophique d’Augustin, se trouve dans la troisième phrase des « Confessions », et non dans la deuxième. Je suis bien désolé de devoir y insister ; un spécialiste de l’évêque d’Hippone, et surtout de son oeuvre autobiographique, montre une bien piètre expertise toutes les fois que ce type de nuances lexicales fines en lien avec la dogmatique augustinienne ne lui apparaissent pas. La même faiblesse colore les 1050 pages, censées introduire à la lecture de la « Cité de Dieu », de son « Saint Augustin, un voyage au coeur du temps » (Bordeaux, P.U. de Bordeaux, 2010-2011-2013).

    • Quelqu’un a-t-il des informations sur la qualité des traductions de la toute nouvelle édition des Belles Lettres, « Œuvres philosophiques complètes » en deux volumes ? Je vous remercie.

      • C’est malheureusement la reproduction inchangée d’une poussiéreuse et fort peu rigoureuse version du milieu du XIXe siècle, laide infidèle par surcroît basée sur le texte pré-scientifique des Mauristes (XVIIIe siècle, lesquels ne connaissaient, et fort mal, que les manuscrits français d’Augustin qu’ils ont exploités au petit bonheur la chance). Maxence Caron, qui est au latin ce que Guy Bedos est à Rabelais, y a simplement ajouté les « Confessions » dans la traduction de Labriolle aux Belles Lettres, l’une des toutes meilleures certes mais marquée par son époque (1925, antérieurement aux grandes investigations sur l’histoire textuelle de cette oeuvre, si bien que l’édition critique du latin sur laquelle elle repose ne possède plus aucune autorité). On fuira ce reprint opportuniste qui n’honore pas Les Belles Lettres.

        • Là on ne peut que vous suivre. Vendre 85 euros des traductions du 19ème siècle est une pratique à la limte de l’escroquerie et c’est très décevant de la part des Belles-lettres.

          • Les Belles Lettres deviennent coutumières du fait; n’ont-elles pas reproduite la traduction Littré de Pline l’Ancien, parue dans la collection Nisard en 1848 puis reproduite chez Firmin Didot (1860, 1865, 1877) avec un texte latin en pied de page ? Certes il s’agit là d’un chef d’oeuvre, considérant tout ensemble l’excellente philologie classique de Littré, superbe éditeur-traducteur d’Hippocrate, et son savoir qui débordait très largement la médecine ; mais le texte latin qu’il connaissait (celui de l’édition Lemaire, 1827-1832, réimpression de celle de Jean Hardouin [1685!], vaguement corrigé par la collation d’un manuscrit important) a été bouleversé de fond en comble par la grande philologie allemande dans les décennies qui ont suivi, et le texte que l’on trouve dans l’édition Budé, en voie d’achèvement (1950- ), n’entretient parfois plus qu’un rapport lointain avec celui que Littré traduisit avec brio. La réimpression de sa traduction à une époque où l’on dispose de la version Schmitt dans la Pléiade, réalisée justement d’après le texte Budé, n’a donc de justifications qu’économiques ; en quête de ventes faciles aiguillonnées dans le grand public par le prestige littéraire dont le dictionnaire de Littré demeure paré (d’Ormesson, pour ne citer que lui, déclarait volontiers son amour envers ces volumes au sens de la langue exquis en sus de leur magnifique sélection de citations), Les Belles Lettres se prennent donc à ressembler au titan allemand du reprint philologique, j’ai nommé Georg Olms.

          • Ne vous fatiguez pas à critiquer le travail de M. Caron. Son dernier ouvrage de philosophie (« La transcendance offusquée »)était orné, en 4e de couverture, de cette simple et sobre mention : « La philosophie n’avait pas encore commencé. C’est fait. »
            Sans commentaire.

          • Autre imposture éditoriale des Belles Lettres, toujours sous la houlette de l’inénarrable Caron, la réimpression du Tertullien français de Genoud(e), dont l’excellent Philippe Chevalier a écrit « il s’agit d’une entreprise éditoriale aujourd’hui oubliée, dont les résonances à l’époque étaient clairement édifiantes et les prétentions littéraires : la traduction en trois volumes des œuvres complètes de Tertullien par l’abbé de Genoude. D’abord journaliste, ardent défenseur d’une monarchie qui l’avait anobli, Antoine-Eugène Genoud (dit aussi Genoude) avait épousé, une fois veuf, la carrière ecclésiastique. Mais c’est dès le début de sa vie publique de polémiste qu’il s’était lancé dans de vastes traductions de la Bible et des Pères qui sacrifiaient souvent à l’élégance, avec une forte tendance à l’abondance et à la prolixité » (« Michel Foucault et le christianisme », Lyon, ENS éditions, 2011, p. 190). La vérité impose de préciser que ce singulier personnage traduisit l’Ancien Testament sans savoir un mot d’hébreu ; quant à son Tertullien, je me contenterai de signaler qu’un aussi éminent patristicien que Jan Hendrik Waszink signale que la version du traité « Sur l’idolâtrie » y est ‘entirely unreliable’ (Waszink et J. C. M. van Winden,  » De Idololatria. Critical Text, Translation and Commentary », Leyde / New York / Copenhague / Cologne 1987, p. 7 note 38). Pour un exemple des imprécisions par éloignement du latin que commet Genoude, cf. De idol., 23. 7 det (= Dominum) fratribus operandi copiam « qu’il accorde à nos frères la grâce de travailler pour vivre », alors que l’idée est indiscutablement ici que, dans l’éventualité où il y aurait besoin que des chrétiens signent la reconnaissance de dette, Dieu veuille plutôt octroyer à ceux-ci l’opportunité / le moyen d’être actifs (i.e. de se passer de cet argent parce qu’Il le leur aura envoyé par le truchement de quelqu’un d’autre), cf. Waszink & van Winden, pp. 292 et surtout 293 (« operandi: Tert. uses a neutral term: he prays that God may give to brethren an opportunity ‘to take action’; this action may be a gift or a loan. In virgo vel. 13, 2 he speaks of a eleemosynae operatio; cf. also Marc. 1, 23, 9: de alien is bonis … nomine eleemosynae et dilectionis operatur »). On traduira donc : « qu’il accorde à nos frères le moyen de s’en passer », cf. Waszink & van Winden « he may confer on our brethren the means for helping ». Les Belles Lettres ont du moins eu l’élémentaire honnêteté de spécifier, sur leur site, que le reprint coordonné par Caron remet en circulation un texte datant de 1840, information hélas noyée dans des flagorneries commerciales visant à faire accroire que cette oeuvre présente encore un réel intérêt.

          • Autres appréciations compétentes sur les versions de textes patristiques données par Genoude : « thoroughly unreliable » (Waszink, « Quinti Septimi Florentis Tertulliani De Anima », Amsterdam, Meulenhoff, 1947 = Leyde / Boston, Brill, 2010, p. 4) ; « de cette exhortation (…) il nous manquait une bonne traduction française, moins vieillie que celle de D. Cousin (Paris, 1684), plus exacte et plus complète que celle de A. de Genoude (« Les Pères de l’Eglise », t. IV, Paris, 1839) » H.-C. Puech, recension de C. Mondésert, « Clément d’Alexandrie. Le Protreptique » (1942), Revue de l’histoire des religions 128, 1944, p. 165 ; « quant aux traductions françaises antérieures (Gaussart, Arnold de Féron, Goujet, Le Renier, De Genoude), elles sont si vieillies ou si médiocres qu’affirmer qu’elle les remplace serait trop peu dire » Puech, compte rendu de G. Bardy, « Athénagore. Supplique au sujet des chrétiens » (1943), Revue de l’histoire des religions 130, 1945, p. 161. Dire que c’est le Tertullien émanant de ce personnage auquel les Belles Lettres redonnent une jeunesse en le présentant bellement comme si elles nous faisaient à tous un signalé cadeau… A ce rythme-là, qui sait si l’éditeur ne va pas bientôt remettre en circulation la traduction de volumes des collections Dubochet ou Panckoucke sous les vivats des ignares de la presse généraliste ?

  8. Je garde à titre personnel un bon souvenir humain de Patrice Cambronne qui fut un de mes professeurs de latin. L’homme est charmant mais ses cours un peu ennuyeux, trop tournés vers la philosophie. Nous avons souvent protesté pour avoir de temps à autre des dramaturges, des poètes ou des historiens.

  9. Je vous souhaite à tous de Joyeuses Fêtes !
    A l’année prochaine !
    (Pourvu qu’elle soit remplie de belles Pléiades, c’est le moment ou jamais de tenter d’y croire…)

    • (au fin fond de l’Auvergne où je vais passer les Fêtes, au milieu d’une ribambelle d’enfants petits et grands, je n’emporte que des livres, l’ordinateur gardera le foyer abandonné)

      • Ce fil va être bien morne sans vous ! Quant aux voeux pléiadesques de l’année à venir, je forme le souhait que le volume sur les vampires ait pris des risques en élargissant le champ des textes au delà des classiques disponibles en un clic comme en osant se livrer à de la critique littéraire dans les Notes et les notes, tout en priant pour le nouveau Michelet (dont les deux tomes sont annotés comme notoirement plus légers que ceux édités par Walter; on a perdu presque deux cents pages) soit de belle tenue.

        • que les Sept Filles d’Atlas et de Pléioné vous entendent et veuillent redonner à leur humble homonyme gallimardesque quelque lustre, afin de ne point continuer à déshonorer leur nom

  10. Que de fautes… « Notices et notes », « sont annoncés ». J’avoue, sur Michelet, que la disparition du long Répertoire analytique composé par Walter (excellent outil, comme dans ses « Historiens romains ») ne me semble présager rien de bon pour la tenue scientifique de l’édition Petitier, car je doute que cet espace rendu disponible ait été si peu que ce soit occupé par l’appareil critique plutôt qu’exploité pour amincir l’édition. L’introduction de Mme Petitier ne laisse d’ailleurs pas penser que la nombreuse équipe scientifique coordonnée par cette spécialiste aura abattu de la besogne très exigeante, si j’en juge d’après la première section d’icelle, divulguée par Gallimard le 13.XI.18 (‘Michelet : le sillage et l’empreinte’) – difficile, vraiment, de trouver à ce texte d’autres épithètes que rhétorique, voire grandiloquent, et creux.

  11. Bonjour, Je m’intéresse aux pléiades avant 1950. C’est pourquoi je questionne les connaisseurs. Je connais les deux volumes reliés en cuir blanc ( Bossuet 1936 et Peguy 1941 ). En existe t’il d’autres ayant eu cette variante ? Concernant les pléiades de la période de la seconde guerre mondiale qui ont été reliés en toile, est ce la toile simili cuir type Skivertex ? Si quelqu’un a des informations à ce sujet, merci César.

  12. D’après certains sites, le volume Pléiade consacré au vampire, à paraître en avril, contiendrait : Christabel de Coleridge, Le Vampire de Polidori, Carmilla de Le Fanu, Dracula et L’Invité de Dracula de Stoker, Le Sang du vampire de Florence Marryat, et des fragments de Byron.

  13. Si on fait le compte du gros roman de Stoker, de sa nouvelle qui devait servir d’incipit, de Carmilla (environ 150 pages), de la nouvelle de Polidori (une quarantaine de pages), du poème de Coleridge (environ 700 vers) et du fragment de Byron (une trentaine de pages), on arrive péniblement à 1150-1200 pages. Espérons que la place assez large restante sera réservée pour des notes critiques et une iconographie assez conséquente.

    • Vous oubliez (oubli de compassion ?) le nombre indéterminé de pages qui seraient occupées par « Le Sang du Vampire »…

      Florence Marryat ! C’est une blague ?
      Seigneur, s’il se peut, éloignez de nous cette Coupe !… Devrons-nous supporter cela jusqu’à ce que mort s’ensuive ? Celle du lecteur ou bien celle de l’éditeur, cela reste à décider… (Ce dernier, ne mettant plus de bornes à ses méfaits, a dû se dire, au sujet du premier, que celui qui endura Duras supportera bien d’être par Marryat marri.)

  14. Cher Monsieur,
    j’ai pu examiner attentivement la quatrième de couverture du volume d’Alain Morvan sur pic.twitter.com/HyYjkwtdfo et je peux vous assurer qu’il n’y a pas la moindre trace du roman de Marryat. Espérons que ce ne soit pas un oubli et que le programme est définitif sinon je n’achèterai pas le volume.

    • Il est pourtant bien présent dans les photos précédemment mentionnées. Je ne connais cependant pas la teneur de ce roman, qui suscite l’ire de Domonkos. Il ne manquera pas de nous l’expliquer j’en suis sûr.
      Plus étonné par contre, de la présence de Byron, qui mériterait un volume dans la collection. Sa présence dans ce volume Vampires semble éloigner pour longtemps toute hypothèse d’une publication intégrale de ces œuvres. Il me semble qu’il figure dans l’anthologie de poésie anglaise, mais ne disposant pas de ce volume, je ne sais l’importance qu’il lui a été donné.
      Je ne compte pas acquérir ce volume Vampires mais salue néanmoins cette publication, qui semble nécessaire pour maintenir à flots (financiers) la collection. Il attirera, comme le volume Gothiques, et comme l’hypothétique volume (s) Tolkien, un public plus jeune vers notre bien aimée collection.

      • L’ire, c’est beaucoup dire, plutôt la moquerie (pour dédramatiser), en voyant Gallimard, pour gonfler son volume Vampires, sortir des oubliettes cet écrivain du troisième rayon. Ecrivain est un mot un peu fort en l’occurrence. Vous verrez qu’à suivre cette voie avec obstination, ils finiront par nous éditer Colette en Pléiade (Ha ha ha !)…
        Mais quelle importance ? Je n’attends rien de la Pléiade en matière de « Romans Gothiques » et de « Vampires »‘, il serait donc exagéré de parler de déception. Je la trouve, ce faisant, une fois de plus « à côté de ses pompes » (ou à côté de sa vocation, pour utiliser un langage plus soutenu). Je passerai au large du second comme j’ai fait pour le premier, après tout rien n’oblige Gallimard à ne publier que des Pléiades répondant à mes voeux, et rien ne m’oblige de mon côté à acquérir toutes les Pléiades à parution. Pas de quoi faire une crise de nerfs et je ne veux gâcher le plaisir de quiconque.

        Par contre, rien (quelques critiques qu’émettront des lecteurs exigeants) ne m’empêchera de me jeter sur le Nietzsche. Cela suffit à maintenir mon excitation. Je respecte profondément Michelet et approuve hautement sa réédition, mais je passerai devant en le saluant, sans y entrer, pas plus qu’il ne me viendrait à l’idée d’entrer dans l’Arc de Triomphe… Quant à Gary, avouerai-je que la perspective de le voir pléiadisé provoque chez moi un plaisir coupable ?

      • Gary : si on l’avait pléiadisé au moment où il recevait son second Goncourt et qu’il était au pinacle, j’aurais peut-être renaudé et considéré qu’il n’était pas urgent de voler au secours de la victoire. Aujourd’hui, alors qu’il nous a quittés depuis un assez long temps et qu’il continue de s’éloigner de nous, je trouve que son admission au (à ce qui fut le) saint des saints se met à ressembler à une audace. A vrai dire j’ai plus de sympathie pour l’homme, son parcours, que d’estime pour l’aspect proprement littéraire de l’oeuvre, mais n’éprouve point de honte à approuver sa parution.

      • Byron occupe 22 pages de l’antologie (à diviser par deux puisque c’est bilingue). En plus de quelques poèmes épars, il y a les chants III et IV du Pèlerinage de Childe Harolde et les chants I et III de Don Juan.

  15. Hélas ! Je n’avais pas déroulé la 4eme de couverture jusqu’au bout et il y a bien cette nullité de Marryat. Honte à moi ! Je n’achèterai pas ce volume !

    • Après mûre réflexion, je crois maintenant qu’au contraire, il faudra se précipiter sur cette édition, qui est appelée à devenir un super collecter du kitch en édition ! Chez les cinéphiles, certains, particulièrement pointus, se vantent de collectionner les canars.

      Bon allez, voilà une raison supplémentaire de boire plus que de raison, ce soir… Que ces dernières heures de 2018 vous soient propices !

  16. Le nom de Gary est pour toujours associé dans mon esprit à une pimbêche que les hasards de la vie avaient mise sur mon chemin et qui me parlait constamment de cet auteur (« grandiose » et douloureusement et profondément : ah ! le sens que prend parfois ce mot « profondeur » chez les femmes !). Jamais l’idée ne me viendrait d’aller le lire, puisqu’elle a rendu, par le souvenir qu’elle a laissé, la chose impossible.

    Loin des polémiques sur la Pléiade et bien loin des vampires, je relis tranquillement Bossuet dans mon coin — dans une vieille Pléiade il est vrai.

    • Auteur mineur, je n’ai jamais cherché à le nier. Il faudrait que je creuse les raisons pour lesquelles je le trouve cependant sympathique (ou plutôt, non, ne creusons pas, je hais la psychologie). J’ai eu la chance de ne pas connaître de pimbêche (il semble que son machisme faisait de l’effet sur les femmes, c’était un temps d’avant metoo) pour m’en dégoûter.

      Je ne « relirai » jamais Bossuet, j’espère seulement que mon temps de vie restant me permettra un jour de le lire pour la première fois.

      Bien à vous.

  17. Vous me direz peut-être, qu’est-ce qui sépare un Gary d’un d’Ormesson ? En valeur littéraire, sans doute rien ou pas grand-chose. Mais Gary a vécu. Ce vécu se lit, se devine, dans ses écrits. Cela fait une oeuvre. D’Ormesson n’a pas vécu, pas écrit, pas laissé d’oeuvre.

    Alors, revenons sur le cas d’Ormesson. Qu’est-ce qui le différence d’Hommes de Lettres de sa classe, voire de sa caste, auxquels il aime se référer (jusqu’à s’identifier) : Chateaubriand, Proust ? Chateaubriand a traversé des époques historiques bouleversantes, il a connu le succès mais aussi la souffrance, les épreuves, les échecs et la précarité. Proust a vécu dans la soie, mais il a souffert de la maladie, de se savoir condamné à une vie courte et fragile, il a connu également la « malédiction » (pour son époque et pour sa caste) de l’homosexualité inavouable. Le cas de Raymond Roussel, sur le mode mineur, est assez proche. D’Ormesson a joui d’une excellente santé, d’une longévité respectable, d’un confort matériel et moral jamais démenti, d’un succès qui n’a connu aucune éclipse, on ne lui connaît pas d’échec. Tout de même, cela n’aurait pas nécessairement fait de lui un mauvais écrivain. Si…

    Chateaubriand, Proust, d’Ormesson ont beaucoup reçu, de par leur naissance : l’éducation, la culture, une langue raffinée. Un style. Mais, Chateaubriand et Proust avaient, en plus, le fameux l’indéfinissable « Génie ». Ce truc dont on ne sait rien, ni de sa nature, ni de sa provenance. Cela n’aurait pas nécessairement fait de d’Ormesson un mauvais écrivain, nombre de grands écrivains étaient dépourvus de génie. Si, au moins…

    Proust, Chateaubriand, ont reçu les idées et les préjugés de leur époque, de leur classe et de leur caste. Ils les ont fait leurs. Ils les ont pris au sérieux. Ils se sont confrontés à eux. Ils ont cherché au plus profond d’eux-même autre chose. D’Ormesson a reçu les mêmes dons, il n’en a rien fait. Il ne les a combattus, ni ne s’en est débarrassé, ni n’en a tiré le meilleur (il existe des grands écrivains conservateurs) : il s’est contenté de les maquiller, de les habiller avec les habits de son époque, du moins les habits que portent les histrions qui aujourd’hui occupent la scène des médias. Il a triché. Multiplié les feintes. Même Dieu ou la Mort sont dérisoires sous sa plume (cela ne va pas plus loin que la fameuse question de feu l’amuseur public Chancel. qui concluait chacune de ses émissions d’un inepte « Et Dieu, dans tout çà ? »). D’Ormesson, c’est le jeu de bonneteau élevé au rang d’Art.

    Chateaubriand, Proust, ont travaillé leur écriture, ils ont sué sang et eau sur leurs feuilles de papier qu’une force irrésistible les poussait à couvrir d’écriture. Ils ont torturé leurs méninges. Ils ont cherché – et trouvé – au-delà d’eux-mêmes. D’Ormesson, non. D’Ormesson ne s’est jamais perdu de vue. Son écriture ne répond à aucune autre nécessité que celle qui conduit l’eau à s’écouler et se répandre. Pourtant, ce n’est pas la facilité d’écriture – encore un donc reçu – qui fait de d’Ormesson un mauvais écrivain. D’autres se sont vu accusés de facilité : Cocteau… Erreur de perspective. La facilité, en littérature, n’est rien. Cocteau (lisez ses journaux) a travaillé son écriture, d’apparence si légère et facile. Il a connu les mêmes doutes que d’autres, réputés « laborieux ». Dans la coulisse (pardon, le backstage, pour parler le sabir contemporain), on se rend compte que l’écriture de Cocteau est laborieuse. Si seulement…

    Si seulement Jean d’O. avait consenti à la moindre remise en question de ses dons. S’il avait compris que les dons qu’on reçoit ne nous appartiennent pas. S’il avait accepté de bosser, de suer, de connaître l’angoisse de la page blanche. Jean d’O. est un fils de famille fainéant. Brillant, mais du brillant factice des paillettes. Jean d’Ormesson n’a jamais su ce que veut dire travailler. Ce mot n’existe pas dans son dictionnaire.

    Le moindre des auteurs publiés par la Pléiade, même ceux que je fustige régulièrement, même Jack London, est infiniment plus écrivain que Jean d’O. (rien que l’acceptation gourmande de ce sobriquet fait de Jean d’Ormesson un Jean-Foutre). Jean d’Ormesson n’a jamais été un écrivain.

    Il ne manque presque rien à Kundera pour que je le mette au même rang. Son cas est peut-être pire. Des épreuves subies dans la Tchécoslovaquie stalinienne, il n’a rien fait. Il n’est pas parti d’où est parti Jean d’Ormesson, mais, d’évanescence en superficialité, il a réussi l’exploit d’arriver où est arrivé Jean d’O. Son cas est pendable.

    Tous deux ne sont rien ou presque rien. L’insignifiance même. Une (double) honte pour la Pléiade.

    • Dans vos résolutions pour 2019 ne figurait donc pas l’oubli de cher Jean d’O. Tout a été déjà dit ou redit sur ce blog. Sa présence n’est aucun cas une honte pour la Pléiade, elle a plutôt apporté du cash à une collection chancelante. J’y vois quelque malice qu’un auteur tant décrié sauve finalement de « véritables » classiques. Évidemment, on peut arguer de la tromperie du lectorat, car en admettant Jean d’O dans la Pléiade on le consacre classique. Le temps fera son œuvre, et je regarde toujours avec suspicion les volumes havane du XXe siècle. Beaucoup d’auteurs à la mode seront oubliés, d’autres déjà oubliés, seront consacrés. Il faut se faire une raison, la Pléiade n’est plus prescriptrice de goûts (l’a-t-elle déjà été ?), c’est le lectorat qui prescrit ses goûts à la Pléiade.
      Il faut aussi un coup de communication bien senti de la part de Gallimard, comme du reste, la publication annoncée puis suspendue des pamphlets de Céline.

      • Oui. Le public fait la collection par son comportement d’achat. Si la Pléiade devient médiocre, c’est la faute de cette espèce en voie de disparition qu’est le lecteur : pour vendre, il faut racler les fonds.

        Si le volume d’Ormesson avait fait un four, certaines orientations de la collection auraient probablement été révisées. Mais puisqu’il faisait figure de cadeau de Noël idéal pour les vieilles gens, il s’en est bien plus écoulé que d’autres volumes, pourtant plus ambitieux.

        C’est ce que le public veut.

        Pour les moins vieux, disons les pré-seniors de 40-60 ans, gageons que Gallimard parie sur le même type de succès en choisissant Tolkien, auteur phare d’une certaine contre-culture populaire qui a eu du succès dans les années 70-80. Gallimard peut même espérer viser les 30-40 (cadeaux de Noël ?) avec ledit Tolkien, les gens des ces générations ayant fait, en leur jeunesse, un succès aux médiocres adaptations de M. Jackson.

        Et la prochaine étape ce sera, dans quinze ans, de viser les nostalgiques du petit sorcier à l’école de la magie.

        • Cher brumes,
          Vous dites que « Si le volume d’Ormesson avait fait un four, certaines orientations de la collection auraient probablement été révisées ». C’est très vrai.
          Mais les conséquences n’auraient peut-être pas été très bonnes pour le destin de la collection, sinon pour celui de l’éditeur qui s’est diversifié depuis quelques années.
          Si les rarissimes auteurs publiés en Pléiade et susceptibles d’engranger quelques ventes venaient à manquer, la collection pourrait s’éteindre purement et simplement.
          N’oublions pas que ce sont leurs ventes qui financent à peu près tout le reste. Chez un éditeur « moyen », une poignée d’auteurs à succès suffisent à financer l’ensemble du reste du catalogue.

          J’en profite pour vous présenter, ainsi qu’à l’ensemble des lecteurs et contributeurs de ce blog et à leur proches, mes meilleurs vœux pour cette nouvelle année – de la santé, de la réussite, du bonheur, de l’amour et de belles lectures.

      • « Honte » et « cash » ne sont pas incompatibles, ne se situant pas sur le même registre.

        Mais, de toute façon, l’argument « un mauvais d’Ormesson qui se vend bien permet de publier un Lais du Moyen-Age » me paraîtrait plus convaincant si La Pléiade était à elle seule une maison d’édition, avec ses pertes et ses profits constituant l’ensemble de son économie. Tel n’est pas le cas. La Pléiade est un département de Gallimard. Je voudrais savoir si les (supposées) pertes financières (dont j’ignore l’ampleur) de la collection – qui, par ailleurs, apporte du prestige à la maison mère, qui n’a plus guère d’autre raison de plastronner, vu la dégringolade de son ancienne série emblématique à la fameuse couverture blanche – mettent en péril l’ensemble du groupe Gallimard.

        Peut-être est-ce le cas et Gallimard serait plus malade encore que je le pense. Si quelqu’un possédait et avait le droit de révéler les véritables chiffres, précis et fiables, je m’inclinerais (je parle bien de chiffres comptables, et non pas de vagues chiffres de tirages, de distribution, de ventes et de retours). Ne connaissant ni le montant annuel des pertes de la Pléiade, ni celui des pertes ou profits de la maison dans son ensemble, je ne reviendrai plus sur ce sujet précis : ce serait parler dans le vide. En se basant sur des rumeurs, des supputations, d’invérifiables indiscrétions, et autres ingrédients bien connus qui font les bonnes manipulations de l’opinion.

        Si je regarde le problème d’un peu plus haut : je ne vois pas ce qui ou bien qui pourrait m’interdir de regretter, voire de condamner, l’évolution de la Pléiade, au prétexte qu’elle reflèterait l’évolution générale de la littérature et de l’édition, et leur réception par le public. Mes regrets et mes condamnations n’en seraient que plus forts. Personne ne me fera manger d’une soupe que je trouve immangeable – tout en reconnaissant à quiconque le droit de la trouver excellente et de le dire – sous prétexte que, de nos jours, toutes les soupes seraient immangeables. Plutôt passer à autre chose.

        • Un de Funès peut financer un Godard. Un jardinier peut remplacer un serveur de restaurant. Une jambe cassée vaut bien une scarlatine. Et autres fadaises du même tonneau. Mille fois répétées, n’en deviennent pas pour autant des vérités incontestables.

          • A mon sens, les directeurs de la Pléiade qui refusent ostensiblement à leur collection le statut de série patrimoniale au motif de la rentabilité, ainsi que le propriétaire de la maison-mère, peu glorieux rejeton d’une lignée qui tant fit pour les lettres françaises, nous enfument en alléguant la mévente chronique des classiques ainsi que leurs difficultés à soutenir les invendables. Les Belles Lettres ne perdent-elles pas gros, bon an mal an, en continuant de publier la Collection Budé ainsi que leurs autres séries d’érudition pure, à côté de leurs innombrables tirages à part et autres embranchements en format réduit ? Seuls ces derniers sont commercialement viables, de sorte qu’une main lave l’autre – quinze Budés par an à la charge financière équilibrée par les ventes de petits classiques antiques ou humanistiques et d’ouvrages culturels, voilà un modèle qui se peut défendre pour une Pléiade moins inféodée à d’infects calculs de boutiquier sur la cote des auteurs en vogue, et qui bientôt accueillera Houellebecq, tout cacographe qu’il soit. Mais non ! Rue Sébastien-Bottin, il s’agit hélas de continuer à enrichir l’actionnaire, bien incapable, tel certain chef d’Etat occidental, de voler de ses propres ailes financières sans être juché sur les épaules paternelles, et qui ne sait que trop combien être le premier Gallimard à clôturer une collection emblématique le ravalerait au rang des marchands de papier imprimé inféodés à la grande finance au détriment de leur prestige dans les salons parisiens. La joie un peu perverse avec laquelle les spécialistes traînent dans la fange la dernière Pléiade en date à avoir été mal torchée par un géronte défunt (le dernier tome de la correspondance balzacienne, Kierkegaard) ou des universitaires peu rompus au métier d’éditeur de textes (Staël, Beauvoir, « Les Misérables », les « Premiers écrits chrétiens ») n’atteint certes pas le grand public, mais elle irrigue les académies littéraires ou scientifiques provinciales ainsi que les facultés des Lettres, remonte à Paris, et par le biais d’Academia.edu et autres sites d’archivage savant avec espace de discussion finit par flétrir les fauteurs de ces méchants volumes, souvent déjà jalousés par leurs pairs pour avoir été distingués en publiant sur Bible. Au final, la Pléiade y laisse de sa réputation déclinante.

          • Mon cher NéoBirt7, permettez-moi de vous citer in extenso, et de reprendre à mon compte mot à mot votre texte : « A mon sens, les directeurs de la Pléiade qui refusent ostensiblement à leur collection le statut de série patrimoniale au motif de la rentabilité, ainsi que le propriétaire de la maison-mère, peu glorieux rejeton d’une lignée qui tant fit pour les lettres françaises, nous enfument en alléguant la mévente chronique des classiques ainsi que leurs difficultés à soutenir les invendables. » car il reflète exactement ma position, bien mieux que mes efforts vains et répétés, dans le fond et dans la forme.

            « (le refus d’un) statut de série patrimoniale au motif de la rentabilité » une douzaine de mots qui exposent la situation de la façon la plus juste possible.

          • Le reste à l’avenant.
            J’avais l’intention d’ajouter – intention oubliée en route – que la basse qualité d’édition des textes réputés plus « difficiles » ne peut même plus soutenir la théorie fumeuse d’un « mauvais bon vendeur » pour un « bon confidentiel ».
            Vous avez réparé mon oubli.

          • Nous ne savons rien des finances de Gallimard, en effet. Il n’en reste pas moins que la première impression de Jean d’O a été vendue rapidement, ce qui est assez rare et a été souligné par le directeur de la collection. La situation financière du groupe est aussi inconnue, mais il a été souvent dit que les best sellers tirent vers le haut les résultats. Je me rappelle qu’Antoine Gallimard avait affirmé qu’Harry Potter avait assaini les finances du groupe, et permis le rachat d’actions.

            Le propos de Neo-Birt est surtout porté contre l’appareil critique. J’y vois une certaine déception du milieu universitaire qui a longtemps bénéficié des lauriers de la Pléiade. Les amateurs n’ont que faire d’un appareil critique prolixe, ni ne s’intéressent à la direction des publications. Sauf, peut-être, pour les volumes en philosophie, et là, votre critique est justifiée (mais en même temps le risque interprétatif et de traduction est mille fois plus important en philosophie qu’en littérature). La place accordée dans les années 1980-90 à la critique était bien trop importante, et je préfère mille fois avoir plus d’œuvres de l’auteur, que des variantes n’ayant que peu d’intérêt (surtout qu’avec internet, on a accès à nombre de manuscrits numérisés).

          • Je rejoins aussi votre avis, Domonkos, sur les publications générales de Gallimard. La collection blanche ne vaut plus grand chose, comme la revue NRF. Mais il me semble, qu’il s’agit ici d’un état général de la littérature française. La période faste du début de Gallimard est finie, elle accompagnait une fécondité incroyable de la littérature française.

            Tout n’est pas à jeter cependant, et si je déserte la collection Blanche, qu’on retrouve en masse dans les Emaüs à 1€ pièce, Folio et Poésie Gallimard ne s’en sortent pas si mal, et la première collection bénéficie souvent de publications en Pléiade antérieures ou postérieures.

            Tiens, je viens de voir d’ailleurs que notre ministre de l’économie a le droit à une couverture blanche.

          • La NRF est une grande revue dirigée par un grand bonhomme. Quelqu’un qui sait trier, et avec classe et élégance, le bon grain et la sotte ivraie.

            Au fond, ce blog doit tout à Gallimard : sa mort à la générosité critique de M. Crépu, sa survie post-mortem à la Pléiade.

            Je ne remercierai jamais assez ce grand homme de m’avoir égorgé publiquement. Ce fut un acte salutaire.

          • J’ai retrouvé cette critique, tout cela pour votre petite ouverture sur Céline. J’espère que vous avez pris la résolution de ne plus écrire d’ouverture…

            Vous attaquiez en plus le parent lointain de M. Crépu, et la famille c’est sacré.

            Plus sérieusement, la NRF (avez-vous d’ailleurs remarqué que la marque NRF figure seule sur nos coffrets de la Pléiade ?, signe de son caractère sacré) gagnerait à faire avec son temps en étant publiée intégralement sur le web (à la manière d’En attendant Nadeau). Je ne sais qui achète encore cette revue, hormis les bibliothèques et quelques étudiants en perdition (c’était mon cas fut un temps).

          • J’espère, Jules, que cette réponse atterrira à la bonne place, je perds un peu le fil… J’avoue, à ma grande honte, mal connaître l’état actuel de Folio, par contre je reste un fidèle de Poésie/Gallimard, on n’y trouve peut-être plus autant de très grands noms qu’il y a un demi-siècle (mais elle n’en peut mais), mais elle reste inégalée et inégalable, et sa survie au milieu du désert actuel est, pour une fois, un honneur pour la Maison. Je continue d’y trouver de quoi satisfaire ma prédilection pour la poésie, et je précise que, contrairement à ce que j’ai souvent lu ici, je ne trouve pas la poésie contemporaine tellement dépourvue de qualités. Au moins en ce domaine, je ne suis pas un vieux réac.

          • Jules, merci pour vos interventions qui reflètent l’opinion d’une majorité silencieuse absente de ce blog mais présente sur des forums littéraires et/ou de lecteurs « de base » (Les amateurs n’ont que faire d’un appareil critique prolixe, ni ne s’intéressent à la direction des publications. […] La place accordée dans les années 1980-90 à la critique était bien trop importante, et je préfère mille fois avoir plus d’œuvres de l’auteur, que des variantes n’ayant que peu d’intérêt)

          • A la fin, c’est toujours l’équipe d’Allemagne (autrement désignée : Lombard) qui « gagne »…

          • @Domonkos, la collection NRF Poésie est, en effet, remarquable. J’ai pu moi même trouver du plaisir dans la poésie contemporaine, même si je la délaisse quelque peu maintenant. Son prix est aussi imbattable, car les petits éditeurs, les seuls qui publient encore un peu de poésie, demandent bien cher pour de petits (mais jolis) ouvrages.

            @Lombard, je ne sais si je reflète une majorité silencieuse, et je ne veux pas paraître désobligeant envers Neo-Birt7 qui a visiblement une place dans le milieu de la critique universitaire. Les universitaires sont indispensables pour établir le texte, et par exemple la pléiade Casanova explique longuement les vicissitudes d’un texte qui intéresse évidemment les amateurs comme les critiques (et finalement, c’est une histoire en soi). Les annotations sont aussi très utiles, surtout pour une œuvre située dans un contexte inconnu du lecteur (mais j’ai parfois l’impression que la Pléiade a baissé le niveau d’exigence de ces annotations, en annotant des choses connues d’un lecteur un peu cultivé, exemple récent le Melville IV de Jaworski). Quant aux critiques, notices, etc, une longueur courte est préférable. Dans les volumes récents, elles posent les enjeux principaux, et si vraiment vous voulez aller plus loin, il y a une bibliographie pléthorique. Je crois aussi que nous, les humbles amateurs, aimons réfléchir sur le texte, en toute modestie bien sûr, et que si la notice nous donne quelques pistes nous ne les refuserons pas. Par contre, il ne faut pas oublier de maintenir le lien entre l’œuvre et le lecteur, et à donner une trop précise orientation du texte, l’imagination du lecteur est laissée à une portion bien trop congrue.

          • Cher Jules, je ne peux que me sentir proche de votre commentaire équilibré qui est un vrai plaisir à lire.

  18. Delenda Jean d’O : pendant longtemps, sa brillante carrière ne m’a pas gênée. Je trouvais l’homme (pour ce qu’il montrait) sympathique, brillant causeur, et cela suffisait. Son élection à l’Académie Française était logique, dans la lignée d’un nombre considérable de ses devanciers, écrivains mondains aujourd’hui oubliés. Sans conséquence. L’Académie Française offre à ses membres tout ce dont ils peuvent rêver en terme de réussite sociale et mondaine, tout sauf l’Immortalité.

    Mais lorsque, au déclin de son âge et au sommet de son succès médiatique et de librairie, tandis que les écrivains considérables disparaissaient et se raréfiaient, voilà que ses plumes de paon ne lui ont plus suffi et qu’il a prétendu, en étant admis dans la collection de la Pléiade, figurer au panthéon des Lettres Françaises. Prétention insupportable et, de ce fait, insupportable il m’est devenu.

  19. Mon cher Neobirt, ne prenez pas ombrage surtout de cette petite pique que je m’en vais lancer de votre côté en ce début d’année (où deux étoiles seulement brillent dans le ciel des lettres françaises : Monsieur d’Ormesson, qui n’est pas mort — détrompez-vous bonnes gens — et un certain Monsieur Houelbeck dont on a des nouvelles (élogieuses au superlatif) presque chaque jour par la bouche et par la plume de journalistes bien inspirés.

    Venons-en à la pique ou à la flèche si vous voulez : pourquoi mon Dieu, sous votre plume à vous, Neobirt, cet épouvantable « au final » qui termine votre longue tirade ci-dessus, où figure d’ailleurs le nom de ce plus grand écrivain français de tous les temps, j’ai dit Houelbeck. Oui, pourquoi ?

  20. Cher Lombard,
    Vous dites préférer mille fois un Pléiade qui propose plus d’œuvres de l’auteur et moins de notes ; alors je crois que les « universitaires » ( quelle étrange façon de réduire le lectorat érudit… Passons) et les profanes sont tous deux perdants puisque d’une part l’appareil critique se réduit souvent à des banalités dignes d’un mauvais classique Larousse ( les vraies difficultés du texte restant dans l’ombre) d’autre part, les Pléiade aujourd’hui, sont presque systématiquement des  » œuvres choisies  » ; donc pour l’argument  » plus d’œuvres à découvrir « , vous repasserez.
    Il y a cher Lombard, des auteurs qui rendent presque obligatoires les notes, c’est comme ça, vous n’y pouvez rien. Je vous mets au défi de lire  » Le cimetière marin  » sans un minimum de notes, ou bien « L’Heptameron » sans de nombreuses notes lexicales. Et même nos classiques du dix-septième siècle nécessiteraient, pour rendre fluide la lecture de leurs textes – mais aussi pour éviter les contresens – de très, très nombreuses notes syntaxiques !
    Vous m’avancerez que l’ignorance n’entame en rien le plaisir mystérieux du texte… Soit.
    Apprécier les formes subtilement harmonisées d’une Bugatti c’est bien. Savoir la piloter c’est mieux.

    • Si vous croyez, Lombard, que le chercheur qui a mis en chantier pendant plusieurs années le manuscrit d’une édition Garnier, Champion, Pléiade recherche plutôt sa promotion personnelle – avec moins d’inscience vous eussiez dit sans doute : sa gloriole de cagot de critique ou de pédant à la cavalière – que l’intérêt de lecteurs hélas de moins en moins bien dotés de la culture générale et / ou des rudiments linguistiques sans lesquels trop d’auteurs sont devenus illisibles, lorsqu’il développe, dans les imites acceptables par la collection qui l’accueille, l’appareil de science, vous n’avez rien compris à la mentalité académique. Ce sont hélas les plus ignorants qui méprisent l’exégèse, faute de la bien comprendre, moins encore d’en apprécier la nécessité selon les périodes, les genres, les auteurs. Je crois parler au nom de la corporation en indiquant que seul un tout petit nombre de spécialistes aiment à faire pénétrer autrui dans leur laboratoire en mettant sous les yeux du public tant des explications plus ou moins élémentaires, réservées en principe pour l’explication orale en travaux dirigés et qui peuvent demander des sondages étendus dans la littérature critique, que des élucidations de sources, d’idées, d’institutions dont seules les plus intéressantes, ayant vocation à entrer dans des articles savants ou à nourrir les footnotes de monographies, retiennent usuellement l’attention du spécialiste au delà de son propre fonds de science. Rien n’est en effet plus absorbant que la constitution d’un commentaire cursif tant soit peu détaillé, tant au vrai la lecture attentive de toute oeuvre peu ou prou malaisée expose à mille mécomptes même le plus chevronné des experts tout en représentant un travail loisible de proliférer dans toutes les directions au hasard de la rédaction d’une note. Les normes que se permettent d’imposer les maisons d’édition compliquent une tâche déjà protéiforme en lui adjoignant d’autres critères que celui de l’intelligibilité intrinsèque de l’oeuvre à publier. Autant il faut admettre que les vastes Notices, notes et variantes dont se leste la Pléiade de Rousseau, qui tiennent tour à tour de la paraphrase explicative ou de l’appréciation littéraire subjective, ne s’imposaient guère pour entendre le Genevois, autant un réseau d’érudition exégétique aussi dense et mieux structuré était absolument requis dans les cas des « Fables » et des « Contes » de la Fontaine, du théâtre de Molière, Corneille, Racine, pour Sévigné, Tallemant, Retz, Saint-Simon, Nerval, Baudelaire, Villiers de l’Isle-Adam, encore que tous ces oeuvres et auteurs se sont tellement éloignés du public contemporain par rapport au milieu des années 70 et 80 que les richissimes Pléiades confectionnées par Collinet, Couton, Forestier, Duchêne, Adam, Hepp, Coirault, Castex, Pichois constituent des viatiques devenus austères par leur propension à assumer une bonne connaissance de la langue classique chez le lecteur, phaséologie comme lexique. Le fin lettré ne sent pas cela ; malheureusement le Béotien non plus ; mais entre ces deux classes de lecteurs, toute une frange laisse tomber ces belles réalisations par dégoût de n’y pas trouver l’assistance immédiate requise par l’évolution du français et de l’enseignement scolaire. Même un maître de la langue française comme Boileau, autrement plus châtié pourtant que les buissonnants Sévigné ou Retz, se lit presque aussi difficilement que la poésie de Valéry pour qui dispose tout juste de souvenirs des rudiments enseignés au collège ; à cet égard, la Pléiade de Françoise Escal (1966) est devenue d’un maniement délicat, entre l’absence de toute aide linguistique, la graphie et la ponctuation non modernisées (détestable habitude qui redevient de mode chez les dix-septiémistes, témoin le Racine et le Molière de Forestier, où abondent, entre autres afféteries pointillistes fidèles aux seuls typographes des éditiones principes, les majuscules aux substantifs), l’explication sporadique des innombrables allusions autres qu’onomastiques. Je dirais donc, en accord avec l’ami Zino et substantiellement avec Demonkos, que l’on a plus que jamais besoin aujourd’hui d’éditions qui glosent les difficultés de langue en bas de page (e.g. le nouveau Molière) tout en s’ouvrant dans l’appareil critique aussi largement que nécessaire au démontage ponctuel des obscurités non intentionnelles de l’auteur comme à des commentaires explicatifs. En lieu de cela, dame Pléiade nous gave de tirages spéciaux mal révisés et de volumes lestés de ‘Dossiers’ imbéciles !

      • Pour ma part, je ne crois pas qu’on soit autorisé à mépriser ou tenir pour quantité négligeable ce qu’on ne comprend pas : la masse de ce que je ne comprends pas est sidérale, je n’en conclut pas pour autant que ce soit du pipi de chat. Mon fils a essayé moult fois de m’initier à la mécanique quantique, par exemple (le pôvre y a encore consacré toutes les vacances de Noël qu’il a passées avec nous et nos autres enfants), sans que j’y comprenne grand chose de plus que des poussières, malgré mes efforts : je ne lui ai pas déclaré qu’il perdait son temps à des billevesées.

  21. Chers amis,

    Je me demandais s’il était possible et intéressant d’actualiser la page « Bibliothèque de la Pléiade », avec l’autorisation de notre hôte bien sûr. Une grande partie des parutions prochaines est obsolète, et nous avons eu connaissance de nombre de publications prévues ces prochains temps. Qu’en pensez-vous ? C’est d’abord par cette page que j’ai eu connaissance de ce blog, et une actualisation ne lui ferait peut-être pas de mal.

    Comme ce travail est assez prenant, que pensez-vous de reprendre ce document quelque part sur un Google Doc, pour permettre la participation des personnes intéressées ? Nous pourrions ainsi être plusieurs à actualiser les données, et Brumes pourrait se charger de leur publication. Qu’en pensez-vous cher Brumes ?

    Bon dimanche à tous.

  22. Misère de la Pléiade. Sauf erreur on a dont tout le programme du premier semestre 2019 et déjà presque tout lu. C’est pathétique non? Michelet Nietzsche ok. Gary ? Ce sont des œuvres choisies donc ! Et Europa? Pour Sganarelle ? (Frère océan I donc pourquoi publier que le II ?) Reste que le Vampires. Pour Byron tout est déjà publié évidemment. Et sans parler des 2 volumes Omnibus. Mais je ne connais pas Florence Marryat ouf unique découverte merci Gallimard/Pléiade. C’est l’UNIQUE texte inconnu dans la Pléiade pour 2019?! Ça fait peur. Très dommage. Tant pis. Ma prédiction s’avère (hélas) juste : La Pléiade Une Maison de Rééditions désormais. Triste….

    • La Pléiade édite des classiques. Ce sont forcément des textes déjà édités, non ?
      Elle le fait dans un format qui lui est propre, et normalement avec un appareil critique de qualité.

      • Les « textes introuvables » des auteurs ont peut-être une raison de l’être : même les meilleurs ne sont pas toujours au sommet de leur forme.
        Tigrane, le problème est que vous avez déjà trop lu !

      • Forcément 2 volumes pour Gary, il faut faire des choix. 4 volumes auraient été bien mieux, surtout pour un auteur qui est encore assez lu. À titre de comparaison, Malraux et ses 6 volumes semblent se vendre bien mal, les coffrets sur l’art partent toujours à des prix très bas en occasion. Les grands projets éditoriaux se portent mal, et il n’y a eu aucun nouveau lancement ces 5 dernières années d’un projet de plus de 2 volumes. Je verrai bien une édition nouvelle de Dostoïevski, même si la concurrence des traductions d’ André Markowicz est féroce.

        Personnellement, c’est le Michelet qui m’interroge. Je n’ai jamais lu son « Histoire », mais je suis étonné que l’on consacre une œuvre sans doute totalement dépassée d’un historien du XIXe siècle. Peut-être a-t-elle quelque qualité littéraire… Il n’en reste pas moins, qu’il y a ici un certain illogisme à arrêter la collection de l’Encyclopédie pour consacrer par ailleurs un auteur très critiqué et considéré comme dépassé par les historiens eux-mêmes. Peut-être qu’il s’agit là alors d’un classique de l’histoire de la méthode historique, mais dans ce cas je ne vois toujours pas bien ce qu’elle fait dans la Pléiade.

        • Personnellement je zapperai Michelet, mais je pense que son importance (outre une éventuelle qualité littéraire) se situe dans l’Histoire des idées, notamment sut la Révolution et la République (encore bien précaire à l’époque, quoique… elle semblerait de nouveau bien précaire selon nos actuels « dirigeants » qui veulent nous faire croire que quelques centaines de trublions affublés de costumes luminescents suffiraient à « la mettre en danger », mais passons).

          Je ne suis pas un fan de Michelet mais je lui reconnais le statut de Michelet.

          Pour Gary je me contenterai de ce qu’on nous donne.

          Pour les Vampires, dommage pour Tigrane, mais le seul inédit (Marryat) aurait dû rester inédit dans notre langue : il y avait de solides raisons (indigne médiocrité) pour cela. Tant pis. Le volume Vampire rejoindra le volume Gothique sur mon rayon… des absents.

          Je me délecte par avance du Nietzsche, en dépit des réserves de NéoBirt7 (sans doute justifiées, mais je ne me situe pas aux hauteurs d’exigence où il réside).

          La Pléiade poursuit son chemin, cahotante et boiteuse, à la suivre on a plutôt l’impression de suivre un enterrement, mais on s’obstine en se souvenant combien elle fut jeune, belle et séduisante !

          • « Je ne suis pas un fan de Michelet mais je lui reconnais le statut de Michelet. » c’est mignon, mais c’est pas exprès. Je voulais écrire, bien sûr : « Je ne suis pas un fan de Michelet mais je lui reconnais le statut de Classique ».

        • Oui, étrange ce Michelet. J’ai réservé auprès de mon libraire par curiosité, mais j’ai aussi l’image d’une histoire obsolète. J’hésite encore à annuler. Bon, d’ailleurs, je vais annuler (la résolution me vient en vous écrivant).
          Cela me fait penser à un de mes vieux souhaits : si la Pléiade s’ouvre à un Michelet, un Darwin mériterait bien d’y figurer.

          • DraaK, Demonkos, Michelet n’est pas plus obsolète que quelques-unes des vieilles gloires de la Pléiade: Hérodote et Thucydide, Salluste, Tacite, tous historiens éloquents ayant marqué leur langue vernaculaire. Ne le confondez pas avec ses collègues et émules Augustin Thierry, Mignard, Guizot, Thiers, dont les « Histoires de France » n’ont pas survécu à la sienne et sont justement frappées d’obsolescence pour avoir manqué tant de ce souffle qui rend Michelet inégalable que de son aptitude exceptionnelle à faire revivre le passé sans pédantisme. Outre son importance stylistique (sauf Villiers de l’Isle-Adam, nul n’a mieux manié le registre sublime que Michelet au XIXe siècle, si riche pourtant de prosateurs ayant sombré dans le pire des ridicules pour avoir cultivé une manière trop oratoire et majestueuse – allez donc, si le coeur vous en dit, lire du Barthélémy Saint-Hilaire, son Aristote ou son Marc-Aurèle par exemple, et la différence vous explosera à la face), l’auteur de « La Mer » et « La Sorcière » nous a légué le Roman national qui a façonné notre pays sur des bases débordant complètement tout ce que peuvent concevoir les tristes penseurs de la droite extrême, les Madiran, Brigneau, et (horresco referens) Zemmour. Une réédition mise à jour de son « Histoire de la révolution », après les fortes ventes des moult volumes de ses oeuvres complètes éditées avec riche appareil critique par P; Petitier, me semble plus que jamais d’actualité – pour une fois que Dame Pléiade ne se déjuge pas, qualitativement parlant, en déférant à la vox populi, on ne saurait en conscience faire la fine bouche.

          • Arf.
            Mon libraire va me prendre pour un bipolaire : j’ai annulé ma commande et, devant un éloge qui vient du plus critique d’entre nous, je me ravise.

          • Michelet pas plus obsolète qu’Hérodote, Thucydide, Tacite et Salluste en effet.

            J’en profite pour recommander « Le récit national – Une querelle française » composé de quinze entretiens entre des historiens et Jean-Noël Jeanneney sur France Culture.

          • En attendant la pléiadisation inéluctable de Houellebecq (juste après celle de Huysmans, à la consécration duquel notre schtroumpf décadent national aura largement contribué, après en avoir fait l’un des personnages principaux de son avant-dernier roman « Soumission »), il est savoureux et indispensable de lire la critique de son ultime chef-d’œuvre « Sérotonine », critique habile, pertinente et d’une férocité diabolique, servie par Pierre Assouline dans son blog « La République des livres »…

            Pour ma part, j’ai terminé hier soir la lecture de ce bouquin, qui a fait descendre de quelques marches dans mon estime notre « grand écrivain », qui se contente, titre après titre, de reproduire les mêmes recettes commerciales (style forcé à l’extrême, répétitif et rigolo, comme « une performance » de Jeff Koons – dont nul spécialiste de l’art un tant soit peu crédible ne prétendra à l’inverse que son talent vaut le dixième de celui des meilleurs peintres de l’histoire -), à chaque fois en moins bien et en plus paresseux (déjà, Soumission – qui traitait de l’Islam conquérant – avait été sauvé du naufrage qui aurait dû l’accabler du fait de la concomitance de sa sortie avec le Massacre de Charlie Hebdo).

            Sérotonine est en effet mal écrit (on sent l’ouvrage vite expédié, pour arrondir les fins de mois), et la vacuité du récit amène Houellebecq à faire du remplissage avec des descriptions insoutenables et des jugements « sociologiques » à l’emporte-pièce : que dire des scènes de pédophilie et de zoophilie, si ce n’est qu’elles préfigurent sans doute des pages encore plus trash dans les prochains romans (viols de nourrissons ou de vieillards grabataires, les paris sont ouverts !) ? Que doit penser l’épouse japonaise de l’auteur quand la compagne du personnage principal, de même nationalité, est dépeinte en amateur de pénétration par un dobermann et de fellation de bull-terrier ? Un point positif néanmoins, la réhabilitation providentielle du général Franco, double inventeur de génie des hôtels de charme (les fameux paradors espagnols) et du tourisme bronze-cul, de sorte que (c’est une suggestion de ma part, pas celle de Houellebecq), à un moment où toute l’Espagne se dispute sur le sort des cendres de l’inénarrable Caudillo, la France a l’opportunité de faire une offre de service et de les accueillir au pavillon de Breteuil, commémorant ainsi « le maître » étalon du tourisme mondial, et fabriquer au passage une seule unité de référence (le franco au lieu du nombres de nuitées, de passagers ou de skieurs) ce qui permettra de graver enfin dans le marbre et de comparer une bonne fois pour toutes les résultats de cette merveilleuse économie du vagabondage…

            Ce qui surprend, à la lecture des critiques du livre (généralement excellentes, comme hier soir au Masque et la Plume), c’est l’indulgence critique dont bénéficie Houellebecq. Un peu comme si, à l’Olympique de Marseille, on prétendait avoir trouvé la synthèse miraculeuse de l’attaquant de génie (entre Mbappé, Messi, Neymar et Ronaldo) en la personne du sympathique Miratouglou (dont les pieds grecs et carrés sont une source incessante de quolibets sur les deux rives du Vieux port, peuchère !). On a beau, comme moi, se laisser piéger chaque semaine par Télérama (auquel je reste néanmoins indéfectiblement abonné), par les éloges encensant les derniers navets de cinéastes prétentieux (souvent français), on s’en veut terriblement d’être tombé une nouvelle fois dans le panneau (ouf, les Golden Globes ont couronné hier soir Bohemian Rhapsody comme film de l’année, alors qu’il avait été assassiné en règle chez nous, malgré la qualité objectivement impressionnante de son acteur principal).

            Je dis cela en précisant par ailleurs que j’ai vraiment aimé Houellebecq : au début c’était original, malin et clairvoyant (sur les affres de l’homme moderne – homo gallus en particulier – et sur la marche du monde). Mais aujourd’hui on est dans un comique de répétition qui tombe à plat, avec toujours le même personnage (plus du tout crédible désormais), dépressif, nihiliste et sexuellement détraqué…

            Houellebecq fait désormais du Keith Jarrett (pianiste de talent s’il en est, mais qui nous sert depuis plus de 35 ans le même album en trio) et du Patrice Leconte (les deux premiers « Bronzés », au Club Med et au ski, étaient hilarants avec leurs répliques cultes, dignes des meilleurs Audiard ; le troisième tome fut à l’inverse laborieux et jamais drôle !). Bref, un artiste qui a perdu son inspiration et sa créativité (l’érosion du talent avec l’âge est une constante historique, rarement démentie) et qui ne fait plus guère que du commercial : les derniers Astérix (y compris les derniers Goscinny) sont à mille lieux des meilleurs (le Légionnaire, le Normand, en Corse…), je n’irai pas voir le combat filmé, organisé dans 10 ans dans un EHPAD de San Francisco, entre Stallone et Schwarzenegger, point d’orgue de leur futur Rocky 15 contre Terminator 3 et je n’achèterai plus Houellebecq, encore moins dans la Pléiade !

          • Bravo pour votre piquante et véridique chronique, Caminos; vous n’êtes pas de ces chemins qui ne mènent nulle part, si je puis me permettre un petit calembour. Je prête complètement les mains à l’analyse que vous faites de « Sérotonine »; pur ressassement des obsessions et autres marottes de l’auteur couché dans une prose que sa quête du nombre oratoire qui toujours la fuit, Houellebecq n’ayant jamais possédé la verve aisée d’un Nabe, pousse dans les écueils jumeaux et biscornus de la vulgarité et du placement de lexèmes techniques inattendus, on dirait l’ultime avatar des « Particules élémentaires », soit une énième auto-insertion de l’auteur en bourgeois convenu fatigué du neurone comme de la flamberge. Dan Brown se rêve de roman en roman en professeur Langdon, brillant, disert, exerçant une magnétique séduction sur le beau sexe, et vivante bibliothèque (malgré les monstrueuses approximations et faussetés dont abonde la documentation qu’il met en forme), Houellebecq, de son côté, décline ad nauseam la Carte du Tendre du salaud de bourgeois brocardé par Brassens ou Claude Chabrol, en posant, pour se hausser du col devant les naïfs; au grand sociologue réfléchissant sur son époque. C’est le charme sulfureux de la canaille croquée par un méchant petit esprit incapable d’idées larges, la chose étant rendue par conséquent inoffensive et peu subversive, bienvenue même dans des discussions entre gens de bon ton – le roman houellebecquien fait en effet diptyque avec l’oeuvre d’un vieux singe de salon récemment disparu. Je goûte aussi peu le cacographe qui eût fait un venimeux abbé de cour sous Louis XV ou Louis XVI que le regretté radoteur à la Melchior de Polignac, ce prélat antilucrétien dont le portrait par Saint Simon semble écrit pour d’Ormession.

          • Cher NéoBirt7, je n’ai jamais dit ou voulu dire (ou alors, à l’insu de mon plein gré) que Michelet était obsolète : je lui ai, au contraire, reconnu le statut de classique. Je sais ce que les critiques disent de la qualité de son écriture, j’ai un peu (litote) entendu parler de son rôle dans la constitution du « Roman national » et du « mythe » de la Révolution Française. J’ai adoré lire « La Sorcière » (et j’adorerais la retrouver en Pléiade). Si je n’achèterai pas son Histoire de la Révolution, c’est uniquement parce que cela ne m’attire pas vraiment et je ne saurais même pas dire pourquoi : sans doute ai-je quelques problèmes avec cette Révolution. Quoique, cela ne m’empêche d’aimer « Quatre-vingt treize » de Hugo… Quand je dis que j’ai des problèmes avec la Révolution, c’est surtout avec son instrumentalisation, par des individus de tous bords politique, c’est sa transformation en dogme pour assoir un pouvoir qui se veut un peu trop unique détenteur de la vérité absolue… Mais, en discuter nous amènerait trop loin.

            Pour en rester à la question de la publication de Michelet en Pléiade, ma principale réserve est motivée par cette réédition de la seule Histoire de la Révolution, au lieu de publier l’ensemble de l’oeuvre de Michelet (au moins son Histoire complète, et deux ou trois ouvrages importants). Comme si ces deux volumes étaient les seuls indispensables, le sommet de l’oeuvre, voire la résumait à eux tous seuls. La possession de cet ouvrage provoquerait chez moi autant de frustration que de satisfaction. Je suis heureux qu’il s’agisse d’une nouvelle édition et non d’une simple réimpression de l’ancienne édition, mais, si on me disait qu’il s’agit de la première étape d’une édition plus large, je crois que la plus grande partie de mes réserves tomberait.

            Reste la comparaison avec les Historiens Antiques (vous auriez pu également ajouter ceux du Moyen Age ou de l’âge Classique) : l’éloignement dans le temps et le fait qu’ils sont presque notre principale source « historique » sur ces temps me les rend précieux. Je n’achèterai pas non plus le Duby, d’autant que je possède déjà à peu tout de son oeuvre, éditée sous sa direction, et que je ne vois pas ce qu’une édition en Pléiade m’apporterait de plus : pas assez de distance pour qu’il me soit nécessaire d’avoir des éclaircissements que l’auteur lui-même ne m’apporterait pas. Et puis, si Duby il doit y avoir, pourquoi lui seulement ? Quelle signification cela peut-il avoir, s’il n’y a pas Le Goff, Lefebvre, Braudel, Leroy Ladurie et consorts, sans parler quelques historiens n’ayant pas le privilège d’écrire en langage françois ?…

            Pour résumer, mon non-achat de Michelet (et encore, peut-être n’est-il pas définitif) répond à un choix de goût personnel, un motif économique également, parce que je ne peux pas me payer toutes les Pléiades neuves à parution, et nullement à un jugement de valeur.

          • Draak, ne vous en faites pas, pour ma part, il y a longtemps que mon (mes) libraire(s) sait(savent) que je suis bipolaire, pour le moins – déjà le simple fait d’acheter des livres ! – mais il lui faut bien me pardonner tous mes atermoiements, mes doubles rétro-pédalages et autres. Bien forcé vu que je suis son meilleur client et très sympa (si, si, si !) Ça ne l’a pas empêché de m’offrir des douceurs enrubannées pour le début de l’an…

          • Cher Domonkos,
            Pas de douceurs enrubannées, mais deux agendas Pléiade malgré des commandes anémiques de ma part en 2018 (la faute au programme Pléiade).
            Je suis aussi le meilleur client de mon libraire et c’est même officiel. Il en a parlé à un journaliste qui a repris l’info dans un papier local (« leur expert-comptable est leur meilleur client »).
            En plus, c’est faux car les scolaires commandent autrement plus que moi.
            (Excusez ce bavardage inconsistant ; ça m’a fait du bien).

        • Le souffle littéraire. J’en ai entendu des extraits à l’occasion d’une nuit récente de France Culture (les seules heures où cette station est encore écoutable : ce sont d’anciennes émissions – ce qui nous change du bavardage de connivence autour de « l’actu », qui constitue désormais le fond unique ou presque de cette radio). Ça m’a convaincu que je devais le lire.

        • Vous avez raison, cher Draak, il faut être précis dans ces matières hautement délicates et essentielles : meilleur client de mes libraires (mon bouquiniste justifie ce pluriel), mais à titre individuel, bien sûr : impossible de me mesurer aux collectivités. (Entre parenthèses, je croise souvent les envoyés des bibliothèques locales, dont ceux qui fournissent le rayon enfants en bandes dessinés : les piles de livres qui s’en vont, composées essentiellement de médiocrités insignes mais tellement prévisibles et « politiquement correctes »… Elles permettent en partie à l’édition de survivre, mais à quel prix en terme de banalisation et de nivellement par le bas !)

  23. En découvrant le programme des 6 premiers Pléiades de 2019, je me dis qu’hélas ma prédiction s’avère que trop exacte, hélas. A l’exception du roman Sang du vampire (que je ne connais pas), tous les titres sont des encore rééditions de textes déjà tous publiés en livre de poche !!! Pathétique… on ne devrait rien découvrir. Le pire étant ces 2 volumes étiques des romans de Gary sans Europa, L’angoisse du roi Salomon, Pour Sganarelle ni même le très beau les clowns lyriques …. tant pis, je garde mes Folios.

  24. L’œuvre d’Antonin Artaud étant tombée dans le domaine public, on peut espérer pour bientôt une édition de ses œuvres complètes chez d’autres éditeurs… peut-être… et qui sait dans la Pléiade 2219….?!

  25. D’avance pardon pour un éventuel doublon.

    Quelqu’un ici aurait des pistes concernant la suite des « Oeuvres complètes » de Flaubert ? La mort de Claudine Gothot-Mersch en 2016, papesse francophone des études flaubertiennes, laquelle était parvenue, malgré le trémas de Guy Sagnes, éditeur valeureux de Fromentin dans la Pléiade, à achever leur volume des « Oeuvres de jeunesse » en 2001 puis avait porté à bout de bras, durant leur (très) longue gestation, deux autres tomes des « Oeuvres complètes » (2013) qui mènent de 1845 à 1862 et « Salambô », semble un mauvais présage alors qu’il reste à publier des écrits aussi emblématiques que « L’éducation sentimentale », « Bouvard et Bécuchet », « Le dictionnaire des idées reçues », matière au moins d’un gros volume et sans doute plutôt de deux considérant que la générosité avec laquelle cette nouvelle édition lève le voile sur les brouillons de l’auteur dans les sections ‘L’atelier de Flaubert’ devrait, en toute logique, nous valoir la reproduction d’un nombre conséquent de paperolles pour les deux oeuvres restées inachevées. La tenue scientifique de cette entreprise ne me semble pourtant pas continûment irréprochable ni d’une qualité uniment supérieure quelle que soit l’oeuvre considérée (sous ces deux rapports, la nouvelle Pléiade des « Oeuvres romanesques complètes » de Stendhal satisfait mieux). De 2001 à 2013, la place de l’appareil critique a quelque peu fondu: 437 pages dans le tome I, 270 dans le tome II, d’une étonnante minceur, et 340 dans le tome III. Cela ne serait pas bien grave si l’indication des variantes avait été claire et maniable ; trois fois hélas, la disparition de la ventilation de l’annotation critique et de l’annotation exégétique par page de texte Pléiade a pour conséquence que l’ensemble des variantes textuelles est collecté à la suite, sans lumière ni subdivision typographique claire, et par surcroît en un corps réduit, dans une section précédant le commentaire proprement dit de chaque oeuvre. Dans le cas de « Madame Bovary », où les variantes sont nombreuses en raison de la pluralité des sources imprimées (9 plus la base du texte, l’édition Charpentier, qui réclame elle-même une quarantaine de retouches), cela nous vaut un véritable capharnaüm de nature à rebuter même le lecteur le plus déterminé (II, pp. 1148-1163) ; l’affaire est d’autant plus lamentable qu’un choix presque complet de variantes, composé selon une typographie qui en rend la consultation autrement agréable, apparaît dans l’édition Gothot-Mersch des Classiques Garnier (1971, 80 pages au total avec une excellente esquisse de l’histoire du texte et des aperçus lumineux sur la ponctuation flaubertienne), qui ne se trouve plus que difficilement et qu’il convenait donc de supplanter pour le tout public lettré. Une édition critique et explicative dont le protocole ne se prête pas du tout à ce qu’on en collige l’apparatus criticus (comme le Stendhal, du reste), c’est un comble ! Gallimard nous fait bien cher payer ses misérables rognages de budget sur les rames de papier… Mais ce n’est pas encore tout. Pour me tenir dans les bornes de ma spécialité, j’ai trouvé le commentaire du « Voyage en Orient » (II, pp. 1511 bas-1589 haut, soit 1240 notes au total pour un texte de 440 pages) très en retrait, tant en quantité qu’en degré d’approfondissement – les explications élémentaires y abondent, et les notes tant soit peu détaillées manifestent un tropisme auctorial marqué ainsi qu’un penchant à la prosopographie plutôt que des compétences d’orientaliste faute desquelles la qualité du reportage flaubertien n’apparaît jamais -, par rapport au commentaire Pléiade livré par Jean Guillaume et Claude Pichois dans leur présentation de l’oeuvre éponyme de Nerval (II, pp. 1398-1662, rapportées à un texte de 520 pages, y compris les variantes, au vrai fort nombreuses et souvent étendues ; or les commentaires historiques ou archéologiques d’un tiers de page, ou même d’une demie page, n’y sont pas exceptionnels). La valeur documentaire du commentaire Pléiade de « Salambô » est assez sensiblement supérieure, ne serait-ce que parce que l’auteur a consulté des spécialistes de l’Afrique du Nord antique, y compris l’immense Jehan Desanges ; on y retrouve néanmoins le même émiettement de l’exégèse en d’innombrables notules dont une infime minorité seulement dépasse les trois lignes, une tendance comparable à l’explication de banalités, une optique excluant l’exégèse littéraire. C’est « Madame Bovary » pourtant qui appelle les appréciations les moins amènes sur la nouvelle Pléiade. Jeanne Bem y consacre une Notice de 30 pages suivies par les variantes et une annotation de 27 pages subdivisées en 406 entrées ; à une vingtaine de notes par page, on imagine volontiers ce qu’il était possible d’expliciter dans un format aussi contraignant et à ce point émietté, hormis les noms propres, les realia et un minimum d’intertexualité. Mme Bem semble surtout s’être efforcée de ne pas redire ce qui était bien mis au point dans l’annotation, beaucoup moins élémentaire, de l’édition Garnier (à 116 notes pour 15 pages dans un format comparable, la statistique parle d’elle-même) ; je lui ferai surtout grief de ne pas avoir multiplié les références à la correspondance flaubertienne dans l’édition définitive de Jean Brunet, dont Mme Gothot Mersch n’a pu faire son profit. Au total, le nouveau Flaubert se situe à un niveau honorable mais témoigne d’ambitions bien plus modestes, hélas, qu’il était de mode dans la Pléiade de la grande époque des Castex, Pichois, Bruneau, Albouy. Mon impatience d’y lire les oeuvres de la fin de la trajectoire flaubertienne se teinte donc de mélancolie.

    • Les deux derniers volumes des Œuvres complètes de Flaubert paraîtront fin 2020 – début 2021 au plus tard. Renseignement obtenu auprès d’Antoine Gallimard.

      • La Pléiade ne s’est pas (encore ?) abaissée au point d’embaucher André Markowitz, translateur littéral depuis le russe et le latin et Dieu sait quelles langues encore. Je puis certifier qu’il sait la seconde de ces langues autant que moi le tamoul. Voici quelques exemples des énormités qui défigurent sa traduction de Catulle (1985).

        DILEXI TVM TE NON TANTVM VT VVULGUS AMICAM,
        SED PATER UT GNATOS DILIGIT ET GENEROS (72. 3-4)

        « je t’ai aimée alors non pas comme on aime une amante,
        mais comme un noble père aime son fils et son gendre ».

        Des mots absents du latin sont ajoutés pour remplir le vers français, ce qu’on appelle cheville (« noble » père), d’autres retranchés (uulgus) ; des pluriels deviennent des singuliers (« son fils et son gendre ») ; le sémantisme de mots clés est restreint abusivement (gnatos = enfants sans distinction de genre, progéniture). Je propose, en allongeant pour bien faire ressortir le sens : « mon amour à ton égard ne fut alors pas seulement celui, vulgaire, qu’on a pour sa maîtresse, mais celui d’un père pour ses enfants et ses gendres ».

        RIDE, QVICQVID AMAS, CATO, CATULLE (56. 3)

        « ris, Caton, toi qui aimes ton Catulle ».

        Le possessif n’est pas dans l’original, faute vénielle en comparaison de l’ignorance crasse de la difficulté posée par quicquid amas : une équivalence avec si me amas n’est guère plausible, et l’on entendra soit « autant que tu aimes Catulle », soit « quoi que tu aimes ».

        NON (ITA ME DI AMENT!) QUICQVAM REFERRE PVTAVI,
        VTRVM OS AN CVLVM OLFACEREM AEMILIO (97. 1-2)

        « à renifler Emilius, malgré l’aide zélée de l’Olympe,
        je ne pourrai distinguer entre sa bouche et son cul »

        « Malgré l’aide zélée de l’Olympe » est un rendu comiquement incompétent ; ita me di ament, que Catulle reprend de Plaute et Térence (il est le seul auteur en dehors des deux comiques latins à s’en être jamais servi), relève du formulaire des serments et possède une valence non pas familière ou vulgaire mais archaïsante avec une touche burlesque, comme en témoigne la prosodie (di est non pas élidé, mais abrégé [correption] : ita me di ament doit être scandé U U _ U U _). On traduira, de manière à respecter l’attaque emphatique du latin et en considérant non putaui comme un irréel qui viendra se fracasser sur le uerum, « en vérité », du vers 4 : « je n’aurais point cru, que les dieux m’aient en leur garde !, faire la moindre différence en sentant la bouche ou le cul d’Emile. »

        NIHIL MVNDIVS HOC, NIHILOQVE IMMVNDIVS ILLVD (97. 3)

        « l’un n’est guère plus sale, l’autre n’est guère plus propre »

        Markowicz méconnaît tout ensemble la valeur de la pseudo atténuation catulienne et le sens des épithètes, puisqu’il en inverse le rendu. Je traduis : « l’un n’est pas du tout plus propre, l’autre pas du tout plus sale ».

        DENTIS OS SESQUIPEDALIS
        GINGIVAS VERO PLOXENI HABET VETERIS
        (97. 5-6)

        « quand la bouche en a (sc. des dents), de dix pouces,
        sur des gencives qui sont celles d’un coffre miteux »

        Markowicz comprend l’hapax ploxenum d’après l’édition Budé et la tradition exégétique, qui s’appuie sur une glose ancienne, comme un coffre ; une étude brillante du linguiste Joshuah J. Whatmough, « Poetic, scientific and otherformsof discourse », Berkeley 1956, pp. 48-49, suggère qu’il s’agit plutôt d’un tombereau à fumier en osier ; « as the basket was worn by use, the broken withies stuck out as much as half a yard, and the mouth, gums, and teeth of Aemilius, foul and diseased, reminded Catullus, he says, of a much used cratis stercoraria » (p. 49). Pour ne rien arranger, la traduction Markowicz, contrainte par la versification française, édulcore la rhétorique catulienne, ici particulièrement forcenée : « sa bouche a des dents d’un pied et demi, et ses gencives ressemblent à s’y méprendre à un vieux récipient à merde ».

        Je n’ai pas besoin de continuer. Ce Catulle français a beau avoir été un événement, son auteur n’a qu’une connaissance superficielle de la langue latine, ignore la phraséologie des poètes et se fiche comme une guigne d’étudier le sens de l’original. On ne saurait lui demander la moindre lumière nouvelle, moins encore de voir juste quand tous ses prédécesseurs tâtonnent dans le noir. Comme enfin le texte catullien est fort mal établi dans les éditions françaises courantes (la Budé antique de Lafaye, les ineffables éditions Latomus et Teubner d’Henry Bardon), autant dire qu’il tire ses flèches dans une pénombre textuelle.

        • Quelqu’un ici aurait-il un avis éclairé à partager sur la qualité des traductions du russe dont la Pléiade, à son honneur, a rempli un grand nombre de volumes entre les années 50 et 70 ? Je sais que le volume sur Leskov / Saltykov-Ščedrin est considéré par les connaisseurs comme un joyau (Sylvie Lunel passe pour une remarquable interprète, comme les Aucouturier père et fils), mais un vieux collègue disait du mal du tome réunissant Griboïèdov, Pouchkine et Lermontov, et la retraduction littérale de la totalité de Dostoïevski par Markowicz a porté tort à la réputation des Pléiades de cet auteur jusque sur les bancs de l’université (renseignements pris auprès de mon ancienne faculté). Le peu que j’ai appris de russe dans ma jeunesse suffit à faire de la linguistique indo-européenne, mais me rend le déchiffrage de n’importe quel auteur tant soit peu sophistiqué particulièrement lent, ingrat, et pénible (tout juste puis-je reconnaître les niveaux stylistiques lorsqu’ils sont conditionnés par des marqueurs grammaticaux tangibles tels que les enclitiques), aussi ne puis-je mesurer la justesse des griefs adressés par Markovicz aux traductions académiques des grands Russes. Je trouve simplement outré de voir cet urluberlu conserver en français les immenses phrases, à la structure non périodique, que laissent bien souvent échapper ceux-ci, et les tours gérondivaux ou participiaux dont le russe est friand et dont la recherche d’équivalents dans notre langue n’ajoute strictement aucune plus-value à la compréhension de l’original. La faiblesse de Markowicz en latin m’inspire du reste d’expresses inquiétudes à l’égard de sa stricte compétence technique sur des langues aussi délicatement modulées que le russe et l’allemand. Un connaissance de la littérature russe me corrigera sans doute sur la qualité d’exécution des, ou de Pléiades, appartenant à ce domaine linguistique. Je prendrai avec philosophie, mieux : reconnaissance, toute éventuelle volée de bois vert. D’avance merci.

          • Cher Neo-Birt7
            J’espère que vous vous portez bien. Comme je vous sens à court d’arguments, je vais vous aider un peu. Les lecteurs, les russophiles et les enseignants que je fréquente (certains sont même universitaires, si, si) et avec qui j’échange sont tous unanimes sur un point : les traductions des grands romans russes à La Pléiade constituent l’édition de référence, même si certaines tentatives plus récentes offre des avantages ou des points de vue différents et intéressants.
            Que cela ne vous empêche surtout pas de réserver le même traitement qu’aux autres à Gustave Aucouturier, Sylvie Luneau, Henri Mongault et Boris de Schlœzer.
            Bonne journée à vous.

  26. Pour Néo-Birt. Gallimard a fait savoir que le nouveau coffret sera finalement édité pour l’anniversaire de Gustave. Un peu de patience donc. Je vous assure qu’il est bien. Avec beaucoup de textes nouveaux inédits et inconnus. Ça changera… Vous me direz.

    • Très bonne nouvelle, cher Tigrane ! En 2021 donc, et deux volumes. Espérons que la qualité sera au rendez-vous – à quoi servent des inédits en quantité s’ils ne sont pas accompagnés des éléments d’appréciation littéraire mais nous sont livrés arrimés à un essaim de piteuses notules n’ayant pas demandé une minute de recherche dans des bases de données (ne parlons pas de Google Books, cette mine acritique d’informations où il faut s’y connaître pour distinguer le bon grain de l’ivraie et discriminer la fantaisie d’avec les faits avérés) ? Vous avouerez, Tigrane, que c’est folie d’annoter le « Voyage en Orient » sans se faire aider d’un spécialiste de la Grèce et du Levant antiques, ni de commenter « Salambô » en ne sollicitant pas un expert ès Punica tant en antiquités, histoire religieuse et langue (dans la liste des adiutores remerciés en II, p. 1236 par la paire Yvan Leclerc-Gisèle Séninger, seul se rattache à cette discipline Abdelhamid Barkaoui, ‘autorité’ bien légère pour une discipline sur laquelle notre pays se situe en pointe depuis Pierre Cintas et Serge Lancel), sauf à être soi-même un polymathe toqué d’orientalisme.

  27. J’ai envoyé un courriel il y a quelques jours à Gallimard, et on m’affirme qui n’y a aucun projet Hawthorne ni aucun projet japonais dans les cartons. Dommage. Cela infirme donc plusieurs éléments avancés précédemment. Par contre, on me dit aussi qu’un projet James sur d’autres romans n’est pas à exclure, sans certitude aucune.

  28. A la demande d’un lecteur qui m’a contacté directement, voici un petit compte rendu du Rimbaud d’André Guyaux.

    Une dizaine d’années après sa sortie, la troisième Pléiade de Rimbaud (2009) en est à autant de tirages silencieusement revus et corrigés par l’éditeur, A. Guyaux, avant tout connu pour des thèses iconoclastes concernant les « Illuminations » ainsi que ses remaniements, à compter de 1981, de la première édition commentée française, par Suzanne Bernard (‘Classiques Garnier’, Paris, 1960), qui avait été reproduite quasiment sans changement depuis 1964). Le décès de J.-J. Lefrère en 2015, l’un des principaux animateurs des études rimbaldiennes et le critique le plus virulent de cette Pléiade, ayant dépassionné un débat qui ne gagnait rien à être hystérisé, il est temps de faire le point, sans y apporter le regard du spécialiste du Carolopolitain mais tout de même en fonction de l’expérience d’un éditeur de textes anciens, sur ce volume qui a été un succès de librairie.

    Passé le choc visuel de l’illustration sur le boîtier imprimé (non plus la photographie iconique du Rimbaud de 17 ans, mais un dessin de Léger inspiré par icelle, dont les qualités ne sont pas trop évidentes), une première constatation s’impose : par rapport à son prédécesseur dans la collection, le polymathe Antoine Adam (1972), Guyaux, pur spécialiste du XIXe siècle, se livre à un exercice de concentration. Son édition ne perd pas seulement 150 pages au total ; l’appareil critique en est notablement plus concis (245 pages contre 372 chez Adam) ce qui semble paradoxal si l’on considère que Guyaux propose une notice assortie de pistes bibliographiques pour chaque composition (hormis une notice assez détaillée à chaque recueil ou subdivision de son volume, Adam se contentait de remarques générales plus ou moins ramassées sur les poèmes individuels avant de les annoter) mais qui se comprend dans la mesure où la nouvelle Pléiade omet les quelques dizaines de pages de lettres échangées par la famille de Rimbaud où il est question de lui sans toutefois que l’élément biographique y soit spécialement caractérisé et où elle taille dans l’annotation de la correspondance rimbaldienne. Ce parti-pris va de pair avec une présentation assez étonnante des textes proprement littéraires : rejetant à la fois l’approche chronologique de Rimbaud poète, qui arrange ses compositions versifiées par périodes (au risque de leur imposer un ordonnancement beaucoup trop largement conjectural, considérant les lacunes toujours considérables de notre documentation biographique), et la canonicité des ensembles de poèmes ou dossiers, s’arc-boutée autour des projets de recueils accrédités par les dires de tel ou tel témoin privilégie de l’activité du jeune Arthur (Demeny – le fameux ‘cahier de Douai’ -, Verlaine, Louis Forain, Germain Nouveau), Guyaux décide de disposer les poèmes selon l’ordo temporum depuis les compositions scolaires et autres vers latins jusqu’à l’abandon par l’auteur de toutes prétentions littéraires. Ce parti-pris minimaliste ne lui fait pas seulement écarter la quasi totalité des groupements poétiques, dont il nie, sans jamais se préoccuper d’en apporter un semblant de preuve dans l’appareil critique, qu’ils aient pu un jour prolonger une, ou résulter d’une, intentio auctoris authentique recherchée pour elle-même, hormis « Une saison en enfer » et « Illuminations » ; elle détermine Guyaux, au lieu de constituer une édition critique, avec apparatus criticus en fin de volume, de chaque texte, à reproduire le curieux patron donné par Bertrand Marchal au tome I de sa propre Pléiade de Mallarmé en éditant à leur place dans l’ordre chronologique approximatif dont il lui faut se contenter, chaque exemplaire qui nous en a été transmis (que penserait-on d’une édition d’Eschyle ou de Sophocle qui, au loin d’imprimer un texte critique reposant sur un choix entre les variantes existantes ayant chance de remonter à l’auteur, par opposition aux fautes de copies et aux déformations volontaires, éditerait à la suite le texte de chaque manuscrit dont la critique savante moderne a démontré qu’il préserve une tradition ancienne de bon aloi ?). La conséquence est évidente : la nouvelle Pléiade abonde en doublons variants : ainsi « Ce qu’on dit au poète à propos de fleurs » figure à la fois parmi les pièces datant de l’été 1871, puis dans la correspondance de jeunesse, au sein de la lettre à Banville du 15.VIII.1871, ou l’une des six versions connues des « Effarés », dont Guyaux reproduit quatre autres (en en omettant donc une), apparaît à sa place dans l’oeuvre poétique puis une autre fois sous sa date dans la lettre à Jean Aicard. Cette politique éditoriale, modification du patron de l’édition dite « Oeuvre-vie » (dir. Alain Bauer, Paris, Arléa, 1991), a été poussée dans ses conséquences extrêmes, nous valant une absurdité de fort belle taille : bien loin d’être rassemblée d’un seul tenant en fin de volume, comme chez Adam, la correspondance se lit chez Guyaux discriminée par périodes – toutes les lettres contemporaines de l’effort poétique (1870-1875) apparaissent pp. 323-389, tandis que celles du négociant pour de bon retiré de ces préoccupations figurent dans la section « Vie et documents » qui occupe le restant du volume avant l’appareil critique, à la suite des pièces biographiques et familiales (pp. 383-805 en 461 sqq.). Il en résulte une Pléiade censée reposer sur le moins de présupposés possible, mais où le lecteur perdra pied d’autant plus facilement que des scrupules diplomatiques dignes d’un tâcheron, et non du philologue chevronné que se veut Guyaux par opposition à Steeve Murphy (dont l’édition intégrale en course chez Champion ressemble passablement à la sienne pour ce qui est de la présentation des textes, arrimée à un appareil scientifique exhaustif et original), ont présidé à la typographie. Selon en effet que Guyaux a pu ou non collationner le manuscrit original de telle ou telle version, le texte en question est imprimé en caractères normaux ou en petit corps ; l’effet visuel est positivement grotesque dans le cas d’une composition aussi fameuse que le « Bateau ivre », rapporté aux apports nouveaux de cette autopsie (citons encore, parmi les pièces composées en petit type, « Les assis », « Villes » I, « Démocratie », « Dévotion »). Les quelques, rares à la vérité, accrétions documentaires nouvelles dont cette Pléiade est le premier véhicule généraliste (« Famille maudite. D’Edgar Poe »), ainsi que, par rapport à l’édition Adam, le petit pamphlet le « Baron de Petdechèvre », compensent-elles ces irritantes nouveautés ? On le croira d’autant moins que la démonstration de leur futilité ressort de la cote forcément mal taillée à laquelle Guyaux a dû s’arrêter dans le cas des quelques compositions hybrides dont une source seulement partielle s’avère être un manuscrit rimbaldien (citons « Les mains de Jeanne-Marie » et « Métropolitain »). Je ne puis ici ne pas songer à ces novices en philologie grecque ou latine qui, rédigeant l’apparatus criticus d’une édition savante, se creusent en vain la tête pour s’efforcer d’y suggérer l’aspect graphique de telle ou telle leçon manuscrite dans le prototype ou un codex valorisé (Alphonse Dain, « Les manuscrits », Paris, 1964², pp. 174-175, qui cloue au pilori toutes ces formes de « l’ultime précision »). Compte tenu de cette stratégie éditoriale pour le moins originale, l’appareil scientifique de la Pléiade Guyaux aurait dû se faire une obligation d’offrir les justificatifs sans lesquels l’édition ne présente pas moins d’arbitraire que « Rimbaud. Oeuvre-vie », en sus des explications ponctuelles nécessitées par cette poésie dense et si souvent originale. Force est de constater que cela n’a pas été fait. On y cherche en vain des explications pour les originalités de cette Pléaide, ainsi qu’une Notice quelconque aux oeuvres proprement poétiques de Rimbaud ; on n’y trouvera pas davantage une mise au point tant soit peu autoréflexive sur les nombreux problèmes des « Illuminations », objet de la thèse de Guyaux par rapport aux conclusions de laquelle il a quelque peu évolué sans préciser pour le lecteur non spécialiste ce qu’il en est exactement, ni dans quelle mesure les nombreuses critiques et objections suscitées par son modèle ancien ont influé sur la matière de sa présentation sur Bible de cette oeuvre. Lefrère ayant violemment attaqué dans l’appareil savant de cette Pléiade l’absence de ce qu’il nomme avec bonheur « le tropisme du petit fait », c’est-à-dire l’érudition matérielle étendue à tous les compartiments du texte à expliquer sans faire fi d’un nécessaire degré d’originalité, point ne m’appesantirai-je pas sur le caractère exclusivement livresque des Notices et des notes de Guyaux (à l’exclusion de toute l’exégèse symbolique de Rimbaud, qu’il a en horreur, le dernier des éditeurs Pléiade exploite jusqu’au pillage les ressources critiques, bibliographiques, doxographiques de l’édition Champion de Murphy quand elle était disponible, en focalisant l’attention sur ses propres parerga comme sur les travaux issus du courant de pensée auquel vont ses suffrages). Il est grand dommage qu’une édition à destination d’un large public s’inféode à ce point aux préférences et aux répugnances de son auteur au lieu de citer avec un peu d’équanimité les positions en présence, plus leur bibliographie, avant d’énoncer sommairement les raisons pour lesquelles certaines lui ont semblé préférables. Il est ainsi d’un fort piètre classiciste de mettre tant soit peu le primat sur les compositions latines du lycéen Rimbaud ; celles-ci ne sont pas beaucoup plus réussies, techniquement parlant, que celles d’innombrables élèves de son époque dans tous les pays d’Europe où la langue de Cicéron faisait alors partie intégrante du cursus secondaire, si bien que l’on ne peut prétendre sans sophisme éhonté que cette production appartienne si peu que ce soit à l’oeuvre poétique du Carolopolitain. Je ne trouve au final qu’une seule idée qui soit à la fois neuve et bonne dans l’ensemble de ce volume : la composition d’un lexique sommaire des mots éthiopiens (en langue amharique). Un appendice tâchant de faire le point sur les oeuvres controversées, notamment la « Chasse spirituelle », aurait été une bonne idée, attendu que nous ne sommes plus à l’abri de nouvelles trouvailles dans les dépôts d’archives locales.

    Pour nous résumer, le Rimbaud de Guyaux fait autrement que celui d’Adam, il ne le supplante pas pour la richesse et la transparence du commentaire et se montre même inférieur à son prédécesseur de par son obstination à épouser les modes éditoriales des années 90 et 2000 au lieu de penser à la commodité du lecteur sans excès de partis-pris. Après la démonstration de T. Matsumura, on consultera ce travail de préférence dans son troisième tirage, sensiblement amendé (2015 ; voir https://tinyurl.com/yask9b3g).

    • Deux errata:

      « le tropisme du petit fait » est une expression de M. Guyaux lui-même dans sa réponse à Lefrère, complètement déficiente sur le fond et d’une agressivité mandarinale dissimulant bien mal son dédain pour ce type de recherches minutieuses, qui devraient pourtant constituer le B.A.BA d’un exégète scrupuleux. Je n’aurais pas dû citer de mémoire la tribune de Lefrère sans m’y reporter, ainsi qu’à l’esquive de Guyaux; mais ars longa, uita breuis.

      L’auteur de l’édition Arléa est évidemment Alain Borer, non le consultant en sécurité bien connu Alain Bauer.

  29. Si j’ai bien compris (à moins d’un oubli de ma part ?), le programme du premier semestre 2019 de La Pléiade se présente comme suit.

    En guise d’entrées, nos nouveautés :
    – un impétrant, en deux volumes, Romain Gary ;
    – une anthologie d’auteurs jusqu’ici absents de la Pléiade (à part quelques pièces de Byron), les Vampires :
    – le second volume, tant attendu, de Nietzsche.
    Soit, quatre nouveaux numéros dans la collection.

    Plats ré-accommodés :
    – nous avons la réédition, en deux volumes, d’une oeuvre déjà présente, l’Histoire de la Révolution Française de Michelet.

    Plats de la veille ou de l’avant-veille, réchauffés :
    – deux coffrets, regroupant de vieux volumes, inchangés (et obsolètes pour l’un d’entre eux) : Baudelaire et Platon.

    Au digestif :
    – l’Album, d’un auteur inédit en Pléiade.

    Nos remerciements au Chef.
    Café, addition.
    …………………………………………………..
    Soit, au total, 10 volumes, dont 4 véritables nouveautés, 2 rééditions, et 4 reprises d’anciens volumes, sous un habillage plus attrayant. On est dans la norme, si on s’en tient à la période récente.

    Depuis 2011, rien qu’en considérant les premiers semestres, le nombre d’inédits demeure stable, autour de 4 ou 5 (2011 fut exceptionnellement bas, avec un rattrapage au second semestre). Sur la même période, les rééditions, soumises à d’erratiques fluctuations, ininterprétables, vont de 0 à 4. Il faudrait remonter plus haut pour voir s’il y a quelque enseignement à tirer de la politique de rééditions.

    Par contre, les coffrets regroupant de vieux volumes usés par le temps, se multiplient miraculeusement comme les petits pains. Il est difficile, en ce qui concerne ce dernier poste, de voir autre chose qu’une tentative de fourguer de vieilles conserves en les rhabillant sous de nouvelles étiquettes plus attrayantes. La Pléiade saisie par la mode du home staging.

      • J’aurais dû bien distingues les deux sortes de coffrets.
        Il y a ceux qui complètent un premier volume ; cela ne me choque pas, surtout si on permet aux acheteurs du premier volume d’acquérir le second volume avec un coffret présentant un logement vide pour accueillir le premier, cela s’est vu.
        Puis, il y a ceux qui regroupent purement et simplement des vieux volumes : c’est cette seconde catégorie, la plus insignifiante sur un plan autre que commercial, que je vois grossir démesurément avec une certaine inquiétude (disons que je n’y vois pas un signe de créativité et de bonne santé de la collection).

    • A noter également, parmi les nouveautés, la récurrence devenue systématique, des nouveaux entrants en deux volumes, qui, sauf exceptions (Jules Verne, Cendrars), ne laissent guère espérer de suite. Sait-son si London s’est bien vendu, auquel cas nous devrions redouter de nous voir infliger une seconde punition, avec ou sans coffret ?

      • Les coffrets servent de cadeaux. 90% des coffrets proposés par la Pléiade datent d’après 2006, c’est une évolution récente qui permet probablement de vendre un peu plus de livres. En effet, l’éditeur a bien compris que, pour en faire un cadeau, les gens préféraient acheter un coffret de deux volumes que deux volumes seuls.
        Personnellement, je ne suis pas intéressé par les coffrets, qui perturbent mes tentatives de rangement dans les rayonnages. Je dois en avoir un ou deux, grand maximum.

        • Décidément mon cerveau a dû mal à rassembler tous les éléments : il est vrai qu’il existe aussi la catégorie des coffrets d’inédits, en passe de devenir systématiques. Je ne m’en étais pas soucié, car la seule catégorie qui m’indispose quelque peu, c’est celle des vieilles éditions, souvent obsolètes, qu’on refourgue sous un nouvel emballage.

          En ce qui concerne les coffrets d’inédits, contrairement à vous, j’adore ça. Je les dispose dos en façade et cela fait de la couleur et de la variété dans mes rayons Pléiade, que je trouve, sans cela, un peu trop austères pour mon goût. (De même, je hais les vieilles éditions reliées, qui ressemblent à des armées de fantassins bien uniformes et bien alignés.) Ce qui me plaît, c’est l’alternance entre les coffrets et les dos classiques. S’il n’y avait plus que des coffrets, je retrouverais l’uniformité sous le bariolage (cela commence à y ressembler pour les parutions récentes, notamment d’auteurs contemporains) et alors je changerai mon arme d’épaule, une fois de plus. De toute façon, ma bibliothèque est en perpétuelle mutation.

          J’ai noté chez l’un ou l’autre d’entre nous, que ces Pléiades en coffret présentent le désavantage de ne pouvoir trouver place dans un sac ou une serviette, pour être lu en voyage. Je l’admets. Mais. Cet inconvénient m’est étranger, car mes Pléiades ne sortent jamais de chez moi (avantage d’être retraité ?).

        • J’eusse préféré que vous préférassiez les coffrets, et que vous défendiez mordicus cette prédilection, cela m’eût évité la plus grande erreur de ma vie pléiadesque : l’achat du coffret Jack London, dans une certaine librairie d’Amiens.

        • Continuant à délivrer les informations au compte-goutte, à l’instar des meilleurs procédés marketing en usage à la Compagnie Disney, le site de la Pléiade vient de nous gratifier des « visuels » du coffret Baudelaire et du coffret Platon.

          A ce propos, peut-être, reniant tous mes principes (j’adore ça, il n’y a pas pire tyrannie que les principes qu’on se forge et qu’on s’impose soi-même), j’envisage d’acquérir ce coffret, car je ne possède pas l’édition de Pichois en deux volumes. (Pour le Platon obsolète, non merci.)

          Mais, que dois-je faire de l’édition que je possède – qui ne semble plus référencée dans le catalogue, même au chapitre « ancienne édition » ou « épuisée » ?
          Il s’agit d’une reprise, en un seul volume de 1900 pages, des deux volumes anciens de Le Dantec, « révisés, complétés et présentés par Claude Pichois », datée de 1961. Un truc bâtard, quoi, intermédiaire entre l’ancienne et la nouvelle édition. Une « curiosité », dans le meilleur des cas.
          Je m’en étais contenté jusqu’à présent car on y trouve à peu près toutes les oeuvres baudelairiennes, aujourd’hui réparties en deux volumes, mais naturellement pas tout le travail critique de la moderne édition de Pichois.
          Si je me décide à acheter le coffret, mon édition qui reprenait celle de Le Dantec, a-t-elle assez de mérites pour être conservée ou non ? Je demande l’avis des connaisseurs…

          • Pour ma part, Domonkos, je me sers du tome Le Dantec-Pichois dans son tirage de 1966 quand je souhaite picorer du Baudelaire sans être gêné par l’appareil critique pléthorique dont l’édition Pichois s’alourdit. Cette Pléiade, dont l’annotation (262 pages) est essentiellement textuelle pour la poésie (dans le cas des « Fleurs du mal », un relevé de variantes tout pur où s’entremêlent à l’occasion quelques brefs rudiments d’analyse sourcière) et n’offre guère de notes que pour la critique littéraire ou artistique et l’oeuvre journalistique, reste le plus commode des bréviaires. En revanche, l’édition Garnier de ces groupements factices que sont « Curiosités esthétiques » et « L’art romantique » donnée par Henri Lemaire en 1962 est périmée, son commentaire ayant été entièrement refait et fort renouvelé et approfondi dans le tome II de la Pléiade de Pichois.

          • Merci pour ces renseignements, NéoBirt7.
            Je crois pouvoir penser que votre édition de 1966 n’est pas ou guère différente de mon édition de 1961. Je n’imagine pas Pichois révisant profondément, en 1966, sa copie de 1961, avant d’en rendre une autre, sous la forme des deux volumes, quelques années plus tard (1975). Ainsi, si je me laissais tenter par cette dernière, j’aurais peut-être intérêt à conserver la première. Encore n’est-il pas certain que la seconde me soit indispensable, n’étant pas spécialiste des écrits critiques et esthétiques de Baudelaire qui constituent la matière du volume II. Alors, adieu le coffret aux couleurs chatoyantes ?

          • Et je surenchérit sur vous pour le terme « bréviaire » : posséder tout Baudelaire en un seul volume qui tient dans la main, me sied.

          • Le Baudelaire de Pichois est véritablement un ‘must have’ dans toute bibliothèque de lettré, et cela vaut autant pour les « Oeuvres complètes » que pour la Correspondance (deux volumes assez fins où l’appareil critique pèse presque autant que le texte des lettres elles-mêmes). Le Baudelaire par Pichois/Le Dantec en constitue une editio minor valant par sa commodité, à l’instar de la très honorable Pléiade de tout Montaigne signée Rat vis-à-vis des seul « Essais » réédités par Balsamo et les Simonin ou du Mallarmé de Mondor (/ Aubry) par rapport aux deux volumes de la réédition sur Bible par Marchal, fort peu commodes comme je l’ai exposé en rendant compte du nouveau Rimbaud par Guyaux.

          • D’un autre côté – ah, maudite indécision ! – posséder un volume (le I de la dernière édition Pichois), composé uniquement des textes de création littéraire :

            – Les Fleurs du Mal – Poésies diverses – Le Spleen de Paris – Les Paradis artificiels – Essais et nouvelles – Théâtre – Journaux intimes – Carnet

            me remplirait d’une joie ineffable.

            L’avouerais-je ? il ne me déplaît pas tant que cela, de voir « rejetées » dans un volume II, les oeuvres critiques et polémiques :

            – Critique littéraire – Critique d’art – Critique musicale – Sur la Belgique – Œuvres en collaboration – Journalisme littéraire et politique

            dont je ne fais pas mon pain quotidien. (Contrairement aux Poésies et poèmes en prose, qui m’accompagnent constamment, quand ce n’est pas avec, en plus, en paysage sonore, la voix de Léo Ferré).

            Je vais être obligé de lancer ma Carte Bleue en l’air, et décider selon qu’elle retombera sur le côté pile ou sur le côté face.

          • Je n’avais pas encore lu votre toute dernière intervention. Elle a fait retomber ma Carte Bleue du côté pile. Donc, ce sera le coffret, cochon qui s’en dédit ! Ô mon maître, je vous remercie de m’avoir tiré des affres de ce cas de conscience !

  30. Mon cher Domonkos, ce n’est pas bien. Vous cherchez un nouveau prétexte pour acheter de nouvelles Pléiade — que rien ne justifie, ou si peu : car Baudelaire c’est Baudelaire, avec ou sans Monsieur Pichois. Et Baudelaire en un seul volume, n’est-ce pas se montrer en tout fidèle à l’idée géniale de Jacques Schiffrin (bien avant que Gaston s’en mêle) ?
    N’est-ce pas ironique aussi que vous cherchiez à acquérir de nouvelles Pléiade dans le temps même où de mon côté je cherche à me débarrasser des miennes ?
    Mais pour « faire parler la vérité », je dois dire que le plaisir d’une Pléiade dans son sac m’a repris ces dernières semaines, et j’ai de ce fait constamment « mon Bossuet » sur moi, c’est-à-dire avec moi.

    • « Baudelaire c’est Baudelaire, avec ou sans Monsieur Pichois Et Baudelaire en un seul volume, n’est-ce pas se montrer en fidèle à l’idée génial de Jacques Schiffrin ? »

      Cher Ahmed Berkani, permettez-moi de vous emprunter cette maxime qui résume tout l’esprit de La Pléiade, et de l’afficher au mur. 🙂

      • On peut certes aujourd’hui lire Baudelaire, sans aucun appareil critique (ou bien l’écouter par la voix de Léo Ferré), sa langue est encore à notre portée, dans toute sa clarté (de moins en moins sûr au fur et à mesure que viennent de nouvelles générations qui sont nées et ont grandi dans un nouveau monde), et on aura l’impression de lire ou d’entendre un frère. Mais ce sera une impression fausse. Baudelaire n’est ni mon ami, ni mon frère, ni mon contemporain.

        Je croirai qu’il me parle directement et pour moi seul, mais au prix de combien d’erreurs et de malentendus ?

        En rester à ce premier degré de lecture, ne pas avoir envie d’en savoir plus sur l’homme et sa création, ne pas avoir envie de connaître ce qui se dissimule souvent sous la musique des mots, ce n’est pas seulement un manque de curiosité, mais une vraie marque d’inculture et, finalement, de mépris pour l’oeuvre qu’on prétend apprécier.
        Ou d’une incroyable prétention, comme si nous avions, nous lecteur né un siècle après le poète, la faculté de tout comprendre à l’aide de nos seules lumières personnelles, sans doute accordées par quelque grâce divine.
        Pardonnez-moi la tournure violente de mon propos mais si j’aime généralement considérer ces débats avec quelque distance et si je respecte la liberté de chacun, lorsque je vais au fond des choses la colère me prend. Il ne faut pas confondre spontanéité, liberté de jugement, et apologie de l’ignorance et de l’autosatisfaction. Ou alors c’est moi qui suis un pauvre béotien de ne pas me croire capable de tout capter dans les poèmes de Baudelaire sans quelques éclairages de spécialistes ?
        J’adore les Maîtres chinois du Chan (Zen) qui répondaient aux questions de leurs disciples par un silence, un borborigme ou un coup de bâton. Partisans, bien avant les « rebelles » de Mai 68, de la copie vierge aux examens. Il n’en demeure pas moins que, dès la dynastie Tang (ou celle des Song ? je ne sais plus, l’époque de notre Moyen-Age en tous cas), les autorités mandarinales chinoises avaient pris soin d’inscrire dans le règlement des Examens permettant d’entrer dans les rangs des Lettrés, un article précisant que ne seraient pas prises en compte les copies rendues volontairement blanches… Je suis entièrement d’accord avec ces vieux mandarins confucianistes.

        Et puis quoi, marre aussi de cette opposition primaire entre le « plaisir pur » qu’il y aurait à lire une oeuvre, dépouillée de tout commentaire, et l’ennui mortel qu’il y aurait à lire des critiques, des analyses, des notes ou des variantes. Peut-être vous êtes-vous ennuyés en classe pendant les cours de Lettres, pas moi. Je bichais. Et l’analyse d’une oeuvre n’ôte rien au plaisir que me donne la lecture de l’oeuvre, au contraire elle me donne un plaisir supplémentaire. Celui de voir ce qui est caché, d’entendre ce qui est sous-entendu, de me rapprocher du coeur même du travail du poète?

        L’érudition n’est pas synonyme de tristesse, mais d’une joie rare, celle de l’Esprit, qui n’est pas plus méprisable que celle de l’Instinct.

        Bien entendu, ces propos ne s’adressent pas du tout à vous, mon cher Ahmed.

    • Ahmed, c’est mal de votre part, de donner des verges à Lombard pour mieux nous battre !
      Certes, tout Baudelaire en un volume, c’est bien, mais… ai-je tellement envie d’un volume baudelairien dont plus de la moitié est consacrée à l’oeuvre critique et esthétique… dont je me moquerais bien si elle n’était de Baudelaire ?
      Corollaire, résisterai-je à un Baudelaire contenant, dans un volume élégant, moins épais et plus maniable, agrémenté d’un solide appareil critique (IN-DIS-PEN-SA-BLE, pardon pour les majuscules, qui, j’en suis conscient, correspondent à un hurlement, mais c’est à l’usage des sourds), contenant seulement l’oeuvre poétique et littéraire, vers et proses, mais toute l’oeuvre poétique et littéraire, vers et proses ?
      Je vous pardonner cher Ahmed, je vous pardonne bien volontiers, mais je n’oublierai pas.

    • Dites-moi plutôt ce que vous trouvez dans Bossuet. Je n’ai jamais fréquenté cet auteur (pas par préjugé, par manque d’occasions et ignorance). A vous entendre l’évoquer derechef, je prends conscience de ce trou dans ma culture, moi qui révère les auteurs du XVIIème siècle ! Je me dis que je ne peux mourir sans avoir au moins essayé…

      • Je suis comme vous : je voue un amour véritable à cette langue du XVIIe. Plus généralement, tous les états de perfection par lesquels la langue française a passé m’intéressent passionnément.
        Mais il y a plus dans Bossuet : il y a cette sorte de gravité que je trouve chez les auteurs catholiques (mais pas que chez eux) qui m’émeut, fait même plus que m’émouvoir : elle m’invite à la méditation, met un peu de plomb salutaire dans mes ailes.

        • Mon rayon à dos rouge est, de toute façon, trop maigrelet, il faut que je le complète. Pourquoi pas avec Bossuet ?
          D’accord avec vous au sujet des auteurs catholiques (Bernanos) et aussi avec le « pas qu’eux ».

          • Bernanos ! Aujourd’hui… qu’est-ce qu’il nous manque.
            La gravité.
            Est-ce que ça existe encore ?
            On ne connaît que le ton dramatique. Ce qu’il y a de plus faux.
            Même Malraux, qui me faisait rire dans ma jeunesse, a l’air d’un puits de gravité parmi nos post-modernes. C’est la gravité avec moins de sérieux, quelques crans en-dessous.
            (D’ailleurs, quand je me remémore sa prophétie – le prochain siècle, religieux – qui le faisait traiter de gaga – je fus de ceux qui – je me dis qu’il n’était pas tant que ça à côté de la plaque.

        • Les réactions de lecteurs comme Lombard et même l’excellent Ahmed, où l’outrecuidance le dispute à la naïveté, ont de quoi désespérer les chercheurs qui, pour confectionner une Pléiade, détournent une grande partie du peu de loisirs que leur laissent les charges d’enseignement et les soucis de leur oeuvre scientifique. Pichois le premier attire l’attention, à la fin de sa notice aux « Fleurs du mal », sur le caractère archéologique de l’explication de texte d’une telle poésie ; je voudrais que les tenants d’une sympathie (au sens étymologique) entre le lecteur moderne et l’auteur méditent chaque mot de sa prise de positions : « nous sommes, en effet, placés devant les Fleurs du Mal comme les moines du Moyen Âge devant le texte de Virgile. De scoliaste en scoliaste la compréhension s’approfondit — ou s’obscurcit. Avec cette aggravation que nous sommes menacés de nous méprendre sur le sens même des mots et des expressions, donc sur le sens des poèmes. Aussi avons-nous multiplié les notes lexicologiques. D’excellents commentaires dus à de brillants critiques français et étrangers ne pèchent-ils pas par une méconnaissance des vocables ? Si pour lire Virgile il faut apprendre le latin, pour lire Baudelaire il faut apprendre la langue du milieu du XIXe siècle français, qui est devenue, quasiment, une langue morte. Apprendre une langue, c’est aussi reconstituer les structures mentales d’une époque. Notre temps ressemble peu à la monarchie de Juillet » (« Oeuvres complètes », I, p. 820).

          • Cher Neo-birt7,
            C’est intéressant. Auriez-vous quelques exemples textuels de méprises que nos naïvetés pourraient nous faire commettre à la lecture d’une phrase en apparence simple ?
            J’interviens par hasard dans le débat, mais la langue de Baudelaire me semble assez limpide, à un siècle de distance (alors même que j’ai lu Homère dans une édition Budé dépourvue de notes (outrecuidance ?)). Même si j’ai bien conscience que, évidemment, s’agissant de poésie, les strates de sens ne peuvent que s’accumuler.

          • Draak fut là, comme à vous « la langue de Baudelaire me semble assez limpide, à un siècle de distance », et même celles des XVIIIe et XVIIe siècles.

          • « (…) pour lire Baudelaire il faut apprendre la langue du milieu du XIXe siècle français, qui est devenue, quasiment, une langue morte. Apprendre une langue, c’est aussi reconstituer les structures mentales d’une époque. (…) »
            Ces deux seuls membres de phrase devraient suffire à éclairer la question et emporter la conviction. Sinon, c’est à désespérer, en effet.
            Et, je le répète, une lecture « savante » n’empêche absolument pas d’avoir également une lecture « naïve », la raison vole au secours de la sensibilité et ne lui ôte aucune de ses vertus, la poésie ne perd rien à être éclairée et un beau vers peut supporter des tonnes de commentaires : pour ma part, j’ai lu à peu près tout ce qu’on a écrit sur « El desdichado » de Nerval (cela doit faire des dizaines de pages pour chaque vers, tant le poème est abrupt) et pourtant la poésie est intacte, l’émotion également. Je défie quiconque de lire Hölderlin sans appareil critique : celui qui prétend pouvoir lire Hölderlin directement « dans le texte », sans s’appuyer sur rien d’autre, ne lit pas Hölderlin.

          • Lombard, je vais tomber encore une fois dans la même désespérante chausse-trappe, en vous répondant, chose ô combien vaine ! Et qui va m’attirer l’accusation de pratiquer le terrorisme intellectuel (moi qui n’ai jamais mis les pieds à l’Université, pas même au lycée ou au collège : je fus, je suis et je reste un « Primaire ».)

            Je le sais pourtant bien qu’il n’y a pas de discussion possible avec vous : discussion signifie échange d’idées et d’arguments, or vous ne répondez jamais à un argument par un autre argument, vous vous contentez de répéter obstinément la même conviction, sourde et aveugle, que vous tirez de quelque science infuse d’essence probablement divine. Cela vous suffit, c’est pour vous incontestable, cela ne peut être mis en cause, aucun doute ne vous visite jamais.

            Pour ma part, je me suis forgé au fil des ans un noyau d’intimes convictions, comme tout un chacun, et je les défends parfois avec une fougue excessive. La violence verbale, ça me connaît. Le rétropédalage aussi. Je l’assume. Plus d’une fois j’ai dû nuancer mes avis, voire carrément les renier, face à des opinions différentes et mieux argumentées, reposant sur de meilleures connaissances que les miennes. Je n’ai jamais perçu, chez vous, la moindre remise en question, le plus léger doute.
            On ne vous demande pas de changer d’avis, simplement de prendre les autres avis en compte, de donner l’impression de les avoir lus et de n’être pas tout à fait insensible aux arguments qu’ils contiennent.

            A vous lire ce sont toujours les mêmes mots : est-ce que vous pratiquez l’auto copié-collé ? A moins que vous ne pratiquiez la scissiparité. Vous semblez ne supporter l’autre que sous la forme du même. Ce même que vous recherchez sans cesse et qui confirmera votre conviction, vous donnera l’impression d’appartenir à la mythologique « majorité silencieuse ». Et vous croyez souvent rencontrer ce miroir là où il ne se trouve pas, ce qui vous attire à l’occasion des démentis.

            Vous ne craignez même pas le ridicule de trouver facile ce qui ne l’est pas. La langue du 17ème siècle paraît effectivement limpide, ce qui ne veut pas dire qu’elle nous est pas étrangère. Nous ne devrions pas confondre l’apparence et la profondeur, et l’eau la plus transparente est tout de même déformante. Combien de faux-amis se cachent sous cette limpidité ! Combien d’erreurs, de malentendus, d’obscurités prises pour de la clarté ! Combien de préjugés, de sentiments, de références culturelles ou historiques, chez ces personnages du Grand Siècle, qui n’appartiennent plus à notre univers mental. Combien de fois croyons-nous reconnaître en eux ce qui ne se trouve qu’en nous-mêmes, et nous réjouissons-nous naïvement de les trouver si semblables à nous !

            Vous devez être un homme providentiel : en soixante années de lectures, je n’ai jamais rencontré un homme qui peut lire les auteurs du 17ème siècle comme nous lisons le journal du jour, sans étude particulière, sans aucune recherche. C’est magnifique, c’est merveilleux, Hôsannah !

          • Lombard, la politique de modernisation orthographique avec laquelle la Pléiade n’ose rompre et qui nous vaut tant d’éditions de textes français fatalement arbitraires, voire contestables (je pense notamment au Molière et au Racine de Forestier, où la graphie actualisée n’a même pas pu être récusée à la rime quand les changements phonétiques survenus depuis le XVIIe siècle oblitèrent le retour du même son), fait que vous avez l’illusion de comprendre tout de l’original d’oeuvres écrites avant les années 1830 et la codification définitive de notre langue qui résulta de la parution de la sixième édition du « Dictionnaire » de l’Académie française (1835). En vérité, comme le dit Domonkos, les faux-amis en tout genre, ne serait-ce que par le maintien, typique du XVIIe siècle, de nombreux mots dans leur sens étymologique ou un sens ancien auquel l’assouplissement de la langue au XVIIIe devait porter le glas, les glissements sémantiques, ainsi que les lexèmes anthropologiquement chargés, abondent dans la prose et la poésie des règnes d’Henri IV, Louis XIII et Louis XIV ; ne parlons pas de la syntaxe, volontiers néo-latine à cette époque et s’accommodant d’immenses et majestueuses périodes que ne soulève aucun souffle oratoire comme dans le Bossuet des Sermons et des Oraisons funèbres telles qu’elles sortent sans arrêt sous la plume du Grand Arnauld. Même les auteurs qui cultivent leur propre style par rapport aux courants dominants de l’époque, La Rochefoucauld, La Bruyère, Retz, sont devenus d’une lecture difficile vu la grande précision avec laquelle il plient la grammaire à leur pensée, lui faisant décrire, dans le cas de Retz, des arabesques souvent aussi délicates et complexes que les périodes immenses mais beaucoup plus carrées de Saint Simon au siècle suivant. La vigueur bourrue de Boileau en vers (sa prose se lit nettement moins directement), le style primesautier et faussement accessible de Mme de Sévigné, de La Fontaine (beaucoup moins simple qu’on ne croirait, avec son vocabulaire étourdissant) ou même de Mme de la Fayette, la limpidité pascalienne ou fénelonienne, sont vraiment l’arbre qui cache la forêt. A fortiori faut-il un entraînement spécial pour ne pas se noyer dans les auteurs du second rang. Je vous fiche mon billet, Lombard, que si vous vous procuriez le nouveau Molière, avec ses gloses lexicales en bas des pages de texte, vous seriez tout penaud de découvrir l’étendue des pièges sémantiques que réservent à des lecteurs de tout venant cette prose et ces vers si transparents.

  31. Les erreurs et les malentendus, mon cher Domonkos, c’est la littérature même. N’êtes-vous pas de cet avis ? Croyez-vous que parce que vous êtes mon contemporain — et pas Baudelaire — je puis bien vous connaître vous mais pas lui ? Et dussé-je passer deux heures chaque jour en votre charmante compagnie.
    Pour le reste, seul le texte de l’œuvre littéraire m’intéresse, seule l’œuvre d’art me concerne — je l’ai dit ici combien de fois — et cette œuvre vit de sa vie propre, pour ainsi dire indépendante de celle de l’artiste qui l’a créée. C’est ainsi que j’ai toujours voulu voir les choses, c’est ainsi qu’il me plaît de les voir. Et je crois sincèrement que le livre, non son auteur, me parle — et je lui réponds.

    Faut-il le dire ici, cette fraternité qui se vit à travers l’art est vraiment la seule à laquelle je crois. Et pas un contemporain ne mérite ce mot de frère autant que Baudelaire que je ne verrai jamais.

    • Vous êtes bien conscient de la fausseté de cette fraternité ?

      Ce que vous lisez, ce n’est pas Baudelaire, c’est votre Baudelaire. De même que je lis mon Baudelaire. Qu’à 14 ans, j’ai lu le Baudelaire de Sartre (sous la forme de son « Baudelaire » dans la collection de poche « Idées »). Ce n’était ni le véritable Baudelaire, ni le véritable Sartre. Simplement une oeuvre.

      Je ne prétends pas, qu’à lire une montagne de commentaires sur l’oeuvre de Baudelaire (et je n’en ai lu, tout au plus, qu’un monticule), je connaîtrais mieux Baudelaire et me rapprocherais de lui. Impossible.

      Je ne suis pas plus proche de Baudelaire que vous. Vous n’êtes pas plus proche de Baudelaire que moi.

      (Et, comme vous dites, nous ne nous connaîtrons jamais l’un l’autre, même si nous couchions ensemble durant trente années. Mais nous pouvons discuter, ce que nous ne pouvons plus faire avec Baudelaire, quoiqu’il puisse nous en sembler parfois, dans des moments de délire lyrique.)

      Mais je me rapprocherai de l’oeuvre. Du travail de l’oeuvre.

      Il est possible que nous ne puissions nous entendre sur ce sujet.
      Je suis écrivain (« bon » ou « mauvais » peu importe). Je lis en écrivain (vous avez la vôtre, j’en ignore les ressorts). Je connais de l’intérieur le travail de l’écriture (mais là encore, il s’agit de mon expérience du travail de l’écriture, cent autres écrivains auront cent autres expériences et cent lectures). Je m’intéresse au travail de l’écriture. Aux sources de l’oeuvre. A sa survenue (qui restera toujours mystérieuse : derrière chaque voile levé, un nouveau voile, à l’infini, mais savoir que l’horizon est inatteignable n’empêche pas de marcher vers l’horizon).

      Une fois de plus : qu’y a-t-il d’incompatible entre une lecture « brute », « naïve », directe, de l’oeuvre et une lecture « savante » ?
      Moi, je veux les deux, mon neveu !

      On peut goûter avec gourmandise d’un plat, et aussi s’intéresser à l’art culinaire : le plaisir n’en sera pas diminué.
      Il y a des gens qui aiment la jouissance de conduire une voiture rapide et souple. Il y en a d’autres qui aiment soulever le capot et voir les rouages de la machine à rêves. Ces derniers n’ont pas forcément moins de plaisir à conduire. Mais, en plus, ils ont le plaisir particulier de connaître la mécanique du véhicule qui les transporte (à tous les sens du mot).
      En quoi est-ce incompatible ?
      Je les envie.

      De même, je prétends que, si aucun des plaisirs de la lecture « naïve » ne m’est ôté, je goûte, en surplus, à des plaisirs raffinés que donne une lecture éclairée. Détestez-moi, si vous voulez.
      Encore une fois : qu’est-ce que c’est que c’est que cette histoire d’opposition radicale, d’incompatibilité, entre les deux lectures ?

      Je ne suis pas savant. J’ai, si j’ose dire, une lecture « naïve » des commentaires savants. Cela se peut. Cela peut être du plaisir.

      De toute façon, je ne suis pas certain de votre bonne foi, cher Ahmed. Vous êtes trop fin lettré – à vous lire – pour être aussi « naïf » que vous prétendez.
      ………………………………..
      « Il est possible que nous ne puissions nous entendre sur ce sujet. »
      Ni sur aucun sujet.
      Et pourtant, nous sommes bien forcés de nous entendre.
      Sinon plus de discussion et d’échange possibles.
      Nous n’échangeons que des malentendus ?
      Et alors, ça vaut mieux que d’être sourds !
      ………………………………………………………..
      Ah oui, au fait, je ne crois pas un mot de cette histoire de « l’oeuvre qui appartient aux lecteurs ». Bien sûr, dès publication, l’auteur en est dépossédé (en a-t-il jamais été le possesseur, plutôt le possédé)
      Mais je crois à l’existence de l’oeuvre. Qui n’appartient à personne. Et qui mérite le respect (sinon, il est facile de l’ignorer, passer son chemin, elle ne s’en portera pas plus mal).
      ………………………………………
      Toutes mes amitiés.

      • Messieurs,
        votre conversation est tout à fait passionnante mais il me semble comme toujours que chaque parti détient la moitié de la vérité et la moitié de l’erreur. S’il me semble indiscutable que l’ancien français (XIIe-XIVe) et le moyen français (XVe-XVIe) sont obscurs si l’on n’a pas suivi des modules linguistiques spécialisés et nécessitent profusion de notes, le français classique et moderne (XVIIe-XIXe) sont encore assez accessibles et peu différents de notre langue actuelle (je ne parle pas du franglais smsisé des smartphones). Je dis peut-être cela car je passe une grande partie de ma vie à les lire et les faire étudier. Certes, c’est moins évident pour les adolescents de milieu modeste et même les adultes mais Lombard et Ahmed n’ont pas tort quand ils disent qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un lexique ou une explication historique SAUF si bien sûr la personne qui lit le livre a un vocabulaire limité ou peu de connaissances historiques MAIS dans ce cas ne croyez-vous pas que tout simplement ce genre de personne ne lira jamais un pléiade ni ne mettra un tel prix dans un livre que de toute façon il ne lira jamais jusqu’au bout ? Naturellement, je salue le travail de titan universitaire que représente une annotation réussie . La question fondamentale reste donc : pour quel lecteur ces annotations sont-elles utiles ou indispensables ? Tout est là, y compris et -surtout- la politique éditoriale moderne de Gallimard…

        • Puisque Neo-birt7 cite le Molière et le Racine de Georges Forestier (que je conseille à tous), je me permets de citer une correspondance privée de ce dernier ; J’espère qu’il ne m’en voudra pas :

          « Si vous hésitez sur des mots, ne consultez pas les Littré et autres grands ou petits Robert: allez directement au Dictionnaire de l’Académie de 1694 ou au Dictionnaire universel d’Antoine Furetière (1690), disponibles sur le net. Certains mots ou tournures ont beaucoup changé depuis le 17e siècle. Je mets ainsi toujours en garde les étudiants qui viennent travailler avec moi sur le théâtre du 17e en leur citant ce magnifique vers de Bérénice: « Dans l’Orient désert, quel devint mon ennui ». Tout le monde pense de nos jours que ce pauvre Antiochus dit à Bérénice qu’il s’est beaucoup embêté au milieu des sables du désert; en fait il dit « Dans l’Orient que vous aviez quitté [sens étymologique de « désert » du latin desertus, quitté, abandonné], quel fut mon chagrin! » [ennui a encore un sens très fort à ce moment-là].
          Mais si ça vous amuse de fouiner là-dedans (vous verrez que le « Furetière » de 1690 est passionnant et amusant; je le préfère pour cela au dic de l’Académie, qui est seulement un dictionnaire de langue), sachez que l’orthographe des mots a varié aussi depuis le 17e. Si vous cherchez le verbe échapper, vous ne le trouverez pas, sauf si vous cherchez à « eschaper »… »

          Glissements de sens, donc, mais rien d’insurmontable. A défaut d’exemple, j’en reste à mon avis premier sur le beaucoup plus proche Baudelaire.

          J’avoue, Neo-birt7, que je dois souvent vous relire attentivement, vous mon contemporain, pour bien saisir vos précieuses indications. Par exemple, j’hésite encore sur le sens exact :
          « (je pense notamment au Molière et au Racine de Forestier, où la graphie actualisée n’a même pas pu être récusée à la rime quand les changements phonétiques survenus depuis le XVIIe siècle oblitèrent le retour du même son) »

          (… Et je me sens bête alors que ce que vous abordez m’intéresse fortement ; comme dit Jack Skellington : « Je veux comprendre, je veux comprendre ! »)

          • DraaK, je ne puis croire à ce qui pour moi s’apparente trop à de l’angélisme, et Forestier pas davantage, témoins ses gloses lexicographiques à Molière. Considérez la scène d’entrée de « Tartuffe » ; certes la truculence des échanges avec Madame Pernelle emporte tout, y compris les obscurités de détail, mais le mélange assez extraordinaire entre expressions populacières et formules venues de la préciosité sur le fond de bonne langue parisienne d’époque a fort peu de chances de ressortir dans quoi que ce soit qui s’apparente à sa saveur telle que l’a voulue Molière à des collégiens même en les supposant d’excellente consistance intellectuelle. Ayant fait des remplacements de propeudétique il y a quarante et quelques années, déjà mes post-bac en CPEG scientifiques n’y entendaient goutte…

            Je plaide coupable pour mon propre style. Il ne m’échappe pas que ma recherche de la densité (car je suis toujours trop long lorsque je manque à me surveiller !!) me fait bien souvent paraître abscons et chantourné, sinon pédant. Je voulais dire simplement que les normes de la Pléiade oblitèrent un certain nombre de rimes qui dépendent d’un état suranné de la prononciation et de la graphie du français, en les faisant passer à la moulinette de la modernisation orthographique. J’ajoute que Forestier aurait dû exiger qu’on lui permette de marquer par la typographie les rimes qui nous semblent, et semblaient déjà à nos trisaïeux, purement « pour l’oeil », par exemple ‘infinitif en -er ~ Jupiter’ (/-èr / Jupitèr/ ou /-èRR / JupitèR/) et signaler des rimes comme celle de Boileau en son « Art poétique » ‘françois ~ lois’ dissyllabes, prononcé /franswé ~ lwé/ (fransoué ~ loués).

          • Cher Neo-birt7,

            Je confesse sans rougir une naïveté qui est aussi une qualité d’enfant et que je tiens, pour cela-même, à préserver. Ma candeur nourrit mon regard et mes actions. Je ne m’en départirait pas pour tout l’or du monde.

            Vous n’ignorez sans doute pas que Georges Forestier anime une école de théâtre à la Sorbonne, où il s’attache à reconstituer la prononciation de l’époque. Le 25 janvier, bientôt, se joue Les Fâcheux. Le prix de la place est ridiculement bas.

            Ainsi, même un naïf comme moi :
            – prend encore bien du plaisir et de la graine avec une lecture immédiate des textes classiques (et à fortiori du XIXeme) ;
            – est heureux toutefois de toutes les notes qu’on veut bien lui offrir ;
            – a bien conscience qu’il y a une déperdition de sens, une évaporation incontournable
            – est heureux de colmater les brèches au détour d’une lecture, d’une conversation, d’une pièce de théâtre…

            (Je n’ai pas terminé mais dois y aller, arf, mes excuses)

    • « ne supporter l’autre que sous la forme du même… »

      Ahmed, je cherche l’origine de cette belle citation et arrive sur un site sur le « burn out amoureux » (?) au nom amusant de prendsendelagraine.org

      J’espère que vous êtes remis de votre burn out amoureux. Ah ah.

  32. Et d’autre part, il faudra bien que quelqu’un écrive un jour un livre sur cette « majorité silencieuse ». Savez-vous que j’y ai songé ? Après m’être demandé ce qu’elle pouvait bien penser, si elle pensait, je m’achoppai, après quelques détours, à sa nature même, finissant par douter carrément de son existence.

    Et puis, cher Domonkos, à vous entendre, Proust n’aurait jamais rien compris à Saint-Simon, ni à Madame de Sévigné, deux auteurs pourtant qu’il affectionnait beaucoup. C’est grave de penser ça. Car vous nous dites finalement qu’il les aurait nécessairement compris de travers, ayant cru naïvement les comprendre alors qu’ils se trouvaient largement hors de sa portée — car souvenons-nous que Proust, contrairement à certain nigaud que je connais — n’ayez crainte, je songe ici à moi-même — a eu cette sagesse de ne pas user sa jeunesse sur les bancs des amphithéâtres.

    • Est-ce grave ? Comme vous le dites vous-même, les malentendus sont une des composantes de la littérature. Et Proust ayant parfaitement compris Saint-Simon et Madame de Sévigné, aurait-il été Proust ?
      Mais à ce sujet, je ne suis certain de rien. Marcel Proust (n’en déplaise à un certain Renaud Camus qui a écrit qu’un Juif, même parfaitement acclimaté, ne peut comprendre « le génie français ») était certainement plus imprégné que moi de culture classique, vivant, de par son temps, de par son éducation et de par son accès direct, presque naturel, aux oeuvres de cette culture classique, plus près de son berceau.
      De là à imaginer un dialogue entre Saint-Simon et Marcel (que ce soit en ressuscitant Saint-Simon au temps de Proust ou en faisant voyager Proust dans le temps) ! Ils n’auraient pas pu échanger plus de trois phrases et auraient eu autant de chance de se comprendre que si Marcel Proust avait discuté avec un indigène de Nouvelle-Zélande.
      Ne prenez pas tout cela trop au sérieux, pour moi le pur plaisir de la conversation (y compris mon goût des paradoxes) l’emporte largement sur les désagréments des désaccords (s’il s’agit de désagrément). D’un accord parfait et constant naîtrait sans doute l’ennui.

      • Une chose est certaine : Saint-Simon et Madame de Sévigné n’écrivaient pas pour Marcel Proust, ni pour nous.
        Ils avaient sans doute plus en commun avec leurs domestiques, qu’ils devaient pourtant placer à un rang à peine supérieur à celui de leurs animaux familiers. Hi Hi Hi !
        C’est d’autant plus miraculeux que nous les puissions – mal ou bien – lire.

      • Monsieur Renaud Camus a écrit ça ? Il aura pris l’idée à Jouhandeau : c’est déjà dans le Péril juif de Jouhandeau. L’auteur de Chaminadour et des Chroniques maritales ne s’y occupe pas du cas Proust mais prend pour cible quelques intellectuels de renom comme Léon Brunschwig ou Julien Benda.

      • Sans sa référence exacte, je me permets de douter de votre citation. Cette phrase pourrait presque être de Barrès (ce qu’il disait du « juif vénitien » Zola n’est guère éloigné), je ne crois pas, pour l’avoir un peu lu, qu’elle soit de Renaud Camus, ou alors il faut l’entourer de moult précautions bathmologiques.

  33. J’ai trouvé aujourd’hui, chez un bouquiniste d’Avignon, la Pléiade Cros-Corbière, en parfait état, avec jaquettes et emboitages impeccables. Par conséquent, on peut bien si on veut me charger de tous les péchés du monde, m’attribuer tous les noms d’oiseaux, rien ne viendra ternir ma bonne humeur !

    • Jamais je n’aurai de ces intentions. Et quand nous en aurions, cher Domonkos, à votre égard, votre « style » les désarmerait incontinent.

      Excellent week-end à tous.

      • Juste une façon que je voudrais amusante de dire mon plaisir d’avoir mis la main sur ce volume qui ne sera jamais réédité (pas plus, hélas, qu’une Pléiade Charles Cros ou une Pléiade Tristan Corbière). Non seulement un joli ouvrage, mais aussi un témoin d’un temps révolu. Bien à vous.

  34. Cher Draak, cher Neobirt7,
    Je crois en effet qu’il ne faut pas exagérer l’importance de la difficulté syntaxique pour la langue française au dix-neuvième siècle ; on peut dire que celle-ci était quand même déjà parfaitement stabilisée. Ensuite, on peut toujours s’intéresser aux dimensions idéologico-esthétiques de la langue à l’intérieur d’un corpus ou d’une école. C’est là, me semble-t-il, que peut résider la difficulté, à tout le moins pour le dix-neuvième. L’élitisme Mallarméen, l’écriture artiste ( ou encore impressionniste) des Goncourt, le faisandage Huysmansien, le décadentisme post-classique, post-romantique, et déjà post-parnassien de Baudelaire, toutes les pseudo écritures objectives : Balzac, Zola, Maupassant…
    Toutes ces écritures à priori ne posent pas de problèmes au lecteur ( encore que pour Mallarmé ce soit totalement faux) même le plus novice. La lecture en est aisée, c’est son interprétation qui ne l’est pas.
    Pour le dix-septième, la lecture ET l’interprétation ne sont pas aisées. Réduire le dix-septième à Racine ( infiniment plus abordable que Corneille) ou à La Fontaine ( bien plus complexe que le format court de la fable pourrait le laisser imaginer) c’est oublier que la langue française au dix-septième siècle n’est pas encore totalement stabilisée, ce que nous a rappelé notre ami Neobirt7. Chez Saint Simon, chez Retz, dans les pièces baroques de Corneille… On hésite souvent sur le statut de tel ou tel pronom ( à qui, à quoi diable renvoie-t-il ?) sur la nature de telle structure grammaticale : prédicative, attributive, construction passive ? Et si oui, où est passé l’agent ? Sur la valeur exacte de tel ou tel pronom relatif : simple vicariant ou causal, ou consécutif ? On hésite régulièrement parce que la syntaxe est encore flottante et que d’un écrivain à l’autre, parfois, les règles changent. Et si on n’hésite pas c’est ou bien que l’on est un champion de la langue française ou bien que l’on est paresseux ou bien alors que l’on a posé sur le patron syntaxique du dix-septième celui du vingt et unième, et qu’on a, en quelque sorte, synchronisé la langue. Et je ne parle même pas de la ponctuation, que nos éditions modernes ont justement… Modernisées ! Je vous invite à comparer l’avant/après dans telle ou telle tirade du Cid.
    À chacun de faire son expérience de la langue classique, évidemment. Moi, je ne fais que rendre compte de ma propre expérience de lecteur. Voilà.
    Pour ma part étant comme le Paresseux de Saint-Amant,  » Accablé de paresse et de mélancolie « , je termine là mon billet, et vous souhaite un bon week-end.

    • À tous,

      …Je termine de débobiner le fil de mon idée :

      Qu’il y ait évaporation de sens, c’est une chose. Mais il faut bien reconnaître qu’il nous reste beaucoup à comprendre assez facilement pour que le plaisir, intellectuel et esthétique, soit bien encore là et essentiel.

      Admettre qu’un auteur du XIXeme nous échappe au point d’être illisible sans recours à moult notes, c’est renoncer à lire Homère.

      À ce sujet, dans le petit essai « le tombeau d’Oedipe », M. Marx soutient que nous apprécions les tragédies grecques presque par méprise, pour des raisons qui diffèrent de ce qui a fait leur succès à l’époque. La démonstration de cette évidence est assez implacable.

      Ce que je veux bien admettre pour l’antiquité (et jusqu’au XVIe, comme dit justement plus haut) me laisse perplexe pour un auteur que la grand mère de ma grand mère aurait pu connaître.

    • Cher Zino,
      Comme j’aimerais que vous me donniez quelques « cours de littérature » ! J’ai des avis étayés par mes seules lacunes.

      Si quelqu’un est intéressé : je fais un échange contre quelques cours de fiscalité, droit des sociétés, comptabilité…

  35. Guillaume Musso et Michel Bussi élus, décrétés auteurs préférés des Français. Quelle chance ! Mais pas Monsieur Houelbeck ? Tiens, moi qui croyais. Et nulle mention de Monsieur D’Ormesson alors. Ou bien le très grand homme est-il lui dans une classe à part, hors concours en quelque sorte ?

    J’ai parlé un peu hier de la majorité silencieuse. Voilà pour vous une autre grande abstraction : les Français.

    Moi je suis toujours dans Bossuet ce week-end, et toujours dans cette vieille Pléiade due aux bons soins d’un certain abbé Velat. Excellente cette Pléiade, et agréablement succinctes les introductions de l’abbé Velat, toutes en sobriété, allant tout de suite à l’essentiel.

  36. Bonjour à tous, je viens assez rarement sur ce blog mais n’en suis pas moins avec intérêt les intervenants ; sans être, pour autant, un « littéraire », ni un « linguiste », simplement un amateur de livres et de textes, en quête de perspectives sur la collection de la Pléiade, qui m’a enthousiasmé dans les années 80 ; depuis longtemps, hélas, ce n’est plus le cas.
    En désaccord entier avec certains, en plein accord avec d’autres, et leurs vues plus éclairées sur la question littéraire, je déplore l’appauvrissement éditorial de la collection.
    Cet appauvrissement est de notoriété publique parmi les amateurs de livres (ainsi que me le confirmait très récemment un commercial de livres de bibliophilie).
    Pour ma part, dans les commentaires de l’oeuvre, outre les explications liées à l’obscurcissement progressif de la langue, j’apprécie beaucoup de trouver des explications sur le contexte (histoire, mentalités, connaissances, effets d' »écho » dans l’oeuvre et celle d’autres auteurs, …).
    Je ne crois pas au contact direct avec l’oeuvre, tout simplement parce que les mentalités, les connaissances, les polémiques, ne sont en rien des constantes universelles, mais des faits historiques, et qu’une lecture « directe » du texte n’éclaire en rien ces questions, à moins d’être un spécialiste de l’auteur ou de l’époque : y en a-t-il beaucoup ? Et, par conséquent, l’appréciation réelle du texte n’est-elle réservée qu’à quelques « happy few » ? Ou à ceux qui auront lu 30 livres d’histoire et de littérature, incluant des milliers de pages « inutiles », avant de s’attaquer à l’oeuvre elle-même ?
    Enfin; dans un ouvrage de 1200 pages, PERSONNE n’est OBLIGE de lire les 350 pages de l’appareil critique. Simplement, s’il est proprement mis à la disposition du lecteur, TOUTES les approches de l’oeuvre sont possibles, de la plus superficielle à la plus approfondie, en fournissant même des pistes de recherches complémentaires au « spécialiste ». Pourquoi les tenants de l’évolution actuelle de la collection détestent-ils tant ce supplément qu’ils ne liront pas ? Pour des questions financières ? Ou bien ont-ils un tel mépris/haine des amateurs d’édition annotée qu’ils leur refusent tout accès à ce corpus, en-dehors d’éditions universitaires très onéreuses, et assez peu compréhensibles, parfois, par un non-spécialiste ?
    La question économique, justement. Là me semble le fond du problème. La réalisation d’un ouvrage peu annoté est plus rapide, coûte moins cher. Le choix d’un corpus « grand public », de directeurs d’ouvrages moins érudits, est plus rentable. Tout cela, je le comprends. Cependant, les Pléiade restent des ouvrages « chers » : les prix n’ont pas baissé. Donc le seul bénéfice, à court terme, est pour Gallimard. A court terme, seulement, car lorsque la collection aura perdu son prestige (c’est en cours), ce ne sera plus un choix privilégié de cadeau, par exemple. Le terme de cette évolution, au-delà des librio à 1€, ce sera le livre numérique gratuit.
    Par ailleurs je déplore la cécité des décideurs actuels. En apparence, ils sont dans le sens de l’histoire, ainsi que nous l’expliquent nos ‘brillants » énarques. Pourtant, nous savons tous que notre monde court vers son effondrement : la mercantilisation à outrance détruit notre environnement, crée des tensions sociales et migratoires de plus en plus ingérables … bien loin du monde « ouvert » que l’on nous promet au bénéfice de tous.
    Du point de vue artistique, n’en déplaise aux lecteurs de Télérama par exemple, la culture réside beaucoup moins dans les grandes expositions financées par les mécènes que dans la production d’oeuvres (j’en veux pour preuve les compte-rendus des salons de peinture des siècles passés), beaucoup moins dans le clinquant pubilicitaire que dans l’étude, la réflexion et
    la production d’un corpus qui se transmettrait aux générations futures.
    Ainsi, pour l’histoire les directeurs actuels de Gallimard et de la Pléiade seront des « erreurs de casting ». Je ne crois pas, pour autant, à la lecture de Domonkos sur la vie « organique » de la Pléiade, dont le déclin actuel signerait une fin de vie inéluctable. J’ose espérer que de nouveaux directeurs de collection, plus éclairés et moins mercantiles; reviendront aux commandes, par un simple retour de balancier; lorsque les illusions actuelles se seront dissipées. Sera-t-il encore temps ?

    • Les remarques de Phil me semblent marquées au coin du meilleur bon sens tout en respirant une finesse que l’on aimerait trouver davantage chez l’ami Lombard, qui nous fait presque tous passer pour des laudatores temporis acti au nom d’une inscience revendiquée. Qui oblige le lecteur à aller voir en queue de volume s’il n’en ressent ni l’envie ni le besoin ? Le simple fait que l’appareil critique devienne étique dans la quasi-totalité des nouvelles Pléiades, et quand par extraordinaire il ne l’est pas, les probabilités qu’il soit de respectable qualité ne sont plus qu’une fraction de ce qu’elles étaient il y a encore vingt ans, signifie que Gallimard nous fait payer beaucoup trop cher des performances appelées à une faible durée de vie ; comme l’écrit Gauthier Liberman, l’un de nos meilleurs philologues classiques, « un travail scientifique s’inscrit dans une histoire et une tradition dont il est, je crois, dangereux de faire abstraction. Le savoir, en matière de critique et d’exégèse textuelles, progresse à un rythme variable qui n’est pas toujours, il s’en faut, linéaire, et, dans l’intérêt même de ce savoir, il importe d’en marquer et d’en situer les étapes. Les travaux qui ne mentionnent pas les publications scientifiques en arguant de leur rapide obsolescence sont souvent, par un juste retour, les premiers à devenir obsolètes » (« Stace. Silves. Edition et commentaire critiques », Paris, Calepinus, 2010, p. 8). L’une des plus solides réalisations des années 2000 en Pléiade est sans conteste l’oeuvre romanesque de Stendhal ; malheureusement, l’appareil critique ne se compare ni pour la richesse ni pour le souci du détail ni pour la pénétration avec ceux dont l’immense Del Litto a lesté ses propres éditions sur Bible des « Voyages en Italie » (1973), des « Oeuvres intimes » (1981-1982), et des « Voyages en France » (1992), tous textes autrement plus plus difficiles à rendre accessibles, plus complexes en matière critique aussi, que les romans et les nouvelles. Les erreurs de casting dont parle Phil incluent donc les éditeurs des différents volumes – l’inénarrable Catriona Seth, qui n’a jamais été une philologue de métier à la différence de Couton, Deloffre, Forestier, Del Litto, Delon, mais une historienne médiatique, le lamentable Henri Scepi, dont il suffisait de lire le petit volume sur les « Misérables » pour comprendre qu’il ne maîtriserait pas l’Editionstechnik, le mandarin André Guyaux qui a confondu la défense et illustration de ses propres marottes avec le status quaestionis rimbaldien, ou le risible Jean-Luc Steinmetz, dont le Lautréamont, si je ne m’abuse, a été un non-événement en dehors des gazettes pour retraités et bourgeois vibrionnants. Avec un peu de malchance, André Markowicz sera bientôt convié, nouveau Pierre Klossowksi de virgilienne mémoire, à publier ses ‘traductions’ en Pléiade ; comme l’écrivit Piron, « Il refond tout. Peste ! Voilà merveille ! | Et la besogne est-elle bonne? Oh ! non ».

    • Phil, peut-être que vous parlez peu, mais pas pour ne rien dire. A chaque fois vos interventions sont d’une grande justesse. En l’occurrence vous mettez de la clarté, de la mesure et de la raison dans le débat (ceci n’ôte rien aux grands mérites des indispensables Zino et de NéoBirt7). Tutto perfetto !

  37. Domonkos : «  un certain Renaud Camus [qui] a écrit qu’un Juif, même parfaitement acclimaté, ne peut comprendre “le génie français” ».

    Monsieur Renaud Camus a écrit ça ? Il aura pris l’idée à Jouhandeau : c’est déjà dans le Péril juif de Jouhandeau. L’auteur de Chaminadour et des Chroniques maritales ne s’y occupe pas du cas Proust mais prend pour cible quelques intellectuels de renom comme Léon Brunschwig ou Julien Benda.

    Mais je crois qu’il y a tout de même un fond de vérité dans cette idée, même si ceux qui la brandissent ne sont en général pas du tout animés par l’amour de la vérité mais plutôt par des sentiments assez vagues que l’on pourrait tous ramener à la peur, à la jalousie.

    Quelqu’un ici, animé lui par des sentiments autrement nobles, m’a dit un jour qu’il pensait que je me trompais foncièrement sur ce que je croyais être l’esprit français. Il n’a pas dit cependant que je ne pouvais pas le connaître. Mais il est possible que ce soit le cas.

    Bernanos, sans jamais rien affirmer de ce genre, agite constamment l’idée, qui je crois lui est chère, de la race, de cette « mémoire héréditaire » et de tout ce qui s’y déchaîne de rumeur vague, mais comparable à nulle autre, « par quoi s’annonce la race, l’appel des ancêtres, ainsi qu’une chanson portée par le vent… »

    Pardonnez-moi d’avoir repris le premier paragraphe, déjà publié plus haut. Je voulais éviter l’émiettement d’une idée qui me tient à cœur et qui, encore une fois, n’a pas de rapport avec la Pléiade.

    • Ahmed, je crois que j’ai encore placé une mine explosive sur notre chemin… Je ne me souviens pas des termes exacts de Renaud Camus (mais je ne crois pas l’avoir trahi en substance), dont je n’ai guère lu que des extraits, ici ou là, à l’occasion des polémiques dont il est l’objet, et son très beau livre sur le Département de la Lozère (P.O.L.), à l’époque où j’ai débarqué dans les Cévennes et où j’avais envie d’en savoir un peu plus sur ma « patrie d’adoption ».

      Il y aurait tant à dire et il y a tant de pièges sur ce sujet ! « La Grande Peur des Bien-Pensants » de Bernanos, quand je l’ai lu, vers l’âge de 15 ans (!), en Livre de Poche (je lisais tout ce qui sortait en Livre de Poche, unique collection qui était à ma portée), m’avait bouleversé. Fasciné et rebuté. Attiré et effrayé. M’amenant non pas à « devenir » antisémite, mais à reconnaître, traquer et écraser ce qui pouvait se trouver en moi d’antisémitisme. Ce livre a été pour moi comme un médicament amer, soignant le mal par le mal, à la racine. Toute ma vie, il est resté pour moi une référence, un garde-fou. Bernanos m’a protégé, bien mieux que tous les écrivains estampillés « de gauche » contre le racisme et l’antisémitisme. Pas sûr que ce soit un paradoxe…

      J’avais, heureusement, déjà lu avant cela, les romans de Bernanos, toujours en Livre de Poche. Cela m’avais gardé de le confondre avec un quelconque maurassien à petite pensée, comme il aurait pu advenir si j’avais lu d’abord « La Grande Peur ». Plus tard, bien plus tard, j’ai lu les autres pamphlets de Bernanos, et mon admiration pour cet homme immense, capable dans de grandes circonstances, de « trahir son camp » plutôt que de se trahir lui-même et de trahir la cause humaine, n’a fait que grandir.

  38. Quant à « l’esprit français ». Que dire ? Entre ceux qui pensent qu’il est dans « la terre », le terroir, le village autour de son clocher, ou bien dans le bistrot, dans l’usine (et, même dans ce cas, j’ai connu personnellement une famille juive bourguignonne parfaitement terrienne, dont une amie, qui tout à coup, à 40 ans, s’est souvenue de sa judéité, un jour qu’elle assistait au festival de Carthage à la projection d’un film pro-palestinien et entendit les cris de haine du public), ceux qui la situent dans les salons de Mme de Lafayette, ou dans « Ma France » de Jean Ferrat qui a été aussi la mienne à une période de ma vie, et encore ceux qui, comme notre Président et sa caste, croient que la France n’est qu’une idée, qu’elle se trouve partout et nulle part et n’a finalement qu’une existence fantasmatique… Si la France est une Idée, elle s’est incarnée dans un terroir et un peuple : les paysans analphabètes du règne de Louis XIV participaient de cette même France que La Rochefoucauld.

    Qu’est-ce qui fait que je me sens profondément français, au point de haïr ceux (de l’intérieur comme de l’extérieur) qui la haïssent ? Je suis né d’une mère Savoyarde (la Savoie qui est « française » depuis deux fois moins longtemps que la Martinique), d’un père Italien fraîchement immigré que je n’ai pas connu, et d’un père Hongrois fraîchement immigré qui m’a adopté tout petit et dont j’ai adopté la patrie d’origine au point d’être prêt à m’engager dans la prochaine guerre de reconquête de la Transylvanie contre la Roumanie (hi hi hi !) et qui m’empêche de croire à « la Loi du Sang ». Je n’ai jamais cultivé (mais avec passion) que mes jardins, et ma mère est née dans un miséreux hameau de Maurienne, aujourd’hui déserté et en ruines, qu’elle a été une des dernières à quitter pour tenter de survivre dans les villes de la vallée. Donc, plutôt de la France citadine que de la France rurale, mais hyper-sensible à nos paysages et nos monuments.
    Etes-vous moins que moi Français en France, cher Ahmed, cher Marcel (P.), chère Isabelle (Adjani), moins Français qu’un Breton dans les Cévennes, un Savoyard chez les ch’tis, un Marseillais à Brest ?

    Par ailleurs, « Athée, grâce à Dieu » comme chantait Mouloudji (certain qu’il ne le disait pas dans le sens où je l’entends, d’ailleurs) et pourtant idolâtrant Jeanne d’Arc et révérant Péguy (peut-être que je les idolâtre comme peut les idolâtrer un Français qui se sent étranger de l’intérieur, on peut soutenir toutes les thèses, et les psys que je déteste renchériraient). On pourrait en déduire que suis probablement plus Français par l’esprit que par la chair. Mettant la Littérature et la Langue au-dessus de tout (incapable de maîtriser parfaitement une autre langue car incapable de penser dans une autre langue).

    • Si je pouvais réécrire ce long laïus, je me contenterais de ces mots : il y a plusieurs façons d’être français, plusieurs modes de « francité ».

      • Et tous ceux qui aujourd’hui crachent sur la France sont peut-être, à leur corps défendant, plus Français qu’ils n’imaginent, car cela aussi est un des éléments de la « francité ».

        • Et sans Marcel Proust (dont j’ignore le degré de « francité » selon Renaud Camus), il manquerait quelque chose d’essentiel à la France.
          De même, sans les « poilus » qui, n’en déplaise à nos actuels « penseurs » post-modernes, n’étaient pas que du bétail envoyé à la boucherie contre leur gré par d’affreux capitalistes internationalistes, mais aussi des hommes qui avaient foi dans cette France pour laquelle on leur demandait de mourir (que penserait aujourd’hui de cette « seconde mort » des soldats de 14, que représente leur victimisation exclusive et les danses sur leurs tombes, Apolliinaire ou Cendrars qui sont allés volontairement au front, sans y être poussés par des baïonnettes dans le dos, parce qu’ils avaient également foi dans cette France qui n’est pas faite que de terroirs, de vins et de fromages ?).

  39. Je veux remercier ici Domonkos pour ses réponses lumineuses à ma petite chose insignifiante. Elles ont illuminé mon dimanche.

    La question demeure cependant et elle est sérieuse, mais ce n’est certes pas le lieu d’en débattre ici : qu’est-ce qu’une patrie intellectuelle et qui ne serait qu’intellectuelle ?

    • La question effectivement reste ouverte et ne date pas d’aujourd’hui : rien que pour m’en tenir à la France, j’aurais pu également citer les Européens se ralliant à la première Révolution Française, ralliement qui suffisait pour devenir Citoyen de la République : déjà la France n’était plus en France et se voulait plus grande que la France historique et géographique… Etrange prétention. Et avant cela, il y avait eu les Lumières… Et après cela, un Garibaldi, en 1870, volant au secours de la « Patrie de la Liberté », les armes à la main…
      Effectivement il existe une France hors-sol (je pourrais aussi parler de la France d’outre-mer, que j’ai découverte ces dernières années, autre sujet passionnant), qui ne peut être niée, mais la France ne peut se définir uniquement par ce pays « idéal », contrairement à ce que croient les tenant du post-modernisme et du libéralisme mondialisé…
      La France n’est pas le seul pays à poser ce genre de problème, à ne pouvoir être confondue et contenue dans ses seules limites territoriales (rien que les Etats-Unis…), mais ils ne sont pas si nombreux les membres de ce club (et encore présentent-ils entre eux toutes les versions différentes de la question).
      Bon, il faut que j’arrête là, mon cher Ahmed, sinon nous allons nous faire fusiller par tous ceux dont, loin « d’illuminer leur dimanche », nous sommes en train de le transformer en enfer. Loin, loin, loin (leur semble-t-il, mais ce n’est pas mon avis), de la Pléiade.

      • Comme quoi, Marcel Proust mène à tout, ce dont je n’ai jamais douté (en fait, TOUT mène à Tout et revient à tout et son contraire).

        • C’est vrai. Et je me suis toujours demandé comment nos « collègues » d’ici faisaient pour se contraindre mentalement, intellectuellement, à ne parler que de la Pléiade.
          La Pléiade n’est qu’un support parmi d’autres pour la littérature, et à la littérature viennent se greffer toutes les questions possibles et imaginables. Et sans parler de tous les bouleversements profonds qui s’opèrent en ce moment même sous nos yeux et qui sont la source d’inconforts cognitifs à l’emprise desquels il me paraît difficile d’échapper — en tout cas moi je n’y échappe pas.

          • Ne trouvez-vous pas que vous accordez beaucoup trop d’honneur à R. Camus, dont ce que j’ai lu de lui me suffit à le ranger parmi les (très) petits-maîtres sans rien du bonheur de plume que l’on ne peut décemment nier à Maurras, Drumond (« La France juive » est écrite avec talent, à la différence des pamphlets céliniens), Rebatet, en vous faisant la chambre de transmission d’une des innombrables sornettes par lesquelles le sieur Camus pensait rehausser sa gloriole fanée ?

        • Tiens, c’est dimanche soir, et NéoBirt7 vient de siffler la fin de la récréation. (Hi Hi Hi ! simple agacerie amicale, cher ami, n’en prenez pas ombrage.)

          Mille pardons, cher NéoBirt7.
          J’ai évoqué (approximativement) la phrase de Renaud Camus, parce qu’elle servait à mon dessein et que ce polygraphe est régulièrement au coeur de débats dont la violence égale l’inanité. Mais enfin, il fait du bruit, et du coup, sa petite phrase aussi. J’ai par ailleurs précisé que je ne suis jamais allé lire, de ses ouvrages, plus que des fragments cités ici ou là, hormis son petit livre sur la Lozère (travail de commande de l’assemblée départementale), à l’époque où j’ai débarqué dans les Cévennes. Fruit du hasard : j’ignorais totalement, à l’époque, qui était cet auteur. J’avais trouvé ce livre charmant (n’y suis point retourné depuis dix ans pour vérifier, et ne l’ai d’ailleurs pas trouvé indispensable à ma bibliothèque, dont je l’ai sorti sans remords).

          Par pitié, ne me comptez pas au rang de ceux qu’impressionne le talent de ce Monsieur qui n’est considéré comme un écrivain considérable que par Alain Finkielkraut (le même qui met Philip Roth au rang des plus hauts génies littéraires et qui tient Maurras pour une simple ordure à jeter aux poubelles de l’Histoire) : c’est tout dire !

          • Vous n’avez pas à vous défendre, mon cher Domonkos. Je suis sincèrement admiratif de votre parcours comme de votre curiosité intellectuelle, et votre citation de mémoire de R. Camus prolonge de manière intéressante la discussion autour de la compréhension d’auteurs du XVIIe siècle que pouvaient avoir eue des non-universitaires tel Proust (même à supposer que Marcel fût mépris sur Mme de Sévigné, ce serait encore un exemple fort instructif de ‘compréhension parfaite’, cette sorte d’exégèse par laquelle un penseur armé de son propre outillage conceptuel se persuade de mieux entendre tel ou tel de ses devanciers que ce dernier se comprit lui-même – ainsi Aristote en use-t-il des Présocratiques et de Platon). Camus est ce que les Anglais aiment à appeler « a pitiful non-entity », une espèce de ‘vieux con’ des Lettres, dont la longévité montre qu’en effet ils meurent jeunes, ceux qu’aiment les Dieux, et dont la trajectoire fait baver d’envie les François-Xavier Bellamy (l’équivalent bien propret, à la manière d’un gendre idéal, de l’ignoble Soral) et autres gourous préfabriqués qui apportent leur filet d’air à la bourrasque néo-conservatrice et nationaliste.

          • Neo-Birt7, rester dans votre domaine vous éviterait peut-être d’écrire n’importe quoi : la comparaison de François-Xavier Bellamy à Alain Soral est diffamatoire (relisez la définition de ce mot dans le code pénal).

          • Je retrouve chez FXB ou M. Bazin de Jessey la petite musique de la droite réactionnaire la plus faisandée, sous un habillage rhétorique un peu moins étique qu’à l’ordinaire, et m’estime fondé à y voir un échelon sur la pente glissante de l’extrémisme. Je ne puis voir en quoi cette espèce de petits sophistes péniblement arrivés à un grade universitaire et qui font souffler sur ce qu’ils arrivent à écrire des relents de sacristie, seraient plus honorables que les autodidactes à vitriol Soral et Zemmour. Slander ou libel, comme l’anglais, plus précis que notre langue, permet de distinguer ?

            Pour vous, Lombard, je vous répondrai en vers, avec une piécette du « Recueil de Maurepas » :

            Pour suivre les maximes
            D’un homme de coeur et de bien,
            Imite le Broussin.
            Tu piperas quand tu joueras,
            Mettras ta femme entre les bras
            De tous ceux qui n’en sont pas las.
            Tu boiras à la glace,
            Et pour mieux t’assurer du bien,
            Epouseras la garce
            De tout le genre humain.

          • Si tant est que ce soit de la diffamation, il s’en moque, c’est moi le responsable.

            Parions que Google n’ira pas au bout de ce fil de commentaires pour indiquer à tel ou tel qu’un illustre anonyme a dit du mal de lui sur un blog, alors que le réseau Twitter prospère sur l’expression et le déversement continu de la haine des uns et des autres.
            Cela dit, le débat n’a pas grand chose à faire ici.

  40. J’ai lu avec grand plaisir vos échanges, et je remercie les intervenants pointant les faiblesses ou les avantages de telle ou telle édition, j’ai appris nombre de choses.

    J’attends avec une certaine impatience la sortie du tome consacré à Nietzsche. C’est l’occasion idéale de remplacer mes poches GF en loques par un ouvrage à la reliure plus qualitative. En plus, en lisant les messages de Dorian Astor sur sa page facebook, on peut écarter l’hypothèse d’un tome sans travail inédit. D’ailleurs, Dorian mentionne être actuellement occupé à traduire Ainsi parlait Zarathoustra, le volume 3 est donc en chantier, et il promet que le délai d’attente entre le deuxième et troisième tome sera moins long qu’entre le premier et le deuxième. Ouf !

    En attendant, j’envisage de passer l’hiver avec Pétrarque et Apollonios de Rhodes. Pour le premier va paraître en février un volume offrant un large choix de la correspondance de Pétrarque dans la collection Editio Minor. Les Belles Lettres promettent que cette édition reprendra la traduction et les notes disponibles dans l’édition des Classiques de l’humanisme. C’est financièrement une affaire intéressante pour qui souhaite prendre connaissance des textes les plus importants de cette correspondance sans devoir débourser plusieurs centaines d’euros et ne désire pas consulter les écrits dans leur langue d’origine. Les volumes de la collection Editio minor sont plutôt bien faits, j’ai bien aimé celui consacré à Lucien.

    Le même mois, Les Belles Lettres vont aussi faire paraître un volume spécial Les Argonautiques d’Apollonios de Rhodes. Celui-ci semble reprendre la traduction disponible en Budé ainsi que des notes. A nouveau, l’intérêt de l’ouvrage réside dans son prix et dans l’occasion de découvrir un texte important dont il existe finalement peu d’éditions pour le grand public. A l’inverse, le tome spécial Les Métamorphoses d’Ovide qui vient de paraître me semble dénué d’intérêt. Il reprend la traduction d’Olivier Sers, mais celle-ci était déjà disponible en poche au même prix. Et il ne semble pas y avoir des notes supplémentaires, or l’un des problèmes de l’édition de la traduction d’Olivier Sers est qu’elle est presque totalement dénuée de notes. Pour posséder la version poche, je peux témoigner que lors de ma lecture, j’ai ressenti une désagréable impression de passer à côté de beaucoup de choses en étant confronté au texte des Métamorphoses sans aucun appareil critique. A mon avis, je ne dois pas être le seul lecteur s’étant retrouvé à passer davantage de temps à faire des recherches sur Internet à propos des choses citées par Ovide plutôt que le nez dans son livre… En cela, je rejoins les avis postés dans ce fil de discussion à propos de la nécessité d’un appareil critique bien conçu, et que celui-ci influe même sur le plaisir que prend le lecteur.

    Beaucoup de réchauffé j’en conviens, peut-être certains intervenants ont-ils repéré d’autres éditions intéressantes d’oeuvres classiques à paraître ?

    • La traduction Budé d’Apollonios de Rhodes, par le vétéran Emile Delage, est tout simplement remarquable, en grande partie parce qu’elle repose sur un texte établi avec un soin méticuleux par Francis Vian, lequel fut le meilleur éditeur français de la poésie grecque de toute la seconde moitié du XXe siècle, à partir tant d’une enquête exhaustive sur la transmission manuscrite qui renouvela beaucoup celle confectionnée par l’un des derniers élèves de l’immense Wilamowitz, Hermann Fränkel, en 1929, que d’une réflexion poussée sur les nombreuses conjectures textuelles et délétions proposées par le même Fränkel dans son Oxford Classical Text de 1961 puis défendues dans les 673 pages gr. in-8° de ses « Noten zu den Argonautika des Apollonios » (Munich, 1968 ; on relèvera la modestie du titre alors qu’il s’agit du commentaire textuel poussé de tout le poème). Vian s’est montré souvent plus prudent, conservateur donc, que Fränkel, et il y a sans doute encore de quoi glaner du côté de l’émendation, mais la qualité de son texte l’a imposé à tous les traducteurs, y compris Peter Green, dont on sait la férocité envers les modes littéraires traversant les études classiques et l’indépendance farouche de vues. Le style fluide et sonore de Delage, qui avait commencé à étudier Apollonios dans les années 20, a fait le reste. Dans la mesure où Vian adjoignit un riche appareil de notices (une quarantaine de pages par chant) ainsi qu’un commentaire perpétuel d’une qualité seulement égalée par sa densité sous formes de Notes infrapaginales et complémentaires (« Vian’s notes makes the best commentary » constate Gregory Hutchinson, le futur Regius Professor of Greek à Oxford et grand éditeur de poésie antique lui-même, dans son « Hellenistic Poetry », Oxford, 1988, p. 357), c’est une riche idée que de republier la traduction Delage dissociée de son intertexte érudit.

    • Informations et réflexions très intéressantes. Merci Niche.
      Par ailleurs, sur le site de la Pléiade on donne plus de détails sur le volume Vampires. Il faut reconnaître et saluer l’effort de l’éditeur qui a réuni des textes rares aux côtés des classiques du genre. Cela nous change du faiblard « Romans Gothiques ». Hormis Byron, les textes exhumés semblent plus tenir de la curiosité pour aficionados (ou des « bonus » qui étoffent les éditions de films en bluray), mais le procédé obéit aux lois du genre (je veux dire de la « littérature de genre »).

  41. Dans la citation anglaise, on corrigera en « make » (of course!).

    La traduction Delage dispense de consulter ses deux concurrentes plus anciennes, établies sur la très médiocre édition Merkel du milieu du XIXe siècle et qui se contentait de reproduire le texte du manuscrit le plus ancien aetate et qualitate qua : l’une était savante et de belle tenue, signée Henri de la Ville de Mirmont (Bordeaux, Gounouilhou 1892), l’autre, limitée au seul chant III, plutôt scolaire et sans prétentions mais manquant de nerf, par Joseph Trabucco à la fin de son Classique Garnier sur Callimaque et Héro(n)das (Paris, s.d. [1933]). La révision drastique des manuscrits effectuée par Fränkel et Vian rend ces travaux peu ou prou obsolètes, le texte grec ayant été amélioré de manière importante sur plusieurs centaines de points, sans compter une myriade d’orthographica (Merkel n’y entendait goutte en matière de diction poétique homérique et n’a jamais cherché à circonscrire les paramètres dans lesquels Apollonios révise la manière du grand poète).

    • Formidable ! Merci, Niche et Neo !
      Les parutions de février 2019 de https://www.lesbelleslettres.com/a-paraitre font plaisir à voir, surtout Pétrarque et Apollonios (avec sa préface de Glenn Most), et après ce dithyrambe de Neo, dont on sait combien il est avare, il n’y a plus aucune hésitation à avoir avant de se plonger dans les aventures de cestui-là qui conquit la toison !

      Pétrarque aussi est enthousiasmant (mais peut-être un néophyte comme moi devrait-il commencer par l’Affrica ou le Canzoniere avant d’aborder la correspondance ? ou justement, l’inverse ?). En tout cas, cette collection Editio minor est très prometteuse. Les œuvres complètes de Lucien en un seul volume donnent l’eau à la bouche. D’autant qu’elles sont traduites par Anne-Marie Ozanam, dont j’ai beaucoup apprécié la traduction des Vie parallèles de Plutarque, en Quarto. L’avis positif de Niche vient de me décider à l’acquérir !

      Enfin, toujours parmi ces parutions de février, on peut voir la jolie couverture du Prince, qui s’allie bien à celle d’Apollonios. Je ne sais pas ce que vaut cette édition. J’ai récemment relu le Prince dans la collection Quadrige: édition bilingue, méticuleuse et avec un bel appareil critique, que je recommande.

      Et puisqu’il était question d’Ovide, avez-vous des recommandations d’éditions des Métamorphoses ?

      • Je renchéris. (Vont être contents mes héritiers : pas un euro sur le compte en banque, pas un jeu vidéo « collecter », pas un disque rare de Johnny Hallyday… et des tonnes de livres lourds, encombrants, indigestes et démonétisés !)

      • Most est un classiciste incontournable, pour parler le jargon courant de notre époque, ce qui ne signifie pas autre chose qu’il a bien su s’y prendre pour capter la lumière et devenir une star. Le personnage séduit par son charme, l’étendue impressionnante de ses connaissances littéraires, sa versatilité générique, thématique, linguistique ; or à y regarder de plus près, ses réalisations techniques se montent à fort peu de chose, en qualité plutôt qu’en quantité (une participation honorable à l’édition Budé de la « Métaphysique » de Théophraste, avec André Laks ; la très dérivative Loeb d’Hésiode, qui pille les grandioses éditions commentées de Martin L. West ; le texte critique soi-disant refait à neuf et la traduction anglaise d’un nouveau Diels-Kranz pour la Loeb, « Early Greek philosophy », en 9 volumes [2016], dont une version française a paru chez Fayard en un énorme et coûteux volume sous le titre « La naissance de la philosophie » à la fin 2016). Quand on sait la ‘nervous horror of emendation’ qui caractérise Laks depuis sa thèse de troisième cycle d’inspiration bollackienne sur Diogène d’Apollonie (1983), et la balourdise philologique dont témoigne, dans un travail supposément mature comme sa thèse doctorale de 1987 sur les « Lois » platoniciennes, la préférence donnée, pour le texte grec, à l’Oxford Classical Text de John Burnet plutôt qu’à l’édition Budé de Diès et Des Places, pourtant bien supérieure dans tous les domaines, on imagine volontiers que le couplage de Laks avec Most n’a pas été celui de la carpe et du lapin. Son introduction à Apollonios ne doit pas être mauvaise, mais n’en attendez pas des merveilles.

        La France a un problème avec Ovide. Les seules éditions et traductions disponibles sont soit anciennes de près d’un siècle, mal troussées, et fort peu fiables (la Budé toute entière, en n’en excluant surtout pas les « Fastes » par Robert Schilling, pourtant sorties en 1992-1993, où les « Métamorphoses » ont été publiées, sur la base d’une confrontation sans méthode ni feeling critique affûté de deux ou trois manuscrits anciens, par l’antiquaire Georges Lafaye dans les années 20 ; la série des Classiques Garnier, sabotée par l’inénarrable Emile Rippert, où Joseph Charmonard a donné deux volumes de « Métamorphoses » assortis de nombreuses notes au début des années 30), soit récentes mais sans la moindre prétention philologique, ce qui est disqualifiant pour qui prétend lire cette immense guirlande de mythes autrement que pour son plaisir esthétique (Olivier Sers, traduisant en vers réguliers, produit un texte français des « Métamorphoses » qui est remarquablement vif, mais il ne saurait être tenu pour un interprète fiable de son texte latin de base, moins encore un critique sérieux cherchant à transcendant les moult faiblesses de cette Vorlage dans une quête du sens contextuel et idiomatique). La traduction Lafaye est très élégante et fluide, et sans se prétendre une belle infidèle, constitue plutôt un décalque de son texte latin, comme on l’a dit sans valeur, qu’une interprétation au sens strict du terme (son Catulle Budé, qui n’ose pas rendre les obscénités et se censure souvent, s’inscrit dans la même tendance) ; réimprimée en Folio Classique (1992) avec une préface de Jean-Pierre Néraudeau, excellent historien de la société romaine, on y trouvera beaucoup de charme. Je recommande, faute de mieux, la version Chamonard reproduite en Garnier-Flammarion dans les années 70 : on la trouvera lourde et peu littéraire, parfois pâteuse, voire décourageante, mais, dans les limites de l’exégèse de son époque, grandes sont ses qualités de précision, d’intelligence, de scrupule et d’étude systématique du sens (elle anticipe même un certain nombre de corrections textuelles proposées par des philologues plus récents, lorsque Chamonard s’est avisé que le texte latin qu’il imprime en vis-à-vis ne fait pas sens).

        • Il a fallu attendre le deux-millième anniversaire (supposé) de la mort d’Ovidius pour que Rome (sous la forme profane de la municipalité de la moderne cité) révoquât son exil ; faudra-t-il autant de temps avant que l’autre (prétendue) nation latine, la France, lui consacre un monument éditorial digne de lui ?

          La Pléiade s’honorerait de nous donner cette édition, mais il n’y faut pas compter, hélas. Préférer Jean d’O. à Publius O. (Naso), c’est tout de même trop fort et ne se peut justifier par aucun argument, fut-il (futile) économique.

          La cité de Constanza lui a élevé une statue, à défaut d’avoir identifié les restes de sa villa, et, connaissant les ravages du nationalisme sur tous les rivages, il n’en faudrait pas beaucoup pour que la Roumanie le nationalise ! Faudra-t-il un jour le lire en roumain ? (Pardon à mes doctes camarades, pour cette sotte plaisanterie.)

          • Ce monsieur semble avoir, à l’époque, bénéficié des confidences de quelque initié es Pléiade, mais ses prédictions (données comme certaines) se sont, comme bien d’autres, en tous lieux et en tous temps, perdues dans la lagune aux mille impasses et sables mouvants de la « prestigieuse » collection (ce qui est bien normal pour des projets à l’horizon d’une dizaine d’années, soumis aux aléas du marché éditorial) :

            « Vont entrer dans la Pléiade, au cours des dix années à venir (je vous les livre en vrac), des romanciers comme Raymond Chandler, (…) et Walter Scott, (…), des mémorialistes comme de Gaulle, de grands anciens, tels Cicéron, Virgile et Ovide, Ernst Jùnger, Jean Genêt, Alejo Carpentier, Tanizaki, et sans doute Virginia Woolf. »

            On attend toujours, sans espérance, Ovide, Carpentier, les romans et le théâtre de Jean Genêt, les romans de Jünger, et on préfère ne pas attendre Chandler…

            On trouve également dans la chronique dont vous nous avez donné le lien, Jules, ce passage que je ne peux m’empêcher de reproduire (un peu diaboliquement, mais en toute amitié), en l’accompagnant d’une spéciale dédicace à notre cher hôte Brumes :

            « Si l’on doit se féliciter du Nerval, ressorti en trois volumes (…) on peut regretter, en revanche, que, à l’occasion de la réédition des œuvres de Marivaux, aient disparu les préfaces de la première édition de son théâtre complet et de ses romans, lesquelles étaient dues à Marcel Arland. Enfouies donc, pour ne pas dire perdues, dans les premières versions datant de 1949, la « cruelle sensibilité » et « les surprises du cœur – de Marivaux, tous les bonheurs de lecture de cet homme de l’art d’écrire indémodable que fut Arland. »

          • Je n’avais rien dit de mal à propos d’Arland. Simplement jugé son roman un peu daté, et loin d’être incontournable parmi les nombreuses œuvres qui ont marqué le premier tiers du siècle.
            On m’a fait passer publiquement pour un imbécile, du haut d’une chaire magistrale transformée pour un jour en un tribunal d’exception.
            Je devrais remercier le petit marquis à l’origine de cette humiliation, il m’a permis de renoncer aux imbéciles fariboles dont j’ai tartiné ce site infâme.

          • Je vous en prie, cher Brumes, ne plaidez pas une cause qui, pour nous, est gagnée haut la main, et ne déconsidérez pas votre travail que nous fûmes nombreux à apprécier et non moins nombreux à regretter son interruption.

          • …Et puis, après tout, si même les dirigeants de la Pléiade n’ont pas jugé indispensables de maintenir les préfaces de Marcel Arland dans les volumes Marivaux… ils sont un peu mal venus de vous condamner. Que penser de juges qui commettent de pires crimes que ceux qu’ils condamnent chez les autres ? Hi hi hi !

          • Je reprends la plume pour signaler que ce n’est pas par un oubli que j’ai omis de mentionner l’existence de deux autres traductions récentes des « Métamorphoses » autres que celle de Sers. On dira que c’est pédantisme de ma part, mais Ovide est simplement trop bon latiniste, trop fin versificateur, trop grand érudit, et ses copistes ont fait du si piètre travail sur ses vers dont la facilité n’est qu’apparente, pour que des non-professionnels rendent justice philologique à son oeuvre. De fait, les versions écartées sont positivement navrantes. La plus récente, celle de la capétienne de lettres classiques Marie Cosnay aux Editions de l’Ogre (2017), va très avant dans la simplicité et le refus de l’ornement, ce qui la distingue de la très rhétorique traduction Sers, à son grand désavantage selon moi car refuser l’aisance et la densité que confèrent au style les figures annexes d’expression lorsque l’on prétend translater le poète latin le plus clairement amateur de rhétorique (avec Lucain), constitue un contresens esthétique grave. Mme Cosnay transforme le vif, spirituel et agnostique Ovide en une sorte de causeur naïf perpétuellement épris des contes bleus qu’il narre. Nihil uitiosus. La traduction qui lui a beaucoup servi, et l’a orientée dans ce faux-sens poétique, est celle de Danièle Robert, sortie en 2001 chez Actes Sud. Basé sur une constitution personnelle du texte et offrant un appareil scientifique (préface, notes assez fournies), ce travail est l’oeuvre d’une simple femme de lettres, et cela se ressent malheureusement dans tous les compartiments. Mme Robert choisit les leçons qui lui plaisent au lieu de confronter systématiquement les deux éditions critiques sérieuses alors disponibles, la moins mauvaise devant paraître en 2004 (l’Oxford Classical Text de Richard Tarrant, la seule à avoir tenté d’appliquer au poème une critique textuelle sérieuse), je veux dire la monumentale édition Weidmann d’Hugo Magnus (1914 ; capitale pour l’investigation des manuscrits ainsi que le report de leurs leçons) et la Teubnérienne de W. S. Anderson (1997, révisée sans grands changements jusqu’en 1998, date depuis laquelle elle est réimprimée ne varietur ; édition bien conçue en tant que collection de matériaux, mais d’un conservatisme rigide très peu sensible à la manière ovidienne), puis de fournir des raisons philologiques tant soit peu objectives pour ses divergences. La version de Mme Robert est à l’avenant : les vers libres qu’elle aussi prétend écrire ne sont que stiques français auxquels manque tout rythme, son décalque d’une simplicité presque enfantine ne colle les mots et la syntaxe que pour s’en évader chaque fois que la traductrice ne les entend pas ou croit entendre autre chose que les plus littéraux de ses prédécesseurs, et se paie le luxe, dès l’incipit du poème, d’une véritable monstruosité. « Mon intention est de parler » [or le latin a dicere, ‘dire’, ‘raconter’, ‘narrer’, ‘exposer’ !!] « de formes métamorphosées en corps nouveaux » fait-elle dire à Ovide ; trois fois hélas, la détestable tautologie ‘formes métamorphosées’, parce que le grec duquel le français a tiré le couple métamorphoser / métamorphose s’entend encore parfaitement sous ces mots, qui restent d’un registre élevé par opposition à ‘transformer / transformation’, éteint le splendide effet textuel voulu par le poète en cet endroit stratégique comme une sorte de signature préliminaire, ou sphragis. Les morts correspondant à la tautologie de Mme Robert dans l’original, mutatas formas (placés à distance l’un de l’autre par une tmèse, ou disjonction, qui attire sur eux toute la lumière), sont la latinisation originale du grec μεταμορφώσεις / metamorphôseis, le nominatif pluriel de μεταμόρφωσις / metamorphôsis, ‘tranformations’ ; ainsi que l’écrivit Anderson dans une étude restée fondamentale (‘Multiple Change in the Metamorphoses’, Transactions of the American Philological Association 94, 1963, p. 1), « with that phrase mutatas formas, he [Ovide] not only establishes the subject of his monumental poem, but also announces the vocabulary by which he will describe metamorphosis ». C’est priver le lecteur français de toutes les résonances de l’original latin que de réintroduire le concept grec original quand on traduit les deux premiers vers du poème. Il y a des raisons vraiment objectives pour lesquelles, depuis la spécialisation universitaire du début du XIXe siècle, les sujets classiques sont bien plus profitablement (pour le lecteur !) traités par des professionnels ; le premier pékin venu ne saurait prétendre se hausser au niveau du génial latiniste Nicolaus Heinsius, diplomate de son état, ou l’excellent helléniste Walter Leaf, très grand banquier victorien, et donner une traduction fiable des « Métamorphoses » requiert un immense savoir, plutôt que de la bonne volonté et de la finesse littéraire.

  42. Cher Domonkos, je me permets juste de vous rappeler (car ce n’est qu’un petit oubli de votre part je le sais) que l’excellent volume du théâtre de Genet est paru. Pour Carpentier, je regrette de ne pas avoir eu à l’époque une édition de ses œuvres. De même pour Cortazar que j’apprécie beaucoup (un écrivain qui a traduit « Mémoires d’Hadrien » ne peut qu’être merveilleux !!!) Aujourd’hui, c’est beaucoup moins important si le modèle est Verne ou Gary : relire l’auteur sans rien apprendre de nouveau. Je sais que Ovide, Steinbeck et les romans de Genet (coédition par l’Imec) sont très avancés mais si c’est comme pour Flaubert….. on attendra encore… Je suis surpris qu’il n’existe pas quelque part une belle édition des œuvres rassemblées de Cicéron. Sauf erreur de ma part. (Alors que Lucien a eu droit à 2 éditions de ses Œuvres complètes en 2 ans!)

    • Vous avez raison, Tigrane, et même plus que vous ne croyez : ce n’est pas un simple oubli mais une sortie de route, je devais avoir dans un coin de ma tête (dans un quartier qui doit s’appelle le subconscient) le volume « d’écrits sur le théâtre » de Brecht (entre parenthèses, c’est encore trop pour cet auteur qui est complètement sorti de ma bibliothèque, pour quantité de raisons, et je ne me battrai pas ou plus pour obtenir la suite). Nous manquent les romans, poèmes et autres écrits de Genêt (que j’aime lire bien plus que son théâtre, mais pas de malentendu, je ne crache pas sur ce dernier).

      D’accord pour Cortazar, nous avons déjà eu naguère un assez long échange sur tous ces grands sud-américains regrettablement absents, je n’y reviendrai donc pas en détail. (Tant que Gallimard ne nous inflige pas des « auteurs maison » comme Bianciotti !).

      Aux dernières nouvelles Flaubert se rapproche, paraît-il (1921, centenaire, avant même la prochaine élection, ouf !)

      Pour le moment je goûte, avec délectation, mon Charles Gros, en Pléiade (que je trouve indignement sous-estimé et par trop oublié, marre qu’on ne parle de lui que pour son « invention » du phonogramme et à l’occasion des prix (de plus en plus discrets, existent-ils encore ?) de « l’Académie Charles Cros » en musique…

      • Le jour (à Dieu ne plaise) où Gallimard publierait un volume Pléiade du Théâtre de Brecht, il ferait bien de mettre en lettres d’or sur le dos et en lettres rouges sur la page de titre : « Brecht & Cie ».

    • Voyons, c’est question de taille et de faisabilité. Un Cicéron bien complet de l’œuvre oratoire, des traités poétiques et rhétoriques, des fragments poétiques ainsi que de la correspondance, demanderait une vie de labeur acharné au travailleur qui s’y consacrerait. Une cinquantaine de volumes Budé n’y suffirait pas, quelques Pléiades non plus. Pour comble de maux, le Cicéron Budé, toujours inachevé 100 ans après la fondation des Belles Lettres, fourmille d’éditions mal faites avec des traductions poussiéreuses et ne se prête pas à être reproduit sauf à prendre le risque de donner une image figée et vieillotte de cet homme intensément vivant. Des vicissitudes monstrueuses ont été les siennes en Budé, avec des volumes qui dorment en manuscrit depuis trente ans (les Premières Academiques, dont le texte a été établi par Terence Hunt dans les années 90 avant la publication de son exemplaire « A Textual History of Cicero’s Academici Libri », Leyde / Boston / Cologne 1998, attendent désespérément la traduction, l’introduction et le commentaire). Lucien, lui, avait été traduit, et de belle manière, par l’excellent Émile Chambry dans les années 30 ; la nouvelle que Mme Ozanam était affairée à en donner une nouvelle version intégrale a incité un pirate d’éditeur à aller à la mangeoire avec un reprint de ce corpus autrement moins ample et divers que celui de Cicéron.

  43. Je ne sais pas, cher Domonkos, si vous lisez l’allemand (ce qui n’est pas mon cas) ou l’italien mais la ”pléiade italienne” propose en deux beaux volumes les poésies de Brecht en édition bilingue. C’est pour cela que j’étais si content de dévorer les deux nouveaux volumes des Œuvres retraduites de Kafka. Dans la longue liste des pléiades manquantes (cruellement selon moi….), il y a les essais complets de Virginia Woolf dont encore beaucoup d’essais ne sont pas même pas disponibles en français. Incompréhensible. Cette fois l’autre pléiade italienne (I Meridiani) n’est d’aucun secours. Ne reste que les six vieux volumes brochés des années 60’. Vous pouvez mieux faire éditeurs de tous les pays !

    • Euh, pour l’allemand, c’est… un po ‘, ma non troppo, loin d’être suffisant pour lire dans le texte (et, par parenthèse, il est vrai que j’ai de meilleurs souvenirs des poèmes de Brecht que de ses pièces – oeuvres collectives, pour rester poli – mais cela remonte à si loin, au moins dans ma deuxième ou troisième vie (et je dois en être à ma neuvième et dernière) !

      Pour l’italien, c’est… ein bisschen, aber nicht zu viel, très insuffisant pour percevoir beaucoup plus que la musique des mots, avec beaucoup de perte de sens.

      Hélas, je suis prisonnier de ma langue, incapable de voyager loin dans d’autres langues sans un guide (pour l’allemand, j’ai mon fils, heureusement : c’est d’ailleurs une expérience étrange pour moi de voyager en Allemagne avec mon fils pour guide-traducteur, qui devient pour le coup une autre personne que celle que je crois connaître, un peu comme si les rôles père-fils étaient inversés…).

      D’un autre côté, même en neuf vies je ne parviendrai pas à lire tout ce que j’aimerais lire en français.

      Je ne connais pas du tout les essais de W. W. c’est de quel ordre ?

      • Cher Tigrane, voici bien l’une des supériorités de nous autres lettres classiques – une solide formation germanique est sine qua non, tellement l’Allemagne a dominé l’étude spécialisée du latin, du grec et de l’hébreu au XIXe-XXe siècles, aboutissant à une bibliographie monstrueuse sur tous les sujets, tous les auteurs, toutes les périodes, écrite dans le jargon tudesque, des simples travaux d’approche aux grandes encyclopédies de référence en passant par la quasi-totalité des outils, tandis que les lettres modernes et autres romanistes ne demandent, du premier cycle universitaire jusqu’à la thèse, que l’appoint d’un peu d’anglais. Quelques-uns d’entre nous, du moins parmi la génération de 80 à 50 ans car les 30-40 ans se reposent trop sur la globalisation de l’anglais comme langue de la philologie classique, sont même capables d’en remontrer aux meilleurs agrégés d’allemand ; en effet, les philologues classiques teutons du XIXe siècle s’exprimaient en général dans une langue difficile, fleurie ou au contraire très dense, quand elle n’était pas barbare (l’allemand de l’homériste Gregor Wilhelm Nitzsch est ainsi resté fameux, qui rebutait même ses contemporains), aux très longues phrases tendues calquant le néo-latin savant de l’époque – cela nous imposa une intense et précoce gymnastique intellectuelle dont il n’y a pas l’équivalent en cursus d’allemand puisque, par définition, on y pratique les ‘bons’ auteurs et on y apprend les usages standards.

        • ah ben, ça y est, il s’est trahi (ou plutôt, son style le trahit), nous connaissons le véritable patronyme de NéoBirt7 : Gregor Wilhelm Nitzsch !

          (Une fois de plus, mille excuses pour cette blague, j’peux pas m’en empêcher… il doit y avoir un nom pour cette maladie.)

  44. (Si seulement les anglais brexiteux pouvaient fonder maintenant leur Pléiade ! Je n’arrive pas à croire qu’il n’y a pas un public pour ça là-bas….)

  45. Cher Neobirt7

    Concernant les lettres modernes vous avez raison de pointer du doigt l’incurie notoire des étudiants pour les auteurs antiques. Il y a bien quelques UE de Latin, obligatoires dans le cursus, mais c’est bien trop peu et ces modules correspondent pour l’essentiel (il y a bien un ou deux modules paresseux de civilisation latine…) à une sorte d’apprentissage accéléré de la langue. En Lettres Modernes on insiste beaucoup plus ( je ne vais pas m’en plaindre) sur la grammaire française et l’étude stylistique des auteurs… En langue française. Pour ma part, je maintiens qu’un bon étudiant en lettres Modernes est aussi un lecteur assidu des Anciens. Ce qui est loin, très loin d’être le cas…

    • Je rejoins vos propos, Messieurs, concernant la disparition des Lettres Classiques. Elles avaient outre l’avantage d’enseigner un certain nombre de valeurs sur lesquelles notre civilisation repose encore mais aussi palliait l’ignorance en grammaire des élèves et leur permettait de mieux approcher une langue comme l’allemand. Dans mon petit lycée, ces deux options sont menacées avec la réforme : je n’ai plus que 12 élèves en latin (tous niveaux confondus) et ma collègue d’allemand guère plus d’une quarantaine (tous niveaux aussi) sur une population lycéenne d’environ un millier d’individus. Le bon côté, c’est que nos élèves en veulent et créent en petits effectifs une atmosphère conviviale qui facilite l’apprentissage individuel. Personnellement, je ne comprends qu’on puisse enseigner le français dans toute sa subtilité en ignorant les langues classiques.

      • Dans mon petit collège de province, il n’y avait qu’une classe de latin, à laquelle j’étais inscrit, et qui n’intéressait que peu vos collègues, visiblement peu formés en langues classiques. Tous les ans, le professeur changeait, et à chaque fois, nous faisait reprendre les bases de l’enseignement du latin. D’où 4 ans de latin, qui n’en sont en réalité qu’un an et demi bien tassé. J’avais demandé s’il était possible de faire du grec, et on m’avait opposé une fin de non-recevoir, car il fallait choisir entre latin et grec… L’état de l’enseignement des lettres classiques (hors peut-être les grandes villes) semble assez affligeant.

  46. Cher Néo Birt il va de soit que ni le grec ni le latin ne me sont étrangers. Et alors donc pour vous répondre ma « supériorité » est évidemment de lire écrire et parler l’italien l’anglais l’espagnol le russe et l’arménien! Que des vivants ! (Plus ou moins vivants certes!) Pour l’allemand la raison est tout autre. Passons. Les russes et les italiens, pour ne prendre que ces exemples, publient toujours des romans du théâtre des poésies que je peux lire aujourd’hui au bord de la plage. Il y a certes un bonheur à lire les grands anciens grecs latins, russes et espagnols mais surtout le bonheur de découvrir des auteurs contemporains et leur regard sur notre monde comme il va dirait Volaire (oups un mort !) Et là je suis d’abord du côté des auteurs vivants. Marguerite Yourcenar avait dit une phrase qui est restée en moi : plus on avance dans les siècles plus le choix des livres à lire et à garder dans sa bibliothèque est difficile, le temps n’a pas encore fait le tri. C’est assez juste.

    • Je parlais de manière générale et sans vouloir vous offenser, Tigrane. J’aimerais quand même signaler que le latin et le grec sont des langues qu’il ne suffit absolument pas, pour faire de vous un professionnel, moins encore un philologue, d’avoir étudié pendant quatre ou cinq ans avant une agrégation réussie de lettres ou de grammaire ; si c’était le cas, tellement de traductions réalisées par des gens de l’enseignement secondaire ne seraient pas à jeter à la poubelle (une exception tout de même : le Tite-Live d’Annette Flobert). La raison en est simple – outre une part effroyable de bachotage, cette formation met en mains seulement les bases linguistiques, sans rien apprendre de l’usage, ou plutôt des usages normés par les époques et les genres, moins encore des ‘dialectes’ littéraires (mettons la poésie hexamétrique postvirgilienne, la poésie dramatique de Plaute à Sénèque), sans parler de l’idiolecte d’un Ovide, d’un Manilius, d’un Lucain, d’un Valérius Flaccus ou d’un Stace, où l’imitation modifiée de Virgile s’accorde souvent subtilement avec les expérimentations stylistiques. C’est plus vrai encore dans le cas du grec. Pourquoi croyez-vous que les égyptologues ne se bousculent pas au portillon pour commenter les rares sources continues dont on dispose sur la religion d’outre-Nil (le livre II d’Hérodote, le livre I de Diodore de Sicile, le Sur Isis et Osiris de Plutarque) ? C’est qu’en sus de l’érudition absolument gigantesque requise par l’explication de ces textes, il faut une sûreté philologique sans faille : l’ionien d’Hérodote est simple mais régulièrement piégeux et d’une morphologie redoutable ; le grec commun écrit par Plutarque se caractérise par une alternance de longues phrases enchevêtrées, à la syntaxe parfois délicate où la suite des idées ne ressort pas toujours avec évidence, et de sentences ramassées qui découragent tout autant la traduction, la diatribe isienne (transmise dans un très petit nombre de manuscrits récents et médiocres) portant à sa culmination ce style affecté et rhétorique, d’où d’assez nombreuses divergences parmi les traducteurs et d’aussi fréquentes impasses traductologiques. Ce n’est pas un ancien agrégé de lettres parti sur une thèse d’égyptologie qui pourra trancher les difficultés de cet ordre.

      • Pour moi, ce qui me rend les grands Anciens incomparables (et surtout les Grecs), sauf à nos classiques français du XVIIe siècle, c’est leur recherche consciente des, et leur réussite dans les, standards of finish. Prenez la lyrique archaïque, les trois Tragiques, Aristophane ou Homère – là où il faut des torrents de vers à Shelley ou à Milton, Shakespeare, Goethe, Le Tasse, un couplet vigoureux suffit aux susdits Grecs pour coucher une idée complexe dans sa forme exquisement harmonieuse. Hipponax parvient à damer le pion à Rabelais dans la scène que voici (fr. 92 West = 95 Degani) :

        lydisant, voici qu’elle récita : ‘baske pikrolel’,
        culièrement disant : ‘haut le cul !’,
        et sur les gonades,
        elle de me flageller d’une tige de figuier, comme remède / bouc-émissaire*,
        à doubles coups réitérés
        Double alors devint mon supplice.
        La tige d’un côté me malmenait
        en retombant de haut, et [mon cul expulsait]
        de la merde liquide.
        Ma fente se mit à empester et de vrombissants bousiers
        accoururent au fumet, plus de cinquante d’entre eux.
        Les uns s’élançaient
        à l’attaque, d’autres [s’aiguisaient ?] les mandibules,
        et d’autres agglutinés aux portes
        de Fondementville…

        * l’ambiguïté sémantique du mot grec φαρμακός / pharmakos est sans doute voulue : la sorcière met symboliquement le patient au ban de la société non moins qu’elle tente de le guérir de ce pour quoi il est expulsé.

        Hautement vulgaire mais sophistiquée et toute sémillante d’incrustations non-grecques, cette poésie choliambique d’Hipponax faisait les délices des poètes-érudits d’Alexandrie ; Callimaque lui-même, qui enterre dans un silence complet le moraliste Théognis et brocarde les émules trop verbeux et flasques d’Homère, tel Antimaque de Colophon pour sa molle « Lydè », ne dédaigna pas se présenter comme un nouvel Hipponax dans le premier de ses « Iambes ».

  47. M. Pradier et M. Desprats ont fait une petite conférence dans une librairie parisienne cette semaine (https://twitter.com/GeorgFriedrich2/status/1087789432621670403). Pour ceux qui n’ont pas Twitter, un petit résumé : Malebranche et Fénelon ne seront plus réimprimés ; les Sonnets de Shakespeare sortiront en 2020 ; Huysmans va sortir en novembre 2019 ; Georges Sand en 2 volumes devrait sortir à la même période ; 4 volumes d’oeuvres poétiques de Hugo sont en préparation ; et enfin en 2019-20, il y aura publication d’un nouveau volume de Dante (l’ancien restant disponible) reprenant la traduction GF. Le programme de 2019 semble donc entièrement connu, sauf le tirage spécial.

      • Risset nous a donné une traduction rabot de la « Divine Comédie », qui cherche à rendre l’italien vers à vers en un français aussi accessible et dépouillé que possible (vocabulaire et syntaxe sont ceux de notre époque, sans effort de rythme ni de rhétorique, encore moins de recherche d’équivalents sémantiques pour les innombrables concepts dantesques ne se prêtant pas à une translation tant soit peu univoque). Le résultat est fiable, dans les limites d’une enquête qui n’a jamais prétendu trouver du neuf ni accroître notre compréhension de Dante, ce qui ne va pas sans poser des problèmes philologiques (car devant un texte pareil, c’est courir des risques que de s’enfermer dans une exégèse vivant, comme disent les Anglais, « from hand to mouth », c’est-à-dire purement utilitariste) ; hélas, le français de Risset est sec, monotone, sans fulgurance ni le moindre apprêt, et pour tout dire décevant, les prétendus vers libres de la traductrice, qui sont de simples stiques au nombre fort variable de syllabes, manquant de la souplesse et du liant qui sont l’apanage d’une prose de bon artisan. A ce traitement, la « Divine Comédie » perd tout son feu, sa grandiose respiration, le relief si frappant de son imagerie, au profit d’un terne et scolaire salmigondis que n’étaie même pas le trop frugal appareil de notes. Le texte original reproduit en vis-à-vis n’est guère là que pour faire beau. Deux versions concurrentes me semblent de beaucoup préférables : la traduction Henri Longnon aux Classiques Garnier (1934, honorée du prix Langlois de l’Académie Française), sans cesse reproduite par les « Classiques Garnier » jusqu’en 1999, en alexandrins non-rimés d’une belle fermeté, qui s’accompagne de 170 pages de notes sans prétentions mais suffisantes, et celle bilingue de Jean-Charles Vegliante, en vers libres (Poésie Gallimard, 2012, 2014²), beaucoup plus attentive que Risset à l’oralité et aux jeux verbaux de l’italien mais peu annotée compte tenu de son format économique.

        • On trouve sur la toile des exemplaires à prix très raisonnables du Lorgnon-Garnier, je suis très tenté. Et pourquoi pas aussi celle de Poésie/Gallimard. Outre ma vieille Pléiade, ce ne serait pas de trop d’avoir trois versions d’une telle oeuvre !

        • Du 28 janvier (oui, je ne suis pas en avance)…
          Merci de ces indications.

          Je voudrais préciser que la traduction Vegliante n’est pas du tout en « vers libres » ; vous vouliez dire peut-être en vers comptés (strictement comptés) mais « blancs », encore qu’assonances et rimes, là où elles s’imposaient, ne soient nullement exclues. C’est autre chose que les bouts rimés de certaines traductions (un peu naïves) dont on s’est esbaudi naguère…
          Il est assez curieux qu’un silence assez convenu – en tout cas dans les publications papier les plus répandues – ait entouré, en France en tout cas, cette édition en partie originale, complète, bilingue, sans notes, et en vers !
          Cordialement,
          Murolo

    • Merci Jules. Pour la poésie de Hugo, je me méfie. Cela fait des décennies qu’ils sont en préparation et on ne voit toujours rien venir…Sinon, je me laisserais bien tenter par le Dante allégé des oeuvres scolastiques ; il serait bien qu’il fût bi0lingue et illustré (par Doré par exemple).

      • Le Dante est publié en prévision de l’anniversaire de sa mort en 2021 je suppose. Actes Sud propose une toute nouvelle traduction aussi, sous la plume de Danièle Robert, elle aussi bilingue. Je ne sais ce qu’elle vaut, mais ce sont de beaux ouvrages que j’ai pu feuilleter en librairie. Une reprise de traduction en GF serait une première pour la Pléiade, et il ne serait pas étonnant qu’on perde les oeuvres moins importantes de Dante, pour permettre une Divine comédie en langue originale.

    • Combien sommes-nous ici à trouver plus que regrettable l’épuisement prochain de Malebranche et Fénelon en Pléiade ? Gallimard persiste à réimprimer les huit médiocres Dickens (rarement aura-t-on vu éditions aussi minimalistes, avec trente ou quarante pages de notes squelettiques et des traductions dont on nous laisse ignorer si elles sont originales), s’encombre de Simenon, Colette, Sarraute, d’Ormesson, Jaccottet, Beauvoir, persiste à mal publier Shakespeare, Verne, Laclos, Staël, Hugo, mais va nous laisser destitué d’oeuvres maîtresses presque impossibles à trouver ailleurs ? Pour Malebranche, je ne crains pas de parler de tragédie, Jacques Lebrun, avec ses Pléiades, nous ayant procuré la seule édition moderne tant soit peu commentée (les « Oeuvres complètes » parues chez Vrin sont lourdes, épuisées et malcommodes, car se voulant simplement critiques). Bientôt, ce sera le tour de La Bruyère et La Rochefoucauld, desservis par leur Pléiade archaïque, voire de Pascal, dont les deux volumes signés Le Guern sont sans nul doute trop savants, surtout le second, pour le vulgus pecum, et doivent s’être mal vendus si l’on en juge par le fait que des commandes faites sur Electre aboutissent à la livraison de tomes en premier tirage (achevé d’impression 19.I.1998 pour le I, 13.XII.1999 pour le II).

      • Geneviève Rodis-Lewis, pas Jacques Le Brun (superbe éditeur de Fénelon), nous a donné cette bonne Pléiade du meilleur de Malebranche ; signe des temps, le tome second, publié après un assez long hiatus, taille dans l’appareil critique et critiquement comme visuellement fait plutôt piètre figure auprès du premier, qui publie entre autres « La recherche de la vérité » avec une riche annotation.

      • Je souscris à votre propos, NéoBirt7.

        Mais, l’avocat du diable n’étant jamais loin chez moi, j’ajouterais ce qui suit.

        Ayant mis la main par hasard sur le « Traité d’Anthologie » d’Onfray, j’ai consacré deux heures de mon dimanche à le lire (ne me demandez pas ce que j’en pense : le plus grand mal) – ce fut pour moi l’occasion de me dire qu’il aurait été intéressant qu’au milieu de tant de livres religieux, la Pléiade consacrât au moins un volume à une petite anthologie d’écrits philosophiques du « camp adverse » : les philosophes des Lumières véritablement athées, comme La Mettrie, d’Holbach, Feuerbach…

        • J’enrage : le « correcteur » crétin de mon ordinateur n’a pas voulu du terme « d’Athéologie »

          (pourtant consacré par Georges Bataille, bien avant Onfray qui reconnaît sa dette) et la remplacé par un inepte « Anthologie ».

  48. Bonjour, Je m’adresse à Jules particulièrement, savez-vous si la parution de Georges Duby a de chances d’âtre programmée en 2019 ? je l’espérais fortement … merci de toute information !

    • Bonjour Alexandre, je n’ai vu aucune information à ce propos. Avec les 2 Michelet, le Nietzsche II, le Dracula, les 2 Gary, le Huysmans, les 2 Sand, le programme de 2019 est déjà bien plein. Dante en bilingue sortira sûrement en 2020, voir 2021 pour l’anniversaire de sa mort. Un volume de Duby peut donc s’ajouter au programme fin 2019, on serait ainsi à 10 publications + le tirage spécial, ce qui reste dans les clous des années précédentes.

      • Merci beaucoup Jules !! Une chose est sûre, il faut être patient avec la Pléiade. Merci encore pour cette réponse et pour ce site qui est super.

  49. J’émets une hypothèse peut-être stupide, mais, sait-on jamais ? Cette imprévue « Comédie » de Dante, reprenant purement et simplement – et étrangement – la version parue en GF et n’ayant pas vocation à remplacer le Dante existant en Pléiade, ne pourrait-il être, en fin de compte, le volume spécial hors numérotation ?…

    • Possible. Cela ressemble également à l’édition des Liaisons dangereuses, n’ayant pas vocation à remplacer l’édition Versini des Oeuvres complètes.

    • Intéressante hypothèse, et peut-être l’inédit consistera-t-il en son caractère illustré ? Les illustrations de Gustave Doré me viennent immédiatement en tête, mais c’est presque trop facile…

      Puisque Gallimard cherche à élargir le public de la Bibliothèque de la Pléiade, ils seraient bien avisés d’envisager une édition accompagnée des dessins de Moebius/Jean Giraud de la Divine Comédie, un tel ouvrage s’écoulerait facilement auprès des bédéphiles… Quitte à s’aventurer dans la paralittérature, autant y aller franchement !

  50. Etrange choix de la part de Gallimard de rééditer cette traduction de Risset. L’éditeur proposera-t-il des ajouts supplémentaires pour permettre à cette édition de se différencier des volumes GF ?

    Au sujet des récentes traductions de la Comédie, je me suis laissé tenter par celles de René de Ceccatty et de Danièle Robert. Concernant la traduction de cette dernière, il faut noter que le lecteur doit pour le moment se contenter de l’Enfer et du Purgatoire en deux tomes brochés distincts, tandis que celle de René de Ceccatty est complète et disponible en un unique volume en poche de la collection Points.

    Afin de vous faire une idée de leur qualité, je reproduis les premiers vers de chacune. Commençons par Danièle Robert :

    « Etant à mi-chemin de notre vie,
    je me trouvai dans une forêt obscure,
    la route droite ayant été gauchie.

    Ah ! combien en parler est chose dure,
    de cette forêt rude et âpre et drue
    qui à nouveau un effroi me procure !

    Si aigre que la mort l’est à peine plus…
    Mais pour traiter du bien que j’y trouvai,
    je parlerai des choses que j’ai vues. »

    Au tour de celle René de Ceccatty :

    « A mi-parcours de notre vie
    Je me trouvais dans un bois sombre :
    C’est que j’avais perdu ma route.

    Il est si dur de raconter
    Combien ce bois était sauvage
    Qu’y repenser accroît ma peur.

    C’est plus amer que la mort même.
    Pour traiter bien ce que j’y vis
    Je donnerai d’autres détails. »

    Dans le cas de la traduction de René de Ceccatty, nous sommes clairement en face d’une infidèle mais qui s’assume comme telle, et vise clairement à donner au lecteur contemporain une lecture facile et fluide de la Comédie. Il n’y a aucune note, aucune bibliographie, pas de reproductin du texte original, René de Ceccatty traduit de telle façon que le lecteur puisse faire une lecture sans rencontrer de difficultés. Plutôt que d’annoter un vers qui fidèlement traduit dérouterait peut-être le lecteur, il s’écartera volontairement du texte original pour donner au lecteur une expression alternative. Notons néanmoins que le traducteur a produit une préface de 80 pages afin de tout de même présenter l’oeuvre au lecteur et d’expliquer ses choix de traduction et des exemples de ses écarts. Mon opinion pourrait paraître négative, mais il serait injuste de juger cette traduction comme une traduction qui prétend être la référence francophone. C’est sans doute même une traduction idéale pour certains types de public qui cherchent avant tout une lecture très fluide.

    La traduction de Danièle Robert a d’une certaine manière les prétentions inverses à celle de René de Ceccatty. Alors que ce dernier souhaite offrir une lecture facile, Danièle Robert précise d’emblée dans sa préface que la Comédie nécessite une lecture soutenue, elle accompagne donc sa traduction de notes et d’une bibliographie. La reproduction du texte original montre également une volonté de se confronter plus directement au texte de Dante et à ses difficultés. Une telle prétention implique naturellement que les critiques se sont montrés plus exigeants et certains circonspects sur cette traduction, lui reprochant des rimes parfois peu fines, des vers qui ont perdu en intelligibilité afin de tenir les contraintes de mesure du vers etc. Je vous joins l’article d’En Attendant Nadeau sur les problèmes de cette traduction : https://www.en-attendant-nadeau.fr/2016/09/27/traduire-dante/
    On peut également lire l’opinion de Kolja Mićević ( http://editions-esopie.com/index.php/2018/01/31/une-traduction-gauchie-de-lenfer-de-dante/ ), traducteur également de la Comédie mais dont l’édition est d’une diffusion plus confidentielle. Il semblerait avoir très mal pris les critiques formulées par Danièle Robert à l’égard de sa traduction, et tient donc en retour à démolir les trouvailles de D. Robert. Ce petit règlement de compte est amusant à lire. Je me demande ce que vaut la dernière révision de la traduction de Kolja Mićević…

    Doit-on ignorer la traduction de Danièle Robert ? La critique est sans doute plus sévère avec Danièle Robert car sa prétention nous force à la comparer avec les autres grandes traductions de la Comédie. Cependant, on trouve sur Internet des compte-rendus de lecteurs satisfaits de cette version, et il est vrai que les volumes sont en soi agréables à manier et plus qualitatifs qu’un poche.

    • Pourquoi ne pas citer aussi l’incipit de la traduction Vegliante (Poésie/Gallimard), complète et bilingue en un seul volume (voir ci-dessus) ? Ne serait-ce que pour rompre un étrange silence des grands médias et donner un peu de profondeur à notre labile mémoire ?

      À la moitié du chemin de notre vie
      je me retrouvai par une sylve obscure,
      où la voie droite avait été perdue.
      Ah, qu’il est dur de dire ce qu’était
      cette forêt âpre et sauvage et violente
      qui dans ma pensée renouvelle la peur !
      Elle est si amère, mort n’est guère plus ;
      mais pour traiter du bien que j’allais trouver,
      telles choses dirai que j’y ai vues.

      (Vers comptés, avec enchaînement reconnaissable tous les deux tercets : 11, 11, 10 / 10, 11, 11 / 11, 11, 10 etc…)

      Quant aux critiques, celle-ci m’a semblé assez originale dans le concert commun, et bien tempérée :
      Joëlle GARDES, « Ô qui dira les torts de la rime », revue DANTE [Rome], XIII, 2016-17.

      Cordialement à tous les vrais lecteurs de ce blog,
      M.

      • Lorsque l’on sait que Murolo n’est autre que le pseudonyme informatique de Jean-Charles Vegliante, cette intervention ne manque pas de sel…

  51. Cher Neobirt7

    C’est tout le dix-septième siècle littéraire qui disparaît, et avec lui bien sûr, les derniers témoignages scripturaires de l’Ancien Régime.
    Comme si la France aujourd’hui, n’était pas une monarchie déguisée… Encore, si nous avions un nouveau Bossuet, un nouveau Pascal, un nouveau Corneille ! Il fut un temps où notre président ( Pompidou) se pâmait d’extase devant une tirade de Racine.
    Bref, le temps de la déploration n’est plus. Et puis, pour les textes qui ne seront plus réédités, il y a Gallica. Mais je plains le profane…

    • Je ne serais pas aussi défaitiste que vous, Zino. De nouveaux, et splendides, Pascal, Racine (Théâtre – Poésies), Romanciers libertins du XVIIe siècle, Molière – c’est autant d’activité sur le XVIIe siècle que la décennie 70-80, qui nous avait valu de magistrales éditions commentées de Retz (N. Hepp), Sévigné (R. Duchêne), Corneille (G. Couton ; une grande réussite) ainsi qu’un Molière de bon aloi (Couton), en sus des débuts de Malebranche et Fénelon. Le filon n’est peut-être pas totalement épuisé ; il faudra bien refaire Spinoza. La moitié environ du siècle d’Henri IV, Louis XIII et Louis XIV se trouve représentée à la Pléiade par des éditions soit ineptes à force d’abrègement (Descartes, La Bruyère, La Rochefoucauld, ancienne édition de Pascal, Spinoza, Romanciers) soit correctes mais trop peu philologiques (Bossuet) ; le reste va du bon (Bossuet, Malherbe, anciennes éditions de La Fontaine et Racine) à l’excellent (Tallemant notamment et les auteurs cités supra). Le XVIIIe siècle français n’est pas si bien loti, entre l’immondice que constituent les quatre tomes de Montesquieu et des Romanciers, les piteux « Mélanges » et « Oeuvres historiques » de Voltaire, un nouveau Marivaux bloqué à trois tomes échelonnés sur vingt ans et trois tomes plutôt contestables de Sade.

      • Cher Neo-birt7,
        Pourquoi préciser « l’ancienne édition » de Racine ?
        La refonte du tome 1 par Georges Forestier ne vous plaît donc pas ?
        (J’en profite pour vous poser la même question pour le Molière, du même Georges Forestier, que vous ne citez pas).
        Merci à vous.

  52. Neobirt7,
    Je ne parlais pas de ce que nous avons encore ( et pour combien de temps ?… ) mais bien plutôt de ce que nous n’aurons plus.
    Pourrons-nous dire encore avec Malherbe : « Et les fruits passeront la promesse des fleurs »

    • Si parmi nos enfants et petits-enfants, certains sont encore curieux de ces choses, ils devront attendre notre disparition (ou notre admission en Ehpad, autre forme de disparition) pour en hériter. En attendant, il restera les bibliothèques publiques. Et pour peu que la numérisation continue à progresser à pas de géant, nos livres leur serviront à allumer le feu dans la cheminée. Nous sommes peut-être (probablement) en train d’assister à la fin de l’ère Gutenberg.

      (C’était mon quart d’heure de prophétie prophylactique : en espérant qu’il suffit d’émettre une prophétie pour l’empêcher de se réaliser.)

    • Expression que l’on trouve aussi page 787 du dernier Don Quichotte de la Manche de la pléiade :
       » … , et je ne voudrais pas que les fruits passent les promesses des fleurs, car enfin la cupidité fait crever les sacs, … ».

      Ils sont de la même époque certes. Peut-être un effet de la traduction. Étant sensible aux coïncidences souvenez-vous dans quelle œuvre ce trouve cette citation ?

  53. Bonsoir Domonkos
    Ce n’est pas un oubli volontaire, même si je dois avouer que j’apprécie finalement assez peu « La princesse de Clèves », évidemment incontournable. Il y a parfois des rendez-vous manqués…
    En revanche, « Le page disgracié » bien moins connu, me paraît autrement plus passionnant pour qui s’intéresse aux origines du roman réaliste.

    • J’aimerais bien connaître vos arguments pour « La Princesse » que, pour ma part, je place très haut (peut-être à tort ? à vous de me le démontrer, hé hé).

      J’avoue être passé à côté du « Page » (ai-je sauté les pages ?) : je vais de ce pas, réparer cette négligence.

      • Je dois dire qu’à mes yeux « La Princesse » est le prototype d’une certaine espèce de roman bref, sec, dépouillé, que j’apprécie au plus haut point. J

        e n’aime les romans fleuves que lorsqu’en eux s’écoule un puissant courant, et je déteste tous les romans de trois ou quatre cents pages (n’est-ce pas M. Zola ?) qui pourraient être écrits en deux cents sans rien perdre de leur matière, et sans accabler le lecteur de quantité de détails inutiles, de redites, d’analyses psychologiques, sociologiques, n’importequoi-logiques, aussi vaines que fausses. C’est-à-dire l’essentiel de ce qui se publie aujourd’hui. (Un des exemples les plus criants est représenté par cette mode, qui s’est imposée comme un dogme, du roman policier de 5 à 6OO pages, emm…ants comme la pluie, là où suffisait de 150 à Hammett, Chandler ou à Jean-Patrick Manchette pour nous en dire bien plus, tout en nous envoyant un direct au foie.)

        • En fin de compte, la nouvelle brève ou longue, le roman court, et le roman-fleuve lorsqu’il est un Amazone avec tous ses affluents, ses forêts, ses mangroves et sa puissante avancée dans l’océan.

  54. Domonkos
    Je ne vous ferai pas l’injure de vous rappeler cette formule archi rebattue de Gide : « Hugo, hélas » .
    J’aurais aimé aimer ce roman dont justement le romanesque manque cruellement. Il y a dans la trame narrative une promesse de récit de conte ( l’incipit, la scène du bal, la lettre, le portrait…) que l’ambition psychologisante du roman va, disons, calmer…
    Or, contrairement à Gide, je place Hugo sur le trône de Jupiter. Et je ne peux m’empêcher de penser au traitement que Hugo aurait appliqué à ce récit, trop timide dans la description des ravages de la passion. Et je ne parle pas du théâtre classique ! En somme, le récit des amours contrariées de la princesse de Clèves et du Duc de Nemours ne correspond pas vraiment à ma sensibilité, bien que le roman s’intègre également dans la veine Précieuse, que j’apprécie. Allez comprendre. Je vous l’ai dit Domonkos, il y a certaines mécaniques, dans le monde des livres, qui resteront inertes, pour toujours.

    • Madame de Lafayette est pour moi l’auteur le plus ennuyeux de tout le XVIIe siècle ; elle n’a pas de ces inventions verbales qui ravissent chez tous les autres classiques ses contemporains, son faire maniéré manque de l’âpreté grand seigneur dont regorgent Retz, Sévigné, La Buyère, La Rochefoucault, pour tout dire c’est l’Hôtel de Rambouillet en miniature (qui survivrait à une lecture de « Zaïde » ferait montre d’une résistance proprement chalcentérique). « La princesse de Clèves » mérite son purgatoire en Pléiade dans la misérable édition Adam des « Romans du XVIIe siècle ».

  55. Dear Neobirt7
    You’ve Just made my day 😅😅
    J’ai tellement ri que je crois pouvoir me passer ce soir de mes deux cachets d’Euphytose !
    À bientôt de vous lire.

    • Un avantage d’avoir enseigné les humanités, cher Zino, est de ne m’être coltiné par obligation aucun des auteurs français dont la lecture me cause de la tachycardie. Certains de mes élèves doivent se souvenir encore d’avoir été bassinés de réflexions tirés de Brantôme (dont la langue drue et le gros style ferré me ravissent) ou de Boileau, dont pour moi nul n’a égalé l’aptitude à couler dans des vers limpides le moindre mouvement d’humeur.

  56. Neobirt7
    On ne m’a évidemment pas épargné le-premier-roman-psychologique-français. Certains élèves semblaient apprécier… Je croyais bien être le seul sur terre à n’avoir pas aimé ce texte ( que je considère…) insipide. Nous allons faire de la peine à notre ami Domonkos…
    Une bonne soirée à vous neobirt.

  57. Vous ne me faites aucune peine, l’un et l’autre. Il m’amuse au contraire de vous voir détester ce que j’aime. Oserais-je pousser la provocation jusqu’à vous dire que j’aime ce roman… justement pour les raisons qui vous font ne pas l’aimer. Je n’aurais su les mieux dire que vous l’avez fait.

    Mais, je ne suis rebuté par aucune contradiction, aucun paradoxe, et j’apprécie également Brantôme, Retz et tutti quanti, sauf Sévigné, mais pour la seule raison que je ne l’ai pas lue (j’ai pourtant un volume Pléiade de ses Lettres dans ma bibliothèque, mais il n’en est jamais ressorti, je ne sais pas à cause de quelle malchance).

    Cher NéoBirt7, je ne m’étonne point de votre détestation de Mme Sarraute, connaissant à présent votre déplaisir de Mme de Lafayette, il se trouve que je ne vous suis ni pour l’une ni pour l’autre (mais à tenter de vous suivre constamment, athlète des Lettres, je tomberais en chemin, souffle épuisé).

    Quant à Hugo, Zino, où avez-vous pris qu’il se trouverait dans mon collimateur ? Il fut mon idole et mon maître aimé et révéré, à 14 ans. Il était tout pour moi, et n’a cessé depuis de l’être. Pendant les vertes années où je me crus poète, j’hugolâtrai à qui mieux mieux. Devenu vieillard chenu, je continue à le fréquenter assidûment. « Les Misérables » figure à mes yeux au rang des romans-fleuve-amazone que j’évoquai plus haut, et rien de ce qui sortit de la plume et du cerveau de l’entêté de Guernesey ne me laisse indifférent. Du fameux mot de Gide, je retiens « Hugo », et je retranche « hélas ».

    • Ne croyez pas que je veuille vous faire offence, mais à propos de « l’avantage d’avoir enseigné les humanités », mon plus grand avantage réside dans le fait qu’on ne me les a pas enseignées ; pour être juste, je dois avouer que c’est aussi mon pire désavantage.

  58. Domonkos,
    Où avez-vous pris que je vous croyais insensible à Hugo ? En citant la célèbre boutade de Gide je voulais juste faire un parallèle avec Gide, gavé de Hugo, célébrité nationale, dont il voulait rappeler certainement tous les défauts qu’on lui prêtait : emphase, grandiloquence, boursouflure, facilités oratoires… Et certains textes intouchables.
    Il y a donc Hugo, que l’on est sommé d’aimer ( ça tombe bien, c’est mon écrivain favori, tous siècles, toutes nationalités confondus) et puis il y a La princesse de Clèves, que l’on est obligé d’aimer si l’on est un bon étudiant de Lettres, ou tout simplement un lecteur sensé. Or, je n’ai jamais aimé ce roman, que j’ai pourtant relu plusieurs fois, pas pour mon plaisir, vous vous en doutez. C’est un vieux débat : le goût commun contre le goût personnel…
    Et pour finir je reprendrai en la détournant, la citation de Vallès : À tous ceux qui privés de grec et de latin, sont morts de faim, je dis :  » Comme votre mort est injuste ! « 

    • L’effet terrible (et durable) de cette phrase de Vallès, quand je l’ai lue, ado, moi qui « mourais de faim de latin et de grec » et m’introduisais clandestinement, avec la complicité d’un ami, dans les classes d’études du Lycée Champollion à Grenoble, le soir après mon boulot, pour faire avec les malheureux lycéens-galériens leurs exercices de latin !… J’ai toujours été un fou furieux…

  59. Le tome 2 de Nietzsche est bien plus épais et riche que le tome 1. Avec quelques textes inconnus de moi (qui ne connaît pas grand chose en philosophie !) Très intéressant. «Humain, trop humain l et II, Opinions et sentences mêlées, Le Voyageur et son ombre, Aurore (Pensées sur les préjugés moraux), Le Gai savoir»

    • Cher Tigrane, « riche » m’inquiète un tantinet sous votre plume. Devons-nous entendre par là que l’équipe éditoriale s’est acquittée de l’appareil critique avec générosité (tout mince qu’il était, le premier volume offrait un ratio texte – commentaire très libéral), ou, plus prosaïquement, que ce tome regroupe un assez large corpus nietzschéen ? Les traductions françaises de l’auteur de « Wir Philologen » ne manquent désormais plus, sans compter le très respectable Henri Albert, qui n’en finit pas de tailler moult croupières à ses émules universitaires depuis la calamiteuse Geneviève Bianquis ; c’est l’intertexte (demi-)savant qui fait cruellement défaut au lecteur non-germaniste.

  60. Evidemment, il ne faut pas demander à Dorian Astor de composer un appareil de notes fraîches et approfondies, le pauvre homme ! De Freud à Nietzsche en passant par Lou-Andreas Salomé (pour cette dernière, indéniablement supérieures sont les traductions de la philologue classique Pascale Hummel), c’est à se demander si Astor a lu autre chose d’eux que l’oeuvre à translater.

  61. N’étant pas philosophe j’ai lu beaucoup de textes inconnus et des notices intéressantes. Ce n’est pas toujours le cas hélas…. et en 1600 pages il y a de quoi lire ! J’attends Gary avec impatience.

  62. Une autre parution potentiellement intéressante : « Voyage d’Italie » de D.A.F. de Sade. Elle est prévue pour mars 2019, édition préparée par Michel Delon. Couverture : https://images-na.ssl-images-amazon.com/images/I/61SvlmbguWL.jpg

    De prime abord, j’ai pensé qu’il s’agissait d’une reprise du texte de cette ancienne édition : https://images-na.ssl-images-amazon.com/images/I/41Z7BEAGNHL._SY344_BO1,204,203,200_.jpg . Néanmoins la parution à venir a été préparée par Michel Delon, alors que la précédente était le fait de Maurice Lever. Une occasion de découvrir peut-être ces écrits peu édités sous un jour nouveau ?

    • Je frissonne à l’idée que ce tome II, qui s’est fait attendre dix-huit ans, va nous refiler la version Klossowski du « Gai savoir » (même hypothétiquement révisée par M. de Launey), connue tant pour sa méconnaissance de la philologie classique, sine qua non dans le cas de Nietzsche, qui brilla tellement à l’université que son maître, l’illustre latiniste Ritschl, l’exempta de dissertation inaugurale en fin de cursus et le bombarda professeur, que pour sa propension à en prendre à son aise avec l’original allemand (propositions entières omises, rendu souvent paraphrastique). Je ne suis pas non plus enthousiaste d’apprendre que le traitement du difficile « Aurore », sous-tendu par une vaste culture historique, incombe à D. Astor, simple normalien dont le parcours de traducteur et de philosophe relève d’une trajectoire à la mode (comparer un certain Maxence Caron) plutôt que d’une évolution proprement savante.

      • Vous pouvez faire plus que frissonner, NéoBirt7, puisque l’annonce du catalogue mentionne expressément Klossowski au nombre des « traducteurs ». Révérence envers une gloire passée (bien passée, comme un tissu décoloré par l’âge) de nos Belles Lettres ou bien fainéantise crasse ? A moins des deux…

        « Friedrich Nietzsche ; Œuvres Tome II
        Trad. de l’allemand et du grec par Dorian Astor, Julien Hervier, Pierre Klossowski, Marc de Launay et Robert Rovini. Édition publiée sous la direction de Marc de Launay avec la collaboration de Dorian Astor »

        Ce qui est « pardonnable », dans le cas d’un « Robinson Crusoe » (pardon, cher Néo-Birt7, je ne dis pas cela pour déterrer la hache de guerre), c’est-à-dire une traduction ancienne, contestable aux yeux des spécialistes, mais prétendant au titre de « classique » – pour ne rien dire d’une oeuvre pionnière comme celle de Vialatte et Marthe Robert – ne l’est pas du tout dans le cas d’une oeuvre aussi difficile que celle de Nietzsche qui exige la plus extrême rigueur. Il n’y a plus qu’à espérer, sans trop y croire, que cette version a bénéficié d’une très sérieuse révision ; mais, dans ce cas, à quoi bon ? Pourquoi ne pas la remplacer carrément ?

        Il est assez incroyable que La Pléiade ne place pas plus haut ses ambitions, et, loin de ses prétentions à représenter le pinacle, nous refile du produit générique, sans marque et sans garantie d’origine.

        • 18 ans, la durée nécessaire pour faire d’un nouveau-né un jeune homme ou une jeune femme majeur(e) ! Si c’est pour nous donner un avorton…

        • Vous parlez d’or, Domonkos ! La direction de la Pléiade ignore que le seul motif scientifiquement valide, hormis la non-disponibilité commerciale, pour entreprendre la traduction nouvelle d’un auteur quelconque, consiste dans la perspective d’une amélioration de la compréhension du texte translaté, soit que les versions existantes ont vieilli par suite de l’évolution de la langue d’arrivé, soit que la mise à disposition d’une nouvelle édition de référence du texte original a périmé les traductions établies sur des éditions plus anciennes, soit par suite de la découverte de sérieuses insuffisances dans lesdites versions, soit par combinaison de ces trois raisons empiriques. S’arrêter à une cote mal taillée reproduisant des versions nouvelles réalisées par des agrégés d’allemand au milieu de traductions dont il serait trop commode de les considérer comme classiques du simple fait que la maison d’édition qui en détient les droits ne les a pas laissées s’épuiser, c’est desservir le lecteur exigeant tout en grugeant le grand public plus ou moins lettré pour qui la belle présentation de la Pléiade sous-entend quelque chose comme une haute qualité éditoriale. On se demande bien quelles leçons ont été tirées du hiatus de presque vingt ans qui s’est écoulé depuis la parution de l’excellent tome I – peut-être justement se vendit-il mal du fait de sa richesse en exégèse et de son contenu trop peu vendeur à l’exception de « La naissance de la tragédie ».

          • « (…) en grugeant le grand public plus ou moins lettré pour qui la belle présentation de la Pléiade sous-entend quelque chose comme une haute qualité éditoriale. »
            Parfaitement diagnostiqué et dit.

            « (…) depuis la parution de l’excellent tome I – peut-être justement se vendit-il mal du fait de sa richesse en exégèse et de son contenu trop peu vendeur à l’exception de « La naissance de la tragédie ».
            Il est possible, effectivement, que la dimension de l’appareil critique en ait découragé certains. Aussi, plus certainement, le fait que ce premier volume ne contenait aucune des oeuvres les plus emblématiques de Nietzsche (du moins aux yeux du grand public)…

            Mais, l’éditeur n’a pas arrangé les choses en faisant poireauter les éventuels acheteurs pendant si longtemps, au point de les faire désespérer de voir paraître un jour la suite… Si je prends un seul exemple (pardonnez-moi, mais c’est celui que je connais le mieux), mon propre cas : ayant, sans raison précise, « raté » le premier volume à parution, je me suis longtemps abstenu de l’acheter après quelques années, craignant qu’il restât orphelin.

            Ce n’est qu’en apprenant la parution prochaine du tome II que je me suis décidé, récemment, à acquérir le tome I. Le Ciel fasse que je n’aie pas à le regretter bientôt !

          • Editeurs scientifiques et maison d’édition sont à blâmer dans le cas des Pléiades retardées ou abandonnées. Je ne prendrai qu’un seul exemple. En 1971, le jeune thésé Raphaël Molho, dans un article au titre racoleur, promettait plusieurs Pléiades consacrées à Sainte-Beuve ainsi qu’une édition des Carnets du vipérin critique, dans les termes que voici : « les Premiers Lundis, les Portraits littéraires et les Portraits de femmes font déjà partie de la Bibliothèque de la Pléiade, dans une présentation déjà ancienne de Maxime Leroy. Les éditions Gallimard viennent d’entreprendre la publication dans la même bibliothèque, et sous une forme aussi
            scientifique que possible, des oeuvres de Sainte-Beuve devenues introuvables. Déjà, elles ont confié à R. Molho la présentation d’un premier volume qui contiendra le cinquième des Causeries du Lundi. Resteront les quatre autres cinquièmes, tous les Nouveaux Lundis, les Portraits contemporains… » ~ « trois cahiers, longtemps soustraits à la curiosité des chercheurs, méritaient une particulière attention : ceux sur lesquels le critique tint le journal de sa vie et de ses pensées à partir de 1834 et jusqu’à sa mort. (…) Une publication intégrale s’imposait, que les éditions Gallimard ont confiée à R. Molho, avec l’accord des conservateurs de la collection Lovenjoul. Le premier volume s’imprime au moment où j’écris, et le second, déjà prêt, le suivra immédiatement » (‘Avenir de Sainte-Beuve ?’, Romantisme, 1971, pp. 114-115, 115). On sait que rien ne s’est matérialisé dans la Pléiade ; mieux encore, alors que Molho avait plus de quarante années à vivre, il n’a même pas achevé sa publication des Cahiers – seul le cahier vert est sorti en 1973.

  63. Songeant aux sévères mais justes reproches qui me sont faits par le très-honoré Brumes (et sentant la réprobation muette de bien d’autres) de préférer les Pléiades en coffret, songeant à ma pratique de leur faire présenter sur mes rayons leur dos illustré et portant le nom de l’auteur en gros caractères, avec pour conséquence que ces volumes ne sont plus immédiatement identifiables à des Pléiades, et m’interrogeant gravement sur ces sujets, j’en viens à penser qu’il s’agit là, peut-être, d’un symptôme de mon désamour de la Pléiade.

    Est-ce possible ? Aurais-je trouvé le moyen que mes Pléiades ne soient plus dans la Pléiade et, faute de pouvoir vaincre ma dépendance, les coffrets représenteraient-ils une drogue de substitution ? Une sorte de méthadone, si je puis dire…

    « Je plaisante, mais vous savez, comme dit l’autre, un rien suffit à changer le cours des choses. » (Jacques Prévert – « Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France »)

  64. Ce n’est malheureusement pas d’hier que la Pléiade par le truchement de la direction et des éditeurs scientifiques nous a déconfiés. Prenons le cas Sainte-Beuve confié au vétéran Maxime Leroy, dont la verte vieillesse fut extrêmement productive tant en quantité qu’en qualité. Les deux volumes des « Oeuvres » beuviennes sortis en 1949 (disponible en 1950) et 1951, nous donnent à peu près le tiers de la critique littéraire du personnage : « Premiers Lundis », « Portraits littéraires », « Portraits de femmes », au total 2470 pages avec deux cents cinquante autres de notes plus de riches Tables analytiques. L’édition en est restée là, et les années suivantes ont vu paraître à intervalles rapprochés les trois tomes, non critiques mais commodément annotés, de « Port Royal » (1953-1954-1955). Or ces « Oeuvres » constituent un début avorté ; s’il est probable que les deux énormes massifs des « Nouveaux Lundis » et des « Causeries du Lundi », dont la qualité est en général supérieure à celle des articles de la jeunesse beuvienne conçue comme toute la période antérieure à la gloire, ne pouvaient figurer in extenso à la Pléiade, où ils eussent occupé aisément dix ou douze volumes même munis de la plus étique des annotations, Leroy dessine les contours d’une publication sur Bible très étendue. Le tome I, p. 41, annonce « un tome recueillera les pensées de Sainte-Beuve, semées çà et là dans ses recueils ; elles gagneront à être rassemblées. Le lecteur aura ainsi sous la main un volume qui s’apparentera aux recueils qu’aimait Sainte-Beuve : ceux de Pascal, de Vauvenargues, de La Bruyère, de Joubert ». Mieux encore, le tome II, p. 987, énonce en toutes lettres que la Pléiade devait par surcroît rééditer l’oeuvre romanesque et poétique, notamment les deux volumes de « Volupté » : dans sa notice aux « Portraits de femmes », Leroy indique en effet que « ces portraits, ou pastels, S.-B. les a fait suivre de deux nouvelles, « Madame de Pontivy » et « Christel », et de deux poèmes. Ces oeuvres seront jointes, les nouvelles, à « Volupté », les poèmes, au recueil des poésies. On a pu se permettre cette liberté, les raisons qui avaient guidé S.-B. ayant perdu leur opportunité : ces nouvelles étaient des messages à Adèle Hugo. On a voulu alléger ces deux premiers tomes de la Pléiade, dans l’intérêt de leurs lecteurs ; et on est assuré de l’avoir pu faire sans nuire à la logique intellectuelle du recueil, ni à cet intérêt ». Il est étonnant, pour le dire par antiphrase, que ce programme extrêmement ambitieux ait été interrompu par la publication de « Port-Royal » pour ne jamais reprendre en raison du décès de Leroy en 1957, sauf si Gallimard a entendu réduire la voilure par crainte d’une publication d’une étendue trop considérable. Le fait que Molho ait pensé pouvoir republier Sainte-Beuve dans la Pléiade au début des années 70, avant d’y renoncer sans doute assez vite, témoigne de la gêne que ces deux volumes des « Oeuvres » inspiraient chez Gallimard ; de même, la décision de les laisser s’épuiser alors même qu’ils n’ont pas été beaucoup réimprimés (trois tirages seulement à ma connaissance, le second de 1956-1960, et le troisième de 1960-1966 ; les derniers reprints de « Port-Royal » datent, selon toute apparence, de 1984-1987 pour les tomes II et III).

    • Sainte-Beuve n’a jamais dû se vendre suffisamment. Le volume épuisé de Port-Royal n’est pas le plus simple à trouver sur le marché de l’occasion (j’ai fini par l’obtenir, à un vil prix, mais le volume avait dû passer vingt ans dans une cave inondée…). Les volumes deux et trois s’épuisent certes, mais ils le font depuis plus quinze ans, c’est dire s’il s’en vend peu. Consolons Sainte-Beuve, il ne doit pas moins se vendre que Corneille ou Fénelon.
      Combien d’acheteurs potentiels, en France, aujourd’hui, pour Sainte-Beuve ? Cinquante ? Cent ? Deux cents ?
      On tance Gallimard, et on a raison de le faire quand ses éditions sont médiocres, mais il ne faut pas reprocher à l’éditeur le peu de curiosité (et de temps) du vieillissant (agonisant?) public littéraire.
      Il se vend de moins en moins de livres, les lettrés eux-mêmes lisent de moins en moins, le public des librairies vieillit – sans renouvellement prévu -, le temps paraît de plus en plus compté pour un nombre toujours croissant de productions culturelles, et les individus dans mon genre (semi-diplômés imbéciles, incultes mais alphabétisés et pleins de bonne volonté pour se cultiver à la mesure de leurs faibles capacités) disparaissent.
      Bientôt, pour vendre 10 000 exemplaires d’un Pléiade en dix ans, il faudra faire descendre l’exigence très bas, du côté de Tolkien, Rowling ou Stephen King. J’imagine que les quinze ou vingt agrégés qui s’intéressent à un auteur pour des raisons professionnelles pourront toujours sacrifier un mois de salaire chez Honoré Champion quand il le faudra.
      Sinon, Bouquins propose une édition du Port-Royal de Sainte-Beuve ainsi que des Portraits littéraires. On trouve aussi un volume de ce genre à la Pochothèque.

      • Merci, cher hôte, pour vos lumières. J’ai voulu apporter cet éclairage pour m’attaquer au mythe
        de la Pléiade comme une série dont, si l’on excepte les marchandages souvent acrimonieux, sinon sordides (cf. Céline), entre Gaston Gallimard et les auteurs qu’il désirait attirer sur Bible ou qui rêvaient eux-même d’y entrer, les tripatouillages éditoriaux et les reniements ne seraient que l’avatar de ces deux dernières décennies. Après tout, en supposant que Sainte-Beuve eût un auteur aussi peu commercial dès la fin des années 50, pourquoi diable la maison de la rue Sébastien-Bottin se serait-elle hasardé à promettre une publication aussi ambitieuse à un savant considérable comme Leroy, membre de l’Institut en 1954 ? L’édition Bouquins de « Port-Royal » et des « Portraits littéraires » est convenable, avec l’avantage de sa date relativement récente, mais pas plus richement annotée que les volumes correspondants dans la Pléiade, et surtout quelle idée saugrenue de reprendre des textes réimprimés dans les années 50 alors même que les « Causeries » et les « Nouveaux lundis » ne se trouvent que dans des éditions nues de la fin du XIXe siècle !

      • Comptez-moi des vôtres : semi-diplômé imbécile, inculte et légèrement alphabétisé. Je vieillis bien sûr, j’agonise peut-être, mais je lis toujours autant qu’à mes quinze ans. Ma qualité d’attention est seulement bien meilleure aujourd’hui.

        N’oubliez pas que Gide en son temps avait été bien surpris d’apprendre — un jour que la curiosité l’avait pris de chercher à savoir — le nombre d’exemplaires qui s’étaient vendus de ses livres en vingt ans, tous titres confondus. Lui qui croyait qu’il n’en avait rien à faire, fut quelque peu dépité par la petitesse de ce nombre, que Pascal aurait rangé sans nul doute parmi ses deux infinis.

        Vous voyez par là que cet infini de petitesse qui touche les volumes de la Pléiade non seulement ne date pas d’hier, mais est une constante de la chose littéraire. Alors même que, qualitativement, la France du temps de Gide n’a rien à voir avec celle que nous connaissons aujourd’hui, vous et moi, et qui est notre lot.

  65. Je regarde mon nouveau coffret Michelet avec incrédulité. A quoi sert cette nouvelle édition qui ne m’apporte rien ?!… certes le texte est revu et c’est toujours utile mais vraiment j’aimais bien mes deux anciens volumes. Les notes étaient utiles et le long répertoire thématique extrêmement bien fait. Mais je ne suis pas le bon « client »! Je préfère son Journal. Quant au Nietzsche 2, même constat. Depuis quelques années toutes ces rééditions non stop de la Pléiade me dépassent. Vivement Gary (….j’espère !)

    • Même constat que vous, ami Tigrane. Un collègue m’a montré son coffret de Michelet dédicacé par l’un des éditeurs – autant d’intervenants pour si peu d’exégèse, et à ce point indigente, cela frise l’insupportable. D’autant que la typographie m’a parue moins avenante que dans l’ancienne édition Walter (les notes ont été composées dans une fonte de petit corps qui se prête peu au dépiautage, quant au texte, pour en réduire la pagination, il comporte plus de mots à la page et, semble-t-il, s’offre dans une linéation un peu plus importante que naguère). Bref c’est le même constat que pour les deux Pléiades des Misérables : entre celle d’Allem et la resucée, le plaisir de la lecture a été immolé sur l’autel des économies mesquines. Les prédictions pessimistes se sont réalisées ; il s’agit, sinon d’un énième accident industriel, d’une moins d’une réédition où la science a eu fort peu d’espace pour s’exprimer. Pauvre Michelet !

    • Ma toute première participation à vos échanges passionnants. Ne m’en veuillez pas si c’est encore quelque peu maladroit et timide mais ce n’est qu’un début. Je me suis fait exactement la même réflexion que vous sur l’utilité de certaines nouvelles éditions. Je regardais entre autres, le coffret Platon annoncé pour mars 2019. L’ancienne édition datant de 1940/1943 (que je chéris), je me réjouissais à l’idée d’une véritable revisite. Et bien pas du tout, semble-t-il, même traduction, mêmes préface et annotations…. juste un coffret carton en plus. C’est dommage et une occasion de ratée. Mais comme vous, je me réjouis déjà à l’idée des deux tomes de Romain Gary qui arrivent (enfin!)

  66. Il va de soi cher Néo-Birt que je me suis régalé du nouveau Pléiade des Misérables qui malgré des erreurs est un merveilleux alibi à relecture. Je ne m’en lasse pas, une sixième relecture n’est pas impossible !! Pour Michelet, la typographie, le nombre de mots, quelques erreurs toujours possibles, etc ne me gênent pas. Mais je ne comprends pas ce que cette édition « nouvelle » m’apporte…. et même apporte ! Mystère. Mais je me sens plus proche du père Hugo que de Jules. Comme vous le dites, se mettre à autant pour faire ça. Même chose pour Nietzsche. Dracula sera peut-être un bon volume, qui sait…

    • Hormis sa poésie et son théâtre (en vers), je dois confesser une morne indifférence envers le père Hugo. Balzac, Stendhal, Flaubert, Villiers, Zola dans ses grands jours, sont géniaux, mais Hugo romancier ? Callimaque l’a admirablement dit, en conclusion de son « Hymne à Apollon » : « l’Envie se glisse à l’oreille d’Apollon : ‘il ne m’agrée, dit-elle, le poète de qui le chant n’est pas comme la vaste mer’. Mais Apollon la repousse du pied et dit : ‘du fleuve assyrien aussi le cours est puissant, mais il charrie bien des terres souillées, bien du limon dans ses ondes. A Déméter ses prêtresses ne portent pas l’eau de tout venant, mais celle-là qui sourd, nette et limpide, de la source sacrée, quelques gouttes, pureté suprême’. Salut, ô dieu ; et là où est Envie, que Critique aille aussi » (traduction Cahen [Belles Lettres] modifiée). L’inspiration de Hugo dans ses romans est trop ample, son exécution trop indifférente aux effets de volume – on a l’impression d’un arbre immense dont la ramure à la prolifération incontrôlée, sinon tumorale, déséquilibre le tronc certes grandiose mais nullement colossal.

  67. Bonjour à tous,
    Je tombe littéralement sur ce blog.
    Je ne lis pas et ce n’est pas bien.
    Je me suis offert un pléiade l’année dernière et me suis pris dans une boulimie d’achat (tout ce que j’ai toujours voulu lire et plus encore). Mon appétit gargantuesque a vite été rincé par un projet mis en pâture et de 1500 jours hommes à mener à bien.

    Qu’importe, j’ai fini mon Cervantès. Ce que j’aime dans la pléiade ce sont les annotations qui mettent à porter de mon inculture ce qui pour moi est l’essence du livre. Ainsi jamais je n’aurai su qu’un Hidalgo ne pouvait se nommer DON et que l’essence comique du livre naissait déjà dans son titre. Ainsi jamais je n’aurai su que Rossinante était un anoblissement de sa monture comme son propre nom Quijada transformé à partir de Lanzarote (forme espagnol du nom de Lancelot du Lac) en Quichotte. Et ces innombrables détails historiques qui me mènent à des digressions multiples (comme la sortie de la méditerranée de L’Histoire).

    Ce que je n’aime pas dans la pléiade c’est l’inégalité des traitements (les annotations de Platon sont mièvres). Ce papier et carton qui jauni dans le temps (ce que l’on ne constate pas dans une collection comme Jean de Bonnot, du moins me semble-t-il).

    Enfin pour finir un livre vous a-t-il déjà marqué profondément ?
    Je ne parle pas d’un simple passage, d’une phrase ou annotation mais d’une œuvre complète.

    • Ajout,

      Ce que je n’aime pas dans la pléiade :
      – Le tropisme vers les œuvres américaines au détriment d’autres continents.
      – Il semblerait que les traductions des œuvres Russes (Tolstoï par ex.) ne soient pas fidèles. Est-ce exact ?

    • Les traductions des œuvres russes publiées à La Pléiade, dans leur grande majorité, restent une référence. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas eu d’autres tentatives et qu’il n’y en n’aura pas d’autres à venir, chacun expliquant avec bonne foi que sa traduction est la plus fidèle – et en réalité la plus actuelle, celle qui colle le mieux au langage du temps.

      Les volumes de la Pléiade ne sont pas à proprement parler destinés aux bibliophiles modernes, plutôt à la recherche d’ouvrages rares, chers et souvent d’une grande qualité de fabrication. En revanche, à son lancement, la bibliothèque de La Pléiade était entre autres destinée à « l’honnête homme » afin qu’il se constitue une collection d’œuvres littéraires de référence.

      Si vous vous intéressez aux éditions Jean de Bonnot, un débat long et intéressant se poursuit sur ce blog : https://bibliomab.wordpress.com/2008/12/16/editions-jean-de-bonnot-livres-pour-bibliophiles/

  68. Pour les éditions russes, il faut oublier les éditions de la Pléiade presque toutes fautives et préférer celles plus récentes et exactes à la fois pour le texte russe (enfin) revu d’après les manuscrits originaux et les traductions nouvelles sérieuses. Les textes français de Boris de Schlœzer, de Pierre Pascal ou de G. Aucouturier sont très fautives et ne rendent pas justice au texte russe. Sans parler des « traductions » d’Elsa Triolet…. C’était une autre époque.

    • Tigrane a évidemment raison sur les stricts plans textuel-critique et philologique : les éditions de base utilisées pour les Pléiades russes nous remontent trop haut dans le temps, soit qu’elles sont pré-critiques (fin XIXe- début XXe siècle) soit qu’elles ont été faites à un point de vue trop systématique (les grandes entreprises éditoriales de la période soviétique étaient parfois viciées par une application intempestive des principes de la Textkritik établis pour les classiques gréco-latins), et elles ont servi de base à des traductions littéraires réalisées tant par des gens de lettres (Triolet, de Schloezer, Mongault) que par des universitaires réputés (les Aucouturier père et fils, Luneau, etc). Le résultat se lit fort agréablement mais ne serre pas l’original de très près, affadit beaucoup les oeuvres translatées dont on ne produit, dans le meilleur des cas, qu’un avatar français poli, élégant et disert, et constitue trop souvent de véritables adaptations, des traductions de Čekov par Triolet (irrémédiablement médiocres) au « Guerre et paix » de Mongault (chef-d’oeuvre de recréation romanesque). Les traducteurs ne doivent pas être blâmés pour avoir fonctionné dans l’esprit de l’époque en fonction des conditions historiques de la réception de la littérature russe en France et pour répondre à des attentes bien définies. A mesure que l’on s’est éloigné de la génération héroïque, on a tendu à moins ciseler les traductions dans le sens de la fameuse ‘clarté française’ sans pour autant admettre le littéralisme (car le russe se prête très mal au mot à mot dans notre langue, tant en raison des spécificités de sa syntaxe qui l’éloignent beaucoup de celle des langues romanes, que du fait que la démarcation entre les registres oraux et littéraires y est beaucoup plus floue qu’en français ou en allemand et que les niveaux linguistiques y sont bien davantage la cristallisation de la condition émotive du scripteur devant telle action ou tel énoncé que la résultante de normes a priori) ; parce qu’elles sont devenues davantage aussi l’apanage de spécialistes, les Pléiades russes se sont améliorées, certaines offrant même une belle qualité (Leskov / Saltykov-Ščedrin, les Journaux et carnets de Tolstoï, dans une moindre mesure Griboièdov / Lermontov / Pouchkine ou Tourguéniev). Mais qu’existe-t-il en face des nombreux volumes russes de la Pléiade ? La retraduction de tout Dostoïevski par l’inénarrable André Markowicz, que sa piteuse performance philologique sur Catulle invite à ne pas investir d’une autorité proportionnelle à la réputation qu’il s’est acquise, in contraria currit – le français de réception est détricoté, soumis au russe, à telle enseigne que la lecture soutenue du nouveau Dostoïevski tient de la gageure, entre les infractions voulues à la concordance des temps et des modes, la vulgarité ou la familiarité des tournures, la recherche d’une oralité française contemporaine qui est assurée de vieillir très rapidement. Je me refuse à penser que ces « cribs », pour parler le jargon britannique des Classics d’Oxford et Cambridge, ces adaptations outrageusement littérales qui n’ont même pas conscience qu’elle laissent encore de côté un nombre énorme des procédés primaires et annexes d’expression du russe, constituent une alternative viable aux traductions littéraires quand même le microsens local y serait mieux étudié que chez ces dernières. Rappelons que Markowicz prétend maintenant translater depuis le chinois sans connaître un seul idéogramme, sous prétexte que les experts ne seraient pratiquement jamais d’accord sur rien lorsqu’ils examinent un texte donné (outre qu’une telle rodomontade sent son cagot de critique jamais passé par les bancs d’un séminaire doctoral, on imagine le bûcher public que sous les fesses du bonhomme aurait allumé Etiemble s’il avait vécu, lui qui incendiait à raison, dans son introduction aux « Philosophes taoïstes », quelques-uns des Français ayant traité du Dao sans être le moins du monde sinologues !).

      • Pour en finir avec ce sujet, voici une citation de Čekov sur laquelle la mouvance de Markowicz, ainsi que certains ici qui ne goûtent guère mes interventions, pourraient prendre appui pour discréditer les universitaires besogneux, mais dont il est à craindre qu’elle ne soit à double tranchant : Умный любит учиться, дурак учить, « le sage (ou : l’homme intelligent) aime à apprendre, l’imbécile, à enseigner » (tiré des « Carnets »).

        • La citation est amusante mais ce Č me hérisse. Cette lettre n’existe pas en français et elle n’est pas d’usage. je regrette que vous sacrifiez à cette regrettable mode de la non-francisation des noms propres (Felipe Seis plutôt que le roi Philippe VI). Tchékhov est d’usage, n’allons pas nous infliger – sur des claviers malcommodes – des Čekov superflus.

          • Comme nombre de linguistes qui ne peuvent se satisfaire de l’alphabet latin, je tiens aux lettres diacritées et autres caractères spéciaux. En l’espèce, tch est absolument horrible en français (passe Tchékov, mais Saltykov-Chtchédrine, quelle horreur !).

  69. Reçu deux nouveaux magnifiques volumes des Œuvres de Tabucchi dans I Meridiani. Superbe édition de ces œuvres principales et autres. Si seulement la Pléiade pouvait s’en inspirer (à moins que des questions de droits posent problème en France ?).

    • Que les Italiens publient des auteurs italiens presque contemporains dans cette collection répond à la même logique qui conduit Gallimard à éditer des auteurs français presque contemporains. En revanche, peu d’italiens ont passé les Alpes à la Pléiade (un volume collectif, Pirandello, Machiavel, Dante et les poètes). Je m’en désole mais, je vais radoter, qui achèterait Boccace, Leopardi, Manzoni, Nievo, Alfieri, Foscolo, Verga, Pavese, Luzi, Ungaretti, Moravia, Gadda, Malaparte, Savinio, Montale, Rigoni Stern, Pasolini, Svevo, Silone, Bertolucci, Sciascia, Ginzburg ou Quasimodo à la Pléiade (oui j’ai vu large dans mon name dropping) ?
      Allez, vous serez bon pour un volume « Le Nom de la Rose » d’ici 10 ans…

  70. En effet cher Brumes vous voyez large et optimiste surtout. J’ai l’impression que Eco pourrait avoir un volume en français avant même 10 ans non? Moravia, Malaparte et Pasolini seraient les bienvenus aussi je pense. Pour Pavese, égoïstement, je suis moins impatient puisqu’il y existe déjà un beau volume de ses œuvres dans l’autre Biblioteca della Pléiade. Mais qui va acheter, de ce côté des Alpes, un volume des œuvres Manzoni ou de Quasimodo ou de Foscolo ? Mais je suis peut-être trop pessimiste.

    • Un deuxième Dante, c’est bien, mais pas de Boccace, pas de Pétrarque, c’est incompréhensible et impardonnable, même pour motifs économiques… Pour la plupart des noms que vous citez (sinon tous), à la question « qui les achèterait ? » je réponds (toujours aussi égoïstement) : moi, moi et moi.
      J’irais jusqu’à en acheter deux ou trois exemplaires de chaque, pour les offrir, plutôt qu’aucun.
      Bien des absences sont scandaleuses (allemands, japonais…), mais celle des italiens l’est encore plus.

      • Ah mais moi aussi, même si j’ai hérité d’une grande partie de classiques en italien – volumes que je garde par attachement sentimental alors que je ne suis pas vraiment en mesure de les lire…

        Le tropisme anglo-saxon est hélas trop fort.

      • Une bonne moitié de la Littérature italienne est en vers (et même, pour être précis, poétique en vers). D’où la nécessité de « grandes » traductions sous peine de presque tout perdre. Et voilà pourquoi votre fille est muette…
        Pétrarque, oui bien sûr ; et, sans doute les plus importants : après Dante, l’Arioste, le Tasse, Giacomo Leopardi, Giuseppe Gioachino Belli, Giovanni Pascoli, Eugenio Montale. Qui les lit vraiment en France ?
        Situation désolante, « tropisme anglo-saxon » ou pas… Alors, consolons-nous de voir un banal anniversaire nous amener un nouveau Dante Alighieri – mais rendu par qui ? c’est bien le problème…
        À certaines propositions, la réponse des « grands » éditeurs est toujours la même : « Combien de divisions ? » (pour les ventes, bien sûr).

        • Je croise les doigts pour un Dante (enfin) accessible au lecteur lambda-bien-que-motivé.

          Parmi la liste d’auteurs proposés, Le Tasse me paraît être très souvent cité par nos auteurs classiques dans leurs œuvres.

          • Cher Lombard,
            il nous semble que le « poche-poésie » NRF-Gallimard pourrait satisfaire vos attentes. Il s’agit d’un ouvrage de poésie, comme (presque) tous ceux de cette collection, qui se prête parfaitement à une lecture « motivée », et d’un bout à l’autre du voyage ascensionnel… car le plus haut est bien au paradis.

  71. Lombard,
    J’ai bien aimé les lithographies de la comédie humaine ches JdB. Mais merci pour le lien. Pécuniairement parlant les 28 tomes dans un état quasi neuf et pour 200 euros … prix imbattables. Je veux bien croire que cette collection est un cran au-dessus : https://editionsdianedeselliers.com/fr/livres/

    Tigrane / Neo-Birt7,
    « Le résultat se lit fort agréablement mais ne serre pas l’original de très près, affadit »
    C’est vrai que lisant Anna Karénine ou Crime et châtiment on a une belle écriture fluide mais lisse. Mais surtout ça respire le français et là on remarque une dissonance. Cela transpire comme le ferait un écrivain de la langue de Molière. Or venu des froides contrées de l’EST (car le climat et le lieu agit sur la psyché), venu de l’âme Russe si prompte à se passionner, il me semble que l’on nous prive d’une dimension.

    Dante,
    J’ai pris parti de le lire dans la pléiade (sans doute cette année) après mon voyage à encore Angkor Vat ou l’on assiste sur un temple aux différentes strates de ce que nous appelons les enfers. Je pense que je m’amuserai à comparer les représentations.
    Mais que lire en premier Virgile ou Homère ou Dante ?

    Cervantès,
    Demander quel livre vous à marquer ne veut rien dire.
    Ce que cela à de marquant pour moi c’est que Don Quichotte prouve que lire peut mener à rien.
    Don Quichotte est un érudit fou qui va à la guerre et Cervantès est un érudit soldat.
    Cervantès parle déjà de la mécanisation de la guerre et comment ceci est difficile pour un soldat dans ce livre. On peut se demander qui est le plus fou des deux.
    Ce n’est pas pour cela que la mécanisation de la guerre n’a été un moteur de notre histoire.
    Victor Hugo a écrits sur la peine de mort mais ce n’est pas pour autant que la peine de mort est abolie dans le monde.
    Et puisque lire est autrement inutile je me mets à la lecture. Donc je ne crois pas à ce que j’écris. Mais Victor Hugo croyait profondément à ce qu’il écrivait.

    • La séquence historique Homère – Virgile – Dante est celle qui fait le mieux sens, culturellement parlant mais aussi sachant que les deux derniers avaient la conscience aiguë d’être chacun ‘alter ab illo’, le second après le maître, Homère pour Virgile, et Virgile pour Dante. Mais Virgile n’est pas l’alpha et l’oméga de la poésie épique latine ; la « Thébaïde » de Stace, qui rivalisa avec l’Enéide elle-même au Moyen-Âge dans l’esprit des lettrés et des clercs, réserve de nombreux bonheurs de lecture, même dans la plate et insipide traduction Lesueur aux Belles Lettres (la seule parue en français au XXe siècle), tant elle regorge de morceaux de bravoure et respire une force baroque.

      • Neo-Birt7,
        merci pour ces lumières, je n’en ai même jamais entendu parler. Il semblerait que ce soit moins couru de nos jours alors je m’étonne que Dante soit tant à la mode sur le net :
        https://ladivinecomedie.com/la-divine-comedie/lenfer/chant-i#easy-footnote-bottom-4-1840

        (j’ai une pure formation scientifique)

        Dans quelle collection liriez-vous
        – Dante
        – Stevenson
        – La comédie humaine

        C’est aussi vrai qu’il y a ce coté agréable dans la pléiade c’est d’avoir tant de matière dans un si petit volume.

        • Cher Samson, je ne suis pas qualifié pour vous répondre concernant Stevenson en français (ma seule exposition à cet auteur date d’il y a soixante-dix ans et quelque, lorsque je dévorai étant enfant « L’île au trésor » dans une édition illustrée et abrégée). Pour Balzac, le texte critique le plus solidement établi a paru dans la Pléiade entre 1976 et 1981 aux soins d’un aréopage des meilleurs spécialistes français sous la direction énergique de P.-G. Castex ; ces douze volumes ne sont toutefois pas d’un maniement très facile, entre l’imposant appareil de notes (l’un des plus massifs de toute la collection) et les notices figurant, une fois n’est pas coutume, juste avant le roman auquel elles se rapportent. On trouve assez facilement, pour dix à trente euros, les principaux romans dans de belles éditions critiques et annotées des années 60 à 70 aux Classiques Garnier (« Eugénie Grandet » et « Le père Goriot » par Castex sont restés classiques entre leurs introductions et leurs appendices critiques ; également superbes, bien que ces éditions soit plus difficiles à se procurer, « La Rabouilleuse » par Pierre Citron, avec cent pages de prolégomènes, ou « Le Lys dans la vallée » par Moïse Le Yaouanc, avec une introduction de quatre-vingt-dix pages). Une édition économique et fort commode, car elle n’écrase pas le lecteur sous la masse du commentaire ni de trop nombreux volumes, a paru au Seuil dans la collection « L’intégrale » en 7 tomes (1965 et suivantes). Pour ce qui est des oeuvres complètes de Dante, on n’a pas le choix ; la Pléiade de l’immense italianiste (doublé d’un encyclopédiste redoutable, ce que n’était pas Paul Renucci, le seul autre spécialiste de littérature italienne ayant doctoré sur Dante qui eut chez nous un renom comparable) André Pézard, sortie en première édition en 1965, demeure l’unique intégrale française, malgré son idiolecte subjectif qui demande un assez long temps d’adaptation (et une fréquentation extensive du lexique en fin de volume, car l’éditeur crée moult néologismes en plus de son recours extensif à la vieille langue), et seule propose une annotation tant soit peu extensive à tutto il Dante. La « Divine comédie » seule se lit dans d’innombrables traductions françaises réalisées par des érudits d’un calibre infiniment moindre, quand ce n’est pas de simples gens de lettres : même si l’on cite très volontiers la version bilingue de Jacqueline Risset chez (Garnier-)Flammarion, normalement fiable mais desséchée, plate et si totalement étrangère à la rhétorique de l’original dans son minimalisme qu’elle n’est pas loin de constituer un contresens poétique, il vaut mieux utiliser la traduction d’Henri Longnon sortie en 1931-1934 chez un petit éditeur puis republiée pendant cinquante ans aux Classiques Garnier ; c’est l’une des plus estimables, pour sa simplicité, sa fluidité et sa sûreté (présence de très nombreuses notes de détail).

          • NéoBirt7 je ne suis pas peu fier de posséder les deux éditions de la Comédie que vous citez – pour une fois, je ne sais quel bon guide invisible m’a conduit sur le droit chemin !

            Dans mes vertes années, j’avais attaqué directement la version de Pézard en Pléiade et j’avais été rebuté par ses difficultés, sans bien comprendre ni apercevoir sa beauté. Plus tard, le hasard m’ayant fait tomber sur la version Longnon chez Garnier, j’avais enfin pu parcourir ce sentier sans buter sur une pierre à chaque pas. Ce qui m’a permis, par la suite, et grâce à cet éclairage ou cette familiarisation avec l’oeuvre immense, de revenir à l’édition de Pézard, mieux armé cette fois. En fus si ébloui, que cette Pléiade ne me quittera plus jusqu’à mon dernier souffle, quand bien même ne devrait-il m’en rester qu’une.

            A la suite de cette petite expérience personnelle, je recommanderais bien de suivre le même chemin, de Longnon à Pézard, pour se rapprocher de l’inaccessible Dante, autant que faire se peut. De toute façon, il ne saurait être question de se contenter d’une seule version pour oeuvre pareille (et non-pareille).

          • Cher Neo-Birt,

            Merci pour vos lumières. Je vois que lire Dante est une gageure … pour moi :
            https://ladivinecomedie.com/tag/jacqueline-risset
            Mais on me confirme que l’on s’habitue à la version d’André Pézard.

            Merci aussi pour la version Seuil intégrale que l’on trouve à 30 euros.

            Et finalement pour illustré via un blog lambda sur internet (attention avec publicité) Angkor Vat le paradis et l’enfer :
            http://bluesy.eklablog.com/les-paradis-et-les-enfers-a-angkor-vat-a81155230

  72. Je remercie Neobirt de m’avoir fait ouvrir ces Carnets de Tchekov, dont
    je possède une édition anglaise, par les soins de Leonard Woolf (oui, celui-là même : Monsieur Virginia Woolf).

    « A clever man loves learning, but a fool teaches. » (page 54).

    Vous auriez pu également citer ce passage, qui est dans le même carnet : « The University brings out all abilities, including stupidity. » (page 27).
    De cela aussi je peux amplement témoigner si besoin.

    • Cher Ahmed Berkani,

      J’ai un tantinet parcouru les posts avant de moi-même osé poster.
      En effet, déjà du point de vu de ma faible culture, je vois que ceci est un thème récurrent en littérature. (J’ai une culture scientifique mais ne la pratiquant pas, et par les truchements de la consolidation, est arrivée au niveau de ma culture littéraire)

      En effet Samson est un bachelier de Salamanque et futur licencié, le chevalier des Miroirs, qui défie Don Quichotte dans le but de l’ordonner de retourner dans son village. Il perd et veut se venger.

      Ainsi Cervantès , d’après mon interprétation, avec tout le sel de son humour et ça propension à la moquerie opère un classement dans la folie dans cet ordre croissant :
      – Don Quichotte
      – Lui-même
      – Les licenciés

  73. La sentence de Tchekov (pour faire plaisir à Brumes) est assez souvent reproduite, y compris dans un ebook récent, sous la forme « a clever man loves learning but is a fool at teaching », qui apparaît dans l’édition originale de la traduction L. Woolf et S. S. Koteliansky (« Note-book of Anton Chekhov », New York, Huebsch, 1921, p. 92). Le rendu que citait notre bon Ahmed, lui,
    se lit dans l’édition spéciale « The Note-books of Anton Tchekhov together with Reminiscences of Rchekhov by Maxim Gorky » confectionnée par les mêmes et publiée par les époux Woolf à la Hogarth Press de Richmond en 1921, p. 54. Même si l’original russe de la phrase est elliptique, on ne saurait l’interpréter comme L. Woolf et Koteliansky olim, et les Russes eux-mêmes ne le font jamais. Un seul exemple suffira : le célèbre poète et chansonnier russe Boulat Okoudjava commence le n°330 de ses poèmes (« Стихотворения », ed. 2001, p. 361) par une paraphrase de Tchekov où il se contente d’interpoler une conjonction de coordination :

    Антон Палыч Чехов однажды заметил,
    что умный любит учиться, а дурак учить.
    Скольких дураков в этой жизни я встретил!
    Мне давно пора уже орден получить

    Anton Palych Tchekov fit remarquer jadis (ou: une fois)
    que le sage aime apprendre et le sot (дурак) enseigner.
    Combien de sots (дураков) ai-je croisés dans cette vie !
    Le moment est venu que je passe une commande.

    • Mais cet homme, Neobirt, est un puits de science !

      Merci infiniment d’avoir pris la peine de produire tous ces éclaircissements, toujours passionnants à lire.

      L’édition Woolf que je possède est bien celle que vous citez, publiée par les Woolf à leur fameuse Hogarth Press en 1921. Je ne savais pas du tout qu’il y en avait eu une autre du même L. Woolf parue la même année et chez un autre éditeur.

      Il y a quelques petites choses intéressantes dans ces carnets. Je n’ai pas le temps de les lire pour le moment, mais j’y reviendrai sans doute. Pour l’heure je me partage entre Pascal (dont j’ai commencé de relire avec délices les opuscules à la faveur d’une courte maladie) et Bossuet.

      • Une anthologie de jugements modernes absolument merveilleuse tient dans le volume de la collection ‘The Classical Heritage’ coordonné par Victor Emeljanow : « Anton Chekhov », Londres / New York, Routledge, 1981 et réimpressions ; sur les « Carnets », voir pp. 206-208. 224-226. J’ai jugé nécessaire de rappeler la divergence de traduction entre les deux éditions des « Carnets » données par Woolf et Koteliansky parce que le vade-mecum bibliographique classique manque ici de précision (Munir Sendich, ‘Anton Chekhov in English: A Comprehensive Bibliography of Works About and By Him (1889-1984)’, Russian Language Journal / Русский язык 39 nbrs 132/134, pp. 371-372 : l’édition Hogarth est simplement mentionnée dans son reprint de 1967 sans rappeler qu’elle date 1921, mais Sendich cite une édition londonienne parue chez Mercury la même année sans donner de nom d’éditeurs, alors que c’est une troisième mouture de la version anglaise de Woolf et Koteliansky). On y perd son latin.

    • J’ai oublié de dire à quel point j’aimais passionnément Gorki. Je suis bien heureux d’avoir ses souvenirs, ces « Fragments of recollections » sur Tchekhov à la fin de ce volume.

  74. Bonjour

    J’ai commencé à lire Anna Karénine dans la pléiade. Mais cette belle écriture un peu trop léchée m’a fait certainement douté puisque j’ai vaqué vers d’autres récréations.
    Lorsque je lis un livre j’aime parfois imaginer la suite par anticipation puis la confrontée à la dure réalité. Mais également jouer au jeu de l’empathie, ressentir ce que je ressens, ce que le personnage ressens dans sa situation mais également ce qu’a pu ressentir l’auteur lui-même. Évidemment on se perd dans le possible et l’impossible.
    Quand même avant de m’intéresser un peu à l’art de la traduction, je ne pensais pas que l’on pouvait en arriver là :

    http://www.planete-traduction.fr/une-oeuvre-deux-possibilites/

    En ne respectant pas le souffle d’une œuvre on se prive de cerner un peu l’âme d’un auteur … d’une nation et que sais-je encore.
    Prenons par exemple un photographe, timide il utilisera une longue focale, extraverti il ira vers son sujet au grand angle. C’est caricatural mais il y a un peu de cela dans les mots employés, le rythme. C’est difficile à décrire mais cela se ressent.

    Aussi oserai-je encore profiter de vos lumières pour découvrir les éditions recommandables (Quarto ou autres) pour les auteurs russes ?

    Ps :
    Je ne suis pas contre la pléiade, je viens de faire lire à mon fils de 7 ans Le petit lion de Prévert dans cette collection. Et il était écroulé de rire.

    • Samson, il est dommage que l’auteur du blog que vous nous signalez gentiment ait choisi sans conteste l’un des passages de « Crime et châtiment » où les divergences entre les deux versions épinglées sont les moins significatives, parce qu’il ne fait aucun doute que l’un d’elle est bien meilleure. Il fallait simplement connaître un peu le russe pour en juger. Sur la première phrase, hormis l’incise où est énoncé l’effort infructueux de Raskolnikov pour maîtriser le timbre et le débit de sa voix, histoire de ne rien laisser paraître à la suspicieuse vieille, l’une de ces versions colle presque littéralement au russe (la seconde, celle du Livre de Poche) tandis que l’autre interprète. Voici l’original et une version qui le serre de très près :

      Здравствуйте, Алена Ивановна — начал он, как можно развязнее, но голос не послушался его, прервался и задрожал, — я вам… вещь принес. .. да вот лучше пойдемте сюда… к свету…

      « Bonjour à vous, Alena Ivanovna — débuta-t-il avec autant de désinvolture que possible, mais la voix ne lui obéit pas, se brisa et trembla —, je vous… ai apporté l’objet… oui, mieux vaudrait venir par ici… à la lumière ».

      Les deux tiers de la version Gallimard reformulent librement le texte en interpolant des sujets grammaticaux alors qu’il n’est question que de la voix, (« mais (ses efforts) étaient vains, sa voix était entrecoupée, (ses mains) tremblaient) » et en ajoutant des membres de phrase à un rendu trop concis (« entrons plutôt (pour en juger)… (il faut l’examiner) à la lumière… »). On n’a guère à reprocher à la traductrice du Livre de Poche qu’une infidélité sur un temps verbal (« Je vous… apporte un objet… »).

      Pour la suite du texte, hormis un rendu affadi et éloigné de l’interjection initiale, la version du Livre de Poche seule restitue la teneur exacte de l’échange :

      Помилуйте, Алена Ивановна… знакомый ваш… Раскольников… вот, заклад принес, что обещался намедни… — И он протягивал ей заклад.

      Старуха взглянула было на заклад, но тотчас же уставилась глазами прямо в глаза незваному гостю. Она смотрела внимательно, злобно и недоверчиво

      « Par pitié, Alena Ivanovna ! l’homme de votre connaissance… Raskolnikov… voici, j’ai apporté le gage promis l’autre jour… Et de lui présenter le gage.

      La vieille regarda le gage mais braqua tout de suite son regard droit sur celui de son visiteur inattendu. Elle le fixait attentivement, avec malignité et incrédulité » (je traduis).

      Il est particulièrement risible de voir l’auteur du blog faire pédantiquement la leçon à la pauvre traductrice du Livre de Poche, Mme Guertik, parce que l’objet juré en gage n’aurait jamais été promis plus tôt dans le roman et qu’il n’y a pas lieu de répéter (il dit : « redite ! ») le mot ‘gage’ (l’interprète Gallimard propose ‘gage’ puis ‘objet’). Certes Dostoïevski n’a pas campé son héro faisant formellement cet engagement dans ce qui précède, mais il a bel et bien écrit en toutes lettres обещался, imperfectif du verbe обещать, ‘promettre, jurer’, dans le présent passage et il y mentionne deux fois заклад, dans la bouche de Raskolnikov puis dans la narration, si bien qu’il n’y aucune raison de varier. Un traducteur n’a pas le droit d’en prendre à son aise avec les indications on ne peut plus explicites du texte au nom d’une prétendue vérité contextuelle plus large. L’édition Gallimard fait un véritable massacre du morceau de narration qui suit la réplique de Raskolnikov ; qu’on en juge (je compose entre parenthèses les ajouts ad hoc de Mme Ergaz : « la vieille jeta un coup d’œil sur le paquet (puis parut se raviser) ; elle (releva les yeux et) fixa l’intrus. Elle le considérait d’un regard perçant, irrité, soupçonneux ». Il n’est pas question de relever les yeux dans le russe mais de les reporter dans ceux de Raskolnikov ; pas davantage y est-il dit qu’Alena se ravise en considérant le gage, simplement qu »elle reporte ses yeux de l’objet à ceux du jeune homme ; enfin la manière dont elle considère ce dernier est attentive mâtinée de méchanceté et de défiance, et non pas perçante, etc.

      La version d’Elisabeth Guertik est excellente philologiquement et assez bien troussée ; celle de Doussia Ergaz, peut-être plus nerveuse, se permet de paraphraser jamais trop loin du texte mais sans s’y assujettir. Quant à l’auteur de ce blog, il se prononce vraiment malgré Minerve. Comme on le dit en latin, Rossica non leguntur.

      • La situation est plus grave que je ne pensais. Il y a les traductions obsolètes, les traductions infidèles, et des blogs.

        Et où trouver une traduction qui vous sied dans une belle collection ?

      • La traduction littérale de Neo-Birt7 est une bonne occasion pour évaluer la traduction d’André Markowicz (Actes Sud/Babel) de ce même passage.

         » – Bonjour, Aliona Ivanova, commença-t-il d’un ton aussi délié que possible, mais sa voix ne lui obéissait pas, elle se coupa et se mit à trembler, je vous… apporte un objet… mais, tenez, passons par là… vers la lumière…
        (…)
        Voyons, Aliona Ivanova… vous me connaissez… Raskolnikov… voilà, j’ai apporté un gage, j’avais promis l’autre jour… Et il lui tendait le gage.
        La vieille voulut regarder le gage, mais ses yeux se fixèrent tout de suite sur l’hôte inattendu. Elle le regardait attentivement, avec rage et méfiance.  »

        La traduction de Markowicz se rapproche effectivement davantage de l’original russe que celle disponible en Folio Gallimard. Néanmoins, la comparaison avec la traduction proposée par Neo-Birt7 me porte à croire qu’André Markowicz fait un choix peu convaincant pour l’avant-dernière phrase de l’extrait :  » La vieille voulut regarder le gage, mais ses yeux se fixèrent tout de suite… « . L’introduction du verbe vouloir laisse à penser qu’elle n’a pas regardé le gage et donne même une attitude étrange à la vieille, le lecteur comprendrait presque que ses yeux lui imposent de regarder son hôte contre sa volonté ! Or, la traduction littérale de cette phrase précise simplement qu’elle observe rapidement le gage avant de regarder à nouveau sur son hôte. Les deux autres traductions sont davantage en accord avec l’intention de l’auteur sur ce point.

        • Bien d’accord avec ce qui ressort de votre intervention, Niche. Le nouveau Doistoïevski dû à Markowiz se tire honorablement de l’épreuve, mais sans briller plus que telle ou telle traduction rivale comme celle de Guertik ; il est piquant de constater que le refus de la stylisation française au profit d’un décalque du russe qui a constitué le principal, voire l’unique, argument technique de cet interprète, s’accompagne d’une littéralité à géométrie variable. 1° « Délié » est de meilleure rhétorique qu’il n’est sémantiquement impeccable dans la proposition как можно развязнее, ‘aussi развязнее que possible’, cf. pour l’idée de désinvolture, de nonchalance, de liberté d’allure vraies ou feintes, entre cent exemples dans Dostoïevski, une phrase du même roman concluant une réplique спросил он как можно развязнее, выходя в переднюю « il lui demanda aussi развязнее que possible comme il s’engageait dans le passage ». 2° « Je vous apporte » ne respecte pas l’aspect verbal du russe : Dostoïveski emploie принес, indicatif passé perfectif du verbe принести, ‘(ap)porter’, or l’IPP constitue la forme verbale de narration par excellence en russe et à ce titre correspond non pas à l’indicatif présent du français mais notre l’imparfait ou passé composé. Employer un indicatif présent comme s’il était dans l’original ou comme si ce dernier contenait un aspect similaire revient à fausser les paramètres de la traduction. 3°Je n’aime guère le simple et affadissant « voyons » comme équivalent de l’éjaculation émotive помилуйте, dont le rendu dépend de la tonalité affective du microcontexte (de ‘for goodness’ sake’ à ‘come on’, l’équivalent reçu le plus attrape-tout, en français : ‘allons’). 4° « Vous me connaissez » paraphrase l’idée contenue dans знакомый ваш, littéralement ‘la vôtre personne connue’, ce dont j’ai fait « l’homme de votre connaissance » ; où est la précision littérale dont se targue Markowicz ? 5° Enfin, « voulut regarder le gage » constitue incontestablement, comme l’a vu Niche, un faux sens auquel rien dans le russe ne pouvait servir d’amorce ; il y a de quoi en concevoir méfiance et irritation envers la science linguistique du traducteur. Markowicz entend bien le russe, cela est entendu ; qu’il le sait mieux, ou même seulement aussi bien, que des professeurs d’université ou des agrégés chevronnés, voilà en revanche ce que je ne suis pas prêt à admettre et que le présent coup de sonde me paraît réfuter en doute. Il n’est pas du tout homme à étudier longuement le sens sur la base de la meilleure édition russe disponible qu’il aura sélectionnée après s’être documenté de manière professionnelle ; tout honte bue, autant en rester aux traductions classiques de la Pléiade, quand leur réputation au sein des experts s’est maintenue flatteuse.

          • Je me ferais un avis ce week-end mais je m’y perds.
             » autant en rester aux traductions classiques de la Pléiade, quand leur réputation au sein des experts s’est maintenue flatteuse »

            Finalement vous resteriez sur la traduction de Henri Mongault ?
            Même pour Anna Karénine ?

            Et êtes vous en phase avec cette école Allemande :
            https://www.lapresse.ca/arts/livres/201305/27/01-4654830-dostoievski-traduire-a-la-francaise-ou-a-lallemande.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_B12_en-manchette_425_section_POS1

          • Je ne suis pas d’accord avec la dichotomie entre traduction more Gallico et traduction more teutonico. C’est en effet confondre avec des, ou ériger en, principes théoriques les différences structurelles entre les deux idiomes – l’allemand langue à flexion avec un ordre des mots moins normé, une syntaxe souple, et une grande facilité à composer des mots ou des verbes avec préfixes ou préverbes, permet des variations fines auxquelles regimbe le français (les doubles négations qui s’annulent ou non sont un cauchemar dans notre langue alors que l’allemand en joue de manière idiomatique même sous la plume de pénibles stylistes comme Kant avec ses énormes phrases néo-latinisantes ; etc). La présence d’un accent tonique marqué ainsi qu’un sens toujours vivace des quantités syllabiques permet même à l’allemand de se couler dans la versification gréco-latine sans y perdre en naturel lorsqu’un bon écrivain manie cet instrument (je pense aux belles et littérales traductions d’Homère, Virgile, Ovide en hexamètres dactyliques allemands par Johann Heinrich Voß). Prétendre comparer la traductologie en langues française allemande afin d’en tirer des enseignements à portée générale revient donc à rapprocher des poireaux et des fraises – ce sont deux instruments par trop dissemblables.

          • Samson, le mieux est peut-être de vous faire une idée par vous-même : vous pouvez par exemple commencer par lire quelques Dostoïevski et Tolstoï dans La Pléiade. Si vous avez aimé la lecture de ces ouvrages vous aurez votre réponse.
            J’ai pour ma part consacré pas mal de temps à comparer des passages entiers d’Anna Karénine entre la version Pléiade et une vieille édition au Livre de poche. Mon choix a rapidement été fait.

          • Lombard,
            Je suis indécrottable et naïf. Naïf de croire qu’un écrivain mythique doit avoir une traduction à la (h)auteur. Il ne me reste plus qu’à apprendre le russe, le japonais, l’italien, …

            Je suis en phase avec Ahmed Berkani  »Je crois que fondamentalement, le hasard fait plutôt bien que mal les choses. » Aussi oserai-je encore vous demander de qui vous liriez Ovide et comment le mieux entrer dans la comédie humaine (par la chronologie des œuvres, par Le Père Goriot, par un thème …). Il y a surement un endroit où toutes les façon de l’aborder a été exposé.

          • Pour Ovide, je ne saurais répondre.
            En revanche, pour la Comédie humaine, une des façons possibles de l’aborder est de commencer par le premier tome de l’édition en Pléiade de Pierre-Georges Castex, qui est excellente – même en ce qui concerne les notes et variantes. C’est comme ça que j’ai procédé et je ne peux que vous recommander cette lecture méthodique.

      • Je suis effrayé par ce que je viens de lire…
        Comprenant un peu le Russe, grand admirateur de la langue et de la littérature je suis absolument sidéré.
        Comment peut on réécrire un texte de la sorte ? Mais pour qui se prennent ces « traducteurs » (massacreurs) ?
        Une langue c’est ce qui conditionne non seulement une forme de pensée mais une façon de percevoir le monde. En modifiant le rythme, les mots ou la syntaxe pour soi-disant les rendre plus fluide on perd l’âme du texte.
        Je n’ai heureusement pas lu Dostoïevski en Pléiade. Mais il faudrait sans doute que je me force à le relire en bilingue… je suis hélas trop fainéant pour ça…

  75. L’association Victor Segalen qui a recensé les parutions à venir pour l’anniversaire de la mort du poète informe sur son site que la Pléiade Victor Segalen devrait sortir en 2020.

  76. Je relis en ce moment même l’introduction au vieux volume de Spinoza, due à Roland Caillois.
    Je dois dire que c’est une merveille de clarté et de précision. Je la relis toujours avec un énorme plaisir et beaucoup de profit. Cet athéisme de système qui serait la pensée vraie de Dieu, où le Dieu pensé serait enfin compris comme le tout, est une merveille d’ingéniosité et de puissance, et ce malgré l’aridité des textes.
    Mon expérience est qu’il convient d’y arriver en venant de Descartes. Mais ce n’est là que mon sentiment personnel et ma très modeste expérience de lecteur.

    Contrairement à beaucoup d’intervenants ici, et conscient du peu de temps dont je dispose, je suis prêt à me contenter de la première édition d’un auteur qui me tombe entre les mains. Je préfère passer mon temps à lire, même une édition très imparfaite, qu’à le dépenser à chercher le graal de la traduction ou le graal de l’édition critique.

  77. Je crois que fondamentalement, le hasard fait plutôt bien que mal les choses. C’est là, je crois, une bonne maxime pour la vie. J’ai mis longtemps à comprendre qu’il n’y avait en réalité pas lieu de mépriser le hasard.
    Il suffit de se rappeler que les aspects les plus important de notre vie sont décidés par lui et par lui seul.
    Ainsi, il arrive des moments dans la vie où cette puissance des ténèbres, le Hasard, a envie, dirait-on, que nous lisions un certain livre. Généralement, je me garde de regimber et obéis en toute humilité.

    • Sages paroles que voilà pour vos deux dernières interventions, Ahmed, qui ramènent au dernier Pléiade que je viens juste de terminer : Les Stoïciens. 🙂

  78. Permettez Messeigneurs, à un non spécialiste de la traduction, mais ayant lu d’innombrables livres (exagération épique) et un nombre considérable de critiques et de réactions de lecteurs, de vous faire part d’une réflexion, qui ne concerne pas la difficulté fondamentale de passer d’une langue à une autre, mais une question plus ponctuelle, ne concernant que la langue d’arrivée.

    Question qui n’en est pas moins importante par ses effets, et qui a fini par me persuader que la recherche de la traduction sinon parfaite du moins la meilleure possible, provisoirement indépassable sinon ultime, est vaine. Une réflexion de l’illustrissime Brumes, au détour d’une de nos discussions, m’a beaucoup aidé. Il s’agit de la question du Droit qui protège les traductions antérieurement publiées.

    Adoncq, suite à moult lectures et réflexions, il appert que toute nouvelle traduction prétend remplacer les anciennes en les améliorant, les corrigeant, les renouvelant. Il est vrai que, très souvent, elles donnent une meilleure traduction de tel ou tel passage qui se trouvait fautif, douteux, lourd, maladroit ou affligé de tout autre vice. Fort bien, tous ici présents de s’en esbaudir. (A condition de nous mettre d’accord sur le point de savoir si l’amélioration en est une ; mais supposons, pour les besoins de la cause, que ce le soit.)

    Ce faisant, le nouveau traducteur fait oeuvre utile, mais il se trouve bientôt confronté à un autre problème : que faire des passages, des phrases, des expressions qui, dans l’ancienne traduction, sont de la meilleure venue ? Impossible de les reproduire tel quel, pour crime de plagiat ! Il se voit donc contraint d’en donner sa propre version, souvent sans utilité, parfois bien inférieure. Et, corrigeant ici un défaut de l’ex, le voici ajoutant un défaut à la néo. Quand le traducteur A a donné donné une mauvaise version de la phrase 1 mais une excellente de la phrase 2, le traducteur B donne une meilleure version de la phrase 1 mais une moins bonne de la phrase 2. Lorsqu’une oeuvre a été souventes fois traduite, cette obligation d’originalité à tout prix peut conduire aux propositions les plus ridicules !

    Certains ont tenté de contourner l’obstacle en donnant des versions « révisées » de traductions devenues classiques (soit qu’elles fussent tombées dans le domaine public, soit que les ayant-droits l’eussent autorisé). Mais, comme rien n’est parfait sur notre bonne terre, à nouveaux risques : celui de « corriger » de « bonnes phrases » et de conserver de « mauvaises », celui de la trop grande disparité de style et d’écriture…

    Et voilà, bonnes gens, « pourquoi votre fille est muette » (ou affligée du plus déplaisant des bégaiements).

  79. Un des meilleurs exemples, sur lequel vous vous êtes beaucoup attardés, est bel et bien les premiers vers de la « Comédie », dont le sens ne peut plus échapper à personne et que traducteur après traducteur on tâche de rendre à chaque fois de façon à ne pas être accusé d’avoir plagié le prédécesseur, jusqu’aux plus grotesques et inutiles contorsions stylistiques, parfois jusqu’au contresens.

  80. La meilleure solution (ou voie vers une solution) serait de mieux payer les traducteurs, leur laisser du temps et surtout ne pas leur permettre de se prendre pour des auteurs. C’est-à-dire en contrôlant rigoureusement leur travail, en le soumettant avant publication à la critique de rélecteurs ayant une compétence au moins égale, quitte à leur imposer les corrections nécessaires. Un traducteur n’est pas un auteur, c’est un serviteur. Il est exclusivement au service de l’oeuvre, et il n’a pas à se prendre pour Baudelaire ou Mallarmé et à imposer « sa » lecture, « sa » vision, voire à se croire autorisé à « écrire mieux que l’auteur » de l’oeuvre originale.

  81. Plus j’y pense, plus je lis des explications données par des traducteurs, plus je me dis qu’il faudrait que certains reviennent à plus de modestie et cessent de se prendre pour les auteurs ou les re-créateurs de l’oeuvre qu’ils sont chargés de transcrire en la trahissant et la travestissant le moins possible. Après tout, même le plus grand des traducteurs n’est qu’un nain perché sur l’épaule du géant Dante.

    • C’est une très vieille tendance de la littérature européenne que de rechercher une harmonie propre à la langue d’arrivée lorsqu’on traduit depuis le latin ou le grec. Je ne citerai ici que le principal fauteur de la Renaissance du XIIe siècle, Henri Aristippe, mort en 1162, dont les versions latines de Platon et d’Aristote, entre autres caractéristiques tenant de la rhétorique formelle, se plaisaient à la plus intempérante copia verborum en multipliant les permutations synonymiques du même mot grec y compris dans les cas où l’original n’est pas polysémique (Lorenzo Minuo-Paluello, ‘Henri Aristippe, Guillaume de Moerbeke et les traductions médiévales des Météorologiques’, Revue philosophique de Louvain 45, 1947, pp. 211-220). Deux siècles plus tard, Jacques Peletier du Mans, grand réhabilitateur des traductions en langue nationale face à Du Bellay, écrira en son « Art poétique » (I, 6. 31) : « les traductions, quand elles sont bien fetes, peuve[n]t beaucoup anrichir une langue. Car le traducteur pourra fere Françoese une bele locucion Latine ou Grecque e apporter an sa citè, avec le poes des santances, la majestè des clauses e elegances de la langue etrangere : deus poinz bien favorables, par ce qu’iz approche[n]t des generales concepcions ». Parmi d’autres noms illustres, je citerai simplement encore la pratique de ces grands traducteurs que furent Simon de Colines et Jacques Amyot.

      • Il est vrai que, au fil des siècles, la traduction-adaptation a été la tendance principale. Il en était ainsi. C’était l’esprit de ces temps, et on avait ses raisons pour faire ainsi. Je ne jette pas la pierre à tous ces devanciers, parmi lesquels il y avait des grands et aussi, déjà, d’indignes tâcherons. Ils étaient des pionniers. La terre qu’ils ensemençaient et enrichissaient (notre langue, notre littérature) était encore vierge, en ce sens où, bien souvent, les oeuvres importées étaient inconnues dans nos contrées. Il s’agissait de les y introduire, parfois, à travers telle ou telle oeuvre, de nous faire connaître une littérature, une culture toute entières. Ils étaient les cousins des capitaines qui partaient sur les mers lointaines, en quête de terres nouvelles, et nous rapportait le récit (souvent largement controuvé) de leurs découvertes.

        Les adaptations et édulcorations étaient pratique courante et admise. Les oeuvres issues de notre littérature subissaient le même sort hors de nos frontières. A peine parues – lorsqu’elles étaient connues – on en trouvait des éditions non autorisées, des traductions-adaptations, des parodies, etc. L’idée même du respect de l’oeuvre dans son intégralité et du droit d’auteur était inconnue. Ce faisant, ceux qui faisaient ce travail ne se prenaient généralement pas pour des auteurs ou des créateurs, ils se prenaient pour des passeurs, des introducteurs, généralement avec une modestie qui semble être devenue un sentiment étranger à beaucoup de nos contemporains.

        Aujourd’hui, la plupart des procédés d’alors (qui ont perduré jusqu’au coeur du XIXème siècle, voire le début du XXème) ne sont plus admissibles. Quand toutes les grandes littératures sont devenues notre patrimoine commun, quand les oeuvres majeures ont été traduites dix ou vingt fois (je pourrais ajouter, quand les lecteurs ont quelque connaissance, plus ou moins grossière des langues étrangères et qu’on trouve sur internet des moteurs de traduction au mot à mot), on est en droit d’attendre de la dernière née qu’elle bénéficie du travail des devanciers, qu’elle soit faite avec la plus grande rigueur, et que le résultat soit le plus proche possible de l’impeccable.

        Je ne sais si on peut appeler ça « progrès » (notion étrangère à l’Art), mais cela correspond à nos exigences.

        • Cela n’empêche qu’il y eut de tout temps des modèles de rigueur en traduction, d’autant plus remarquables qu’ils ne bénéficiaient pas de siècles de travaux d’établissement des textes, ni des facilités de communication modernes en termes de documentation et d’échanges.

          Ce qui rend d’autant plus impardonnables certains modernes tâcherons.

          • C’est une question avant tout d’éthique professionnelle : lorsque le traducteur appartient à la classe des gens de lettres et n’a pas suivi de formation particulière le préparant à sa tâche, les critères régissant celle-ci sont obligatoirement plus laxistes et moins bien définis, le contrôle philologique autrement aléatoire, que dans le cas d’un universitaire même moyennement doué mais apportant le fruit d’une vie d’expérience. Le meilleur des cas possible est bien entendu la rencontre entre un auteur et un professionnel aussi qualifié qu’exigeant, par surcroît capable de s’exprimer dans une prose de bon artisan au lieu de la langue relâchée tendant au salmigondis qui passe trop systématiquement aujourd’hui pour la forme expressive normale des traducteurs.

          • Cette question de la traduction me « fend le coeur » comme aurait dit César (le Marseillais, bien sûr, pas le Romain), j’ajouterais même que « j’ai le coeur fendu en deux » !… En effet, que choisir ? D’un côté la rigueur scientifique, de l’autre la belle langue d’un gens-de-lettre… Ah, le beau mariage que ce serait que celui de ces deux-là ! Evénement dont la rareté fait la préciosité.

            Pourtant, si je dois être logique avec moi-même, et hormis quelques exceptions comme il en faut pour confirmer la règle, je suis bien obligé de pencher vers la rigueur scientifique, sinon tout ce que j’ai dit précédemment perd toute signification…

          • Un garçon de café, pourvu qu’il sût parler anglais, lui servait de prétexte à discuter le sens d’un mot, d’une expression proverbiale, d’un terme d’argot. Il prit longtemps pour conseil un tavernier anglais de la rue de Rivoli, chez lequel il allait boire le wisky et lire le Punch, en compagnie des grooms du faubourg Saint-Honoré.

            Ce qui ôte tout ridicule à cette manière de procéder, c’est le résultat. En allant ainsi de l’un à l’autre, du littérateur à l’épicier, Baudelaire savait ce qu’il faisait. Il entretenait son esprit par la contradiction dans une gymnastique perpétuelle. De son voyage aux Indes il avait rapporté une connaissance très-suffisante de la langue anglaise. Mais pour traduire un auteur aussi subtil que Poë, et aussi moderne, il fallait savoir plus que l’anglais littéraire. Son ironie froide, impassible, se distille en demi-sens, en équivoques, en jeux de mot, allusions à de petits faits journaliers, et à des plaisanteries courantes qu’un domestique ou un petit négociant étaient plus capables de saisir et d’expliquer qu’un académicien.

            Alors qu’il publiait dans le Moniteur les Aventures de Gordon Pym, troisième volume de sa traduction (1858), il courait les tavernes et les tables d’hôte pour découvrir un marin anglais qui pût lui donner le sens exact des termes de navigation, de manœuvre, etc. Un jour le voyant se creuser la tête à propos d’un détail d’orientation, j’eus le malheur de le plaisanter sur sa rigueur d’exactitude.

            — Eh bien ? me dit-il en relevant la tête, et les gens qui lisent en suivant sur la carte!

            Je sens encore son regard chargé de mépris et de fureur, et qui voulait dire : Vous ne comprenez donc pas que toute chose que j’écris doit être irréprochable, et que je ne dois pas plus donner prise à la censure d’un matelot qu’à la critique d’un littérateur ?

            J’avoue que je ne pus m’empêcher de rire ce jour-là en imaginant un abonné du Moniteur lisant son journal le doigt sur un atlas.

            Et pourtant j’avais tort, et Baudelaire avait raison. Ce n’est que par ce soin scrupuleux, minutieux, opiniâtre qu’on arrive à donner aux œuvres une valeur définitive. C’est grâce à cette application continuelle que la traduction d’Edgar Poë a obtenu le succès suprême auquel peut prétendre un travail de ce genre, de naturaliser un auteur dans une littérature étrangère, avec l’approbation de ses nationaux. Cette traduction fit en effet beaucoup d’honneur à Baudelaire en Angleterre, et il en recueillit de grands avantages lors de la publication de son recueil de poésies.

            Charles Asselineau, Charles Baudelaire, sa vie et son œuvre. Repris par Pichois et Ziegler dans leur biographie de Baudelaire.

          • Cher Petitrien, très chouette citation (avec les approximations d’époque, nous savons tous que le « voyage de Baudelaire en Inde » s’est arrêté à Maurice et à l’île Bourbon, où il ne séjourne que quelques semaines, suffisantes pour en ramener une profusion d’images et de parfums qui ne sont toujours pas, pour nous, aujourd’hui, pâlies ou éventés), et je vous remercie de cette touche poétique.

            Ce n’est pas par hasard que j’ai cité plus haut Baudelaire et Mallarmé comme hors-normes (énormes ?) ; j’aurais pu ajouter quelques autres noms : celui de Marcel Schwob me vient parmi les premiers à l’esprit. Ils ne peuvent servir d’exemple, ils sont ce qu’ils sont parce que frappés de l’aile du génie. Leurs méthodes (quand ils en ont une) est sans utilité pour le commun des mortels. Suivrait-il à la lettre la démarche de Baudelaire, qui n’est pas Baudelaire ne pourra jamais faire du Baudelaire. Ils sont en quelque sorte « hors sujet » du moins hors du sujet qui nous occupe, et on ne saurait les invoquer ni pour défendre une cause ni pour défendre une autre, parce qu’ils ne sont pas imitables ni transposables.

  82. Certains en viennent à nous présenter « leur » Dante ou bien « leur » Dostoïevski, comme tant de metteurs en scène ont pris l’habitude depuis des décennies de nous présenter « leur » Shakespeare ou « leur » Racine. Et avec infiniment moins de légitimité car eux devraient s’interdire toute liberté d’interprétation.

  83. Toutes ces méditations sur l’art de la traduction, où la personnalité du traducteur influe sur la traduction, et les exemples associés sont un plaisir à lire.
    Merci.

    Cela devient un dilemme, choisir dans la pléiade la traduction du fils de Hugo ou bien la version bilingue de Shakespeare, ou ne pas choisir et prendre les 2 versions.

    Autres questions :
    Quelle collection choisir pour Ovide ?
    Enfin je ne connais qu’une personne qui a lu la comédie humaine en entier et mal lui en a pris.
    J’aurai commencé par Le Père Goriot. L’ordre de la pléiade est l’ordre chronologique ?

    De Lombard :
    « Pour Ovide, je ne saurais répondre.
    En revanche, pour la Comédie humaine, une des façons possibles de l’aborder est de commencer par le premier tome de l’édition en Pléiade de Pierre-Georges Castex, qui est excellente – même en ce qui concerne les notes et variantes. C’est comme ça que j’ai procédé et je ne peux que vous recommander cette lecture méthodique. »

    • Samson, désormais vous connaissez une deuxième personne qui a lu la Comédie humaine en entier : ce fut l’une de mes plus belles aventures de lecteur – un voyage littéraire que je referai.

      • La lecture est une histoire d’aventure personnelle, ce n’est pas dans mon ADN de suivre un ordre établi ou alors pas sans de sérieux arguments.

        J’ai arrêté de lire mes Platon de la Pléiade, il y a une autre édition que l’on peu choisir ?

  84. Je prends conscience, dans « l’affaire des traductions », qu’il s’agit peut-être là – encore une fois ! – d’une question de génération. La mienne – si tant est que je puisse prétendre en être un digne représentant – conserve un attachement d’ordre sentimental, aux traductions « classiques » du XIXème siècle qui ont tenu le haut du pavé jusqu’aux deux-tiers du XXème : le « Faust » de Nerval, le « Robinson Crusoe » de Pétrus Borel, « Les Contes d’Hoffman » de Loèves-Veimars, le Shakespeare de François-Victor Hugo, « Les Histoires Extraordinaires » et autres « Histoires Grotesques et Sérieuses » de Baudelaire, à quoi je pourrais rajouter, plus récentes mais non moins vénérables, les traductions ou adaptations de Mallarmé, Marcel Shwob, Alexandre Vialatte, Antonin Artaud…

    Ces textes (j’aurais pu en citer bien d’autres, concernant notamment les Antiques et les Exotiques), ont imprégné notre enfance et de notre jeunesse, à l’époque où elles étaient sans rivales. Elles constituent en elles-mêmes, par leur intérêt « paléographique », leur qualité littéraire (souvent), leurs vertus pionnières et leur rôle dans la formation de notre imaginaire et dans l’histoire de notre propre littérature, un genre littéraire en soi.

    Pour nous, elles méritent la survie, mais elles ne sauraient interdire que de nouvelles traductions naissent et les remplacent dans l’usage commun. Pour les plus jeunes générations, elles peuvent n’être plus que des dinosaures, et la discussion sur leurs qualités techniques, n’a guère lieu d’être. L’amour a des raisons que la raison ignore.

    C’est pourquoi, ne voulant pas mourir « idiot » – bien que non persuadé que ma mort en soit plus belle – je m’intéresse à ces jeunes beautés qui apportent dans ma bibliothèque un vent printanier, mais je ne saurais pour autant en chasser mes chères vieilles Belles Dames du Temps Jadis.

    J’encourage les jeunes lecteurs passionnés – il doit en exister m’a-t-on dit – biberonnés aux dernières versions, à ne pas s’en détourner complètement, par respect des ancêtres, à leur faire une place dans leur coeur et leur bibliothèque. Ils y découvriront des beautés peut-être surannées mais au parfum intact.

    • On ne peut pas mieux le dire.

      Voilà pourquoi ce qui m’aurait rendu heureux, ç’aurait été d’avoir une édition bilingue de Shakespeare qui aurait repris nos traductions devenues classiques. Voyez plutôt la liste des contributeurs à la précédente édition : André Gide, Jules Supervielle, (l’immense) Jacques Copeau, Pierre Jean Jouve, Maurice Maeterlinck, Pierre Leyris.
      Si en regard de ces traductions vénérables je pouvais avoir (ou avoir eu) le texte anglais, ce serait quelque chose.

    • Ce pourrait être d’ailleurs le prétexte d’une sorte d’édition bilingue bis, qui nous redonnerait un Shakespeare français historique, c’est-à-dire réancré dans l’histoire littéraire française (récente).

      • Pour les monuments tels Shakespeare (Dante, Virgile, Homère, Cervantès, etc. je ne vais pas répéter la liste des génies-phares du père Hugo), il n’y aura jamais assez d’éditions, et celui qui n’en possède qu’une seule est à l’égal de celui qui n’en possède aucune.

  85. Voici ce qu’écrivait le très bon russophone Claude Robert (‘L’analyse des traductions littéraires est-elle un instrument sûr pour l’étude confrontative du russe et des langues romanes (français, italien) ?’, Revue des études slaves 55, 1983, pp. 122-123) :

    « Quand s’opère le travail de traduction, le schéma de transmission peut apparaître sous deux formes :

    — Ou bien on considère que le traducteur tient au lecteur de sa traduction à peu près le langage suivant : « Voici comment un auteur étranger raconte une histoire à ses compatriotes ». On a alors une communication seconde (la traduction) qui raconte une communication première (l’oeuvre originale). On retrouve ainsi l’idée fort bien exprimée par J. R. Ladmiral (« Traduire. Théorèmes pour la traduction », Paris, 1979, p. 144) :
    La traduction est une métacommunication. Elle procède à une objectivation de la communication en langue-source, qu’elle globalise pour en faire le contenu du message qu’elle a à traduire dans la langue-cible. La métacommunication traduisante fait de la communication-objet du premier degré, un donné socio-linguistique.
    Vu dans cette perspective, le travail de traducteur est de relater, éventuellement avec des notes et des commentaires, la communication qui a eu lieu, dans une autre communauté linguistique, peut -être à une autre époque, entre un écrivain et son lecteur. La traduction devient adaptation et explication.
    Cette traduction-adaptation (ou traduction-commentaire) tend à s’imposer à mesure de la distance culturelle qui sépare la communauté linguistique pour laquelle on traduit de la communauté linguistique d’origine (la traduction de Soborjane de Leskov en langue romane d’aujourd’hui est quasi impensable) et en fonction de l’importance occupée par les éléments particuliers de civilisation dans le texte d’origine (significative est, à cet égard, la traduction française avec larges commentaires que Labry a donnée de Kapitanskaja dočká). Et, sur ce dernier point, la traduction d’une oeuvre satirique, pleine d’allusions en demi-teinte, représente probablement le summum de la difficulté (voir à ce sujet Sergio Pescatori, ‘Satira e traduzione’, in « La traduzione letteraria dal russo nette lingue romanze e dalle lingue romanze in russo », Milano, 1979, p. 73-85).

    — Ou bien la traduction est création d’une nouvelle oeuvre, dans la langue d’arrivée, dotée de la même richesse ‘informative’, ‘symptomatique’ ou ‘poétique’ que la langue d’origine. C’est la ‘re-création’ si bien évoquée par Elsa Triolet dans l’introduction (‘l’Art de traduire’) à la « Poésie russe » (Paris, 1965). Les conditions idéales d’une traduction de la poésie seraient qu’un grand poète traduise un autre grand poète qu’il aurait lu dans l’original et pour lequel il se serait pris de passion.
    Ainsi conçue la traduction n’est pas sans rappeler la transposition d’un roman en oeuvre cinématographique : avec un matériau différent, on reconstruit une œuvre disant la même chose et produisant le même effet.

    On a là deux attitudes concevables devant la traduction dont le choix dépend de la volonté plus ou moins ‘informative’ ou ‘émotive’ du traducteur. C’est évidemment la traduction-récréation qui attire celui qui veut transmettre à de nouveaux lecteurs l’émotion que lui, traducteur, a ressenti à la lecture de l’œuvre originale. C’est aussi ce type de traduction qui offre le plus de difficultés. »

    Lorsqu’un Markowicz prétend mettre le primat sur la qualité émotive de sa traduction-décalque de Dostoïevksi, il inverse donc les termes dans lesquels tout un courant de slavistes infiniment plus chevronnés que lui couche le débat traductologique, sans même soupçonner l’arbitraire de sa prise de position, ce qui est gravissime. J’ai toujours eu envie de dire à ce Monsieur qu’une version de type philologique, par définition très serrée, ne s’accompagnant d’aucune note, est pure et simple hérésie.

  86. Dorian Astor a apporté quelques précisions sur les volumes II et III lors d’échanges avec d’autres internautes sur facebook (ceci explique le ton familier), les voici pour votre information.

    A propos de la révision des traductions :  » il s’agit de traductions soigneusement révisées, corrigées et améliorées. Dans le tome III ce sera la même chose, sauf pour Zarathoustra qui avait absolument besoin d’une nouvelle traduction.  »

    La présentation récemment mise en ligne du second tome ( http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-de-la-Pleiade/OEuvres102 ) souligne également la révision des traductions. Doit-on y voir un signe qu’un travail conséquent a été fait sur celles-ci ? J’espère que les éditeurs du volume évoqueront dans une éventuelle préface les péripéties éditoriales de ce second tome et les apports de cette nouvelle édition…

    Notons également que Zarathoustra va donc bénéficier d’une traduction inédite. Dorian Astor s’était déjà exprimé sur celle disponible dans la série Oeuvres philosophiques complètes due à Maurice de Gandillac, la considérant comme très perfectible, trop pour qu’une simple révision suffise.

    Et à propos du troisième tome :  » Nous irons beaucoup plus vite. Zarathoustra est presque achevé, Marc de Launay est sur « Par-delà bien et mal », moi sur « Généalogie de la morale », que nous finirons cette année. On se répartit les textes de 1888 pour l’année prochaine et, hop, l’année suivante, on sort le III … « 

    • Eh bien, moi qui faisaient mon sceptique (ou mon grincheux) quant à ces nouvelles révisions de Nietzsche, la perspective d’une nouvelle traduction intégrale du Zarathoustra suffira de mon coté à acquérir – peut-être d’occasion ceci dit – les volumes en Pléiade (mais je conserverai bien évidemment les dix huit volumes déjà parus des OC par ailleurs). J’étais également un peu frileux au sujet de cette nouvelle édition suite aux remarques de Neo-Birt7 sur Dorian Astor.

      Pour les amateurs non-germanophones (comme moi-même), je signale d’ailleurs que le cinquième volume de la correspondance du Libre Esprit va enfin sortir le 28 mars.

      Je vous remercie donc vivement, Niche, pour ces informations qui, n’ayant pas Facebook, m’étaient passé sous le nez.

    • Bonjour Samson,
      « Le Roman de Renart » à La Pléiade est remarquable tant par son parti pris (texte original et translation de qualité) que par ses notes, ses variantes et ses fragments rares ou inédits.

  87. Pour information, je vous signale que la Pléiade italienne vient de faire paraître un épais volume des œuvres de Keats en version bilingue, très intéressant et riche. Il contient la totalité de ses œuvres poétiques et un choix de lettres. Permet de lire en anglais ses 2 grands et beaux poèmes et ses Odes.

  88. Bonjour, Voici une précision concernant les œuvres de John Keats. L’éditeur est Mondadori et cet ouvrage fait parti de la collection I Meridiani ( qui ressemble à la Pléiade) Mais la pléiade Italienne s’appelait  » la biblioteca della pléiade » chez Einaudi éditeur (en collaboration avec Gallimard). Cette collection a existé de 1992 à 2008. Les livres étaient réalisés chez les mêmes imprimeurs et chez le même relieur que les pléiades Françaises.

  89. Je suis un fan de ces deux collections car elles proposent de nombreux écrivains italiens peu édités en français (par exemple D’Annunzio ou Svevo ou Pasolini) et des volumes d’œuvres étrangers en version bilingue comme les auteurs antiques ou anglais ou encore allemands. Sans oublier le volume des œuvres poétiques de Bonnefoy en bilingue. Seuls les prix de chacun des volumes est honteux….

  90. Je viens de m’offrir le volume des Canzionere de Petrarca réédité en version économique à 24€. Très heureuse initiative ! (Si seulement Honoré Champion pouvait s’en inspirer pour d’autres volumes que ses dictionnaires….)

    • De quelle édition du Canzoniere s’agit-il ? Poésie/Gallimard, traduction de Ceccatty (2018) ? En recommandez-vous une en particulier parmi celle-ci et les bilingues Classiques Garnier (2004) et Belles Lettres/Classiques de l’Humanisme (2009) ? Ou d’autres ? Il me semble difficile de se passer du bilingue…

      En comparant les présentations en ligne, je m’aperçois que le Poésie/Gallimard de 2018 a 560 pages. Vu que la précédente édition Poésie/Gallimard de 1983 a 288 pages et la Classique Garnier bilingue a 589 pages (et que ces deux Poésie/Gallimard ne sont pas bilingues) l’appareil critique doit être… conséquent ?

      Merci par avance.

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