La Bibliothèque de la Pléiade

Version du 30 octobre 2015

Version du 19 février 2016

Version du 29 mars 2016

En décembre 2013, j’écrivis une modeste note consacrée à la politique éditoriale de la célèbre collection de Gallimard, « La Bibliothèque de la Pléiade », dans laquelle je livrais quelques observations plus ou moins judicieuses à ce propos. Petit à petit, par l’effet de mon bon positionnement sur le moteur de recherche Google et du manque certain d’information officielle sur les prochaines publications, rééditions ou réimpressions de la collection, se sont agrégés, dans la section « commentaires » de cette chronique, de nombreux amateurs. Souvent bien informés – mieux que moi – et décidés à partager les informations dont Gallimard est parfois avare, ils ont permis à ce site de proposer une des meilleures sources de renseignement officieuses à ce sujet. Comme le fil de discussions commençait à être aussi dense que long (près de 100 commentaires), et donc difficile à lire pour de nouveaux arrivants, j’ai pensé qu’il pourrait être intéressant, pour les nombreuses personnes qui trouvent mon blog par des requêtes afférentes à la « Pléiade », que toutes les informations soient regroupées sur cette page. Les commentaires y sont ouverts et, à l’exception de ce chapeau introductif, les informations seront mises à jour régulièrement. Les habitués de l’autre note sont invités à me signaler oublis ou erreurs, j’ai mis un certain temps à tout compiler, j’ai pu oublier des choses.

Cette page, fixe, ne basculera pas dans les archives du blog et sera donc accessible en permanence, en un clic, dans les onglets situés en dessous du titre du site.

Je tiens à signaler que ce site est indépendant, que je n’ai aucun contact particulier avec Gallimard et que les informations ici reprises n’ont qu’un caractère officieux et hypothétique (avec divers degrés de certitude, ou d’incertitude, selon les volumes envisagés). Cela ne signifie pas que l’information soit farfelue : l’équipe de la Pléiade répond aux lettres qu’on lui adresse ; elle diffuse aussi au compte-gouttes des informations dans les médias ou sur les salons. D’autre part, certains augures spécialistes dans la lecture des curriculums vitae des universitaires y trouvent parfois d’intéressantes perspectives sur une publication à venir. Le principe de cette page est précisément de réunir toutes ces informations éparses en un seul endroit.

J’y inclus aussi quelques éléments sur le patrimoine de la collection (les volumes « épuisés » ou « indisponibles ») et, à la mesure de mes possibilités, sur l’état des stocks en magasin (c’est vraiment la section pour laquelle je vous demanderai la plus grande bienveillance, je le fais à titre expérimental : je me repose sur l’analyse des stocks des libraires indépendants et sur mes propres observations). Il faut savoir que Gallimard édite un volume en une fois, écoule son stock, puis réimprime. D’où l’effet de yo-yo, parfois, des stocks, à mesure que l’éditeur réimprime (ou ne réimprime pas) certains volumes. Les tirages s’épuisent parfois en huit ou dix ans, parfois en trente ou quarante (et ce sont ces volumes, du fait de leur insuccès, qui deviennent longuement « indisponibles » et même, en dernière instance, « épuisés »).

Cette note se divise en plusieurs sections, de manière à permettre à chacun de se repérer plus vite (hélas, WordPress, un peu rudimentaire, ne me permet pas de faire en sorte que vous puissiez basculer en un clic de ce sommaire vers les contenus qu’ils annoncent) :

I. Le programme à venir dans les prochains mois

II. Les publications possibles ou attendues ; les séries en cours

III. Les volumes « épuisés »

IV. Les rééditions

V. Les volumes « indisponibles provisoirement »

VI. Les volumes « en voie d’indisponibilité »

Cette page réunit donc des informations sur le programme et le patrimoine de la collection.

Les mises à jour correspondent à un code couleur, indiqué en ouverture de note (ce qui évite à l’habitué de devoir tout relire pour trouver mes quelques amendements). La prochaine mise à jour aura lieu dans quelques temps, lorsque le besoin s’en fera sentir.

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I. Le programme à venir dans les prochains mois

Le programme du premier semestre 2016 est officiellement connu et publié sur le site officiel.

->Henry James : Un Portrait de femme et autres romans. Après la publication des Nouvelles complètes, Gallimard décide donc de proposer plusieurs romans de l’épais corpus jamesien. Le volume comprend quatre romans : Roderick Hudson (1876), Les Européens (1878), Washington Square (1880) et Portrait de femme (1881). La perspective de publication semble à la fois chronologique et thématique. Elle n’est pas intégrale puisque sont exclus trois romans contemporains du même auteur : Le Regard aux aguets (1871), L’Américain (1877) et Confiance (1879). En cas de succès, il paraît probable que ce volume soit néanmoins suivi d’un ou deux autres, couvrant la période 1886-1905.

On peut imaginer que le(s) volume(s) à venir comprendra/comprendront Les Bostoniennes, Ce que savait Maisie, Les Ambassadeurs, Les Ailes de la Colombe ou La Coupe d’Or, mais comme certains de ces ouvrages ont été retraduits, fort récemment, par Jean Pavans, il est difficile d’établir avec certitude ce que fera la maison Gallimard du reste de l’œuvre. La solution la plus cohérente serait de publier deux autres tomes (voire trois…).

->Mario Vargas Llosa : Œuvres romanesques I et II. M. Vargas Llosa a beaucoup publié, souvent d’épais romans (ou mémoires – comme le très recommandable Le Poisson dans l’eau). La Pléiade ne proposera qu’une sélection de huit romans parmi la vingtaine du corpus. Le premier tome couvre la période 1963-1977 et comprend La Ville et les chiens (1963), La Maison verte (1965), Conversation à La Cathedral » (1969) et La Tante Julia et le scribouillard (1977). Le deuxième tome s’étend de 1981 à 2006 et a retenu La Guerre de la fin du monde (1981), La Fête au bouc (2000), Le Paradis un peu plus loin (2003) et Tours et détours de la vilaine fille (2006).

Il faut noter l’absence des Chiots, de l’Histoire de Mayta et de Lituma dans les Andes, ainsi que des derniers romans parus. De ce que je comprends de l’entretien donné par M. Vargas Llosa au Magazine Littéraire (février 2016), cette sélection a été faite voici dix ans. Cela peut expliquer quelques lacunes. Entre autres choses, le Nobel 2010 de littérature dit aussi que, pour lui, féru de littérature française et amateur de la Bibliothèque de la Pléiade depuis les années 50, il fut plus émouvant de savoir qu’il entrerait dans cette collection que de se voir décerner le Nobel de littérature. Il faut dire qu’à la Pléiade, pour une fois, il précède son vieux rival Garcia Marquez – dont les droits sont au Seuil.

-> en coffret, les deux volumes des Œuvres complètes de Jorge Luis Borges, déjà disponibles à l’unité.

-> Jules Verne (III)Voyage au centre de la terre et autres romans. L’œuvre de Verne a fait l’objet de deux volumes en 2012 ; un troisième viendra donc les rejoindre, signe que cette publication, un peu contestée pourtant, a eu du succès. Quatre romans figurent dans ce tome : Voyage au centre de la terre (1864) ; De la terre à la lune (1865) ; Autour de la lune (1870) et, plus étonnant, Le Testament d’un excentrique (1899), un des derniers romans de l’auteur – où figure en principe une sorte de jeu de l’oie, avec pour thème les États-Unis d’Amérique (qui ne sera peut-être pas reproduit).

Un quatrième tome est-il envisagé ? Je ne sais.

-> Shakespeare, Comédies II et III (Œuvres complètes VI et VII). Gallimard continue la publication des œuvres complètes du Barde en cette année du quatre centième anniversaire de sa mort. L’Album de la Pléiade lui sera également consacré. C’est une parution logique et que nous avions, ici même, largement anticipée (ce « nous » n’est pas un nous de majesté, mais une marque de reconnaissance envers les commentateurs réguliers ou irréguliers de cette page, qui proposent librement leurs informations ou réflexions à propos de la Pléiade).

Le tome II des Comédies (VI) comprend Les Joyeuses épouses de Windsor, Beaucoup de bruit pour rien, Comme il vous plaira, La Nuit des rois, Mesure pour mesure, et Tout est bien qui finit bien.

Le tome III des Comédies (VII) comprend Troïlus et Cressida, Périclès, Cymbeline, Le Conte d’hiver, La Tempête et Les Deux Nobles Cousins.

J’ai annoncé un temps que les poèmes de Shakespeare seraient joints au volume VII des Œuvres complètes, ce ne sera pas le cas. Ils feront l’objet d’un tome VIII, à venir. Ce corpus de poésies étant restreint (moins de 300 pages, ce me semble, dans l’édition des années 50, déjà enrichie de divers essais et textes sur l’œuvre), il est probable qu’il sera accompagné d’un vaste dossier documentaire, comme Gallimard l’a fait pour les rééditions Rimbaud et Lautréamont, ou pour la parution du volume consacré à François Villon.

Le programme du second semestre 2016 a filtré ici ou là, via des « agents » commerciaux ou des vendeurs de Gallimard. Nous pouvons l’annoncer ici avec une relative certitude.

-> Après Sade et Cervantès, le tirage spécial sera consacré à André Malraux, mort voici quarante ans. Il reprendra La Condition humaine, et, probablement les romans essentiels de l’écrivain (L’Espoir, La Voie royale, Les Conquérants). Ces livres sont dispersés actuellement dans les deux premiers des six volumes consacrés à Malraux.

Je reste, à titre personnel, toujours aussi dubitatif à l’égard de cette sous-collection.

–> Premiers Écrits chrétiens, dont le maître d’œuvre est Bernard Pouderon ; selon le site même de la Pléiade, récemment et discrètement mis à jour, le contenu du volume sera composé des textes de divers apologistes chrétiens, d’expression grecque ou latine : Hermas, Clément de Rome, Athénagore d’Athènes, Méliton de Sardes, Irénée de Lyon, Tertullien, etc. Ce volume  n’intéressera peut-être que modérément les plus littéraires d’entre nous ; il pérennise toutefois la démarche éditoriale savante poursuivie avec les Premiers écrits intertestamentaires ou les Écrits gnostiques.

Pour l’anecdote, Tertullien seul figurait déjà à la Pléiade italienne, dans un épais et coûteux volume ; ici, il n’y aura bien évidemment qu’une sélection de ses œuvres.

–> Certains projets sont longuement mûris, parfois reportés, et souvent attendus des années durant par le public de la collection. D’autres, inattendus surprennent ; à peine annoncés, les voici déjà publiés. C’est le cas, nous nous en sommes faits l’écho ici-même, de Jack London. Dès cet automne, deux volumes regrouperont les principaux de ses romans, dont, selon toute probabilité Croc-blanc, L’Appel de la forêt et Martin Eden. Le programme précis des deux tomes n’est pas encore connu.

L’entrée à la Pléiade de l’écrivain américain a suscité un petit débat entre amateurs de la collection, pas toujours convaincus de la pertinence de cette parution, alors que deux belles intégrales existent déjà, chez Robert Laffont (coll. Bouquins) et Omnibus.

-> enfin, s’achèvera un très long projet, la parution des œuvres de William Faulkner, entamée en 1977, et achevée près de quarante ans plus tard. Avec la parution des Œuvres romanesques V, l’essentiel de l’œuvre de Faulkner sera disponible à la Pléiade. Ce volume contiendra probablement La Ville, Le Domaine, Les Larrons ainsi que quelques nouvelles.

Comme souvent, la Pléiade fait attendre très longtemps son public ; mais enfin, elle est au rendez-vous, c’est bien là l’essentiel.

Cette année 2016 est assez spéciale dans l’histoire de la Pléiade, car neuf volumes sur dix sont des traductions, ce qui est un record ; l’album est également consacré à un écrivain étranger, ce qui n’est pas souvent arrivé (Dostoïevski en 1975, Carroll en 1990, Faulkner en 1995, Wilde en 1996, Borges en 1999, les Mille-et-une-nuits en 2005).

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Le domaine français fera néanmoins son retour en force en 2017, avec la parution (selon des sources bien informées) de :

-> Perec, Œuvres I et II. Georges Perec ferait également l’objet de l’Album de la Pléiade. Voici quelques années déjà que l’on parle de cette parution. Des citations de Georges Perec ont paru dans les derniers agendas, M. Pradier m’avait personnellement confirmé en 2012 que les volumes étaient en cours d’élaboration pour 2013/14 ; il est donc grand temps qu’ils paraissent.

Que contiendront-ils ? L’essentiel de l’œuvre romanesque, selon toute vraisemblance (La Disparition, La vie, mode d’emploi, Les Choses, W ou le souvenir d’enfance, etc.). Le Condottiere, ce roman retrouvé par hasard récemment y sera-t-il ? Je ne le sais pas, mais c’est possible (et c’est peut-être même la raison du retard de parution).

-> Tournier, Œuvres (I et II ?). Michel Tournier l’avait confirmé lui-même ici ou là, ses œuvres devaient paraître d’ici la fin de la décennie à la Pléiade. Sa mort récente peut avoir « accéléré » le processus ; preuve en est que Pierre Assouline, très au fait de la politique de la maison Gallimard, a évoqué, sur son site et dans son hommage à l’auteur, la parution pour 2016 de ces deux volumes. Il s’est peut-être un peu trop avancé, mais selon nos informations, un volume (au moins) paraîtrait au premier semestre 2017 (ou bien les deux ? rien n’est certain à cet égard), ce qu’Antoine Gallimard a confirmé au salon du livre.

-> Quand on aime la Pléiade, il faut être patient. Après dix-sept ans d’attente, depuis la parution du premier volume, devrait enfin sortir des presses le tome Nietzsche II. Cette série a été ralentie par les diverses turpitudes connues par les éditeurs du volume. La direction de ce tome, et du suivant, est assurée par Marc de Launay et Dorian Astor.

Cela fait quatre ou cinq tomes, soit l’essentiel du premier semestre. D’autres volumes sont attendus, mais sans certitude, pour un avenir proche, peut-être au second semestre 2016 :

-> Flaubert IV : la série est en cours (voir plus bas), le volume aurait été rendu à l’éditeur. On évoquait ici-même sa parution pour 2015.

-> Nimier, Œuvres. Je n’oublie pas que l’Agenda 2014 arborait une citation de Nimier, ce qui indique une parution prochaine.

-> Beauvoir, Œuvres autobiographiques. Ce projet se confirme d’année en année : annoncé par les représentants Gallimard vers 2013-2014, il est attesté par la multiplication des mentions de Simone de Beauvoir dans l’agenda 2016 (cinq, dans « La vie littéraire voici quarante ans », qui ouvre le volume). Gallimard est coutumier du fait : il communique par discrètes mentions d’auteurs inédits, dans les agendas, que les pléiadologues décryptent comme, jadis, les kremlinologues analysaient le positionnement des hiérarques soviétiques lors des défilés du 1er mai.

-> Leibniz : un volume d’Œuvres littéraires et philosophiques s’est vu attribuer un numéro d’ISBN (cf. sur Amazon). C’est un projet qui avait été évoqué dans les années 80, mais plus rien n’avait filtré le concernant depuis. Je n’ai (toujours) pas trouvé de mention de ce volume dans des CV d’universitaires. Comme pour Nietzsche II, je tiens cette sortie pour possible (ISBN oblige) mais encore incertaine. Cependant, le site Amazon indique une parution au 1er mars… 1997 : n’est-ce pas là, tout simplement, un vieux projet avorté, et dont l’ISBN n’a jamais été annulé ? À bien y réfléchir, l’abandon est tout à fait plausible.

-> D’autres séries sont en cours et pourraient être complétées : Brontë III, Stevenson III, Nabokov III, la Correspondance de Balzac III. D’autres séries, en panne, ne seront pas plus complétées en 2016 que les années précédentes (cf. plus bas) : Vigny III, Luther II, la Poésie d’Hugo IV et V, les Œuvres diverses III de Balzac, etc.

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II. Les publications possibles ou attendues ; les séries en cours

a) Nouveaux projets et rééditions

Les volumes que je vais évoquer ont été annoncés ici ou là, par Gallimard. Si dix nouveaux volumes de la Pléiade paraissent chaque année, vous le constaterez, la masse des projets envisagés énumérés ci-dessous nous mène bien au-delà de 2020.

–> un choix de Correspondance de Sade ;

–> les œuvres romanesques de Philip Roth, en deux volumes ; une mention de Roth, dans l’agenda 2016, atteste que ce projet est en cours.

–> l’Anthologie de la poésie américaine ; les traducteurs y travaillent depuis un moment ;

–> une nouvelle édition des œuvres de Descartes et de la Poésie d’Apollinaire (direction Étienne-Alain Hubert) ; Jean-Pierre Lefebvre travaille en ce moment sur une retraduction des œuvres de Kafka, une nouvelle édition est donc à prévoir (les deux premiers tomes seulement ? les quatre ?) ; une nouvelle version de L’Histoire de la Révolution française, de Jules Michelet est en cours d’élaboration également ;

–> Une autre réédition qui pourrait bien être en cours, c’est celle des œuvres de Paul Valéry, qui entreront l’an prochain dans le domaine public ; certains indices dans le Paul Valéry : une Vie, de Benoît Peeters, récemment paru en poche, peuvent nous en alerter ; la réédition des Cahiers, autrefois épuisés, n’est certes pas un « bon » signe (cela signifie que Gallimard ne republiera pas de version amendée d’ici peu – ce qui ne serait pourtant pas un luxe, l’édition étant ancienne, partielle et, admettons-le, peu accessible) ; en revanche, les Œuvres pourraient faire l’objet d’une révision, comme l’ont été récemment les romans de Bernanos ou les pièces et poèmes de Péguy. La publication de la Correspondance de Valéry pourrait être une excellente idée, d’un intérêt certain – mais c’est là seulement l’opinion du Lecteur (Valéry y est plus vif, moins sanglé que dans ses œuvres).

–> Tennessee Williams, probablement dirigée par Jean-Michel Déprats ; une mention discrète dans l’agenda 2016 tend à confirmer cette parution à venir ;

–> Blaise Cendrars, un troisième volume, consacré à ses romans (les deux premiers couvraient les écrits autobiographiques) ; selon le CV de Mme Le Quellec, collaboratrice de cette édition, ce volume paraîtrait en 2017 ;

–> George Sand : une édition des œuvres romanesques serait en cours ; l’équipe est constituée.

–> De même, Michel Onfray a évoqué par le passé, dans un entretien, l’éventuelle entrée d’Yves Bonnefoy à la Pléiade. Ce projet est littérairement crédible, d’autant plus que l’Agenda 2016 cite plusieurs fois Bonnefoy. Je suppose qu’il s’agira d’Œuvres poétiques complètes, ne comprenant pas les nombreux ouvrages de critique littéraire. Quelque aventureux correspondant a posé franchement la question auprès de Gallimard, qui lui a répondu que Bonnefoy était bien en projet.

-> Il faut également s’attendre à l’entrée à la Pléiade du médiéviste Georges Duby. Une information avait filtré en ce sens dans un numéro du magazine L’Histoire ; cette évocation dans l’agenda, redoublée, atteste de l’existence d’un tel projet. J’imagine plutôt cette parution en un tome (ou en deux), comprenant plusieurs livres parmi Seigneurs et paysans, La société chevaleresque, Les Trois ordres, Le Dimanche de Bouvines, Guillaume le Maréchal, et Mâle Moyen Âge.

-> Le grand succès connu par le volume consacré à Jean d’Ormesson (14 000 exemplaires vendus en quelques mois) donne à Gallimard une forme de légitimité pour concevoir un second volume ; les travaux du premier ayant été excessivement vite (un ou deux ans), il est possible de voir l’éditeur publier ce deuxième tome dès 2017…

-> Jean-Yves Tadié a expliqué, en 2010, dans le Magazine littéraire, qu’il s’occupait d’une édition de la Correspondance de Proust en deux tomes. Cette perspective me paraît crédible et point trop ancienne. À confirmer.

–> Textes théâtraux du moyen âge ; en deux volumes, j’en parle plus bas, c’est une vraie possibilité, remplaçant Jeux et Sapience, actuellement « indisponible ». La nouvelle édition, intitulée Théâtre français du Moyen Âge est dirigée par J.-P.Bordier.

–> Soseki ; le public français connaît finalement assez mal ce grand écrivain japonais ; pourtant sa parution en Pléiade, une édition dirigée par Alain Rocher, est très possible. Elle prendra deux volumes, et les traductions semblent avoir été rendues.

–> Si son vieux rival Mario Vargas Llosa vient d’avoir les honneurs de la collection, cela ne signifie pas que Gabriel Garcia Marquez soit voué à en rester exclu. Dans un proche avenir, la Pléiade pourrait publier une sélection des principaux romans de l’écrivain colombien.

–>Enfin, et c’est peut-être le scoop de cette mise à jour, selon nos informations, officieuses bien entendu, il semblerait que les Éditions de Minuit et Gallimard aient trouvé un accord pour la parution de l’œuvre de Samuel Beckett à la Pléiade, un projet caressé depuis longtemps par Antoine Gallimard. Romans, pièces, contes, nouvelles, en français ou en anglais, il y a là matière pour deux tomes (ou plus ?). Il nous faut désormais attendre de nouvelles informations.

Cette première liste est donc composée de volumes dont la parution est possible à brève échéance (d’ici 2019).

Je la complète de diverses informations qui ont circulé depuis trente ans sur les projets en cours de la Pléiade : les « impossibles » (abandonnés), les « improbables » (suspendus ou jamais mis en route), « les possibles » (projet sérieusement évoqué, encore récemment, mais sans attestation dans l’Agenda et sans équipe de réalisation identifiée avec certitude).

A/ Les (presque) impossibles

-> Textes philosophiques indiens fondamentaux ; une édition naguère possible (le champ indien a été plutôt enrichi en 20 ans, avec le Ramayana et le Théâtre de l’Inde Ancienne), mais plutôt risquée commercialement et donc de plus en plus incertaine dans le contexte actuel. Zéro information récente à son sujet.

–> Xénophon ; cette parution était très sérieusement envisagée à l’époque du prédécesseur de M. Pradier, arrivé à la direction de la Pléiade en 1996 ; elle a été au mieux suspendue, au pire abandonnée.

–> Écrits Juifs (textes des Kabbalistes de Castille) ; très improbable en l’état économique de la collection.

–> Mystiques médiévaux ; aucune information depuis longtemps.

–> Maître Eckhart ; la Pléiade doit avoir renoncé, d’autant plus que j’ai noté la parution, au Seuil, cet automne 2015, d’un fort volume de 900 pages consacré aux sermons, traités et poèmes de Maître Eckhart ; projet abandonné.

–> Joanot Martorell ; le travail accompli sur Martorell a été basculé en « Quarto », un des premiers de la collection ; la Pléiade ne le publiera pas, projet abandonné.

–> Chaucer ; projet abandonné de l’aveu de son maître d’œuvre (le travail réalisé par les traducteurs a pu heureusement être publié, il est disponible via l’édition Bouquins, parue en 2010).

-> Vies et romans d’Alexandre est un volume qui a été évoqué depuis vingt-cinq ans, sans résultat tangible à ce jour. Jean-Louis Bacqué-Grammont et Georges Bohas étaient supposés en être les maîtres d’œuvre. Une mention récente dans Parole de l’orient (2012) laisse à penser que le projet a été abandonné. En effet, une partie des traductions a paru en 2009 dans une édition universitaire et l’auteur de l’article explique que ce « recueil était originellement prévu pour un ouvrage collectif devant paraître dans la Pléiade ». C’est mauvais signe.

Ces huit volumes me paraissent abandonnés.

B/ Les improbables

–> Aimé Césaire, Léon Gontran Damas et Léopold Sedar Senghor ; ce tome était attendu pour 2011 ou 2012, le projet semble mettre un peu plus de temps que prévu. Selon quelques informations recueillies depuis, il semble que, malgré l’effet d’annonce, la réalisation ce volume n’a jamais été vraiment lancée.

–> Saikaku ; quelques informations venues du traducteur, M. Struve, informations vieilles maintenant de dix ans ; notre aruspice de CV, Geo, est pessimiste, du fait du changement opéré dans l’équipe de traduction en cours de route.

–> Carpentier ; cela commence à faire longtemps que ce projet est en cours, trop longtemps (plus de quinze ans que Gallimard l’a évoqué pour la première fois). Carpentier est désormais un peu oublié (à tort). Ce projet ne verra probablement pas le jour.

–> Barrès ; peu probable, rien ne l’a confirmé ces derniers temps…

–> la perspective de la parution d’un volume consacré à Hugo von Hofmannsthal avait été évoquée dans les années 90 (par Jacques Le Rider dans la préface d’un Folio). La Pochothèque et l’Arche se sont occupés de republier l’écrivain autrichien. Cette parution me paraît abandonnée.

–> En 2001, Mme Naudet s’est chargée du catalogage des œuvres de Pierre Guyotat en vue d’une possible parution à la Pléiade. Je ne pense pas que cette réflexion, déjà ancienne, ait dépassé le stade de la réflexion. Gallimard a visiblement préféré le sémillant d’Ormesson au ténébreux Guyotat.

-> Voici quelques années, M. Pradier, le directeur de la collection avait évoqué diverses possibilités pour la Pléiade : Pétrarque, Leopardi et Chandler. Ce n’étaient là que pistes de réflexions, il n’y a probablement pas eu de suite. Un volume Pétrarque serait parfaitement adapté à l’image de la collection et son œuvre y serait à sa place. Je ne sais pas si la perspective a été creusée. Boccace manque aussi, d’ailleurs. Pour Leopardi, le fait qu’Allia n’ait pas réussi à écouler le Zibaldone et la Correspondance (bradée à 25€ désormais) m’inspirent de grands doutes. Le projet serait légitime, mais je suis pessimiste – ce qui est logique en parlant de l’infortuné poète bossu. Enfin, Chandler a fait l’objet depuis d’un Quarto, et même s’il est publié aux Meridiani (pléiades italiens), je ne crois pas à sa parution en Pléiade.

Ces neuf volumes me paraissent incertains. Abandon possible (ou piste de réflexion pas suivie).

C/ Les plausibles

–> Nathaniel Hawthorne ; à la fois légitime (du fait de l’importance de l’auteur), possible (du fait du tropisme américain de la Pléiade depuis quelques années) et annoncé par quelques indiscrétions ici ou là. On m’a indiqué, parmi l’équipe du volume, les possibles participations de M. Soupel et de Mme Descargues.

-> Le projet de parution d’Antonin Artaud à la Pléiade a été suspendu au début des années 2000, du fait des désaccords survenus entre la responsable du projet éditorial et les ayants-droits de l’écrivain ; il devrait entrer dans le domaine public au 1er janvier 2019 et certains agendas ont cité Artaud par le passé ; un projet pourrait bien être en cours, sinon d’élaboration, tout du moins de réflexion.

–> Romain Gary, en deux tomes, d’ici la fin de la décennie.

–> Kierkegaard ; deux volumes, traduits par Régis Boyer, maître ès-Scandinavie ; on n’en sait pas beaucoup plus et ce projet est annoncé depuis très longtemps.

–> Jean Potocki ; la découverte d’un second manuscrit a encore ralenti le serpent de mer (un des projets les plus anciens de la Pléiade à n’avoir jamais vu le jour).

–> Thomas Mann ; il faudrait de nouvelles traductions, et les droits ne sont pas chez Gallimard (pas tous en tout cas) ; Gallimard attend que Mann tombe dans le domaine public (une dizaine d’années encore…), selon la lettre que l’équipe de la Pléiade a adressé à un des lecteurs du site.

–> Le dit du Genji, informations contradictoires. Une nouvelle traduction serait en route.

–> Robbe-Grillet : selon l’un de nos informateurs, le projet serait au stade de la réflexion.

–> Huysmans : Michel Houellebecq l’a évoqué dans une scène son dernier roman, Soumission ; le quotidien Le Monde a confirmé que l’écrivain avait été sondé pour une préface aux œuvres (en un volume ?) de J.K.Huysmans, un des grands absents du catalogue. Le projet serait donc en réflexion.

–> Ovide : une nouvelle traduction serait prévue pour les années à venir, en vue d’une édition à la Pléiade.

–> « Tigrane », un de nos informateurs, a fait état d’une possible parution de John Steinbeck à la Pléiade. Information récente et à confirmer un jour.

–> Calvino, on sait que la veuve de l’écrivain a quitté le Seuil pour Gallimard en partie pour un volume Pléiade. Édition possible mais lointaine.

–> Lagerlöf, la Pléiade n’a pas fermé la porte, et un groupe de traducteurs a été réuni pour reprendre ses œuvres. Édition possible mais lointaine.

Enfin, j’avais exploré les annonces du catalogue 1989, riche en projets, donc beaucoup ont vu le jour. Suivent ceux qui n’ont pas encore vu le jour (et qui ne le verront peut-être jamais) – reprise d’un de mes commentaires de la note de décembre 2013.

– Akutagawa, Œuvres, 1 volume (le projet a été abandonné, vous en trouverez des « chutes » ici ou là)
Anthologie des poètes du XVIIe siècle, 1 volume (je suppose que le projet a été fondu et  dans la réfection de l’Anthologie générale de la poésie française ; abandonné)
Cabinet des Fées, 2 volumes (mes recherches internet, qui datent un peu, m’avaient laissé supposer un abandon complet du projet)
– Chénier, 1 volume, nouvelle édition (abandonné, l’ancienne édition est difficile à trouver à des tarifs acceptables – voir plus bas)
Écrits de la Mésopotamie Ancienne, 2 volumes (probablement abandonné, et publié en volumes NRF « Bibliothèque des histoires » – courants et néanmoins coûteux, dans les années 90)
– Kierkegaard, Œuvres littéraires et philosophiques complètes, 3 volumes (serpent de mer n°1)
– Laforgue, Œuvres poétiques complètes, 1 volume (abandonné, désaccord avec le directeur de l’ouvrage, le projet a été repris, en 2 coûteux volumes, par L’Âge d’Homme)
– Leibniz, Œuvres, 3 volumes : un ISBN attribué à un volume Leibniz a récemment été découvert. Les possibilités d’édition de Leibniz dans la Pléiade, avec une envergure moindre, sont donc remontées.
– Montherlant, Essais, Volume II (voir plus bas)
Moralistes français du XVIIIe siècle, 2 volumes (aucune information récente, abandonné)
Orateurs de la Révolution Française, volume II (mis en pause à la mort de François Furet… en 1997 ! et donc abandonné)
– Potocki, Manuscrit trouvé à Saragosse, 1 volume (serpent de mer n°1 bis)
– Chunglin Hsü, Roman de l’investiture des Dieux, 2 volumes (pas de nouvelles, le dernier roman chinois paru à la Pléiade, c’était Wu Cheng’en en 1991, je penche pour l’abandon du projet)
– Saïkaku, Œuvres, 2 volumes (cas exploré plus haut)
– Sôseki, Œuvres, 2 volumes (cas exploré plus haut)
– Tagore, Œuvres, 2 volumes (le projet a été officiellement abandonné)
Théâtre Kabuki, 1 volume (très incertain, aucune information à ce sujet)
Traités sanskrits du politique et de l’érotique (Arthasoutra et Kamasoutra), 1 volume (idem)
– Xénophon, Œuvres, 1 volume (évoqué plus haut)

b) Les séries en cours :

Attention, je n’aborde ici que les séries inédites. J’évoque un peu plus bas, dans la section IV-b, le cas des séries en cours de réédition, soit exhaustivement : Racine, La Fontaine, Vigny, Balzac, Musset, Marivaux, Claudel, Shakespeare et Flaubert.

Aragon : l’éventualité de la publication un huitième volume d’œuvres, consacré aux écrits autobiographiques, a pu être discutée ; elle est actuellement, selon toute probabilité, au stade de l’hypothèse.

Aristote : le premier tome est sorti en novembre 2014, sans mention visuelle d’un quelconque « Tome I ». Le catalogue parle pourtant d’un « tome I », mais il a déjà presque un an, l’éditeur a pu changer d’orientation depuis. La suite de cette série me paraît conditionnelle et dépendante du succès commercial du premier volume. Néanmoins, les maîtres d’œuvre évoquent, avec certitude, la parution à venir des tomes II et III et l’on sait désormais que Gallimard ne souhaite plus numéroter ses séries qu’avec parcimonie. Il ne faut pas être pessimiste en la matière, mais prudent. En effet, la Pléiade a parfois réceptionné les travaux achevés d’éditeurs pour ne jamais les publier (cas Luther, voir quelques lignes plus bas).

Brecht : l’hypothèse d’une publication du Théâtre et de la Poésie, née d’annonces vieilles de 25 ans, est parfaitement hasardeuse. La mode littéraire brechtienne a passé et l’éditeur se contentera probablement d’un volume bizarre d’Écrits sur le théâtre. Dommage qu’un des principaux auteurs allemands du XXe siècle soit ainsi mutilé.

Brontë :  Premier volume en 2002, deuxième en 2008, il en reste un, Shirley-Villette. Il n’y a pas beaucoup d’information à ce sujet, mais le délai depuis le tome 2 est normal, il n’y a pas d’inquiétude à avoir pour le moment. La traduction de Villette serait achevée.

Calvin : L’Institution de la religion chrétienne est absent du tome d’Œuvres. Aucun deuxième volume ne semble pourtant prévu.

Cendrars : voir plus haut, un volume de Romans serait en cours de préparation.

Écrits intertestamentaires : un second volume, dirigé par Marc Philonenko, serait en chantier, et quelques traductions déjà achevées.

Giraudoux : volume d’Essais annoncé au début des années 90. Selon Jacques Body, maître d’œuvre des trois volumes, et que j’ai personnellement contacté, ce quatrième tome n’est absolument pas en préparation. Projet abandonné.

Gorki : même situation que Brecht et Faulkner, réduction de voilure du projet depuis son lancement. Suite improbable.

Green : je l’évoque plus bas, dans les sections consacrées aux volumes « indisponibles » et aux volumes en voie d’indisponibilité. Les perspectives de survie de l’œuvre dans la collection sont plutôt basses. Aucun tome IX et final ne devrait voir le jour.

Hugo : Œuvres poétiques, IV et V, « en préparation » depuis 40 ans (depuis la mort de Gaëtan Picon). Les œuvres de Victor Hugo auraient besoin d’une sérieuse réédition, la poésie est bloquée depuis qu’un désaccord est survenu avec les maîtres d’ouvrage de l’époque. Il est fort improbable que ce front bouge dans les prochaines années, mais Gallimard maintient les « préparer » à chaque édition de son catalogue. À noter que le 2e tome du Théâtre complet, longtemps indisponible, est à nouveau dans les librairies.

Luther : Le tome publié porte le chiffre romain I. Une suite est censée être en préparation mais l’insuccès commercial de ce volume (la France n’est pas un pays de Luthériens) a fortement hypothéqué le second volume. Personne n’en parle plus, ni les lecteurs, ni Gallimard. Suite improbable. D’autant plus que M. Arnold, le maître d’œuvre explique sur son CV avoir rendu le Tome II… en 2004 ! Ces dix années entre la réception du tapuscrit et la publication indiquent que Gallimard a certainement renoncé. Projet abandonné.

Marx : Les Œuvres complètes se sont arrêtées avec le Tome IV (Politique I). L’éditeur du volume est mort, la « cote » de Marx a beaucoup baissé, il est improbable que de nouveaux volumes paraissent à l’avenir, le catalogue ne défend même plus cette idée par une mention « en préparation ». Série probablement arrêtée.

Montherlant : Essais, tome II. Le catalogue évoque toujours un tome I. Aucune mention de préparation n’est présente (contrairement à ce que les catalogues de la fin des années 2000 annonçaient). Le premier volume a été récemment retiré (voir plus bas, dans la section « rééditions »), tout comme les volumes des romans. Perspective improbable néanmoins.

Nietzsche : Œuvres complètes, d’abord prévues en 5 tomes, puis réduites à 3 (c’est annoncé au catalogue). Le premier volume a paru en 2000. Le deuxième devrait paraître au premier semestre 2017 (information officieuse et à confirmer).

Orateurs de la Révolution française : paru en 1989 pour le bicentenaire de la Révolution, ce premier tome, consacré à des orateurs de la Constituante, n’a pas eu un grand succès commercial. François Furet, son éditeur scientifique, est mort depuis. Tocqueville, son autre projet, a été retardé quelques années, mais a pu s’achever. Celui-ci ne le sera pas. Suite abandonnée.

Queneau : en principe, ont paru ses Œuvres complètes, en trois tomes, mais le Journal n’y est pas, pas plus que ses articles et critiques. Un quatrième tome, non annoncé par la Pléiade, est-il néanmoins possible ? Aucune information à ce sujet.

Sand : un volume de Romans est en préparation (cf. plus haut).

Stevenson : un troisième tome d’Œuvres est en préparation. Le deuxième volume a paru en 2005 déjà, il serait temps que le troisième (et dernier) sorte dans les librairies.

Supervielle : une édition des Œuvres en 2 volumes avait été initialement prévue, la poésie est sortie en 1996, le reste doit être abandonné.

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III. Les volumes « épuisés »

Ces volumes ne sont plus disponibles sur le marché du livre neuf. Gallimard ne compte pas les réimprimer. Cette politique est assortie de quelques exceptions, imprévisibles, comme les Cahiers de Paul Valéry, « épuisés » en 2008 et pourtant réimprimés quelques années plus tard. Cet épuisement peut préluder une nouvelle édition (Casanova par exemple), mais généralement signe la sortie définitive du catalogue. Les « épuisés » sont presque tous trouvables sur le marché de l’occasion, à des prix parfois prohibitifs (je donne pour chaque volume une petite estimation basée sur mes observations sur abebooks, amazon et, surtout, ebay, lors d’enchères, fort bon moyen de voir à quel prix s’établit « naturellement » un livre sur un marché assez dense d’amateurs de la collection ; mon échelle de prix est évidemment calquée sur celle de la collection, donc 20€ équivaut à une affaire et 50€ à un prix médian).

1/ Œuvres d’Agrippa d’Aubigné, 1969 : Gallimard a exclu explicitement la réédition. C’est le cas de beaucoup de volumes des années 1965-1975, majoritaires parmi les épuisés. Ils ont connu un retirage, ou aucun. 48€ au catalogue, peut monter à 70€ sur le marché de l’occasion.

2/ Œuvres Complètes de Nicolas Boileau, 1966 : Gallimard a exclu explicitement la réédition. Le XVIIe siècle est victime de son progressif éloignement ; cette littérature, sauf quelques grands noms, survit mal ; et certains auteurs ne sont plus jugés par la direction de la collection comme suffisamment « vivants » pour être édités. C’est le cas de Boileau. 43€ au catalogue, il est rare qu’il dépasse ce prix sur le second marché.

3/ Œuvres Complètes d’André Chénier, 1940 : Gallimard a exclu explicitement la réédition. Étrangement, il était envisagé, en 1989 encore (source : le catalogue de cette année-là), de proposer au public une nouvelle édition de ce volume. Chénier a-t-il été victime de l’insuccès du volume Orateurs de la Révolution française ? L’œuvre, elle-même, paraît bien oubliée désormais. 40€ au catalogue, trouvable à des tarifs très variables (de 30 à 80).

4/ Œuvres de Benjamin Constant, 1957 : Gallimard a exclu explicitement la réédition. À titre personnel, je suis un peu surpris de l’insuccès de Constant. 48€ au catalogue, assez peu fréquent sur le marché de l’occasion, peut coûter cher (80/100€)

5/ Conteurs français du XVIe siècle, 1965 : pas d’information de la part de l’éditeur. L’orthographe des volumes médiévaux ou renaissants de la Pléiade (et même ceux du XVIIe) antérieurs aux années 80 n’était pas modernisée. C’est un volume dans un français rocailleux, donc. 47€ au catalogue, assez aisé à trouver pour la moitié de ce prix (et en bon état). Peu recherché.

6/ Œuvres Complètes de Paul-Louis Courier, 1940 : pas d’information de la part de l’éditeur. Courier est un peu oublié de nos jours. 40€ au catalogue, trouvable pour un prix équivalent en occasion (peut être un peu plus cher néanmoins).

7/ Œuvres Complètes de Tristan Corbière et de Charles Cros, 1970 : pas d’information de la part de l’éditeur. C’était l’époque où la Pléiade proposait, pour les œuvres un peu légères en volume, des regroupements plus ou moins justifiés. Les deux poètes ont leurs amateurs, mais pas en nombre suffisant visiblement. Néanmoins, le volume est plutôt recherché. Pas de prix au catalogue, difficilement trouvable en dessous de 80€/100€.

8/ Œuvres de Nicolas Leskov et de M.E. Saltykov-Chtchédrine, 1967 : Gallimard a exclu explicitement la réédition. Encore un regroupement d’auteurs. Le champ russe est très bien couvert à la Pléiade, mais ces deux auteurs, malgré leurs qualités, n’ont pas eu beaucoup de succès. 47€ au catalogue, coûteux en occasion (quasiment impossible sous 60/80€, parfois proposé au-dessus de 100)

9/ Œuvres de François de Malherbe, 1971 : Gallimard a exclu explicitement la réédition. Et pour cause. C’est le « gadin » historique de la collection, l’exemple qu’utilise toujours Hugues Pradier, son directeur, quand il veut illustrer d’un épuisé ses remarques sur les méventes de certain volume. 39€ au catalogue, je l’ai trouvé neuf dans une librairie il y a six ans, et je crois bien que c’était un des tout derniers de France. Peu fréquent sur le marché de l’occasion, mais généralement à un prix accessible (30/50€).

10/ Maumort de Roger Martin du Gard, 1983 : aucune information de Gallimard. Le volume le plus récemment édité parmi les épuisés. Honnêtement, je ne sais s’il relève de cette catégorie par insuccès commercial (la gloire de son auteur a passé) ou en raison de problèmes littéraires lors de l’établissement d’un texte inachevé et publié à titre posthume. 43€ au catalogue, compter une cinquantaine d’euros d’occasion, peu rare.

11/ Commentaires de Blaise de Monluc, 1964 : aucune information de Gallimard. Comme pour les Conteurs français, l’orthographe est d’époque. Le chroniqueur historique des guerres de religion n’a pas eu grand succès. Pas de prix au catalogue, assez rare d’occasion, peut coûter fort cher (60/100).

12/ Histoire de Polybe, 1970 : Gallimard informe ses lecteurs qu’il est désormais publié en « Quarto », l’autre grande collection de l’éditeur. Pas de prix au catalogue. Étrange volume qui n’a pas eu de succès mais qui s’arrache à des prix prohibitifs sur le marché de l’occasion (difficile à trouver à moins de 100€).

13/ Poètes et romanciers du Moyen Âge, 1952 : exclu d’une réédition en l’état. C’est exclusivement de l’ancien français (comme Historiens et Chroniqueurs ou Jeux et Sapience), quand tous les autres volumes médiévaux proposent une édition bilingue. Une partie des textes a été repris dans d’autres volumes ou dans l’Anthologie de la poésie française I. 42€ au catalogue, trouvable sans difficulté pour une vingtaine d’euros sur le marché de l’occasion.

14/ Romanciers du XVIIe siècle, 1958 : exclu d’une réédition. Orthographe non modernisée. Un des quatre romans (La Princesse de Clèves) figure dans l’édition récente consacrée à Mme de Lafayette. Sans prix au catalogue, très fréquent en occasion, à des prix accessibles (20/30€).

15/ et 16/ Romancier du XVIIIe siècle I et II, 1960 et 1965. Gallimard n’en dit rien, ce sont pourtant deux volumes regroupant des romans fort connus (dont Manon LescautPaul et VirginieLe Diable amoureux). Subissent le sort d’à peu près tous les volumes collectifs de cette époque : peu de notes, peu de glose, à refaire… et jamais refaits. 49,5€ et 50,5€. Trouvables à des prix similaires, sans trop de difficulté, en occasion.

17/, 18/ et 19/ Œuvres I et II, Port-Royal I, de Sainte-Beuve, 1950, 1951 et 1953. Gallimard ne prévoit aucune réimpression du premier volume de Port-Royal mais ne dit pas explicitement qu’il ne le réimprimera jamais. Les chances sont faibles, néanmoins. Son épuisement ne doit pas aider à la vente des volumes II et III. Le destin de Sainte-Beuve semble du reste de sortir de la collection. Les trois volumes sont sans prix au catalogue. Les Œuvres sont trouvables à des prix honorables, Port-Royal I, c’est plus compliqué (parfois il se négocie à une vingtaine d’euros, parfois beaucoup plus). L’auteur ne bénéficie plus d’une grande cote.

20/, 21/ et 22/ Correspondance III et III, de Stendhal, 1963, 1967 et 1969. Cas unique, l’édition est rayée du catalogue papier (et pas seulement marquée comme épuisée), pour des raisons de moi inconnues (droits ? complétude ? qualité de l’édition ? Elle fut pourtant confiée au grand stendhalien Del Litto). Cette Correspondance, fort estimée (par Léautaud par exemple) est difficile à trouver sur le marché de l’occasion, surtout le deuxième tome. Les prix sont à l’avenant, normaux pour le premier (30/40), parfois excessifs pour les deux autres (le 2e peut monter jusque 100). Les volumes sont assez fins.

23/ et 24/ Théâtre du XVIIIe siècle, I et II, 1973 et 1974. Longtemps marqués « indisponibles provisoirement », ces deux tomes sont récemment passés « épuisés ». Ce sont deux volumes riches, dont Gallimard convient qu’il faudrait refaire les éditions. Mais le contexte économique difficile et l’insuccès chronique des volumes théâtraux (les trois tomes du Théâtre du XVIIe sont toujours à leur premier tirage, trente ans après leur publication) rendent cette perspective très incertaine. 47€ au catalogue, très difficiles à trouver sur le marché de l’occasion (leur prix s’envole parfois au-delà des 100€, ce qui est insensé).

Cas à part : Œuvres complètes  de Lautréamont et de Germain Nouveau. Lautréamont n’est pas sorti de la Pléiade, mais à l’occasion de la réédition de ses œuvres voici quelques années, fut expulsé du nouveau tome le corpus des écrits de Germain Nouveau, qui occupait d’ailleurs une majeure partie du volume collectif à eux consacrés. Le volume est sans prix au catalogue. Il est relativement difficile à trouver et peut coûter assez cher (80€).

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 IV. Les rééditions

Lorsque l’on achète un volume de la Pléiade, il peut s’agir d’une première édition et d’un premier tirage, d’une première édition et d’un ixième tirage ou encore d’une deuxième (ou, cas rare, d’une troisième, exceptionnel, d’une quatrième) édition. Cela signifie qu’un premier livre avait été publié voici quelques décennies, sous une forme moins « universitaire » et que Gallimard a jugé bon de le revoir, avec des spécialistes contemporains, ou de refaire les traductions. En clair, il faut bien regarder avant d’acheter les volumes de ces auteurs de quand date non l’impression mais le copyright.

Il arrive également que Gallimard profite de retirages pour réviser les volumes. Ces révisions, sur lesquelles la maison d’édition ne communique pas, modifient parfois le nombre de pages des volumes : des coquilles sont corrigées, des textes sont revus, des notices complétées, le tout de façon discrète. Ces modifications sont très difficiles à tracer, sauf à comparer les catalogues ou à feuilleter les derniers tirages de chaque Pléiade (un des commentateurs, plus bas, s’est livré à l’exercice – cf. l’exhaustif commentaire de « Pléiadophile », publié le 12 avril 2015)

La plupart des éditions « dépassées » sont en principe épuisées.

a) Rééditions à venir entièrement (aucun volume de la nouvelle édition n’a paru)

Parmi les rééditions à venir, ont été évoqués, de manière très probable :

Kafka, par Jean-Pierre Lefebvre (je ne sais si ce projet concerne la totalité des quatre volumes ou seulement une partie).

Michelet, dont l’édition date de l’avant-guerre ; certes quelques révisions de détail ont dû intervenir à chaque réimpression, mais enfin, l’essentiel des notes et notices a vieilli.

Descartes (l’édition en un volume date de 1937) en deux volumes.

Apollinaire, pour la poésie seulement (la prose est récente).

Jeux et sapience du Moyen Âge, édition de théâtre médiéval en ancien français, réputée « indisponible provisoirement ». La nouvelle édition est en préparation (cf. plus haut). Cette édition, en deux volumes serait logique et se situerait dans la droite ligne des éditions bilingues et médiévales parues depuis 20 ans (RenartTristan et Yseut, le Graal, Villon).

De manière possible

Verlaine, on m’en a parlé, mais je ne parviens pas à retrouver ma source. L’édition est ancienne.

Chateaubriand, au moins pour les Mémoires d’Outre-Tombe mais l’hypothèse a pris du plomb dans l’aile avec la reparution, en avril 2015, d’un retirage en coffret de la première (et seule à ce jour) édition.

Montherlant, pour les Essais… c’est une hypothèse qui perd d’année en année sa crédibilité puisque le tome II n’est plus annoncé dans le catalogue. Néanmoins, un retirage du tome actuel a été réalisé l’an dernier, ce qui signifie que Gallimard continue de soutenir la série Montherlant… Plus improbable que probable cependant.

b) Rééditions inachevées ou en cours (un ou plusieurs volumes de la nouvelle édition ont paru)

Balzac : 1/ La Comédie humaine, I à XI, de 1935 à 1960 ; 2/ La Comédie humaine, I à XII, de 1976 à 1981 + Œuvres diverses I, en 1990 et II, en 1996 + Correspondance I, en 2006 et II, en 2011. Le volume III de la Correspondance est attendu avec optimisme pour les prochaines années. Pour le volume III des Œuvres diverses en revanche, l’édition traîne depuis des années et le décès du maître d’œuvre, Roland Chollet, à l’automne 2014, n’encourage pas à l’optimisme.

Claudel : 1/ Théâtre I et II (1948) + Œuvre poétique (1957) + Œuvres en prose (1965) + Journal I (1968) et II (1969) ; 2/ Théâtre I et II (2011). Cette nouvelle édition du Théâtre pourrait préfigurer la réédition des volumes de poésie et de prose (et, sans conviction, du Journal ?), mais Gallimard n’a pas donné d’information à ce sujet.

Flaubert : 1/ Œuvres complètes, I et II, en 1936 ; 2/ Correspondance I (1973), II (1980), III (1991), IV (1998) et V (2007) + Œuvres complètesI (2001), II et III (2013). Les tomes IV et V sont attendus pour bientôt (les textes auraient été rendus pour relecture selon une de nos sources). En attendant le tome II de la vieille édition est toujours disponible.

La Fontaine : 1/ Œuvres complètes I, en 1933 et II, en 1943 ; 2/ Œuvres complètes I, en 1991. Comme pour Racine, le deuxième tome est encore celui de la première édition. Il est assez courant. Après 25 ans d’attente, et connaissant les mauvaises ventes des grands du XVIIe (Corneille par exemple), la deuxième édition du deuxième tome est devenue peu probable.

Marivaux : 1/ Romans, en 1949 + Théâtre complet, en 1950 ; 2/ Œuvres de jeunesse, en 1972 + Théâtre complet, en 1993 et 1994. En principe, les Romans étant indisponibles depuis des années, une nouvelle édition devrait arriver un jour. Mais là encore, comme pour La Fontaine, Vigny ou le dernier tome des Œuvres diverses de Balzac, cela fait plus de 20 ans qu’on attend… Rien ne filtre au sujet de cette réédition.

Musset : 1/ Poésie complète, en 1933 + Théâtre complet, en 1934 + Œuvres complètes en prose, en 1938 ; 2/ Théâtre complet, en 1990. La réédition prévue de Musset en trois tomes, et annoncée explicitement par Gallimard dans son catalogue 1989, semble donc mal partie. Le volume de prose est « indisponible provisoirement » et la poésie est toujours dans l’édition Allem, vieille de 80 ans. Là encore, comme pour La Fontaine et Racine, il est permis d’être pessimiste.

Racine : 1/ Œuvres complètes I, en 1931 et II, en 1952 ; 2/ Œuvres complètes I, en 1999. Le deuxième tome est donc encore celui de la première édition. Il est très rare de le trouver neuf dans le commerce. Le délai entre les deux tomes est long, mais il l’avait déjà été dans les années 30-50. On peut néanmoins se demander s’il paraîtra un jour.

Shakespeare : 1/ Théâtre complet, en 1938 (2668 pages ; j’ai longtemps pensé qu’il s’agissait d’un seul volume, mais il s’agirait plus certainement de deux volumes, les 50e et 51e de la collection ; le mince volume de Poèmes aurait d’ailleurs peut-être relevé de cette édition là, mais avec une vingtaine d’années de retard ; les poèmes auraient par la suite été intégrés par la nouvelle édition de 1959 dans un des deux volumes ; ne possédant aucun des volumes concernés, je remercie par avance mes aimables lecteurs (et les moins aimables aussi) de bien vouloir me communiquer leurs éventuelles informations complémentaires) ; 2/ Œuvres complètes, I et II, Poèmes (III) (?) en 1959 ; 3/ Œuvres complètes I et II (Tragédies) en 2002 + III et IV (Histoires) en 2008 + V (Comédies) en 2013. Les tomes VI (Comédies) et VII (Comédies) sont en préparation, pour une parution en 2016. Le tome VIII (Poésies) paraîtra ultérieurement.

Vigny : 1/ Œuvres complètes I et II, en 1948 ; 2/ Œuvres complètes I (1986) et II (1993). Le tome III est attendu depuis plus de 20 ans, ce qui est mauvais signe. Gallimard n’en dit rien, Vigny ne doit plus guère se vendre. Je suis pessimiste à l’égard de ce volume.

c) Rééditions achevées

Quatre éditions :

Choderlos de Laclos : 1/ Les Liaisons dangereuses, en 1932 ; 2/ Œuvres complètes en 1944 ; 3/ Œuvres complètes en 1979 ; 4/ Les Liaisons dangereuses, en 2011. Pour le moment, les éditions 3 et 4 sont toujours disponibles.

Trois éditions :

Baudelaire : 1/ Œuvres complètesI et II, en 1931 et 1932 ; 2/ Œuvres complètesen 1951 ; 3/ Correspondance I et II en 1973 + Œuvres complètesI et II, en 1975 et 1976.

Camus : 1/ Théâtre – Récits – Nouvelles, en 1962 + Essais, en 1965 ; 2/ Théâtre – Récits et Nouvelles -Essais, en 1980 ; 3/ Œuvres complètesI et II, en 2006, III et IV, en 2008.

Molière : 1/ Œuvres complètesI et II, en 1932 ; 2/ Œuvres complètesI et II, en 1972 ; 3/ Œuvres complètesI et II, en 2010. L’édition 2 est encore facilement trouvable et la confusion est tout à fait possible avec la 3.

Montaigne : 1/ Essais, en 1934 ; 2/ Œuvres complètes, en 1963 ; 3/ Essais, en 2007.

Rimbaud : 1/ Œuvres complètes, en 1946 ; 2/ Œuvres complètes, en 1972 ; 3/ Œuvres complètes, en 2009.

Stendhal : 1/ Romans, I, II et III, en 1932, 1933 et 1934 ; 2/ Romans et Nouvelles, I et II en 1947 et 1948 + Œuvres Intimes en 1955 + Correspondance en 1963, 1967 et 1969 ; 3/ Voyages en Italie en 1973 et Voyages en France en 1992 + Œuvres Intimes I et II, en 1981 et 1982 + Œuvres romanesques complètes en 2005, 2007 et 2014. Soit 16 tomes différents, mais seulement 7 dans l’édition considérée comme à jour.

Deux éditions :

Beaumarchais : 1/ Théâtre complet, en 1934 ; 2/ Œuvres, en 1988.

Casanova : 1/ Mémoires, I-III (1958-60) ; 2/ Histoire de ma vie, I-III (2013-15).

Céline : 1/ Voyage au bout de la nuit – Mort à crédit (1962) ; 2/ Romans, I (1981), II (1974), III (1988), IV (1993) + Lettres (2009).

Cervantès : 1/ Don Quichotte, en 1934 ; 2/ Œuvres romanesques complètesI (Don Quichotte) et II (Nouvelles exemplaires), 2002.

Corneille : 1/ Œuvres complètes, I et II, en 1934 ; 2/ Œuvres complètes, I (1980), II (1984) et III (1987).

Diderot : 1/ Œuvres, en 1946 ; 2/ Contes et romans, en 2004 et Œuvres philosophiques, en 2010.

Gide : 1/ Journal I (1939) et II (1954) + Anthologie de la Poésie française (1949) + Romans (1958) ; 2/ Journal I (1996) et II (1997) + Essais critiques (1999) + Souvenirs et voyages (2001) + Romans et récits I et II (2009). L’Anthologie est toujours éditée et disponible.

Goethe : 1/ Théâtre complet (1942) + Romans (1954) ; 2/ Théâtre complet (1988). Je n’ai jamais entendu parler d’une nouvelle édition des Romans ni d’une édition de la Poésie, ce qui demeure une véritable lacune – que ne comble pas l’Anthologie bilingue de la poésie allemande.

Mallarmé : 1/ Œuvres complètes, en 1945 ; 2/ Œuvres complètes I (1998) et II (2003).

Malraux : 1/ Romans, en 1947 + Le Miroir des Limbes, en  1976 ; 2/ Œuvres complètes I-VI (1989-2010).

Mérimée : 1/ Romans et nouvelles, en 1934 ; 2/ Théâtre de Clara Gazul – Romans et nouvelles, en 1979.

Nerval : 1/ Œuvres, I et II, en 1952 et 1956 ; 2/ Œuvres complètes I (1989), II (1984) et III (1993).

Pascal :  1/ Œuvres complètes, en 1936 ; 2/ Œuvres complètes I (1998) et II (2000).

Péguy : 1/ Œuvres poétiques (1941) + Œuvres en prose I (1957) et II (1959) ; 2/ Œuvres en prose complètes I (1987), II (1988) et III (1992) + Œuvres poétiques dramatiques, en 2014.

Proust : 1/ À la Recherche du temps perdu, I-III, en 1954 ; 2/ Jean Santeuil (1971) + Contre Sainte-Beuve (1974) + À la Recherche du temps perdu, I-IV (1987-89).

Rabelais : 1/ Œuvres complètes, en 1934 ; 2/ Œuvres complètes, en 1994.

Retz : 1/ Mémoires, en 1939 ; 2/ Œuvres (1984).

Ronsard : 1/ Œuvres complètes I et II, en 1938 ; 2/ Œuvres complètes I (1993) et II (1994).

Rousseau : 1/ Confessions, en 1933 ; 2/ Œuvres complètes I-V (1959-1969).

Mme de Sévigné : 1/ Lettres I-III (1953-57) ; 2/ Correspondance I-III (1973-78).

Saint-Exupéry : 1/ Œuvres, en 1953 ; 2/ Œuvres complètes I (1994) et II (1999).

Saint-Simon : 1/ Mémoires, I à VII (1947-61) ; 2/ Mémoires, I à VIII (1983-88) + Traités politiques (1996).

Voltaire : 1/ Romans et contes, en 1932 + Correspondance I et II en 1964 et 1965 ; 2/ le reste, c’est à dire, les Œuvres historiques (1958), les Mélanges (1961), les deux premiers tomes de la Correspondance (1978) et les onze tomes suivants (1978-1993) et la nouvelle édition des Romans et contes (1979).

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V. Les volumes « indisponibles provisoirement »

Un volume ne s’épuise pas tout de suite. Il faut du temps, variable, pour que le stock de l’éditeur soit complètement à zéro. Gallimard peut alors prendre trois décisions : réimprimer, plus ou moins rapidement ; ou alors renoncer à une réimpression et lancer sur le marché une nouvelle édition (qu’il préparait déjà) ; ou enfin, ni réimprimer ni rééditer. Je vais donc ici faire une liste rapide des volumes actuellement indisponibles et de leurs perspectives (réalistes) de réimpression. Je n’ai pas d’informations exclusives, donc ces « informations » sont à prendre avec précaution. Elles tiennent à mon expérience du catalogue.

-> Boulgakov, Œuvres I, La Garde Blanche. 1997. C’est un volume récent, qui n’est épuisé que depuis peu de temps, il y a de bonnes chances qu’il soit réimprimé d’ici deux ou trois ans (comme l’avait été le volume Pasternak récemment).

-> Cao Xueqin, Le Rêve dans le Pavillon Rouge I et II, 1981. Les deux volumes ont fait l’objet d’un retirage en 2009 pour une nouvelle parution en coffret. Il n’y a pas de raison d’être pessimiste alors que celle-ci est déjà fort difficile à trouver dans les librairies. À nouveau disponible (en coffret).

-> Defoe, Romans, II (avec Moll Flanders). Le premier tome a été retiré voici quelques années, celui-ci, en revanche, manque depuis déjà pas mal de temps. Ce n’est pas rassurant quand ça se prolonge… mais le premier tome continue de se vendre, donc les probabilités de retirage ne sont pas trop mauvaises.

-> Charles Dickens, Dombey et Fils – Temps Difficiles Le Magasin d’Antiquités – Barnabé Rudge ; Nicolas Nickleby – Livres de Noël ; La Petite Dorrit – Un Conte de deux villes. Quatre des neuf volumes de Dickens sont « indisponibles », et ce depuis de très longues années. Les perspectives commerciales de cette édition en innombrables volumes ne sont pas bonnes. Les volumes se négocient très cher sur le marché de l’occasion. Gallimard n’a pas renoncé explicitement à un retirage, mais il devient d’année en année plus improbable.

-> Fielding, Romans. Principalement consacré à Tom Jones, ce volume est indisponible depuis plusieurs années, les perspectives de réimpression sont assez mauvaises. À moins qu’une nouvelle édition soit en préparation, le volume pourrait bien passer parmi les épuisés.

-> Green, Œuvres complètes IV. Quinze ans après la mort de Green, il ne reste déjà plus grand chose de son œuvre. Les huit tomes d’une série même pas achevée ne seront peut-être jamais retirés une fois épuisés. Le 4e tome est le premier à passer en « indisponible ». Il pourrait bien ne pas être le dernier et bientôt glisser parmi les officiellement « épuisés ».

 -> Hugo, Théâtre complet II. À nouveau disponible.

-> Jeux et Sapience du Moyen Âge. Cas évoqué plus haut de nouvelle édition en attente. Selon toute probabilité, il n’y aura pas de réédition du volume actuel.

-> Marivaux, Romans. Situation évoquée plus haut, faibles probabilité de réédition en l’état, lenteur de la nouvelle édition.

-> Mauriac, Œuvres romanesques et théâtrales complètes, IV. Même si Mauriac n’a plus l’aura d’antan comme créateur (on le préfère désormais comme chroniqueur de son époque, comme moraliste, etc.), ce volume devrait réapparaître d’ici quelques temps.

-> Musset, Œuvres en prose. Évoqué plus haut. Nouvelle édition en attente depuis 25 ans.

-> Racine, Œuvres complètes II. En probable attente de la nouvelle édition. Voir plus haut.

-> Vallès, ŒuvresI. La réputation de Vallès a certes un peu baissé, mais ce volume, comprenant sa célèbre trilogie autobiographique, ne devrait pas être indisponible depuis si longtemps. Réédition possible tout de même.

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VI. Les volumes « en voie d’indisponibilité »

Ce n’est là qu’une courte liste, tirée de mes observations et de la consultation du site « placedeslibraires.com », qui donne un aperçu des stocks de centaines de librairies indépendantes françaises. On y voit très bien quels volumes sont fréquents, quels volumes sont rares. Cela ne préjuge en rien des stocks de l’éditeur. Néanmoins, je pense que les tendances que ma méthode dégage sont raisonnablement fiables. Si vous êtes intéressé par un de ces volumes, vous ne devriez pas hésiter trop longtemps.

– le Port-Royal, II et III, de Sainte-Beuve. Comme les trois autres tomes de l’auteur sont épuisés, il est fort improbable que ces deux-là, retirés pour la dernière fois dans les années 80, ne s’épuisent pas eux aussi. Ils sont tous deux assez rares (-10 librairies indépendantes).

– la Correspondance (entière) de Voltaire. Les 13 tomes, de l’aveu du directeur de la Pléiade, ne forment plus un ensemble que le public souhaite acquérir (pour des raisons compréhensibles d’ailleurs). Le fait est qu’on les croise assez peu souvent : le I est encore assez fréquent, les II, III et XIII (celui-ci car dernier paru) sont trouvables dans 5 à 10 librairies du réseau indépendant, les volumes IV à XII en revanche ne se trouvent plus que dans quelques librairies. Je ne sais pas ce qu’il reste en stock à l’éditeur, mais l’indisponibilité devrait arriver d’ici un an ou deux pour certains volumes.

– les Œuvres de Julien Green. Je les ai évoquées plus haut, à propos de l’indisponibilité du volume IV. Les volumes V, VI, VII et VIII, qui arrivent progressivement en fin de premier tirage devraient suivre. La situation des trois premiers tomes est un peu moins critique, des retirages ayant dû avoir lieu dans les années 90.

– les Œuvres de Malebranche. Dans un entretien, Hugues Pradier a paru ne plus leur accorder grand crédit. Mais je me suis demandé s’il n’avait pas commis de lapsus en pensant à son fameux Malherbe, symbole permanent de l’échec commercial à la Pléiade. Toujours est-il que les deux tomes se raréfient.

– les Œuvres de Gobineau. Si c’est un premier tirage, il est lent à s’épuiser, mais cela vient. Les trois tomes sont moins fréquents qu’avant.

– les Orateurs de la Révolution Française. Série avortée au premier tome, arrêtée par la mort de François Furet avant l’entrée en lice de Robespierre et de Saint-Just. Elle n’aura jamais de suite. Et il est peu probable, compte tenu de son insuccès, qu’elle reste longtemps encore au catalogue.

– le Théâtre du XVIIe siècle, jamais retiré (comme Corneille), malgré trente ans d’exploitation. D’ici dix ans, je crains qu’il ne soit dans la même position que son « homologue » du XVIIIe, épuisé.

– pèle-mêle, je citerais ensuite le Journal de Claudel, les tomes consacrés à France, Marx, Giraudoux, Kipling, Saint François de Sales, Daudet, Fromentin, Rétif de la Bretonne, Vallès, Brantôme ou Dickens (sauf David Copperfield et Oliver Twist). Pour eux, les probabilités d’épuisement à moyen terme sont néanmoins faibles.

13 755 réflexions sur “La Bibliothèque de la Pléiade

  1. Fable.

    Cinq cents ans après Gutenberg (ajoutez mille ans de plus pour la Chine et la Corée) est apparu ce phénomène inouï : une génération massivement constituée de gros lecteurs, fière d’exhiber ses rayonnages remplis de livres.

    Puis cette génération eut des enfants, et ils étaient beaux, intelligents, en bonne santé, heureux. Surtout heureux. Et la génération qui était apparu cinq cents ans après Gutenberg (ajoutez mille ans de plus pour la Chine et la Corée) les gava de livres merveilleux dans leur petite enfance. Puis elle s’endormit sur ses lauriers, pensant sa tâche accomplie.

    Les enfants grandirent et leurs parents les laissèrent grandir librement, car la liberté est le premier des biens humains.

    Et ces « enfants libres », naturellement possesseurs de tous les dons, devinrent la proie de la « société de consommation, » comme on dit.

    Celle-ci les gava d’images et de musiques (et de bien d’autres choses, qui toutes pouvaient s’acheter), car les livres c’est tout de même bien ennuyeux, n’est-ce pas.

    Et ces enfants eurent à leur tour des enfants.

    Analphabètes.

    Qui n’avaient plus besoin des mots tracés à l’encre sur du papier, car ils parlaient un autre langage.

  2. Concernant la nouvelle édition de Kafka, l’appareil critique n’est pas squelettique : 60 pages d’introduction et 300 pages de notices et notes pour le tome 1, une petite introduction de 14 pages et 200 pages de notices et notes pour le tome 2.

    Le tome 1 comprend une longue « note sur la présente édition ». Les principales différences avec la précédente y sont détaillées et justifiées.

    Contrairement à la précédente, cette édition se base sur les manuscrits de Kafka lui-même et non sur les éditions de Max Brod. Il semblerait que les différences ne soient pas négligeables : certaines nouvelles distinctes auraient été fusionnées par Max Brod, l’ordre des chapitres du Procès a été modifié (encore), et Le Château s’enrichit de plusieurs chapitres que Brod avait supprimés pour diverses raisons.

    Jean-Pierre Lefebvre confirme dans l’introduction que la nouvelle édition comprendra quatre tomes, les deux derniers étant consacrés au journal et à la correspondance.
    Bref, je suis impatient de lire tout ça.

    Un article de Mathieu Lindon sur cette édition : https://next.liberation.fr/livres/2018/10/12/kafka-en-appel-seconde-edition-dans-la-pleiade_1684986

    Sinon, en échanges de ces informations (on n’a rien sans rien), est-ce que quelqu’un pourrait donner la liste (partielle, j’imagine) des parutions prévues pour 2019 ? Et si Nabokov III y est, est-ce que vous savez s’il comprend Ada ou l’ardeur ou non ?

  3. « Vous connaissez tous cette intraitable mélancolie qui s’empare de nous au souvenir des temps heureux. Ils se sont enfuis sans retour ; quelque chose de plus impitoyable que l’espace nous tient éloignés d’eux. Et les images de la vie, en ce lointain reflet qu’elles nous laissent, se font plus attirantes encore. Nous pensons à elles comme au corps d’un amour défunt qui repose au creux de la tombe, et désormais nous hante, splendeur plus haute et plus pure, pareil à quelque mirage devant quoi nous frissonnons. Et sans nous lasser, dans nos rêves enfiévrés de désir, nous reprenons la quête tâtonnante, explorant de ce passé chaque détail, chaque pli. Et le sentiment nous vient alors que nous n’avons pas eu notre pleine mesure de vie et d’amour, mais ce que nous laissâmes échapper, nul repentir ne peut nous le rendre. »

    Il y a dans notre esprit des livres qui demeurent et que nous n’avons jamais besoin de relire : il suffit de les ouvrir à la première page, d’en lire les premières lignes, et nous nous ressouvenons de tout, non pas comme un perroquet qui récite des mots appris par coeur, mais comme si nous étions revenus à ce jour ancien (ou si ce jour ancien était revenu à nous), lorsque sont apparues devant nous les Falaises de Marbre.

    Nous avons cherché toute notre vie cette vérité cachée, nous l’avons crue dissimulée sous les mensonges et que, les mensonges effacés elle apparaîtrait, et maintenant que plus personne ne peut répondre à nos questions nous nous apercevons que cela n’a plus d’importance, que cette quête était vaine, le seul regret est d’y avoir perdu son temps. Tout le temps qu’on y a consacré est seul responsable que « nous n’avons pas eu notre pleine mesure de vie et d’amour ».

  4. Puisque l’on évoque régulièrement les grands absents, pourquoi Gallimard n’a-t-il pas intégré dans sa collection de prestige les romans populaires, ceux qui sont si souvent mentionnés dans nos livres ?
    Je pense à Amadis de Gaule de Garci Rodriguez de Montalvo, L’Astrée d’Honoré d’Urfé, Clarisse Harlowe de Samuel Richardson ou encore Les Mystères de Paris d’Eugène Sue, des romans qui ont enchanté des générations de lecteurs si l’on en croit nos écrivains.
    Et puis, un peu plus tard, il y aurait bien aussi la trilogie Souvestre et Allain (Fantômas), Leroux (Rouletabille) et Leblanc (Arsène Lupin).
    On pourrait ajouter à cette liste Conan Doyle pour ses Sherlock Holmes et Wilkie Collins, « inventeur » du roman policier anglais…

    • Amadis de Gaule pourquoi pas ? Quant à Conan Doyle, si Simenon et Jules Verne y sont, on peut bien l’intégrer dans la Pléiade. Pour l’Astrée et Clarisse Harlowe, je ne crois pas qu’on pourra les exhumer de leurs cimetières de poussière. Enfin ,Sue; Leroux et Leblanc (et peut-être Lerouge pour rajouter une couleur) à condition qu’ils ne soient que dans un volume anthologique comme les romans gothiques ou les attendus romans vampiriques, c’est jouable et peut-être rentable. ça ne me choque pas en tout cas…

      • Traitez-moi d’obsédé si vous voulez, Jules Verne est un écrivain, pas un feuilletoniste. Rien à voir avec la catégorie évoquée.

          • Je vous l’accorde volontiers aussi. Il y a des romans qui ne sont que des bouche-trous, des oeuvres de médiocre qualité destinées à entretenir la machine à fabriquer du Jules Verne. Qui ne répondaient qu’aux nécessités du moment mais pas destinés à traverser le temps.

            Mais c’est le cas de bien des écrivains, surtout parmi les prolifiques. Il y a des moments où il faut fournir de la copie aux éditeurs, aux journaux, aux imprimeurs et aux lecteurs, sinon on quitte la devanture des librairies. Côté désagréable du métier.

            Et puis, quel écrivain a le courage s’avouer que son inspiration est tarie et qu’il devrait prendre sa retraite ? Quelques-uns, fort peu.

            Dans le cas de Verne, d’ailleurs, ce n’est peut-être pas tellement une question d’inspiration, car, dans ses derniers livres, souvent méconnus ou injustement mésestimés, il a été capable de se renouveler, mais il supportait de moins en moins les contraintes due à son « étiquetage » et, en quelque sorte, « ses ailes de géant » sinon l’empêchaient de marcher, du moins le faisaient boîter.

          • A décharge de Demonkos, l’équité impose de statuer que Verne fait autrement honneur à la Pléiade, même dans l’édition ô combien décharnée qu’il plut à Gallimard de confectionner, que ne le pourraient un ou des volumes de Conan Doyle et d’Eugène Sue. Je n’ignore pas combien le maître du roman social revient, sinon à la mode, du moins dans le viseur des spécialistes universitaire de critique littéraire comme des historiens de la société française, structures et idées politiques et sociales ; ce n’est pas pour rien que Champion a lancé une édition de sa correspondance générale. Il n’en reste pas moins que Sue rivalise allègrement avec Rétif de la Bretonne pour la flaccidité couplée à la facilité sans posséder, il s’en faut de beaucoup, les dons de ce dernier ainsi que sa personnalité attachante et complexe qui en fait un reflet hors pair de son époque. Théophile Gautier reste en deçà de la vérité lorsqu’il assène que « dans tous les romans de M. Sue, il y a deux styles bien distincts ; le style parlé et le style écrit, l’un bon et l’autre mauvais, l’un chaud, vif, libre, naturel ; l’autre inégal, boursouflé, emphatique et bariolé des plus pitoyables oripeaux, style détestable de tout point, tantôt tendu jusqu’à rompre, tantôt gauchement et prétentieusement naïf et qu’on prendrait pour la traduction en prose de quelque mauvais poète étranger. C’est de ce style là que sont écrits les morceaux descriptifs, les réflexions de l’auteur, une grande partie du récit, les conversations des héros et en général toute la partie soignée de l’ouvrage. Les figures secondaires, les dialogues des matelots et tous les endroits auxquels M. Sue n’a pas l’air d’attacher autant d’importance sont exécutés dans la seconde manière ». On relira cette page des « Souvenirs de théâtre, d’art et de critique » où Gauthier continue d’assaisonner le feuilletoniste en lui reprochant de n’avoir ni lyrisme ni couleur descriptive malgré sa profusion d’épithètes clinquante et une « phraséologie à la fois maniérée et brutale » ; en somme, plus il prétend être artiste et passe son expression au fer à friser (la « fameuse boite à ciseaux d’Isocrate » chère à Cicéron), moins Sur parvient à donner vie à ses personnages, un verdict auquel je ne sache pas qu’il convienne de retrancher un iota (je m’enfilai « Les mystères de Paris » et « Le juif errant » à l’occasion d’une longue convalescence ; point ne les ai-je encore totalement digérés). Conan Doyle, à mon sens, a eu l’immense chance de créer un mythe littéraire moderne avec Sherlock Holmes, mais c’est presque malgré lui, car son manichéisme est aussi irritant que possible, ses histoires font montre de l’autosatisfaction typique de l’apex du Rule Britannia, et ses procédures logico-déductives, en bon victorien tiraillé entre le scientisme et le spiritualisme le plus naïf, renversent sur leur tête le dogme de Poe selon lequel le détective doit n’avoir aucune longueur d’avance sur le lecteur d’une intrigue policière en ce qui touche aux indices, si bien que la résolution du mystère sort du chapeau en un moment de pure prestidigitation dont un gros siècle de progrès technologiques a mis plus cruellement en évidence combien le triomphe prétendu du raisonnement logique était piperie de littérateur. Ce Monsieur Barnum du roman policier est mieux servi par des séries ou des films que par une édition soignée sur papier bible.

          • Je vous en prie, que plus personne ne prononce (n’écrive) le nom de Jules Verne, c’est comme d’appuyer sur un bouton « Marche » et je me mets à déblatérer sur le sujet. J’essaie d’arrêter, par pitié, aidez-moi !

          • Je renchéris sur vous NéoBirt7 et sur Théophile Gauthier, excellent critique en l’occurrence, et j’ajoute que cette tendance chez des écrivains « populaires » à vouloir faire « artiste » pour être pris au sérieux est plutôt répandu et à chaque fois le résultat est désastreux. Il vaut mieux être un très bon joueur dans sa catégorie plutôt que de devenir un mauvais dans la catégorie supérieure.

          • Petite précision supplémentaire, en ce qui concerne les médiocres romans vermines, on pourrait en citer d’autres, outre les deux que vous mentionnez.

            Mais, pour s’en tenir à ces deux-là, je tiens à dire que, s’ils sont tous deux également médiocres, ils ne sont pas également indignes de Verne. « Le rayon vert » est un pitoyable démarquage des souvenirs de voyages de Verne vers le nord des îles britanniques, sur lequel il a plaqué une historiette sentimentale à deux sous. Le retirerait-on de l’oeuvre vernienne qu’elle n’y perdrait rien.

            « L’Ile à hélice » est d’un autre calibre et d’un autre intérêt. Ennuyeux à mourir, une fois dépassé les premières pages assez vives et amusantes – j’ai eu le plus grand mal à en terminer la lecture – il n’en contient pas moins quelques thématiques verniennes (sur « la musique de l’avenir », la société technique et le monde des milliardaires, et plus généralement la question de l’utopie), malheureusement, faute de souffle et d’inventivité dans le récit, qui s’enlisent dans un interminable voyage touristique de milliardaires qui recherchent à travers le Pacifique des sensations à la Koh Lanta.

            Malgré cela, qui voudrait étudier sérieusement l’oeuvre vernienne dans ses thématiques et suivre l’évolution de la pensée de l’auteur, ne pourrait se priver de la lecture de ce roman, tout médiocrement écrit qu’il soit.

            Je finirais en disant que si le Jules Verne vieillissant n’a pas connu de naufrage intellectuel, si ses derniers romans sont souvent intéressants par ce qu’ils apportent de nouveau dans son oeuvre et dans sa réflexion, ils ne sont pas toujours aboutis dans la mesure où il était soumis à des contraintes éditoriales que j’ai déjà mentionnées et également à cause de sa santé chancelante et d’une énergie en voie d’épuisement.

          • Je vous demande pardon pour l’indigeste troisième paragraphe, constitué d’une seule phrase lourde comme un hamburger du MacDo voisin.

          • Je m’avancerais à dire que le Jules Verne tardif, tandis qu’il gagnait en réflexion, voire en profondeur (ce mot, s’appliquant à Verne-auteur-pour-enfants me sera peut-être reproché), perdait en poésie, en fantaisie et en libre imagination (ainsi qu’en naïveté). Il ne restait plus rien ni du boulevardier qui cherchait à épater la galerie, ni de celui qui sondait les mystères du fond des mers ou des mondes souterrains. Il était passé à d’autres enjeux.

    • Une édition nouvelle de l’Astrée est en cours de publication chez Honoré Champion avec deux des cinq volumes prévus qui sont déjà disponibles dans leur collection de poche nettement plus abordable que leurs autres ouvrages.

      • Oui, petitrien, je vous remercie de le rappeler.
        Deux freins à l’acquisition de la version Honoré Champion :
        – à raison d’un volume tous les cinq ans, l’intégrale de l’œuvre risque de n’être pas disponible avant 2030 (vous me direz qu’avec Gallimard ça peut aussi prendre du temps…),
        – à 22 € le volume, cela fera un total de 110 €, ce qui reste toujours plus cher qu’un Pléiade – même neuf !
        Mais je devrai peut-être un jour me résoudre à le lire chez cet éditeur…

          • Certes, ce n’est pas « si cher ». Je comparais aux volumes de La Pléiade, qui, malgré leur image de collection de luxe, sont dans la plupart des cas avantageux financièrement – au besoin en les acquérant d’occasion. 🙂

  5. Voilà d’heureuses nouvelles je trouve ! Moi aussi j’ai aimé Le Nom de la rose, le Pendule de Jean-Pierre Foucault, L’île du jour d’avant et Le cimetière de Prague. De là à la Pléiade…. pourquoi ? ou pourquoi pas ? Je pensais qu’un projet Calvino était bien avancé? Quant à Apollinaire je ne comprends pas son oubli… oubliettes… Les romans de Genet oui oui et oui ! Dans leurs versions intégrales j’espère (pour remplacer les Folio et l’Imaginaire). Le Grand Meaulnes est un roman d’adolescence mais qui curieusement se révèle plus riche à la relecture, beaucoup de surprises attendent le lecteur curieux et attentif. Un Verne 4 c’est bien normal… Je vous trouve bien dur avec Lobo Antunes c’est quand même un grand romancier, Le Manuel de l’inquisiteur c’est un sacré roman ! Mais pour Lawrence, je m’en serais réjoui il y’a 10-15 ans mais là, je suis d’accord avec notre cher hôte, on aura un volume au rabais réunissant des romans connus et déjà édités (Femmes amoureuses est déjà en folio et en quarto ! pas 3 fois tout de même !) avec quelques notes pour faire « Pléiade », on découvrira quoi? On apprendra quoi ? Mais sait-on jamais. Je suis un incorrigible optimiste..::

    • « le Pendule de Jean-Pierre Foucault »… C’est un lapsus (révélateur, mon cher Watson-Lacan, forcément révélateur !) ou bien c’est une blague ?
      Vous n’aimez pas le prénom Léon ? (faites attention à ce que vous allez réponde, c’était le prénom d’un de mes grands-pères par alliance, et le brave homme avait le coup de fusil chargé au gros sel facile, si on l’embêtait.)

  6. Cher Domonkos c’était une spéciale dédicace pour vous, croyez le ou non, c’est vrai. Suis content que l’ayez remarqué. Même si j’ai aimé ce livre on peut rire quand même !! (Je n’ai jamais eu de TV mais je connais les programmes). J’ai finalisé aujourd’hui mon édition du texte de la correspondance de Marguerite (Yourcenar) avec François Mitterrand à paraître bientôt. Là c’est sérieux. Quel boulot. L’édition d’un texte, d’une correspondance est un travail incroyablement difficile. Et long long…

  7. Pour les amateurs de la Correspondance Complète de Voltaire
    qui voudraient se procurer, d’un seul coup, les 13 volumes – Pléiade…

    Petite annonce gratuite et désintéressée (il ne s’agit pas d’une annonce commerciale, elle n’émane pas de la commerçante, mais de ma seule initiative, dans le but d’aider un lecteur de ce blog qui serait à la recherche de ces ouvrages) :

    Elle est proposée à la vente, chez une bouquiniste de Chambéry, complète,
    tous les volumes en excellent état, jaquettes, rhodoïds et emboîtages compris,
    au prix total de : 338 €

    Il faut compter des frais de port (dont j’ignore le montant) mais on peut négocier le prix de vente affiché (pour ma part, j’ai acheté plusieurs autres Pléiades, annoncées à 26 ou 27 €, que j’ai obtenues finalement au prix de 20 € pièce).

    Je suis tombé dessus par hasard, au cours d’un voyage d’ordre familial à Chambéry, je n’ai aucun lien avec la bouquiniste.
    Elle ne met pas ses livres directement en vente sur internet, mais on peut la contacter (je m’en suis assuré auprès d’elle) :
    livre.blandine.bal@wanadoo.fr
    http://www.librairie-bal.com

    Adresse postale : 8, place Porte Reine 73000-Chambéry
    Tél. 04 79 75 05 76

    Bien sûr, si quelqu’un d’entre vous habite la région ou doit y passer, il économiserait les frais de port…

  8. Chambéry, sans doute seule ville de France qui se targue du double patronage de Jean-Jacques Rousseau et des frères de Maistre, dont la statue en majesté, trône sans vergogne, sur un haut piédestal, devant le Château Ducal…

  9. Notez bien cher Domonkos, que Chambéry c’est aussi la ville natale d’Olivier Giroud, butteur de l’équipe de France de football et champion du monde! C’est qui ce Jean-Claude Rousso? Vois pas…

    • Cher Tigrane, puisque nous vous tenons, voudriez-vous être assez aimable de nous faire partager votre expérience d’éditeur de correspondance littéraire ? Trop souvent les très grands éditeurs de ces textes (je parle des Bonnerot, Lubin, del Litto) ne laissent pas de mémoires relatant leur expérience, si bien qu’elle est soit perdue soit oblitérée.

  10. C’est ainsi qu’après dix-neuf volumes de correspondance beuvienne (sans parler des deux tomes de lettres retrouvées) Alain Bonnerot, qui n’a jamais composé l’index raisonné promis par son père et n’a publié que fort peu d’articles savants, est mort sans jamais avoir évoqué cette tradition familiale prodigieuse. Lubin parlait volontiers, dans des colloques et des tables rondes, de sa vie consacrée à classer l’énorme oeuvre épistolaire de George Sand, mais là encore rien de substantiel ne s’est cristallisé à l’écrit. Je ne sache pas non plus que Jean Bruneau se soit fort épanché sur son expérience d’éditeur et commentateur des lettres flaubertiennes. Bref…

  11. Cher Neo-Birt7, d’abord on va commencer par être réaliste donc très modeste (c’est presque du Yourcenar!). J’ai eu la chance d’éditer 3 fois (et une quatrième si tout va bien) la correspondance de Yourcenar avec des correspondants tout à fait identifiés et dont je n’ai pas eu (sauf la superbe carte postale de cirque de Marguerite à Jean envoyée de Floride que j’ai découverte) à retrouver la source. Les prestigieux et formidables éditeurs dont vous parlez ont, eux, dû chercher les lettres! Je n’ai fait, moi, à chaque fois qu’établir le texte, l’annoter et chercher à éclairer le lecteur dans sa lecture avec des notes. Aucune comparaison avec les noms dont vous parlez. Par exemple, pour François Mitterrand, j’ai été chercher dans des collections publiques et privées des lettres et dédicaces pensant qu’il y’avait une piste à explorer. C’est une petite exploration ! A peine un sous Christophe Colomb de la littérature… qui ne sait même pas ce qu’il a découvert… Pour la Pléiade, j’ai une tristesse de voir que ces recherches ne sont même plus prises en compte. Ça n’intéresse plus. Tant pis. To the happy few…

    • Merci pour cet aperçu… Il est certain que l’édition de correspondance répondit très longtemps à un tropique d’archivistes plutôt que d’historiens de la littérature – hormis Lubin, homme de lettres que les hasards de la vie empêchèrent de devenir universitaire, pour le plus grand bonheur de George Sand, et Alain Bonnerot, ‘simple’ professeur du second degré associé dès son plus jeune âge à l’oeuvre paternelle (voir le sommaire biographique peu connu donné par l’immense Jean Pommier dans sa préface au tome XV de la « Correspondance générale de Sainte-Beuve », Toulouse / Paris, Privat / Didier, 1966, pp. 9-10), les grands éditeurs de lettres littéraires du XXe siècle furent principalement des bibliothécaires : Marcel Bouteron, Jean Bonnerot, Roger Pierrot, et j’en passe. Des universitaires aux larges horizons intellectuels, comme Jacques Le Brun, qui à lui tout seul prit à bras le corps l’énorme corpus fénelonien, appartiennent aux plus jeunes générations.

      • Lisez : un tropisme. Il me souvient d’avoir entendu dire l’un de mes maîtres en Sorbonne, un rien dédaigneusement, que l’édition de lettres était « affaire de rampant » – comme l’écrivait en tête d’une édition restée fameuse du théâtre d’Eschyle le plus illustre classiciste allemand du XIXe-XXe siècle à propos de la collation des manuscrits, « bibliothecarum puluere uesci minime amo », « je n’aime guère à me nourrir de la poussière des bibliothèques ».

      • Il vaut nettement mieux explorer les champs en quête de Marguerites qu’aller par bois à la recherche de champignons quand on n’a aucunement le groin d’un cochon truffier ; on a toutes chances de revenir en ayant fait moisson de navets, à l’instar d’Héloïse d’Ormesson ou Antoine Gallimard.

        • Excellent, merci.
          Et, vous qui êtes spécialiste de littérature antique, quelle est, s’il vous plaît, votre perception de l' »editio minor », aux Belles Lettres ?
          Par ailleurs, personne n’a encore dépouillé les citations du nouvel agenda ?

          • La série ‘Editio minor’ des BL est trop peu étoffée encore pour que l’on passe un jugement sur elle (à la différence de ‘Commentario’, qui, pour le dire clairement, est une pitoyable tentative de contrefaçon de la série cantabrigienne des ‘Greek and Latin Classics’ par une série de latinistes et de latinistes dont les ‘credentials’ de littéraires franchouillards pur jus n’incluent que trop peu la double compétence de philologue et de grammairien requise par leur tâche ; dire que certains de ces volumes, comme celui de Florian Barrière sur Lucain, constituent la révision de thèses doctorales, laisse clairement supposer que certains Aristarques à la Société des Etudes Latines ou à l’Association Guillaume Budé les ont supposées trop médiocres pour paraître dans leur débouché normal, la (ci-devant) prestigieuse ‘Collection d’études anciennes’ des Belles Lettres). Une chose me parait cependant certaine – la philosophie qui inspire ‘Editio minor’ manque de fermeté scientifique, est d’une indistinction suffisante pour tolérer sous la même couverture des objets savants aussi dissemblables que les très belles traductions classicisantes de Lucien de Samosate par Mme Ozanam ou des « Vies » de Suétone par Flamerie de Lachapelle (Capellatus en latin), la version en français de notre temps des « Romans grecs et latins » dirigés par Brethes et Guez, où il y a vraiment à prendre et à laisser, et la resucée en un volume du texte et de la traduction Budé du « De architectura » de Vitruve donnée par l’un des meilleurs contributeurs de cette édition, Pierre Gros.

  12. Je veux dire que l’on n’appelle pas sans inconséquence ‘Editio minor’ une série dont la majorité des volumes ne répondent nullement à la définition passée dans l’usage courant de ce vocable philologique (‘ed. minor’, par référence à une ‘editio maior’ savante) et où donc se coudoient joyeusement des traductions entièrement nouvelles sans le texte grec ou latin et des intégrales bilingues soit tirées de la Collection des Universités de France (Vitruve) soit inédites (les « Adages » d’Erasme).

  13. Je voudrais vous raconter ma petite anecdote Pléiade du jour. J’ai rencontré une (fort sympathique) étudiante qui étudie les romans de Nathalie Sarraute. On parle de la critique sarrautienne et elle m’explique que la réédition du volume des Œuvres complètes en 2011 est vraiment dommageable. Je lui avoue ne pas comprendre. Elle m’explique que quand Gallimard a réédité ce volume pour y inclure son dernier livre « Ouvrez », il a été supprimé toutes les pages de l’accueil critique du premier volume !!! Pas question de refaire une édition en 2 volumes : mieux vaut supprimer qu’ajouter… 2011, tournant de la stratégie éditoriale de la Pléiade ? Pas impossible…

    • J’en viens à croire que ces rééditions qui, d’un côté ajoutent ou améliorent, de l’autre retranchent ou détériorent, n’impliquent pas l’arrière-pensée d’obliger les pinailleurs ou amateurs passionnés dans notre genre, à acquérir les deux éditions. Je viens d’acquérir le coffret Kafka, mais il ne saurait à mes yeux rendre obsolète l’ancienne édition ni la remplacer, aussi me trouvai-je contraint de la conserver. Ce n’est pas le premier doublon dans ma bibliothèque et ce ne sera sans doute pas le dernier.

    • Ne possédant pas ce volume, je ne vois nullement de quoi il s’agit ; pourriez-vous préciser si c’est un Forschungsberichte (exposé continu façon prolégomènes de thèse), une simple suite de bibliographies, ou l’entre-deux, soit des notices de Rezeptionsgeschichte… ? Merci. Cela pourrait s’avérer utile à d’autres ici qu’au présent cagot de critique. Connaissant la Pléiade nouvelle mode avec sa désaffection pour les catalogues éditoriaux qui firent très longtemps la valeur de ses volumes classiques, je me dis que le service minimal aura été procuré, si bien que la perte n’est pas peut-être pas dramatique.

  14. Excellent dossier sur la nouvelle édition de Kafka en Pléiade dans Le Monde des livres du vendredi 19 octobre. Article très fouillé de Nicolas Weill, bibliographie de neuf ouvrages pour « approfondir la question Kafka », comparaison de traductions et entretien assez long avec Jean-Pierre Lefebvre.

    • Lefebvre, c’est le moins que l’on puisse dire, manque totalement de talent pour décrire le style sans jargonner. J’en veux pour preuve le passage suivant, dont l’ineptie, voire la malhonnêteté intellectuelle, sauteront aux yeux de quiconque a pratiqué un tant soit peu la langue allemande (et ce n’est pas, tant s’en faut, la pire des âneries qui déparent cet entretien donné au Monde des Lettres) :

      « Un des points auquel je me suis attaché a consisté à identifier, dans la prose de Kafka, les éléments récurrents qui façonnent son ton si singulier. Et, en particulier, une série de tout petits mots allemands qui constituent autant de marqueurs musicaux forts : doch, nun, sonst [« pourtant », « à vrai dire », « sinon »]. Ils ont beau être monosyllabiques, ils pèsent très lourd dans la direction que prend la phrase et donnent un tour très subjectif à l’énoncé. Ces « épices » m’ont semblé mériter un travail de vigilance ».

      Je n’ignore pas combien je vais encore me faire taxer de philistinisme, d’adhésion aveugle à une forme de Grammatische Pädanterie courante chez les anciens universitaires, de cagot à la cavalière, mais un germaniste pareil ne devrait pas être autorisé à toucher les grands textes du patrimoine littéraire. « Le style de Longus périt tout dans ses mains ; c’est un tailleur de pierre qui copie l’Apollon », disait P.-L. Courier de la traduction Amyot des « Pastorales ».
      .

      • Deux niveaux de lecture dans le passage que vous citez, NeoBirt7.

        Au premier niveau, d’évidence, on constate un pipeautage complet, des formules qui ne signifient rien (ou bien tout et son contraire, ce qui revient au même). Des incorrections comme « pèsent très lourd dans la direction » : je sais ce que signifie « peser sur une direction » mais pas « dans ». Des inepties qui se présentent comme des vérités incontestables : qu’à donc à voir la brièveté ou la longueur des mots (« ils ont beau être monosyllabiques ») avec leur poids ? Lefebvre semble voir là une relation que, dans ma myopie congénitale, je ne vois pas du tout. Les mots les plus longs seraient donc réputés plus importants ?
        Quant à « la direction que prend la phrase » cela me fait penser à une voiture sans conducteur et j’ignore en quoi les mots « pourtant », « à vrai dire », « sinon », seraient porteurs de plus de subjectivité que bien d’autres ? En une seule phrase, c’est un festival de n’importe quoi.
        Quant à la phrase suivante, avec son vocabulaire d’épicier, faudrait pas confondre la littérature et l’art culinaire.

        Mais, à un autre niveau, il y a des informations que vous sous-entendez et qui sont inintelligibles pour un non germaniste comme moi.
        Ne vous mettez pas en peine si je devais être le seul à avoir besoin d’explications, mais, dans le cas contraire, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ces « tout petits mots allemands », ces « marqueurs musicaux » ou ces « épices » ?
        (Ha ha ha ! Encore une fois du gloubi boulga, marqueurs musicaux, mots qui pèsent de tout leur poids, tout en donnant un tour subjectif, également qualifiés d’épices… tôt ou tard, le moment vient où il faut choisir, donner un sens aux mots, et ne pas en faire des passe-partout : le genre d’outil qui force toutes les serrures et n’en ouvre aucune proprement sans la bousiller.)

        • A force de vouloir éviter la langue des grammairiens et des syntacticiens, Lefebvre tombe dans le grotesque. En simplifiant monstrueusement, on peut dire que, si tout texte allemand fait un usage aussi varié que considérable des particules, ces petits mots outils invariables dont raffole le grec ancien, en raison d’une particularité propre à la langue de Goethe (« one of the more notable characteristics of the German language is its ability to combine base verbs systematically with either separable particles, like auf- or abor ein-, or inseparable prefixes, such as be- or ver- or ent-. Frequently, the resulting verbs express subtle semantic distinctions that can be difficult for learners of German to appreciate and difficult to capture in an English translation. In fact, even native speakers are sometimes unsure (…) The German particle verbs are similar to English phrasal verbs (e.g. think over, go under, wander around, muddle through). English verb prefixes are mostly Latinate forms such as trans- or sub- or circum-. Over and under still occasionally occur as prefixes (e.g. overlook, undertake), but apart from their general use for inappropriate extent (e.g. overdo, underestimate) they do not occur systematically the way their counterparts do in German. Broadly speaking, German tends to express semantic nuances by adding prefixes or particles to a base verb, while English prefers to use a different lexical verb altogether » : Robert B. Dewell – « The Meaning of Particle Prefix Constructions in German », Amsterdam / Philadelphie 2011, pp. 3 et 6), et si leur traduction contextuelle, la seule qui vaille, en elle-même mais surtout dans son tension avec l’option antagoniste de leur éventuel délestage lors du processus de translation vers une langue d’eux démunie comme le français ou l’anglais, réserve à l’occasion de sérieuses perplexités au linguiste même le plus averti, non seulement l’allemand tel que l’emploie Kafka joue à plaisir sur les particules, au point de s’émailler d’atténuations en cascade comme dans le trop fameux morceau du Procès « aber denn doch wohl nicht gar so sehr (« mais alors, pourtant, bien, pas absolument autant »), mais il se distingue encore, et je dirais même surtout, par son recours à un marqueur du discours oral – l’emploi de ce que l’on appelle les particules modales. Lefebvre ne cite que doch dont la spécificité se perd au milieu de nun et sonst ; voir l’article passionnant de René Métrich à https://bit.ly/2D1sIwv (extraits seuls sur Google Books). Il y a donc un double clavier syntactique sur lequel Kafka use et abuse des facilités offertes par la langue allemande dans le sens d’une expressivité exacerbée ; toute la question, qui n’admet que des cas d’espèce, est de savoir dans quelle mesure il convient de transporter ces recherches dans une traduction française.

          • Ce que je crois comprendre de votre propos, surtout dans la dernière partie, me paraît à des années-lumières de l’interprétation de Lefebvre (encore qu’à force de dire tout et son contraire dans la même phrase, on peut en comprendre ce qu’on veut, ce doit être la contamination du « en même temps » si fort à la mode par les temps qui courent) et me renforce dans l’idée qu’il nous mène en bateau ou bien qu’il erre lui-même sans direction.

          • En simplifiant démesurément, on peut dire que les traductions précédentes de Kafka, ayant été réalisées avant le, et en tout cas, même pour les plus récentes, isolément du, haro érudit qui s’est produit depuis les années 70 sur les particules et autres invariables allemands, ne sont peut-être pas assez conscientes de ces enjeux sémantiques considérant la tendance de cet auteur à pousser loin l’exploitation de ces ressources syntactiques, mais ce n’est pas une raison suffisante pour révolutionner notre lecture des textes et Lefebvre, par sa présentation tout ensemble allusive, laxiste et relâchée, se donne bien facilement le beau rôle.

  15. Cher Deniziotjimmy

    Je me fais un peu rare sur le fil en tant qu’intervenant, tout simplement parce que la collection  » La Pléiade  » ne m’intéresse plus du tout ; la ligne éditoriale de ces dernières années m’a ( définitivement ? ) éloigné de cette constellation, La Pléiade.
    Et puisque nous parlons d’étoiles, mon avis sur cette  » nébuleuse » que vous mentionnez, ne vaut ni plus ni moins que le vôtre. Modiano, comme Nothomb, d’Ormesson, Hier Sagan, aujourd’hui Angot, sont des écrivains que certains universitaires ( je sais de quoi je parle…) apprécient de façon presque aveugle ( sans ironie) parce que leur prose n’a strictement aucun style et c’est précisément pour cette raison qu’on les apprécie autant. Le style aujourd’hui, n’est plus du tout le bienvenu dans la littérature, c’est un signe navrant de conservatisme poussiéreux, c’est un caillou gênant dans la basket made in mondialand, c’est en bref, le dernier avatar du souci de singularité que la novlang fait disparaître dans son souci d' »égalité »
    J’ai cinquante-deux ans – donc pas si âgé – mais je n’appartiens déjà plus à la génération du tout-se-vaut.
    Mon avis ( pas trop de condescendance là, ça vous va ?) est que tout ne se vaut pas, que Modiano est un écrivain médiocre ( dans le sens étymologique du terme) qu’il est porté aux nues ( encore les étoiles…) par certains critiques et universitaires, soucieux de se montrer originaux, clairvoyants, avant-gardistes ( et le phénomène n’est pas nouveau en réalité, il contamine également la peinture et la musique)
    Moi je persiste à penser que tout ne se vaut pas. Est-ce que ça fait de moi un réac ? ( je préfère anticiper…)
    Est-ce qu’on peut apprécier sincèrement Modiano ? Évidemment !
    Est-ce qu’on a le droit de le juger médiocre, en toc, surestimé ? Évidemment !

    • Cher Zino,

      Je vais vous poser une question sans doute impertinente (impertinente par rapport à l’objet même de ce blog) : comme vous, comme plusieurs autres et parmi eux ceux avec lesquels je me sens le plus d’affinité, ne trouvent plus assez d’intérêt à débattre de la Pléiade ou de la seule Pléiade (je continue à acheter, de-ci de-là des volumes – plus souvent d’anciens que de nouveaux – qui m’intéressent particulièrement, mais je n’ai plus aucune estime pour la collection).

      Je visite fréquemment le site auquel vous apportez votre contribution et qui « dissèque la littérature »… Mais je dois dire que si j’apprécie sa rigueur critique, j’ai parfois du mal à suivre. N’en prenez pas ombrage, je ne mets pas en cause son contenu mais plutôt mes propres capacités.

      J’en viens donc à ma question (at last, pardon c’est un de mes vices) : connaissez-vous d’autres sites ou blogs où je pourrais trouver provende de critique littéraire de bonne tenue sans être obligé d’être un spécialiste des plus pointus pour suivre ?

      C’est une question sérieuse et que j’espère pas trop choquante pour les fidèles de la Pléiade, dont je comprends bien les sentiments (que je partageais moi-même jusqu’à il y a peu).

      Merci si vous pouvez me donner des pistes.

      • Je suis bien conscient de ce qu’il peut y avoir de sans gêne à parler de « concurrents » ici même, où je continuerai de faire des visites quoi qu’il arrive, et j’en demande pardon à notre hôte, Brumes, qui m’a donné l’occasion tant de fois de m’instruire et de m’émouvoir. (Hum ! cela ressemble au gars qui se rend au Havres Gris et commence à détourner ses regards de la Terre du Milieu, non sans nostalgie, et à les tourner vers le grand large et son inconnu.)

        • Oui alors disons plutôt que vous vous êtes arrêté dans le charmant trou de Brumo Saquet (Bessac désormais ?), qui vous a gentiment accordé gîte et couvert mais que l’aventure vous appelle.
          (Je ne prétends pas être Elrond, même s’il réside dans les monts Brumeux)

          • Si vous pensiez au site du critique qui dissèque le cadavre de la littérature, en revanche, je vois très bien de qui il s’agit (ne l’ai je pas vu d’ailleurs intervenir ici une fois ?)

          • Il est possible que j’ai dit une bêtise (une de plus) ou que j’aie eu une hallucination (n’en suis pas avare non plus).

    • Pan sur le bec ! Avouerai-je que je l’ai mérité ?
      N’empêche : on caricature un lectorat. J’apporte une contradiction ; en dehors de Paris (même : en dehors de la France ! si si !), il est apprécié. Bon, et alors ? Rien. Son Nobel ne guérit pas l’absence de Nobel à Sebald. Son écriture n’est pas le style de d’Aubigné ou Bernanos. Ses maigres écrits ne plongent pas dans les abîmes comme ceux de Bolaño, Poe, Melville ou Alexievitch. Néanmoins, je me devais de contredire une formule pavlovienne – « l’intelligentsia parisienne », comme les autres formules qui veulent essentialiser des populations (les « politiques », « les pauvres », « les femmes », etc, vous même vous savez), désolé, chez moi ça ne passe pas ; plutôt que l’Un, la myriade.
      Évidemment, tout ne se vaut pas (en être réduit à devoir écrire ça, chez Brumes qui met à disposition ses textes de qualité sur des livres, ma doué…!).

  16. Bonjour Brumes,
    J’allais poser la même question à notre ami Domonkos 😄
    Votre fil est le seul ou j’intervienne.
    Pour le reste je lis des revues pointues, certes, comme  » l’information grammaticale »,  » l’information littéraire », « les cahiers Huysmans » et autres joyeusetés.
    Pour le reste, Domonkos, aurais-je un homonyme, passionné comme moi, de littérature ? 😄 Cela donnerait un superbe texte Borgesien.

  17. Sinon, quelqu’un ayant ici et avant-hier évoqué le petit jeu des auteurs cités dans l’agenda et qui pourraient un jour y être admis, j’ai eu la curiosité d’y regarder de près et… je n’ai rien trouvé (à part le déjà acté Romain Gary, quelques poètes qui figurent dans des anthologies et dont il n’y a pas lieu d’espérer qu’on leur consacre un jour un volume).

    Ce qui a achevé de me désespérer. (Le mal est sans remède et viendra bien tôt – c’est exprès – le moment de cesser les efforts de réanimation et de prononcer l’heure du décès.)

  18. Cher Deniziotjimmy,
    Je ne caricature pas un lectorat, je déplore des réputations surfaites. On ne lit plus les auteurs du dix-septième siecle, par exemple, au motif que leur langue nous ( pas à moi…) est devenue étrangère. C’est pathétique.
    Vous dites également que l’expression  » intelligentsia parisienne » serait Pavlovienne ( j’aurais dit clichéique, mais passons…). Or, c’est un fait, la France est un état centralisé, y compris pour les questions culturelles. On « monte » à Paris, on « descend  » en province. Pour ma part, mon Berry natal me manque et les cénacles parisiens m’écœurent.
    Bref. Il y a de la place pour toutes les écritures ( je ne dis pas, toutes les littératures, ce terme je le réserve aux textes qui se conforment, SELON MOI, à sa définition) chacun est libre de lire ce qu’il veut. Mais, franchement ( voyez, je modalise) entre passer deux heures avec Modiano ou une journée avec La Fontaine, le choix est très vite fait.

    • Il faut déplorer la perte dramatique de perception des standards of finish tant intellectuels que formels – libre à chacun de trouver brillants, diserts, profonds, nos prosateurs gros vendeurs de bouquins ces trente dernières années, mais les ériger en successeurs des grands classiques du XXe siècle, voire des précédents (ainsi, pour fixer les idées, inscrire Houellebecq dans le continuum de Céline ou Drieu, subsumer d’Ormesson dans la lignée de Malraux ou Nothomb dans la généalogie de Blixen ou Beigbeder dans celle de Baudrillard) illustre seulement la pauvreté culturelle, l’incapacité de la judiciaire littéraire, de quiconque commet ou laisse commettre de tels jugements. Nos contemporains ne boivent pas le sable en lieu de l’eau parce qu’ils le préfèrent, mais parce que la différence entre l’une et l’autre leur échappe. Je rejoins donc complètement l’ami Zino. Les anciennes Pléiades des années 70-2000 sont devenues comme les perles jetées aux cochons.

    • J’aimerais connaître votre avis (je ne promets pas de le faire totalement mien, mais il m’intéresse et pourrait influer sur le mien) d’Albert Cohen ? On vient de publier un Quarto à lui consacré. 1664 pp. on atteint les dimensions d’une pléiade de bonne dimension !

      L’éditeur nous dit que « l’édition de Philippe Zard offre un important appareil critique », ce que je ne puis vérifier puisque, comme il devient d’usage, l’ouvrage est présenté sous étui plastique et qu’on demande au lecteur d’acheter les yeux fermés, chat en poche. (On peut bien, de temps en temps, demander au libraire de déchirer l’emballage, mais soit on se sent un peu contraint d’acheter l’ouvrage mis à nu, soit on éprouve une gêne à avouer que, finalement, on n’est pas acheteur.)

  19. Nonobstant, la pléiade « Lais du Moyen Age » est un très joli livre, que je suis heureux d’avoir en main, de feuilleter, de parcourir. Je n’ai pas les connaissances qui me permettraient de juger du choix des textes, de leur établissement, des traductions, de la qualité des notes, notices, introduction (qui me semblent, par la quantité seulement – 300 à 350 pages, pour 1 100 pages de textes, en version bilingue, soit 550 pp. de texte stricto sensu – donner un heureux équilibre à l’ouvrage). Nul doute qu’il me procurera, il me procure déjà, beaucoup de plaisirs et je n’en demande pas plus. Je ne suis ni ne serai un médiéviste, seulement un badaud s’ébaubissant devant ses perles échappées d’un collier dont il ne connaîtra jamais l’architecture initiale.

    • Tandis que, chaque fois que j’ai tenté de me raisonner, de surmonter mon éloignement et mon rejet de la prose de Mme de Beauvoir – aujourd’hui encore, ultime tentative, en desperado, profitant de ma visite du rayon pléiade de mon libraire afin d’y trouver « Les Lais » – en me disant que ces deux pléiades réunissant ses écrits autobiographiques devraient représenter tout de même une intéressante chronique du milieu du XXème s. par un témoin privilégié, je suis tombé immanquablement sur d’autres sortes de perles : d’insupportables sottises, des ragots, des médisances, des jugements que l’Histoire a révélés profondément erronés. Ca n’a pas loupé une seule fois ! Franchement, ce célèbre couple, a mis une telle obstination à se tromper lourdement et constamment, et un égal entêtement à se proclamer seul détenteur de la vérité suprême et à condamner injustement tous ceux qui lui apportait la contradiction, que cela en deviendrait admirable, si ne n’était pas si haïssable.

      Alors, tant pis, définitivement, je refuse de consacrer 125 € à l’achat de ce pensum. Veuillez croire que j’ai vraiment déployé d’immenses efforts pour tâcher de me convaincre de sa nécessité.

    • Je viens moi aussi d’acheter ce soir Les Lais et j’avoue qu’il me plaît bien. On a droit à certaines notes intéressantes et même aux variantes. Ayant étudié d’assez près l’ancien français, je puis le lire sans difficulté. Seul regret, les translations s’éloignent parfois un peu du texte de base. Il n’ y a pas que la signification, les Lais sont en vers et la musique et la rythmique des mots devraient pouvoir se conserver le plus possible. Je me souviens qu’on nous avait fait faire une translation de certains lais ligne par ligne et que c’est le plus souvent tout à fait réalisable. Mais ne nous plaignons pas, on a pour une fois et depuis pas mal de temps un ouvrage à but non lucratif. Gardons-le précieusement et avec amour.
      Sinon, j’ai aussi feuilleté le volume de nouvelles de Kafka et j’ai été séduit par la présentation claire, aérée et titrée de la plupart des récits. Il semble plus facilement consultable que la première version beaucoup plus touffue où seule une malheureuse étoile séparait une confusion de textes mais je ne l’ai pas acheté pour autant et donc n’ai pas pu comparer les traductions.
      Ma libraire m’a inscrit pour être un des bénéficiaires d’un agenda lorsqu’ils arriveront. C’est appréciable mais je ne sais pourquoi je ne trépigne plus d’impatience comme il y a une quinzaine d’années;;;

      • Je vous trouve relativement complaisant envers la traduction (qui dépasse largement le cadre d’une translation)…
        Avec le parti pris de transformer un texte en vers du XIIe en prose actuelle sans aucune fidélité dans le choix des mots et aucun respect du rythme le traducteur dénature complètement l’oeuvre.
        Fort heureusement Villon ou Rabelais sont encore assez compréhensibles pour éviter ce genre de massacre, mais si on écoutait les explications du traducteur il faudrait tout réécrire pour que cela nous paraisse « naturel ». Même Saint-Simon devrait passer à la moulinette de la modernité. Pourquoi le XIIe devrait-il être dénaturé et pas le XVIe ou le XVIIe ?
        Je n’ose envisager ce que deviendrait Maïakovski sous la plume d’un tel traducteur.
        Les formules concises de l’anglo-normand, les répétitions de mots sont la marque d’une pensée de l’époque. Vouloir effacer ces différences par un français moderne fluide (disons carrément scolaire) c’est croire que l’auditeur (ces textes n’étaient pas lus) de l’époque avait le même état d’esprit que celui d’aujourd’hui.
        Sans tomber dans un texte précieux et forcé en voulant à tout prix respecter l’octosyllabe ni sombrer dans un ridicule style « Les visiteurs » en parsemant la traduction de termes encore compréhensibles mais désuets il est possible de respecter les mots (sans utiliser des formules ou des synonymes qui n’existaient pas à l’époque) et le rythme en traduisant le plus possible ligne par ligne, éventuellement deux lignes par deux les rares fois où c’est indispensable. L’édition des Lettres Gothiques des Lais de Marie de France faisait cela sans génie mais correctement.
        J’ai lu pas mal de textes du moyen âge en bilingue, je n’ai jamais vu un tel carnage.
        Le seul côté positif de cette traduction est qu’elle va m’obliger de tout lire dans en anglo-normand (étant amateur mais pas spécialiste de langues médiévales, je dois confesser que je m’astreignais à lire certaines parties dans le texte pour le plaisir de la langue mais qu’il m’arrivait de ne lire que la traduction de certains passages pour la compréhension de l’histoire.

        • Bravo pour votre intervention, Bifidus, et permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue dans notre petit cénacle.

          Il est hélas très exact que cette Pléiade procure non pas tant une traduction qu’une paraphrase exégétique des Lais, de surcroît écrite dans un français pâteux meurtrier de la poésie éclatante de l’original (pour les meilleures de ces compositions, celles ciselées à ravir avec le franc parler des pastourelles, malmariées ou chansons d’aube mais sans trop de mièvrerie). A la différence des morceaux choisis du Moyen-Âge qui figurent au tome I de la belle « Anthologie de la poésie française » en Pléiade, où Marie du reste brille par son absence, cette version en prose continue assez souvent verbeuse n’est même pas telle que l’on puisse y accrocher un commentaire du vieux français, dans la mesure où les figures de l’original n’y sont que partiellement transportées (pour ne pas exaspérer nos lecteurs modernes incultes, j’imagine, par de perpétuelles itérations des mêmes lexèmes et des quelques mêmes images) et où les termes-clé qui jalonnent cette poésie narrative brève n’ont guère suscité de velléités ni pour en approprier tant soit peu le rendu au contexte local ni pour en systématiser la traduction dans toute la mesure du possible. Entre la politique suivie par Jonin ou Poirion, qui se sont fait connaître par des versions très fignolées de chefs d’oeuvre médiévaux, et celle de Dufournet, qui tend à transporter le plus possible du vieux français dans ses translations, grand est l’éventail d’options traductologiques disponibles ; il est triste de constater combien Walter et ses collaborateurs ne gardent l’amplitude de la première tendance que pour la gonfler de verbiage modernisant tout en prodiguant dans les notes les explications élémentaires.

          • Merci Neo-Nirt7 de votre message de bienvenue.
            Je ne résiste pas à citer un exemple qui montre qu’en plus d’être comme vous dites pâteux et meurtrier (j’étais resté le plus neutre possible en disant scolaire mais je trouve le style proprement exécrable), les traductions (je devrais dire divagations) n’ont aucun rapport avec le texte original et sont souvent le fruit d’une imagination aussi débridée que regrettable.
            Voici par exemple (il y a des tas de cas similaires à chaque page) la surprenante traduction de :
            « De bois et de riviere aprist »
            qui se métamorphose en le vilain :
            « Il apprit la chasse à courre et au vol »
            est-ce que le simple et poétique
            « Il apprit les bois et les rivières » n’aurait pas suffit ?
            Le traducteur veut sans douter nous apprendre que l’éducation d’un chevalier ne résidait pas dans la cueillette aux champignons ? Ou veut-il juste étaler ses connaissances en employant des expressions pédantes ? Non seulement sa traduction est laide, sans doute inappropriée car je doute que la chasse pratiquée à l’époque soit l’image que renvoie la chasse à courre au lecteur actuel -à tout prendre vénerie me semblerait plus adapté-, mais c’est une pure affabulation.
            Ce qui est particulièrement dommageable c’est qu’il devient impossible de s’appuyer sur la traduction pour comprendre les mots du texte sur lesquels on bute (au risque de penser que « Bois » signifiait « Chasse à courre » et « Rivière » « Chasse au vol ») car les termes choisis (et souvent les paragraphes entiers) n’ont souvent aucun rapport avec l’original.

        • Demonkos, Zino est évidemment dans le vrai ; en invoquant une autorité incontestable sur Cohen qui me semble dorer la pilule, sinon entretenir quelques illusions sur la portée de ses opérations (Mme Stolz se donne parfois des airs de découvreuse de l’Amérique !), je ne voulais apporter qu’un contrepoint de profane qui, ayant longue pratique des lettres anciennes en sus de lectures bibliques et classiques étendues, a trop vu de grilles d’interprétation métalittéraires s’effondrer.

          • « De bois et de rivière aprist » signifie « il gagna la compétence à chasser », car ‘bois et riviere’ ou ‘bois et praerie’ semblent des formules fixes équivalentes désignant des formes de vénerie, le passe-temps aristocratique par excellence, cf. Muriel Ott, « Guibert d’Andrenas », Genève, Champion, 2004, p. 357, qui cite J. Melander : « les deux mots riviere et praerie signifient différentes sortes d’amusements opposés aux exploits belliqueux racontés dans les vers suivants. En effet riviere, proprement ‘rivage’, signifie ici, comme souvent en ancien français, ‘chasse aux oiseaux d’eau’, sens auquel il a passé par l’intermédiaire de ‘terrain où l’on chasse les oiseaux d’eau (…)’. Il me semble que praerie, par une extension analogue du sens primitif de ‘prairie’, est ici employé pour désigner ‘la chasse aux animaux de prairie’, quoiqu’à ma connaissance cette signification ne soit pas relevée ailleurs ». La traduction Pléiade témoigne d’une méconnaissance assez grave de la lexicologie du vieux français.

          • Que l’on n’aille pas croire que le traducteur Pléiade a consciencieusement étudié le sens de ce vers. Au contraire : s’agissant d’une formule fixe, il ne convient pas de l’éclater sémantiquement en ses deux composantes, comme il l’a fait, un peu bien loin de l’original d’ailleurs (‘chasse à courre’ en particulier est détestable d’anachronisme) mais d’en cerner la valeur d’ensemble, qui est celle de la maîtrise des formes de vénerie propres à un seigneur de l’époque qu’il convenait d’apprendre.

          • Cher NeoBirt7, c’est à dessein que j’ai employé le vocabulaire électoral et que j’ai dit que je « donnais ma voix » à Zino. Je voulais signifier par là qu’il s’agissait de ma part d’un choix (subjectif), reflet de ma dilection pour Albert Cohen, et non d’un jugement (objectif) dont j’avais prévenu n’avoir pas les compétences nécessaires pour le porter; En tout état de cause votre duel était passionnant.

  20. Domonkos,
    Est-ce un « vous » collectif, ou me demandez-vous ce que, personnellement, je pense de Cohen ? ☺️
    En quelques mots : Cohen est le dernier grand écrivain styliste en langue française. Son roman phare  » Belle du Seigneur  » est une sorte de synthèse de 800 ans d’histoire littéraire ( je parle de l’écriture, pas des thématiques, je devrais dire, de la thématique, principale, du roman : l’amour ) . C’est une sorte de miracle scripturaire, à peu près toutes les cinq pages vous avez des morceaux de bravoure stylistique ! Mieux, Cohen se lit facilement, c’est un auteur populaire ; mais en même temps son écriture est très élaborée ! Tout l’arsenal rhétorique et stylistique est mis à contribution. Et le résultat final est somptueux ! Belle du Seigneur est comme un long poème lyrique où l’on entendrait à nouveau les voix aimées de Charles d’Orléans, de Ronsard, d’Honoré d’Urfé, de Chénier, d’Hugo, de Claudel…
    L’édition Pléiade est famélique. Je suis heureux d’apprendre, grâce à vous, qu’une édition critique est disponible.

    • c’était un « vous » à vous adressé en particulier, ce sont les aléas de la mise en page qui ont expédié mon message à la suite de celui de NeoBirt7 (mais cela ne signifie pas que l’éventuel avis de NeoBirt7 me soit indifférent).

    • Je vous remercie. Je l’avoue, j’espérais de vous une appréciation de ce tonneau tout en craignant que vous me disiez que je place mal mon admiration. Je n’ai pas relu depuis longtemps Albert Cohen et je ne me fie pas aveuglément à mes souvenirs de lecteur et mes emportements de jeunesse. J’avais besoin d’être rassuré avant de faire l’acquisition de ce Quarto qui a l’avantage de réunir toute la saga des Solal et d’être pourvu (selon l’éditeur, comme je vous le disais, je n’ai pas vérifié) d’un appareil critique conséquent. Je pourrai alors, dans le même mouvement, me débarrasser de l’étique pléiade « Belle du Seigneur », sans le moindre remords.

    • En fait, la pléiade « Belle du Seigneur » est très atypique, une sorte de mausolée, ou d’autel confucéen d’hommage au pater familias et révéré maître. Cela tire les larmes, pas d’émotion mais à cause du lourd nuage d’encens qui s’en dégage.

      Je veux bien verser une larme d’attendrissement sur cet artefact, comme sur les cadeaux confectionnés par les enfants pour la fête des mères, mais au bout du compte cette pléiade ne rend pas service à Albert Cohen, et le rend un peu ridicule (cela ressemble à l’entreprise Saint John Perse dans la même collection, et même, horror referens, pourrait amener le lecteur candide – découvrant l’oeuvre de Cohen – à faire de regrettables rapprochements avec l’entreprise de béatification pléiadesque de Jean d’O).

      J’espère donc que le Quarto, outre sa restitution dans son exhaustivité de la saga des Solal, apporte un peu plus de sérieux.

      • Horresco referens, cher Domonkos. Je rejoins votre avis en ajoutant que le style de Cohen est du sable sans chaux, une prose nombreuse qui déroule les flots de son abondance avec des grâces sautillantes de lièvre en garenne et dont le lyrisme doit trop à des procédés aussi figés, mécaniques, répétitifs que la parataxe, les anacoluthes, la prosopopée, l’appel au lecteur faisant fi du style indirect libre, et les métaphores forcées. Un exemple entre dix mille de cette coulée verbale d’une grande frigidité dans son faux classicisme (ô combien Chateaubriand ou Proust s’y prennent mieux pour trousser des périodes narratives !) :

        « Elle aussi sans doute se savonnait en ce moment, pensait-il dans son bain. Enthousiaste de la voir bientôt, il ne pouvait pourtant s’empêcher de ressentir le ridicule de ces deux pauvres humains qui, au même moment et à trois kilomètres l’un de l’autre, se frottaient, se récuraient comme de la vaisselle, chacun pour plaire à l’autre, acteurs se préparant avant d’entrer en scène. Acteurs, oui, ridicules acteurs. Acteur, lui, l’autre soir en son agenouillement devant elle. Actrice, elle, avec ses mains tendues de suzeraine pour le relever, avec son vous êtes mon seigneur, je le proclame, fière sans doute d’être une héroïne shakespearienne. Pauvres amants condamnés aux comédies de noblesse, leur pitoyable besoin d’être distingués. Il secoua la tête pour chasser le démon. Assez, ne me tourmente pas, ne me l’abîme pas, laisse-moi mon amour, laisse-moi l’aimer purement, laisse-moi être heureux.

        Sorti du bain qu’il avait fait durer longtemps pour abréger l’attente de la revoir, nu et de si près rasé pour elle, il dansait maintenant, dansait de la voir bientôt, à petits pas nobles et raffinés dansait à l’espagnole, une main sur la hanche, claquait des doigts de l’autre main, soudain tapait du talon ou mettait la main en visière pour follement apercevoir une bien-aimée, dansait ensuite à la russe, accroupi, lançait ses jambes l’une après l’autre devant lui, puis se relevait, frappait des mains, lançait un absurde cri guerrier, s’élançait, tourbillonnait, se laissait tomber en grand écart, se relevait, s’applaudissait de la voir tout à l’heure, se souriait, s’aimait, l’aimait, aimait celle qu’il aimait. Oh, il vivait, vivait à jamais ! ».

    • Merci, zino, on ne peut mieux dire – aussi bien et aussi concis – sur Cohen.

      Domonkos, en plus de Belle du seigneur, il existe un second volume en Pléiade où vous trouverez « la saga des Solal ». 🙂

      • aaargh ! je suis encore pris la main dans le sac, en flagrant délit d’ignorance.
        Merci de m’avoir remis dans le droit chemin.

        N’empêche, je crois tout de même que la saga complète des Solal en un seul volume, avec quelques « bonus » et un appareil critique que l’éditeur annonce comme respectable,
        et, tout ça, pour le prix de 32 € (voire 30,40 € déduction faite de la remise légale de 5% de mon libraire), va me convaincre de me tourner vers le Quarto.

  21. Bonjour Lombard,
    Ah, la concision… C’est un cadeau du dix-septième siècle, mon siècle favori.

    PS : juste une simple suggestion lexicale. Il vaudrait mieux réserver le mot « saga » aux seuls récits mythiques scandinaves. Pour le reste, il me semble que le mot « cycle », assez général, conviendrait mieux.
    Je n’ai rien dit…

    • Oui, mais, (décidément aujourd’hui c’est ma fête), la Saga des Solal ça sonne mieux que le Cycle des Solal (si j’avais dit la Saga des Valeureux, cela aurait été encore plus « scandinave » !). Ceci étant dit, je m’efforcerai de ne plus pécher…

  22. Cher Neobirt7,
    Je voudrais juste nuancer vos propos ( et cela sans vouloir aucunement entamer une discussion entre spécialistes, ce n’est décidément pas le lieu) : Ces figures dont vous soulignez très justement le retour assez régulier dans le tissu narratif, ces figures donc, participent d’une figure macrostructurale, l’ironie :
    La répétition-variation des séquences, des déclarations, la manière, souvent, de favoriser l’asyndète puis la polysyndète, ce maniérisme gauche, ces périodes semées de troubles syntaxiques, tout ce dérèglement faux du sentiment amoureux, tout cela, en définitive, n’est qu’un énorme sarcasme de Cohen à l’endroit de ses deux héros. Du reste c’est ce qui fait l’extrême originalité du roman : son lyrisme est à la fois totalement sincère et totalement faux.
    Ce n’est pas à mon sens une faiblesse de l’écrivain mais bien plutôt un projet conscient.

    • J’ai le plus grand mal à trouver la distance ironique, le retrait sarcastique de l’auteur par rapport à ses personnages et son projet. Nos grands auteurs s’y seraient pris d’une toute autre manière, notamment en instaurant un constant, et subtil, décalage de l’énoncé par rapport à la voix énonciative.

  23. Neobirt7

    Dans Belle du Seigneur ce n’est pas la voix narrative qui porte l’ironie mais le texte lui-même, dans sa chair ! D’où le recours à toute une série de figures microstucturales, qui, assemblées, donnent l’ironie. Belle du Seigneur joue sur la mise en abyme ( et la mise en danger) du discours amoureux ; il y a systématiquement concordance et discordance ( pas des voix, mais du rapport au discours amoureux attendu) . Et de ce tremblement, apparaît l’effet voulu, ie, l’ironie, le discours méta-textuel.
    Cette ironie, vous ne l’avez pas vue, soit. C’est d’ailleurs le propre de toutes les figures macrostucturales, on peut souvent passer à côté.
    Je ne vais pas plus loin. Chacun son texte 😊
    Bien à vous.

    • Je ne l’ai pas vue, non, et je gage que peu de lecteurs la perçoivent, si tant est qu’elle existe, noyée sous la loquèle, les contes bleus, les fleurs de rhétorique. « Sème avec la main, pas avec le sac » conseillait la poétesse Corinne au jeune Pindare trop friand de rhétorique dans ses poèmes d’alors, selon une historiette édifiante ; Cohen eût été bien inspiré de faire de même….

  24. Celui qui voudrait lire de la prose incontestablement excellente et aurait des doutes sur Cohen pourra se jeter « sur les falaises de marbres », d’Ernst Jünger.
    Je dois un service à Domonkos qui me l’a fait découvrir.
    Un texte court et puissant, que chacun ici pourra lire dans le temps d’un week-end pluvieux, mais qu’il n’oubliera pas de sitôt.

  25. Neobirt7
    Je vous invite à lire l’article suivant :  » Discours amoureux et polyphonie dans Belle du Seigneur  » de Anne Marie Paillet.
    L’ironie chez Cohen est bien présente, ainsi que, dans Belle du Seigneur, la critique paradoxale du discours amoureux. Et c’est mal connaître cet écrivain que de prétendre le contraire.
    Je vous souhaite le bonsoir.

    • Je vous sens un peu agacé, Zino, et m’empresse de vous rassurer : j’ai lu (en diagonale, car le jargon m’en a semblé gratuitement cultivé causa sui, comme on le disait au Moyen-Âge, plus souvent que cela n’était nécessaire) la monographie de Claire Stoltz sur la polyphonie dans « Belle du Seigneur », mais le simple fait que cette auteure avoue, pp. 224-225, « on a donc une véritable instabilité énonciative, qui rend extrêmement mouvante la définition du sentiment de polyphonie que l’on éprouve à réception. Le lecteur ne sait plus délimiter la distance qu’établit le narrateur entre ses personnages et lui, car le contrat de lecture est en permanence remis en question par l’incertitude sur le statut du du discours : DDL ou DD ? La réception impliquée du DDL due à des phénomènes de court-circuitage actantiel se trouve a posteriori médiatisée par la voix du narrateur qui alors ‘met en scène’ le DDL et le sacralise (l’acte de langage devient cérémonie) » ne signifie-t-il pas que cette polyphonie si subtile est de nature à échapper au commun des mortels, voire pourrait en définitive n’exister comme intentionnalité du scripteur que dans l’esprit de son exégète si zélé ? Depuis les années 70, j’ai trop vu des littéraire pur jus métaphysiquer, ou plutôt pataphysiquer, des textes grecs ou latins qui s’en portaient fort bien pour accorder grande créance aux intuitions des sémioticiens.

  26. Neobirt7,

    …Perseverare Diabolicum 😄 l’article en question est d’Anne Marie Paillet et non de Claire Stoltz, ( dont les manuels à l’intention de l’apprenti stylisticien, sont des modèles de pédagogie )
    Vous aurez trop pris à la lettre la notion de polyphonie énonciative, et superposé à la voix de l’une celle de l’autre. ( Je plaisante )
    Quant à la théorie structuraliste, tel qu’elle sévissait dans les années 70, je la condamne également et n’y vois qu’une forme de discours plus obscur encore que les prophéties enragées de la Pythie.
    Aucun agacement de mon côté, je vous rassure également.

  27. Valde enim, Zino, fuisti in me liberalis. Je voulais simplement dire que, si je ne connais pas l’article de Mme Paillet, le traité majeur de Mme Stolz, qui fait autorité et constitue encore et toujours la seule monographie savante sérieuse sur « Belle du Seigneur », manifeste une conviction qui doit peut-être un peu trop à une prise de position viscérale (en supposant acquise la méthodologie de Georges Molinié, dont il faut rappeler qu’il se réinventa stylisticien après avoir échoué lamentablement comme professeur de lettres classiques ; sa Budé de Chariton [1979] est sans contestation le travail le plus bâclé, non professionnel et lamentable jamais paru dans cette collection, cf. la recension de Brian P. Reardon, l’excellent auteur des « Courants littéraires grecs des IIe et IIIe siècles après J.-C. » et spécialiste incontesté du roman grec, dans la Revue des études grecques 95, 1982, p. 157 : « nous nous trouvons dans l’obligation, bien désagréable, de dire sans ambages que l’édition de G. Molinié est très loin d’être bonne. Sans parler de son jugement, cet éditeur fait preuve d’une incompétence et d’une négligence telles que son édition n’a guère de valeur scientifique. Elle aurait dû remplacer celle de Blake, et elle prétend le faire ; elle ne le fait point. Tel doit être le bilan de ce compte rendu » etc). Il nous faudrait une édition exégétique de « Belle du Seigneur » qui saisisse un lecteur vierge de toute connaissance en stylistique des éléments de compréhension indispensables ; en attendant, comme classiciste et bibliste, je continue à trouver l’intertextualité avec l’Ancien Testament aussi superficielle (Cohen n’est certainement pas Saint Jérôme !), criarde et mal venue que me semble douteuse, car apologétique, voir irénique, l’explication ironiste de ce roman fleuve.

  28. Je ne ferai aucun commentaire sur les analyses respectives de Zino et de NéoNirt7, n’ayant pas qualité pour m’immiscer dans ce débat de stylisticiens. Mais en ma qualité de simple citoyen de la République des Lettres, jouissant pleinement de ses droits civiques en ce domaine, je donnerai pas voix (qui n’est qu’une parmi les autres, ni supérieure ni inférieure) à Zino.

    (Ne vous réjouissez pas trop vite, Zino, presque toujours lors d’élections, je vote pour le perdant.)

  29. J’ai retrouvé la source lointaine de la traduction Pléiade : elle dérive de la dissertation de Ernst Bormann, « Die Jagd in den altfranzösischen Artus- und Abenteuer-Romanen », Marbourg, Elwert, 1887, p. 83 § 221b, qui cite une dizaine de passages, dont le nôtre.

  30. Cher Domonkos,
    La stylistique, pas plus que la linguistique, la pragmatique, la praxématique ou bien au hasard… La narratologie, n’est une science. Cela pour vous dire qu’il n’y a pas de texte à sens unique ( sans jeu de mot ) pas plus qu’il n’existe une seule méthode d’investigation textuelle ( ce que croyaient pourtant les structuralistes, faisant fi de la distinction indispensable entre diachronie et synchronie). On peut lire dans  » Le Sylphe  » de Valery :  » Ni lu ni compris ?
    Aux meilleurs esprits
    Que d’erreurs promises ! « .
    Le stylisticien peut se tromper en effet, non pas tant sur le repérage de ce que l’on appelle les écarts ( par rapport à un état de langue zéro) mais sur l’intentionnalité du texte. Cependant, mon expérience m’a montré que cette intentionnalité peut souvent dépasser le projet intentionnel de l’auteur lui-même ; je veux dire qu’un texte possède virtuellement un grand nombre de possibles, qu’il recèle dans les blancs de la feuille et sous l’encre des mots, un autre texte, et même d’autres textes, exactement comme un palimpseste. Évidemment, en disant cela, j’enfonce des portes ouvertes mais c’est une manière de rappeler que le texte autorise quelques dérogations par rapport au sens ou à l’effet attendu. Ce qui me conduit à vous dire que dans ce domaine il vaut mieux voter blanc.
    Ainsi donc, Neobirt7 a le droit de ne pas voir de l’ironie chez Cohen ; mais partant, il réfute ce que l’on appelle la stylistique d’auteur. En effet, l’ironie chez Cohen, est évidente pour un œil exercé, mais c’est une évidence tyrannique dont on a le droit de vouloir s’affranchir.

    • Je souscris.
      J’ai failli y aller d’un commentaire, que j’ai travaillé hier soir, puis, le relisant, je me suis dit que j’allais passer pour un fou (si ce n’est déjà fait) et j’ai laissé tomber.
      Mais je n’en pense pas moins.
      Bien à vous.

  31. Chez Cohen (lu en Pléiade), je ne sais pas si c’était de l’ironie, mais j’y avais vu un humour que j’affectionne beaucoup, à la manière de Woody Allen ou de Groucho Marx.

    Toujours en Pléiade, je viens de terminer le tome 1 des Historiettes de Tallemant des Réaux, – Gédéon de son prénom.
    C’est bien écrit, intéressant pour compléter ses connaissances en Histoire et très amusant, quoi que vachard, comme une chronique ou un billet d’humeur. Le talent d’écriture de l’auteur fait tout passer… 🙂

  32. Je n’avais pas encore lu La Chartreuse de Parme (honte à moi) et voilà que l’envie me vint de découvrir ce chef d’oeuvre dans l’édition la plus récente de la Pléiade des oeuvres romanesques de Stendhal… Les notes sont très certainement passionnantes, elles sont nombreuses et pleines de références sérieuses, mais pourquoi l’éditeur, avec tant d’insistance, se plaît-il à « spoiler » comme disent les amateurs de cinéma americain, toutes les actions palpitantes et autres bêtises de ce cher Fabrice? Au bout de quelques chapitres j’ai renoncé à les lire car même si ce n’est pas un roman policier (quoi que…?) découvrir parfois 50 pages à l’avance comment l’action va se développer est assez rageant… J’y voit-là une forme de snobisme universitaire qui suppose que tout le monde a lu 20 fois « la Chartreuse ».

    • joaquim, dans mes bras : c’est l’une des grandes caractéristiques des notes – pour être tout à fait honnête : de certaines notes – dans La Pléiade (mais aussi ailleurs) ; comme beaucoup de « critiques » de littérature, de cinéma ou de théâtre qui sont légions à la radio et à la télévision, nombre de commentateurs ne savent pas faire grand chose d’autre que paraphraser, résumer, raconter à leur façon l’histoire, et surtout dévoiler à l’avance ce qui va se passer. Combien de notes de quatrième de couverture (livre ou jaquette de DVD) où, en deux ou trois lignes, on apprend la fin de l’histoire ? Les « commentateurs » et autres critiques qui se permettent cela usurpent leur pain et devraient être considérés comme nuisibles. 🙂

      • Idem pour moi. L’introduction du Philip Roth dévoile la fin de la plupart de ses romans (ça m’a gâché Le Théâtre de Sabbath que je n’avais pas lu). Mais ça ne se limite pas à la Pléiade. Je croyais éviter le problème en ne lisant jamais une préface avant le texte, mais je me fais parfois avoir par les notes de bas de page. Dans une très mauvaise édition de Conrad, il y a une note à la page 20 qui cite une des dernières pages du livre : « Kurtz est mort ». Merci aux éditeurs…

  33. Je ne sais ce que les happy few qui hantent ce lieu en penseront et en diront (ou n’en diront pas), mais à consulter le texte de présentation sur le site de la Pléiade, du tirage spécial de Robinson Crusoe, celui-ci n’est peut-être pas une simple redondance du Romans I de Defoe, contenant ledit Robinson. Certes on conserve la traduction d’âge vénérable de Pétrus Borel, mais on agrémente le volume de centaines d’illustrations d’époque et on ajoute un appareil de notes qui doit être conséquent puisque l’éditeur ose parler de « première édition critique ». On a appris à se méfier de ce genre d’annonces, mais, qui sait ?…

  34. Bonjour à tous. Je viens de lire dans le Figaro du jour un entretien avec Carlo Ossola où l’on apprend qu’il « s’attelle à l’établissement de la nouvelle publication dans la « Pléiade » de La Divine Comédie », ce qui est une excellente nouvelle, l’édition actuelle commence à sérieusement dater. En espérant que l’édition ne se limite pas à la Divine Comédie, mais qu’il y ait les oeuvres complètes.

      • J’espère que M. Ossola aura les épaules assez larges, non seulement sur le plan de l’érudition latine et italienne, mais en fait de culture médiévale en théologie, philosophie, alchimie, gnose, etc, pour succéder à l’encyclopédiste Pézard, un homme dont les gloses et commentaires sont aussi riches, originaux et lumineux que sa version est alambiquée ; on ne peut en effet soutenir sérieusement qu’Ossola, « Introduction à la Divine Comédie », soit un ouvrage de haute virtuosité ou qui suppose cette dernière (l’appel à la traduction Risset, alors même que l’on aurait attendu que le professeur au Collège de France nous donnât une version personnelle des extraits qu’il allègue, témoigne à tout le moins d’une certaine nonchalance), et je n’ai pas souvenance que ses articles et travaux savants se situent à un rang très particulièrement distingué dans l’exégèse contemporaine de l’Alighieri. Bref, wait and see.

  35. Rééditer encore Dante c’est bien mais bon… Ça sera sûrement un de ces petits volumes qui contiennent une œuvre et ses « lectures » (Laclos, Villon, Rimbaud etc). Plus intéressant, pour les italianisants, reçu aujourd’hui les deux épais volumes des Œuvres de Tabucchi contenant tous ses récits et romans, augmentés de texte rares et inédits, précieux volumes. Ainsi qu’un volume du Théâtre, prose et lettres de Shelley (qui complète fort heureusement son Œuvre poétique de juin dernier). Elle est décidément formidable cette Pléiade… italienne.

      • Moi je préfère l’album Gary : à cause des photos de Jean Seberg qui ne manqueront pas d’y figurer (pardon à « metoo » et à Mme Michelet que je ne conais pas et à qui je ne veux pas faire injure).

  36. Mes beaux coffrets ! Qui en veut de mes beaux coffrets ! Ils sont magnifiques, ils sont jolis, ils feront bel effet dans vos vitrines (après vous avoir alléchés dans la mienne) ! Coffret Baudelaire par-ci, coffret Révolution Française par-là… et, si vous les avez manqués, mes coffrets 2018, qui sont encore tout frais !…

    Même confiture, nouvelle étiquette, toujours plus de couleurs, de gros titres et de gros sous dans mon escarcelle… Autrefois on disait que c’était dans les vieux pots qu’on faisait la bonne soupe, aujourd’hui c’est dans les pots neufs qu’on sert la vieille soupe.

    Et le pauvre lecteur-« Corbeau honteux et confus
    Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus. »

    • Exact, Domonkos. Et avec le coffret Bible le mois dernier et le coffret Yourcenar il y a quelque temps, qui si je ne m’abuse ne contiennent que des volumes déjà parus il y a fort longtemps, on est vraiment très près de la pratique frauduleuse, ou, pour parler le jargon de la répression des fraudes, de la pratique commerciale trompeuse.

      • Il semblerait bien néanmoins que l’edition annoncée de Michelet soit une nouvelle édition (cf. sur le site de Gallimard la liste des éditeurs qui sont des universitaires en activité) et non une simple réimpression…

        • Bonne nouvelle (je ne suis pas amateur, mais il ne s’agit pas de ma part d’un jugement de valeur, et je me réjouis pour ceux qui attendent cette nouvelle édition).
          Donc, je retranche un Michelet, j’ajoute un coffret Bible, un coffret Yourcenar, un coffret Tolstoï… mon voisin qui est maçon et qui monte des murs en béton n’est qu’un amateur, en matière de coffrage, en comparaison de Gallimard !

  37. Certes, ce n’est pas la Pléiade mais dans la collection Folio on peut lire son Jeanne d’Arc, la Mer et la Sorcière. La réédition en Folio de son Histoire de la Révolution française était utile. Je viens de voir par hasard une très très heureuse nouvelle en Folio également : la re-traduction annoncée de Confession d’un masque de Mishima du japonais. Enfin ! On attend toujours Soleil d’acier, une Soif d’amour, la Mort en été, la Mer de la fertilité etc. Et si c’était l’annonce d’une entreprise d’une Pléiade d’œuvres de Mishima traduites du japonais? Suspens !

    • Mishima n’est peut-être plus aussi « vendeur » qu’il y a 30 ans, mais une pléiade à lui consacrée, avec ses oeuvres principales (allez, soyons pas radins, un coffret de plus !) serait vraiment la bienvenue et, qui sait, ne ferait pas perdre trop d’argent à Galliamrd.

      (J’en ai marre, mais qu’est-ce que j’en ai marre, de ne plus pouvoir, lorsque nous débattons de la Pléiade, parler simplement de littérature sans être obligé d’y mettre une bonne cuillerée d’épicerie ! Rien que ce fait, ce seul fait, devrait suffire à convaincre quiconque de la décadence de la collection !)

      • Je voulais dire « ses oeuvres principales traduites directement du japonais »… mais l’épicier s’est mis en travers de ma phrase et m’a fait perdre mon idée principale…

        • Je le redoute, hélas. Jean d’O ayant fait sauter la dernière digue, on peut tout craindre, nous avons déjà les tremblements, reste à savoir si nous pouvons encore avoir la stupeur.

          Plus sérieusement, en ce qui concerne les grands (les immenses) japonais, leur heure est sans doute passée, et il faut renoncer à tout espoir : Gallimard ne les a pas publiés lorsqu’ils bénéficiaient chez nous d’une renommée certaine, il ne va pas le faire aujourd’hui, alors que la scène est dominée par le manga et les troisièmes couteaux.

          On a usé et abusé du concept de post-modernisme, il faudrait parler des « écrivains post-littérature » qui règnent aujourd’hui en maîtres.

          • J’ai envoyé il y a quelques semaines un message à Gallimard pour m’enquérir de l’horizon de la littérature japonaise, notamment sur Mishima, Kawabata, Akutaga et sur les grands textes fondateurs (Man Yoshu, Kojiki, Dit du Genji etc). Je n’ai pas eu de réponse cette fois-ci.

  38. J’ai beaucoup aimé Kafka sur l’an plage et les 1Q84. De là à une Pléiade. Mais bon après De Gaulle, Buffon et D’Ormesson, tout est possible (je parle du point de vue “littéraire”) J’ai lu trop vite le message de bifidus et j’étais heureux de l’annonce tant attendue depuis des années de Murasaki Shikibu en Pléiade…. Fausse joie. Il est vrai que la belle traduction de R. Sieffert était un vrai plaisir de lecture. Tant pis pour sa pléiadisation… on attendra. (Avec internet, tout a changé car ses œuvres sont disponibles en ligne.) Pour faire enrager notre cher Domonkos, c’est à se demander si Amélie Nothomb n’a pas plus de chance que Dame Murasaki…. Napoléon l’avait (presque) prédit : « la Pléiade est une nation de boutiquier » cher Domonkos !!!!

    • Etiemble ne ratait pas une occasion de faire savoir qu’on lui devait la parution des grands romans chinois en pléiade. Il y avait sans doute, dans cette affirmation, une part de vantardise que je ne saurais évaluer. D’autres influences ont dû jouer, il n’en demeure pas moins que la sienne fut sans doute prépondérante.

      Le Japon n’eut, hélas, pas un Etiemble comme représentant de commerce auprès de la boutique Gallimard. La position d’un Sieffert – qui ne faisait pas partie de « la maison » – en dépit de ses immenses mérites de traducteur et d’introducteur, ne se pouvait comparer à celle du Grand Pontife : pour faire un jeu de mots, la « Connaissance de l’Orient », c’était lui !

      …………………….. ………………..

      Sinon, oui, j’ai lu moi aussi Kafka sur la Plage et 1Q84. C’était à Wallis, où, les livres étant rares, je les avais empruntés à une petite jeune fille, étudiante en agronomie, que nous hébergions sous notre toit. Elle était originaire du Kenya, avait vécu en Angleterre puis dans le sud-ouest de la France, et elle effectuait un stage à Wallis (!) Ce sont les seuls livres que je lui ai vu lire ou don telle m’ait parlé. Symptôme de la réputation de Murakami auprès de la jeunesse mondialisée. Je tâche également de me tenir au courant de la littérature japonaise actuelle (grâce à Picquier).

      Je ne voudrais pas qu’on confondît Murakami Haruki avec une quelconque Amélie N. mais il y a des hiérarchies (ou alors, si on refuse ce terme, une simple chronologie) et je préfèrerais que la Pléiade s’occupât d’abord des grands classiques japonais et des grands auteurs incontestables du XXème siècle. Laissons ce vin nouveau en cave quelques années, le temps de voir de quelle façon il vieillit.

      • Pour ma part, je ne goûte pas Haruki Murakami pour un sou (sauf la nouvelle « Sommeil »). J’ai lu le Kafka et 1Q84 (tome 1), je n’ai aimé ni le style, ni le sujet, ni son traitement.

        Cependant, dans un tout autre genre, mon écrivain préféré est un homonyme, Ryu Murakami. C’est un enfant terrible de la littérature japonaise contemporaine.

        • Essayez à tout hasard « La course au mouton sauvage »… 🙂

          J’ai aussi écrit à Gallimard et j’ai obtenu une réponse : pas de Saltykov-Chtchedrine prévu dans La Pléiade.

          • Je vous remercie pour votre suggestion Lombard.

            Heureux hasard, je viens finalement de recevoir une réponse de Gallimard. Aucun projet actuellement en littérature japonaise.

          • Je croyais qu’il y avait un projet Sôseki sur le feu sur le point d’aboutir en 2019 ou 2020 avec un coffret deux volumes, le projet aurait-il avorté ?

          • Par ailleurs, je ne comprends pas bien la suite de votre commentaire, puisque l’auteur que vous mentionnez est déjà paru (et épuisé) en Pléiade aux côtés de Leskov. Parliez-vous d’une réimpression ?

          • Kyat, il semblerait que ce soit malheureusement le cas. C’est fort dommage pour un écrivain, de la stature de Sōseki, qui ne possède que des traductions éparpillées en français.

            Cependant, l’annonce plus haut de la traduction de Mishima depuis le japonais cette fois-ci m’enchante. Quelle étrange idée de traduire depuis une traduction (sauf quand on a pas le choix pas exemple). J’ai récemment découvert qu’une traduction de L’art de la Guerre de Sun Zi (ou Sun Tsu) a enfin eu lieu depuis le chinois, qui plus est par Jean Lévi (avec un véritable commentaire apparemment). Cela change de la sempiternelle traduction depuis l’anglais de James Trapp.

          • Vidar, mille excuses, mon clavier a fourché. Ma demande à Gallimard portait sur un éventuel volume consacré à Gontcharov (et notamment « Oblomov »).

  39. Les cinq dernières années, La Pléiade nous a donné de superbes enfants : Péguy, Stendhal (Tome 3), Leiris, Villon, Aristote, Bernanos, Virgile, Casanova, la poésie chinoise, James (romans), Faulkner (romans 5 et nouvelles), les premiers écrits chrétiens, Tournier, Cendrars, Kierkegaard, les Lais et Kafka… Ne serait-il pas temps d’abandonner ce ton geignard rythmé par la vieille antienne « C’était mieux avant! ». La Pléiade évolue comme le monde : on peut le regretter mais est-il bien utile de prendre ce ton mélodramatique à tout bout de champ ? D’autant plus que nombre de ceux qui interviennent ici se vantent d’acheter leurs ouvrages en ligne ou dans des librairies d’occasion : il est de meilleurs moyens de faire vivre une collection.

    • Désolé si certains des intervenants (dont je fais partie, sans nul doute), vous semblent geignard ou mélodramatiques ou encore partisans du « c’était mieux avant ». Pour ma part je ne me reconnais dans aucun de ces trois termes. J’ai plusieurs fois dénoncé, en des temps plus « héroïques » de l’histoire de la Pléiade, la parution de fausses gloires du temps. En cinquante ans de fréquentation de la collection, j’ai eu largement le temps de voir des hauts et des bas, il y en a eu à toutes les époques. Mais jamais la tendance générale, en dépit des hauts faits d’arme que vous énumérez (et que je salue sans arrière pensée), n’a été aussi mauvaise, les bas aussi bas, leur fréquence aussi fréquente, les bas calculs boutiquiers aussi bas. J’accepte, si vous voulez, le terme de pessimiste. Voire même de Cassandre, allez, ne reculons devant rien ! (En n’oubliant pas que cette prophétesse voyait juste, sa malédiction étant de n’être pas crue.) Donc, je persiste et signe, vous laissant libre, bien entendu, de penser et de dire le contraire.

      C’est toujours le même problème : on se plaint de l’omniprésence des pessimistes, mais qui empêche les optimistes de s’exprimer plus fréquemment, de donner leurs raisons ? Aucune interdiction, pas de place mesurée chichement. Croyez que je suis heureux de voir s’exprimer des critiques positives et des enthousiasmes. Ne vous laissez pas impressionner par les réactions parfois excessivement vives de quelques-uns, il n’y a aucune méchanceté, seulement de la passion qui s’exprime. Oui, parfois, nous prenons trop au pied de la lettre le fameux « qui aime bien, châtie bien ».

    • Je n’avais pas lu les dernières lignes de votre intervention, que je trouve très injustes. Je pense que les ci intervenants consacrent une bonne partie de leurs ressources à acheter des nouveautés pléiade (quitte à se faire accuser de ruiner les finances de la famille), et, s’ils achètent des occasions, c’est soit parce qu’ils ne peuvent y mettre encore plus d’argent, soit parce qu’ils s’agit de pléiades indisponibles chez Gallimard (qui n’est pas le respect de son propre patrimoine), soit parce qu’ils s’agit de pléiades qu’il apprécie modérément et auxquelles il ne voudrait pas consacrer 70 € (je ne vous citerai pas les oeuvres auxquelles je veux bien consacrer 20 ou 30 €, mais certainement pas plus, je risquerai de vous paraître pisse-froid).

      Lorsque les lecteurs de Brumes n’achèteront plus de pléiades à parution, Gallimard pourra fermer boutique ou bien ne plus publier que des auteurs équivalents à Jean d’O en popularité et en médiocrité. Ce qui revient au même.

      • Vérité parfaitement exprimée, merci.
        Les supposés « pisse-froid » sont les amateurs du vrai livre, celui qui n’était pas qu’un produit.
        Personne n’a jamais obligé les « cultureux-de-loisir » à lire les notes et variantes, ni même l’introduction de nos vénérables Pléiades du passé.
        Quant aux maîtres d’oeuvre des productions actuelles, je suis dans l’incompréhension de leur soumission au marché.
        Le pompon étant tenu, selon moi, par celui de l’édition de d’Ormesson, qui a reconnu mal connaître cet auteur, si j’en crois les informations du présent blog. C’est proprement ahurissant, et témoigne d’un immense mépris pour le public.

    • @Thierry Je suis en grande partie d’accord avec ce que vous dites, la Pléiade continue de publier des auteurs majeurs, on peut d’ailleurs ajouter Perec, les lais du Moye Âge et Verne… mais parfois avec des choix éditoriaux contestables. Certains commentaires du nouveau Bernanos ne sont pas d’un intérêt extraordinaire (d’autres ont dit bien pire en d’autres lieux…) La traduction de Virgile a été très critiquée (je suis incapable de dire si cela est justifié mais c’est un fait). Et l’oubli de certains textes importants de Perec est indéfendable. Néanmoins, je pense qu’en publiant d’Ormesson Gallimard a fait un tord symbolique énorme à sa collection sans le vouloir. Car, très peu de commentateurs, parmi les acheteurs et lecteurs fréquents de Pléiade, semblent avoir goûté ce choix. Ils en ont vendu un joli paquet, semble-t-il, mais pas nécessairement à des gens qui achèteront d’autres auteurs plus dans la ligne éditoriale classique de la collection. Cela fait passer l’idée (sans doute exagérée…) que La Pléiade ce n’est plus ce que c’était et que bientôt on y trouvera Nothomb et EE Schmitt…

      Quant à critiquer l’achat de volumes d’occasion, je trouve cela un très mauvais procès: les bouquinistes sont des acteurs essentiels pour la vie d’un livre et sans eux de nombreux auteurs deviendraient vite introuvables. Et pour ce qui est de l’achat en ligne, eh bien sachez que tout le monde ne vit pas à quelques km d’un gentil libraire indépendant qui accueille toute commande avec le sourire. Alors vive les sites de vente en ligne qui permettent à de pauvres provinciaux peu mobiles comme moi de commander presque tout ce que je veux et donc de faire vivre l’édition à défaut de nourrir les libraires.

      • J’ai la chance d’avoir encore un ou deux libraires dignes de ce nom pas très loin de chez moi, mais leur existence est très menacée. On a longtemps accusé les supermarchés, grands pourvoyeurs de best sellers, mais au moins les libraires pouvaient se recentrer sur la « vraie » littérature. Puis sont venus les sites en ligne, ouvert jour et nuit. J’en use fort peu, même pas pour l’occasion, mais je comprend que certains soient conduits à y faire leur marché, faute d’alternative. A présent, il y a un autre prédateur qui crée le désert de librairies quand il s’installe quelque part (et il en pousse comme des champignons) : ce sont des grands magasins qui vendent du « loisir créatif », de la musique, des livres, des bandes dessinées… Leur nom commence par « Cul »… et finit par « Tu(e)ra »… L’intention meurtrière peut s’entendre dans son nom.

  40. Moi je suis passé de la consommation de livres à la consommation de textes, et depuis longtemps ces débats passionnés ne me concernent plus. Je le dis pour le dire et n’y attachant la moindre importance.
    Je fus immensément aidé dans cette manœuvre par mon époque, ce qui constitua d’ailleurs pour moi l’unique occasion de me dire que me trouvais bien dans mon temps. Pour le reste tout dans ce temps, si particulier à tant d’égards, contrarie, est en violente opposition avec ma nature la plus profonde.

    Bon week-end à tous.

    • Je crois que n’être pas à l’aise dans son temps ne signifie pas forcément qu’on soit « rétrograde », « réactionnaire » (au sens péjoratif du mot), etc. C’est peut-être même une nécessité, quelle que soit l’époque. On peut être un chaud partisan du véritable progrès (à définir), sans pour autant être le ravi de la crèche face à n’importe quelle nouveauté ou qui se présente comme une nouveauté. Pour ma part, je n’idéalise certainement pas les époques qui ont précédé la mienne, mais je me sens de plus en plus étranger à celle que je vois venir. Je n’en verrai que l’aube, de toute façon, et cela me suffit amplement. Les mécontents (ou mécon-temps ?) sont certainement plus utiles que ceux qui se contentent de se fondre dans le moule, d’accompagner le courant, sans se soucier d’où ils les mène.

      En ce qui concerne les livres, numériques ou papier, j’ai failli tomber comme vous, Ahmed, du « côté obscur » de la dématérialisation, mais, dès mon retour de Wallis, j’ai déballé mes cartons de livres qui dormaient dans mon garage depuis trois années, remonté les rayonnages de ma bibliothèque, et… je suis retombé dans la marmite de potion magique de mon enfance.

  41. Je ne suis pas tout à fait d’accord. Peu m’importe le papier ou le numérique. La question est (pour moi) : pour quoi faire ? Jules Verne…. Virginia Woolf… Aucun texte rare ou inédit. Des oublis par dizaines ! Et plus aucune analyse. Dommage. Vivement une édition sérieuse de Jules Verne online. Avec ses textes rares, ses entretiens en regard des romans. Des éclairages nouveaux pour tous. Un rêve ? Oui peut-être. Heureusement aujourd’hui avec internet on peut faire ce travail. Mais pas avec les inédits (exemple récent de Simone de Beauvoir). Aujourd’hui la question de la pléiade n’est plus « qui sera édité en Pléiade ? » mais « comment ? » dommage

    • « Aujourd’hui la question de la pléiade n’est plus «qui sera édité en Pléiade ?» mais «comment ?» » Excellent, Tigrane. Cela résume bien le problème.

      ..Jules Verne. Terrible occasion manquée que cette édition pléiade, ni faite ni à faire. Le choix, la pauvreté des commentaires et des notes… Et cette occasion ne se représentera peut-être plus ! Je m’étais réjoui de l’entrée de Verne en pléiade, par naïveté, j’avais encore foi en la vertu de la vieille dame. Je croyais que Verne allait trouver sa vraie place, celle d’un véritable écrivain. Hélas, il n’y occupe que la place du pauvre, un strapontin. Quand les riches invitent le pauvre à leur table, cela ne vaut pas reconnaissance d’une quelconque égalité. J’en viens à renier mon premier enthousiasme et à rallier le camp de ceux qui disaient : mieux valait rien que cette pauvre chose.

      Et encore, si le cas était unique ! Désolé, Thierry, mais parmi ces « superbes enfants » que nous aurait, selon vous, donné la Pléiade au cours des cinq dernières années, combien je vois d’enfants contrefaits. Ah, il vaut mieux que je me taise, car je deviendrais trop « mélodramatique » et mon ton « geignard » vous importunerait par de trop. Bah, après tout, comme dirait Séraphin Lampion, « ça vaut mieux que d’attraper la scarlatine » !

      • J’abonderai dans le sens de Tigrane et Demonkos – sauf trop rares exceptions confectionnées avec un amour du travail critique bien fait, à l’instar des nouveaux « Misérables » ou du Lévi-Strauss, puissants classiques comme écrivaillons à la mode sont depuis vingt ans aussi mal traités (maltraités) les uns que les autres par les cagots de critique auxquels la Pléiade les confie. Lautréamont, Villon, les Liaisons dangereuses, le dernier Faulkner, se vautrent dans la même sanie que Verne, Colette, Simenon, ou d’Ormesson. Et quand malheureusement une édition qui demandait un grand effort de science apparaît, tels Virgile, les « Premiers écrits chrétiens », les Lais médiévaux, le spécialiste (sans même être tant soit peu expert de ces textes en particulier) n’éprouve aucune difficulté à y déceler de graves défectuosités propres à en obérer l’autorité auprès du lecteur ignorant des langues sources.

    • L’absence d’analyse est regrettable mais je crois que je regrette plus encore les textes rares ou inédits. Si c’est pour avoir un folio classique relié cuir dans sa jolie boîte en carton, c’est dommage.
      Cependant, à comparer à ses rivales, je lis actuellement un texte dans un Quarto très épais et je persiste à préférer la Pléiade à cette brique intransportable et lourde au possible (et sans notes).

  42. L’abondance de commentaires négatifs ne me gêne pas outre mesure. Par contre, j’adorerais que chaque critique négative s’accompagne d’une/de recommandations d’éditions alternatives.

  43. Grâce à brumes, Thierry et joaquim, ce week-end nous avons eu un peu de positif. 🙂

    La Pléiade publie de très belles choses et permet à de nombreux lecteurs de découvrir des auteurs classiques. La qualité du livre est infiniment meilleure que celle de n’importe quel ouvrage de poche ou même de romans en première publication, tandis que le prix – malgré une hausse toujours déplorable – reste correct face aux éditions de luxe.

    Domonkos, les épiciers, comme vous les appelez, sont des relieurs, des éditeurs, des imprimeurs, des libraires et toute une foule de gens qui exercent des métiers sans lesquels les livres n’existeraient pas. De la même façon, les bouquinistes ont un rôle crucial dans la survivance de la littérature de qualité. Quant à croire que ce sont les intervenant de cet excellent blog qui font vivre l’éditeur, il faudrait qu’ils soient quelques milliers pour cela – et encore, de ceux qui achètent systématiquement leurs Pléiade neufs. 😉

    • Mon cher et confraternel Lombard (car, que sommes-nous, ici, fervents de Brumes, sinon un confrérie ?), je me reproche assez moi-même d’être par trop bavard, sans que vous aggraviez mon cas en m’attribuant des discours que je n’ai pas tenu. Ou bien en en faisant une interprétation quelque peu approximative qui m’obligerait à vous répondre, et à m’étendre encore, si la crainte de pousser le bouchon par-delà les limites autorisées, ne me retenait.

      • (avec correction ; mille excuses)

        Mon cher et confraternel Lombard (car, que sommes-nous, ici, fervents de Brumes, sinon une confrérie ?), je me reproche assez moi-même d’être par trop bavard, sans que vous aggraviez mon cas en m’attribuant des discours que je n’ai pas tenus. Ou bien en en donnant une interprétation quelque peu approximative qui m’obligerait à vous répondre, et à m’étendre encore, si la crainte de pousser le bouchon par-delà les limites autorisées, ne me retenait.

  44. Maurice Genevoix au Panthéon ! Pourquoi pas Céline ?
    « Voyage au Bout de la Nuit » vaut bien « Sous Verdun » ou « Les Eparges »…
    Ha ! Ha ! Ha !

    • Ou bien… ou bien… plus consensuel… pourquoi pas Cendrars ?
      Un écrivain d’un autre calibre que Genevoix, qui a laissé des témoignages sur la guerre de 14-18 indispensables.
      Il y a laissé un bras, pas mal d’illusions, et des douleurs pour le reste de sa vie…
      (Et le reste de son oeuvre, ça plane quand même un peu au-dessus de Raboliot et autres Solognardises…)

      Et lui, était Suisse, il était un engagé volontaire pour défendre une patrie qui n’était pas la sienne mais qui, à ses yeux, représentait la démocratie.
      Ou Appolinaire, autre métèque, gravement blessé également, et qui y a finalement laissé sa peau (si on considère comme une conséquence de la guerre la grande grippe qui a fauché par millions des hommes et des femmes à l’organisme affaibli).

      Lui, au moins, n’a pas été traîné de force dans cette boucherie (ainsi qu’il convient de qualifier aujourd’hui ce qu’on appelait autrefois la Grande Guerre) !

      A moins que… ce soit justement cela qui gêne nos actuels dirigeants…
      Pas très politiquement correct aujourd’hui, ceux qui, comme Cendrars d’un côté, Jünger de l’autre, sont partis au combat avec enthousiasme pour défendre ce qu’ils considéraient, respectivement, comme la bonne cause…

      Dérision, de la part de personnages haut placés et eux-mêmes dérisoires…

  45. Finalement, je dois rendre hommage à la Pléiade : publier aujourd’hui les écrits de guerre de Jünger est un acte de résistance contre l’air du temps proprement inouï.
    (Je ne veux nullement entonner les vieilles trompettes de la gloire militaire, moi qui fut objecteur de conscience, mais simplement restituer les hommes du passé à ce qu’ils furent réellement, et non pas ce que nous aurions aimé qu’ils soient.)

    Cendrars, Céline, Jünger dans la Pléiade : pourvu que ce panthéon là n’accueille jamais Maurice Genevoix !

    • Merci, cher Luckas ! L’éloquente démolition que voici, et irréfutable… « On peut entreprendre une édition à toutes sortes de fins. Lorsqu’on y travaille une seule subsiste, dictée par les devoirs du savoir – ils existent – et par l’admiration : faire lire l’œuvre, non nécessairement comme on l’a lue, mais comme on pense qu’elle doit l’être. Comment H. Scepi, responsable de cette édition, veut-il qu’on lise Les Misérables ? Je serais bien en peine de le dire, tant ce Pléiade semble n’avoir eu d’autre ligne directrice que de « faire un Pléiade » ».

      Ne vous avais-je point dit, Tigrane, mon scepticisme devant la qualité de cette édition sitôt que je l’ai eue maniée, cependant que vous lui trouviez des qualités ?

  46. Je fais suivre deux compte-rendus critiques concernant Mallarmé et Cocteau parus dans Histoires Littéraires en 2004 (numéros 17 et 18).

    Stéphane Mallarmé, Œuvres complètes, tome II, édition présentée, établie et annotée par Bertrand Marchal (Gallimard, Pléiade, 2003, 1936 p., 73 €).

    Qu’aurait dit ledit Stéphane de cette avalanche de pages, lui qui, tout en n’hésitant pas à se démultiplier, entendait, peu prolifique, rester un écrivain concis ? Faut-il rappeler sa lettre-testament à ses « chéries » du 8 septembre 1898, la veille de sa mort ? « Vous ne vous étonnerez pas que je pense au monceau demi-séculaire de mes notes, lequel ne vous deviendra qu’un grand embarras ; attendu que pas un feuillet n’en peut servir. Moi-même, l’unique pourrais seul en tirer ce qu’il y a… Brûlez, par conséquent […]. Ne soumettez même pas à l’appréciation de quelqu’un : ou refusez toute ingérence curieuse ou amicale. Dites qu’on n’y distinguerait rien, c’est vrai du reste. » Cette lettre concluait le tome I, sorti il y a cinq ans (Œuvre poétique, 1530 pages).

    Voici donc le tome II, Œuvre critique et pédagogique, 1908 autres et non moins copieuses pages – textes, variantes et gloses inclus –, soit, à coup sûr, plus qu’en trente-sept ans de carrière dans les lettres, Mallarmé n’en a jamais écrit. Le choix ayant été fait, au départ, de ne pas suivre l’ordre chronologique, il fallait trouver d’autres moyens de s’y retrouver, de retrouver une cohérence dans cette véritable cuisine alchimique à laquelle Mallarmé n’a cessé de se livrer, à travers ses publications sans cesse remises à l’ouvrage – pour le plus grand cauchemar de ses éditeurs –, prêt effectivement, dans le même temps, à tout sacrifier « comme on brûlait jadis son mobilier et les poutres de son toit » pour « alimenter le fourneau du Grand Œuvre », pour le Livre unique, « architectural et prémédité », ne dépendant plus du hasard de l’inspiration et qu’il sait irréalisable.

    Où l’on découvre ainsi – et pourquoi craindre d’appeler les choses par leur nom –, après le poète d’une certaine manière enfermé dans son cabinet de travail, l’écrivain public, voire mondain, qui, sans rien sacrifier de ses exigences créatrices, entend, plus encore que trouver un impact pour satisfaire l’éventuel narcissisme auquel il a clairement renoncé, provoquer par ses œuvres – les livres, il l’a assez explicité, étant pour lui les seules vraies bombes –, la révolution sociale dont la fin du siècle sent la nécessité. On découvre, plus qu’un critique, n’entendant nullement, lui, avancer de théorie, mais pratiquer une « pyrotechnique », et précise-t-il, « non moins que métaphysique », un journaliste qui, parallèlement à sa fort mal vécue fonction de professeur d’anglais, et au moins par compensation, va s’employer à conquérir tous les terrains, des Lettres aux divers arts, ne va pas hésiter à tremper sa plume pour traiter du plus petit comme du plus grand fait divers, à prononcer les plus vibrants éloges et lancer de vigoureuses campagnes en défense quand cela s’avère nécessaire. Faut-il détailler ? L’ensemble des textes est très majoritairement connu et, hors du plaisir de la redécouverte, n’offre que peu de surprises.

    Mais c’est en ayant refait l’ensemble du parcours (un très bienvenu récapitulatif chronologique, aux pages 1823 à 1828, remet le lecteur sur les rails) que l’on reste époustouflé. À l’instar de Vallotton dans la gravure, Mallarmé offre la plus somptueuse galerie de portraits de l’avant-dernier siècle finissant : au premier rang, bien sûr, les « poètes » (Villiers-de-L’Isle-Adam, Verlaine, Poe), suivis par les peintres (Manet, Whistler) ; on déniche même une Loïe Fuller et une Georgette Leblanc. Maintenant, que l’on cesse de parler d’« éclectisme », qui sous-entend le papillonnage, voire le négligé : viennent immédiatement contredire la conférence sur Villiers, modèle d’oraison funèbre, comme le souligne Bertrand Marchal, ou la préface à Vathek (ces deux textes inaugurent d’ailleurs ce deuxième tome), un modèle de travail bibliophilique. Et l’on se trouve bien face à un feu d’artifice, ou, pour rester dans le registre armurier, à un sacré cocktail. Mais ce monument, tout impressionnant qu’il soit et tel que reconstruit, ne se révèle pas sans failles. La première question qui saute aux yeux est la suivante : était-il nécessaire, certes pour balayer aussi le travail de traducteur de Mallarmé, d’insérer les textes purement pédagogiques (l’ensemble des Mots anglais), réelle « besogne alimentaire », et dont Bertrand Marchal explique par le menu qu’il ne s’agit que d’un travail de seconde main, en outre puisé à de fort vieilles sources ? Sauvons Les Dieux antiques, qui rappelle étrangement La Guerre des dieux d’Évariste de Parny, mais pour le reste… Cela aurait peut-être permis d’introduire, comme dans le premier volume, un peu de correspondance, ici totalement absente. Absente aussi l’illustration : quatre maigres vignettes pour évoquer Le Corbeau de Poe-Manet, deux pages de couverture pour évoquer La Dernière Mode, mais rien pour illustrer la préface au catalogue d’exposition de Berthe Morisot (Mallarmé n’est pas encore Prévert, rue Sébastien-Bottin !). Certes, aucune illustration ne figurait dans le premier tome : Manet n’a sans doute pas rendu son travail pour L’Après-midi d’un faune ; quant au projet Vollard-Redon pour Le Coup de dés, il est resté inabouti. On entend manifestement s’en tenir à la réponse un peu lapidaire et provocatrice que fit Mallarmé à une enquête qui ne couvrait nullement toute la problématique, « sur le roman illustré par la photographie » : « Je suis pour – aucune illustration » (Mercure de France de janvier 1898). Et, par voie de conséquence, il est à peine tenu compte, voire pas du tout, de recherches récentes, comme celles sur Mallarmé et la mode (1989) ou sur l’édition Lesclide du Corbeau (1994).

    Nous ne soulignerons pas, enfin, l’économie faite désormais sur les notes dans la collection de la Pléiade, sinon pour constater que cette économie crée ici un réel déséquilibre. La multiplication des variantes en devient étouffante, aux dépens de notes plus informatives – et ce « retour au texte, rien que le texte » nous ramène quelque quarante ans en arrière, à la « joyeuse » époque de ce Structuralisme que l’on croyait définitivement dépassé. Une erreur, page 1716 : « Le mot gaz a la même origine que l’allemand Geist, l’“esprit”. » Le mot gaz, disent les dictionnaires, a été créé par le chimiste van Helmont à partir du grec chaos, signifiant « espace vide » – lequel n’a rien à voir avec le mot allemand Geist, qui viendrait du ghost anglo-saxon.

    Cocteau. Jean Cocteau, Théâtre complet, édition publiée sous la direction de Michel Décaudin, avec la collaboration de Pierre Caizergues, Pierre Chanel, Gérard Lieber, Francis Ramirez, Christian Rolot et Jean Touzot(Gallimard, Pléiade, 2003, 1870 p., 70 €).

    Ce n’est pas sans tristesse que l’on ouvre ce volume, dirigé par Michel Décaudin, récemment disparu, et qui aura apporté à Cocteau la même passion, le même zèle et la même attention qu’à Apollinaire et à tant d’autres poètes. Après les poésies de Cocteau, voici donc son théâtre consacré dans la collection de la Pléiade. La production dramatique de Cocteau fut très abondante et témoigna d’une fascination pour la scène, qui l’empoigna dès sa jeunesse. D’aucuns diront que Cocteau étant essentiellement un homme en représentation permanente, le théâtre devait fatalement le tenter tôt ou tard. Peut-être est-ce même là ce qui le relie à un certain XIXe siècle et à l’époque de Proust : cette fascination du théâtre, de la scène et du jeu de l’acteur, et aussi ce rêve d’un public élargi et populaire.

    En fait, les débuts dramatiques de Cocteau ne datent que de 1917, avec Parade : le poète avait précédé le dramaturge. Mais la magie du théâtre perdura toujours chez lui et se doublera d’une fascination accrue pour le monde du cirque, du music-hall (on trouvera dans ce volume des chansons de lui, certaines assez prenantes) et des ballets. Ce gros volume montre aussi à quel point la production dramatique de Cocteau fut diverse et, parfois, un peu incertaine : on y lira notamment une pièce inédite, Le Baron Lazare, qui date de 1920 et qui montre à quel point le Boulevard fascinait l’auteur des Mariés de la Tour Eiffel. Il est étonnant de penser que cette pièce à la Bernstein, d’ailleurs bien ficelée, fut écrite en 1920, et l’on se dit que Cocteau a bien fait de ne pas la publier, non qu’elle soit mauvaise — c’est, répétons-le, de l’excellent Boulevard —, mais parce qu’elle est assez déconcertante. Elle montre que Cocteau resta prisonnier de certaines admirations d’enfance et de jeunesse — les mêmes, en somme, qui lui feront vénérer jusqu’au bout la poésie potagère et mondaine d’une Anna de Noailles.

    Son œuvre dramatique est assez diverse, qui nous fait aller du mélodrame de L’Aigle à deux têtes et du néo-classicisme de Renaud et Armide à la modernité dépouillée du Bel Indifférent, en passant par bien d‘autres formes et étapes. Elle se disperse aussi, à l’occasion, en « sketches, monologues et chansons », d’où émerge pour nous surtout La Voix humaine. Quant à Bacchus, dont l’échec, en 1951, mortifia tant Cocteau, cette pièce décevante ne résiste pas, comme le note Jean Touzot, à la comparaison avec Le Diable et le Bon Dieu de Sartre, bien plus brillante et efficace dans son cynisme diabolique.

    Certaines tentatives sont en revanche curieuses, comme La Cantate (1920) ou Le Gendarme incompris (1921, écrit avec Radiguet). Dans tout cela se fait un jour, à côté d’un grand sens du théâtre et des ressources de l’art dramatique, une facilité de parole qui, lorsqu’elle parvient à se dégager des charmes du Boulevard, s’emploie souvent à rajeunir certains mythes : voie par laquelle le théâtre, chez Cocteau, rejoint la poésie. On l’aura compris, il y a, dans toute son œuvre, une grande unité, qu’on est libre d’apprécier ou de rejeter, mais qui, sous la diversité permanente et parfois un peu irritante, révèle une poésie constamment agissante. De là le caractère si particulier de son théâtre, son côté disparate, mais aussi sa richesse et sa complexité.

  47. Merci beaucoup Luckas pour ce lien passionnant. Reste évidemment que Hugo est bien plus fort que des problèmes de majuscules, des erreurs dans la chronologie ou de datations de livres! Et éditer, c’est toujours faire des choix. Ce que j’ai trouvé très intéressant est de montrer (de démontrer) que désormais une édition pourtant minimale, de textes inédits ou de variantes n’est plus à la hauteur de la Pléiade…. (On est loin du Proust Tadié par exemple) Dommage. Tant pis. On le savait tous ici déjà hélas. Mais le «plaisir du texte » de la relecture des aventures de Jean, Cosette, Gavroche, Marius dépassera toujours la Pléiade. Je le relirai encore mon Pléiade pour revivre leurs aventures (même si je commence à les connaître assez bien !) Hugo forever

    • Et oui, Tigrane, encore une fois je suis sur la même ligne. 🙂

      Lorsqu’on « entreprend une édition », la seule fin est… de faire livre l’œuvre.

      Pour le reste, qui s’en soucie…

      Il a été fait mention du Virgile : je l’attendais en Pléiade depuis des année, je l’ai acheté à sa sortie, et c’est un excellent ouvrage, hautement recommandable.

      • Vous pensez ce que vous voulez, Lombard, et vous avez toute liberté de le dire. Recommandez les livres que vous voulez, et dans les éditions que vous voulez. Peut-être même avez-vous raison, au fond, en tous cas vous ne manquez certainement pas d’approbateurs. Je ne vous apporterai pas la contradiction, exercice vain et sans fin.

        Mais, de grâce, ne préjugez pas de ce que pensent les autres, ne décrétez pas qu’ils pensent tous la même chose que vous.

        « Pour le reste, qui s’en soucie ? »

        Nous sommes quelques-uns à s’en soucier. Permettez-nous de nous en soucier et de le dire, usant du même droit que vous à s’exprimer.

        Le dialogue s’arrête là. Vous êtes un peu décourageant, à la fin.

        • Aïe. Notre Domonkos est de mauvais poil aujourd’hui.

          Moi en ce moment je suis dans Rimbaud — je m’y balade, je m’y promène, je m’y arrête, pour mon plaisir. Et toujours ce même enchantement qui ne se dément pas. Il y a là de vraies petites merveilles de la langue, de vraies petites beautés qu’on dirait semées au hasard et qui vous prennent par surprise.

          Bon dimanche à tous.

          • Je vous salue, Ahmed, c’est toujours un plaisir que de vous lire, et, non, je ne suis pas de mauvais poil. Bien à vous.

          • Et puis, oui, Rimbaud est l’idéal représentant du mystère absolu qui est susceptible de nous faire croire au génie.

            Cette étrange créature qui peut prendre possession d’un homme pour la vie entière et tout brûler autour de cet homme, comme dans le cas de Hugo, ou bien pour une brève visite de quelques années et brûler son hôte de passage, comme dans le cas de Rimbaud.

      • Lombard, je ne renonce pas à vous éduquer, mais c’est la dernière fois que je m’y efforce – c’est comme de prêcher dans le désert. La Pléiade Virgile représente le fruit des cogitations de trois professeurs de lettres classiques pur jus dont la compétence philologique se mesure à la piètre bibliographie des deux auteurs survivants (Jeanne Raison est restée presque inféconde durant toute sa carrière; Philippe Heuzé, lui, n’a quasiment rien produit après son éprouvante et peu savante thèse sur la corporalité dans Virgile [1985, avec dix pages de références sur les 683 que compte l’ouvrage, soit l’un des travaux les moins bien documentés de toute la Collection de l’Ecole française de Rome) et surtout à leur absence abyssale de réalisations en matière de latinité technique (si le troisième auteur, Alain Michel, fut un ponte de la Sorbonne en raison de son immense thèse tentant de réhabiliter Cicéron comme penseur au truchement de son usage de la rhétorique [1960, réimprimée en 2003], le métier d’éditeur de textes lui demeura tellement étranger qu’il se dédit de la besogne qui lui avait été confiée au lendemain de sa soutenance de publier dans la collection Budé un volume de la correspondance de Cicéron, de sorte que c’est Jean Beaujeu qui s’en chargea [cf. le tome VI, 1993, Avertissement de la p. XIII : « la personne qui s’était chargée de la tache ayant finalement renoncé, nous nous sommes résolu à répondre positivement à la demande insistante des dirigeants de l’Association Guillaume Budé (…) et à éditer le volume manquant dans le même esprit que les tomes VII à X »] ; Michel n’a donc jamais édité que le « Dialogue des orateurs » de Tacite dans la petite collection de textes commentés Erasme, série à la qualité variable mais généralement peu tranchante et surtout sans la moindre ambition du côté de la Textkritik). Oeuvre de deux seconds couteaux et d’un mandarin surfait, la Pléiade virgilienne manifeste d’entrée de jeu son orientation littéraire : tout ce qui concerne les manuscrits et l’établissement du texte montre une imprécision, voire une négligence (le texte latin reproduit en face de la traduction n’est même pas sourcé !), dont on prendra conscience en comparant les rubriques similaires de Pascal Thiercy dans sa Pléiade d’Aristophane, pour leur part parfaitement calibrées (malgré les défauts de la critique philologique des textes dont se font écho les conjectures personnelles de cet éditeur). Il est entendu que Raison, Heuzé et Michel n’avaient rien à contribuer dans ce domaine ; malheureusement, la critique virgilienne dont ils se font l’écho manifeste deux générations de retard par rapport à son état actuel, où éditeurs et commentateurs tendent à soupçonner le texte reçu à l’appui de questionnements techniques de plus en plus sophistiqués (si les auteurs des très grands commentaires savants de notre époque, principalement Nicholas Horsfall, restent attachés à un certain conservatisme textuel, cependant beaucoup moins rigide et a priori que celui de la triade Pléiade, la nouvelle édition Teubner de Virgile, elle, signée de deux savants italiens, propose un assez grand nombre d’aménagements textuels). Une Pléiade virgilienne qui traduit et commente un texte latin très proche de celui des éditions quadra- et quinquagénaires de la collection Budé s’interdit de servir de passerelle entre le grand public cultivé et le cénacle bouillonnant des spécialistes du poète de Mantoue. Attendu que le commentaire proposé par la triade, essentiellement littéraire et appréciatif, où l’on peut certes facilement trouver des choses intéressantes à côté d’un fatras élémentaire difficile à écarter compte tenu du fait que la densité allusive et culturelle des Bucoliques, des Géorgiques et de l’Enéide ne saurait de nos jours plus faire sens qu’à des humanistes chevronnés, constitue l’ensemble exégétique le plus imposant paru en français depuis la riche annotation des Belles Lettres, on ne peut s’empêcher de regretter que cette Pléiade s’appuie sur un texte traditionnel reposant sur un consensus mou et passéiste (c’est pire encore du côté de l’Appendix uergiliana, ce petit corpus de poèmes anonymes attribués à Virgile par une tradition antique assez mince et dont la quasi totalité n’a que fort peu de chances de remonter à sa jeunesse ; ces poèmes difficiles et mal transmis, qui n’ont jamais été édités en Budé, sont reproduits on ne sait de quelles éditions, traduits de manière rase-mottes et annotés à la va-comme-je-te-pousse par Mme Raison, qu’il faut bien admettre ignorante de toutes ces questions). La traduction Pléiade du Virgile des grandes oeuvres n’est pas enthousiasmante ; elle a plutôt moins de panache que celles disponibles aux Belles Lettres (Eugène de Saint-Denis et surtout Jacques Perret furent de fines plumes), et si elle fait jeu égal, pour l’Enéide, avec la version récente du vétéran Paul Veyne, très inspirée, ce dont je ne suis pas certain du tout, c’était une idée vraiment inepte que de la disposer par stiques en face de chaque hexamètre latin. On y perd l’impression de coulée fluide, à la fois aisée et ample, produite par la lecture de l’original, au profit d’une fausse littéralité qui, de toute manière, n’arrive pas à la cheville de celle de Maurice Rat dans sa très bonne édition Garnier de l’Enéiade (par surcroît équipée d’une annotation ne laissant dans l’ombre aucune allusion, aucun nom propre, aussi toponyme). Quant à la préface et à l’introduction Pléiade, je n’en dirai rien sinon qu’elles ne méritent même pas le silence, par leur amphigouri, leur enfilade de poncifs scolaires éculés, leur académisme exsangue. Au total donc, un Virgile pas déshonorant qui offrira au lecteur pressé un bel ensemble de gloses arrivé à une version solide mais reposant sur un texte latin dépassé, et qui donne au lecteur tant soit peu connaisseur du maître de l’épopée romaine le sentiment d’une conversation hors du temps entre professeurs de lettres à l’ancienne mode – absolument pas la distillation personnelle de l’état présent des connaissances sur Virgile.

        • Voici deux exemples choisis pas tout à fait au hasard des capacités de Mme Raison comme traductrice (sur la Ciris, ou Aigrette, dont la dernière traduction française est celle d’Auguste Haury en 1957, réduction balourde d’une thèse complémentaire par l’auteur de l’inénarrable « L’ironie et l’humour chez Cicéron ») :

          v. 26 cum leuis alterno Zephyrus concrebuit Euro :

          « quand le Zéphyr léger, prenant de la force, a remplacé l’Eurus » est charabia tout pur car enfin, malgré l’amphigouri de l’expression (alterno !), comment diable un vent, même quand il forcit, peut-il en remplacer un autre et le Zéphyr se substituer donc à l’Eurus pour pousser le char ? Le commentaire de référence, par l’anglais Oliver Lyne (Cambridge, 1978, pp. 111-112), propose la seule version intelligible :  » ‘when the gentle Zephyr gathers strength (‘freshens’) alternating with Euro’, i.e. (I suppose) first one blows and then the other ; they blow in alternate gusts ».

          v. 84 … dictam Veneri uotorum uertere poenam :

          « (elle avait osé, ausa quod est : v. 83) détourner le tribut des voeux faits à Vénus ». Le rendu de dictam par ‘faits à’ est grammaticalement fautif, dans la mesure où dictam va avec poenam, non avec uotorum, et esquive la difficulté à rendre le registre précis du verbe. En outre, et surtout, s’il n’est pas impossible de prendre poena au sens de ‘argent à payer pour accomplir ses voeux’ (la plupart des interprètes ; ce serait la latinisation du grec ποινή, donc un hellénisme), le bât blesse en ce que la dîme des putains romaines était un gage de remerciement envers leur déité patronne, nullement une obligation dont l’abstention encourrait la colère de celle-ci. Il vaut mieux considérer uotorum comme corrompu et lui chercher un substitut qui justifie beaucoup mieux tant poenam que dictam.

          Dans ces deux cas de figure, Maurice Rat traduisait beaucoup plus judicieusement : « lorsque alternant avec l’Eurus frémit le léger Zéphyr » ~ « (elle avait osé) s’approprier le prix des voeux dû à Vénus ».

  48. Il faudrait tout de même rester un peu sérieux et savoir de Quoi on parle. On parle de la Pléiade. On ne parle pas de Folio, de Quarto, de Bouquins ou d’Omnibus… Je prend les dirigeants de la Pléiade au mot. Or, que disent-ils ?

    Ils disent que la Pléiade a vocation à ne publier que le Meilleur et dans la meilleure version possible. La Pléiade n’est certes pas une collection universitaire, mais elle s’adresse à un public cultivé et exigeant. Non seulement elle prétend sélectionner les meilleurs textes des meilleurs auteurs, mais elle prétend en donner l’édition « définitive » (ce pourquoi, elle n’hésite pas, lorsque les progrès de la recherche ont apporté du nouveau, à refaire des éditions de Classiques tenant compte de ces progrès : voir Marcel Proust et d’autres.)

    Elle se veut incomparable.

    C’est ce que je lis sous la plume de ses présentateurs. Donc, je leur demande de tenir leurs promesses. S’ils ne doivent me donner qu’une édition de même niveau que les éditions courantes, alors je puis me contenter de ces éditions courantes ; tant pis, je ferai le deuil du papier bible, de la reliure et autres jolis atours dont elle se pare. Je ne me satisferai pas d’une édition médiocre sous un bel emballage.

    Ce faisant, je reste fidèle aux intentions déclarées des dirigeants de la Pléiade. Je ne me fond pas sur mes propres goûts personnels ou mes préférences. Je crois que certains lecteurs, qui sont très « compréhensifs » avec des pléiades assez quelconques, se trompent de collection. Pour lire des Classiques sous une couverture attrayante, sans établissement rigoureux du texte ni appareil critique, il y a les Jean de Bonnot (on trouve aussi, chez les bouquinistes, les anciens « Portiques » qui sont d’un niveau éditorial un peu plus élevé, tout en étant d’assez jolis objets).

  49. Je suis d’abord du côté du texte et du plaisir de lire. Mais l’édition compte aussi. Voir par exemple pour moi (non germaniste) mon plaisir d’avoir lu que dis-je dévoré! les 2 Kafka nouveaux. Mais notre Domonkos s’illusionne beaucoup. Oui la Pléiade devient un Qurto (cf. V. Woolf). Ou elle est parfois inférieur à un volume Bouquins. Tant pis. J’aime mon Hugo et je relirais ses Misérables. Je voudrais répéter ici un post d’un de nos participants qui m’a énormément et même (j’ose l’écrire) touché: moi aussi j’attendais avant mes Pléiades avec bonheur joie délectation j’attendais de lire TOUT d’un auteur que j’aimais ou découvrais. Comme le dit Brumes avec des inédits (c’était avant internet et Gallica). Aujourd’hui on a des « coffrets », des rééditions, des œuvres plus du tout complètes (Perec) des Volumes dont on a déjà tout lu et dans lesquels on apprend rien (V.). Et mon Jean d’Ormesson. C’est comme ça. Me reste le plaisir de lire. Je ne suis pas un lecteur sérieux finalement…. Même le Virgile je l’avoue, pardon m’a intéressé. Sic transit gloria Pléiadi

    • Cher Tigrane, ne vous méprenez pas, peut-être n’ai-je point été assez clair : je ne m’illusionne pas sur l’état réel actuel des pléiades, je parle seulement des attentes élevées que nous serions en droit d’avoir, au vu des prétentions affichées par les dirigeants de la Pléiade. C’est pourquoi nous sommes fondés à critiquer la médiocre ou la moyenne qualité des éditions qui nous sont données trop souvent (avec des exceptions de moins en moins nombreuses, comme j’ai pu le vérifier en procédant à une recension détaillée des parutions des deux dernières décennies, que je me suis amusé à faire ces derniers jours).

      Par ailleurs, j’éprouve toujours un plaisir pur et simple à lire les « bons auteurs », qu’ils soient ou non bien édités, et j’éprouve de coupables penchants pour des ouvrages dont je connais les graves défauts. J’ai plusieurs fois cité le cas Jules Verne qui fut une énorme déception, mais que je suis heureux de posséder et que j’aime parcourir, car il n’y a, pour cet auteur, aucune édition satisfaisante à opposer à la Pléiade.

      Mais, peut-on se satisfaire du fait que la Pléiade borgne demeure reine au pays des aveugles ?

      • « en procédant à une recension détaillée des parutions des deux dernières décennies, que je me suis amusé à faire ces derniers jours »…??? Une fois de plus, j’écris comme un cochon… la fatigue d’une semaine « d’itinérance mémorielle » sans doute…

  50. Je sais avoir beaucoup critiqué la Pléiade et ce depuis longtemps (Marguerite !) mais bon on ne sait jamais. Un jour peut-être… on retrouvera des volumes riches et enrichissants.

    • Pour Virgile, je suis comme vous, Tigrane.
      J’ai lu les critiques de NeoBirt7 sur la pléiade et, autant que je puisse m’en rendre compte, elles me semblent justes et fondées. Mais cela ne m’a pas empêché de l’acheter, pour le plus grand plaisir du non-latiniste que je suis. Du moins, les avertissements de notre ami, m’empêchent de tomber dans une admiration sans réserve, et me conduiront à ne pas me contenter de cette seule édition. (J’avais d’ailleurs toujours gardé les GF que j’avais lu à 14 ans, coupable fétichisme, et acquis la récente traduction de Paul Veyne, qui avant d’être un « vétéran », pourtant toujours « inspiré », avait éclairé de ses lumières ma vision de la Grèce Antique, vers mes 20 ans.)

  51. Je suis bien d’accord avec vous cher Domonkos même si hélas je n’aurais pas le temps d’aller voir d’autres éditions pour Virgile. (J’avais reculé devant Veyne mais peut-être que je vais la lire) Moi qui attends (attendais ?) Ovide en Pléiade je ne suis plus très sûr… Quant à « l’admiration sans réserve » des Pléiades, je crois que ça fait longtemps que…. tant pis. Reste la lecture. Et qui sait ? L’admiration sera pour 2019? Duby ? Gary? Michelet? Jean D’Ormesson tome IV ? Des heureuses surprises à venir? « Le pire n’est pas toujours sûr ». Quoique…

    • @cher Domonkos
      Vous nous avez appâtés avec votre recension des pléiades de ces deux dernières décennies. Quel est votre verdict ? Quelles sont ceux qu’on doit éviter ? qu’on doit acquérir ? Dites-nous en plus si vous avez un peu de temps.
      @cher Tigrane
      J’ai finalement pu dénicher chez un bouquiniste un Yourcenar Essais et Mémoires avec toutes ses pages et même s’il y a des coquilles je m’en délecte néanmoins.

      • Je me suis amusé à faire ce travail, pour vérifier mes impressions, je ne suis pas sûr que d’autres le trouveraient amusant. Cela risque plutôt d’être carrément enquiquinant… J’avais choisi arbitrairement les deux dernières décennies, je me suis retenu d’étendre mon champ d’investigation à la décennie précédente, crainte que le constat ne devienne accablant.

        En fait, c’est la vieille question du verre à moitié plein et du verre à moitié vide. Bien sûr qu’il y a de belles choses parues ces dernières années et, bien sûr que je souhaite tout de même longue vie à la Pléiade (en espérant ne pas voir ce que j’ai vu dans plusieurs quartiers de nos villes, à Grenoble notamment : sauver en la rénovant respectueusement une façade historique, et construire un nouveau bâtiment derrière, accolé à elle).

        L’inquiétant c’est que je vois se multiplier au cours des quatre ou cinq dernières années les signes… inquiétants. Est-ce le signe d’une inéluctable « décadence » ou bien seulement un mauvais moment à passer ? Mon optimisme (si, si, en grattant sous mon manteau de récriminations, on peut le dénicher) m’inviterait à choisir « le mauvais moment à passer », mais le contexte général de la place de la littérature dans notre monde, et du marché du livre, me pousserait plutôt versant pessimisme.

        Je ne suis pas prophète, j’espère sincèrement me tromper et, en attendant, même si on sait que l’hiver va suivre, il y a vraiment de belles choses dans l’automne : profitons-en !

    • Si je me souviens bien, l’un d’entre nous nous avait communiqué des informations sur le premier semestre 2019, qui avait l’air alléchant : en ce qui concerne les auteurs, du moins, sous réserve de la qualité de l’édition.

      On pourra toujours, bien sûr, contester la nécessité de mettre Gary en vedette, mais je serai bon prince, même si moult très grands auteurs auraient dû avoir la priorité sur lui, j’avoue éprouver une certaine tendresse à son égard. Je sais bien que je fais là preuve de la pure et simple subjectivité : pourquoi critiquer Roth, Kundera, et consorts, et se montrer complaisant pour Gary ? Eh bien… parce que je suis un humain et donc, atteint par toutes les faiblesses humaines. Et puis, je me dis : oui Gary peut sembler moins urgent que bien d’autres (inutiles de les nommer, nous les connaissons tous), mais le publier aujourd’hui en Pléiade est peut-être une tentative de le sauver de l’oubli. Plus tard, il risquerait d’être trop tard, qui se souviendrait de lui dans vingt ans ?

      Par ailleurs, Ovide en Pléiade, qu’est-ce que j’en serais heureux (et tant pis si la qualité de l’édition ne dépasserait sans doute pas celle de Virgile, ce serait tout de même le moyen d’avoir un accès facile et agréable à son oeuvre ; j’ai appris à ne pas placer mes attentes à un niveau plus élevé).

        • Pardonnez-moi, Brumes, mon vieux cerveau a des absences et j’ai du mal à comprendre qui est « la Vide » . De même, remonter le fil pour retrouver les « promesses » du premier semestre 2019, dont je n’ai plus souvenance, est au-dessus de mes forces. Si vous avez cela sous la main sans avoir besoin d’y consacrer trop de temps, je serais heureux que vous nous le rappelassiez. Moult remerciements et autres grâces rendues.

          • 2019 : Nietzsche, Michelet, Duby, Gary
            La Vide : vide, forcément vide. Je me demande vraiment pourquoi on fait si grand cas de ses bavardages (peut-être au motif qu’elle remplit quatre volumes Pléiade de néant, forcément néantissime).

          • ah ah ah ! Merci.
            Bon, j’attends donc Nietzsche, avec une impatience gourmande…
            et, tant pis,
            tout en me battant la coulpe, je ferai l’emplette des Gary (oui, je sais…) et de l’Album (en y guettant les photos de Jean Seberg, je l’ai déjà dit, mais ça me fait plaisir, toute une jeunesse de cinéphililie…)

          • …à propos de « la Vide », j’avoue que dans ma prime jeunesse j’ai été pendant un certain temps bluffé par sa prose et sa pose… hé oui ! j’ai fait pire encore, j’ai bien été aussi Mao… Aujourd’hui je la vomis (vomir du vide, faut le faire), je le dis juste pour prouver que je ne suis pas entièrement soumis à mes vieilles amours de jeunesse… D’elle, il ne me reste que « Hiroshima mon amour » (le film, uniquement le film), je n’y peux rien : Resnais reste mon Dieu !

          • …ah oui, et puis j’avais aimé t’autrefois, « India Song » (au cinéma, toujours le cinéma). Jamais revu, heureusement, comme ça je ne risque ni d’être profondément déçu, ni d’être honteux de continuer d’aimer… Ouf ! Il est des épreuves qu’il faut savoir s’épargner.

          • Et, évidemment, je ne méprise absolument pas Duby, mais je ne sais pas trop quoi attendre d’une pléiade, d’un auteur dont je possède déjà l’essentiel de l’oeuvre dans la Bibliothèque des Histoires (ou, pour le Dimanche de Bouvines, dans Les Journées qui ont fait la France)… à moins qu’on ne l’assaisonne de quelques textes plus rares ou moins accessibles ?
            Dans un cas comme celui-là, tout réside dans la qualité de l’édition.

  52. Vous avez bien raison cher Pléiadophile d’éfeuiller la Marguerite même dans son pauvre Pléiade -riche tout de même de beaucoup de textes rares ou inédits. Vous vous amuserez à trouver les dizaines de fautes d’impressions: la Pléiade nous offre le meilleur des tests pour savoir si nous sommes un lecteur attentif, merci la Pléiade (humour grinçant). Ça pourrait être un nouveau concept Gallimard : trouvez les fautes d’impression d’un volume et gagnez un autre volume de la Pléiade! (Cf. Perec par exemple) Le nouveau D’ormesson va paraître et c’est un « roman » très…. de Jean d’Ormesson. Je n’ai pas détesté. Comme ses manuscrits sont offerts à la Bnf, on aura bientôt une réédition complète de ses volumes Pléiade avec des notes et des variantes choisis! Ô joie !

  53. En attendant – rien à voir avec la Pléiade, pardon – Stan Lee est mort et j’suis tout triste (j’étais pas là pour la mort de Baudelaire et de Marcel Proust, alors, à notre époque, on a les grandes morts qu’on peut).

  54. Cher Domonkos
    J’ai appris également, la mort du grand Stan Lee. J’ai grandi avec Homère, Eschyle, Sophocle, Euripide, Racine, Corneille et… Stan Lee 😄
    C’est amusant de voir comment Stan Lee a recyclé ( inconsciemment sans doute) certains mythèmes et autres figures mythiques indo-européens ; je pense notamment au personnage de Loki, fort peu éloigné de celui analysé par Dumézil.
    À mon sens, la collaboration la plus féconde de la maison Marvel trouvera son apogée avec le tandem Stan Lee- Jack Kirby. Les monstruosités filmiques de la maison Disney ( qui a racheté Marvel Cinematic Universe) sont une insulte à l’âge d’or des Marvel comics.
    Fin du HS…

    • Petite correction, cher Zino. L’essence du trickster Loki a été infiniment mieux esquissée dans les comics de ces vingt dernières années (je pense à l’arc supra-narratif « Siege » et à la seconde série des « Young Avengers ») que précédemment, lorsqu’on le cantonnait à être la Némésis de Þórr conçu en tant que gros bourrin sans aspérités. La gender fluidity de Loki évidente dans les mythes vieux-norrois nous a valu une Lady Loki d’anthologie puis un Loki junior complexe et attachant, tous deux en spectaculaire progrès par rapport au super vilain haut encorné fauteur de troubles qui était de tradition dans l’univers Marvel de « Stan Lee presents » (la plus grosse imposture éditoriale depuis « La chasse spirituelle », mais passons). Lors même que les films disposaient d’un Tom Hiddleston superbe, le MCU a gommé tout cela au profit d’un simple faire-valoir d’un Thor barbu sous stéroïdes, lui-même drastiquement limité par les lacunes du jeu d’acteur de Chris Hemsworth (bovin aux plaquettes de chocolat, comme disent mes arrière-petits-enfants). Rappelons encore que le « Loki » de Dumézil (1948) constitue sans l’ombre d’un doute l’une de ses enquêtes les moins réussies, non seulement obérée par les hypothèques historiques considérables pesant sur la comparaison force qui la traverse entre Loki et l’ossète Syrdon, mais encore et surtout affaiblie par l’impossibilité de tout rattachement du dieu à la trifonctionnalité (son appartenance qua parangon d’altérité et de marginalité à une quatrième fonction telle que postulée par les frères Sauzeau me semble, comme à beaucoup, une solution de désespoir comparable à la prétendue Grande déesse indienne reconstruite par Sergent).

        • L’un de mes arrière-petits fils est atteint de la myopathie de Duchêne et, pour soulager mon fils, dans ma retraite, j’ai pris l’habitude d’aider le petiot à lire ses comics préférés. Avec l’évolution de la maladie, je suis devenu son anagnoste, puis son conteur, quitte à broder un peu à l’aide de mes propres connaissances en mythologies de monde.

          • Respect absolu, cher NeoBirt7.
            Et, sans avoir votre science norroise ou autre, je trouve aussi que le Loki que vous décrivez est de plus en plus fascinant.

            Je vous trouve par contre trop sévère avec « l’escroquerie » de « Stan Lee présents » : ce n’est pas parce que Dieu s’est retiré de sa Création et a laissé ses créatures se démerder sans lui, en feignant de continuer à être l’organisateur du monde, qu’il a cessé d’être Dieu.

            Heureusement que nous avons reçu l’adoubement du Seigneur Brumes, sinon, sans doute quelque gardien du temple nous lancerait l’anathème.

  55. Cher Neobirt7
    Vous ne manquerez jamais de m’étonner 😄
    Concernant les Young Avengers, la laideur numérique du dessin m’a empêché d’aller plus loin que deux-trois numéros.
    Pour Loki, je suis parfaitement d’accord avec vous, son traitement somme toute assez maladroit ( dont le binarisme sans nuances finit rapidement par agacer) le dispute à celui, parfaitement caricatural de Thor. Mais n’oubliez pas que les productions Disney-Marvel sont au pire PG13, il ne faut donc pas s’attendre à des miracles de ce côté-là. Pour Dumezil, il est évident que l’analyse est datée, mais ce fut une lecture plaisante…
    Enfin, en rendant hommage à Stan Lee, j’en profitais également pour rendre hommage à Jack Kirby, l’un de mes dessinateurs favoris, avec ( entre autres) Buscema, Jacobs, Hergé, Heisner et bien sûr Druillet. La production Marvel actuelle ( je parle des comics ) est au mieux, visuellement ignoble et sans aucun intérêt scénaristique. Pour trouver un certain frisson de nouveauté il faut aller du côté de mavericks comme Alan Moore et ses Watchmen, même si Gibbon, à l’illustration, n’est pas à la hauteur des visions de Moore.
    Il est triste, enfin, de constater que les personnages DC au cinéma, sont aussi mal lotis que ceux de chez Marvel. Le Batman de Nolan est à mille lieues de celui ( superbe, baroque, ambigu ) imaginé par Burton ou mieux encore, celui d’Alan Moore ( encore lui ) dans  » The Killing joke ».
    Fin du HS bis.

    • Il me plaît de hautement vous approuver, Zino (sauf une sévérité quelque peu excessive pour Nolan, mais je ne briserai pas de lances pour lui). Je trouve Alan Moore tellement fort qu’il finit par me rendre acceptables les dessins de ses dessinateurs (qu’en tout autre contexte je trouverait tous autant les uns que les autres inacceptables). Druillet occupe une plus grande place dans mon panthéon que Moebius et Kirby est une espèce de Hulk du dessin, à tout point de vue.

      • Fin du HS, il le faut bien, mais ce fut amusant et instructif, et un hommage mérité qui nous change des copié-collé qu’on retrouve dans tous les journaux. Bonsoir Messieurs et merci.

        • Quelle excellente surprise ! Je ne pensais pas trouver ici au milieu de ce panel d’érudits des amateurs de bd. Je n’ai donc plus raison de complexer. Domonkos, si vous aimez Druillet tout comme moi, je signale qu’il travaille depuis près de deux ans à une illustration de l’Enfer de Dante. J’ai hâte de voir ça…

  56. Ça y est, j’ai franchi le Rubicon ! J’ai acheté la pléiade hors numérotation Robinson Crusoe… Toute honte bue. C’est vraiment un très beau petit livre, rempli de plein de jolis dessins (presque un album de bd, hé hé !) et pour les sçavants il y a tout ce qu’il faut, intro et moult notes… C’est mon cadeau de Noël en avance. J’en profite tant que mon Premier Ministre ne nous colle une taxe écolo sur les livres pour cause d’empreinte carbone exorbitante.

    • Bien sûr, le cuir des Pléiade venant de Nouvelle-Zélande, le prix du kérosène des avions des antipodes devra tôt ou tard pris en compte par Gallimard…

      Concernant les volumes hors numérotation, s’il y a un plus par rapport aux volumes originaux (illustrations) pourquoi pas. Quand ils avaient sorti le Don Quichotte sans rien de plus que le texte et un petit dessin de Picasso en couverture j’avais vraiment trouvé ça à la limite de l’arnaque éditoriale alors que des illustrations de Cervantès il y an a des centaines libres de droits.

      • Vous croyez vraiment qu’on utilise des avions pour ce genre de fret ? Un de ces immense porte-containers qui sillonnent les mers et les océans sera bien moins coûteux et bien plus chargé.

          • Non. Evidemment non. Un simple calcul prix du transport divisé par le nombre de tonnes transportées donnera sans aucun doute un coût à la tonne infiniment inférieur pour le prote conteneurs. J’en ai fait personnellement l’expérience durant les années que j’ai passées à Wallis et Futuna. De toute façon, ma petite pointe était juste une blague.

            Je réponds en même temps à Brumes, je sais qu’il n’est pas d’usage de contredire son hôte dans sa propre maison, je demande pardon de ce manque de courtoisie, mais j’étais d’accord avec vous pour les volumes hors numérotation, jusqu’à ce Robinson Crusoe exclu. En effet, ce dernier est un vrai travail éditorial qui apporte quelque chose de nouveau par rapport à la vieille édition Defoe et je le trouve défendable (bien obligé de le défendre, puisque je l’ai acheté). On pourra me rétorquer que, dans ces conditions, on aurait pu faire le travail pour tout le volume Defoe ; certes, mais cela aurait été un boulot d’une autre ampleur (et d’un autre coût, on y revient). Et puis, j’adore posséder Robinson Crusoe sous cet habillage, je trouve qu’il a ses vertus propres, et je suis même content que ce roman emblématique ne soit pas noyé au milieu d’autres textes du même auteur (je m’enfonce, je m’enfonce sans l’ombre d’un scrupule).

            Je ne suis pas encore à même de juger de la qualité des 200 pp. d’intro et de notes, je n’ai fait que survoler le livre. J’y reviendrai peut-être si on me provoque (pour cela, il ne me faudrait pas grand chose : un petit tweet injurieux de Donald Trump, par exemple, suffirait à m’énerver).

          • Domonkos-si-lent-qu’il-ne-peut-lire-Crusoé-d’ici-Noël-et-nous-en-faire-la-chronique.
            #extinction_des_dinos.
            (Trump fut là)

          • « le prote conteneur » (au lieu du porte conteneur), la fôte de frappe est amusante, quand on parle d’édition et d’imprimerie et qu’on songe à l’ancien métier de « prote »…)

          • J’ai suivi des enseignements de géographie économique dans ma lointaine jeunesse estudiantine et il me semble que l’essentiel du fret intercontinental se fait sur des porte-containers. Un avion, qui n’a guère de contenance, ne fait pas le poids, d’autant plus pour une matière non périssable.

  57. J’ai failli m’arrêter à la page XII de l’introduction au Robinson Crusoé, ne pouvant franchir sans frémir l’insupportable et impardonnable « les publications vont croissantes » échappé de la plume de l’auteur de cette édition (dont, par mesure de rétorsion, je me refuse à écrire le nom).

    Mais basta, la Pléiade, depuis quelques années, s’occupe de nous tanner le cuir à l’aide de toutes sortes d’incorrections, d’approximations, d’erreurs et de lacunes, alors, passons outre, me suis-je dit, non sans m’extasier un instant sur mon héroïsme.

    En fin de compte, cette édition se concentre uniquement sur les deux parties du Robinson Crusoé et se débarrasse des encombrants prêches que Defoe a publié par la suite sous le nom de Robinson. Elle reprend la traduction classique de Petrus Borel, mais on précise qu’on a supprimé la plupart des corrections qu’avait apportées à cette traduction Ledoux, l’éditeur précédent de Robinson en Pléiade, sauf dans les rares cas (dixit) où elles étaient vraiment justifiées par des erreurs manifestes. Je ne suis pas en état de vérifier cela, hormis les quelques exemples donnés par l’éditeur et qui sont effectivement édifiants (mais choisis justement pour cela ?)

    La « réhabilitation » de Petrus Borel est renforcée par un texte d’une quinzaine de pages écrit, spécialement pour l’occasion par Steinmetz, qui évoque Borel et lui rend hommage, et défend sa traduction comparée à d’autres, antérieures, contemporaines ou postérieures;

    Et puis il y a les 150 illustrations dans le texte, expliquées par une présentation par leur auteur, donnée en annexe, et le cahier d’une cinquantaine d’illustrations de diverses époques qui montrent surtout la pérennité de l’image de Robinson.

    Enfin, une centaine de pages de notes inédites (au lieu de la vingtaine de pages de l’édition de 1957, ce qui était un format classique à l’époque).

    Je me contente de cette description formelle, voire matérielle, et me garde de jugement critique que je laisse à des lecteurs plus aguerris que moi et savants dans les deux langues.

    Tel quel, cela est à mes yeux un bel ouvrage qui rend justice à Robinson et je le recommande, contre vents et marées (bombardez-moi de tomates si cela vous plaît, j’en ferai des confitures d’automne).

    Est-ce un accident, dans la liste des pléiade annuels hors numérotation, ou bien cela présage-t-il d’une conception un peu plus intéressante de ce type d’ouvrage au sein de la Pléiade ? Les entrailles de la dernière chèvre que j’ai sacrifiée ne m’en ayant rien dit, la réponse se fera attendre une bonne année.

  58. À vous lire cher Domonkos je me demande si je me laisserais pas tenter. J’ai (re)lu les romans de Jean D’O et les deux volumes Kafka. Je suis incapable de juger la traduction mais elle est plaisante à lire. Suis un peu perdu par les lais. Pas très intéressé étonnamment. Relire Robinson parmi toutes les nouveautés littéraires de cette rentrée 2018 (quelle avalanche !) sera une bonne idée. J’attends Gary mais sans impatience. Impasse sur Michelet.

    • En ce qui concerne les Lais, je les ai achetés un peu sur une sorte d’injonction morale, un peu parce que la littérature médiévale m’intéresse, mais sans être un spécialiste et sachant qu’une bonne part restera pour moi lettre morte. Par suite, comme vous, je m’interroge sur le bien fondé de cet achat : aurai-je le temps et la disponibilité d’esprit, la patience, la concentration, pour m’y plonger vraiment sérieusement ? Pas sûr. Je n’ai fait pour le moment que survoler, c’est fou la vitesse à laquelle les piles de livres récemment acquis et à lire s’élèvent (tandis que ma réserve d’années d’espérance de vie et de lecture diminue) ! Je n’en verrai jamais le bout, et à quoi bon me diraient la plupart de mes contemporains (tous ceux qui, depuis l’âge de 12 ans me disent que je deviendrai « fou » comme Don Quichotte à force de dévorer les livres, comme s’il n’y avait pas de fous analphabètes) ?

      Bah, je ne regretterai pas cet achat, quand bien même je n’en goûterais que l’écume. Il y a tant de plaisir à me promener dans ma bibliothèque, à lire celui-ci ou celui-là, parcourir l’un, caresser l’autre du regard, rêver sur ceux que je ne lirai jamais… Chaque livre est une fenêtre sur le monde, d’ici et d’ailleurs, d’aujourd’hui, d’hier et même de demain (de futurs imaginaires), que je les ouvre souvent ou rarement, peu importe, je sais qu’elles sont là, à portée de ma main, de mon regard, de mes désirs…

      • Pour le Robinson, j’avance, j’ai trouvé l’intro assez intéressante (bien sûr, elle aurait pu fait le double et être plus fouillée, mais c’est une bonne entrée, à défaut d’un plat de résistance), le texte de Steinmetz sur Pétrus Borel providentiel, quant on songe combien cet auteur (pas majeur, bien sûr) pourrit dans un cul-de-basse fosse au 3ème sous-sol du genre « romantico-fantastique ». J’ai commencé à lire le roman, me reporter aux notes qui n’ont pas l’air ineptes. Bon, ce n’est pas une édition destinée à satisfaire les plus érudits, mais, quand je la situe dans l’ensemble des romans anglais des 17 et 18ème siècle qui figurent dans la Pléiade, je n’y trouve pas d’édition qui puisse regarder celle-ci de haut.

        Et puis, j’ai un certain goût personnel pour le « roman unique » sous la forme d’un volume pléiade, et suis souvent un peu gêné par la « banalisation » voire « l’anonymat » dans lequel tombent certains romans, pris dans le mille-feuille d’une grosse Pléiade où ils perdent de leur identité (je pense aux séries comme Giono, Conrad, par exemple). Point de vue totalement subjectif, je ne sais si d’autres ont éprouvé ce type d’impression.

        • Les deux volumes anciens Defoe que je possède de longue date et ce volume Robinson, cohabitent parfaitement dans ma bibliothèque, pas l’ombre d’un coup vicieux de l’un aux autres ou des autres à l’un : comme on dit, ils ne jouent pas dans la même catégorie.

        • Et, bien sûr, toutes ces illustrations, qui ont un petit goût de délicieuse nostalgie, un rappel des anciennes éditions de l’époque que la plupart d’entre nous n’ont pas les moyens de se payer.

        • On va finir par croire que Gallimard m’accorde une petite commission sur chaque exemplaire vendu… Si quelqu’un d’entre vous l’achète, sur mes conseils, prière de le faire savoir aux maîtres de la maison sise ci-devant rue Sébastien Bottin, ça me permettra de me payer mon gazoil.

          • Gallimard, notez que j’ai commandé le Robinson Crusoë hier auprès de mon libraire, après avoir lu Domonkos.
            Cher Domonkos, je suis aussi sensible au charme des illustrations.

          • Par ailleurs, Brumes, je vous trouve bien définitif sur ces éditions hors numérotation.
            C’est du bas commerce, et je m’étais promis de ne pas m’y faire prendre, mais il faut y voir au cas le cas, non ?

        • si, j’ai souvent eu cette impression. C’est pourquoi je n’ai que très peu de romans en pléiade. Ainsi, je n’aime que quelques Zola ou Balzac, Or, ils sont en voisinage avec d’autres ouvrages qui m’indiffèrent ou pire m’ennuient. Donc, je n’ai aucun pléiade Balzac ni Zola. Il me semble que les pléiades donnent toute leur mesure lorsqu’ils collectent de la poésie ou des nouvelles ou lorsqu’un auteur tient en un volume d’oeuvres complètes. On peut les lire et les ouvrir au hasard de sa fantaisie et tomber sur un opus rare. Naturellement, ce jugement ne s’applique pas pour les romans gigantesques qui nécessitent un volume ou plusieurs : Romans chinois, le livre du Graal, Proust…

          • Même si je ne vous suis pas au sujet de Balzac (le cas a déjà été débattu, je n’y reviendrai donc pas) – voire de Zola, que pourtant je n’apprécie guère, car les Rougon Macquart forment un bloc compact – je souscris à chacune de vos phrases, et même je les reprends à mon compte : « (…) les pléiades donnent toute leur mesure lorsqu’ils collectent de la poésie ou des nouvelles ou lorsqu’un auteur tient en un volume d’oeuvres complètes. On peut les lire et les ouvrir au hasard de sa fantaisie et tomber sur un opus rare. Naturellement, ce jugement ne s’applique pas pour les romans gigantesques qui nécessitent un volume ou plusieurs : Romans chinois, le livre du Graal, Proust… »

            Idem pour les contes, les récits courts, les oeuvres qui tiennent souvent du fascicule ou du mince volume, les oeuvres qui ne comportent pas de sommets écrasants mais où rien n’est indifférent : Cendrars, Gide, Cocteau, etc. (en sus des poètes, bien sûr), font mon régal en Pléiade, Conrad, Giono, Melville (excepté l’immense « Moby Dick ») et consorts, m’assomment.
            (Etant entendu que cela n’implique aucunement un jugement de valeur sur la qualité littéraire des oeuvres.)

            Je range un Stevenson ou un Kafka dans la première catégorie. Ce qui me dérange c’est un volume comprenant trois ou quatre bons gros romans ; il est vrai qu’avec la diminution du volume… des volumes, le cas se rencontre de moins en moins. Et je reconnais que l’éditeur n’en peut mais, ce n’est pas une raison pour exclure Giono ou Conrad de la Pléiade.

  59. Dans ses notes, l’éditeur moderne donne des éclaircissements, utiles pour le lecteur d’aujourd’hui pas forcément spécialiste, sur les polémiques et débats religieux de l’époque, auxquels Defoe a participé activement ce qui l’a conduit plusieurs fois en prison et obligé à se chercher des protecteurs qui lui ont parfois fait payer leur protection au prix de reniements sur ses principes.
    Replace Robinson dans l’ensemble de l’oeuvre de Defoe (ainsi qu’il n’annonce dans son introduction), en jetant des ponts entre ses divers romans.
    Reprend, en les citant in extenso, d’assez nombreuses notes de Petrus Borel sur sa traduction, notes fort intéressantes et bienvenues : il est assez rare qu’on ait accès, même limité, au travail des traducteurs de l’époque.

  60. Il est très dommage en tout cas que nul ne songe à Guillevic en Pléiade. D’Ormesson entré en Pléiade et pas Guillevic ou d’autres grands poètes, on croit rêver.

  61. Sous la rubrique « Hors Pléiade » : à lire d’urgence et d’extrême nécessité, les Lettres de Guerre, de Jacques Vaché, édition intégrale de toutes les lettres disponibles ou retrouvées, importante préface, notes, etc. LE livre publié par Gallimard en novembre 2018.

  62. Je reviens encore sur la traduction de Robinson par Pétrus Borel (ayant terminé le bouquin, qui, malgré ses 900 pages est du genre qui se lit d’une traite, à condition d’avoir 36 heures devant soi à ne rien faire d’autre, sinon le minimum pour le manger et le sommeil). En fait, l’ensemble des notes de bas de page de Borel (et non pas quelques-unes) sont reprises dans les notes de fin de volume de la Pléiade, entrecoupant celles de l’éditeur moderne.

    Ces notes sont intéressantes, car elles ne parlent que du travail de traduction. Borel laisse à d’autres les analyses sur le roman ou sur les idées et la morale religieuse de Defoe, pour ne se consacrer qu’à l’explicitation de ses choix de traducteur. Il ne s’occupe que de questions de style. Chose assez remarquable et digne d’être mentionnée.

    Il a pour ce faire une bonne raison. Manque de chance qui lui est habituelle, sa traduction paraît, d’abord en fascicules puis en deux volumes, chez un obscur imprimeur qui n’est autre que son frère, en même temps qu’une autre traduction, celle de Mme Amable Tatsu. Borel le Lycanthrope (selon le sobriquet qu’il s’était choisi aux temps du Romantisme triomphant), le poète et conteur des « Rhapsodies », des « Contes immoraux » et bientôt de « Mme Putiphar », le « bousingot », bref un type appartenant au « mauvais genre », face à Mme Tatsu, poétesse couronnée et adoubée par Chateaubriand, parée du titre de « muse romantique », louée par Sainte Beuve. La préférence de Jules Janin comme de l’ensemble des contemporains ira à la muse plutôt qu’à l’homme-loup. Le combat était perdu d’avance et fut effectivement perdu. Trois éditions se succéderont, 1836, 1839, 1845, pour Mme Tatsu tandis que celle de Borel sera ensevelie sous le linceul de l’indifférence.

    Voyant le danger et tentant vainement d’échapper à sa destinée, Borel, dans sa préface (également reproduite dans la pléiade) et dans ses notes, bataille pied à pied, justifiant sa version qu’il prétend exacte et respectueuse de la rude simplicité de l’original, et attaquant celle de Mme Tatsu, laquelle se veut plus élégante et visant à l’édification des enfants. Je n’en puis rien dire, pour ma part, ne l’ayant point lue. Dans sa réédition de 1839, réponse de la bergère au berger, elle ripostera aux attaques de Borel dans ses propres notes, épaulée par une démolition en règle de son rival par son éditeur. Et – humiliation suprême pour son concurrent, décidément battu à plates coutures, dernier clou enfoncé dans son cercueil – elle reçoit, lors de l’édition de 1845, le renfort de Ferdinand Denis qui passe sous sa bannière avec armes et bagages (sous la forme d’une notice érudite qui figurait initialement dans l’ouvrage de Borel pour se retrouver dans celui de Mme Tatsu). Vae Victis ! Il est bien normal que le vainqueur s’empare du butin du vaincu !

    Pourtant, Pétrus Borel, aura sa revanche, hélas posthume (il est mort en 1859, d’insolation, en Afrique du Nord où, d’échec en échec, il tentait de survivre sur un lopin de terre) : tandis que la traduction de Mme Tatsu, après son succès de quelques saisons, disparaissait à jamais des écrans radar, son Robinson, « redécouvert » en 1878, sera réédité tout au long du XXème siècle (y compris dans des versions raccourcies pour les enfants, revanche dans la revanche), et même, avec cette pléiade, jusqu’au XXIème siècle.

    …Où il se retrouve en concurrence avec une nouvelle traduction d’une dame, parue en 2012 chez Flammarion, qui réitère les attaques du type de celle des partisans de Mme Tatsu contre Borel. Malédiction poursuivant le Lycanthrope, un siècle et demi après sa mort ?

    • Dans ce match du siècle, deux coaches se détachent : dans un coin du ring, Chateaubriand, qui fait mention, sous forme laudative, de Mme Amable Tatsu dans ses « Mémoires d’Outre-Tombe » (vous n’avez qu’à chercher où ça se trouve, on ne va pas vous mâcher le travail) ; dans l’autre coin, Baudelaire qui, en 1861, sort le lycanthrope de son cercueil plombé pour rendre hommage au poète et conteur sans qui « il y aurait une lacune dans le Romantisme ».

      • Bon allez, un remords me vient, comme je n’ai pas cherché moi-même la référence, je vous la donne comme je l’ai reçue : « Mémoires d’outre-tombe », Livre XLII, chap. 6, Bibl. de la Pléiade, t. II, p. 889. Ça fait aussi sérieux que la barbe postiche du Père Noël !

  63. Mon cher Domonkos,

    Une chose utile que vous pourriez faire ce dimanche si vous avez un peu de temps, ce serait de nous parler de Jacques Vaché et de cette édition définitive de ses Lettres de guerre 1914–1918.

    J’étais tenté d’acquérir le pdf du livre, mais j’ai eu une petite hésitation. J’ai peur en effet que le fichier vendu en ligne ne soit pas le vrai pdf, c’est-à-dire celui que Gallimard envoie à son imprimeur pour fabriquer le livre papier, mais plutôt une sorte d’ersatz, comme il advient la plupart du temps dans le monde de l’édition numérique, où l’on vous refourgue au prix fort un fichier pdf grossièrement produit par conversion depuis un epub, et ne bénéficiant donc pas du tout de la mise en page finale du livre papier, sans compter que le texte en est généralement rempli de coquilles de toutes sortes. Pour cette raison je préfère en général acheter le livre papier et procéder à sa numérisation (destructive) moi-même.

    Mais laissons cela et parlons, ou plutôt parlez-nous de Vaché et dites-nous ce que vous avez pensé de cette dernière édition que vous avez eu l’heureuse idée de nous signaler.

    Je viendrai vous lire entre deux corvées.

    • De grâce, laissez moi un peu de temps. Je suis comme une poule qui a trouvé un couteau, devant un énorme sac rempli d’un méli mélo de quincaillerie et une montagne de portes, cloisons, plans de travail, avec, derrière moi, ma cheffe qui attend que je lui monte sa cuisine. Pour bien entamer le boulot et augmenter mon efficacité, j’ai commencé, la nuit dernière, déambulant dans la maison obscure, par buter sur un paquet, me casser la gueule et me déboîter le genou comme le dernier des footballeurs. Mais l’arbitre ne m’a pas fait évacuer du terrain et n’a pas décerner de carton rouge. Boîteux ou non, va falloir continuer la partie !

      ……………………………

      Par contre, c’est vous qui venez de procéder à mon instruction, à propos de l’édition numérique.

      Je connaissais ces éditions bas de gamme : quand je me trouvais à Wallis, à 16 000 kms de ma bibliothèque, la plus proche librairie sise à Nouméa, à 4 h de vol de Mata’Utu, j’avais téléchargé des centaines de bouquins sur mon iPad. Il s’agissait essentiellement de « classiques » libres de droit, dont la numérisation était un travail de cochon, mais je m’en contentais, par force.

      Je n’imaginais pas qu’on pouvait se trouver face à ce genre de produit en payant un bouquin qui vient d’être édité ! D’autant que la version numérique me semble déjà d’un prix parfois un peu élevé par rapport à la version papier, quand on pense que l’éditeur économise la fabrication matérielle et la distribution (transport, marge brute de 30% du libraire…). C’est d’ailleurs une des raisons qui me font renâcler devant ce type d’achat (radin).

      Je n’imaginais pas qu’il y avait des « fous » (pardon, au moins un, en tout cas) qui allaient jusqu’à acheter le livre papier pour le numériser eux-mêmes. J’espère que vous ne « détruisez » pas votre exemplaire papier mais en faites profiter d’autres, d’une façon ou d’une autre.

      Vous m’ouvrez là des perspectives : il y a pas mal de bouquins encombrants dans ma bibliothèque, dont je n’aime pas particulièrement la forme matérielle, que je suis obligé de « jeter dehors » (bouquiniste ou « oeuvreu sociale »), tout en éprouvant un certain regret de n’en plus disposer. Je vais peut-être songer à les numériser avant liquidation (à condition que j’apprenne à le faire, tout d’abord)… Je regrette de n’avoir pas connu plus tôt cette solution, avant de me débarrasser – bouquiniste ou association, de moins en moins bouquiniste et de plus en plus association, quand ce n’est pas la benne – de plusieurs centaines (sans doute des milliers sur la longue durée) d’éditions dites « de poche » toutes plus hideuses les unes que les autres, mais contenant souvent des textes essentiels…

  64. Franchement, ayant relu quelques chapitres de « Robinson Crusoë » dans l’original et m’étant ensuite reporté à la traduction Borel, dont le français ne respire pas une aisance éclatante, moins encore cette propension aux trouvailles verbales que la concision du latin virgilien ou horatien excitait chez les exégètes de ces poètes contemporains de Borel (Daru, etc), je n’y trouve guère motif à enthousiasme. Le sens général est certes perçu et transporté dans le texte français, mais la syntaxe d’ensemble des phrases anglaises, systématiquement recomposée, ne reflète plus les modalités de l’écriture de Defoe. Plus grave, les infidélités de détail sont légion, les contresens graves pas absents. L’incipit en donne une idée assez exacte :

    I was born in the year 1632, in the city of York, of a good family, though not of that country, my father being a foreigner of Bremen, who settled first at Hull. He got a good estate by merchandise, and leaving off his trade lived afterward at York, from whence he had married my mother, whose relations were named Robinson, a good family in that country, and from whom I was called Robinson Kreutznear; but by the usual corruption of words in England we are now called, nay, we call ourselves, and write our name, Crusoe, and so my companions always called me.

    En 1632, je naquis à York, d’une bonne famille, mais qui n’était point de ce pays. Mon père, originaire de Brême, établi premièrement à Hull, après avoir acquis de l’aisance et s’être retiré du commerce, était venu résider à York, où il s’était allié, par ma mère, à la famille Robinson, une des meilleures de la province. C’est à cette alliance que je devais mon double nom de Robinson-Kreutznaer ; mais, aujourd’hui, par une corruption de mots assez commune en Angleterre, on nous nomme, nous nous nommons et signons Crusoé. C’est ainsi que mes
    compagnons m’ont toujours appelé.

    On le voit, Borel coupe systématiquement les phrases anglaises. Nombreuses sont par ailleurs les imprécisions et erreurs de détail (je passe sur les vétilles du type « from whence » simplifié en « où » au lieu de ‘d’où’, ‘à partir de laquelle’) qui, à s’accumuler, affadissent l’original : « a foreigner of Bremen » devient « originaire de Brême » ; « he got a good estate by merchandise, and leaving off his trade » signifie ‘il acquit un beau patrimoine par le négoce » (métonymie) « et abandonnant son activité / métier’, ce qu’un traducteur consciencieux n’a pas le droit d’abréger en « après avoir acquis de l’aisance et s’être retiré du commerce » ; « lived afterwards » n’a aucun droit à devenir « était venu résider », entre le changement arbitraire de verbe et le délestage de l’adverbe temporel ; « he had married my mother, whose relations were named Robinson, a good family in the country » est arbitrairement transformé en « il s’était allié, par ma mère, à la famille Robinson, une des meilleures de la province », paraphrase énergique et non pas traduction (remarquer l’emphase complètement superflue de « une des meilleures de la province » par rapport à l’original ‘une famille distinguée de la contrée’) ; encore plus inadmissible est le changement du connectif « and from whom » en « c’est à cette alliance », gallicisme qui permet à Borel de couper la période anglaise mais n’a aucune autre justification ; « the usual corruption of words in England » = ‘le gauchissement verbal courant en Angleterre’, non « par une corruption de mots » (littéralisme poussif !) « assez commune en Angleterre » ; la particule de renforcement « nay » est délestée dans « on nous nomme, nous nous nommons » (« on nous appelle, bien mieux : nous nous nommons nous-mêmes’ ; remarquer que Defoe utilise deux verbes différents là où Borel répète le même) ; enfin « write our name » ne signifie pas forcément, ni même probablement, « nous signons » (il s’agit bien plus probablement d’une question d’épel). 9 écarts significatifs en quelques lignes d’anglais limpide, presque tous sans la moindre justification philologique, et Steinmetz ose encore louer jusqu’aux cieux cette traduction ! La traduction Viardot de « Don Quichotte » a fait nettement mieux sur un original autrement plus délicat.

    • Comme commentaire global, je veux simplement spécifier que je n’ignore pas la différence de genre qui sépare les traductions littéraires, comme celles de Borel ou de Viardot (car Baudelaire francisant son héros Poe s’est astreint, à quelques coquelicots près, à des exigences beaucoup plus élevées…), des traductions littérales qui se sont progressivement imposées chez nous, en débordant du domaine des sciences de l’Antiquité dans lequel les principes en furent élaborés sous le IIIe Empire. L’imprécision de la version Borel devrait néanmoins la faire soigneusement réviser, dans une mesure plus grande que ce ne fut le cas dans la première édition Pléiade de « Robinson Crusoë », voire conduire à son remplacement par une oeuvre d’une fidélité moderne. Après tout, n’a-t-on pas renoncé à la célèbre version Marmontel de Lucain, qui jeta pourtant un sort pendant un siècle et demi sur cet auteur ?

  65. Cher NeoBirt7, il arrive aux meilleurs amis du monde d’être en désaccord. Dans le cas présent, et sans que nous soyons véritablement les « meilleurs amis du monde », le désaccord est bel et bien complet. Si je puis me permettre, vous devriez épargner votre peine : le travail de re-traduction, plus « moderne » et sans doute plus exact, en même temps que le travail de démolition de la traduction de Pétrus Borel, a déjà été fait, en 2012, par Françoise du Sorbier, chez Albin Michel (je crois que j’ai écrit, par erreur, Flammarion, dans une de mes interventions). Il est donc parfaitement loisible à chacun d’y aller voir, de comparer si ça lui chante, et de choisir selon ses goûts.

    Pour ma part, à aucun moment je n’ai mis la prose de M. Borel au pinacle, qu’il s’agisse de sa traduction du Robinson ou de ses propres écrits (souvent entachés de démarquages de nouvelles anglo-saxonnes, ce qui était alors d’un usage courant, son camarade Nerval s’y est également adonné et moult de leurs confrères). Encore moins ai-je pu laisser croire que je jugeais de Borel à la mesure de Baudelaire ! Il n’est point de comparaison possible entre ces deux-là, c’est au moins un point d’accord.

    Pour le reste, ce que vous appelez des contresens, Seigneur ! quelle traduction échappe à ce reproche ? Ils ne me paraissent pas assez nombreux et pas assez graves pour dénaturer le texte. On pourrait d’ailleurs discuter de chacun. Vous le faites entendre vous-mêmes dans votre seconde intervention, qui ressemble à l’ombre du début d’un début de remords, il y a la lettre et il y a l’esprit. Un seul exemple, vous reprochez à Pétrus Borel d’employer deux verbes différents dans une phrase où Defoe emploie trois fois le même verbe. Personne ne sait mieux que vous que la langue anglaise, traditionnellement, supporte beaucoup mieux les répétitions que la langue française. Vous lui faites grief de couper une longue phrase : je l’en remercie, sinon, cette phrase rendue telle quelle en français serait insupportable ! J’ajoute que je n’idéalise pas du tout la prose de M. Defoe, qui est loin d’être un poète. Très souvent, il m’enquiquine sérieusement et je rends grâce à Pétrus Borel de me le rendre agréable à lire. Tant pis pour l’accusation de préférer « les belles infidèles » qui va me tomber dessus. Je ne crois pas que la version de Borel s’éloigne suffisamment de l’original pour être qualifiée de « belle infidèle ». Pour vous, elle semble être infidèle et pas belle, affaire de goût. Un certain nombre de jugements que vous portez sur elle, quand même s’étayent-ils sur des questions techniques, trahissent votre goût personnel. Même chose de mon côté, mais vous n’échappez pas à la règle.

    Et, pardonnez-moi, si je devais choisir entre la traduction de Borel et celle de NeoBirt7, je choisirais Borel sans l’ombre d’une hésitation. Tant pis pour l’exactitude. Dont je ne suis même pas persuadé : la traduction littéraire n’est pas une science.

    Dernier point, il me paraît impossible de délégitimer la traduction de Robinson par Borel en faisant référence à la perte de prestige de la version Marmontel de Lucain. Quoi de comparable entre une traduction d’une langue proche et d’une oeuvre proche, par la géographie et par l’époque (Defoe/Borel) et celle d’un auteur latin dont plus personne, à l’époque de son traducteur classique, ne parlait la langue (le latin médiéval n’ayant que de lointains rapports avec celui de l’Antiquité), ni ne pouvait se vanter d’avoir rencontré un Romain et connu quelque chose de son vécu ?

    Voilà. Il s’agit simplement de mon point de vue, point de vue de lecteur qui a quelques qualifications en matière de littérature, mais qui n’a pas de prétentions savantes. (Pas tout à fait mon seul point de vue, tout de même : si j’avais « découvert » une traduction obscure, tombée dans l’oubli, je ne me fierai pas à mon propre jugement pour la réhabiliter à cors et à cris ; il se trouve que je ne fais qu’adopter un point de vue que bien d’autres ont eu avant moi.) A chacun de se faire sa propre idée.

    Je ne polémiquerai donc pas avec vous sur les questions techniques, je n’en ai nul désir et, à cet escrime je ne suis point assez fort pour éviter d’avoir le coeur transpercé à votre première attaque. Ne m’envoyez pas vos témoins, ils ne me trouveront pas sur le pré, à l’aube.

    • Je vous accorde très volontiers, que je préfère hautement les premiers mots : « I was born in the year 1632, in the city of York (…) » au faible et inutile « En 1632, je naquis à York (…) », mais rien au-delà.

    • Domonkos, je faisais simplement remarquer que Borel s’autorise trop de glissements ad hoc par rapport à l’anglais : il omet des mots (« afterwards », « nay »), renchérit sur l’original (« good family » devenant « une des meilleures »), surinterprète (« write our name » > « signons ») ou au contraire atténue (« usual » > « assez habituel »), bref en prend vraiment beaucoup à son aise. Defoe n’est pas un grand styliste, mais son anglais présente un charme discret, même dans cet incipit en apparence négligé, dont son traducteur l’a privé pour lui donner une soi-disant livrée française.

      • Comment dire ? Il m’est impossible de ne pas vous donner raison (presque) sur chaque cas. Comment se fait-il qu’au final, quand on considère l’ensemble, je ne suis plus d’accord avec vous ? Pardon, ne le prenez pas mal, il s’agit d’une plaisanterie : malgré votre âge qui semble largement battre le mien (allusion à vos arrière petits-enfants) serait-ce vous qui serait myope et moi presbyte ?

  66. Je proposerais :

    « Je vins au monde en l’an 1632 à York, au sein d’une famille distinguée, bien que n’appartenant pas à ce pays puisque mon étranger de père naquit à Brême et s’était d’abord établi à Hull. Il s’était taillé un beau patrimoine dans le commerce et, délaissant cet emploi, vint vivre ensuite à York où il avait épousé ma mère, dont l’estimable parentèle portait le nom de Robinson, d’où vient que l’on me nomma Robinson Kreutznear. Mais, par un gauchissement de mots commun en Angleterre, l’on nous appelle présentement, bien mieux : nous nous appelons nous-mêmes et orthographions notre patronyme, Robinson, et ainsi mes compères m’ont-ils toujours nommé. »

    • Puisqu’il le faut bien, à la fin, je vais me laisser entraîner là où vous le voulez : oui, Borel omet « nay » et c’est fort dommageable, mais non il n’omet pas « afterward » il se contente d’en changer la place dans la phrase, et le sens est préservé.

      De votre côté, vous traduisez « leaving off his trade » par « délaissant cet emploi », ce qui me navre. La formule anglaise désigne bien un « abandon » mais ne compote aucune connotation morale, alors qu’en français, délaisser veut marquer un désintérêt, et même un désintérêt regrettable ou condamnable. Chez Defoe rien n’indique ce type de désintérêt : il se retire, fortune faite, tout crûment. Vous remplacez « good Family » par « famille distinguée », je me demande bien pourquoi. C’est bien la peine de dénoncer les enjolivements de Borel… Vous nous la baillez belle avec votre « estimable parentèle » qui ne sera pas compris et dont se gausseront les jeunes lecteurs d’aujourd’hui. Idem pour le « gauchissement » qui est paré de toutes les vertus, sauf la simplicité et l’évidence de l’original. « Présentement » a trop fait rire, il n’a plus aucun sens, il est inemployable. « Orthographions notre patronyme » encore une fois s’éloigne par trop de la simplicité et de l’évidence de l’original, le « signons » de Borel est infiniment supérieur et dit bien ce qu’il veut dire. Et je préférais les « compagnons » de votre première version à ces « compères »… C’est drôle, Borel écrit dans un français qui m’est plus contemporain que le votre. Sa traduction a traversé les âges, non pas à cause du supposé « prestige » du Lycanthrope (quasiment inconnu au bataillon des lettres aujourd’hui et par conséquent bien démonétisé), mais à cause de sa langue qui n’est pas aussi marquée par son époque qu’on aurait pu le craindre de la part d’un Romantique frénétique non repenti.

      Par contre, j’adore votre « d’où vient » ; votre « nous nous appelons nous-mêmes » est excellent, au point qu’il pourrait même dispenser de la traduction de « nay », car il le sous-entend, et si on maintient les deux il y a une certaine redondance ; j’aime aussi votre « et ainsi » qui rend bien mieux l’original, j’en regrette l’absence chez Borel.

      Je vais appuyer sur le bouton « laisser un commentaire » et c’est bien à contre-coeur, je viens de me livrer à ce que je déteste le plus au monde, un exercice cruel et imbécile. Vous m’y avez obligé, et je ne me pardonnerai pas de sitôt d’avoir obéi à cette injonction..

      • Domonkos, navré de vous répondre d’un ton tranchant, mais la passion de la contradiction vous emporte hors de toute mesure. « Délaisser » signifie le plus couramment du monde « abandonner, laisser derrière soi » (j’ai vérifié dans le « Trésor de la langue française ») et ne dénote une moralité quelconque que dans un contexte spécifique. Je prends le good de « good family » en un sens sociétal courant, celui de « family of social standing » ou « family of some means », attendu que, sans un certain capital nul ne se lance dans le négoce au XVIIIe siècle, sauf à commencer tout en bas de l’échelle. « Parentèle » est le mot le plus exact pour l’anglais « relations » / « relatives » dans sa nuance de ‘cercle familial » tout en évitant une lourde périphrase ; votre vindicte à son encontre frise le ridicule. « Corruption » au sens linguistique demande une traduction et non un calque ; « gauchissement » se défend à tout le moins. « Présentement » pour « now » dans « we are now called » sent, je l’avoue, son pédant. Pour le reste, je maintiens contre vous que c’est le renom de Borel qui a motivé les autorités de la Pléiade quand il s’agit de publier Defoë dans les années 50 tout comme c’est son aura qui incite Sreinmetz (auteur, on le rappellera, de deux biographies de ce poète « maudit ») à le louanger…

  67. En fait, quand on connaît bien la langue d’origine, il doit être très difficile de résister à l’envie de refaire la traduction, comme d’autres « refont le match » de foot ! Et très frustrant de devoir se contenter de la version d’un autre. Pour ma part, bon ou moins bon écrivain, peu importe, j’ai passé soixante années de ma vie à me confronter chaque jour, sans exception, à l’écriture (littéraire, s’entend), et bien souvent, j’ai envie de réécrire le livre que je lis, même lorsqu’il s’agit d’auteurs que j’admire et met bien au-dessus de moi. Je connais la frustration de devoir dire « j’aurais écrit ce passage autrement ». Mais ce revers a aussi sa face brillante : connaître intimement les tourments et les délices de l’écriture, me procure aussi à la lecture des plaisirs ineffables, des moments de grâce où je crois vraiment, pendant un instant, savoir ce que l’auteur a réellement fait.

    • Sans parler de tous ceux où je me dis : « ça c’est formidable, je ne l’aurais jamais trouvé », et dans l’admiration il n’y a aucun sentiment d’humiliation. On n’est pas abaissé par ce qu’on admire, on monte vers lui.

  68. C’est une illusion d’optique ; on trouve ce « Robinson Crusoë » génial parce qu’il émane non point d’un plumitif quelconque, obscur écrivaillon ou professeur de lycée ou universitaire de l’époque, mais du Lycanthrope, dont la gloriole couvre assez indûment une production honorable mais digne qu’on la fasse oublier en la dépassant plutôt qu’on la réimprime près de deux siècles plus tard. Ma misérable version montre qu’il était possible de coller fidèlement à l’anglais tout en en reproduisant la saveur, ici celle d’une écriture à tiroirs et « in undress », sans, je crois, s’exprimer dans un français trop balbutiant.

  69. Chers Domonkos et Néo-Birt, je trouve votre joute amicale vraiment passionnante. Je voudrais savoir si vous connaissez la traduction de M. Yourcenar de What Maisie knew de James. Elle me semble extrêmement fautive inexacte et même étrange…. Elle nous a déjà fait le coup avec The Waves mais, là, elle passe tout (me semble-t-il). Il n’existe pas d’autres traductions en français je crois de Maisie. J’attends avec impatience la future Pléiade des romans à venir un jour. Si vous avez quelques lumières cela m’intéresse beaucoup.

    • C’est à l’occasion de la traduction que vous mentionnez que Woolf et Yourcenar se sont rencontrées une seule fois. Une rencontre qui ne devait pas faire date ni pour l’une ni pour l’autre. Ce qu’on peut regretter quand on les aime toutes les deux. Comment se fait-il donc qu’elle n’aient rien trouvé à se dire ?

  70. Vous y allez un peu fort tout de même. Il est vrai que le compte-rendu dans son Journal est étrange à propos de la visite de « That extraordinary scribble means, I suppose, the translator coming. Madame or Mlle Youniac. Not her name etc » Elle s’est bien ennuyée dit-elle, mais Yourcenar raconte une autre version. On ne saura jamais ce qui s’y est dit. Vous pouvez lire le bel hommage « Visite à Woolf » dès son retour de Londres qui deviendra « Une femme étincelante et timide » (cf. « Essais et mémoires » en Pléiade). Avec ce bel incipit: « “Quand je naquis, une étoile dansait”, dit une héroïne de Shakespeare. Il faut toujours en revenir à Shakespeare quand il s’agit des Anglaises.»

  71. Merci pour ces commentaires sur le Pléiade Robinson. Quelle(s) édition(s) en langue anglaise recommanderiez-vous (au sens de l’espagnol « ustedes ») ? J’imagine que le texte donné par Neo est en orthographe modernisée, ce que j’apprécierais dans une édition anglaise. La page wikipedia de Robinson mentionne Oxford World’s Classics, Penguin, Oneworld, Bantam (chacun suivi de « Classics » pour faire bonne mesure), et d’une édition par Michael Shinagel.
    Connaissez-vous les mérites respectifs de ces éditions, pour Robinson comme de façon générale (établissement du texte, appareil critique…) ?

    Y a-t-il une sorte d’équivalent de la Pléiade pour la littérature anglaise/britannique ? On a déjà parlé ici d’Einaudi et Library of America, mais je n’ai rien trouvé pour l’outre-Manche. (S’il y a un équivalent espagnol, je suis aussi preneur. Malheureusement, l’allemand et le russe me resteront inaccessibles, mais l’information pourrait intéresser d’autres lecteurs.)

  72. Connaissez-vous le mot « robinsonnade » que nous devons à ce livre classique, et que je rencontre sous la plume d’un traducteur de Marx (ma lecture un peu sérieuse du moment) ?

    D’après le dictionnaire, c’est en allemand que le mot a d’abord été employé, et peut-être par Marx lui-même d’ailleurs. Marx s’en sert pour tourner en dérision certaines théories farfelues du XVIIIe siècle (car chaque siècle a les siennes) qui mettent en scène un homme supposément « revenu » à une nature d’où un excès de raffinement supposé l’aurait éloigné.

  73. Merci beaucoup, petitrien. Je pense que je vais acquérir cette édition, qui a l’air sérieuse. Contrairement au Pléiade, elle ne contient probablement pas les « Farther Adventures », vu le nombre de pages. Je ne sais pas si l’orthographe a été modernisée, mais la citation donnée sur le site (« I made him know his Name should be Friday, which was the Day I sav’d his Life…I likewise taught him to say Master ») laisse craindre que non. Bonjour l’indigestion de majuscules et d’apostrophes en perspective! Comparé à la Pléiade, c’est une affaires: 7 pounds, et le temps que je passe commande, la sterling aura encore perdu de son éclat.

    En regardant quelques autres titres de la collection des Oxford World’s Classics, je me dis que c’est peut-être la collection britannique qui se rapproche le plus de la Pléiade pour l’aspect éditorial ? Si on recherche plutôt l’exhaustivité, je viens de découvrir http://www.nlx.com/collections (63 volumes pour Defoe!), mais avec un catalogue restreint, plus tourné vers la philosophie.

  74. C’est officiel, Tolkien entre effectivement à la Pléiade. Lu dans un encadré du Figaro « les éditions Christian Bourgois auront le bonheur de voir figurer dans quelques mois ou quelques années leur auteur phare, JRR Tolkien ». On peut imaginer qu’elle reprendra la nouvelle traduction, et qu’elle sera dirigée par Vincent Ferré.

    • Que contiendra ce volume ? Bilbo et Le Seigneur des Anneaux, certainement. Sans doute rien des autres oeuvres se déroulant dans la Terre du Milieu. Quand on sait les innombrables notes, esquisses, variantes et fragments laissés par l’auteur, il est douteux qu’on en trouve ne serait-ce qu’un minimum dans l’appareil critique alors que la plupart d’entre eux n’ont jamais été édités ni même triés. Encore un ouvrage bâclé en perspective…

      • Il y a un quart de siècle (1995), les « Conteurs italiens de la Renaissance » comportaient de copieux prolégomènes, 523 pages de notices et notes, un Répertoire de la civilisation de cette époque se montant à 170 pages, 11 pages de bibliographie ; la proportion de l’érudition était plus large encore dans le tome II de Joyce, paru cette même année, en compléments de la traduction française classique de « Ulysse » (870 pages de Notices, notes, documents, plus cinquante consacrées à l’introduction par l’excellent Jacques Aubert). Aujourd’hui, l’on va publier le tout venant d’un auteur que ses compatriotes les premiers tiennent pour le maître d’un genre mineur, Tolkien, sans l’annoter sur nouveaux frais attendu que très peu de nos contemporains combinent un intérêt pour la high fantasy avec des compétences encyclopédiques en folklore, mythographie générale et linguistique indo-européenne, mais en adjoignant un vraisemblable appareil critique postiche à la nouvelle traduction déjà parue ailleurs histoire que la préparation de ce ou ces volumes ne s’étale pas sur moult années tout en coûtant le moins possible aux fesse-mathieus de chez Gallimard. Toute l’évolution de la Pléiade est résumée en ce parallèle.

        • Je suis énamouré de Tolkien. Je possède tous les livres traduits en français qui concernent la « Terre du Milieu ». Je me délecte à en relire des passages régulièrement, il s’en dégage une impression de magie qui me touche.

          Pourtant… entre Tolkien et moi, c’est plus une affaire de coeur que de raison.

          Pourtant… je suis insensible à tous les livres à lui consacrés par des fans ou pour des motifs purement commerciaux et destinés à des adolescents ou des adultes qui ne sont pas sortis de leurs amours adolescentes.
          Pourtant… je ne suis pas particulièrement impressionné par ses travaux… « savants » et ses traductions-interprétations de Beowulf à la légende de Sigurd, et autres.
          Pourtant… si j’accorde personnellement une grande valeur à son oeuvre, à sa création d’univers, au labeur qui l’a occupé toute sa vie, je ne pourrais jamais le mettre à la même hauteur, sur le plan strictement littéraire, que Proust, Joyce, Céline ou les immenses poètes dont le XXème siècle n’a pas été avare.

          Sa place n’est de toute façon pas en Pléiade – du moins, si on parle de la Pléiade qui a dominé la scène éditoriale vers la fin du XXème siècle et qui a disparu à l’orée du XXIème (cf. ma définition par ailleurs) – et elle n’est pas nécessaire, ni pour lui, ni pour la collection. Il ne gagnera pas en lecteurs ni en considération, les amateurs ont déjà tout de lui et sont persuadés qu’il est incomparable.
          La Pléiade n’y gagnera rien, car elle appartient (appartenait) à un univers trop différent. Cela confirme simplement sa décadence (le temps des précautions de langage et des atermoiements est terminé pour moi, il faut appeler un chat un chat, et un déshonneur un déshonneur).

          Peu importe que cette édition soit plus ou moins agrémentée d’un appareil soi-disant critique. Quand bien même l’affublerait-on de mille pages de notes et de commentaires, cela n’y changerait rien.

          Je suis certain que bien des grands écrivains, dont j’ai cité les noms plus haut ou que j’ai omis pour ne pas transformer ma liste en catalogue, ne seraient pas flattés ni honorés de figurer aujourd’hui dans une collection aux côtés de Duras, Kundera, London, Roth, d’Ormesson ou Tolkien (et je limite là encore mon énumération).

  75. Pléiade : collection d’ouvrages classiques (anciens ou récents) qui fut prestigieuse au cours de la seconde moitié du XXème siècle et atteignit son zénith dans le dernier tiers.
    Comme il arrive souvent, le nom a été conservé longtemps après que la chose avait disparu.
    Au milieu du siècle suivant, personne n’en comprenait plus le sens.

  76. Je m’incline et je rends raison à ceux qui, ici même, se sont exprimés pour dire leur désamour et leur désintérêt pour la Pléiade telle qu’elle évolue, et qui ont déserté ou quasi déserté ce forum : elle ne mérite plus qu’on brise des lances pour elle.

    • Tolkien c’est un boulevard pour Asimov, Herbert, Barjavel ou Orwell…
      Tout ça n’est pas complètement inintéressant, mais ressemble à un mariage mal assorti qui finira par des querelles de ménage. Effectivement personne n’a rien à y gagner. Tolkien se moque de la Pléiade et lui fait honte tout à la fois.
      Duby non plus n’a rien à faire en Pléiade, mais au moins cela fera connaitre cet immense historien.

  77. Bonsoir amis Pleiadophiles ( s’il en reste…)
    Je voulais demander à notre collègue Neobirt7, son avis sur l’Eunuque de Térence, dans la collection Commentario, aux Belles Lettres. Nous avions déjà eu l’occasion de parler de cette collection, mais c’était à propos du livre 2 de la Pharsale.
    Neobirt7, si vous avez eu l’occasion de mettre la main sur cette édition, votre avis sera le bienvenu.
    Au plaisir de vous lire.

    • Irrémédiablement médiocre, ce volume, d’abord par la personnalité scientifique de ses deux auteurs, parmi lesquels on ne trouve ni critique de textes ni expert de la poésie dramatique romaine, à la versification d’une difficulté redoutable que ne maîtrisent plus qu’une toute petite phalange de latinistes français, les Jean Soubiran, les Gauthier Liberman, dont Bureau et Nicolas ne sont point (un spécialiste de linguistique, expert en renom sur l’interface gréco-latine, plus un connaisseur de la poésie romaine la plus tardive et la moins classicisante, par ailleurs commentateur d’une édition Budé pas bien brillante, qui semblent n’avoir abordé Térence que par le prisme de Donat), ensuite et surtout parce que le format de la série Commentario, intermédiaire assez bâtard entre le commentaire scolaire à la française (anciennes éditions savantes Hachette, volumes Erasme) et l’entreprise érudite de haute volée (commentaires oxoniens ou cantabrigiens, collections « Texte und Kommentare » chez de Gruyter, « Mnemosyne Supplements » chez Brill, « Wissenschaftliche Kommentare zu griechischen und lateinischen Schriftstellern » chez Carl Winter), les voit pontifier à longueur de page en étalant du jargon technique peu ou pas explicité tout en enfonçant la moindre porte ouverte de la recherche poétologique actuelle. La traduction à elle seule donne une idée adéquate de la capacité de ces excellents messieurs. L’incipit de la comédie

      Si quisquam est qui placere se studeat bonis
      quam plurimis et minime multos laedere,
      in his poeta hic nomen profitetur suum

      est en effet par eux rendu

      « s’il est quelqu’un qui s’efforce de plaire aux honnêtes gens
      en plus grand nombre possible, et d’en choquer le moins possible,
      c’est dans ce nombre que le poète inscrit son nom. »

      Outre la restitution gourmée et affadissante de « boni » (sur quoi voir Joseph Hellegouarc’h, « Le vocabulaire latin des relations et des partis politiques sous la République », Paris 1972, pp. 484-493), qui serait équivalente ici de ‘braves gens’, alors que, socialement parlant et sans entrer dans les distinguos politico-électoraux de ‘boni’ par rapport à ‘optimi’ / ‘optimates’, ‘fortes’, ‘probi’, ‘sani’, lesquels ne vaudront à plein que longtemps après Térence, il s’agit bien plus certainement des ‘gens de bien’, les spectateurs que le théâtreux brosse dans le sens de poil en évoquant leur distinction, garantie de jugement sain sur la pièce représentée (soit l’équivalent sous la république romaine des ‘honnêtes hommes’ de notre XVIIIe siècle français) – outre donc cette perle, la traduction Commentario des trois premiers vers de l’Eunuque présente le grave défaut d’être un plagiat. Il s’agit en effet du croisement de la version d’Emile Chambry aux classiques Garnier :

      « s’il est des écrivains qui s’efforcent de plaire au plus grand nombre possible d’honnêtes gens, et d’en choquer le moins possible, l’auteur déclare qu’il est de ce nombre »

      avec celle Budé de Marouzeau :

      « s’il est quelqu’un qui s’applique à complaire au plus possible d’honnêtes gens et à en offenser le moins possible, notre auteur s’inscrit pour être de ceux-là ».

      On comprend mieux alors le rendu surprenant de ‘boni’ ; Bureau / Nicolas l’ayant trouvé dans leurs prédécesseurs l’ont repris sans réfléchir.

      Des sondages étendus dans les premières pages de la traduction confirment cette impression ; le volume Commentario imprime une version palimpseste. Traduction nouvelle indeed !

  78. «Je voudrais aussi, dans ces notes, rendre hommage à l’homme d’incommensurable génie que fut Jules Verne. Mon admiration pour lui est infinie.

    Dans certaines pages du Voyage au centre de la terre, de Cinq Semaines en ballon, de Vingt mille lieues sous les mers, de De la Terre à la Lune et de Autour de la Lune, de l’Ile mystérieuse, d’Hector Servadac, il s’est élevé aux plus hautes cimes que puisse atteindre le verbe humain.

    (Je n’eus pas « le bonheur d’être reçu par lui à Amiens, où je séjournais » pour des raisons qui n’ont pas à être dites ici et qui n’ont rien à voir avec mon lointain « service militaire », et n’eus donc pas « l’occasion de serrer la main qui avait écrit tant d’œuvres immortelles » ; mais j’eus en compensation, celui d’y rencontrer, l’illustrissime Brumes – dont l’identité ne me fut révélée que plus tard, par une sorte de jeu rousselien – et d’échanger avec lui quelques propos).

    Ô maître incomparable (toujours selon les règles du jeu rousselien il appartient au lecteur de décider quel personnage je qualifie ainsi), soyez béni pour les heures sublimes que j’ai passées toute ma vie à vous lire et à vous relire sans cesse.»

    D’après Raymond Roussel « Comment j’ai écrit certains de mes livres. »

    • Merci, cher Domonkos, de rappeler à notre mémoire ce sacré farceur de Roussel. Un écrivain que j’ai toujours tenu en estime sans vraiment savoir pourquoi : sans doute une de ces affinités instinctives qui ne s’expliquent pas.
      Je ne me souvenais plus de ce passage sur Jules Verne.
      Mais j’aime Roussel comme on aime, en musique, un virtuose, c’est-à-dire qu’on admire mais qu’on n’y revient pas.

      • Virtuose dont on n’a pas envie de revoir souvent le numéro ? Ce n’est pas faux. Mais.
        Il y a aussi une part de mystère, de vraie-fausse naïveté, d’honnête roublardise, un grain (plus qu’un grain) de folie.
        Ça ne laisse pas indifférent.
        C’est intriguant.
        Quand on y revient (comme je l’ai fait dernièrement, par le plus grand des hasards, sans intention préconçue) on se dit à la fois : « Mais pourquoi diable y revenir, qu’est-ce qu’il y a donc là-dedans pour attirer ? » et « Il y a là-dedans quelque chose d’assez intriguant et attirant pour justifier l’envie d’y revenir ».
        Le genre d’oeuvre qui, pour moi, appartient à l’ogre de l’indécidable.

        Et puis, il y a la caution de Desnos, dès le premier jour, avant tout le monde (quoique, il fut précédé par… Edmond Rostand, encore un gag rousselien !), en tout cas avant les autres Surréalistes. Et, à mes yeux, l’admiration de Desnos vaut tous les adoubements.

  79. Cher Neobirt7
    Merci pour votre compte rendu.
    J’ai déjà acheté l’ouvrage. Il viendra soulager la jambe rabotée de mon vieux canapé arthritique 😄
    C’est fou à quel point la littérature antique est traitée par dessus la jambe, en France.
    Quant aux éditions Budé, c’est un peu la loterie.
    Bref… Merci encore, Neobirt7.

    • Mince alors, en mars c’est l’anniversaire de mon épouse, pas le mien… Si au moins ce bon Friedrich avait eu l’heureuse idée d’écrire un traité d’Équitation !
      Est-ce que quelqu’un a des informations sur le contenu ?
      Ah, cette délivrance des informations au compte-goutte, pour « entretenir le désir », procédé marketing digne de The Walt Disney Company.

      Et, par la même occasion, une nouvelle mise sous coffret, une ! Cette fois, c’est Platon qui en est la « victime » (sauf si, comme pour Michelet, il s’agit d’une édition révisée ? point ne m’en est parvenu le bruit…)

  80. Cher Domonkos, suite à vos messages à propos de Robinson Crusoë, je me suis offert ce petit volume illustré et je prends bien du plaisir à relire ce sympathique roman d’aventure. Surtout n’en disons rien à notre hôte. J’ai beaucoup aimé relire les 2 Kafka. Quant à D’Ormesson, j’aime tout particulièrement La Douane de mer. Bizarrement je bloque sur les Lais. M’intéressent pas beaucoup et je ne trouve pas cette poésie… très poétique. Qu’on me pardonne ce sacrilège. Quand je pense aux futurs Michelet et depuis Les Misérables, la Pléiade c’est de plus en plus, pour moi, de la relecture. Tant pis ou tant mieux.

    • Il semble que vous suiviez en cela l’évolution de la collection. Avec ses réimpressions de volumes dont la seule nouveauté est le coffret dont ils sont habillés, La Pléiade nous vend de plus en plus souvent du simple prêt à porter au prix de la haute couture.

    • Qu’on me comprenne bien. Je ne renie rien de ce que j’ai dit du « Robinson Crusoe ».

      Je pratique deux façons d’aborder un livre. Celle du simple plaisir, plaisir non ennemi de l’intelligence, et alors je suis comblé par un « Robinson Crusoe ».

      Celle, plus « intellectuelle », de la recherche de la connaissance et de l’excellence. Et, dans ce domaine, La Pléiade ne m’apporte plus rien que déceptions et motifs de colère (face, par exemple, et c’est mon obsession, à cette infecte édition de Verne, qui ne dépasse à aucun moment les éditions lambda, dans des formats de poche ou des habillages tape à l’oeil, dont on abreuve depuis un siècle le gros – plutôt que grand – public).

  81. Le volume de Nietzsche pourrait contenir ses œuvres de Humain trop Humain à Zarathustra peut-être. En passant par Aurore et Le gai savoir. Pour Michelet c’est une toute nouvelle édition qui sera publiée par Paule Petitier (qui a déjà édité son énorme Histoire de la France) d’après les manuscrits et les papiers préparatoires inédits.

      • En osant espérer qu’il s’agira d’une entreprise, sinon achevée dans des délais raisonnables, du moins tenue tant soit peu au courant de l’état présent de la science nietzschéenne, et non point d’un plat surgelé à la date de péremption indéterminable mais de toute évidence achevé il y a des années et qui aura simplement été réchauffé au micro-ondes de Gallimard sans revenir en cuisine pour être réélaboré. C’est malheureusement le cas du Virgile, dont l’appareil de science fleure bon le status quaestionis de la fin des années 90.

        • Toute espérance a vocation à être déçue, c’est dans sa nature. En même temps, elle ne peut être déçue, puisque tout le plaisir qu’elle apporte réside dans l’attente et s’éteint lorsque l’attente prend fin, que cette fin soit heureuse ou non. Mais à force de déceptions, La Pléiade ne va pas tuer l’espérance, ce qui est impossible, mais bel et bien l’empêcher d’advenir.

  82. Cher Domonkos, cela fait quinze ans que je n’achète plus de Pléiades sans les avoir feuilletées en Fnac, le dernier emporium libraire qui les expose en libre accès (trop de distributeurs les tiennent sous clé par crainte des vols). Les mauvaises surprises sont devenues légion. Je hais tout particulièrement la nouvelle distribution de l’appareil critique, non plus par page de texte mais par groupes de pages signalés en manchette, pour motifs évidents d’économie d’espace: comme tout l’annotation se trouve désormais imprimée à la suite, et qu’il serait du plus mauvais effet, typographiquement parlant, d’y inclure quoi que ce fût qui évoquerait les développements exégétiques sur lesquels s’est établie la réputation académique de la Pléiade depuis l’intégrale Rousseau, car l’absence de blancs pour les mettre en valeur et en borner l’étendue en ferait, dans la nouvelle formule, de gros paquets indigestes, les éditeurs se contentent désormais de notules brèves et ponctuelles, sinon anecdotiques, jusque dans les volumes anthologiques les plus savants (« Les Epicuriens », « Premiers écrits chrétiens »). Il en est résulté un abaissement de la qualité scientifique des nouveaux tomes, témoins tout dernièrement les piètres « Misérables » de Scepi, qui en imposèrent pourtant à certains ici, ou les contestables « Lais du Moyen-Âge » (un collègue qui vient de donner chez un éditeur universitaire de tout premier plan une édition de roman médiéval fort bien reçue par la critique, me montra tantôt son exemplaire; les moitiés de pages consacrées à la traduction y disparaissent sous les traits de crayon et les marginalia).

    • Sérieusement, qui éprouve le désir de lire les Lais du Moyen-Âge ou les Premiers Écrits Chrétiens, si ce n’est pas dans une édition de la plus haute exigence ? Qui a envie de se procurer une nouvelle édition de Nietzsche, si celle-ci n’apporte pas quelque chose « d’inédit » aux nombreuses et parfois savantes qui l’ont précédée ?

      Alors, quoi ?

      Si La Pléiade n’est plus capable de nous donner des Classiques dans des versions irremplaçables, pourquoi s’entêter ? Il n’y a même pas d’intérêt financier, car ce ne seront pas des best-sellers. Le seul but ne peut être que de tenter d’entretenir l’illusion de la « Collection de Prestige ».

      Dans ce cas, il est plus logique de « rentrer dans le rang », en publiant des auteurs contemporains de second ou de troisième ordre, voire même pire (Duras, Kundera, Roth, Beauvoir et tutti quanti), ou bien des Classiques populaires (Verne, Twain, London…), agrémentés d’un joli packaging, d’un commentaire et de notes a minima, afin de pouvoir prétendre se hisser un peu au-dessus du vulgum. Dans ce sens, La Pléiade emprunte un nouveau chemin (en pente descendante), un chemin de randonnée bien balisé, loin des sentiers oubliés ou des sommets inviolés.

    • Bien entendu, je ne conteste pas le droit absolu de l’éditeur de faire ce qu’il veut de sa collection, de rechercher un nouveau public. Tout au plus, j’aimerais qu’il affiche clairement ses intentions et ne tente pas de refiler de la fausse monnaie à ses vieux lecteurs fidèles. Je ne conteste pas plus le droit à ce nouveau public d’y trouver son plaisir et la satisfaction de ses goûts. Il n’y a de ma part ni mépris ni désapprobation. Une part de moi appartient également à ce public qui privilégie le simple plaisir d’une belle édition de textes agréables, sans en attendre forcément l’illumination ou la sensation du siècle.
      Je ne revendique que le droit, personnellement, de n’être pas dupe des rodomontades pseudo-savantes des éditeurs pléiadesques et de ne plus ployer le genou devant l’idole renversée. Et, finalement, d’aller voir ailleurs si je m’y retrouve.

      • Totalement d’accord avec vous, Domonkos. Cela dit, le mauvais exemple de laxisme éditorial dans la Pléiade remonte assez loin, jusqu’aux années 60 ; non seulement l’infortuné Jules Renard se vit consacrer deux tomes que leur appareil critique étique rend minuscules (pas de notices; des variantes qui supplantent régulièrement les notes, surtout au tome II, pour un total de 120 pages par volume), son si captivant « Journal » a été publié en dépit du bon sens (préface étique; pas d’annotation, nonobstant la promesse du sous-titre « préface, chronologie, notes et index par Gilbert Sicaux », mais 150 pages bio-bibliographiques d’index des noms et des oeuvres renardiennes et autres, bienvenues pour la proposopographie mais qui constituent un bien piètre substitut à une explicitation, même minimale, des innombrables allusions mondaines, historiques, littéraires dont fourmillent ces pages abruptes et que cette Pléiade ne fait rien pour arracher à leur opacité). A ma connaissance, ce Journal constitue l’unique tome de la collection ne datant pas des années 30 et 40 (e.g., Malraux, « Le miroir des limbes ») à n’offrir aucune note.

  83. On peut aussi s’offusquer de l’absence de notes explicatives pour les volumes de poésie d’Apollinaire et d’Eluard qui en auraient bien besoin.

  84. Cher Pleiadophile,
    Je suis tout à fait d’accord avec vous à propos des deux noms que vous citez, Apollinaire, en particulier, dont la thématique n’est pas si claire que ça ; je pense notamment à la figure d’Orphée, qui traverse pratiquement toute son œuvre. Cette figure explique beaucoup d’images, de métaphores, qui resteront obscures pour le profane. Malgré les apparences, Apollinaire n’est pas du tout un poète facile ; une édition Pléiade critique ( Pierre Brunel – rêvons un peu – pourrait en être le maître d’œuvre) serait franchement la bienvenue. Mais je crois me rappeler qu’un de nos collègues-intervenants avait confirmé une nouvelle édition des œuvres poétiques d’Apollinaire pour 2019…

    • Une anecdote qui figure en bonne place dans notre légende familiale : mon fils (tout jeune collégien alors, et depuis devenu un élégant chercheur en physique subatomique, totalement imperméable à la poésie hormis celle des particules), ayant dû analyser un poème rhénan d’Apollinaire, avait écrit que cela racontait l’histoire d’un ivrogne, buvant comme un trou, ce qui provoquait des visions éthyliques, qui, à la fin, complètement saoul, cassait son verre ! 3/20… Rentré à la maison, très contrarié par cette « injustice », je l’achevai en lui disant que je ne lui aurais pas accordé plus de 0,5/2O.

      Nul doute qu’une aussi fine analyse augmenterait sérieusement la valeur de l’édition Pléiade?

    • Eluard aussi… 66 ans après la mort de l’ex-surréaliste et 65 ans après celle de son idole Joseph Staline, il y aurait suffisamment de recul et de résultats des recherches pour refaire une édition à la hauteur qui éclairerait et remettrait cette oeuvre à sa place (sans la surévaluer ni la sous-évaluer).

  85. Bonjour,
    Je suis passé à la librairie Gallimard ce samedi afin de m’enquérir d’une éventuelle réimpression de « Lorsque les dieux faisaient l’homme » de Bottéro et Kramer (rien en vue, hélas). J’en ai profité pour poser une question sur le contenu du Nietzsche II en Pléiade. Il contiendra, m’a-t-on dit : HTH / Aurore / Le GS. Le préposé m’a indiqué que les fragments posthumes seraient également publiés, mais il m’a semblait qu’il était loin d’en être certain. « Cela ferait sens » m »a-t-il dit. Pour ma part, cela m’étonnerait. On aurait alors au moins cinq volumes Nietzsche pour rendre les dix-huit de l’édition précédente. De plus, il est dommage que Gallimard ne profite pas de cette nouvelle édition en Pléiade pour inclure les œuvres qui figurent dans l’édition Colli/Montinari et qui n’ont pas été traduites dans l’édition française, soit les sections I et II de l’édition allemande (cf. la note des éditeurs dans chaque volume). Bref, possédant les 14 tomes en 18 volumes de l’édition précédente (ainsi que les 4 premiers volumes de la correspondance, le cinquième étant toujours attendu), je vois mal ce que cette nouvelle édition, qui me semble plutôt une réédition légèrement repoudrée, va apporter. S’il devait y avoir un réel intérêt, j’envisagerai de l’acquérir, Nietzsche étant l’un de mes trois philosophes auquel je porte un très grand amour.

  86. cher Domonkos,
    2,5 ? votre complaisance vous perdra ! 😄
    Plus sérieusement, l’absence d’une édition sérieuse des œuvres poétiques complètes d’Apollinaire, et même pourquoi pas, de ses œuvres complètes, poésie et prose, ( en Pléiade ou ailleurs ) reste un mystère. Il est l’un des grands modernes, peut-être le plus grand moderne, de notre langue. Avec Alcools, il révèle la poésie des temps modernes, dans une langue incroyablement sophistiquée, malgré ( et c’est trompeur… ) Une simplicité de façade.
    je ne dirai plus rien de mal sur la Pléiade, cette collection, par ses choix éditoriaux, s’en charge très bien toute seule.

    • Pardieu, vous me la baillez belle et m’attribuez une générosité, voire une complaisance, qui me sont étrangères !
      2,5/20, comme vous y allez !
      Il me paraît que j’ai bien écrit : 0,5/20 et encore, en indiquant bien au jeune délinquant qu’il ne devait ce demi-point qu’à ma tendresse paternelle…
      (Fils prodigue et Père miséricordieux étant, comme chacun le sait, les deux faces de la même parabole.)

      Sinon, je souscris à chacun de vos mots sur Apollinaire. Si je vous avais connu plus tôt, je vous aurais envoyé mon fiston pour des cours particuliers (que vous m’auriez facturés, je n’en doute pas, à prix d’or, en prenant conscience de l’ampleur de la tâche).

      • Vous avez raison, je vous ai accordé une complaisance un peu excessive 😁
        Je ne donne plus beaucoup de cours particuliers ( quelques cours d’histoire littéraire ou de méthodologie aux agrégatifs…) j’ai abandonné les cours particuliers aux collégiens, ils m’ont donné précocement des cheveux blancs ; j’aurais donc fait l’impasse sur votre charmant bambin 😄
        Pour Marie de France, je vais peut-être me laisser tenter par l’édition Champion, cette maison honorable dont notre ami Neobirt7 ne cesse de vanter l’absolue probité 😁

        Une bonne soirée à vous, Domonkos.

        PS : je constate un usage de plus en plus fréquent des smileys dans mes messages. Ce signe malheureux de jeunisme est la preuve irréfutable que je vieillis.

    • Je vous en demande pardon, tout en vous remerciant de nous avoir communiqué ce lien, mais pour ma part, j’ai dû me contraindre pour aller au bout de ce texte, afin de ne pas en parler sans l’avoir réellement lu.

      Outre la légèreté du propos, la pauvreté des références, réduites à deux ou trois auteurs que tout le monde a lu à moins de n’avoir rien lu (le mot références est par trop flatteur, tant elles sont vagues et finissent par ressembler à des on dits), je trouve insupportable cette mode de langage journalistique. Décontracté, se voulant « moderne » (pour ne pas faire vieux savant, c’est-à-dire vieux con, sans doute), multipliant les clichés éculés et souvent controuvés (il ne serait pas difficile bien que trop long pour ce lieu d’échange de prouver à quel point les Lais ont peu à voir avec « la poésie arabe », tant ils sont nés d’une culture et d’une société profondément différentes). A force de regarder hautainement l’époque, la société et les mentalités du Moyen-âge, l’auteur tombe constamment dans l’anachronisme (le « metoo » se lit tout du long, en filigrane, sous sa plume). En réalité, il feint de parler de cette époque. En remplacement des anciens clichés qui fleurissaient dans nos livres d’histoire et nos manuels scolaires, il en met de nouveau qui viennent tout droit des magasines, de la télé et des réseaux dit « sociaux ».

      Cela trahit bien l’ambition de l’article (et probablement de l’entreprise éditoriale dont il semble tant goûter l’esprit) : nous faire croire à la proximité immédiate entre nous et les auteurs et lecteurs des Lais. Comme si cela pouvait « nous parler », sans effort. Pour peu, Marie de France pourrait être invitée chez Léa Salamé et nous n’aurions aucun mal à saisir son propos. Cette entreprise ne s’effectue qu’au moyen d’une création d’une nouvelle caricature de Moyen Âge (dont la complexité ne saurait se réduire à quelques slogans et dont bien des aspects nous resteront à jamais étrangers à défaut de les avoir vécus et éprouvés, au moins tant qu’on n’aura pas inventé la machine à remonter le temps).

      Certes il existe bel et bien une profonde communauté humaine entre eux et nous, mais on ne peut – ce n’est pas un paradoxe – la réellement sentir qu’à la condition qu’on nous explique et fasse sentir la radicale différence entre ces êtres d’un autre temps et d’un autre espace et nous. (Encore, ce disant, tombai-je moi-même dans le péché qui consiste à les « mettre tous dans le même sac » et en faire une typologie uniformisante. De même que nous ne sommes pas non plus tous faits de la même farine et ne lirons pas tous ces vénérables Lais de la même façon.)

      Un dernier mot, au sujet d’un autre symptôme qui m’a alerté d’entrée : la comparaison dans le titre et l’accroche avec les Dames Murasaki Shikibu et Sei Shonagon, est inepte, tant la situation du Japon de l’ère Heian est incomparable à notre XIIème siècle, pas plus que ne l’est leur art à celui de Marie de France et de ses consoeurs. C’est une preuve de plus de l’idée qui sous-tend l’article (et qu’on retrouvera dans n’importe quel magasine féminin ou émission de télé) : sous tous les cieux et à toutes les époques on retrouvera le même.

      • Je trouve même – en dehors de la littérature – ce texte insultant pour les gens dont il parle sans aucune empathie. Il les juge et les condamne, en se fondant sur ses préjugés et les préjugés de son époque.

        Et pourtant, ces gens ont vécu. Et leur vie, qu’elle nous paraisse bonne ou mauvaise, leur a paru généralement digne d’être vécue. Un minimum d’humilité est requis quand on ne connaît pas, qu’on on ne peut connaître, ce dont on parle.

        • La comparaison féministe avec la Japon est évidemment simpliste et « bien-pensante » mais l’auteur a semble-t-il travaillé au Japon, ceci expliquant cela. Je vous accorde que le style de l’article est assez nul et bien dans l’air du temps (style La Cause Littéraire). Mais encore une fois il est absurde de demander à la Pléiade ce qu’elle n’est pas et n’a presque jamais été. Ce n’est pas une collection universitaire, les gens qui étudient professionnellement les Lais savent ou trouver les textes qui les intéressent et je trouve assez utile d’avoir toutes ces oeuvres à portée de main pour qui veut les lire (dans l’original). La « traduction » est semble-t-il contestable, mais quelle traduction ne l’est pas?

          • Je n’ai pas, de mon côté, voulu porter de jugement de fond sur l’édition des Lais. J’ai fait un billet d’humeur sur un certain ton adopté par le commentateur, qui, à mes yeux, juge vraiment trop une époque et ceux qui y vivaient, avec nos propres critères actuels. Ce faisant, l’évolution des idées ne s’arrêtant jamais, il se condamne à devenir obsolète dès demain ou après-demain et il commet une injustice à l’égard de nos ancêtres. Pardonnez-moi la vivacité de ma réaction « à chaud ». Plus fondamentalement, je suis effectivement indisposé par ce comparatisme vraiment par trop rapide et superficiel, qui tend à faire de la diversité du pareil au même.

            Mais basta, n’en parlons plus. En ce qui concerne la question de la Pléiade « savante » ou non – la vraie question qui nous intéresse ici – si je reproche le choix de certains auteurs contemporains, je ne demande pas pour autant qu’on en donne une édition « universitaire ». Par contre, si la Pléiade nous donne un volume de « Lais du Moyen Âge » (et sans préjuger, à l’aide de mes faibles lumières, du niveau de qualité de celle qu’elle nous a donnée) je crois qu’elle ne doit et ne peut la placer ailleurs qu’au plus haut niveau d’exigence. Pourquoi ? Parce que ces textes sont fort éloignés de nous, presque aussi étrangers qu’un poète de la dynastie Song, et qu’ils ne peuvent nous parvenir autrement qu’à travers ce filtre. Je ne crois pas qu’il soit possible de les lire comme on lit un poète ou un romancier du 19ème siècle, pas même du 18ème ou du 17ème. Sinon, sous la forme d’une adaptation qui n’en donnera qu’une idée complètement fausse. Ne nous leurrons pas, les foules ne se précipiteront pas sur ce volume qui ne peut s’adresser qu’à des lettrés solidement armés et motivés.

            J’ai pris soin de distinguer les oeuvres d’un abord plus ou moins aisé qui se peuvent concevoir sous la forme d’une édition élégante et peu surchargée de notes savantes, et des oeuvres qui par leur nature même appellent la plus haute exigence. (Si j’ai, à chaque fois, fait part de mon ressentiment à l’égard de l’édition de Verne, d’apparence « facile », c’est parce que, dans ce cas particulier, l’occasion a été ratée de débarrasser cet auteur de tous les préjugés et clichés qui empêchent d’apercevoir sa vraie nature.) Si Gallimard veut continuer à publier dans la Pléiade ce second type d’oeuvre, il ne peut se contenter de moins, à moins de vouloir mécontenter tout le monde, les lecteurs les plus avertis en ces matières et les moins avertis.

        • Au fait – et après je vous retournerai sur mon petit Aventin et vous laisserai un bon moment tranquille – je nous vois souvent reprocher à deux ou trois d’entre nous, qui serions des terroristes intellectuels, d’occuper indûment le terrain et, par voie de conséquence, d’empêcher toute autre expression.

          Cela ne correspond pas à mon constat. Je viens de m’abstenir de tout commentaire pendant une douzaine de jours. Auparavant j’ai également respecté un certain nombre de repos sabbatiques. Pendant ces périodes où j’ai laissé le champ libre, je n’ai pas vu l’ombre d’une intervention des deux ou trois d’entre vous qui vous sentez maltraités (je peux vous retourner un reproche qui vous est coutumier : vous aussi vous êtes toujours les deux ou trois mêmes, au point que cela en devient tristement prévisible).
          Il semblerait que, pour que vous puissiez vous « exprimer », il faut que l’un d’entre nous vous « provoque » ; et que cette « expression » ne peut pas prendre d’autre forme qu’une bonne volée de bois vert à notre endroit.

          Qui vous empêche de nous faire part de vos lectures ? Tous les point de vue m’intéressent… à condition que ce soient des point de vue qui s’appuient sur quelques analyses. Qui ne sont pas forcément ennemies du ressenti. Mais les simples « j’aime » et « j’aime pas » n’éveillent en moi ni intérêt ni sympathie.

          • Si cete édition des lais est si médiocre comme cela a été dit ici que l’on dise clairement que son responsable Philippe Walter n’est pas digne de nous la proposer… mais qui peut se permettre sérieusement, à moins d’être un vrai médiéviste, de critiquer ses choix pour cette édition? Pourquoi ne devrais-je pas faire confiance à un universitaire réputé et qui ne semble pas être contesté par ses pairs mais accepter les démolitions en règles d’un anonyme sur le web?

            Bon je retourne à Tristram Shandy (il y aurait beaucoup à dire sur les deux traductions que je fréquente… l’une étant sand doute moins problématique que l’autre… quoi que…)

          • Parce que, Joaquim, l’anonyme en question, titulaire de deux doctorats (philologie classique et littérature comparée appliquée au domaine indo-européen) ainsi que d’une habilitation à diriger des recherches comme M. Walter, à ce titre donc bon connaisseur des procès sémantiques et traductologiques, a fait l’effort élémentaire, pour nourrir sa critique du rendu Pléiade d’un vers des Lais, d’ouvrir le dossier documentaire primaire et secondaire au lieu de brandir on ne sait quelle baguette magique de spécialiste. Seuls les arguments entrent en ligne de compte ; ne me sortez pas l’antienne de l’experto credite, « croyez-en l’expert », car M. Walter n’est qu’un parmi les Zink, Dufournet et autres Roussineau, et d’aucuns considèrent qu’il n’arrive pas à la cheville de l’immense Jean-Charles Payen.

      • Dommage (pour vous) de placer le débat à ce niveau. Ah la bonne vieille technique de l’attaque ad hominem, de la déconsidération jetée sur son interlocuteur pour n’avoir pas à prendre en considération son propos ! Hélas, ce n’est pas sur ce blog que je m’attendais à trouver ce genre d’attitude qui se répand sur toute la toile comme une infection. Il est donc dit que nul, en aucun lieu, ne sera épargné par ce mal !

        Si vous détestez les idées, si vous ne jugez pas utile de répondre à des arguments par des arguments, il y a une solution : ne pas lire ce qui vous dérange. Si, si, je vous le jure, ce n’est pas une obligation !

        Comme on dit dans le film « Le Viager » (moi aussi, j’ai des références) : « Alors, il y a un chouette enterrement et tout le monde est content. (…) C’est intéressant, hein ? »

    • Joaquim, malheureux ! Si vous commencez à dire du bien de La Pléiade (ou à oser suggérer que d’autres en disent du bien), vous risquez gros ! 🙂

      Pour ma part, après le « Récits, chroniques et polémiques » de Dostoïevski que j’avais dévoré, j’ai presque terminé le tome III de Zola ; comme (presque) tous les autres tomes de La Pléiade que j’ai lus, je continue à trouver cette collection tout à fait essentielle et excellente. 🙂

      (Joaquim, je plaisantais : en dehors de quelques « critiques » aussi auto-proclamés que virulents qui tentent de monopoliser ce blog, partout ailleurs on dit du bien de La Pléiade).

      • Lombard, j’aime beaucoup votre première phrase.
        Je la trouve piquante : dans les deux acceptions de ce mot merveilleux qui contient à la fois la (légère) douleur de la piqûre et le plaisir qu’elle procure.

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