Fausse route : des biographies et des mémoires

kendall

Vie et mort de la biographie, Pierre Assouline, Le Monde des livres, 22 octobre 2009

Pierre Assouline, journaliste littéraire du Monde, tient également le blog « livres » le plus couru de l’internet français. Si ses articles ne sont pas  de valeur égale – quoique toujours bien informés -, le blog d’Assouline vaut surtout pour ses impayables commentateurs. Il faut avoir le courage de s’y promener quelques temps pour voir à quoi peut ressembler un espace libre de parole, ouvert à des gens cultivés, lettrés et intelligents. L’art de la conversation n’est pas mort en France, le salon assoulinien est toujours là pour le démontrer. Propos à l’emporte-pièce, définitifs, tombereaux de haine et d’insultes,  discussions qui tournent au pugilat, sauvageries en tout genre : sur la toile, une fois le vernis de civilité écaillé par la protection due à l’anonymat, les coups fusent. Le spectateur peut toujours picorer, ici ou là, une référence noyée dans les invectives et les injures. Par contre, vouloir descendre dans l’arène pour porter une parole, modeste ou interrogative, est une très mauvaise idée : personne n’y répondra, ou alors sous une forme si agressive qu’elle découragera l’impétrant. Du coup, il est positivement impossible de réagir aux articles d’Assouline, tant bien même une idée plus ou moins intelligente viendrait à l’esprit du lecteur lambda. Trop d’intervenants, trop d’agressivité, trop de sous-entendus entre commentateurs qui se pratiquent depuis des années.

Le dernier article d’Assouline, Vie et mort de la biographie,  publié dans Le Monde des livres vendredi dernier, le sera probablement sur le blog – je n’ai pas vérifié s’il ne l’était déjà -. Et, si d’habitude je n’ai guère envie de réagir aux assertions de l’échotier littéraire le plus célèbre de la toile, j’avoue être tenté de le faire pour cet article. Néanmoins, ma voix sera à coup sûr couverte par les hurlements des acharnés impitoyables qui peuplent ces lieux. Expérience déplaisante s’il en est. Donc je préfère le commenter ici, dans le silence. De toute manière Assouline n’aurait pas lu ma réponse.

Dans son dernier article, il évoque la « mort de la biographie historique » : selon lui, ce genre ne perce plus, ses sujets sont épuisés et ses révélations éventées. Assouline affirme-t-il cela parce qu’il vend mal son monumental Simenon, consacré au père du Commissaire Maigret? Si c’est le cas, je dois admettre que cela me réjouit. Il faudra un jour m’expliquer comment ce romancier de genre peut être révéré à ce point : il est désormais pléiadisé – la collection prestigieuse de Gallimard lui réservant une place démesurée -. Tant pis si Thomas Mann, George Orwell, John Steinbeck ou August Strindberg ne le sont pas, tant que l’insignifiant auteur de dizaines de romans policiers soporifiques y est… Je ne comprends décidément pas cet intérêt critique pour Simenon. Entre 1984 ou les Buddenbrooks et Maigret en balade, le choix semblait pourtant évident! Bref, assez parlé de l’anecdotique Simenon.

Assouline tire de l’absence de biographies historiques dans les palmarès des meilleures ventes la conclusion que le genre ne fonctionne plus, que nous, lecteurs, en sommes lassés. Passons sur le fait de prendre comme référence un palmarès des meilleures ventes quand on sait que Lévy trône à celui des romans. La biographie historique, un genre éventé? Au lieu de citer le Gandhi de Jacques Attali (mais sur quoi Attali n’a-t-il pas fait écrire ses nègres?) ou le Catherine II de Carrère d’Encausse (quitte à faire, autant citer les plagiats du vieux Troyat), il eut été mieux inspiré de citer les quelques excellentes biographies qui ont paru depuis quelques années.

Les biographies n’ont pas disparu. Les deux ouvrages sur Staline de Simon Sebag Montefiore, le monumental Hitler de Ian Kershaw, le Charles Quint du très récemment disparu Pierre Chaunu, le George Orwell de Bernard Crick, etc… font tous l’honneur de ce genre. Dans les années 70, à une époque où la biographie était un art mineur, voire sale, le succès incroyable du Louis XI de Paul Murray Kendall entraîna le public français cultivé à acquérir et lire des grandes biographies historiques. Trente ans après, le vide est enfin comblé : tous les champs sont plus ou moins bien couverts, de belles collections (chez Fayard et Perrin) disposent de catalogues étoffés. Alors oui, peut-être que les ventes sont moins bonnes, peut-être que les grands noms ont tous été traités, peut-être que le public est un peu moins concerné par ce genre… Assouline prétend le public lassé par les révélations de replis inavoués. La qualité d’une biographie se mesure selon lui à la quantité de secrets honteux qu’elle révèle. C’est une imbécilité sans nom, une position d’échotier de caniveaux. Une vraie biographie est un travail historique sérieux, mesuré et équilibré. Ce sont les prétendues biographies secrètes qui ont abaissé la biographie sérieuse : quand sortent, avec une ample publicité, des travaux putassiers révélant tel ou tel travers d’un personnage célèbre, c’est l’histoire qu’on assassine! Assouline a bel et bien collaboré à cette tendance, lui qui, plutôt que d’évoquer le splendide édifice de Simon Sebag Montefiore sur Staline préférait gloser sur les révélations des turpitudes d’un Mauriac (homosexuel ou pas?) ou d’une Virginia Woolf.

Tant mieux si le public se lasse de ces mauvais travaux de troisième main, censés révéler je ne sais quel recoin enfoui. Qu’on laisse la biographie aux historiens, aux praticiens des archives plutôt qu’aux journalistes et aux psychanalystes de cinquième zone. D’ailleurs, si le public n’adhère plus vraiment aux travaux biographiques, il acquiert de plus en plus de souvenirs et de mémoires : les livres de l’Amiral De Gaulle sur son père, les Jounaux de Joseph Goebbels, les Mémoires de Claude Lanzmann, le Bloc-notes de Mauriac sont tous d’immenses succès de librairie – ceci toutes proportions gardées évidemment. Et la reparution, en novembre prochain, des Mémoires de Churchill, retraduites pour l’occasion, sera en toute probabilité, un merveilleux coup des éditions Taillandier.

Ce que révèle le déclin de la biographie n’est pas la perte d’intérêt du public pour les parcours personnels, mais plutôt la sanction d’un genre, la biographie scandaleuse, de quatrième main, qui n’apprend rien d’utile. Malheureusement, elle entraîne avec elle la biographie sérieuse, laissant la place à l’exposition des souvenirs bruts. Au traitement scientifique d’un sujet historique, le public préfère maintenant la subjectivité pure. Plutôt que d’entrer par le biais d’un intercesseur professionnel dans un sujet historique, l’homme contemporain incline au partage de la mémoire. A l’oeil, sinon objectif, du moins équilibré, du biographe, spécialiste et manieur d’archives, il préfère maintenant le regard intérieur, et les autojustifications mémorielles. Il n’est pas certain que cette tendance soit une avancée : l’émotion et le parti pris du flux mémoriel n’ont rien à voir avec la froideur du savoir historique. Si le succès moindre des travaux biographiques révèle quelque chose, c’est bien la difficulté grandissante d’imposer l’histoire face à la mémoire, la quête d’objectivité face au souci de subjectivité, le jugement équilibré face aux passions contingentes. Le problème de notre temps est là : comment contrebalancer le relativisme subjectif que révèle, in fine, le triomphe du genre mémoriel?

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Une réflexion sur “Fausse route : des biographies et des mémoires

  1. Je crois que ce dont tu parles, ce ne sont pas de réelles biographies, mais plutôt des extraits de Voici et Gala (« Découvrez dans ce numéro les photos du nouveau petit ami de Mauriac ! »)….

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